CTLF Corpus de textes linguistiques fondamentaux • IMPRIMER • RETOUR ÉCRAN
CTLF - Menu général - Textes

Diez, Friedrich. Grammaire des langues romanes. Tome premier – T01

[Grammaire des langues romanes]

[Introduction]

Première partie.
Éléments des langues romanes.

I
Élément latin.

Six langues romanes attirent notre attention, soit par leur
originalité grammaticale, soit par leur importance littéraire :
deux à l'est, l'italien et le valaque ; deux au sud-ouest, l'espagnol
et le portugais ; deux au nord-ouest, le provençal et le français.
Toutes ont dans le latin leur première et principale source ; mais
ce n'est pas du latin classique employé par les auteurs qu'elles
sont sorties, c'est, comme on l'a déjà dit souvent et avec raison,
du dialecte populaire des Romains, qui était usité à côté du latin
classique, et bien entendu, de la forme qu'avait prise ce dialecte
dans les derniers temps de l'Empire. On a pris soin de prouver
l'existence de ce dialecte populaire par les témoignages des anciens
eux-mêmes ; mais son existence est un fait qui a si peu besoin
de preuves qu'on aurait plutôt le droit d'en demander pour
démontrer le contraire, car ce serait une exception à la règle.
Seulement il faut se garder d'entendre par langue populaire autre
chose que ce qu'on entend toujours par là, l'usage dans les basses
classes de la langue commune, usage dont les caractères sont
une prononciation plus négligée, la tendance à s'affranchir des
règles grammaticales, l'emploi de nombreuses expressions évitées
par les écrivains, certaines phrases, certaines constructions
particulières. Voilà les seules conséquences que permettent de
tirer les témoignages et les exemples qu'on trouve dans les auteurs
anciens ; on peut tout au plus admettre que l'opposition
entre la langue populaire et la langue écrite se marqua avec une
énergie peu commune lors de la complète pétrification de cette
1dernière, peu de temps avant la chute de l'empire d'Occident.
Une fois l'existence d'une langue populaire admise comme un fait
démontré par des raisons d'une valeur universelle, il faut en reconnaître
un second non moins inattaquable, c'est la naissance
des langues romanes de cette langue populaire. En effet, la
langue écrite, qui s'appuyait sur le passé et qui n'était cultivée
que par les hautes classes et les écrivains, ne se prêtait pas par
sa nature même à une production nouvelle, tandis que l'idiome
populaire, beaucoup plus souple, portait en lui le germe et la
susceptibilité d'un développement exigé par le temps et les besoins
nouveaux. Aussi, quand l'invasion germanique eut détruit avec
les hautes classes toute la vieille civilisation, le latin aristocratique
s'éteignit de lui-même ; le latin populaire, surtout dans les
provinces, poursuivit son cours d'autant plus rapidement,
et finit par différer à un très-haut point de la source dont il était
sorti 11.

On a pris la peine de recueillir les vestiges de la langue populaire
comme preuves à l'appui de l'origine du roman, et de feuilleter
à cette fin les écrits des auteurs classiques. Ce travail n'est
pas inutile, à condition de ne pas s'éloigner du vrai point de vue :
car il ne peut être indifférent de savoir si l'existence de formes,
de mots ou de significations romanes, est démontrée seulement
depuis l'invasion germanique, comme l'ont soutenu plusieurs
écrivains, ou bien avant ce grand événement ; en d'autres termes,
si l'on doit les considérer comme le résultat d'un fait externe, ou
d'un développement interne et normal. Quelques expressions populaires
se trouvent déjà dans les écrivains romains archaïques,
comme Ennius et Plaute ; parmi ceux de la bonne époque, le plus
riche est Vitruve ; mais ce n'est que dans les derniers siècles de
l'empire, quand disparut l'esprit exclusivement patricien de
l'école classique, que commencèrent à s'introduire dans la langue
littéraire de nombreux idiotismes dont le nombre ne fit plus dès
2lors que s'accroître rapidement. L'égalité civique accordée aux
sujets romains eut en ce point de grandes conséquences ; ils méconnurent
la suprématie littéraire du Latium comme sa suprématie
politique, et ne craignirent plus d'étaler leur provincialisme 12.
Isidore de Séville dit fort bien (Orig., II, 31) : « Unaquæque
gens facta Romanorum cum suis opibus vitia
quoque et verborum et morum Romam transmisit
. » Pendant
que les écrivains de la décadence ouvraient les portes de la
littérature à l'expression vulgaire, les grammairiens en faisaient
le sujet de leurs leçons, en l'envisageant surtout au point de vue
pratique et pour en purifier la langue. Ainsi Aulu-Gelle, dans le
dernier chapitre de ses Nuits attiques, nous a conservé le nom
d'un livre de Titus Lavinius, De verbis sordidis, dont la perte
est regrettable à plus d'un titre 23. Une très-riche collection de
mots obscurs, vieillis et populaires, est cependant venue jusqu'à
nous, c'est le livre de Festus, De significatione verborum, qui
a pour base celui de Verrius Flaccus. Bien que nous n'en possédions
la majeure partie que dans un extrait dû à un contemporain
de Charlemagne, Paul Diacre, et corrompu en plusieurs
lieux, ce livre n'en est pas moins une mine féconde pour la lexicologie
latine et aussi pour celle des langues romanes. Parmi les
autres grammairiens il faut citer Nonius Marcellus pour son ouvrage
De compendiosa doctrina, et Fabius Planciades Fulgentius,
auteur d'une Expositio sermonm antiquorum.
Nous n'avons conservé aucun monument proprement dit de
l'idiome vulgaire, tel qu'on peut croire qu'étaient les Mimes et
les Atellanes ; on peut regarder comme quelque chose d'approchant
les discours que met Pétrone dans la bouche de gens du
commun 34. D'ailleurs, tout en favorisant l'expression populaire,
la littérature de la décadence se conservait encore pure des
3flexions mutilées ou contraires à la grammaire : c'est dans les
inscriptions qu'il faut les chercher, surtout dans les inscriptions
des derniers temps de l'Empire, dont l'étude toute récente a déjà
porté des fruits si abondants.

Une grammaire historique des langues romanes se priverait
d'une partie importante de ses bases si elle ne voulait avoir aucun
égard aux idiotismes populaires du latin, puisqu'on les retrouve
pour la plupart en roman et faisant partie de la langue générale.
Aussi, tandis que les différences de forme qui séparent le latin commun
du latin classique seront traitées à leur lieu dans la suite de
cet ouvrage, un choix de mots et de significations qui peuvent
être admis comme populaires, choix emprunté aux lexiques
latins, trouve naturellement sa place ici. Ils ne sont pas cités
pour prouver ce fait, certain par lui-même, que le roman doit
son existence au latin populaire, mais pour rendre ce fait sensible.
Cette liste comprend deux classes d'expressions : celles
que les anciens nous désignent expressément comme basses ou
inusitées (vocabula rustica, vulgaria, sordida, etc.), et celles
que, même sans témoignage, on peut regarder comme telles. Les
dernières se composent partie de mots très-rarement employés à
diverses époques, qui expriment des choses d'usage quotidien et
se rencontrent surtout dans des auteurs peu soucieux de l'élégance
du style ; partie de mots qui apparaissent aux derniers
siècles, quand l'art de la parole est en pleine décadence. Beaucoup
de ces mots ont déjà été étudiés dans le Dictionnaire
étymologique
15.

Abbreviare (Végèce, De re militari) : it. abbreviare, etc.

« Abemito significat demito vel auferto » (Festus p. 4, éd.
Millier). Le fr. aveindre, d'où le pr. mod. avêdre, suppose,
quand on compare geindre de gemere, preindre de premere,
un lat. abemere. Les autres langues romanes n'ont ni abemere,
ni adimere, d'où aveindre pourrait aussi venir.

Acredo (Palladius) : it. acredine.

Acror, formé d'après amaror (Fulgentius) : v.-esp. cat.
pr. agror, fr. aigreur.

Acucula, pour acicula, dans certains mss. du Code Théodosien :
4it. agocchia, aguglia, esp. aguja, pr. agulha, fr.
aiguille.

Aditare, de adire (Ennius), racine hypothétique d'un des
verbes romans les plus importants : it. andare, esp. andar,
pr. anar, fr. aller. Yoy. le Dict. étymol.

Adjutare, arch. et néol. (Térence, Pacuvius, Lucrèce, Varron,
Aulu-Gelle, Pétrone) : it. ajutare, esp. ayudar, pr. ajudar,
fr. aider. Le primitif adjuvare s'est perdu en roman ;
son simple juvare n'est resté que dans l'it. giovare.

Adpertinere (dans les arpenteurs) : it. appartenere, pr.
apertener, fr. appartenir, v.-esp. apertenecer.

Adpretiare, taxer (Tertullien) : it. apprezzare, esp. pr.
apreciar, fr. apprécier.

Æramina, utensilia ampliora (Festus), æramen dans des
auteurs postérieurs, comme le Code Théodosien, Priscien : it.
rame, val. aramę, esp. arambre, alambre, fr. airain, etc.

Æternalis pour æternus (Tertullien) : it. eternale, esp. pr.
eternal, fr. éternel.

Aliorsum, à un autre endroit, avec mouvement : « aliorsum
dixit Cato » (Festus p. 27), et en outre dans Plaute, Aulu-Gelle,
Apulée. De là l'adverbe de lieu de même sens : pr. alhors
(se virar alhors, se tourner d'autre côté), fr. ailleurs (rois de
Secile et d'aillors
, Rutebeuf I, 428), v.-pg. allur. Il ne faut
pas songer à alia hora, d'abord parce qu'alius fut de très-bonne
heure remplacé par alter, ensuite parce qu'ailleurs ne contient
aucune idée de temps, enfin parce qu'alia hora paraît en provençal
sous la forme alhor, alhora.

Allaudare ou adlaudare dans le sens de laudare (une
seule fois dans Plaute) : pr. alauzar, esp. et pg. alabar par
suppression du d.

Amarescere (Palladius) : pr. amarzir, rendre amer.

Amicabilis (Code Justinien, Julius Firmicus) : esp. cat. pr.
amigable, fr. amiable.

Amplare pour amplificare (Pacuvius ap. Nonium) : it.
ampiare (il peut venir aussi d'ampliare), pr. amplar.

« Apiaria vulgus dicit loca in quibus siti sint alvei apum, sed
neminem eorum ferme qui incorrupte locuti sunt aut scripsisse
memini aut dixisse. » (Gell. Noct. att. II, 20). Au reste, apiarium
se trouve dans Columelle, qui sans doute, suivant la
remarque de Freund, l'introduisit le premier dans la langue
écrite. C'est un mot bien roman : it. apiario, pr. apiari, fr.
achier.5

Appropriare (Cælius Aurelius) : it. appropriare, appropiare,
esp. apropriar, fr. approprier.

« Aquagium, quasi aquæ agium, i. e. aquæ ductus »
(Festus p. 2, Pandectes) : esp. aguage, pg. agoagem,
courant.

« Arboreta ignobilius verbum est, arbusta celebratius »
(Gell. Noct. att. XVII, 2) ; arboretum ne se trouve que là :
it. arboreto et arbusto, esp. arboleda et arbusto, arbusta.

« Artitus, bonis instructis artibus. » (Festus p. 20, Plaute
var.). Ce mot est évidemment la racine première de ceux-ci :
pr. artisia, métier, artisier (Gir. de Ross. v. 1517), it. artigiano,
esp. artesano, fr. artisan, c.-à-d. artitia, artitiarius,
artitianus.

Astrum dans le sens d'astre du sort, de sort : « quem adolescentem
vides malo astro natus est » (Pétrone, cité dans Galvani,
Osservazioni p. 402) : pr. sim don Dieu bon astre
(Choix III, 405, et pass.). De là it, disastro, esp. desastro,
fr. désastre, etc.

Astula pour assula (dans les mss.) ; de là prov. ascla, éclat
de bois, pour astla, comme le b. lat. sicla pour sitla.

Attegia, cabane (Juvénal) : de là, comme le remarque Galvani,
l'it. patois teggia m. s. ; de là aussi roum. tegia thea, cabane,
chalet.

Augmentare (seulement dans Firmicus Maternus) : it. aumentare,
esp. aumentar, etc.

Avicella, aucella, pour avicula (Apulée, Apicius), mot inusité
d'après Varron VIII, 79 : « minima (les diminutifs en ella)
in quibusdam non sunt, ut avis, avicula, avicella » : esp. avecilla,
it. (masc.) uccello, pr. aucel, fr. oiseau.

Badius, brun (Varron dans Nonius, qui le range parmi les
honestis et nove veterum dictis ; Gratius, Palladius) : it. bajo,
esp. bayo, pr. bai, fr. bai. De là sans doute aussi fr. baillet,
rouge pâle, comme si l'on eût dit badiolettus ; toutefois ce mot
peut aussi venir de balius (baliolus dans Plaute ; en albanais
baljós signifie blond ou rouge de cheveux).

« Bambalio, quidam qui propter hæsitantiam linguæ stuporemque
cordis cognomen ex contumelia traxerit » (Cicéron
Philipp. III, 6). Le mot lui-même, qui se rattache au grec
βαμβαλός (bègue), n'est pas roman ; son radical l'est seul : it.
bámbolo, enfant ; bambo, puéril, niais, etc.

Bassus, employé seulement en latin comme surnom de
6familles romaines, est presque certainement l'adjectif roman
basso, baxo, bas, qui apparaît dans le plus ancien bas-latin.

« Batualia, quæ vulgo battalia dicuntur, exercitationes militum
vel gladiatorum significant » (Adamantius Martyrius dans
Cassiodore ; cf. Vossius, s. v. batuo, et Schneider I, 405) : it.
battaglia, etc.

Batuere, mot de l'usage commun, autant qu'on peut le supposer
(Plaute, Nævius et les écrivains des derniers temps) : it.
battere, etc. Le mot battalia prouve que dans batuere aussi
l'u était tombé de très-bonne heure : c'est un procédé essentiellement
roman.

Beber pour fiber ne se retrouve que dans l'adj. bebrinus
(Schol. ad Juvenal.) : it. bévero, esp. bíbaro, fr. bièvre.

Belare, forme rare pour balare, employée par Varron : it.
belare, fr. bêler.

Bellatulus pour bellulus (Plaute) suppose un primitif bellatus,
v.-fr. bellé ; comparatif bellatior, v.-fr. bellezour. Voy.
Dict. étymol. II c.

Bellax (Lucain) : de là l'expression purement poétique pg.
bellacissimo (Camœns Lusiad. II, 46).

Berbex, forme vulgaire pour vervex d'après Schneider
I, 227 (Pétrone) : it. berbice, val. berbeace, pr. berbitz, fr.
brebis.

Berula pour cardamum (Marcellus Empiricus). Le même
sens se trouve dans l'esp. berro, qui rappelle aussi, il est
vrai, le gr. ἰβηρίς employé par Pline pour désigner la même
plante.

Bibo, onis (Firmicus) : it. bevone.

Bisaccium (Pétrone) : it. bisaccia, esp. bisaza, fr. besace,
du plur. bisaccia.

Bis acutus (S. Augustin, S. Jérôme) : it. bicciacuto m. s. ;
v. fr. besaiguë, hache à deux tranchants.

Bliteus, niais, inepte (Plaute, Laberius dans Nonius) : ce mot
se retrouve peut-être dans l'it. bizzoccone, dont le sens s'en
rapproche. Les lettres permettent d'admettre cette étymologie :
bli devait donner bi et te z.

Blitum, gr. βλίτον (Plaute, Varron, Festus) : esp. bledo, pg.
bredo, cat. bred.

Boatus (Apulée), tiré du verbe beaucoup plus usité boare :
it. esp. pg. boato.

« Bojæ, i. e. genus vinculorum. tam ligneæ quam ferreæ
7dicuntur » (Festusp. 35) ; « boja, i. e. torques damnatorum »
(Isidore de Séville) : v.-it. boja, pr. boia, v.-fr. buie.

Botulus (Martial). Aulu-Gelle, XVII, 7, le range parmi les
« verba obsoleta et maculantia ex sordidiore vulgi usu ». Diminutif :
botellus. De ce dernier mot sont venus, en prenant un
sens particulier : it. budello, v.-esp. pr. budel, fr. boyau.

Brisa, gr. τα βρύτια, marc de raisin (Columelle) : arag. cat.
brisa m. s.

Bruchus, gr. βροῦχος, sauterelle sans ailes (Prudence). Ce
mot est devenu roman avec divers sens : it.bruco, chenille ; esp.
brugo, altise, puce de terre ; val. vruh, hanneton.

