CTLF Corpus de textes linguistiques fondamentaux • IMPRIMER • RETOUR ÉCRAN
CTLF - Menu général - Textes

Court de Gébelin, Antoine. Monde primitif. Grammaire universelle et comparative – T02

Discours
préliminaire

L'accueil dont le Public a honoré les Essais que nous avons
fait paroître pour fonder son goût sur nos recherches relativement
à l'origine des connoissances humaines & aux raports des Langues,
est trop flatteur pour ne nous avoir pas déterminés à persévérer
dans notre entreprise, & à redoubler nos efforts afin de répondre
de plus en plus à sa confiance. Dans cette vue, nous commençons
l'exécution de notre projet, par l'Histoire naturelle de la parole,
Histoire qui sert de base à tout ce que nous aurons à dire sur les
Langues ; mais qui par ses détails est peut-être la moins satisfaisante
pour l'imagination, la moins flatteuse pour une oreille françoise
accoutumée aux sons agréables de ses Poëtes & de ses
Auteurs répandus dans toute l'Europe ; Histoire cependant nécessaire,
puisque sans la connaissance des mots, il n'y en a point de
certaine, puisqu'on ne va aux choses que par leur moyen, & qu'il
est très-intéressant de connoître l'origine & l'énergie de ces mots
qu'on employe tous les jours, & par lesquels la communication la
plus intime est ouverte entre les hommes.

Cette portion de nos recherches est d'ailleurs aussi piquante
par sa nouveauté, que décisive pour le succès de notre travail.
En effet, si nous réussissons à démontrer l'analogie de toutes les
Langues, à les réduire toutes à une seule, à une Langue primitive
& donnée par la Nature, dans laquelle les hommes aient
ixtoujours été & seront toujours obligés de puiser leurs mots,
il ne restera plus de doute sur les autres portions de notre entreprise,
qui n'en seront que des conséquences.

L'Histoire naturelle de la parole, trop peu connue parce que
son objet n'excite aucune sensation, comme tous ceux auxquels
on est habitué, & parce qu'on supose sans doute que le méchanisme
en est si simple, qu'il n'y auroit aucun mérite à l'analyser,
est cependant aussi satisfaisante qu'utile. C'est pour n'avoir
pas connu les détails qu'elle offre, c'est pour avoir ignoré
l'essence de ses Elémens & leurs raports avec la Nature & avec
l'homme lui-même, qu'on n'a pu découvrir l'origine du Langage,
celle de ses mots, & le raport des Langues ; que l'art étymologique
a été une science vaine & frivole, fastidieuse & sans principes ;
que l'étude des mots a toujours été livrée au hazard, toujours
rebutante, toujours pénible ; qu'on n'a jamais vu leur raport avec
les objets qu'ils étoient destinés à peindre ; & que jamais on n'a
pu faire de la parole, un art semblable à ceux où l'on procède
d'une manière assurée, en s'élevant aux conséquences les plus
lumineuses par les principes les plus simples. Cette Histoire manquoit
donc essentiellement à la Littérature, & c'est celle que
nous entreprenons.

Le sujet ne peut être plus beau. C'est la parole, cet Art par
lequel nos connoissances ne sont pas simplement bornées à celle
des corps dont l'Univers est rempli, mais par lequel l'ame d'un
homme se montre à découvert à celle d'un autre ; cet Art qui est
la base de la lumiere & de l'instruction ; l'ame de la société ; sans
lequel l'Univers ne seroit qu'un vaste désert, qu'un assemblage
d'Etres muets, isolés, incapables de perfection ; sans lequel il n'y
auroit point de correspondance d'une Famille à une autre Famille,
d'une Nation a une autre Nation, d'an siécle à un autre siécle :
xArt qui entra nécessairement dans le plan de la Providence, pour
faire l'apanage distinctif de l'homme, & pour rendre complet
l'œuvre de la Création. C'est par lui que les hommes se soutiennent,
se consolent & s'encouragent, qu'ils peignent ce que
l'Univers renferme de plus invisible, qu'ils s'élevent jusques à la
connoissance d'une premiere cause qui leur parle par ses Ouvrages,
comme ils se parlent eux-mêmes par les Tableaux du Langage.

Un Art aussi vaste dans ses effets, aussi lié avec notre existence,
aussi essentiel pour notre bonheur, auroit-il été livré au hazard ?
Auroit-il absolument dépendu de l'industrie humaine ? Celui
qui créa l'homme, & qui le créa avec les organes nécessaires pour
parler, auroit, si on ose le dire, manqué son but, s'il n'eût pas
établi entre l'homme & l'instrument vocal une correspondance si
intime & si prompte, qu'il se prêtât à l'instant aux besoins de ceux
auxquels il fut donné, s'il n'avoit pas rendu les hommes capables
de parler, même sans effort & sans peine, par un effet de leur
nature & des désirs qui en sont la fuite.

La parole est donc donnée par la Nature elle-même ; & c'est-là
qu'il faut puiser ses Elémens, ses principes, ses modifications,
les conséquences qu'on en a tirées, les régles auxquelles elle a
conduit, tous les dévelopemens qui en résultent.

La Nature, qui peut seule nous conduire dans la recherche de
tout ce qu'elle a produit, peut seule nous expliquer les merveilles
de la parole, & nous les rendre plus précieuses en nous faisant voir
qu'elles ne furent pas abandonnées à notre propre foiblesse, qu'elles
viennent de la même source que toutes les autres merveilles qui
nous environnent & qu'offre le corps humain lui-même, ce corps
dont la parole est une des plus belles prérogatives, & dont la
réunion avec l'intelligence humaine, seroit suffisamment justifiée,
xiquand elle n'auroit servi qu'à créer & à perfectionner l'Art de la
parole qui ne peut exister sans organes.

On ne sauroit donc commencer l'instruction par un objet plus
important : puisque la parole est la base de toute instruction, le
dévelopement en devient précieux à ceux qui profitent de ses
avantages. On se plaît à voir comment elle put naître, à contempler
les merveilles qui en résultent, à sentir combien la Divinité
enrichit l'homme en le douant de cet art. On en est plus rempli
du desir de le faire servir au bonheur de ses semblables.

L'Histoire naturelle de la parole se divise en deux parties
générales. Elle présente d'abord les Elémens par lesquels la parole
existe ; elle fait voir ensuite le méchanisme qui réunit ces Elémens
entr'eux pour en former des Tableaux qui peignent les
idées.

C'est ce qui constitue les deux premiers objets de nos recherches,
sous le nom particulier de Principes sur l'origine du Langage &
de l'Ecriture
 ; & de Grammaire Universelle & comparative : Principes
où l'on considère tout ce qui a raport aux Elémens de la parole, à
leur origine, à leurs diverses espèces, à leurs modifications, aux
valeurs qui leur sont propres, aux mots qui en résulterent, à la
manière dont on les peignit, & dans lesquels rien ne put être
arbitraire : Grammaire où l'on examine les diverses combinaisons
qu'éprouvent ces Elémens pour former des Tableaux, au moyen
desquels l'homme puisse représenter ses idées.

Le dévelopement de ces diverses parties exigeant pour chacune
un Volume séparé, nous nous proposions de faire précéder celui
qui regarde les Elémens du Langage ; lorsque, pour satisfaire
l'empressement de nos Souscripteurs qui ont désiré de préférence
la Grammaire, nous avons été obligés de commencer par celle-ci ;
xiimais afin que nos Lecteurs puissent également apercevoir ses raports
avec les Elémens même du Langage, nous allons tracer une
esquisse de ces Elémens, de leur origine, & de leur liaison avec
nos Principes Grammaticaux.

