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Finecke, Theodosius von. Dissertations sur l'origine du langage et sur les Runes – T01

Dissertation
sur
L'Origine du Langage.

Nous avons deux hypothèses différentes sur
l'origine du Langage.

Plusieurs Peuples d'entre les Payens se disent
Autochtones, Aborigines (a)1, ou nés dans les
pays mêmes qu'ils habitent.

Diodore de Sicile (b)2 rapporte les fausses
3raisons particulières qu'en donnent les Égyptiens,
& les Éthiopiens (c)3.4

Ces mêmes Peuples prétendent être les
auteurs du Langage, & avoir inventé les différentes
Langues de l'Univers, comme le dit encore Diodore de Sicile (d)4.

Malgré le faux & le paradoxe de cette hypothèse
payenne, plusieurs Auteurs, tant Ecclesiastiques
que Laïques, se sont plus à débiter
des conjectures ingénieuses sur cette prétendue
origine du Langage (e)5.

« On peut considérer, disent-ils, les premiers
Hommes comme des muets, qui parloient
aux yeux en se montrant des objets
différens (f)6, & qui ne pouvoient communiquer
5leurs pensées que par ces gestes,
ces mouvemens du corps, qui paroissent
si expressifs, quand les passions nous
animent.

Ces gestes, ces mouvemens du corps,
étoient accompagnés quelquefois de cris,
& de sons confus (g)7, qu'un sentiment vif,
qu'une impression nouvelle & violente des
objets extérieurs, arrachoient à des hommes
naturellement doués des organes de
la parole.

De ces cris, de ces sons confus une
heureuse industrie forma enfin des sons
distincts & articulés (h)8, qui liés par convention
6aux idées des objects extérieurs,
furent ensuite, pour ces mêmes hommes,
en les prononçant, les signes (i)9, ou marques
arbitraires de toutes choses. »7

Il n'est peut-être pas nécessaire de remarquer
que les premiers sons furent simples, &
les premiers mots monosyllabes, tels que les organes,
encore peu flexibles de ces nouveaux associés,
pouvoient les proférer (k)10.

C'est principalement à Theuth, ou à Mercure,
8que les Anciens attribuent l'invention &
les règles de l'art du Langage (l)11.

Je passe à présent de l'erreur à la vérité,
& je tâcherai d'expliquer la seconde hypothése
sur l'origine du langage.

Les Rabbins (m)12 & nombre de savans
9Théologiens supposent chez nos premiers Parens
une science & une langue infuse (n)13.10

Il paroît par deux passages de l'Écriture
sainte, que les descendans d'Adam conservèrent
11cette langue jusqu'à la construction de la tour
de Babylone ; car l'auteur de la Genése dit :
Alors toute la terre avoit une même levre, & une
même parole
. Les Payens même convenoient
que les premiers Hommes avoient une langue
commune & universelle. Voyez Eusebe, Praepar.
Evangel. lib. 9. ch. 14. 15.

Et plus bas encore, dit la Genèse : Ce n'est
qu'un seul & même Peuple, & ils ont un même
langage
.

On croira facilement que les savans ont fait
de grandes recherches sur cette première langue,
dont Moyse fait mention (o)14.12

Les Rabbins & après eux presque tous les
Théologiens anciens & modernes se sont déclarés
pour la langue Hébraïque (p)15, dans laquelle
13plusieurs savans Étymologistes ont cru trouver
l'origine & les racines de presque toutes les langues
de l'Univers.

A commencer par

I. L'Asie.

Tout le monde sait que le Chaldaïque, le
Syriaque, l'Arabe dérivent immédiatement de
l'Hébreu, & n'en ont été que des dialectes,
qui s'éloignent toujours de plus en plus de leur
origine.

L'ancienne langue Scythique (r)16, répandue
autrefois dans tous les pays du nord de l'Asie,
avoit de la conformité avec la Langue Hébraïque ;
les dialectes de plusieurs peuples de la grande
Tartarie, & des Nations de la Sibérie sont
encore des restes de cette ancienne langue, &
on a trouvé dans ces dialectes beaucoup de mots
originairement hébreux.