Bua, onomatopée des enfants pour demander à boire : « quum
cibum et potionem buas ac papas vocent parvuli » (Varron
dans Nonius) ; — « imbutum est unde infantibus an velint
bibere dicentes bu syllaba contenti sumus » (Festus p. 109) ;
comp. le composé vini-bua. Cette expression s'est perpétuée dans
le génois bu-bù, le comasq. bo-bò, boisson, aussi dans la langue
des enfants.

Bucca, dans le sens de bouche ou de gueule, expression triviale
dans ce sens, ne garde plus que celui-là dans l'it. bocca, esp. pr.
boca, fr. bouche.

Buccea, employé par Auguste : « duas bucceas manducavi »
(Suétone Aug. 76) ; signif. bouchée, de bucca. On peut regarder
ï'esp. bozal, muselière, comme un dérivé de buccea, bucceale.

Buda : « Ulvam dicunt rem quam vulgus budam vocat »
(Servius sur le 2e livre de l'Enéide) ; dans les Glossaires buda =
storea
. Le patois sicil. possède buda, remplissage, remblai, et
aussi burda ; cf. Du Cange.

Burdo, mulet (Ulpien) : de là probablement l'it. bordone,
esp. pr. bordon, fr. bourdon, appui, bâton. Voyez le Dict.
étymol
. I.

« Burgus : castellum parvum, quem burgum vocant »
(Végèce De art. milit.) ; mot peu usité d'après ce passage, appelé
vulgaire par Isidore IX, 4 ; il se trouve aussi dans Orose :
it. borgo, esp. burgo, fr. bourg. Sur ses rapports avec l'all.
burg, voy. Dict. étymol.

Burræ, dans Ausone, où il doit signifier bagatelles, niaiseries :
« illepidum, rudem libellum, burras, quisquilias ineptiasque ».
M. s. it. borre (plur.), esp. borras ; du dim. burrula, it. esp.
burla, plaisanterie, farce.

Burricus, buricus, petit cheval, bidet (Végèce De re veter. ;
S. Paulin de Noie) ; mot de la vie commune : « mannus, quem
8vulgo buricum vocant » (Isidor. XII, 1, 55). De là le fr.
bourrique dans le double sens de mauvais petit cheval de
somme et d'âne, esp. borrico, it. bricco dans le dernier sens
seulement.

« Burrum dicebant antiqui quod nunc dicimus rufum, unde
rustici burram appellant buculam quæ rostrum habet rufum ;
pari modo rubens cibo et potione ex prandio burrus appellatur »
(Festus, p. 51). L'éditeur remarque : « Glossaria Labb.
burrum = ξανθόν, πυῤῥόν, gloss. Isid. birrus = rufus ; primarius
testis Ennius est, Annal. VI, 5, ap. Merulam. » De là
semble venir l'it. bujo (burrius), esp. buriel, pr. burel, de
couleur sombre, etc. ; Vossius y rattache aussi l'esp. borracho,
ivre, rubens potione ; mais ce mot vient de borracha, outre à
vin ; il y rapporte encore l'esp. burro, âne, à cause de sa couleur
roussâtre, mais ce mot peut très-bien avoir une autre racine
(voy. le Dict. étymol.). De la forme birrus semble dériver l'it.
berretta, esp. birreta, fr. barrette, béret, à cause de la couleur ;
cf. le b.-lat. birrus, vêtement de dessus.

Caballus, dans la période archaïque et classique seulement
chez les poètes, plus tard aussi en prose (Freund). Ce mot (it.
cavallo, etc., val. cal) a détrôné en roman le masc. equus,
tandis que le féminin s'est maintenu çà et là. Sur sa valeur en
latin voy. le Dict. étymol.Caballarius, κέλης ἱππεύς (Gloss.
lat.gr.
) ; ἱπποκόπος, caballarius (Gloss. vet.) :it. cavalière, etc.

Cæsius, mot rare dans les bons écrivains. Le prov. sais, qui
a les cheveux gris, n'a guère d'autre origine admissible.

Cambiare : « emendo vendendoque aut cambiando mutuandoque »
(SiculusFlaccus, LoiSalique) : it. cambiare cangiare,
esp. cambiar, fr. changer. La forme cambire (Apulée, Charisius)
n'est pas romane.

Camisia, pour la première fois dans S. Jérôme : « Solent militantes
habere lineas, quas camisias vocant » ; très-fréquent en
b. lat. De là it. camicia, esp. pr. camisa, fr. chemise, val.
cęmásę. L'origine et l'âge de cette expression des soldats romains,
certainement très-répandue, sont douteux.

Campaneus, campanius, pour campestris dans les arpenteurs ;
on trouve même déjà chez eux le subst. campania : « nigriores
terras invenies, si in campaniis fuerit, fines rotundos
habentes ; si autem montuosum, etc. » (Lachmann p. 332) ; plus
tard on dit sans scrupule campania, plaine (Grég. de Tours) :
it. campagna, esp. campaña, etc.9

Campsare : campsare Leucatem (Ennius) ; campsat =
flectit (Gloss. Isid.) : it. cansare, esquiver. La même permutation
de lettres a lieu dans le lat. sampsa, marc d'olives, devenu
sansa, it. sansa.

Capitium, vêtement de femme (Varron, Labérius, Pandectes),
mot qu'Aulu-Gelle désigne comme peu ordinaire : it. capezz-ale,
mouchoir de cou.

Captivare (S. Augustin, Vulgate) : it. cattivare, esp. cautivar,
pr. captivar, v. fr. eschaitiver (Benoit, Chron., 1, 259),
fr. captiver.

Carricare, (S. Jérôme d'après Du Cange) : it. caricare,
carcare ; esp. pr. cargar, fr. charger.

Casale, limite d'une métairie dans les arpenteurs (voy. Rudorff p.
235), plus tard usité dans le sens de hameau, village :
it. casale, petit village ; esp. pr. casal, v.-fr. casel, métairie,
maison de campagne.

Cascus pour antiquus (Ennius, Aulu-Gelle, Ausone) : it.
casco, vieux, caduc.

Catus pour felis, postérieur à la bonne époque (Palladius,
Anthol.) : it. gatto, esp. gato, pr. cat, fr. chat ; manque en valaque.

Cava pour caverna, dans les arpenteurs : it. esp. pg. pr.
cava, fr. cave.

Cludere, assez usité pour claudere : it. chiudere, pr. clure,
à côté de claure.

Cocio, entremetteur (Plaute( ?) et Labérius, auquel Aulu-Gelle
le reproche comme un mot trivial, N. att. XVI, 7), fréquent en
bas-latin sous la forme cocio, coccio : it. cozzone, v. fr. cosson,
maquignon ; pr. cussó, employé comme injure. Sur cette
dernière forme cf. Festus, p. 51 : « Apud antiquos prima syllaba
per u litteram scribebatur. »

Combinare (S. Augustin, Sid. Apollinaire) ; le mot est le
même en roman.

Compassio (Tertullien et autres écrivains chrétiens) : it.
compassione, etc.

Compŭtus (Firmicus) ; computum, compotum, dans un arpenteur :
it. conto, esp. cuento, fr. compte.

Confortare (Lactance, S. Cyprien) : it. confortare, esp.
conhortar, pr. conortar, fr. conforter.

Congaudere (Tertullien, S. Cyprien) : pr. congauzir, fr.
conjouïr.

Conventare (Solin) : seulement val. cuvųntà, parler à quelqu'un,
convenire aliquem.10

Cooperimentum (Bassus dans Aulu-Gelle) : it. coprimento,
val. coperemųnt, v. esp. cobrimiento, pr. cubrimen.

Coopertorium (Végèce De re veter. ; Pandectes) : it. copertojo,
esp. pr. cobertor, fr. couvertoir.

Coquina pour culina dans le latin des derniers temps (Arnobe,
Palladius, Isidore) : it. cucina, esp. cocina, fr. cuisine,
val. cuhnie. Coquinare : it. cocinare, etc.

Cordatus (Ennius, Lactance ; cordate dansPlaute) : abrégé
en roman : esp. cuerdo, pg. cordo dans le même sens.

Cordolium (Plaute, Apulée) : it. cordoglio, esp. cordojo,
pr. cordolh.

Coxo, boiteux : « Catax dicitur quem nunc coxonem vocant »
(Nonius) : esp. coxo, pg. coxo, cat. cox ; dans le glossaire
d'Isidore coxus.

Crena (Pline Hist. nat. XI, 37, 68). On donne à ce mot le
sens d'entaille, coche : de là sans doute lomb. crena, fr. cran
créneau
.

Cunulæ (Prudence) : it. culla.

Dejectare pour dejicere (Mattius dans Aulu-Gelle) : fr. déjeter,
pg. deitar.

Démentare, être en délire (Lactance) : it. dementare, esp.
dementar, rendre fou ; v.-fr. dementer, se dementer, se conduire
en insensé.

Deoperire (Celse), ouvrir : piém. durvi, n.-pr.. durbir,
wall. drovî m. s.

Deputare, dans le sens de destiner à un but, chez quelques
auteurs des derniers temps, comme Palladius, Sulpice Sévère,
Macrobe : it. deputare, esp. diputar, pr. deputar, fr. députer.

Devetare, comme vetare (Quintilien ?) : it. divietare, v.-esp.
pr. devedar, v.-fr. dévéer.

Deviare (Macrobe et autres) : it. deviare, v.-esp. pr. deviar,
fr. dévoyer.

Directura pour directio (Vitruve) : it. dirittura, drittura ;
esp. derechura, pr. dreitura, fr. droiture.

Discursus, dans le sens de sermo (God. Théod.) : it. discorso,
etc.

Disseparare pour separare (Nazaire) : it. discevrare, pr.
dessebrar, v.-fr. dessevrer.

Disunire (Arnobe) : it. disunire, esp. disunir, fr. désunir.11

« Diurnare, inusitate pro diu vivere » (Aulu-Gelle XVII,
2) ; Nonius, qui cite ce mot d'après le même auteur qu'AuluGelle,
l'appelle honestum verbum. Le roman n'en offre que
des composés, comme it. soggiornare, aggiornare, etc.

Doga, gr. δοχή, vase ou mesure pour les liquides (Vopiscus) :
it. pr. doga, val. doag, fr. douve, avec un sens assez altéré ;
Yoy. le Dict. étymol.

Dromo. Voy. à la liste des mots grecs.

Ducere se, se rendre en un lieu, fréquent dans Plaute : « Duc
te
ab ædibus » ; « duxit se foras » (Térence, Asin. Pollion) ;
« ducat se » (S. Jérôme) : val. sę duce m. s. it. seulement
condursi, esp. conducirse.

Duellum, forme de bellum archaïque, bien qu'on l'employât
encore au temps d'Auguste. Dans les langues romanes, ce mot
signifie combat singulier, sens qu'avait autrefois battaglia ;
aussi duel est sans doute un mot introduit plus tard.

Dulcire (Lucrèce) : pr. doucir, it. seulement addolcire,
esp. adulcir, fr. adoucir.

Duplare pour duplicare (Festus p. 67), archaïsme repris
par les juristes : it. doppiare, esp. pr. doblar, fr. doubler.

Ebriācus pour ebrius (Plaute et Labérius dans Nonius) : it.
ebbriáco, v. esp. embriágo, pr. ebriac, fr. (pat.) ebriat.

Efferescere ou efferascere (Amm. Marcellin) : pr. s'esferezir,
s'esferzir, se courroucer.

Exagium, pesage (Théodose et Valentïnien Novell. 25 ;
Inscr. dans Gruter, 647) ; ἐξάγιον = pensatio (Gloss.gr.lat.) :
it. saggio, esp. ensayo, pr. essay, fr. essai.

Excaldare (Vulcatius Gallicanus, Apicius, Marcellus Empiricus) :
it. scaldare, val. scęldá, esp. escaldar, fr.
échauder.

Excolare pour percolare (Palladius, Vulgate) : it. scolare,
v.-esp. escolar, fr. écouler.

Exradicare, eradicare (Plaute, Térence, Varron) : it.
sradicare, esp. eradicar, pr. eradicar, esraigar ; v.-fr.
esracher, fr. arracher.

Extraneare (Apulée ?) : it. straniare, val. stręinà, esp.
estranar, pr. estranhar, v.-fr. estrangier, éloigner, expatrier.

Falco (Servius sur le livre X, v. 146, de l'Enéide) ; Festus
le cite dans un autre sens : « falcones dicuntur quorum digiti
12pollices in pedibus intro sunt curvati, a similitudine falcis »
(p. 88) : it. falcone, etc., nom de l'oiseau.

Falsare (Pandectes, S. Jérôme) : it. falsare, esp. pr. falsar,
fr. fausser.

« Famicosam terram palustrem vocabant » (Festusp. 87).
La forme et le sens rapprochent de ce mot l'it. esp. fangoso, pr.
fangos ; mais le subst. prov. fanha et même le fr. fangeux
portent plutôt à tirer le mot roman du got. fani, gén.
fanjis.

Farnus pour fraxinus (Vitruve) ; voy. le Dict. étymol. s.
v. Farnia, II a.

Fata pour parca (Inscriptions ; sur une monnaie de Dioclétien.) :
it. fata, esp. hada, pr. fada, fr. fée. Le Glossaire de
Paris (éd. Hildebrand) a au contraire fata — parcæ, par conséquent
sing. fatum ; mais l'admission en roman du nom. sing.
fata ne fait pas doute.

Fictus pour fixus (Lucrèce, Varron) : it. fitto, pg. fito, esp.
hito, val. fipt, fixé, lié ; b.-lat. fictum, contribution (ce qui est
établi), p. ex. « ficto, quod est census » (Hist. patriæ Mon.
n. 121, s. a. 963).

Filiaster pourprivignus (Inscriptions) : it. figliastro, esp.
hijastro, pr. filhastre, v.-fr. fillastre.

Fissiculare (Apulée, Martianus Capella) : de ce mot vient le
v. fr. fesler, fr. fêler, comme mêler de misculare.

Fluvidus pour fluidus (Lucrèce) ; l'it. fluvido présente la
même intercalation du v.

Follicare, haleter comme un soufflet, seulement au participe
follicans (Apulée, Tertullien, S. Jérôme) : pg. folgar, esp.
holgar, se reposer, proprement souffler après une fatigue.

Fracidus, flétri, fané ; olea fracida (Caton De re rustica) :
it. fracido, m. s.

Frigidare (Cæl. Aurelius) : it. freddare. Les autres langues
n'ont que des composés.

« Gabalum crucem dici veteres volunt » (Varron dans Nonius) :
cf. fr. gable, faîte d'une maison, qui rappelle aussi, il est
vrai, l'all, gabel. Voy. le Dict. étymol.

Gabăta (Martial) : esp. gábata, n.-pr. gaoudo, fr. jatte,
it. gavetta, écuelle de bois. Ce mot a développé un autre sens
dans pr. gauta, it. gota, fr.joue. Voy. le Dict. étymol.

Galgulus, nom d'un oiseau (Pline Hist. nat. var.) : esp.
gálgulo, merle doré ; it. rigógolo, loriot, = aurigalgulus.13

Gaudebundus, gaudibundus (Apulée) : pr. gauzion, jauzion,
fém. gauzionda.

Gavia, nom d'un oiseau (Pline Hist. nat.) : esp. gavia, pg.
gaivota, mouette.

Genuculum pour geniculum, d'après len verbe congenuclare
(Cælius dans Nonius) ; genuculum (L. Salique) : ginocchio,
esp. hinojo, v.-fr. genouil, fr. genou. Voy. la dissertation
de Pott, Plattlatein, p. 316.

Gluto, comme gulosus (Festus p. 112, Isidore) : it. ghiottone,
esp. pr. gloton, fr. glouton.

Grandire (Plaute, Pacuvius et autres) : it. grandire, fr.
grandir.

Grossus (Vulgate, Sulpice Sévère) ; grossitudo (Solin) : it.
grosso, esp. grueso, pr. fr. val. gros.

Grundire pour grunnire, archaïsme cité par les grammairiens,
se retrouve dans le pr. grondir, v.-fr. grondir, grondre ;
cf. fr. gronder.

Gubernum pour gubernaculum (Lucrèce, Lucilius) : it.
governo, pr. govern, m. s. ; esp. gobierno, v.-fr. gouverne,
au sens figuré. Labérius a dit gubernius pour gubernator ; le
même suffixe se retrouve dans l'esp. governio pour timon
(Apolonio p. 273).