L'origine de la parole est un problême sur lequel nombre de
Savans se sont exercés avec plus ou moins de succès ; mais qu'on
n'a pu résoudre jusques à présent, parce qu'on n'avoit pu réunir
un nombre suffisant d'observations, ensorte qu'on se perdoit dans
le vague des hypothèses, comme il arrive toutes les fois qu'on veut
supléer aux faits par la force du génie ou par celle de l'imagination.

Les uns suposent que la parole ou le Langage est un pur effet
de l'invention humaine ; ils croyent que pendant long-tems les
hommes furent réduits à de simples cris ; que d'heureux hazards
leur firent apercevoir qu'ils pouvoient exprimer par ce moyen
non-seulement leurs sensations, mais leurs idées, peindre les
objets eux-mêmes par des sons quelconques ; & que ces faibles
commencemens donnerent lieu aux Langues, par une marche
aussi lente que pénible.

D'autres, ne pouvant concevoir que l'homme ait pu inventer
un Art pour lequel il n'auroit eu aucune disposition naturelle, &
désespérant de découvrir des raisons physiques du Langage, se
sont réfugiés dans la Toute-Puissance de Dieu ; ils suposent qu'il
donna aux hommes les mots même dont ils se servent ;& qu'étant
purement passifs à cet égard, ils tinrent immédiatement de la
Divinité jusqu'à la Grammaire.

Ces systêmes, exactement oposés l'un à l'autre, nous paroissent
faux étant pris dans le sens le plus absolu ; quoiqu'ils renferment
du vrai, en les prenant dans le sens le plus restraint.

Le Langage vient de Dieu, en ce qu'il forma l'homme avec
tous les organes nécessaires pour parler, qu'il le rendit capable
xiiid'idées & de sentimens, qu'il lui fit un besoin de les exprimer,
qu'il l'environna de modèles propres à le diriger dans cette expression.

Mais il est en même tems l'effet de l'industrie humaine, en
ce que l'homme sut déveloper ces organes, imiter ces modèles,
suivre les combinaisons donc ils étoient susceptibles, & sur un
petit nombre de mots radicaux donnés par la Nature, élever cette
masse immense de mots qui nous étonnent, & que la vie la plus
longue ne peut épuiser, lorsqu'on ne fait pas les ramener à leurs
premiers principes.

Il n'est cependant pas l'effet de la convention, puisqu'il est
celui de l'imitation donnée par la Nature & par les besoins qu'elle
nous faisoit sentir ; & qu'il seroit impossible à des êtres qui ne
parlent pas, & qui n'ont aucune idée de cet Art, de convenir
d'un Langage intelligible, & de former des mots quelconques.

Il n'est pas non plus l'effet d'une imitation lente & qui procédoit
au hazard & à tâtons, puisque dès les premiers instans l'homme
eut besoin de parler, qu'il avoit déja les organes & les modèles
du Langage, & que la Nature s'avance toujours à ses fins d'une
maniere ferme, rapide & sure. Le sentiment lui faisoit trouver
le cri ou le son nécessaire pour l'exprimer ; l'idée lui faisoit trouver
le ton nécessaire pour la rendre sensible.

La perfection du Langage & la multiplication des mots pour
exprimer les idées factices, dépendirent seules de l'industrie humaine,
& d'une convention tacite ; mais il y avoit une distance
prodigieuse d'ici à la naissance du Langage, déja formé par la
nature de l'homme & déterminé par ses besoins.

Lorsque nous disons que le Langage naquit par imitation, nous
ne prenons pas ce mot dans le sens le plus resserré, comme si l'on
xivs'étoit borné à imiter les sons & les cris donnés par des objets
naturels, le souffle des vents, l'éclat du tonnerre, le mugissement
des vagues, les cris des animaux, ceux de l'homme lui-même,
d'où résultent tous ces mots renfermés sous le nom générique
d'Onomatopées. Nous étendons encore ce nom à une imitation,
d'analogie exécutée au moyen du raport que l'on apercevoit
entre les qualités d'un objet & celles des organes de la voix :
car il étoit impossible de désigner tous les Etres par l'Onomatopée ;
dès-lors, on les désigna par les tons qui avoient le plus d'analogie
à l'idée qu'on s'en formoit : les objets agréables furent peints
par des tons agréables ; les objets fâcheux, par des tons aigres
ou rudes ; les objets mobiles & roulans, par des tons du même
genre ; les fixes & les lents à se mouvoir, par des tons graves
& décidés & dans toutes ces occasions, ces tons devinrent toujours
le nom de ces objets & les sources de Familles immenses,
où se réunissoient tous les êtres dans lesquels on apercevoit des
qualités communes.

Tels furent l'origine & le dévelopement du Langage donné a
l'homme par le Créateur, mais assujetti à la nature de l'Etre pour
qui il fut fait, & à celle des objets qu'il avoit à peindre ; & par sa
beauté, par son méchanisme, par ses effets aussi vastes que diversifiés,
par les douceurs qu'il répand sur la vie de l'homme, digne
de l'Etre infini qui lui en donna tous les Elémens, qui le forma être
parlant, qui revêtit ses organes de la plus grande flexibilité, & qui
mit en lui un penchant à parler, aussi naturel, aussi irrésistible que
toutes ses autres facultés. On parle en effet avec d'autant plus de
facilité & le silence devient d'autant plus à charge, qu'on vit davantage
en société, qu'on a des occasions plus fréquentes de parler,
qu'on a des organes plus flexibles, plus délicats, plus aisés à
émouvoir, qu'on est moins distrait par des occupations sérieuses.xv

De-là, les effets différens avec lesquels la parole se manifeste
dans les divers individus de la société ; le plus ou moins d'agrément
avec lequel elle est maniée, suivant à cet égard le génie,
les occupations & le caractère des Peuples, des âges, des sexes,
des conditions. Les Peuples qui sont bornés à la simple vie animale,
sont réduits à un Dictionnaire fort restreint & n'ont aucune idée
des avantages dont la parole est pour la société : ceux qui ont tous
les arts & toutes les sciences, perfectionnent sans cesse l'Art de la
parole : ceux qui mènent une vie sedentaire & retirée, parlent peu :
ceux qui sont obligés de répondre à une multitude de personnes,
parlent beaucoup plus ; & cet art aquiert pour le bonheur du genre
humain, une étendue & une grâce infinie dans les personnes du
sexe, destinées à former l'esprit & le cœur des jeunes gens qui
leur doivent le jour & dont dépendent les premieres impressions,
ces impressions qui décident du reste de leur vie.

Sexe aimable, sur qui nous nous réglons, & qui avez un si
grand pouvoir sur tout ce qui vous environne, de quelles ressources
ne seriez-vous pas pour vos familles & pour l'humanité
entiere, si, en nous parlant dès notre enfance, vous pouviez, avec
ces mots qui acquierent tant de grace sur vos lèvres & qui sont
si flatteurs à nos oreilles, nous inspirer en même tems le goût
des connoissances les plus utiles, nous en donner les premiers
principes, former notre cœur & notre esprit ; si vos discours
etoient pour nous une source abondante de connoissances & de
vertus, d'autant plus agréable, que nous la devrions à tout ce
que nous avons de plus cher ! Heureux, si par mes Essais sur le
Langage, je puis vous rendre agréable à vous-même le germe
des scences, & vous mettre à portée de faire de vos nourrissons,
des hommes qui soient un jour l'honneur de la Nation,
l'apui de leurs familles, la consolation & la gloire de votre vie !xvi

L'organe de la parole, semblable en cela aux autres organes
de notre corps, est tel qu'il se prête à l'instant à nos désirs. Comme
nos bras, nos pieds, notre tête, s'ébranlent, s'agitent, se remuent
à notre simple volonté, ainsi l'instrument de la parole fait
entendre des sons des que nous désirons qu'il en rende : notre
désir met le sang en mouvement, le sang pèse sur les poumons,
& chasse l'air qu'ils contiennent, cet air est comprimé par
les divers muselés du gosier ou du larynx, d'où il raisonne dans
la cavité de la bouche, comme l'air dans le corps d'un instrument :
mais il y raisonne d'une maniere différente, selon les diverses
compressions qu'il a reçues du larynx, & le plus ou le moins d'ouverture
de la bouche, toujours correspondante à la maniere dont
le larynx a comprimé l'air ; ou selon les parties même de la bouche
qui ont été ébranlées pour le même effet : car toutes ces choses
contribuent à modifier la voix.