La Langue Malabare est fort ancienne ;
elle règne dans l'Indostan, sur les côtes & dans
14les Isles de la mer des Indes ; les Malays ayant
autrefois eu l'empire de cette mer, & fait des
conquêtes dans tous ces parages. Nous avons
des Missionnaires habiles & intelligens qui assurent
que le Malabare a de l'affinité avec la langue
Hébraïque.

Reste encore la langue Chinoise pour les
parties Orientales de l'Asie, comme la Chine, la
Corée, le Japon, &c. ; & il est connu combien
les Jésuites ont trouvé de restes évidens de Judaïsme
& de noms hébreux dans quelques provinces
de la Chine.

II. L'Europe.

Il y avoit trois Langues générales dont
descendent toutes celles d'aujourd'hui. La Langue
Grecque dans les parties méridionales, la
Langue Sarmate ou Esclavonne dans les parties
Orientales, & la Langue Gothique ou Celtique
dans les parties Septentrionales & Occidentales
de l'Europe.

La Langue Grecque dérive des Langues
Orientales ; Hérodote & Platon l'avouent, & tout
le monde sait que la Grèce devoit aux Colonies
Phéniciennes, Égyptiennes, &c., sa Langue, ses
Arts, ses Sciences (s)17. La Langue Latine derive
15à son tour de la Langue Grecque, tenant le plus
du dialecte des Aeoliens
, comme le remarque Quintilien,
l. I. c. 6. ; & c'est du Latin que les Langues
modernes
, le François, l'Italien, l'Espagnol,
&c. tirent leur origine.

La Langue Sarmate ou Esclavonne a de l'affinité
avec la Langue Hébraique. Les Sarmates,
dit un savant Auteur, joignent les suffixes aux
noms & aux verbes à peu près de la même maniere
que les Hébreux
(t)18. Les différens dialectes des
Polonois, des Moscovites, des Bohémiens, des Bulgares,
des Dalmates, les Esclavons d'aujourd'hui,
sont des restes de cette ancienne Langue Esclavonne
ou Sarmate
.

Nos Ancêtres, dans ces pays du Nord,
qu'on appellera si l'on veut Goths, Celtes, ou
plus généralement encore Scyther Européens,
avoient une Langue générale, répandue autrefois
dans toutes les parties Septentrionales & Occidentales
de l'Europe. Credo totum Orbem Artoum,
& Populos vicinos antiqua lingua Gothica,
usos suisse
. Arngrimus Jonas.

On observera pourtant, que les navigations
& les Colonies des Phéniciens & des Carthaginois,
sur les côtes de l'Espagne, de la France &
de l'Angleterre, ont dû causer un mêlange de
Langage sur ces mêmes côtes. Odin, & les
16autres Chefs des peuples Asiatiques, Conquérans
& Législateurs de ces pays du Nord, y apportèrent
encore leur langue maternelle, que nos plus
anciens Historiens nomment Ase-Maal, ou le
Langage des Dieux ; de-là cette quantité de mots
Turcs & Persans que nous trouvons dans les
Langues Islandoise, Danoise, Allemande. Le
nom d'Ases, qu'on donna à ces Héros déifiés,
veut encore dire en Persan, les Nobles, les Grands
Seigneurs
 ; le mot Giew, se dit en Persan précisément
comme en Danois, d'une personne brave,
intrépide ; Dgin, Ghian, esprit, âme, est le fameux
Gan, cet esprit familier des Lappons, &
le Aand des Danois ; Jord ou Jurd, Jord la Terre ;
Dsee, Soe, Lac ; Cift, Gift, marié ; Kojahn
Koje
, Cabane ou Maisonnette ; A-ous, Ost, Fromage ;
Ilderim, ce surnom de Bajazet, qu'on comparoit
au feu & à la foudre, contient le mot Danois
Ild, le feu, &c.