Gumia, gourmand (Lucilius, Apulée) : esp. gomia, glouton,
et épouvantail, comme le lat. manducus.

Gyrare (Pline, Végèce) : it. girare, esp. girar, pr. girar,
v.-fr. gyrer.

Halitare (Ennius) : it. alitare, fr. haleter.

Hapsus, touffe de laine (Celse) : pr. mod. aus, toison.

Hereditare, pour la première fois dans Salvien, avec le sens
de mettre en possession : it. ereditare, eredare, redare ; esp.
heredar, pg. herdar, pr. heretar, fr. hériter.

« Hetta, res minimi pretii quum dicimus : Non hettæ
te facio » (Festus p. 99) ; certainement conservé dans l'it. ette,
bagatelles, dans les patois eta, etta, etti, et.

Impedicare (Amm. Marcellin), embarrasser, enlacer : it.
impedicare, m. s., mais peu usité ; pr. empedegar, v.-fr. empegier.

Impostor (S. Jérôme, Pandectes), verbum rusticum d'après
Grégoire le Grand (v. Du Cange) : it. impostore, etc.

Improperare (Pétrone), improperium (Vulgate) : it. improverare,
14rimproverare ; esp. improperar, it. esp. improperio,
v.-fr. impropèrer.

Incapabilis (S. Augustin) : fr. incapable.

Inceptare (Plaute, Térence, Aulu-Gelle) : pg. enceitar,
esp. encentar, couper quelque chose pour le manger.

Incrassare (Tertullien) : it. ingrassare, esp. engrasar, fr.
engraisser.

Inhortari (Apulée) : seulement v.-fr. enorter.

Intimare, dans plusieurs auteurs des derniers temps : it. intimare,
esp. pr. intimar, fr. intimer.

Jejunare (Tertullien) : giunare, val. aźunà, esp. ayunar,
fr. jeûner.

Jentare (Varron dans Nonius, qui le traite de mot peu usité ;
Martial, Suétone), déjeûner : esp. yantar, pg. jantar, roum.
ientar. D'anciens glossaires donnent aussi jantare.

Jubilare, mot usité à la campagne d'après Festus : « Jubilare
est rustica voce inclamare » ; cf. Varron, De lingua latina,
V, 6, 68 : « Ut quiritare urbanorum, sic jubilare rusticorum. »
Les écrivains chrétiens ne l'emploient que pour signifier être
joyeux : de là it. giubilare, esp. jubilar. Le mot des citadins,
quiritare, s'est aussi conservé en roman, comme l'avaient déjà
pensé Scaliger et Vossius : it. gridare, esp. gritar, fr. crier.
Voy. le Dict. étymol.

Jucundare (S. Augustin, Lactance) : it. giocondare. Grégoire
de Tours l'emploie très-souvent.

Juramentum (Pandectes, Ammien Marcellin, Sulpice Sévère) :
it. giuramento, val. źuręmųnt, esp. juramento, fr.
jurement.

Justificare (Tertullien, Prudence) : it. giustificare, etc.

Lacte et lactem, à l'accusatif, pour lac (Plaute, Aulu-Gelle,
Apulée et autres) :it. latte, esp. leche, fr. lait, mots qui d'après
les lois de formation romane viennent plutôt de cette forme que
de lac.

Lanceare (Tertullien) : it. lanziare, esp. lanzar, fr.
lancer.

Levisticum pour ligusticum, nom de plante (Végèce De
arte vet.
) :. it. levistico, fr. livèche. Freund n'a pas admis
cette forme barbare.

Licinium, sindon, charpie (Végèce De arte vet.) : esp.
lechino, pg. lichino.15

Ligatio (Scribonius Largus) : pr. liazò (Gloss. Occit.), fr.
liaison.

Liquiritia, mot corrompu de γλυκύῤῥιζα (Theodorus Priscianus,
De diæta ; Végèce) : legorizia, esp. regaliz, fr. réglisse.

Loba, tuyau du blé d'Inde (Pline) : mil. lœuva, épi du sarrazin,
panicule du maïs (Biondelli).

Longano, longabo, boyau, saucisse (Varron, Cælius Aurelius,
Végèce, Apicius) : esp. longaniza dans le dernier sens.

Maccus, niais, imbécile (Apulée) : sard. maccu, m. s.

Macror, variante pour macies (Pacuvius) : fr. maigreur.

« Magisterare pro regere et temperare dicebant antiqui »
(Festus p. 152 153, Spartien) : it. maestrare, v.-esp.
maestrar, pr. maiestrar, v.'-fr. maistrer, enseigner, ordonner.

Malitas (var. des Pandectes) : esp. maldad.

Mamma pour mater, mot d'enfant (Varron dans Nonius) :
it. mamma, esp. mama, fr. maman, val. mamę ou mumę ;
en valaque, c'est le mot propre pour mère.

Mammare pour lactare (S. Augustin) : esp. mamar.

Manducare, souvent employé pour edere dans les derniers
temps : it. mangiare, v.-pg. pr. manjar, fr. manger.

Masticare, gr. μαστάζειν, pour mandere, postérieur à la
bonne époque (Apulée, Theod. Priscianus, Macer) : it. masticare,
esp. mascar, pr. mastegar, fr. mâcher.

Mattus pour ebrius (Pétrone) : de là peut-être l'it. matto,
fou.

Medietas, mot que Cicéron hésitait à écrire et n'employait
que pour traduire le gr. μεσότης : « bina média, vix enim audeo
dicere medietates » (cf. Freund) : it. medietà, esp. mitad,
pr. meytat, fr. moitié. Fréquent dans le plus ancien bas-latin
et dans les arpenteurs.

Mejare, pour mejere, est cité par Diomède sans exemple
(v. Forcellini) : à ce mot répondent le pg. mijar et l'esp.
mear, qui du reste pourraient venir directement de mejere.

Melicus pour medicus, de Médie, prononciation vulgaire
blâmée par Varron. : esp. mielga, de melica pour medica,
luzerne.

Meliorare (Cod. Justin., Pandectes) : it. migliorare, esp.
mejorar, pr. melhurar, fr. a-méliorer.

Mensurare (Végèce De re milit.) : it. misurare, etc.16

Minaciæ pour minæ (seulement dans Plaute) : it. minaccia,
esp. a-menaza, pr. menassa, fr. menace.

Minare, faire avancer le bétail par des menaces (Apulée ; cf.
Festus dans Paul Diacre), pris dans le sens de ducere : it. menare,
pr. menar, fr. mener. De même prominare (Apulée) :
fr. promener.

Minorare (Tertullien, Pandectes) : it. minorare, esp. menorar.

Minutalis pour minutus (Apulée, Tertullien, S. Jérôme et
autres) : minutaglia (du pl. minutalia), bagatelle, futilité.

Modernus (pour la première fois dans Priscien, Cassiodore),
de l'adv. modo : it. esp. moderno, fr. moderne.

Molestare (Pétrone, Apulée et autres) : it. molestare.

Molina pour mola (Ammien Marcellin) : pr. molina ; masc.
it. molino, esp. molino, fr. moulin.

Morsicare, se mordre les lèvres (Apulée) : it. morsicare,
saisir avec les dents.

Murcidus, paresseux (seulement Pomponius dans S. Augustin) :
pg. murcho, mou, flétri.

Naufragare (Pétrone, Sid. Apollinaire) : it. naufragare,
esp. naufragar, fr. naufrager.

Nervium, gr. νευρίον, pour nervus (Varron dans Nonius,
Pétrone) : esp. nervio, pr. nervi.

Nitidare (Ennius, Palladius, Columelle) : it. nettare, fr.
nettoyer.

Obsequiæ pour exsequiæ dans les Inscriptions (voy. du
Cange) : v.-esp. pr. obsequias, fr. obsèques.

Obviare, mot postérieur aux bons siècles : it. ovviare, esp.
obviar (plus anciennement oviar et autres formes), fr. obvier.

Octuaginta pour octoginta (seulement dans Vitruve), très-fréquent
dans les chartes du moyen âge (cf. par exemple Hist.
patriæ monumenta
, n° 90, 98). L'it. ottanta est à cet octuaginta
comme settanta à septuaginta : les deux premiers de ces
mots peuvent devoir leur formes aux deux derniers. Ou bien
octuaginta a-t-il une raison d'exister ?

Olor pour odor (Varron, Apulée) : it. olore, esp. pr. olor,
v.-fr. olor.

Orbus pour cæcus : « orba est quæ patrem aut filios quasi
lumen
amisit » (Festus dans Paul Diacre, p. 183, et autres ; cf.
le Dict. étymol.) : it. orbo, val. pr. v.-fr. orb, m. s.17

Ossum pour os, ossis, archaïsme (Pacuvius, Varron et
autres) : it. osso, esp. hueso ; ces mots se rattachent mieux à
ossum qu'à os.

Pala pour scapula (Cælius Aurel.) : sard. pala, m. s.

Palitari, fréquent, de palari (Plaute) : de là p.-ê. it. paltone
(pourpalitone, comme faltare pour fallitare), vagabond,
mendiant.

Panucula pour panicula (Festus, p. 220 : « panus facit
deminutivum panucula ») : it. pannocchia, esp. panoja,
m. s.

Papa, mot enfantin pour père : fr. papa, etc. Voy. le Dict.
étymol
.

Papilio, dans le sens de tente (Lampridius et autres postérieurs) :
it. padiglione, esp. pabellon, fr. pavillon.

Paraveredus, de παρά et veredus, cheval de volée, cheval
léger (Cod. Théod., Cod. Justin.), b.-I. parafredus (Loi
Bav
.) : it. palafreno, esp. palafren, fr. palefroi.

Pauper, a, um (Plaute dans Servius, Gælius Aurelius) :
it. povero, jamais povere ; esp. pobre, mais pr. paubre paubra,
paubramen.

Pausare (Cælius Aurelius ; Végèce, De re vet.) : it. pausare,
esp. pausar, fr. pauser ; et dans un autre sens it. posare,
esp. posar, fr. poser.

Peduculus pour pediculus (Pelagonius) ; peduculus =
φθείρ (Gloss. Philox.) : pidocchio, esp. piojo, v.-fr. péouil,
fr. pou.

Pejorare (Julius Paulus, Cælius Aurelius) : it. peggiorare,
v.-esp. peorar, pr. peyorar, fr. empirer.

Petiolus, petit pied, queue de fruit (Afranius dans Nonius,
Celse, Columelle) : it. picciulo dans le dernier sens, val. picior,
pied.

Petricosus : « Res petricosa est, Cotile, bellus homo »
(Martial III, 63). Telle est la leçon des premières éditions ;
d'autres ont pertricosa ou prœtricosa. Petricosus signifierait
pierreux, difficile, ce qui rappellerait scrupulosus, de scrupulus,
dim. de scrupus, rocher. Cabrera (I, 12) y voit l'esp.
pedregoso, pierreux, qu'on rencontre dès 972 sous la forme
pedregosus. Honnorat donne le pr. mod. peiregous. Petricosus
ne peut, il est vrai, se tirer immédiatement de petra : il
manque un anneau intermédiaire, comme le montre la formation
de bell-ic-osus. Mais il semble que cet anneau, dont nous ne
18trouvons pas de trace en latin, ait été transmis aux langues
romanes, car on le retrouve dans d'autres mots : esp. pedr-eg-al,
champ pierreux ; pr. peir-eg-ada, tempête de grêle ; et elles
n'emploient le suffixe icus pour la formation de mots nouveaux
que dans des cas excessivement rares.

Pilare pour expillare (Ammien Marcellin) : pigliare, esp.
pr. pillar, fr. piller. Voy. le Dict. étymol.

Pipio, petit oiseau, petite colombe (Lampridius) : it. pippione
piccione
, esp. pichon, fr. pigeon.

Pisare pour pinsere (Varron) : de là esp. pisar, fr. piser,
val.pisà. De même pistare (Végèce, De re vet. Apulée) : it.
pestare, esp. pistar, pr. pestar.

Plagare pour plagam ferre (S. Augustin) : it. piagare,
esp. plagar llagar, pg. chagar, pr. plagar, v.-fr. plaier.

« Plancæ dicebantur tabulæ planæ » (Festus, p. 230 ; Palladius) :
piém. pianca, pr. planca, fr. planche.

Plotus, qui a les pieds plats (Festus) : de là sans doute it.
piota, semelle. Voy. le Dict. étymol.

Possibilis, déjà dans Quintilien, qui le traite de dura appellatio ;
fréquent dans les auteurs postérieurs, ainsi que possibilitas :
it. possibile, etc.

Potestativus (Tertullien) : pr. potestatiu, v.-fr. pœsteïf.

Præstus, de l'adv. præsto (Gruter Corp. Inscr. p. 669,
n° 4 ; L. Sal.) : it. esp. presto, pr. prest, fr. prêt.

Proba (Ammien Marcellin, Cod. Just.) : it. prova, etc.

Pronare, de pronus (Sid. Apollinaire), adpronare (Apulée) :
deprunar por el val, descendre dans la vallée (Pœma del Cid,
v. 1501). Subst. prunada, m. s. que caida ou desgracia
(Sanchez).

Propaginare (Tertullien) : propagginare, pr. probainar
(Gl. Occit.), fr. provigner.

Propiare pour prope accedere (S. Paulin de Noie) : it.
approcciare, pr. apropchar, fr. approcher.

Pullare pourpullulare (Galpurnius, ecl. V) : l'it. pollare
se rapproche plus de ce mot que de pullulare ; cf. pillola, ou
bien urlare de ululare.

Pullicenus pour pullus gallinaceus (Lampridius) : pr.pouzi,
fr. poucin ou poussin.

Putus pour puer, mot populaire : it. putto, esp. pg. puto.

Putillus, dimin. (Plaute) : it. putello. V. le Dict. étymol.

Quiritare. Voy. plus haut jubilare.19

Rallus, probablement dans le sens de mince ; vestis ralla
(Plaute) : esp. pg. ralo, fr. (pat.) rale, alban. ralę, m. s.

Rancor, rancune (S. Jérôme) : it. rancore, v.-esp. pr. rancor,
v.-fr. rancœur.

Refrigerium (Tertullien, Orose) : it. refrigerio, etc.

Reicere pour rejicere, employé au temps de Servius (cf.
Schneider, I, 581) : it. récere, cracher, avec une contraction
encore plus forte.

Rememorare (Tertullien) : it. rimembrare, v.-esp. pr.
remembrar, fr. remembrer.

Repatriare (Selin) : it. ripatriare, esp. repatriar, pr.
repairar, v.-fr. repairer.

Retractio, action de retirer, d'amoindrir : pr. retraissó, remontrance,
reproche.

Rostrum pour os, oris (Plaute, Lucilius, Varron, Pétrone,
Pandectes) : esp. rostro, pg. rosto, visage ; val. rost, bouche.

Ruidus, raboteux (Pline) : it. ruvido, m. s. (Voy. le Dict..
étymol.
) ; p.-ê. aussi esp. rudo.

« Rumare dicebant quod nunc ruminare » (Festus, p. 270,
271). A cette forme se rapporte l'it. rumare, qui pourrait cependant
venir de ruminare, comme nomare de nominare.

Rumigare pour ruminare (Apulée) : esp. rumiar.

Rumpus, vrille de la vigne qu'on fait courir d'un arbre à
l'autre (seulement dans Varron) : tessin. romp, m. s.

Ruspari, ruspare, fouiller, scruter (Accius dans Nonius,
Apulée, Tertullien ; cf. Festus) ; d'après Vossius le sens primitif
était gratter : l'it. ruspare confirmerait cette opinion.

Saga (Ennius), plus souvent sagum : it. saja, esp. pr. saya,
fr. saie.

Sanguisuga : « hirudine, quam sanguisugam vulgo cœpisse
appellari adverto » (Pline VIII, 10) : it. pg. sanguisuga,
esp. sanguija (pour sanjuga) sanguijuela, pr. sancsuya, fr.
sangsue.

Sapius pour sapiens, d'après le composé nesapius (Pétrone,
Terentius Scaurus) : it. saggio, esp. sabio, pr. sabi satge ; fr.
sage. Cf. Dict. étymol.

« Sarpere antiqui pro putare dicebant » (Festus, p. 322) :
de là v.-fr. sarpe, fr. serpe.

Scalpturire. Voy. le Dict. étymol. s. v. Scalterire, II a.