Il est même à présumer, d'après les expériences d'un habile
Physicien (1), que les muscles du larynx sont tels qu'ils ne sont
pas tous mis en jeu à la fois lorsqu'on parle, qu'ils different les
uns des autres relativement à leur force ; & que, suivant qu'on
veut produire des sons plus ou moins graves, on ébranle des
muscles qui exigent pour se mouvoir plus ou moins de force, une
contraction plus ou moins sensible.

La voix modifiée par le larynx & par le plus ou le moins
d'ouverture de la bouche, produit les sons, qu'on peint par les
caractères apellés Voyelles : cette même voix modifiée par le
larynx & par la pression des diverses parties qui constituent la
caisse de l'instrument vocal, produit les tons, qu'on peint par
les caractères apellés Consonnes.xvii

Ainsi l'instrument vocal, réunit en lui les avantages des instrumens
à vent & des instrumens à touche. Comme instrument à
vent, on en tire des sons. Comme instrument à touche, on en
tire des tons.

L'homme ne peut augmenter ni le nombre des sons, ni le
nombre des tons. Donnés par la Nature, formant l'étendue de
l'instrument vocal, résultant de son organisation, ils sont indépendans
de l'homme ; ce n'est point lui qui a inventé ces choses
merveilleuses : ce n'est point lui qui les rendit propres à peindre
ses idées. Tout ce qu'il peut faire, c'est de combiner ces Elémens
entr'eux, & par cette combinaison donner à l'art de la
parole toute l'étendue possible.

Les sons & les tons ne different pas seulement quant à leur
origine ; ils different encore par la durée dont ils sont susceptibles.
Les sons étant produits par l'émission de l'air, se soutiennent
autant que cette émission a lieu. Les tons étant produits par un
raprochement instantané de quelques parties de l'instrument vocal,
n'ont que la durée d'un instant : on peut à la vérité en renouveller
le jeu aussi-tôt ; mais il en résulte une répétition, & non
une continuité du même ton.

Les uns & les autres different d'une maniere encore plus sensible
par les objets qu'ils sont propres à peindre ; & c'est pour
n'avoir pas aperçu cette différence, qu'on n'a pas jusqu'ici rendu
raison d'une maniere satisfaisante de l'origine de la parole. Les
sons peignent nos sensations ; & cette vérité, tout le monde l'a
aperçue : mais les tons peignent nos idées, & c'est ce qu'on ignoroit ;
ensorte que pour n'avoir pas senti que nous trouvions dans
l'instrument vocal lui-même, les Elémens de la peinture des idées,
comme nous y trouvons ceux de la peinture des sensations, on ne
pouvoit apercevoir nettement l'origine de cette peinture des idées.xviii

On reconnoit à ces procédés l'ordre naturel qui régle toutes
choses : car il eût été inutile de former l'homme avec des idées &
avec le désir de les communiquer, si on ne lui eût donné le moyen
propre à les exprimer. Ce moyen devoit en même tems différer
de celui par lequel nous exprimons nos sensations, puisqu'il régne
une différence presqu'infinie entre ces idées & ces sensations ; les
unes devant plus aux sens, les autres à la réflexion ; & les unes
étant aussi vives, que les autres sont froides & tranquilles.

Aussi verrons-nous constamment que tout ce qui est relatif
aux sensations, a toujours été exprimé par des voyelles ;& que
tout ce qui a eu un raport plus étroit avec les idées, a toujours
été exprimé par des consonnes, chez quelque Peuple que ce soit.
C'est cette conformité de nos principes avec l'ordre naturel,
c'est l'attention que nous avons de raprocher sans cesse de la
nature nos observations & nos recherches sur les Langues, qui
rend notre marche aussi sure que facile, & qui nous fait espérer que
nos Lecteurs nous suivront avec intérêt, même dans les portions
de notre travail qui paroissent à la première vue les plus séches
& les plus propres à rebuter.

Outre les sons simples, tels que a, e, i, &c. ; & les tons simples,
tels que b, c, d, &c., il n'est aucune Nation qui n'ait
eu recours à dessons & à des tons composés ; tels que les diphtongues
par raport aux sons, comme au, oi, ei, &c. tels que les consonnes
aspirées
, comme bh, ch, ph, & les consonnes sifflantes,
telles que x, z, th chez plusieurs Peuples, &c.

On voie à cet égard dans l'Histoire naturelle de la parole,
que les sons & les tons simples ne varient jamais, & qu'ils ont une
prononciation constante ; tandis que les Elémens composés varient
au gré des Nations. & s'alterent sans cesse.

On examine ensuite la propriété de chacun de ces Elémens,
xixon montre quels objets ils sont capables de peindre par leur nature.
On voit les sens se distribuer entr'eux tous les sons ; le son e
peindre l'existence ; le son a, la propriété ; le son ou, l'ouie, &c.
tandis que le ton b peignit les idées de bonté, de beauté, de bien,
tout ce qui étoit agréable & doux ; que le ton r peignit toutes
les idées de rudesse, de roideur, de roulement ; le ton f, l'idée
de fuite, de ce qui passe & n'est plus, de tout ce qu'on doit
fuir.

Chaque ton, après avoir désigné une classe générale d'idées,
devint propre à exprimer toutes les espèces différentes renfermées
dans cette classe, par les divers sons avec lesquels il s'associa ;
ensorte que ba, be, bo, furent, par exemple, autant de mots
subordonnés au tronc général B.

Ce même ton, en se modifiant par une prononciation plus ou
moins forte, devenoit également propre à exprimer des idées
subordonnées aux idées générales qu'il représente.

Ainsi se forme la distribution la plus naturelle, la plus simple,
la plus énergique, la plus étendue de tous les mots qui composent
une Langue ; distribution inconnue, ce semble, jusqu'ici,
d'où naissent cependant toutes les richesses de l'étymologie, du
raport & de l'origine des Langues ; & au moyen de laquelle on
voit se former sans peine, & d'une manière toujours conforme à la
raison & à l'expérience, cette masse de mots radicaux, qui est
devenue la base de toutes les Langues.

Ces mots présentoient d'abord les objets physiques ; mais on
avoit également des objets moraux & spirituels à peindre : il fallut
donc encore des mots pour ceux-ci : mais comme l'étendue de
l'instrument étoit épuisé, on y remédia en assignant à chaque
mot qui peignoit un objet physique, un sens figuré analogue aux
xxqualités de cet objet & un sens négatif directement oposé au sens
physique. De cette maniere, l'ensemble des mots radicaux d'une
Langue, offre toujours trois sériés différentes, une Langue physique
& positive, une Langue figurée, une Langue négative, ce
qui répand une uniformité constante entre chaque famille ; &
jette une vive lumière sur les causes des divers sens d'un même
mot, qui toujours présentés sans aucune liaison entr'eux, n'offroient
qu'un cahos dont on ne pouvoit rendre raison.