De tous les Dialectes modernes, le Bas-Breton,
la Langue vulgaire du Pays de Galles,
le Biscayen, le Plat-Allemand, la Langue des trois
Royaumes du Nord, & surtout l'Islandois (comme
le dit notre docte Stephanius) conservent encore
le plus de cette ancienne langue générale.

Plusieurs Auteurs, & nouvellement ceux de
l'Histoire universelle, ont remarqué la grande
conformité de quelques uns de ces Dialectes avec
la Langue Hébraïque.17

Olaus Wormius, dans son Dictionnaire Runique,
fait dériver plusieurs mots Runes de
l'hébreu.

Le Langage des Lappons, celui des Finnois,
(Langages qu'on sait être différens de ceux de
tous leurs voisins (u)19, ont beaucoup de rapport
avec la langue Hébraïque.

Hans Egede, Missionnaire célébre, assure
que les Grönlandois joignent les Pronoms possessifs
aux noms substantifs, comme les Hébreux ; & la
Langue Grönlandoise a, dit-il, tout comme l'Hébraïque,
des suffixes de noms & de verbes
(x)20.

III. L'Afrique.

La Langue Égyptienne ou Cophte, l'Éthiopienne,
la Phénicienne ou Punique, & la langue
Arabe, ont été & sont encore en partie les Langues
de tous les peuples policés & à demi policés
de l'Afrique. On sait l'origine Hébraïque
de la Langue Cophte, Éthiopienne, Arabe ; &
le savant Bochart a prouvé clairement, dans sa
Géographie sacrée, que tous les habitans du pays
18de Canaan parloient une même Langue, & que
les Phéniciens ont extrêmement contribué à répandre
cette Langue Phénicienne ou Hébraïque,
par leur commerce & leurs Colonies dans presque
toutes les parties de l'Univers.

IV. L'Amérique.

Le nouveau Monde a sans doute été peuplé,
à diverses reprises, par les Scythes Orientaux
de l'Asie ; opinion, que les nouvelles découvertes
des Moscovites aux environs du Kamschatka
rendent plus que probable. Le Pere Lafiteau
nous fait voir chez les peuples Américains,
la religion, les coutumes, les mœurs des Nations de
l'Asie, & même de la Grece ; il nous fait aussi retrouver
en Amérique les peuples dont Hérodote &
Pline avoient parlé, & qu'on avoit mis au rang des
choses fabuleuses
.

Ces peuples Asiatiques, pénétrant dans l'Amérique
Septentrionale, y ont naturellement dû
porter leurs Langages ; aussi voyons-nous, selon
le rapport de quelques Savans, que les trois Langues
mères de l'Amérique Septentrionale, la Langue
des Sioux, la Langue des Hurons, & la Langue
des Algonquins, ont plusieurs mots Grecs &
Hébreux.

Il y avoit dans l'Amérique Méridionale une
Langue générale & universelle (y)21, dont se formèrent
19ensuite plusieurs dialectes différens. Mr.
de la Condamine a trouvé dans tous ces dialectes
des mots qui appartiennent incontestablement à
la Langue Hébraïque. Les mots, Abba, Baba,
ou Papa, & celui de Mama, dit-il, qui des anciennes
Langues d'Orient semblent avoir passé avec
de légers changemens dans la plupart de celles de
l'Europe, sont communes à un grand nombre de Nations
d'Amérique, dont le Langage est d'ailleurs
différent
.

Cette affinité vraie ou prétendue des anciennes
langues, déterminera sans doute la plus
grande partie de mes Lecteurs en faveur de l'hypothése
d'une langue primitive & universelle.

Res autem, quæ significant, & que significantur,
sunt infinite : quin etiam sunt omne genus
vocum, mutationes, fueruntque antea, & rursus
erunt, mutatione enim delectatur Seculum, etiam in
verbis
. Sextus Empiricus20

1(a) Les Scythes, les Chinois, les Indiens, les Phrygiens,
les Phéniciens, les Egyptiens, les Ethiopiens, les
Grecs, les Goths, les Celtes, les Tusces, ou Etrusques,
&c.