Scamillus, dans Priscien scamellum, dimin. de scamnum :
esp. escamel, pr. escaimel, v.-fr. eschamel.20

Senectus, comme adjectif, rare et archaïque (Freund), employé
par Lucrèce, Plaute, Salluste. Le mot esp., rare aussi,
senecho (muy senechas las quixadas, les joues vieilles, c.-à-d.
flétries, Cancionero de Baena, p. 106) ne peut régulièrement
venir que de senectus.

« Sermonari rusticius videtur, sed rectius ; sermocinari
crebrius est, sed corruptius » (Aulu-Gelle XVII, 2) : it. sermonare,
pr. sermonar, fr. sermonner.

Sifilare pour sibilare, forme vieillie d'après Nonius, s'est
conservé dans le fr. siffler.

Singillus, qui se déduit de singillarius pour singularius
(Tertullien) : pg. singélo.

Solitaneus pour solitarius (Theodorus Priscianus) : v.-fr.
soltain : les voies soltaines et gastes (Brut II, 291), m.-h.all.
Soltâne, le désert.

Somnolentus pour somniculosus (Apulée, Solin) : it. sonnolento,
esp. sonoliento, pr. somnolent. Somnolentia (Sid.
Apollinaire) : it. sonnolenza, etc.

Sortus : « surregit et sortus ponebant antiqui pro surrexit
et ejus participio, quasi sit surrectus (Festus, p. 297) : it.
sorto, de surgere.

Spatha, gr. σπάθη, instrument long et élargi pour remuer,
spatule, puis épée large, et sans doute dans ce dernier sens vocabulum
castrense
, déjà dans Tacite (Annal. XII, 35) : « gladiis
ac pilis legionariorum…, spathis et hastis auxiliarium » ; dans
Végèce (De re militari, II, 15) : « gladios majores, quos spathas
vocant », et autres. En roman le dernier sens s'est conservé
seul : it. spada, val.spate, esp. pr. espada, fr. épée.

Spathula, ordinairement spatula, dimin. du précédent, désigne,
comme aussi le gr. σπάθη, l'omoplate ou les grandes côtes
des animaux. Apicius dit spatula porcina : de là it. spalla, esp.
espalda, pg. espádoa, pr. espatla, fr. épaule.

Species, dans le sens d'épice (Macrobe, Palladius, etc.) : it.
spezie spezj, esp. especia, fr. épice.

Stagnum pour stannum, d'après les dérivés stagnatus,
stagneus : it. stagno, esp. estano, pr. estanh, fr. étain.

Stloppus, sclopius, bruit, détonation (Perse) : it. stioppo
schioppo
, m. s. De là aussi le b.-lat. sclupare (L. Sal.).

Striga, avec le double sens d'oiseau de nuit et de sorcière,
dans Pétrone et Apulée, a conservé le dernier en roman : it.
strega, pg. estria, v.-fr. estrie, val. strigóe.21

Struppus, lien, courroie (Gracchus dans Aulu-Gelle) : it.
stróppolo, fr. étrope, esp. estrovo, corde, bouée.

Subsannare, insulter, honnir (Tertullien, Némésien, S. Jérôme) :
v.-esp. sosanar, m. s., p.-ê. aussi pr. soanar, v.-fr.
sooner.

Suis pour sus (Prudence) : de là esp. sœz, sale ?

Tata, mot enfantin pour pater (Varron dans Nonius, Martial,
Inscr.) : it. (pat.) tata, val. tatę, esp. taita.

« Tauras vaccas stériles appellari ait Verrius, quæ non magis
pariant quam tauri » (Festus, p. 352, 353) : pg. toura, pr.
toriga, m. s. Le fr. taure a une autre signification.

Taxare, originairement avec le sens de tâter : « taxare pressius
crebriusque est quam tangere, unde procul dubio id inclinatum
est » (Aulu-Gelle, II, 6 ; cf. Festus). Ce sens, qui d'ailleurs
est constaté, mais n'est employé par aucun auteur, a persisté
dans l'itér. roman tastare= taxitare.

Termen pour terminus(Varro, De ling. lat.). L'it. termine
ne peut venir de terminus, ni même rigoureusement de termen ;
il suppose un acc. masc. terminem ; cf. terminibus qui distant,
dans les arpenteurs. Le plur. de termen, terminia, a produit
en b.-lat. d'un côté le sing. terminium, pr. termini ; de l'autre
le fém. terminia (voy. Pott, Zeitschrift für Alterthumswissenschaft,
XI, 486).

Testa, dans le sens de la boîte du crâne (Prudence, Ausone,
Cælius) : it. esp. pr. testa, fr. tête.

Tina, vase pour le vin (Varron dans Nonius) : it. esp. pr.
tina, fr. tine, alban. tinę, mot populaire.

Tinnitare, comme tinnire (Philomela) : fr. tinter.

Tragula pour traha, herse (Varron) : c'est tout à fait, comme
forme, le fr. traille, pont-volant.

Tribulare, tourmenter, vexer (Tertullien) : it. tribolare,
pr. tribolar, v.-fr. triboiller.

Trico, débiteur en retard, chicaneur (Lucilius) : comasq.
trignon, m. s.

Trusare, fréq. de trudere (Catulle) : lomb. trusà, pr. trusar,
heurter.

Turio, pousse, rejeton (Columelle) : cat. toria, marcotte,
provin.

Unio : 1° union, assemblage (Tertullien, S. Jérôme) : it.
unione, etc. ; 2° oignon (Columelle) : pr. uignon, fr. oignon.22

Vacivus (Plaute, Térence) : esp. vacio.

Valentia (Mævius, Titinnius, Macrobe) : it. valenza, etc.

Vallus, dimin. de vannus (Varron) : it. vaglio.

Vanare, tromper par de belles paroles (Accius dans Nonius) :
it. vanare, radoter, ordinairement vaneggiare ; esp. seulement
vanear, pr. vanar, hâbler.

Vanitare, itératif du précédent (S. Augustin, Oper. t. I, p.
437, 761) : it. vantare, etc.

Vasca-tibia (Solin) semble désigner une flûte traversière
(Freund) ; p.-ê. est-ce un pur hasard que la ressemblance de
ce mot avec le pr. bascunc (p. bascuenc ? Gl. Occit., Honnorat),
qui est traduit par de travers.

Vasum pour vas (Plaute, Caton, Pétrone, etc.) : it. esp. pg.
vaso, jamais vase.

Veruina, de veru (Plaute, cf. Fulgence) : it. verrina, foret.
L'u est tombé, comme cela arrive souvent.

Victualis (Apulée, Cod. Just.), victualia, subst. (Cassiodore) :
it. vettovaglia, esp. vitualla, pr. vitoalha vitalha, v.-fr.
vitaille ; de même dans les Form. Bignon, n° 13, vitalia
sans u.

Vidulus, coffre, malle (Plaute) : de là p.-ê. it. valigia, fr.
valise. Voy. le Dict. étymol.

Vilescere (Avienus) : v.-esp. vilecer, pr. vilzir.

Viscidus, gluant, pâteux (Theodorus Priscianus) : de là probablement
it. vincido, mou.

Vitulari, montrer de la joie, proprement sauter comme un
veau, de vitulus, si toutefois il ne faut pas prononcer vītulari
(Plaute, Ennius, Nævius et autres) : pr. viular, violar, jouer
du violon ; subst. víula víola ; it. esp. vióla, fr. vielle, b.-lat.
vitulus, m. s. Voy. le Dict. étymol.

Volentia (Apulée, Solin), mot rare d'après Nonius : it. voglienza,
vouloir, inclination.

Vorsare pour versare : v.-esp. bosar ou vosar, dans le sens
de l'it. versare, fr. verser.

Cette liste contient certainement plus d'un mot qui n'a pas le
droit d'être proprement appelé populaire. Mais comment éviter
toute erreur en pareille matière ? Pour prouver quelque chose, il
fallait accumuler les exemples : on peut en supprimer quelques-uns
sans que l'ensemble perde sensiblement de son effet. On peut
23croire aussi que les langues romanes ont créé de leur propre fonds
plusieurs des verbes composés qui figurent plus haut, comme
abbreviare, disseparare, incrassare, rememorare, ou des
dérivés tels que dulcire (cf. fr. aigrir, brunir, rougir), captivare,
frigidare, molestare, tinnitare, vanitare, amarescere,
vilescere, macror, malitas, solitaneus : car ces procédés
leur sont extrêmement familiers. Mais pourquoi deux créations
successives d'un seul et même mot ? Au reste les auteurs de
la décadence offrent bien des mots qui manquent à la littérature
antérieure et qu'il est impossible de regarder comme d'un usage
vulgaire ; ils semblent au contraire être en grande partie de libres
créations des écrivains, surtout des ecclésiastiques 16, et n'avoir
pénétré dans les langues nouvelles que par une voie purement littéraire.
Les mots les plus importants, dans la liste qui précède,
sont ces mots simples et usuels dont la littérature offre seulement
la mention ou de rares exemples, et dont plusieurs ont pris sur le
sol roman une importance et ont trouvé une diffusion considérable.
Tels sont, par exemple, bassus, boja, brisa, buda, burra,
campsare, crena, grossus, hapsus, hetta, maccus, olor,
planca, plotus, putus, rallus, ruspari, sarpere, stloppus,
struppus, tina. — Encore une question : N'y a-t-il pas des
primitifs qu'on ne trouve pas dans la littérature ancienne et qui
ont maintenu dans les langues néo-latines l'existence qu'ils avaient
dans le latin populaire, sans que nous en ayons eu la preuve ? La
possibilité de ce cas est incontestable ; mais il ne faut pas s'attendre
à ce qu'il se soit souvent produit ; car si la langue latine possédait
le primitif, elle avait autant de commodité et de penchant à
s'en servir que du dérivé. Cependant on rencontre quelques exemples
de cet accident, par exemple l'it. gracco, en lat. seulement
gracculus, geai ; pg. fraga, sol raboteux, lat. seulement fragosus,
âpre, inégal (voy. le Dict. étymol. II, 6) ; v.-it. marco,
maillet, lat. marculus ; it. mazza, esp. maza, pr. massa, fr.
masse, lat. mateola, fléau, qui suppose le prim. matea=mazza ;
it. mozzo, moyeu, lat. modiolus, de modius, inusité dans ce
sens ; v.-fr. sap, lat. sappinus ; val. vitę, bœuf (alb. vits, veau),
lat. vitulus. Il y a quelques simples dans le même cas, comme
esp. pr. cobrar, v.-fr. coubrer, lat. seulement recuperare ;
it. turare, esp. turar, boucher, lat. seulement obturare. Mais
ici la particule a pu si facilement tomber, qu'il faut être très-circonspect 17.
24— Les expressions techniques rares ont été à peu
près complètement exclues de la liste, parce que la rareté de leur
apparition ne tient pas à leur caractère populaire, mais bien à la
nature même de la chose qu'elles expriment. Mais c'est là un cas
où la philologie latine peut apprendre quelque chose des langues
romanes. Il y a, par exemple, dans les auteurs anciens un assez
grand nombre d'expressions d'histoire naturelle dont on ne peut
préciser le sens propre ; quand elles ont été transmises aux langues
nouvelles, on risque rarement de se tromper en y cherchant
leur sens. C'est le cas, par exemple, pour les mots avis tarda,
(esp. avutarda, fr. outarde), cæcilia (it. cicigna), carduelis
(it. cardellino), dasypus (esp. gazapo), farnus (it. farnia),
galgulus (esp. galgulo), gallicus canis (esp. galgo), gavia
(esp. gavia gaviota), melis (b.-lat. melo, onis, napol. mologna),
nepeta (esp. nebeda), opulus (it. oppio), secale (it.
segola, fr. seigle), tinca (it. tinca, fr. tanche).

Il est à peine besoin de remarquer qu'il y a aussi bien des mots
qui sont cités par les anciens comme populaires et dont la lexicologie
romane ne présente pas de traces.25

Les exemples d'archaïsmes ou d'idiotismes transmis aux langues
romanes par le latin populaire que nous avons cités jusqu'à
présent sont tous antérieurs au moyen-âge. Mais les éléments latins
de ces langues se divisent en deux séries, ceux qui nous sont
connus par les écrivains classiques, et ceux qui ont été empruntés
à la basse latinité. Ces derniers ne consistent parfois qu'en des
altérations de forme, comme cattare pour captare, colpus pour
colaphus, cosinus pour consobrinus ; ou bien ce sont des formations
nouvelles, comme auca, cappa, companium, furo,
plagia, poledrus ; pour d'autres l'origine latine ne s'établit que
par hypothèse. Sans aucun doute, il y a une partie de ces mots
qui ne date pas du moyen-âge, qui remonte jusqu'à l'antiquité.
On ne peut admettre, par exemple, que des mots comme auca,
furo, plagia, qui vers l'an 600 sont constatés dans l'usage
commun et reconnus pour latins, qui plus tard se retrouvent dans
presque toutes les langues romanes, soient nés dans les provinces
pendant l'intervalle de cent cinquante ans qui sépare cette époque
de la chute de l'Empire, et aient trouvé aussitôt un accueil dans
la langue littéraire du temps. En outre, auca pour avica est
évidemment une formation bien plus latine que romane, car les
langues nouvelles ne font presque jamais usage du suffixe ica ; et
furo a conservé en italien le sens qu'il a certainement eu à l'origine,
celui de maître filou, de voleur. Il y a même des mots romans
dont on ne retrouve pas le type en bas latin, et dont la forme
accuse une origine latine. Ainsi l'it. ripido, escarpé, indique un
modèle latin ripidus, car le roman n'emploie jamais le suffixe
idus à de nouvelles formations ; on a dit ripidus de ripa, comme
viscidus de viscus. Vouloir fixer l'âge d'un mot d'après la date
de son apparition dans un monument est un procédé, il est vrai,
diplomatiquement sûr ; mais précisément pour cela, c'est un procédé
superficiel, qui violente à chaque instant l'histoire de la
langue. Plus d'un mot contenu dans la liste qui précède aurait été
dévolu à la basse latinité, s'il ne s'était conservé par hasard dans
un écrivain isolé ; plus d'un mot roman d'origine latine, si le
même hasard ne lui avait pas donné son acte de provenance, aurait
été cherché, et peut-être trouvé, dans des langues étrangères.
C'est ce qui serait sans doute arrivé, par exemple, au mot it.
cansare, si Priscien ne nous avait conservé campsare
dans un fragment d'Ennius. Pour apprécier les mots romans et
bas-latins, il ne faut jamais oublier un point essentiel : c'est que
nous ne possédons du vocabulaire latin qu'un grand fragment, et
que l'état de civilisation où étaient parvenus les Romains, leurs
26arts, leur industrie et leurs mœurs supposent une provision de
mots bien supérieure à celle qui nous a été transmise. Beaucoup
de ces mots, surtout des expressions techniques, doivent être
devenus d'usage commun dans la basse latinité ; jusque-là une
grande partie était certes enfouie dans les glossaires 18.