On montre ensuite les moyens par lesquels l'homme parvint
à fixer sur des objets durables & à peindre aux yeux les Tableaux
de la parole ; comment l'Ecriture ainsi formée, fut distinguée
en alphabétique & en hiéroglyphique, moins par une différence
réelle, que relativement à leur étendue : on voit en effet que
l'alphabet est lui-même un hiéroglyphe, & qu'il peint l'homme
considéré en lui-même & dans les raports de ses diverses parties
avec les sens & les idées : l'ouie ayant été représentée par l'oreille,
la vue par l'œil, l'attouchement par la main, la parole
par les lèvres entr'ouvertes, la protection par les bras, &c. Ensorte
que les idées se peignent aux yeux de la même maniere qu'elles
se peignent à l'ouie.

Par cette invention admirable, la parole se communique aux
Peuples les plus éloignés & aux Générations les plus reculées,
les influences de la société s'étendent aussi loin qu'il est possible,
les leçons des sages acquierent une durée qui n'aura d'autre fin
que celle de l'Univers ; l'esprit des hommes survit à eux-mêmes,
ils continuent d'éclairer & de gouverner les Nations, lors même
qu'ils ne sont plus.

Ces effets s'opérerent aussi par des moyens que la Nature fournit
elle-même ; & qui furent pour les Peuples ce que la mémoire
est pour les individus. Et cette parole écrite suivit les mêmes régles
xxique la parole parlée ; & elle put se prononcer, lorsqu'on donna à
chacun de ses Elémens le nom même de la chose qu'elle peignoit ;
tandis que chez ceux qui ne connurent pas cette pratique, la
Langue parlée & la Langue écrite n'eurent pas la même correspondance ;
l'une ne fut que pour les oreilles, & l'autre que pour
les yeux ; notre Langue écrite sert, au contraire, tout à la fois
pour les yeux & pour les oreilles ; effet du génie de ceux qui
surent saisir cette voie que leur offroit la Nature pour le bonheur
des sociétés. Dès-lors, en effet, ce qui les intéresse essentiellement,
n'étoit plus confié à une tradition infidelle : les fondemens
de leur prospérité se transmettoient invariablement
d'âge en âge, & le passé étant toujouts présent à chaque Génération,
on profitoit à chaque instant de l'expérience de tous
les siécles.

C'est ainsi que dans cet Ouvrage nous profiterons de ceux
qui furent composés il y a trois, quatre, & cinq mille ans, qui
ont survécu aux Peuples pour lesquels ils furent faits, qui nous
font voir l'esprit donc ils étoient animés, & jusques à quel point
ils avoient porté leurs connoissances.

A ces divers Langages se joint encore celui du geste ; donné
également par la Nature, il leur prête une énergie dont ils seroient
privés sans ce secours : il contribue sur-tout à perfectionner
le Langage d'analogie, qui ayant un raport moins direct
avec la Nature, & ne l'imitant que par réflexion, a besoin d'un
secours très-actif pour ne donner lieu à aucune méprise : tandis
que la Langue d'imitation s'explique si naturellement par le
geste, qu'on peut dire qu'elle est elle-même une espèce de
geste.

L'on peut aussi former du geste un Langage assujetti aux
mêmes principes, à la même marche, aux mêmes régles que
xxiile Langage ordinaire, puisqu'il peut peindre les mêmes objets,
les mêmes idées, les mêmes sentimens, les mêmes passions.
Il peut également exister un Langage de physionomie, plus actif
& aussi intelligible que celui de la parole.

Cette variété de Langages, tous assujettis à des principes fixes
& parfaitement analogues, parce qu'ils sont tous donnés par la
Nature pour peindre le même objet, prouve d'une maniere victorieuse
que le Langage n'a pu être l'effet du hazard ; que la Nature
nous y conduit par les moyens les plus directs & les plus efficaces ;
que plus on observera la marche qu'elle nous trace à cet égard,
plus il sera aisé d'en découvrir & d'en expliquer tous les procédés.
Rien encore ne prouve mieux que l'homme fut fait pour la
parole, que cette diversité de moyens que la Nature lui donne
pour faire connoître ses idées & pour tirer par-là le plus grand
parti de l'avantage qu'il a de vivre en société.

En prenant ainsi la Nature pour guide, & la substituant à ce
qui nous manque en fait de monumens sur l'Histoire naturelle de
la parole, on parvient à former un systême complet sur l'origine
du Langage & de l'Ecriture, & sur les raports que l'un & l'autre
conservent chez tous les Peuples ; systême qui s'apuyant sur tous
les Monumens échapés aux ravages du tems, & procédant toujours
par des principes très-clairs, nous met enfin en état de jetter un
nouveau jour sur les grandes questions que présente cette matiere,
& qui ont été dans tous les tems l'objet des recherches des
hommes les plus éclairés, & sur lesquelles les Académies même,
commencent à jetter les yeux. On a vu en effet paroître depuis
quelques années & comme par un concours général, nombre de
bons Ouvrages sur ces objets ; en France, ceux de M. le Président
de Brosses, de M. l'Abbé Bergier, de M.l'Abbé de Condillac,
les Annonces de M. le Brigand, &c. En Allemagne, ceux
xxiiide M. Fulda, de M. Buttner, de M. Schlozer Professeur de
Gottingue, &c. En Angleterre, ceux du D. Sharp, de M.
Parsons, de M. Cleland, de M. Rowland Jones, de
M. Nelmes, du Lord Burnet, de M. le Major Vallancey,
&c. L'Académie de Berlin a même propose deux prix consécutifs ;
l'un, sur l'influence réciproque du Langage & des mœurs ;
l'autre, sur l'origine même du Langage.

Des principes clairs & incontestables sur ces objets deviennent
donc de la plus grande utilité : ils mettront en état de juger les
diverses hypothèses formées à ce sujet, de voir jusques à quel
génie de l'homme a pu deviner la vérité, & comment, par les
choses qu'il voyoit, il a pû juger de celles même qu'il ne
voyoit pas.

Mais les mots, considérés comme Elémens du Langage, ne
peignent que des objets isolés : il faut, de plus, les réunir pour
peindre ses pensées, pour rendre sensibles les idées qu'on se forme
des objets, les qualités qu'on y remarque, les raports qui les lient
entr'eux, ceux qu'ils ont avec nous. Et de-là naît la Grammaire
Universelle
, source de toutes les Grammaires particulieres.

Cette Grammaire nous aprend par quel moyen on lie les mots
entr'eux pour en former des Tableaux qui représentent aux autres
hommes les Tableaux que notre esprit se forme de tout ce qui est
en nous & hors de nous. Elle est par conséquent pour tous les
hommes un objet de premiere nécessité, parce que tous sont
apellés à étudier de pareils Tableaux, à en composer, à les transposer
d'une Langue dans une autre ; & parce qu'à mesure qu'ils
en connoîtront mieux le méchanisme, ils auront moins de peine
à les entendre & à les composer.