Presque tous les anciens Auteurs accordent la préférence
de l'antiquité aux Egyptiens ; voyez le Scholiaste
d'Apollonius, liv. 4. Herodote & Justin rapportent pourtant
les disputes des Egyptiens avec les Phrygiens & les
Scythes sur cet article ; & Herodote se déclare pour les
Phrygiens ; mais Justin & Pomponius Mela pour les
Scythes.

Les Arcadiens prétendoient follement être plus anciens
que la Lune ; & Diogéne se moquoit des Athéniens,
en disant que la gloire d'être Autochtones leur étoit commune
avec les souris & autres vermisseaux de l'Attique.

2(b) Les Egyptiens prétendent que le genre humain
a commencé en Egypte, & ils alléguent pour raison la
fertilité de leur terroir, & les avantages que leur apporte
le Nil. Ils citent en particulier l'exemple des
rats (*), dont tous ceux qui le voyent sont étonnés ;
car on apperçoit quelquefois ces animaux, présentant
hors de terre une moitié de leur corps déjà formée &
vivante, pendant que l'autre retient encore la nature du
limon où elle est engagée. Il est démontré par là,
disent-ils, que dès que les Eléments ont été développés,
l'Egypte a produit les premiers hommes, puisque dans
la disposition même où est maintenant l'univers, la terre
d'Egypte est encore la seule qui produise des animaux.
Diod. De S.

Sic ubi deseruit madidos septemfluus agros
Nilus, & antiquo sua flumina reddidit alveo,
Aetherioque recens exarsit sidere limus :
Plurima cultores versis animalia glebis
Inveniunt, & in his quaedam modo coepta sub ipsum
Nascendi spatium : quoedam imperfecta suisque
Trunca vident numeris : & codem in corpore soepe
Altera pars vivit, rudis est pars altera tellus
.
Ovidius.

Les nouvelles eaux du Nil ont la qualité de rendre
féconds les hommes & les animaux qui les boivent.
Foetifer potu Nilus. Plinius.

(*) On diroit volontiers que le limon du Nil est le germe
universel, à qui toutes choses doivent leur naissance dans cette
partie du monde. Maillet.

3(c) Les Ethiopiens se disent les premiers de tous les
Hommes ; & ils est vraisemblable qu'étant situés directement
sous la route du Soleil, ils sont sortis de la terre,
plutôt que les autres Hommes. Car si la chaleur se
joignant à l'humidité de la terre, lui donne à elle même
une espèce de vie, les lieux les plus voisins de l'Equateur
doivent avoir produit plutôt que les autres des êtres vivans.
Diod. de. S.

4(d) Les Hommes nés de cette manière menoient
une vie sauvage ; ils n'avoient eu auparavant qu’une voix
confuse & inarticulée ; mais prononçant différens sons,
à mesure qu'ils se montrọient différens objets, ils formèrent
enfin un Langage propre à exprimer toutes choses.
Ces petites troupes, ramassées au hazard en divers
endroits, & sans communication les unes avec les autres,
ont été l'origine des Nations différentes, & ont donné
lieu à la diversité des Langues. Diod. de S.

5(e) Gregoire de Nysse, Theodoret, Péres de l'Eglise,
Richard Simon, Warburthon, l'Abbé Condillac, Locke, Fourmont, Wachter, les Auteurs de l'Histoire Universelle, &c.

6(f) Cum prorepserunt primis animalia terris
Mutum & turpe Genus
. Horatius.

Un Prince du Pont demanda à l'Empereur Neron un
fameux Pantomime romain ; il vouloit s'en fervir, disoit-il,
de truchement chez ses Voisins de Nations différentes,
dont on n'entendoit point les Langues, mais auxquelles
le Pantomime par ses gestes feroit tout comprendre.
Lucianus, de Saltat.

7(g) La douleur, l'admiration, la surprise, le plaisir
même (*), dérobent souvent encore aux organes de la
voix, des murmures, des sons confus, indéterminés.