Parmi les ouvrages des bas siècles qui offrent la plus riche
moisson de vieux mots romans, les lexiques sont les premiers.
En tête mérite d'être placé le livre du fécond et érudit évêque de
Séville, Isidore (mort en 635 ou 636), les Origines ou Etymologiæ,
surtout à cause des onze derniers livres. L'auteur n'avait
autre chose en vue que d'expliquer des mots appartenant à la
bonne latinité ; mais d'un côté il lui en échappe un assez grand
nombre de non latins, et de l'autre il désigne comme vulgaires ou
même déjà espagnoles plusieurs expressions qui se retrouvent en
effet pour la plupart dans la langue romane de l'Espagne. Le
grand avantage de ce livre sur les anciens glossaires, encore en
partie inédits, est moins la richesse que l'authenticité et la correction.
Parmi les autres, l'un des plus purs et des plus anciens
(VIe siècle) est celui de Placidus ; mais il est peu productif pour
notre usage. Le glossaire attribué à l'auteur des Origines, Isidore,
est d'une bien plus grande importance, quoiqu'il soit étrangement
altéré. L'auteur puisait encore, aussi bien que Placidus,
dans l'ouvrage complet de Festus ; mais il ne manque pas de mots
qui portent le cachet des bas temps : badare, ballatio, borda,
campio, cocistro, pilasca, pilottelus, etc. ; il en a même déjà
quelques-uns d'allemands, comme lecator, frea (ce dernier
d'après la Lex Longobardorum). Les glossaires grecs-latins
sont moins féconds ; mais les glossaires latins-allemands offrent
un riche butin. A leur tête il faut placer les Glosses de Cassel,
dont le manuscrit semble être du VIIIe siècle (publié par Wilhelm
Grimm, avec un fac-similé complet, Berlin, 1848). Il faut nommer
27ensuite le Vocabulaire de Saint-Gall, qu'on place au
VIIe siècle (publié dans Wackernagel, Lesebuch, 1, 27 ; dans
les Denkmäler de Hattemer, I, 11). Il y a encore d'autre travaux
de ce genre, quelques-uns bien plus étendus que les précédents,
qui nous fournissent avec de très-mauvais mots latins des
matériaux utiles pour l'étude historique des langues romanes :
tels sont les Glosses de Paris (publiées par Graff, Diutiska, I,
128), celles de Sélestadt (publiées par Wackernagel, Haupt's
Zeitschrift, V, 318), le Vocabularius optimus (p. p. Wackernagel,
Bâle, 1847), les Glosses latines anglo-saxonnes d'Erfurt
(p. p. Œhler, Jahrbücher der Philologie de Jahn et Klotz,
Supplément, XIII, p. 257 et suiv.), enfin quelques Dialogues
allemands-latins du IXe siècle (p. p. Wilhelm Grimm, Berlin,
1851). Ces monuments lexicographiques sont pourtant surpassés
par un texte de droit qui remonte aux premiers temps du
moyen-âge, et où l'expression romane se fait jour sans scrupule,
la Loi Salique (voy. l'important travail de Pott sur le côté philologique
de cette célèbre loi, dans Höfer, Zeitschrift, III, 13 ;
Aufrecht et Kuhn, Zeitschrift, I, 331). 19 Les autres lois germaniques,
en particulier la loi des Lombards que Pott a également
étudiée au point de vue philologique, les formules de droit, parmi
lesquelles celles de Marculf, qui datent en partie du VIIe siècle,
enfin les plus anciennes chartes appartiennent aux sources de la
lexicographie romane. Il faut ajouter à ces monuments du moyen-âge
les écrits les plus récents ou interpolés des arpenteurs
romains, spécialement les Casæ litterarum, texte à moitié barbare,
« le morceau de toute la collection le plus singulier et le
plus fortement corrompu par un long usage scolaire » (Rudorff,
p. 406-409) ; cf. Galvani, dans l'Archivio storico, XIV, 369 ;
Pott, dans la Zeitschrift für Alterthumswissenschaft,
XII, 219.

La liste ci-dessous offre un choix de formes et de mots bas-latins
qui se retrouvent en roman, et aussi, comme exemple,
divers mots classiques pris dans un nouveau sens. Elle se restreint
en général aux temps antérieurs à Charlemagne. On peut
dans cette période admettre une plus grande pureté de formes
28que dans les siècles suivants où la langue vulgaire, arrivée plus
loin dans son rapide développement, enrichit le bas latin d'un
plus grand nombre de formes altérées ou mal comprises. 110 L'inappréciable
Glossaire de Du Cange est la grande source où a été
puisée cette liste ; on a surtout voulu ajouter au terme bas-latin
les formes romanes les plus nécessaires, et, quand elle est tant
soit peu sûre, l'origine du mot lui-même.

Accega, bécasse (Gloss. Erford.) : it. acceggia, esp. arcea,
fr. (pat.) acée. On dérive ce mot d'acies.

Acia-= ala (Gloss. Isid.). Ce mot serait vraisemblablement
la racine du pg. aza, aile, s'il ne fallait plutôt lire axilla = ala
(cf. Grævius).

Aciarium, acciarium =. στομῶμα (Gloss. lat. gr.) : it. acciajo,
esp. acero, fr. acier. D'acies.

Adplanare (Gloss. Isid.) : it. applanare, pr. aplanar.

Ala : « inula quam rustici alam vocant » (Isidore, XVII,
11) : esp. pg. ala, it. ella, aunée, plante.

Amaricare pour amarum reddere (Class. auct. VI, 506) :
it. amaricare, esp. pr. amargar.

Ambactia, ambaxia, commission (L. Sal.), goth. andbahti,
it. ambasciata.

Amma : hæc avis (strix) vulgo dicitur amma ab amando
parvulos, unde et lac præbere fertur nascentibus » (Isid. XII,
7) : esp. pg. ama, seulement dans le sens de nourrice, bonne
d'enfant ; dans Hesychius ἀμμά, all. Amme.

Ascilla, ascella, métathèse essentiellement romane de axilla
(Isidore, Grég. de Tours et beaucoup d'autres) : it. ascella, pr.
aissela, fr. aisselle.

« Astrosus, quasi malo sidere natus » (Isidore, X, 13) : esp.
pr. astroso, malheureux.

Astrus, astrum, foyer, dér. astricus (Gloss. sangall.) : fr.
âtre, lomb. astrac, all. estrich.

Auca pour anser : « accipiter quiaucam mordet (L. Alam.) » ;
« aucas tantas, fasianos tantos » (Form. Marculf.) ; mot très-usité :
pr. auca, esp. auca oca, it. oca, fr. oie.29

Baburrus, stultus (Isid. 10, 31) : cf. it. babbaccio babbeo
babbuino
, lourdaud, rustre ; esp. babia, bêtise ; lat. babulus
pour fatuus dans Apulée.

Baia : « hunc (portum) veteres a bajulandis mercibus vocabant
baias » (Isid. XIV, 8) : it. baja, esp. bahía, fr. baie.

Ballare, d'après le subst. ballatio : « choreis et ballationibus »
(Gloss. Isid.) : it. ballare, esp. bailar, v.-fr. baler.Probablement
d'origine germanique.

Balma, grotte, se trouve, comme nom géographique, dans de
très-anciennes chartes : pr. balma, v.-fr balme baume. Origine
incertaine.

« Barbanus, quod est patruus » (L. Longob.) : it. barbáno.
De barba.

Baro, barus, homme, homme libre (L. Sal. L. Rip. L.
Alam
., et souvent) : it. barone, fr. baron, esp. varon. Sur
l'origine de ce mot important, voy. le Dict. étymol.

Basca, sorte de vase : « cum casa et furno et basca » (v. Maffei,
Storia diplomatica, n° 272, s. a. 650) : d'après Muratori,
it. vasca. De vas.

Baselus : « phaselus est navigium quem nos corrupte baselum
dicimus » (Isid., XIX, 1) : l'esp. baxel vaxel, qu'Isidore
avait en vue, répond à l'it. vascello, fr. vaisseau, et vient du
lat. vas, vasculum (cf. vascellus dans les Inscr.), car le ph au
commencement du mot ne devient guère b en espagnol.

« Bostar, locus ubi stant boves » (Gloss. Isid.) : esp. bostar,
pg. bostal, étable à bœuf.

Branca, griffe, dans les composés branca lupi, branca ursi,
dans un arpenteur (Lachmann, p. 309), branca leonis, assez
fréquent en b.-lat. noms de plantes : it. v.-esp. pr. branca,
fr. branche, val. brencę.

Caballicare : « si quis caballum sine permissu domini sui
ascenderit et eum caballicaverit » (L. Sal.), assez fréquent en
b.-lat. : it. cavalcare, esp. cabalgar, fr. chevaucher.

Cæcula, sorte de serpent (Isidore, XII, 4) : cf. it. ciecolina,
très-petite anguille.

Cai ou kai = cancellœ, c.-à-d. cancelli (Gloss. Isid.) :
esp. cayos (plur.), pg. caes, fr. quai. Cf. kymr. cae,
enceinte.

Caldaria (Grég. de Tours) : it. caldaja, esp. caldera, fr.
chaudière.

Cama : « in camis, i. e. in stratis », dit déjà Isidore (XIX,
3022), et dans un autre endroit : « cama est brevis et circa terram,
Græci enim χαμαὶ breve dicunt » (XX, 11) ; seulement esp.
Port. cama, lit, tapis, natte ; acamar, étendre par terre. L'étymologie
d'Isidore paraît la bonne.

Cambuta, cabuta, bâton tortu, dans une charte de l'an 533
(Bréquigny, n° 15 ; cf. Pertz, Monum. germ. II, p. 14) : esp.
gambote, bois tortu. Ce mot se rapporte à gamba.

Caminata, chambre à feu, dans le plus ancien b.-lat. : it.
camminata, salle ; fr. cheminée.

Caminus pour via : « quomodo currit in camino S. Pétri »,
dit une charte du roi Wamba : it. cammino, esp. camino, fr.
chemin. Cf. kymr. cam, pas.

Campana, cloche, parce que les cloches viennent de Campanie,
expliqué dans Isidore (XVI, 24) par statera unius lancis,
balance romaine : it. esp. pr. campana.

Campiones = gladiatores, pugnatores (Gloss. Isid.) : it.
campione, esp. campeon, fr. champion. De campus.

Canava = camea (caméra ?) post cænaculum, Gl. Isid. :
it. cánova, chambre aux provisions.

Canna, vase à boire : « cochleares, cultelas, cannas, potum »
(Fortunat, cf. du Cange) ; v.-fr. quenne, fr. canette, all.
kanne. Du lat. canna, roseau.

Capa, manteau, d'après Isidore (XIX, 31) : « quia quasi totum
capiat hominem » : it. cappa, esp. capa, fr. chape.

Capanna, hutte : « hanc rustici capannam vocant, quod
unum tantum capiat » (Isid. XV, 12) : it. capanna, esp. cabaña,
fr. cabane.

Capere pris intrans. dans le sens de pénétrer, prendre,
déjà dans la Vulgate : « sermo meus non capit in vobis » : de
même it. capére, esp. pr. caber.

Capitanus, capitaneus, dans le plus ancien b.-lat. : it. capitano,
esp. capitan, pr. capitani, v.-fr. chévetaine, fr. capitaine.

Capritus pour capellus, hœdus : « si quis capritum sive
capram furatus fuerit » (L. Sal.) : esp. cabrito, pr. cabrit, fr.
cabri, it, capretto ; n.-pr. cabridá, chevroter.

Caprio (Gloss. cass.) : esp. pr. cabrion, fr. chevron, m. s.
De caper.

Capulare : « si quis pedem alterius capulaverit » (L. Sal.) :
pr. chaplar, v.-fr. chapler, m. s. De capulus, garde d'épée,
épée.

« Capulum, funis : a capiendo, quod eo indomita jumenta
31comprehendantur » (Isid. XX, 16) ; it. cappio, nœud ; esp.
cable, fr. câble, m.-gr. καπλίον.

Cara, carabus. Voy. à la liste des mots grecs.

Carpa (Cassiodore et autres postérieurs) : esp. carpa, fr.
carpe, val. crap, it. carpione.

Casa pour domus dans le plus ancien b.-lat. bien que dans
Isidore casa soit encore traduit par « agreste habitaculum palis,
arundinibus et virgultis contextum » : it. esp. pr. casa,
val. case.

Casnus pour quercus, casnetum pour quercetum, ce dernier
déjà dans une charte de l'an 508 : « nemus quod dicitur Morini
Casneti » : v.-fr. caisne quesne chesne, fr. chêne, et de
casnetum, chênaie. C'est une corruption de quercinus.

« Casula, vestis cucullata, quasi minor casa » (Isid. XIX,
24) : esp. casulla, chasuble.

Cattare : cattus, quod cattat (var. catat, caplat), i. e. videt :
v.-esp. catar, m. s. ; h.-it. roum. catar, trouver ; val.
ceutà, regarder, trouver, surveiller. De captare (cf. Vossius
Etymol. s. v. Felis).

Causa pour res, dans le plus ancien b.-lat. et la Loi Salique :
it. esp. cosa, pr. causa, fr. chose.

Cecinus pour cygnus (L. Sal.) : it. cécino, cécero, esp. v.fr.
cisne. De cicer, it. cece, pois chiche, tumeur que le cygne a
sur le cou.

Ciconia : « hoc instrumentum (telon) Hispani ciconiam
vocant » (Isidore, XX, 15) : esp. cigüeña, piston de pompe.

Circare : circat = circumvenit (Gloss. Isid.) ; circat montem
(Casæ Utterarum, Lachmann, p. 326) : m. s. esp. pg.
cercar ; mais v.-pg. pr. cercar, it. cercare, val. cercà et
cercetà (circitare), fr. chercher dans le sens de quærere, proprement
tourner autour d'une chose.

Clida pour crates (L. Baiw.) : pr. cleda, fr. claie. Cf. irl.
cliath, etc.

Collina pour collis (Casæ lilterarum, Lachmann, p. 214) :
it. collina, esp. colina, fr. colline.

Colomellus : « hos (dentés caninos) vulgus pro longitudine
colomellos vocant » (Isidore XI, 1) : esp. colmillo, pg. colmilho.
De columella.

Colpus (Leg. barb.) : it. colpo, esp. golpe, pr. colp, fr.
coup. C'est une altération de colaphus ; aussi dans la Loi Salique
trouve-t-on colaphus pour colpus, et concurremment avec
ce dernier.32

Comba, vallée profonde ; cf. le nom géographique Cumba
dans une charte de 631 (Bréquigny, p. 136) : it. (pat.) comba,
gomba ; esp. pr. comba, fr. combe. De concava.

Combrus, amas de branchages (Gest. reg. Francorum) :
pg. combro, tas de terre ; it. ingombro, fr. encombre, obstacle.
De cumulus.

Companium, composé de cum et panis, société, amitié (L.
Sal.
) : de là l'it. compagnia, etc.

Condemnare aliquem, comme damnum adfere alicui (L.
Sal.
) : v.-fr. condemner, m. s. (voy. Zwei altromanische
Gedichte
, p. 50).

Contrariare (S. Prosper) : it. contrariare contradiare ;
esp. pr. contrariar, fr. contrarier.

« Cortinæ sunt aulæa » (Isidore, XIX, 26) : it. esp. cortina,
val. cortinę, fr. courtine. De chors, proprement quelque
chose qui entoure, qui protège.

Cosinus, abréviation de consobrinus, fém. cosina (Gloss.
sangall
.) : it. cugino, pr. cosin, fr. cousin.

Costuma pour consuetudo dans une charte de 705 ; coustuma
(Carpentier) : it. costuma, etc.

Crema pour cremor (Fortunat) : it. esp. pr. crema, fr. crème.

Cucus pour cuculus (Isid., XVII, 7) : vénit. pg. cuco.

Cusire, altération de consuere (Gl. Isid.) : it. cucire, val.
cose, esp. cusir coser, pr. cóser, fr. coudre.

Dativa pour donativa (Gloss. Isid.) : esp. dádivas.

Detentare (Fortunat et autres) : esp. detentar.

Diffacere (Capitula ad Leg. Sal. L. Longob.) :it. disfare,
esp. deshacer, fr. défaire.

Directum pour jus (Form. Marculf.) : it. diritto, esp. derecho,
fr. droit.

Discapillare, dépouiller quelqu'un de ses cheveux (L. Burg.
L. Alam.) : it. scapigliare, esp. descabellar, fr. décheveler.

Drappus pour pannus (L. Alam.Form.Marc) : it. drappo,
pr. drap, fr. drap, esp. trapo.

Esca, dans le sens d'amadou : « unde et esca vulgo dicitur
(fungus), quod sit fomes ignis » (Isidore, XVII, 10) : it. esca,
val. eascę, esp. yesca.

Exartum, lieu défriché, novale (L. Burg. L. Long.), d'où
exartare : pr. eissart, v.-fr. essart essarter. De ex et
sarritum.33

Exclusa (L. Sal. Grég. de Tours, Fortunat) : esp. esclusa,
fr. écluse.

Excorticare, enlever la peau (L. Sal.) : it. scorticare, esp.
escorchar, pr. escorgar, fr. écorcher. De cortex.

« Falcastrum, ferramentum curvum » (Isid. XX, 14 ; Grég.
le Grand) : it. falcastro, faux.

« Ficatum, quod Græci συκωτὸν vocant » (Gloss. Isid.), foie
d'un animal engraissé avec des figues : de la par généralisation
it. fégato, val. ficát, esp. higado, pr. fetge, fr. foie.

Flasco, vase (Grég. le Grand) ; flasca (Isid. XX, 6) : it.
fiasco, fiasca ; esp. flasco, v.-fr. flasche, fr. flacon. De vasculum
par transposition de l'l.

Focacius, gâteau cuit sous la cendre : « cinere coctus et reversatus
ipse est et focacius » (Isidore, XX, 2) ; it. focaccia, esp.
hogaza, fr. fouace.

Focus pour ignis (L. Alam. etc.) ; it. fuoco, val. foc, esp.
fuego, pg. fogo, pr. fuec, fr. feu.