Il n'est donc pas étonnant que l'on ait fait les plus grands
xxivefforts pour parvenir à la connoissance la plus parfaite de ce méchanisme,
& pour la présenter de la manière la plus lumineuse :
aussi depuis un siécle, les Ouvrages sur cet objet ont paru coup
sur coup. Tels sont ceux de Port-Royal, du P. Lamy, de
Régnier Desmarais, de l'Abbé Dangeau, du P. Buffier, de
la Touche, de Restaut dont il s'est fait au moins dix Editions,
de M. de Wailly, qui en a déja eu six, de M. d'Açarq, de
M. le Blan, de M. Duclos, de M. l'Abbé d'Olivet, de
M. l'Abbé Fromant, de M. l'Abbé Girard, de M. du
Marsais, de M. Beauzée, &c. toutes en France, & presque
toutes intitulées Grammaire Générale & raisonnée. La Bibliothèque
Grammaticale de M. Changeux ; les Dissertations sur la Syntaxe
par M. Goulier, à la suite de sa Grammaire Latine ; Ouvrages
qui paroissent depuis peu : l'Hermès ou la Grammaire Générale
de M. Harris, Gentilhomme Anglois, dont il se fait une seconde
Edition, celles de M. Bayly, &c.

Le concours de tant de Savans démontre tout à la fois l'importance
& la difficulté d'une Grammaire Générale, dont les
Principes soient à la portée de tout le monde : cependant l'objet
de nos recherches nous rendoit la connoissance de ces Principes
de la plus grande nécessité ; il est impossible en effet de saisir la
nature & le génie des Langues sans le secours de la Grammaire ; &
plus on embrasse de Langues, plus on doit avoir des idées justes &
claires de tout ce qui concerne les régles du Langage. Comme les
Grammaires qui ont paru jusques ici ne nous fournissaient pas
les Principes dont nous avions besoin pour lier l'ensemble de nos
recherches, que plusieurs même de leurs Principes se trouvoient en
contradiction entr'eux & avec les découvertes que nous avions
faites, nous avons été obligés de faire nous-mêmes une Grammaire
xxvUniverselle, mais en profitant le plus qu'il nous a été possible
des observations de ceux qui nous ont précédé.

Nous nous sommes sur-tout attachés de préférence a celle qui
a paru la derniere, à la Grammaire de M. Beauzée ; c'est celle
que nous citons le plus, & dont nous nous apuyons le plus, parce
qu'elle tient lieu de toutes les autres, son Auteur ayant réuni les
bonnes observations qui y sont dispersées ; parce qu'il y a mis plus
d'ensemble ; qu'il s'est ouvert des routes nouvelles, intéressantes ;
& que notre estime & notre considération pour cet Académicien,
sont telles, que nous ne pouvions négliger son Ouvrage & nous
dispenser de justifier notre sentiment toutes les fois, qu'il pouvoit
le trouver contraire aux siens.

Nous faisons voir comment les hommes prenant la Nature
pour guide, parvinrent à peindre leurs idées ; comment les noms,
dont ils se servent pour cette peinture, furent eux-mêmes donnés
par la Nature ; comment les autres espèces de mots qui entrent
dans le Discours ne sont que des modifications de ces
noms. Ou y voit les diverses divisions de tous ces mots, les formes
qu'ils prennent & les raisons de ces formes ; la maniere dont on
les rassemble & dont on les groupe, pour en faire un Tout lumineux
& pittoresque ; de quelle maniere les préceptes & les
formules des Grammaires particulieres, naissent de ces Principes
Généraux & s'expliquent constamment par eux : ainsi, de la nature
même de l'homme, & des idées qu'il veut communiquer
aux autres, dérivent toutes les régles qui le guident dans cette
peinture ; & elles s'y montrent sous des traits si sensibles que le
seul Historique en fait déja la démonstration.

A cette source de la Grammaire, l'imitation de la Nature,
nous en ajoutons une autre qui a déja été entrevue, mais dont
nous faisons un usage beaucoup plus étendu & que nous apliquons
xxviaux mots mêmes : c'est l'Ellipse, cette disposition qu'ont
toutes les Langues de faire entrer le moins de mots possibles dans
le discours, afin qu'il se raproche plus de la Nature, où la pensée
n'est qu'un point : de-là naissent non-seulement des phrases dans
lesquelles on sous-entend des mots, en nombre plus ou moins grand,
mais des mots qui réunissent en eux la valeur de plusieurs : artifice
qu'on n'avoit pas encore soupçonné, & dont l'ignorance suffisoit
pour répandre sur les Grammaires la plus grande obscurité,
parce qu'on rencontroit à chaque instant des mots qui se refusoient
à toute analyse, qui ne pouvoient être ramenés aux Principes
Généraux, & pour lesquels il falloit inventer des régles particulieres,
des exceptions, qui, loin d'augmenter la lumière, obscurcissoient
même ce qu'on connoissoit le mieux. Nous faisons voir,
par exemple, que la Partie du Discours, apellée Verbe, se réduit
au seul Verbe Etre ; que tous les autres Verbes ne sont que la réunion
de ce Verbe avec le Participe ; que ce qu'on a apellé si longtemps,
si mal-à-propos Pronom possessif, ne répond également à
aucune Partie du Discours en particulier ; mais s'est formé par la
réunion d'un Article, d'une Préposition & d'un Pronom personnel ;
qu'il n'est aucune Partie du Discours à laquelle on n'ait
attribué exclusivement de pareils mots, qui étoient en même
tems communs à plusieurs autres Parties du Discours. C'est à cette
méthode que nous devons la lumière que nous avons répandue
sur cette partie de notre ouvrage

Des cinq Livres dans lesquels est divisée notre Grammaire
Universelle, le premier a pour objet des Observations générales &
préliminaires : nous y donnons d'abord l'étymologie de ce mot ;
& d'après cette étymologie, nous en donnons une définition
nouvelle, & qui, n'étant point métaphysique, mais d'action ou
historique, sert à déveloper sans effort tout ce qui constitue la
xxviiGrammaire : nous faisons voir ensuite qu'elle existe nécessairement,
étant déterminée par les objets même qu'elle doit peindre :
on examine ces objets eux-mêmes ; on voit comment la
Grammaire nous aprend à les peindre, les qualités qu'elle doit
avoir pour nous conduire à ce but, les avantages qui résultent de
ces observations, & ce qui distingue les Grammaires Particulieres
de la Grammaire Universelle.

Passant, dans le second Livre, à ce qui fait la matiere de la
Grammaire, ou aux mots par lesquels on peint les idées, nous
voyons que les Tableaux de nos idées par la parole, doivent
être composés de diverses parties, afin de rendre ces idées d'une
maniere plus distincte ; nous déterminons les caractères auxquels
on peut reconnoître une Partie du Discours, le nombre de ces
Parties, &. les trois espèces de Tableaux différens qui en font la
suite ; Tableaux énonciatifs, où le sujet du Tableau est accompagné
des qualités qui lui sont inhérentes ; Tableaux actifs, où ce
sujet est peint avec des qualités relatives à d'autres objets, auxquels
il en fait éprouver l'impression : Tableaux Passifs, où ce
même sujet est peint comme recevant, au contraire, les impressions
d'un autre objet.

La seconde Partie de ce Livre, est destinée au dévelopement
des dix Parties entre lesquelles nous avons distribué tous les mots
qui entrent dans le Discours pour toutes les Langues : comme
ceci forme la base de tout ce qui constitue la Grammaire, nous
sommes entrés à cet égard dans le plus grand détail, & il renferme
à peu près la moitié du Volume.