(*) Accedent questus, accedet amabile murmur
Et dulces gemitus
.
Ovidius, art. amat.

8(h) Donec verba, quibus voces, sensusque notarent,
Nominaque invenere
. Horatius.

Dissimiles alia, atque alia res voce notare.
Lucretius.

Psammétique, Roi d'Egypte, fit élever des enfans dans
le dessein frivole de savoir quelle Langue la nature enseigne
aux Hommes; ces enfans ayant enfin proféré quelques
sons des plus naturels & des plus faciles, on crut
reconnoître dans ces sons la Langue Phrygienne.

Dat cuncta vetustas
Principium Phrygibus; nec Rex Aegyptiut ultra
Restitit, humani postquam puer uberis expers,
In Phrygiam primum, laxavit murmura vocem
.
Claudianus.

De toutes les voyelles l'A est la plus aisée, & de toutes
les consonnes le B, le P, & l'M, sont aussi les plus faciles
à articuler; il n'est donc pas étonnant que dans toutes
les Langues & chez tous les Peuples, les enfans commencent
toujours par begayer Papa, Baba, Mama ; ces
mots ne sont, pour ainsi dire, que les sons les plus naturels
à l'homme, parce qu'ils sont les plus faciles à articuler.
Buffon. j'en suis là

9(i) Nomen est rei significatio, Syllabarum & Literarum
beneficio
. Plato.

Vocabula sunt rerum notae. Cicero.

Utilitas expressit nomina rerum. Lucretius.

L'Homme a une grande diversité de pensées, mais
toutes invisibles & renfermées dans son esprit ; cependant
comme on ne pouvoit vivre en société sans une communication
de pensées, il étoit nécessaire que l'homme inventât
quelques signes extérieurs & sensibles, par lesquels
ces idées ou pensées invisibles pussent être manifestées aux
autres. Rien n'étoit plus propre à cela, à l'égard de la
fécondité & de la promptitude, que ces sons articulés,
que l'homme est capable de former avec tant de facilité
& de variété. Les sons & les mots ont donc été employés
par les hommes pour être signes de leurs idées, par une
convention arbitraire, en vertu de laquelle un tel mot a
été fait volontairement le signe d'une telle idée. Locke.

Il se fait, par un constant usage, une telle connexion
entre certains sons, & les idées designées par ces sons là,
que les noms qu'on entend excitent dans l'esprit certaines
idées avec presque autant de promptitude & de facilité
que si les objets propres à les prodụire affectoient
actuellement les sens. Idem.

Par le moyen des organes naturels de la parole, les
hommes sont capables de prononcer plusieurs sons très
simples, avec lesquels ils forment ensuite d'autres sons
composés. On a profité de cet avantage naturel, on a
destiné les sons à être les signes des idées, des pensées,
des jugemens. Quand la destination de chacun de ces
sons particuliers, tant simples que composés, a été fixée
par l'usage, & que chacun d'eux a été le signe de quelque
idée, on les a appellés mots. Ces mots, considérés relativement
à la société, où ils sont en usage, & regardés
comme formant un ensemble, sont ce qu'on appelle le
Langage de cette société. Dict. Enc. Art. Alph.

10(k) Combien de soins ne faut-il pas pour initier les
individus naissans de la société humaine dans cet art déjà
établi de la parole & du langage ; on peut juger par là de
l'invention pénible, & des progrès tardifs de cet art difficile,
dans les premiers âges du monde.

11(l) Fama refert hujusmodi Divinum Hominem nomine
Theuth in Aegypto extitisse, qui Vocales Literas in infinito
illo perspexit, nec unum quiddam esse, sed plures, & alias
item, quae non Vocis quidem, sed soni cujusdam essent participes,
illarumque numerum quendam esse cognovit : tertiam
deinde Litterarum speciem distinxit, earum quidem, quae nunc
à nobis. Mutae vocantur : deinceps Literas soni expertes ac
Mutas, ad unam usque singulatim discrevit, & Vocales &
Medias codem modo, donec ipsarum accepto numero,& unicuique
ipsarum & Universis, Elementum nuncuparet. Cuum
autem perspiceret, neminem nostrum horum quicquam scorsim
percepturum, nisi, universa perciperet, hoc rursus vinculum
excogitavit, quod quidem unum esset, & haec omnia in unum
componeret, unumque essiceret omnemque illam rationem uno
quodam nomine Grammaticam cognominavit
. Plato. In
Philebo
.