Fontana pour fons (Casæ litterarum, L. Long.) ; originairement
aqua fontana (Columelle) ; mais l'adjectif finit, comme
souvent en roman, par avoir seul le sens de la locution entière :
it. esp. pr. fontana, fr. fontaine, val. funtune. Les deux dernières
langues ne possèdent pas le primitif.

Forestis, bois soumis aux privilèges de la chasse, laie, sous
cette forme et d'autres dans le plus ancien b.-lat., par ex. dans
la loi des Lombards : it. foresta, esp. floresta, fr. forêt. De foris,
proprement ce qui est en dehors du droit commun, ce qui est interdit.

Forisfacio = offendo, noceo (Gloss. Isid.). v.-it. forfare,
pr. fr. forfaire.

Fortia, forcia, dans le sens de vis (L. barb.) : it. forza, esp.
fuerza, pr. forza, fr. force.

Fundibulum pour infundibulum (Gl. Philox.) : esp. fonil,
pg. funil.

« Furo a furvo dictus, unde et fur, tenebrosos enim et occultos
cuniculos effodit » (Isid. XII, 2) : esp. huron, pg. furão,
v.-fr. fuiron, it. furetto, fr. furet. De fur ; cf. it. furone, archi-voleur.

Gamba (Gloss. cassel. et autres) : it. esp. gamba, pg. gambia,
fr. jambe, de même v.-esp. camba, rum. comba. Originairement
sans doute genouillère, du radical latin qui se trouve
dans cam-urus, cf. gr. καμπή.34

Gannat = χλευάζει (Gloss. lat.-gr.) , gannum (Gesta reg.
Franc
.) : it. inganno, esp. engaño, pr. engan, tromperie ;
verbe it. ingannare, val. ingęna. Probablement d'origine allemande.

Glenare : « si quis in messem alienam glenaverit » (Capit.
pacto L
, Sal. add.) : fr. glaner.

Granica pour horreum (L. Baiw.) : v.-fr. granche. Le fr.
grange peut venir de granea.

Gubia, et aussi guvia, gulbia, gulvia (Isid. XIX, 19) : esp.
gubia, pr. goiva, fr. gouge, ciseau de menuisier. Probablement
d'origine ibérique.

Gunna, vêtement (S. Boniface) : it. gonna, v.-esp. pr. gona,
v. fr. gonne.

Hostis pour exercitus (Leg.barb., Grêg.le Grand) : it. oste,
esp. hueste, pr. v.-fr. ost, val. oaste.

Incensum pour thus (Isidore, IV, 12) : it. incenso, esp.
incienso, pr. essès, fr. encens.

« Incincta, prægnans, eo quod est sine cinctu » (Isid., X,
151) ; it. incinta, pr. encencha, fr. enceinte.

Inculpare pour culpare (L. Sal.) : it. incolpare, pr. encolpar,
fr. inculper ; le lat. inculpatus signifie le contraire.

Infans, pris généralement pour puer, puella, p. ex. : « duos
infantes, unum qui habuit IX annos, alium qui habuit XI » (L.
Rip.
) : it. esp. infante, pr. enfan, fr. enfant, m. s. ; it. fante,
soldat à pied.

Insubulum (Isidore) ; it. subbio, esp. enxullo, fr. ensouple.

Iterare pour iter facere (S. Columban, Fortunat et autres) :
pr. edrar, v.-fr. errer.

« Labina, eo quod ambulantibus lapsum inferat » (Isidore,
XVI, 1) ; cf. lavina, chute, ruine, dans S. Jérôme d'après du
Cange : roum. lawina, v.-h.- all. lewina, v.-fr. lavenge, avalanche.

Latus, employé comme préposition : latus curte (L. Sal.),
latus se (Casæ litterarum), fréquent dans le b. lat. : pr. latz,
v.-fr. lez.

Lorandrum : « rhododendron, quod corrupte vulgo lorandrum
(var. lorandeum) vocatur » (Isid. XVII, 7) : c'est l'it.
esp. oleandro, fr. oléandre.35

« Mantum Hispani vocant, quod manus tegat tantum » (Isidore,
XIX, 24) ; mantum majorem (Charte de 542, Bréquigny,
n° 23) : it. esp. manto, fr. mante. Du lat. mantelum.

Marcus, malleus major (Isidore, XIX, 7), dans les classiques
seulement marculus : v.-it. marco.

Mare pour stagnum, lacus : « omnis congregatio aquarum
abusive maria nuncupantur » (Isidore, XIII, 14) : fr. mare.

Masca : « striga, quod est masca » (L. Longob.) ; mascus
= grima (Gloss. anglos.). Le mot est roman dans les deux
sens ; p. ex. : piém. masca, sorcière ; fr. masque, it. maschera
= larva
.

Matrina, matrinia, dans un double sens : 1° noverca
(L. Longob.) ; 2° marraine (Cap. Caroli Magni) : it. matrigna
madrina
, esp. madrina, fr. marraine.

Merces, dans le sens de compassion, pitié, dans Grégoire le
Grand et beaucoup d'écrivains postérieurs : it. mercè, esp. merced,
fr. merci.

Milimindrus ou milimindrum, jusquiame : « hanc (herbam)
vulgus milimindrum dicit (Isid., XVII, 9) : esp. milmandro,
pg. meimendro. Origine inconnue.

Monitare pour monere (Fortunat) : de là pr. monestar,
esp. amonestar, fr. admoneter ?

Montanea pour montana, scil. loca, aussi montania,
d'après l'adj. montaniosus (Casæ litterarum), l'opposé de
campania (voy. la 1re liste) : it. montagna, etc.

Mucare, muccare, comme emungere (L. Rip, ) : fr. moucher,
mouchoir. De mucus.

Mustio : « Bibiones sunt qui in vino nascuntur, quos vulgo
mustiones a musto appellant (Isidore, XII, 8) : it. moscione,
petit insecte ailé.

Muttum = γρύ (Gloss. lat.-gr. ), c'est-à-dire grognement,
murmure, pris plus tard dans le sens de verbum : it. motto,
esp. mote, pr. fr. mot. Le classique muttire ne se retrouve
que dans le pr. v.-fr. motir.

Nario = subsannans (Gloss. Isid.) : v.-h.-all. narro, comasq.
nar.

Natica, dérivé de natis, et employé dans le m. s. πυγή = natica
(Gloss. gr.-lat.) ; nates = natices (l. naticæ, Gloss.
Paris
, éd. Hildebrand) : it. natica, esp. nalga, v.-fr. nache.

Natta pour matta : « illud quod intextis junci virgulis fieri
solet, quas vulgo nattas vocant. » (Grég. de Tours) : fr. natte.36

Necare, negare pour aqua necare (L. Burg. Alam. etc.) :
it. annegare, esp. pr. negar, fr. noyer.

Olca, olcha : « campus tellure fœcundus ; tales enim incolæ
(Campani) olcas vocant » (Grég. de Tours) : v.-fr. ouche
osche
. Cf. gr. ὤλκα.

Padulis pour paludis dans le plus ancien b.-lat. : it. padule,
pg. paúl, esp. paul-ar.

Pagensis, déjà dans Grég. de Tours, dans la Loi lombarde,
et avec le double sens de campagnard et de compatriote : v.-esp.
pages, pr. pages, m. s.

Pantanum, comme palus, udis, mot répandu partout, bien
qu'il apparaisse pour la première fois dans une charte de Charlemagne :
it. esp. pg. pantano, rum. pantan.

Parcus, parricus, lieu entouré de haies (L. Rip. L.Angl. ),
parc (L. Baiw.) : it. parco, esp. parque, fr. parc. Sans doute
du lat. parcere, épargner (protéger).

Pariculus pour par : « hoc sunt pariculas causas, charta
paricla » (Form. Marc) ; it. parecchio, esp. parejo, fr.pareil.

Pecora pour pecus, oris (Gloss. sangall.) : it. pecora, fr.
pécore.

Petium et autres formes, pour dire morceau de terre, champ :
it. pezzo pezza ; esp. pieza, fr. pièce.

Pirarius pour pirus (L. S al. Capit. de villis) : pr. peirier,
fr. poirier.

Placitum, assemblée délibérante, dans le plus ancien b.-lat. :
it. piato, esp. pleito, v.-fr. plaid.

Plagia pour littus (Grég. le Grand) : it. piaggia, esp. plaga,
fr. plage. De plăga.

Prægnus au lieu de prægnans : prægnum jumentum
(L. Alam.) : de là l'it. pregno, a, tandis que le pg. prenhe,
pr.prenh (sous la forme fém. prenha), viennent de prægnans
ou prægnas.

Præstare pour mutuo dare (Salvien, Fortunat, L. Sal.) :
it. prestare, esp.prestar, fr. prêter.

Pretiare pour pretium ponere (L. Alam., éd. Herold,
Gassiodore ; cf. Funccius, De inerti ling. lat. ætate, p. 708) :
it. prezzare, esp. preciar, fr. priser, aussi v.-h.-all. prîsen.

Prostrare pour prosternere, formé d'après le part, prostratus
(cf. Funccius, l. c., p. 714) : it. prostrare, pr. prostrar,
esp. postrar.37

Pulletrus, poledrus pour pullus equinus (L. Sal. L.
Alam.
) : it. polédro pulédro, esp. potro, v.-fr. poutre. De
pullus ; cf. le fr. poulain.

Rasilis, sorte d'étoffe : « ralla, quæ vulgo rasilis dicitur »
(Isidore, XIX, 22) : esp. rasilla, espèce de serge.

« Redulus = strues lignorum ardentium » (Gloss. Isid. ) :
v.-fr. ré red, m. s., de rete, réseau, grillage, puis bûcher
arrangé en grillage.

Regnare, dans le sens de se conduire, vivre : « bonum tibi
est luscum in vita regnare » (Matth. XVIII, 9, dans Tatien) :
pr. renhar, v.-fr. régner, m. s.

« Retortæ, quibus sepes continentur » (L. Sal.) :it. ritorta,
pr. redorta, v.-fr. riorte, hart, lien d'osier.

Ruga = platea, ἀγυία (Gloss. vett..) : v.-it. ruga, esp. rua,
fr. rue. Proprement sillon, d'où ligne, file.

Salma. Voy. σάγμα dans la liste des mots grecs.

Sarna : « hanc (impetiginem) vulgus sarnam appellant »
(Isidore, IV, 8) : esp. pg. sarna, m.-s. Vraisemblablement
ibérique.

Sarralia : « lactuca agrestis est, quam sarraliam nominamus »
(Isid. XVII, 10) : esp. sarraja, pg. serralha.

Semus pour mutilus, simare pour mutilare (Form. de Pithou,
Cap. ad leg. Alam. L. Long. ) : it. scemo scemare,
pr. sem semar, v.-fr. semer. Du lat. semis.

Singularis = epur (aper, Gloss. Sangall.), mot très-fréquent :
it. cinghiale, pr. senglar, fr. sanglier.

Soca, soga, corde, courroie (Charte du VIe siècle, L. Long.) :
it. (pat.) esp. pg. soga.

Solatiari, solaciare (Grég. le Grand, L. Long.) : it. solazzare,
esp. solazar, pr. solassar, v.-fr. solacier.

Sparcus, spacus, ficelle (v. Graff, V, 239) : it. spago,
hongrois sparga.

« Taratrum quasi teratrum » (Isid. XIX, 19) ; taradros
= napugêrâ, vrille (Gloss. Cass.) : esp. taladro pour taradro,
pr. taraire, fr. tarière, rum. teràder. Du gr. τέρετρον.

Testimoniare (Cap. ad Leg. Sal. Form. Marc. I, 37 ;
Diploma Theodorici III, Bréquigny, n° 195, et fréquemment
plus tard) : it. testimoniare, fr. témoigner, etc.

Thius. Voy. Θεῖος dans la liste des mots grecs.38

Tornare dans le sens de verti (Edict. Rotharis, etc.) : it.
tornare, esp. prov. tornar, fr. tourner.

Troja = , sus (Gloss. Cass., etc.) : it. troja, v.-esp.
troya, pr. trueia, fr. truie. Du nom de la ville de Troie. Voy.
le Dict. étymol.

Troppus pour grex, turba : « in troppo de jumentis » (L.
Alam.
) : esp. tropa, fr. troupe ;it. troppo, fr. trop. Sans doute
de turba.

Tructa : « quos (pisces) vulgus tructas (var. bruccas)
vocat » (Isid. XII, 6) : it. trota, esp. trucha, fr. truite. Du
gr. τρώκτης ?

Turbiscus, sorte d'arbrisseau (Isidore) : esp. torvisco, pg.
trovisco.

« Tordela (var. turdella), quasi minor turdus » (Isid. XII,
7) : it. esp. tordella, grive. Ce mot rappelle le fém. turda dans
Perse ; le lat. n'a que turdillus.

Varicat = ambulat (Gloss. Isid.) : it. varcare, parcourir,
de varicare, écarter les pieds l'un de l'autre.

Vassus, serviteur (Leg. Barbar.) : it. vassallo, esp. vasallo,
fr. vassal, kymr. gwâs.

Vermiculus, adj. de vermis, avec le sens de coccineus, fréquent
dans le plus ancien b.-lat. : it. vermiglio, esp. bermejo,
fr. vermeil.

Viaticum, dans le sens de voyage : « deducit dulcem per
amara viatica natam » (Fortunat) : it. viaggio, etc.

Virare, même sens que gyrare (L. Alam.) : esp. pr. virar,
v.-fr. virer. Cf. le lat. viria, bracelet, c'est-à-dire rond de bras,
ornement arrondi.

Virtus dans le sens de miracle, déjà dans la Vulgate : « et
non poterat ibi virtutem ullam facere » (Marc, VI, 5), fréquent
plus tard : pr. vertut.

L'accord fréquent de tous les dialectes romans dans l'emploi
des mots, des formes ou des sens rapportés dans ces deux listes,
est, avec leur construction grammaticale, la plus certaine preuve
de leur unité originaire ; cette unité ne peut se supposer que
dans l'idiome populaire des Romains, d'autant plus que la langue
valaque, séparée de très-bonne heure des autres, ne peut leur
avoir emprunté ces éléments, qui lui sont communs avec elles,
39et ne peut les posséder, de même que ses sœurs, que comme un
patrimoine transmis par la langue-mère.

Au reste, il serait bien surprenant qu'il n'y eût pas aussi
entre les divers idiomes des divergences fréquentes pour l'expression
d'une même idée. Ces divergences ont pu être amenées par
plusieurs causes dont nous ne voulons pas faire mention ici. Nous
donnons seulement quelques exemples pris dans les substantifs :

Vir : it. uomo, fr. homme, esp. varon, val. bęrbat.

Puer : it. fanciullo, ragazzo ; esp. muchacho, rapaz,
niño ; pr. tos ; fr. enfant, garçon ; val. fęt, copil.

Frater : fr. frère, val. fratre, it. fratello, esp. hermano.

Patruus, avunculus : fr. oncle, val. unchiu ; esp. tio, it.
zio ; roum. aug.

Patruelis, consobrinus : it. cugino, fr. cousin ; esp. primo ;
pr. quart ; val. vęr.

Vitricus : val. vitrég, it. patrigno, esp. padiastro, fr.
parastre, beau-père.

Ovis : val. oae, esp. oveja ; it. pecora ; pr. feda ; fr. brebis ;
roum. nurssa.

Aries : it. montone, esp. morueco, fr. bélier, val. berbeace,
roum. botsch.

Canis : it. cane, val. cųnę, fr. chien, esp. perro, cat. pr. gos.

Vulpes : it. volpe, val. vulpe, esp. vulpeja, raposa, zorra ;
fr. renard.

Mus :roum. mieur ; it. topo, sorcio ; val. soarece, fr. souris,
esp. raton.

Quercus : it. quercio, fr. chêne, esp. carvallo, carrasca ;
roum. ruver, val. steźarin.

Malus : it. melo, val. mer, esp. manzano, fr. pommier.

Caryophyllum : it. garofano, esp. clavel, fr. œillet, roum. negla.

Domus : it. esp. casa, val. casę, fr. maison.