A la tête des Parties du Discours est le Nom : nous faisons voir
son utilité & ses diverses espèces ; son étymologie qui remonte à
la Langue primitive elle-même ; la maniere dont il réunit toutes
les parties qui composent les divers Tableaux de la parole ; comment
xxviiila Nature elle-même a conduit aux Noms Propres pour les
êtres qui sont seuls de leur espèce, & aux Noms Apellatifs pour
les êtres dont les individus sont plus multipliés ; comment cette
même Nature fit naître les Genres, & pourquoi des noms tels
que ceux du soleil & du tems sont masculins, tandis que d'autres,
tels que ceux de la terre, de vertu & de beauté, sont
féminins ; nous montrons les avantages qui résultent de cette distinction
des Genres ; que tous les mots sont nés des Noms : dans
quelles sources on a puisé les Noms, racines de toutes les Langues ;
ce que nous justifions par l'exemple de la famille Gur ou Gyr.
qui signifie Tour, Révolution, Cercle : nous finissons par quelques
détails sur les diminutifs, les augmentatifs & les mots figurés.

Après le Nom, nous traitons de l'Article fait pour l'annoncer
& l'individualiser : nous exposons les raisons qui nous
ont déterminés à en faire une partie absolument distincte, & à en
reconnoître trois dans notre Langue, un énonciatif, un indicatif
& un démonstratif : nous prouvons que les Latins ont connu
cette Partie du Discours ; nous faisons voir les heureux effets
qu'elle produit dans les Tableaux de nos idées : le rang qu'on doit
assigner aux autres mots qu'on regardoit comme des Articles, &
qui ne sont que des mots elliptiques ; & nous donnons l'étymologie
des Articles de la Langue Françoise.

Par raport aux Adjectifs, nous faisons voir en quoi ils différent
des Noms & des Articles ; quelle est leur origine, d'où
naissent leurs genres & leurs degrés de comparaison ; l'intérêt,
l'énergie qu'ils répandent dans les Tableaux de la parole.

La nécessité pour les hommes de se peindre comme Agens,
fait naître les Pronoms, & les divise en trois classes : subdivisées
elles-mêmes en Pronoms Actifs & en Pronoms Passifs, suivant
que nous agissons sur d'autres êtres, ou que ceux-ci agissent sur
xxixnous : & en Pronoms Réciproques & en Pronoms Terminatifs, suivant
que nous agissons sur nous-mêmes, ou que nos actions se raportent
à d'autres : nous donnons l'étymologie du mot Personne
lié intimement à la doctrine des Pronoms ; & l'histoire intéressante
de Tu & de Je : nous finissons par l'étymologie de nos
Pronoms, & par les mots elliptiques que mal-à-propos on regarda
comme Pronoms.

Le mot qui doit lier le nom avec son Adjectif, tout comme
l'Être indiqué par ce nom est uni avec la qualité désignée par cet
Adjectif, nous donne le Verbe & sa définition : nous faisons voir
comment il fut pris dans la Nature même ; pourquoi on l'apelle
Verbe ; la cause des méprises dans lesquelles on est tombé à son
sujet ; qu'il n'en peut exister qu'un seul, le Verbe est ; quelle fut
son origine ; comment il s'unit aux Personnes, & comment il se
diversifia pour peindre l'union du nom avec son Adjectif, comme
présente, passée ou future.

La sixiéme Partie du Discours est le Participe : il donne lieu
à des questions aussi épineuses qu'importantes : nous exposons les
raisons qui nous ont déterminés à le distinguer de l'Adjectif avec
lequel il a tant de raports, & du Verbe dans lequel on l'incorporoit :
nous donnons une nouvelle raison de son étymologie, différente
de celle qu'on alléguoit, & parfaitement conforme à sa
nature & à notre maniere de l'envisager : on voit ensuite l'agrément
qu'il répand dans les Tableaux de la parole ; comment on
avoit cependant négligé cette Partie du Discours ; quelle fut
son origine ; les diverses propriétés de notre Participe en ant,
& celles de notre Participe en é ; & comment nos Principes donnent
une solution aisée & satisfaisante de toutes les difficultés
auxquelles ils ont donné lieu jusques ici.

Passant de-là aux mots elliptiques qui tiennent lieu des Participes
xxx& du Verbe Est, nous dévelopons tout ce qui a raport
aux Verbes actifs, que mal-à-propos on avoit mis dans la classe
du Verbe, & qui ne servoient qu'à y jetter de la confusion ; nous
faisons voir l'avantage qui résulte pour la parole, d'avoir trouvé
le moyen de réunir en un seul mot le Verbe & le Participe,
& comment tous ces Verbes Actifs sont toujours nés du Nom.
Nous en donnons divers exemples, & entr'autres les Verbes
formés du mot primitif bel, vel, fel, fle, signifiant Flèche,
Trait, tout ce qui s'élance & qui va vite. Nous faisons voir comment
ces Verbes se sont chargés de divers Tems, & quels Tems
en sont nés : nous raportons les diverses distributions qu'ont
proposées de ces Tems l'Abbé Girard, M. Harris, & M.
Beauzée qui a laissé tous les autres fort en arrière, en portant le
nombre des tems jusqu'à vingt ; nous exposons ensuite nos idées
sur la ligne du tems ; nous faisons voir qu'on pourroit encore aller
au-delà du nombre des Tems indiqués par M. Beauzée, & nous
proposons quelques doutes sur quelques-uns de ces Tems ; nous,
avons beaucoup insisté fur cette portion à cause de son importance.

Il a fallu des mots pour désigner les raports d'un objet avec un
autre objet, & ceux d'un objet avec une qualité. De-là deux Parties
du Discours, dont on avoit peine à saisir les différences, fixées
maintenant d'une maniere inaltérable. Ce sont les Prépositions
& les Adverbes.

Quand aux Prépositions, nous dévelopons les effets qu'elles produisent
dans les Tableaux de la parole ; nous étendons ce nom à
des mots qu'on croyoit devoir exclure du nombre des prépositions,
parce qu'ils s'accompagnent d'une autre préposition, de la
préposition a ou de la préposition de, & nous en alléguons des
raisons auxquelles on ne pourra pas sans doute se refuser : nous
xxxidivisons ensuite les prépositions en deux grandes Classes, les Enonciatives
qui indiquent des raports d'existence, tels que ceux de situation,
de lieu, de tems, d'existence relative, & de dépendance.
Et les prépositions d'Action qui en indiquent l'origine,
les causes, l'objet, le moyen & le modèle.

Nous prouvons qu'il n'en est aucune qui n'ait un sens propre
& général, auquel on doit ramener toutes les significations diverses
qu'elles offrent, & qui persuaderoient qu'elles n'ont aucune
valeur fixe : nous faisons voir ensuite comment elles dépendent
chacune d'un Nom primitif, auquel elles doivent toute leur énergie ;
& nous finissons par le dévelopement des prépositions inséparables,
employées dans les Langues Françoise, Italienne &
Allemande.

L'Adverbe se trouve expliqué par notre méthode d'une maniere
très-claire : on voit qu'il s'est formé par ellipse, & on donne
à ce sujet l'étymologie d'un grand nombre, & sur-tout celle de la
terminaison ment, commune à plusieurs, & jusques ici absolument
inconnue ; mais empruntée d'un nom primitif existant dans toutes
nos Langues d'Europe, & parfaitement assorti au sens de
cette terminaison.

L'on avoit très-bien vu avant nous, que le nombre des Conjonctions
étoit beaucoup moins considérable qu'on ne pensoit ;
mais on croyoit l'avoir diminué autant qu'il étoit possible en
les réduisant de soixante à quatorze. D'après les mêmes principes,
nous faisons voir qu'elles se bornent à quatre, & que toutes
les autres, telles quesi, or, mais, &c. ne sont que des Phrases elliptiques :
nous le faisons voir par le fait ; & nous montrons en
même tems que le relatif qui, dont on ne pouvoit donner une
juste idée, n'est lui-même qu'une Conjonction elliptique.

Ce Livre est terminé par les Interjections, nous disons
xxxiien quoi elles différent des autres Parties du Discours, & nous indiquons
les principales.