Theuth est le Mercure des Grecs & des Romains.
Horace dit de Mercure :
Qui seros gressus Hominum recentum
Voce formasti catus
.

Mercure forma le premier une Langue exacte &
réglée des Dialectes incertains et grossiers dont on se servoit.
Il imposa des noms à une infinité de choses d'usage
qui n'en avoient point. Diod. de Sicile.

12(m) Les Rabbins prétendent qu'Adam fut créé avec
une connoissance parfaite de toutes choses. On a eu des
Livres sous le nom d'Adam, de Seth, d'Enoch (*), & on a
disputé sur l'authenticité & sur l'autorité de ces Livres.

(*) Saint Jude, dans son Epitre, cite la Prophétie d'Enoch,
& en rapporte des périodes entieres.

13(n) Tous les hommes qui après Adam viennent au
monde par la voie de la génération, n'arrivent qu'après
plusieurs périodes de leur existence à la perfection du
corps & de l'ame, dont ils sont capables ; mais il est à
croire, qu'Adam ayant une origine divine, & sortant immédiatement
des mains du Créateur, eut le don de la parole,
comme il eut celui de la raison, la force du corps, &
toutes les perfections d'un homme formé.

Nous voyons que des especes d'Animaux d'un ordre
inférieur, naissent avec une science & des talens que l'art
des hommes peut à peine imiter. Les nids des hirondelles,
les cellules, ces hexagones des abeilles, sont toujours
d'une même construction, & d'une régularité admirables.
Les Castors naissent tous Architectes au Canada,
& ce n'est ni à Vitruve, ni à l'expérience, qu'ils doivent
l'art de bâtir des maisons à différens étages.

Dieu créa Adam & Eve pour vivre en société, & pour
élever une postérité nombreuse dans la connoissance des
devoirs & des nécessités d'une vie civile. Ils n'auroient
pas pu remplir les vues & les ordres du Créateur, s'il ne
les avoit pas gratifiés du don de la parole & du langage,
qui leur étoient absolument nécessaires pour s'entrecommuniquer
leurs pensées.

Adam donna des noms aux Animaux. Nous voyons
que ces noms sont tous significatifs, & marquent les qualités
particulieres de ces mêmes animaux. Ce n'est qu'immédiatement
au Créateur qu'il pouvoit devoir une connoissances
si vaste, si profonde, & un langage assez étendu
pour exprimer toutes ces choses.

Presque tous les Interprêtes attribuent à Dieu même
la confusion des langues à Babylone, supposans qu'il a fait
parler miraculeusement plusieurs langues différentes à ces
orgueilleux Architectes. Combien est-il plus probable
& plus facile de croire, que Dieu créa Adam & Eve avec
le don d'une seule langue ?

Les Apôtres eurent, à la fête de Pentecôte, le don
miraculeux de parler tout d'un coup un grand nombre de
langues étrangères ; pourquoi ne voudroit-on pas que
nos premiers parens, qui furent créés dans un état d'innocence
& de perfection, eussent eu le don absolument
nécessaire d'une seule langue ?

Les plus savans hommes du Paganisme ont reconnu
l'origine divine du langage. Orphée, Hésiode, Homere
distinguent entre le langage des dieux & des hommes.

Orphée dit en parlant de la Lune :
Une autre grande terre, que les Immortels appellent
Selène, & les hommes m$$ne qui a plusieurs montagnes,
villes & maisons.

Hésiode dit :
Les Dieux nommoient Abantis l'Isle à laquelle on
donna ensuite le nom d'Eubée.