Via, platea : it. strada, esp. calle, fr. rue ; roum. gassa,
val. ulitzę.40

Si les langues nouvelles ont conservé et fait fleurir beaucoup
de mots oubliés ou peu usités de la langue du Latium, d'un autre
côté elles ont perdu une masse bien plus considérable des mots
latins les plus usuels. Avant de rechercher, autant qu'il nous le
sera possible, les causes de cette perte, il est bon de mettre sous
les yeux du lecteur une partie de ces mots perdus par le roman,
rangés en séries analytiques. Il ne s'agit, bien entendu, que de
l'élément populaire des langues romanes. Il y a beaucoup de
mots latins qu'elles ne possèdent que comme expressions poétiques,
et de ceux-là les uns leur sont parvenus par une voie
purement littéraire ; les autres ont été, pendant un temps, réellement
usuels, et ont vieilli ensuite ; les derniers seuls doivent être
regardés comme romans 111. On doit écarter aussi des éléments
constitutifs des langues romanes un grand nombre d'expressions
techniques qui sont empruntées au latin et sont désignées comme
latines par les dictionnaires. Il y a d'autres mots qui, sans être
aussi décidément étrangers à la formation originaire, sont évités
dans l'usage et remplacés par des synonymes : la liste ci-dessous
les notera, en indiquant la langue qui les tolère. Nous
ferons, pour cette fois, abstraction complète du valaque et des
patois.

I. Substantifs.

Monde, terre, éléments. — Sidus, orbis. Tellus, humus,
rus, pagus, plăga, arvum, clivus, tumulus, rupes, cautes,
specus, antrum, scrobs (it.), latebra (it.). lucus, nemus.
Trames. Uligo
, cœnum, limus (à peine roman). Æquor, fretum,
amnis, imber, ros (pr. très-rare). Æther, procella.
41Ignis, fulmen (it.), pruna, torris, nitor (it.), jubar, œstus.

Temps. — Ævum. Ver (pr. v. fr.), hiems. Hebdomas.
Diluculum
, aurora, meridies, vesper (rom. dans un autre
sens).

Animaux. — Bellua (it. belva, poét.). Equus (rom. au
fém.), mannus, hinnus, caper (rom. au fém.), hœdus, hircus,
ïbex, ovis, aper, sus, meles, hystrix, eres, felis, nitela,
mustela, mus. Volucres, alites, milvus, nisus, tinunculus,
noctua (seulement it. nottola), ulula (à peine rom.), psittacus,
alcedo, monedula, fringilla (it. fringuello), motacilla,
ficedula (esp.), regulus (it.), parus, apus, ardea, butio
larus
(esp.), anser, olor, merops, vipio. Testudo (seulement
it. testuggine), saurus, anguis (fr. anguille), boa. Squalus,
lupus, platessa, mustela, sparus, labrus, glanis, silurus,
fario, mugil, clupea (it. chieppa ?), halex (it. alice, sardine),
cyprinus, alburnus, esox, et autres noms de poissons.
Cicindela, nepa, culex, asilus, volvox. Hyrudo, mya, spondylus,
murex, teredo.

Corps humain. — Sinciput, occiput, mala, gena, os (oris),
rostrum (esp.), guttur (fr. goitre), jugulum, frumen,
rumen, uber, abdomen, alvus, tergum, anus, natis, clunis,
artus, armus, lacertus (it. rare), scapula, ulna, vola, femur
(it.), crus, genu, poples, sura, talus, unguis, vertibulum.
Cutis
, scortum, cœsaries, vellus, juba. Hepar, jecur,
splen, lien, ilia, adeps (it.), arvina, bilis, cruor. Lues.
Vibex
, nævus (it.), vulnus, funus.

Végétaux. — Les noms des arbres, des arbrisseaux, et même
des petites plantes, sont restés, pour la plupart, dans les langues
romanes. On ne retrouve pas : siler, tibulus, tinus, cratægus,
arbutus (fr. arbousier), paliurus (it.), lappa, gramen, ador,
alica (v.-esp.), sandalum, arundo. Sentis, dumus, vepres,
surculus, termes, palmes, etc.

Minéraux. — Les mots de cette classe, assez peu nombreux,
par exemple les noms de métaux et de pierres précieuses, se
sont aussi conservés pour la plupart. Manquent : lapis, scrupus,
calculus, schistus, æs, chalybs, magnes, etc.

Hommes. — Vir, mas, liberi, nothus, puer, puella, pusus,
adolescens, ănus. Avus (it. v.-fr.), patruus, matertera,
vitricus, noverca, privignus, levir, glos, conjux, uxor (v.fr.).
Herus, civis, verna, præs, vas. Socius (à peine rom.),
sodalis. Qualifications morales : nebulo, tenebrio, verbero,
fur, leno, pellex, scortum et autres.42

Agriculture. — Prædium, ager, lira, seges, merges,
messis. Simila (v.-fr.), pollex, pabulum. Ligo (esp.), pastinum,
rallum, volgiolus. Horreum, hara. Agricola (à peine
rom.), vinitor, villicus, opilio, subulcus, agaso.

Guerre, armes. — Bellum, prœlium, certamen, clades
(it.). Actes, agmen, cohors, castra. Thorax, ancile, clypeus,
parma, pelta, umbo, cassis (idis), galea, ensis, cuspis,
pugio, sica, jaculum, pilus, venabulum, veru, telum,
vexillum. Miles, tiro, eques, pedes, veles, lixa, calo.

Navigation. — Linter, cymba, celox, faselus, liburnus,
ratis. Malus, carbasus, tonsa, rudens, statumem, tonsilla.
Classis. Nauta
, remex.

Métiers. — Ærarius, cæmentarius, caupo, cerdo, fartor,
fidicen, figulus, histrio (à peine rom.), infector, institor,
lanius, mango, molitor, olitor, pellio, pincerna, pistor,
restio, scriba, sutor (fr. Lesueur, nom propre), tibicen,
tonsor, tornator (fr.), vespillo, vietor ; auriga.

Maison. — Ædes, domus (rom. dans un sens spécial).
Atrium, hypocaustum, thalamus (à peine rom.), aula,
culina, popina. Lacunar, laquear, fornix, janua, foris,
posticum, valva (it.), cardo, repagulum, pessulus, obex,
limen. Tignum, vibia, later, pluteus. Urbs, oppidum, arx,
mœnia, minæ ; angiportus (it.), fundula. Fanum, ara (inusité).

Vases. — Acerra, cacabus, cadus, calathus, cantharus,
clibanus, corbis (v.-esp.), crumena, fidelio, hama, hamula,
hydria, lagena, lebes, marsupium, matula, patena (à peine
rom), pelvis, pera (it.), poculum, qualum, scutra, scyphus,
seria, sinum.

Nourriture, boisson. — Offa, victus (it.), edulium, daps,
obsonium, assum, farcimen, hilla, cibum, laganum, placenta,
collyra. Penus. Potus, merum, mulsum (it.), vappa.
Convivium
(à peine rom.), epulæ, jentaculum.

Toilette. — Amictus, péplum, trabea, læna, chlamys,
penula, palla, supparum, subucula, interula, indusium,
rica, lacerna, lacinia. Pileus. Ocrea, pero, caliga, crepida.
Tænia
, redimiculum, torques, limula, inauris, spinther,
fucus.

Instruments divers. — Currus (it.), plaustrum, carpentum,
rheda, cisium, essedum, sarracum. Cunæ, lodia, cervical,
pulvinus, stragulum, teges. Fides, lituus, tintinnabulum.
Aléa, pila (esp.), crepundia (it.). Acus (it.), calcar,
43viriculum, dolabra. Asser, rudis, sudes, trudis, scipio,
vacerra, vectis, trua, uncus ; strues, rogus. Amentum (v.esp.),
lorum (pg.) funis (it.), habena, scutica, verber ;
cassis
, verriculum. Trutina.

Mots collectifs. — Caterva, cœtus, concio (à peine rom.).
congeries.

Mots abstraits. — Algor, angor, ærumna, luctus, metus
(esp.), formido, spes, cupido, fastus, voluptas, optio, preces,
astus, dolus (it.), versutia, nequitia, insania, vecordia, desidia,
ignavia, inertia. Mos (fr.), usus, munus, vis, robur,
decus, lepor. Jus, fas, nefas, jussus, venia, conatus, ultio,
facinus, probrum, flagitium, mendacium, jurgium, conflictus,
ictus, alapa, nugæ, ludus, suavium, osculum (au
sens lat.), fœdus, conjugium, connubium, auxilium, ops,
divitiæ, ubertas, defectus (it.), egestas, inopia, penuria.
Motus
(it.), iter (v.-fr.), initium, eventus, obitus, letum,
nex, exitium. Omen, fascinium. — Ces mots, et d'autres
abstraits, peu usités dans la vie ordinaire, trouvent pour la plupart
une fréquente application dans le style poétique.

II. Adjectifs.

Æquus, almus, ater, canus, celer, claudus, creber,
dives, exiguus, exilis, faustus, flavus, fulvus, galbus, gilvus,
glaber, glutus, inanis, ingens, lævus, limus, luxus,
mæstus, magnus (à peine roman), mitis, navus, necesse,
nequam, parvus (à peine esp.), paullus, perperus, pinguis
(esp. prengue ?), potior, priscus, privus, probus, procerus,
pronus, puber, pulcher (it.), pullus, putus, ravus,
sævus, satur, saucius, scævus, segnis, senex (pr.), serus,
squalus, strabus, teres (esp.), trux, tutus, udus, vafer,
vulgus, vatius, vetus, vetustus, vigil.

III. Verbes.

1re Conjugaison. — Bicare, flagitare, flare, hiare, hortari,
inchoare (pr.), lurcari, manare, meare, migrare,
morari (seul. esp. morar), nare, patrare, placare, potare,
properare, solari, spectare, venari, viare.

2e Conjugaison. — Algere, arcere, augere, carere,
cavere, censere, decere, docere, egere, favere, flere,
fovere, frigere, hærere, horrere, invidere, jubere, latere,
libet, lugere, madere, mederi, mœrere, nere, nitere, oportere,
patere, pavere, pigere, pollere, polliceri, præbere
44(pr. plevir), pudere, rancere (fr.), reri, rigere, silere,
spondere, studere (v.-fr. estovoir ?), suadere, tabere, tædere,
tepere, terrere, torquere, tueri, tumere, turgere, urgere,
vegere, vereri, vigere, vovere.

3e Conjugaison. — Alere, amittere, cædere, canere,
cogère, colere (à peine pr.). consulere, contemnere, deficere,
degere, demere, deligere, edere, emere, fidere, fieri,
fluere, frendere, frui (à peine rom.), fungi, furere, gerere,
gignere, jacere, induere, interficere, labi, linere, linguere,
loqui, ludere, luere, mandere, mergere (it.), metuere,
nectere, ningere, niti, noscere, nubere, oblivisci, pangere,
parere, pellere, pergere, petere (esp.), pinsere, plaudere,
plectere, poscere, prodere, proficisci, queri, repere, ruere
(à peine rom.), scabere, scalpere, scandere, scindere, serere,
sinere, spernere, spuere, sternere, strepere, sugere (it.),
suere, sumere, turgere, terrere, trudere, ulcisci, urere,
uti, vehere, vergere, verrere, vesci, viscere.

Conjugaison. — Farcire, haurire, invenire, metiri,
moliri, oriri, nequire, sarcire, sarrire, scire, vincire.

Verbes irréguliers. — Ferre, nolle, malle ; cœpisse,
meminisse, novisse, odisse ; aio, inquam.

Nous ne nous occuperons pas pour le moment du sort des
pronoms et des particules.

Si l'on embrasse maintenant d'un coup d'œil les mots contenus
dans cette liste, mots dont les uns sont des primitifs et
dont les autres représentent les notions les plus usuelles et les
plus importantes, on reconnaîtra que la perte n'est pas très-considérable
dans les substantifs et les adjectifs, mais qu'elle
est énorme dans les verbes radicaux, bien que tous ceux qui
ont disparu ne soient pas, à beaucoup près, énumérés ici ; or
ces verbes constituent proprement la richesse de la langue.
Mais la disparition de tant de mots essentiels n'entraîne pas
nécessairement celle de leurs racines. La plupart se sont perpétuées
dans les langues nouvelles par des dérivations ou des
compositions dont les unes existaient déjà en latin, et dont les
autres ont été créées de première main par les idiomes romans.
En effet, ces idiomes ont développé avec la plus grande énergie
la faculté de formation et d'assimilation, et les mots que l'emploi
de cette faculté leur a donnés dépassent de beaucoup en
45nombre ceux que leur avait légués la langue mère. La perte
d'éléments anciens, l'introduction d'éléments nouveaux, la bifurcation
fréquente d'un mot en deux 112, la création des formes les
plus variées, offrent le champ le plus riche aux réflexions de
celui qui voudrait rechercher les causes de ces divers phénomènes.
Mais nous nous bornerons ici à signaler, parmi les
causes qui ont fait s'effacer tant d'éléments latins, celles qui
sont le plus faciles à constater et qui ont aussi la plus grande
influence. Les mots trop courts ou même trop peu sonores
devaient naturellement être évités par une langue qui, rejetant
systématiquement certaines consonnes finales, par exemple m
ou s, rétrécissait encore leur forme. Que pouvait faire le roman
de mots comme rem, spem, vim (nous prenons ici l'accusatif
pour type), comme fas, vas, æs, os, jus, rus ? ou bien de mots
disyllabiques sans consonne au milieu, comme reum, diem,
gruem, luem, struem, suem ? Quelques-uns d'entre eux se
sont cependant maintenus, rem en v.-esp. et en fr., spem en
it., vas partout en revêtant la forme vasum, reus en it., diem
dans presque toutes les langues, gruem dans toutes. Deus ne
pouvait pas être remplacé, bien que sa permutation n'ait pas eu
lieu partout régulièrement. Il y avait encore beaucoup de disyllabes,
de trisyllabes même, avec une consonne au milieu, qui
ne donnaient pas des formes sonores remplissant bien l'oreille,
et cela n'a pas été sans influence, au moins pour les mots de
l'usage quotidien. Mais ici il faut distinguer d'après la nature
des diverses langues : celles du nord-ouest avec leur tendance
plus analytique devaient plus que les autres éviter ces formes ;
celles du sud supprimaient souvent la consonne médiale, sans
changer autrement le mot (le fr. a tiré de radicem le dérivé
radicina, racine, tandis que l'esp. dit raiz). On peut donner
comme exemples : ile ou ilia, hiemem, genu, agnum, ignem,
aurem, narem, erem, herum, rorem, aurem, murem, et
aussi apem, ovem. — Ces mots, qui n'avaient pas assez de
corps, furent souvent supplantés par d'autres : res par causa,
vis par fortia, fas et jus par directum, os par bucca, rus
par campania, sus par troja, ignis par focus, herus par
patronus ou magister, crus par gamba, mus par sorex ou
talpa. Ou bien on mit à leur place des dérivés de la même
racine : sperantia pour spes, æramen pour æs, diurnus
pour dies, iliare pour ile, hibernum pour hiems, genuculum
46pour genu, agnellus pour agnus, auricula pour auris
narix (it. narice) pour naris, ericius pour eres, roscidum et
autres pour ros, avicella pour avis, ovicula pour ovis. Au
reste, l'extension des formes, surtout par des diminutifs, comme
dans toutes les langues populaires, est un des principes du roman,
et s'exerce même sur des mots où le primitif ne péchait pas par
trop de brièveté ; les dérivés fournis par le latin ou créés par
le roman remplacent le primitif et le font la plupart du temps
disparaître : c'est ainsi que de vulpes, sciurus, luscinia, rana,
apis, lappa, corbis, colus, on a conservé les diminutifs vulpecula,
sciurulus, cornicula, lusciniola, ranicula, apicula,
lappula, cornicula, coluculus ; de melis, milvus, culex,
quercus, natis, limes, on a formé les dérivés mologna (napol.)
milvanus, culicinus (fr. cousin), quercea, natica, limitare.