On n'aura pas de peine à s'apercevoir, sans doute, par cette
Analyse, que nous avons envisagé ces objets sous un point de
vue qui nous est presque absolument particulier, qu'il en résulte
plus de facilité pour saisir tout cet ensemble, & pour s'en former
des idées plus justes, plus nettes, & plus liées.

Le Troisieme Livre expose les Formes que doivent revêtir
les mots qui composent ces diverses Parties, afin de pouvoir
se lier entr'eux ; quels sont ceux qui en sont susceptibles ; ou n'en
changent jamais ; & quelles sont les causes de ces différences.

De-là naissent pour certains mots, les Genres, les Nombres &
les Cas ou la Déclinaison ; & pour d'autres, les Tems, les Modes,
& les Formes ou la Conjugaison. Les Cas sont donnés par la Nature
elle-même ; il n'étoit pas possible qu'on désignât de la même maniere
le Pronom Actif & le Pronom Passif ; de ces deux mots,
l'un étant le sujet de la phrase, & l'autre étant l'objet, il en résulte
pour les Pronoms deux Cas existans dans toute Langue, &
même dans la Françoise où je & me sont parfaitement correspondans
à l'ego & au me des Latins & des Grecs ; mais tandis que
nous les restraignons aux Pronoms, ces derniers Peuples transportent
par analogie les Cas à tous les Noms. L'on voit en même
tems que les Pronoms qui ne renferment, quant à la forme, que
trois Cas dans notre Langue, en offrent, quant au fait, jusques à
dix forcement caractérisés. Observation qui répand plus de jour
sur les Pronoms & donne une grande facilité pour leur comparaison
d'une Langue à l'autre.

De-là, une discussion importante relativement à la préférence
qu'on doit accorder à la méthode Grammaticale, qui met en
ligne de compte les diverses valeurs d'un mot, sur celle qui ne
xxxiiifait attention qu'à ses formes, & celle-ci domine dans les Ouvrages
des anciens Grammairiens pour qui c'étoit déja beaucoup
que d'observer les différentes formes des mots ; mais il en
réfuta cette confusion d'idées qui n'a jamais permis de s'entendre
sur le nombre des Parties du Discours, sur le nombre des Cas,
& des Tems, &c. puisque les formes variant sans celle d'une
Langue à l'autre, il étoit impossible d'arriver par ce seul secours
aux Principes généraux de la Grammaire & des Langues. Aussi
nos derniers Grammairiens ont commencé de se tourner vers l'autre
méthode, comme vers une lumiere nouvelle ; mais n'ayant
pu entiérement secouer les préjugés de l'ancienne méthode, ils
sont quelquefois en suspens, là où il ne devroit plus y avoir de
doute ; & je ne serois pas surpris, qu'on me trouvât, moi-même
en faute à cet égard, & que trop de circonspection, m'eut empêché
de retirer de ce principe toute l'utilité, dont il est susceptible.

Comme les Verbes tirent toute leur force du seul Verbe Est,
on ne sera pas surpris de voir ici que les Infinitifs dans les Langues
Persane, Gothique, Teutonne, Grecque, &c. & dans toutes
celles qui en sont dérivées, soient terminés en en, Infinitif du
Verbe est ; & qu'il en seroit de même encore des Infinitifs Latins
dont la terminaison en er, ir, ar, étonne tous les Grammairiens,
si ce Peuple n'avoit pas changé le son nazal d'en dans le son plus
ouvert d'er, changement qui a eu lieu dans plusieurs autres occasions.
On parcourt aussi les formes des Verbes en usage chez divers
Peuples, & on rend compte de la controverse élevée au sujet de
la Forme moyenne des Grecs.

Le Quatriéme Livre traite de l'arrangement de tous ces
mots pour se réunir en un Tableau, afin de présenter un sens suivi.
Il est divisé en trois parties. La premiere indique les Régles à
xxxivobserver, afin que ces mots offrent un Tout unique ; & ces Régles
sont distribuées en deux classes, la premiere regarde les mots
qui marchent sur la même ligne ou en concordance, parce qu'ils
désignent le même objet ; la seconde se raporte aux mots qui
sont dans la dépendance des autres, parce qu'ils désignent des
objets différens : ce qui forme la Syntaxe.

La seconde Partie offre les Régles par lesquelles ces mots sont
placés de la maniere la plus propre à ne former qu'un Tout ;
ce qui constitue la Construction. Mais comme les Langues
se partagent ici, que les unes mettent à gauche ce que d'autres
placent à droite, on examine les Régles que doivent suivre à cet
égard la Langue Françoise & la Langue Latine, dont la marche
est directement oposée. Ce qui donne lieu de faire le précis de la
dispute élevée à ce sujet entre plusieurs Grammairiens célébres.
On indique ensuite les causes qui donnerent à la Langue Françoise
une marche différente de celle que suivirent les Latins.

A cet objet, succède l'Ellipse, cette construction abrégée
qui écarte du Tableau tous les mots qui n'y sont pas absolument
nécessaires ; & l'on finit par l'exposition de la Phrase ou de la
Proposition, qui n'est autre chose que le Tableau même d'une
idée, résultat de tous les dévelopemens de la Grammaire.

Enfin, pour rendre ces dévelopemens plus sensibles, on donne
dans la troisiéme partie l'Analyse Grammaticale de deux Fables,
l'une Françoise, l'autre Latine.

Ces quatre Livres, qui ont pour objet la Grammaire considérée
en elle-même, indépendamment de l'aplication qu'on en a
faite dans chaque Grammaire Nationale, & où l'on raporte néanmoins
les procédés d'un grand nombre de Peuples, à cause de
leur conformité avec ces Principes, sont suivis d'un cinquiéme
Livre, destiné, sous le nom de Grammaire Comparative,
xxxvà faire voir qu'il n'existe aucun procédé, dans quelque Langue
que ce soit, dont on ne puisse rendre raison par ces Principes
combinés avec l'esprit individuel de chaque Langue, & que toutes
les Langues ont le plus grand raport entr'elles.

Nous avons choisis, dans cette vue, les procédés les plus importans
des trois Langues qui contrastent le plus avec la Françoise ;
les Langues Chinoise, Latine & Grecque.

On voit par l'abrégé que nous donnons de la syntaxe Chinoise,
que cette Langue divisée en Langue parlée & en Langue
écrite, s'est le moins écartée des procédés de la Grammaire Universelle ;
ensorte que toutes ses opérations sont parfaitement analogues
aux Principes de la Grammaire Universelle, & en sont une
vérification continuelle.

A l'égard de la Latine, plus connue, nous nous bornons à
quelques-unes de ses Régles, à celles qui nous ont paru les plus
difficiles à saisir d'après les explications ordinaires, Nous avons été
encore plus courts sur la Langue Grecque, à cause de ses grands
raports avec la Latine.

Tous ces détails sont accompagnés d'un grand nombre d'exemples,
choisis dans les Ouvrages de plusieurs Poëtes François, Latins
& Italiens, comme étant écrits dans les Langues les plus généralement
connues & les plus agréables à la plupart de nos Lecteurs.
Ces exemples égayent la sécheresse de la discussion, ne sont
pas suspects comme ceux que forge un Auteur, & donnent lieu
quelquefois à des Observations utiles. L'on a, en même tems,
la satisfaction de voir que les grands Maîtres sont constamment
d'accord avec le principe général, lors même qu'ils semblent
s'en éloigner.