Homere dit du fleuve Scamandre :
Le grand fleuve que les Dieux nomment Xanthe, &
les hommes Scamandre, combattit avec Vulcain.

Platon & Ciceron attribuent l'invention des langues aux
Dieux ; Platon nous a laissé un Dialogue entier sur
ce sujet.

Arbitror verissimum esse hunc sermonem : majorem videlicet
extitisse quandam potentiam quam humanam, quae
prima illa Nomina rebus indiderit, ut quidem necesse sit,
ipsa recte esse constituta
. Plato.

Perspicuum est, ipsos quidem Deos ed Nomina ad rectam
rationem aptasse, quae rerum naturae consentanea
sint
. Pl.

Ex hacne tibi terrena mortalique natura & caduca
concretus esse videtur, qui primus omnibus rebus imposuit
nomina ? Quid est enim memoria rerum & verborum ?
Quid porro inventio ? Prosecto id, quod nec in
Deo quicquam majus intelligi potest
. Cicero.

14(o) Grotius, Richard Simon, Huet, Fourmont, &c.
supposent que cette langue primitive n'existe plus ; mais
que les langues orientales, comme l'Hebreu, le Chaldaïque
ou le Syriaque, l'Ethiopien, l'Arabe, &c., qui ont
une si grande affinité de mots, de constructions, de règles
de langage, en sont immédiatement dérivées.

Les Rabbins assurent qu'il se forma à Babylone
soixante & dix langues différentes, relativement aux
soixante & dix chefs de famille dont Moyse avoit fait
l'énumération.

15(p) On peut juger de la prévention des Rabbins pour
la langue Hébraïque, par l'invention de la Cabbale, dont
une grande partie roule sur le mystérieux arrangement
des mots & des lettres Hébraïques. Fleuri, & quelques
autres Théologiens passent aussi les bornes de la modération,
en disant, que la langue Hébraïque paroit ressembler
le plus au langage des Esprits, & que les bienheureux parleront
probablement hébreu dans le Ciel
 : mais tout le monde
est obligé d'avouer, que la langue Hébraïque a par dessus
toutes les autres les avantages de l'antiquité, de la simplicité,
de la pureté, & qu'elle a toutes les marques les
plus évidentes d'une Langue mère & originale.

Richard Simon, quoique du nombre de ceux qui
croient la première langue entierement perdue, rend
pourtant justice à la langue Hébraïque : On ne peut pas
douter, dit-il, que la première langue n'ait été très simple &
sans aucune composition. Il semble que toutes ces qualités
conviennent mieux à la langue Hébraique qu'à aucune autre ;
car les mots de cette langue n'ont jamais, dans leur origine,
plus de trois lettres, ou deux syllabes; & il y a même de l'apparence,
qu'il y avoit, dans les commencemens, beaucoup plus
de monosyllabes, qu’il n'y en a présentement
.

La Langue Hébraique est toute significative, dit le
savant Fourmont. En effet, tous les noms d'animaux, &
presque tous les noms propres de la Langue Hébraïque
accusent les qualités particulières des personnes & des
animaux ; marques certaines d'une langue primitive &
originale.

16(r) C'est de cette ancienne Langue Scythique & de
l'Arabe, qu'ont été formées les Langue Turque, & Persanne,
& toutes les Langues modernes de cette grande
partie de l'Asie, qui reconnoît la Loi Mahométane.
L'Arabe est aujourd'hui la langue savante de tous ces
peuples.

17(s) Voyez Thomassini Glossarium universale Hebraicum
& Eusebe lib.IV Preparationis Evangelica.

18(t) Pelloutier, Histoire des Celtes.

19(u) Olearius, Sthralenberg, &c. prétendent que les langages
des Lappons & des Finnois, sont des dialectes d'une
langue commune aux Ostiaques, aux Morduins, & à quelques
autres Nations de la Sibérie.

20(x) Notre savant Woldicke a fait un traité entier sur
ce sujet.

21(y) Celle des Puricans, La Barrere.