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Court de Gébelin, Antoine. Monde primitif. Grammaire universelle et comparative – T03

[Grammaire universelle – Supléments]

Suplément
Pour les pages 84 & suivantes.

Un Ouvrage que M. Genet a eu la complaisance de faire
venir de Rome, tandis que l'impression de ce Volume étoit déja
avancée, nous a mis à même de vérifier que la Langue du Tibet,
sur laquelle nous n'avions eu encore aucun secours, se prêteroit
à nos Comparaisons de Langue avec autant de facilité, que toutes
celles dont nous donnâmes la liste dans notre Plan Général. C'est
un Ouvrage du P. Georges, sur l'Origine, la Religion, les Mœurs
& la Langue du Tibet. Cet Auteur a lui-même aperçu un grand
nombre de raports entre cette Langue & plusieurs autres d'Asie
& d'Afrique ; sur-tout dans la nouvelle Explication qu'il donne
de la Table, en caractères du Tibet, trouvée sur les bords de l'Irtis,
que Bayer inséra dans les Journaux de Leipsick, & que M.
Fourmont avoit essayé d'expliquer.

C'est-là que nous avons trouvé un mot primitif dont nous
avions déja raporté la Famille dans ce Volume, pag. 84. & suiv.
C'est le mot Gur, Gor, &c. signifiant Tour, révolution, commun
aux Hébreux, aux Arabes, , aux Grecs, aux Celtes, aux Basques,
aux Latins, &c. & aux Tibetans. Ce Peuple apelle une roue, une
révolution, Cor (pag. 219), Khor (p. 511), Ghor ou
Chor (pag. 691).

Si le P. Georges n'a pas vu le raport de ce mot avec la Famille
dont nous parlons, & qu'il ne connoissoit pas, sur-tout à cause
de l'affoiblissement de la voyelle o en ou, u & i, il en a vu un grand
nombre d'autres, & la plupart relatifs à des Familles que nota
indiquons dans ce Volume.xli

Il a très-bien observé, par exemple, que le mot king, dont nous
avons parlé comme radical, (p. 579) existe aussi dans la Langue
du Tibet. « Cihen-po, dit-il (p. 686), signifie sublime : c'est le
Cen-pho des Chaldéens, & le Zen-fa des Ethiopiens, qui signifient
sommet, faîte. Otant de ce mot la terminaisonpo, c'est le
mot Syriaque & Ethiopien Chahen qui signifie, 1°. grand
Propriétaire ; 2°. Grand-Prêtre. C'est le Cohen (ou Khen),
des Hébreux, & le Kan des Tartares ».

Nous y avons aussi trouvé notre racine primitive ke, que,
qui signifie Force. « Ke, ajoute-t-il (p. 695), joint à l'article
Egyptien The, Ta-Ke signifie puissance, faculté, force. C'est
le Chaldéen Khéhe. Apliqué à la Loi, il désigne la force avec
laquelle elle dissipe les ténèbres. C'est le che des Chinois, qui
signifie entendement, & leur ke, par lesquel ils désignent pénétration
& cuirasse ».

Ajoutons deux autres racines. 1° : celle de Mere, qui s'apelle
en Latin Mater : mais ter n'est ici qu'une terminaison, qui
signifie la supériorité, l'excellence : reste ma, qui est la véritable
racine de ce mot, le nom primitif, commun par-là même
aux Langues : aussi Ma, dit notre Auteur (p. 718), signifie
Mere dans la Langue du Tibet, de même que dans celle des
Chinois ; tandis que les Indiens le prononcent Mae, & les Egyptiens
Maou.

Mre est un mot du Tibet (p. 701), qui signifie précepte ;
& d'où vient Mre-pha (p. 736), il dit. Ce mot Meri, signifie
également il dit dans la Langue des anciens Perses, apellée Pehlevi.
C'est la racine primitive mar, mr, amr, il dit, il ordonna :
mot qui tient à la Famille Grecque Mar, Mer, qui signifie lumiere,
jour, & dont nous avons parlé dans notre Plan Général.

Il est digne de remarque, qu'une Langue comme celle du
xliiTibet, parlée dans la Région la plus élevée de l'Asie, par un Peuple
avec lequel les autres ont eu si peu ou point de communication,
& qu'on a cru un des plus anciens de ce continent, qu'une pareille
Langue, dis-je, ait des raports si étroits avec tant d'autres :
raports d'autant plus incontestables, qu'ils sont donnés par un
Auteur qui n'avoit nul intérêt à les chercher, & qui prouvent
qu'à mesure que nous pourrons apliquer nos principes à un plus
grand nombre de Langues, nous verrons les preuves s'accroître
& les raports devenir toujours plus sensibles.

Suplément
Relatif à l'Art. V. page 269. sur les Tems.

Dans ce moment, M. l'Abbé C… fait paroître un Ouvrage
sur la formation du Langage ; & il a la complaisance de nous en
donner un exemplaire. Sans nous être consultés ; nous nous rencontrons
sur un grand nombre d'objets essentiels, ce qui est une
forte présomption en notre faveur. M. l'Abbé C … recherche les
moyens par lesquels le Langage a pu se déveloper & donner lieu
aux Parties du Discours, aux Noms, aux Adjectifs, aux Verbes,
&c. Il voit que le mot est, unit seul toutes les idées isolées :
il explique comment ce Verbe se chargea de formes temporelles,
expression heureuse : l'Adverbe est aussi défini de la même maniere
que dans notre Grammaire Universelle ; il en est de même du
Verbe actif. On y trouve d'heureux aperçus sur les Prépositions
& sur les Conjonctions. Nous avions dit en analysant le Système
des Tems par M. Beauzée, avec les éloges qu'il mérite, qu'on pouroit
peut-être l'étendre & mettre sur des lignes différentes, quelques
xliiitems que M. Beauzée raporte au présent ; M. l'Abbé C…
est allé fort au-delà de ce que nous disons. Nous ne saurions trop
inviter les Savans à comparer ces diverses vues avec soin, & à
fixer enfin cette portion de la Grammaire. Il seroit digne des
Académies du Royaume, & de celles de l'Europe, d'exciter à cet
égard le concours, & d'y travailler elles-mêmes : qui pourroit
mieux seconder leurs vues, que les Savans qu'elles réunissent
dans leur sein ?

Nous avons dit que le Passé donnoit lieu à plus de Tems que
le Futur ; & M. l'Abbé C… s'accorde encore avec nous en cela,
quoique la liste qu'il nous donne des Futurs excède celle qu'il nous
donne des Passés : car la plupart de ces Futurs étant des Tems
antérieurs, ils appartiennent en effet à une époque passée.

Et quoique nos preuves, de cet Abbé & de moi, sur l'Inversion,
soient d'un genre différent, nous nous sommes cependant rencontrés
dans les résultats.

Nous sommes fâchés que cet Ouvrage n'ait pas paru plutôt,
& que nous ayons été privés de l'avantage d'en parler plus au
long & plus à propos. Cet Ouvrage est d'autant plus intéressant,
qu'il peut donner lieu à des discussions importantes & utiles par les
questions qu'il élève, dignes d'être aprofondies par ceux même
dont il combat les idées.xliv