Telle est l'analyse du Volume que nous faisons paroître, &
qui est un préliminaire des objets que nous avons à présenter.
xxxviC'est peut-être la portion la plus difficile de nos recherches,
par sa profonde Métaphysique, par l'obscurité de ses Principes
cachés dans la nuit des tems, par l'agrément qu'il faudroit
y répandre, par la nécessité de se mettre à la portée de
tout le monde, sur-tout des Jeunes Gens pour lesquels l'étude
de la Grammaire est indispensable : nous n'avons du moins rien
négligé pour la leur rendre plus agréable, plus aisée ; & nous
profiterons avec autant d'empressement que de reconnoissance,
de toutes les Observations dont on voudra bien nous honorer,
& que nous continuons de demander avec instance à tous les
Savans, regardant notre Ouvrage plutôt comme celui du siècle,
que comme le nôtre propre.

Afin de répondre mieux à ces vues, & d'être utiles à un
plus grand nombre de personnes, nous procéderons incessamment
à un Abrégé de notre Grammaire, dégagé de toute controverse ;
& nous prions instamment ceux qui auroient quelques
remarques & quelques observations à nous proposer, de vouloir
bien nous les faire parvenir le plutôt qu'il leur sera possible, afin
que le Public en puisse profiter.

Quant à nos Principes sur l'origine du Langage & de l'Ecriture,
nous les publierons le plutôt qu'il nous sera possible ; la plus
grande partie des gravures pour ce Volume est déja prête ; déja
nous avons reçu d'Angleterre, pour cet Ouvrage, des caractères
Arabes, Coptes, Ethiopiens, Anglo-Saxons &
Gothiques, fondus par les Sieurs Caslon Pere & Fils,
avec ce zèle & cette habileté qui distinguent les grands Artistes..

Tandis que le nombre de nos souscripteurs se multiplie, au
point que nous sommes en état d'en ajouter ici, par suplément,
une seconde liste presqu'aussi nombreuse que la premiere, quoiqu'il
xxxviiy ait encore un grand nombre de lieux où notre Ouvrage
ne soit pas parvenu, le nombre des Savans qui nous honorent de
leurs lumieres, & du secours de leurs Bibliothèques, se multiplie
également, soit en France, soit dans les Pays Etrangers.

M. Bryant, Secrétaire du Duc de Marlborough dans sa qualité
de Général des Armées de la Grande-Bretagne, &c. nous a envoyé
les deux premiers Volumes de ses Recherches sur l'Histoire & la
Mythologie ancienne, Ouvrage rempli d'une grande érudition,
de choses neuves bien vûes, & que nous nous empressons de faire
connoître à nos Lecteurs.

M. Rowland Jones nous a également envoyé les siens
sur l'origine des Langues ; nous en parlerons également dans la
suite.

M. le Major Vallancey, Secrétaire de la Société des Antiquaires
d'Irlande, nous a fait aussi parvenir ses Ouvrages sur l'origine
de la Langue Irlandoise & sur la Grammaire de cette Langue ;
ceux-ci ne sont pas moins dignes d'attention, sur-tout par
les raports qu'ils offrent entre la Langue Irlandoise & les Langues
Hébraïque, Punique, Osque, Celte, & Algonquine.

On nous a fait passer également les Ouvrages de M. Parson
sur l'origine de la Langue Celtique, & de M. Nelme sur l'origine
de l'Ecriture & de l'Alphabet.

Tous ces Ouvrages qui ont paru peu depuis, démontrent combien
on s'occupe en Angleterre des objets dont nous nous occupons
nous mêmes, & ne peuvent que jetter de grandes lumieres
sur ces importantes questions.

M. le Baron de Collenbach fils, ne cesse de nous envoyer
de Vienne en Autriche, avec une complaisance sans égale, & malgré
ses occupations importantes, non-seulement des Ouvrages entiers,
mais aussi des Extraits très-étendus, & souvent des Traductions
xxxviiide plusieurs Traités relatifs à nos recherches, entr'autres
les Dissertations de MM. Schlozer, Gatterer, Professeurs
à Gottingen, sur l'origine des Peuples, & sur celle des Langues ;
& l'Ouvrage non-moins intéressant de M. Fulda, Pasteur dans
le Duché de Wirtemberg, sur les Dialectes de la Langue Allemande.

M. Seguier, de l'Académie des Inscriptions & Belles-Lettres
de Paris, & Secrétaire de l'Académie Royale de Nîmes, nous a
aussi fait passer des Observations très-précieuses sur des objets relatifs
à l'Antiquité.

M. Chaillou de Lizy, Avocat & Bibliothécaire de M. le
Comte d'Hautefort, & plusieurs autres Personnes de Lettres
nous ont communiqué des Ouvrages Italiens, Espagnols, Allemands,
&c. peu connus, remplis de vues & de monumens relatifs
à nos Travaux.

L'intérêt que tant de personnes distinguées prennent à nos
Recherches, la maniere dont elles concourent à les rendre plus
complettes, & l'indulgence du Public à notre égard, seront de
puissans motifs pour redoubler nos efforts, afin d'aprocher le plus
qu'il nous sera possible de ce qu'on attend de nous.

Nous n'avons pas été traités, il est vrai, aussi favorablement par
l'Auteur anonyme des deux Extraits de notre Ouvrage qu'on a
insérés dans le Journal des Savans à la fin de l'année derniere ;
loin d'encourager notre entreprise, il l'a présentée comme une
témérité impardonnable, & qui ne pouvoit avoir que le plus mauvais
succès. Nous avons lu cette Critique avec soin, dans la vue
de profiter des observations utiles qu'elle pourroit contenir ; nous
n'y avons trouvé malheureusement que des objections vagues,
des jugemens sans objet, des défis de prouver la justesse de quelques-unes
xxxixde nos étymologies, desquelles on ne pouroit d'ailleurs
rien conclure contre la vérité de nos principes, lors même qu'elles
se trouveroient aussi hazardées qn'il le prétend.

Notre premier dessein fut donc de laisser cette critique sans
réponse, dans la crainte de nous détourner de notre travail en
pure perte, d'autant plus que nous avions remarqué que l'Auteur
des Extraits avoit moins pour objet d'éclairer le Public que de le
prévenir contre notre Ouvrage : qu'il y avoit même fait paroître
une humeur qui a indisposé les personnes les plus indifférentes ;
ensorte que nous pourrions dire ici avec M. d'Alembert : « Si la
satyre et l'injure n'étoient pas aujourd'hui le ton favori de la critique,
elle seroit plus honorable à ceux qui l'exercent, & plus
utile à ceux qui en font l'objet. On ne craindroit point de s'avilir
en y répondant ; on ne songeroit qu'à s'éclairer avec candeur,
& une estime réciproque ; la vérité seroit connue, & personne
ne seroit offensé : car, c'est moins la vérité qui blesse, que
la maniere de la dire. »

Mais la plûpart de nos Souscripteurs ayant désiré que, par
égard pour le Journal des Savans dans lequel cette critique étoit
insérée, nous justifiassions nos Principes contre les attaques qu'on
a voulu y donner, ce motif l'a emporté sur toute autre vue ;
nous allons donc publier incessamment la défense de nos Principes ;
& afin de rendre du moins utile la nécessité qu'on nous fait
de nous justifier, nous en prendrons occasion de développer en
même tems quelques-unes des idées que les bornes de notre Plan
général & raisonné nous avoient obligé de resserrer, &. nous les
apuyerons d'un si grand nombre d'autorités qu'on pourra juger si
le Critique a raison, en cherchant à persuader que nous sommes
seuls de notre sentiment, & que ce que nous avançons ne mérite
aucune considération.xl

(1) M. Ferrein, Mém. de l'Acad. des Sc. ann. 1741.