La nouvelle langue ne pouvait plus admettre aussi aisément
que l'ancienne des mots homonymes ou ayant une grande ressemblance,
car elle avait perdu deux puissants moyens de les
distinguer : d'abord la prononciation nette et distincte des
consonnes, altérées par l'assimilation et d'autres causes (actus
et aptus deviennent en it. atto) ; puis la quantité, très-imparfaitement
remplacée par la diphthongaison des brèves accentuées.
Beaucoup des mots de cette classe, surtout s'ils étaient du même
genre, devaient donc être sacrifiés à la clarté. Le subst. vir,
par exemple, au grand détriment de la langue, a cédé à verus,
parce que tous deux auraient donné en it. vero ; l'esp. le remplaça
par varon, le val. par bęrbat (barbatus). La même concurrence
avec verus aurait aussi fait disparaître le nom du printemps,
ver, s'il ne s'était conservé par le moyen de la dérivation
ou de la composition (esp. verano, it. primavera). Un synonyme
de vir, mas, maris fut sans doute abandonné à cause de
mare. Bellum céda évidemment à l'adj. bellus et on accueillit
à sa place l'all, werra. On peut encore admettre que æquus
s'est effacé devant equus (ou plutôt equa qui a persisté), ager
devant acer (it. agro), fidis devant fides, habena devant
avena, līber devant lĭber, māla devant l'adj. măla, matula
devant macula, melis devant mel, palla devant pala, plăga
devant plāga, puer devantpurus, vĕru devant vērus. Ora ne
put persister en it. devant hora, il lui fallut se réfugier dans la
formule diminutive orlo, tandis que le prov. distingua les deux
mots par le genre : or, ora ; de même sol ne pouvait cœxister
en fr. avec solum, de là la forme soleil. Il y eut aussi beaucoup
47d'homonymes qu'on put sauver au moyen d'une altération dans
leur forme : ainsi mālus persista à côté de mălus, dans l'it.
melo, pōpulus à côté de pŏpulus dans pioppo. C'est dans la
conjugaison que l'influence de l'homonymie a causé la perte la
plus importante : le futur classique, qui coïncidait plus ou moins
en partie avec l'imparfait de l'indicatif, en partie avec le subj.
prés, fut abandonné par toutes les langues romanes, et reconstruit
sur d'autres bases. — L'influence de l'homonymie fut encore
active, même après l'achèvement des langues nouvelles.

Ce qui était arrivé pour les homonymes eut lieu aussi pour
les synonymes ; beaucoup d'entre eux disparurent de la langue,
parce qu'on ne comprenait plus les nuances délicates des sens ou
qu'on n'attachait aucun prix à leur distinction. Les exemples
abondent : abdomen parut faire double emploi avec pantex,
ædes avec casa, ævum avec ætas, amnis avec fluvius et
flumen, anguis avec serpens, ānus avec culus, arx avec
castellum, clivus avec collis ou le dérivé roman collina, cænum
avec lutum, culina avec coquina, daps avec cibus,
ensis avec gladius, equus avec caballus, bilis avec fel, formido
avec pavor, gena avec palpebra, gramen avec herba,
jugulum avec gula, hirudo avec sanguisuga, imber avec
pluvia, jaculum avec lancea, janua avec porta et ostium,
lapis avec petra, lira avec sulcus, lorum avec corrigia,
mala avec maxilla, mœnia avec murus, offa avec frustum,
orbis avec circulus, osculum ou suavium avec basium, rupes
avec saxum, sidus avec astrum, specus ou antrum avec
spelunca, tellus avec terra, trames avec semita, tumulus
avec cumulus, ulna avec cubitus, urbs ou oppidum avec
civitas, vulnus ou ictus avec plaga.

Pour plusieurs de ces mots on peut, il est vrai, se demander si
ce n'est pas aussi bien la faiblesse de leur forme qui les a fait
tomber que leur synonymie : c'est le cas, par exemple, pour
ædes, ævum, amnis, anguis, ensis, gena, urbs (qui en
outre aurait donné le même mot qu'orbis). Pour les adjectifs,
c'est la synonymie qui paraît avoir été la cause dominante des
pertes considérables qu'ils ont subies : ainsi disparurent des
mots comme magnus, mitis, pulcher, sævus, devant grandis,
suavis, bellus, ferox. Mais comment se fait-il que parvus
ait été supplanté par le barbare piccolo, pequeño, petit ?

Cette crainte des synonymes n'a pas d'ailleurs empêché les
langues nouvelles de former ou d'emprunter à d'autres idiomes
un assez grand nombre d'expressions dont le sens était déjà
48suffisamment représenté. — On conçoit facilement que des relations,
des mœurs et des idées nouvelles aient rendu inutile plus
d'un ancien mot ou l'aient fait échanger pour un autre. Ne parlons
ici que de ceux qui ont été échangés. Le cas le plus important
est celui de l'expression qui désigne le mot même, verbum,
que son emploi spécial dans l'Eglise a soustrait à l'usage
commun, où il a été remplacé par parabola (Schlegel, Litt.
prov
. not. 33). Domus ne signifie en français et en italien que
la maison du Seigneur : casa a pris sa place. Vesper prit
aussi un sens liturgique, et son sens primitif fut représenté
par les adjectifs serus ou tardus. Un grand nombre d'objets
naturels furent désignés par des noms sortis d'une nouvelle
manière d'envisager leurs propriétés et leurs caractères, et perdirent
leur ancienne appellation : ainsi on nomma le sanglier
singularis, celui qui vit seul ; le mouton mutilus (le mutilé), et
le cygne cecinus, c'est-à-dire l'oiseau qui a au bec une tumeur
(cicer) ; la bergeronnette caudi-tremula, comme en gr. σεισοπυγίς.
Pour les plantes, on trouve une masse de ces noms tirés de
leur nature. Les expressions de ce genre appartiennent aux plus
frappants caractères des langues romanes ; elles peignent bien
leur origine et leurs rapports avec le latin ; l'élément populaire
s'y montre sans réserve ; on remarquera entre autres
ces désignations rustiques des parties du corps humain : testa
(pot) ou concha (coquille) pour caput ; gurges (gouffre)
pour guttur ; spatula (bêche) pour scapula ; perna (jambon)
pour crus 113 ; pulpa (viande, morceau de chair) pour sura ; ficatum
(foie d'oie) pour hepar ; botellus (boudin) pour intestinum ;
pellis (fourrure, peau d'animal) pour cutis ; — casa (cabane,
baraque) pour domus est aussi un mot de cette classe.

Enfin la perte de beaucoup de mots latins eut pour cause
l'introduction de termes empruntés à des langues étrangères, fait
sur lequel nous reviendrons plus bas. Les Romans ne voulaient
ni ne pouvaient s'interdire ces emprunts, que leur suggérait le
contact journalier avec différents peuples : souvent, en effet, le
mot étranger exprimait des objets ou des idées pour lesquels la
langue latine n'avait pas d'expression satisfaisante ou au moins
caractéristique ; souvent encore il se recommandait par une forme
plus pleine et plus sonore. Çà et là on saisit aussi la trace de
causes spéciales : par exemple les langues du nord-ouest ont
abandonné trois expressions latines désignant le mâle de la
49chèvre, caper, hircus et hædus, pour l'all, boc, parce qu'on
voulait, pour cet animal comme pour d'autres animaux domestiques,
désigner la différence des sexes par la diversité des radicaux.
La même raison a fait remplacer gallus par le mot étranger
coc. Mais la victoire du mot étranger sur le mot latin ne fut
souvent qu'une affaire de hasard 114.

Nous avons encore un coup-d'œil à jeter sur les verbes.
Leur perte a eu les mêmes causes que celle des substantifs, par
exemple la brièveté de la forme pour flare, nare, flere, nere,
reri (tandis que dare et ire se sont conservés, bien qu'incomplètement,
et seulement dans quelques pays) ; l'homonymie a
fait disparaître peu de verbes, par exemple mœrere à cause de
merere, cædere a cause de cedere, parĕre à cause de parēre,
queri à cause de quærere ; la synonymie a eu plus d'influence,
mais il y a eu des causes spéciales. La langue nouvelle a laissé
tomber presque tous ces beaux verbes si nombreux dans la
2e conjugaison qui expriment un état, parce qu'elle pouvait facilement
les rendre par une circonlocution, et qu'elle affectionne
en général les circonlocutions : au lieu de albere,
frigere, nigrere, on pouvait dire album esse, frigidum esse,
nigrum esse. Les pertes considérables que subit la 3e conjugaison
ont sans doute pour cause la grande variété de ses
flexions. Les verbes se conservèrent mieux en composition,
parce que là les formes étaient plus étendues et les significations
plus individuelles : ainsi inflare, inhortari (v.-fr.), demorari,
consolari, adhærere, abhorrere, respondere, persuadere,
occidere, comedere (esp. comer), influere, relinquere, consuere,
consumere, advincere (it. avvincere), referre et
autres. On trouve aussi beaucoup de primitifs éteints qui revivent
dans des formes fréquentatives ou itératives 215, ou bien
dans des verbes tirés de leur radical par l'intermédiaire de substantifs,
comme invidiare, odiare, studiare.50

II
Élément grec.

En dehors du latin, il n'y a que deux langues où tous les
idiomes romans aient puisé, dans des proportions diverses : c'est
le grec et l'allemand.

Si on déduit les éléments grecs que contenait le latin quand il
donna naissance aux nouvelles langues, on en trouvera assez
peu dans le roman ; l'on ne compte pas, bien entendu, les expressions
introduites par la science à une époque récente. Les Byzantins
restèrent, il est vrai, les maîtres dans l'Italie méridionale,
en Sicile et dans une partie du sud de l'Espagne, longtemps après
l'invasion germanique ; mais il n'y eut pas là de mélange de
races sur une grande échelle ; ce que les Massiliotes avaient
pu apporter à la langue gauloise disparut avec cette langue elle-même.
Enfin une partie des mots gréco-romans doivent leur
existence, non pas à l'influence d'une langue sur l'autre, mais
au commerce habituel des peuples entre eux, qui amène toujours
quelques emprunts mutuels. Les fables patriotiques qu'ont soutenues
Joachim Périon, Henri Estienne et d'autres savants français,
sur l'affinité de leur langue avec le grec, n'ont aucun fondement ;
ils auraient eux-mêmes renoncé à les défendre s'ils
avaient mieux connu les lois phoniques du roman, et s'ils
avaient pu embrasser plus sûrement l'ensemble de ses sources.
La même observation s'applique aux érudits italiens et espagnols
qui ont fait du grec une mine féconde pour tous les éléments
non latins de leurs idiomes. Il faut reconnaître, du reste,
que la ressemblance fortuite de beaucoup de mots grecs et
romans ne rendait que trop séduisant ce système, opposé à tous
les faits historiques : pour ne citer que des exemples français,
comment le vieux mot airure (champ semé) ne ferait-il pas songer
à ἄρουρα, coite à κοίτη, dîner à δειπνεῖν, blesser à πλήσσειν,
moëlle à μυελός, paresse à πάρεσις, tétin à τίτθη trouer à τρύειν ?
Aucun de ces mots ne peut cependant revendiquer cette origine
qui s'offre si naturellement.

Voici une liste de mots grecs admis sans intermédiaires dans
les langues romanes (plusieurs sont douteux) : elle mettra
en lumière les proportions et la nature de l'élément hellénique
qu'elles contiennent.51

Ἄγχος, courbure : pg. anco, m. s.

Ἀγωνιᾷν, se tourmenter, désirer : it. agognare, demander
vivement.

Ἀίσιος, heureux, convenable, serait, d'après une étymologie
douteuse, l'origine du pr. ais, fr. aise, it. agio.

Ἀῖσχος, laideur, honte : esp. pg. asco, dégoût. Mais le goth,
aiviski, honte, est préférable.

Ἀκηδία, insouciance : it. accidia, etc., b.-lat. acedia accidia.

Ἄτομος, atome : it. attimo, moment, clin d'œil.

Βαλλίζειν, sauter : it. balzare, m. s.

Βαστάζειν, supporter, porter : de ce radical, sinon du mot directement,
viennent l'it. bastone, appui, canne ; bastire, construire ;
fr. bâton bâtir, etc.

Βαυκάλιον, vase, b.-lat. baucalis, it. boccale, esp. fr. bocal.

Βέλεμνον, trait : it. baleno, éclair.

Βόθρος, creux, caverne : it. botro et borro, fossé creusé par
les torrents.

Βόρβορος, boue : fr. bourbe, m. s. (douteux).

Βούτις, βύτις, flacon : it. botte, val. botę, esp. pr. bota, fr.
bote boute, avec des sens voisins ; mais ce mot se retrouve
dans d'autres langues où le roman a puisé.

βριᾷν, être fort, rappelle l'it. esp. brio, force, violence ; pr.
briu ; mais ces mots appartiennent peut-être à une ancienne
langue indigène. Voy. le Dictionnaire Etymologique.

Βροντή, tonnerre : it. brontolare, gronder, murmurer.

Βύρσα, cuir : b.-lat. byrsa, it. borsa, esp. pg. bolsa, fr.
bourse.

Γάστρα, vase : it. grasta, pot de fleurs.

Γενεά, génération : it. genía, engence, race.

Γόμφος, cheville, pivot : b.-lat. gomphus, pr. gofon, gond de
porte.

Γυμνήτης, soldat armé à la légère : esp. ginete, chevau-léger.

Δρόμων, coureur, dans le latin des derniers temps dromo,
sorte de bateau rapide : v.-fr. dromon, m. s.

Δύσκολος, maussade : it. esp. discolo, m. s.

Ἐνθήκη, chargement, fret : it. éndica, accaparement de marchandises.

Ἔρημος, solitaire : it. ermo, val. erm, esp. yermo, pr. v.-fr.
erme.

Ζωμός, sauce : de là esp. zumo, jus.

Ἑμικρανία, mal de tête : it. magrana, esp. migraña, fr.
migraine.52

Θείος, oncle ; θεία, cousine : b.-lat. thius thia, it. zio zia,
esp. tio tia, pr. sia.

Θύλακος, sac, bourse : esp. valega, pr. valeca ?

Κάρα, tête : b.-lat. cara (dans Corippus, VIe siècle), esp. pg.
cara, fr. chère, it. ciera, visage.

Κάραβος, écrevisse de mer, sorte de vaisseau : b.-lat. carabus,
bateau, it. caravella, esp. carabela.

Καταβολή, action de renverser : v.-fr. caable, machine de
guerre ; pr. calabre.

Καῦμα, incendie, chaleur : esp. pg. calma, partie chaude du
jour. Yoy. le Dict. étymol.

Κόβαλος, espiègle : de là le fr. gobelin, lutin ?

Κόλλα : it. colla, esp. cola, fr. colle, m. s.

Κόλπος, baie, havre : it. golfo, etc.

Κόνδυ, vase à boire : it. gonda gondola, petite embarcation.

Κορμός, souche, pièce de bois ; esp. corma, entrave en bois ?

Λάπαθον, fosse : pg. lapa, m. s. (douteux).

Λάπη, λάμπη, peau mince sur le lait et autres liquides : esp.
lapa, m. s.

Λόπος, cosse : it. loppa, paille. Voy. le Dict. étymol. II. a.

Μάγγανον, fronde : it. mángano manganello, pr. manganel,
v.-fr. mangoneau, baliste, arbalète.

Μακάριος, heureux : it. macari, plût à Dieu !

Μύσταξ, barbe de la lèvre : it. mustaccio, fr. moustache, etc.

Μωκᾷν, railler. Cf. fr. moquer.

Νῆμα, fil : esp. nema, cachet, parce qu'on l'apposait autrefois
sur un fil qui entourait la lettre.

Ὀῖσος : fr. osier, m. s.

Ὀξάλιος, aigrelet : fr. oseille. Cf. cependant Dict. étymol.
II, c.

Οσμή, odeur : esp. husmo, m. s., sans doute aussi it. orma,
val. urmę, trace, piste, proprement émanation.

Παιδίον, garçon, serviteur : it. paggio, etc.

Παλαίειν, combattre, faire des armes : esp. pelear. Yoy. le
Dict. étymol. II. b.

Παραβολή, comparaison : b. lat. parabola, dans le sens de
discours, mot ; it. parola, fr. parole, esp. palabra. Voy. ci-dessus,
p. 49.

Πατάσσειν, claquer : de là it. batassare, secouer ?

Πέταλον, cime : fr. poêle, dais.

Πλατύς : it. piatto, fr. plat, esp. chato, m. s.

Πρασιά, plate-bande : it. prace, espace entre deux sillons.53

Πτωχός, mendiant : it. pitocco, m. s.

Σάβανον, linge, dans le lat. des derniers temps sabanum, savanum :
esp. sábana, pr. savena.

Σάγμα, bât, et aussi le fardeau qu'on met dessus, lat. sagma
dans Végèce, De re veter. ; dans Isidore, XX, 16 (sagma, quæ
corrupte vulgo salma dicitur
) : it. esp. salma, pr. sauma,
fr. somme, it. v.-esp. aussi soma.

Σειρᾷν, tirer avec une corde : de là esp. sirgar, remorquer ?

Σειρήν, proprement, sirène, puis nom d'un petit oiseau : fr.
serin.

Σκαιός, à gauche : pr. escai, m. s.

Σκάπτειν, creuser : it. zappare, esp. sapar, fr. saper.

Σμύρις, σμίρις : it. smeriglio, esp. esmeril, fr. émeri, m. s.

Σπιθαμή, empan : it. spitamo, esp. espita.

Στόλος, expédition, flotte : it. stuolo, v.-esp. estol, bande,
troupe, pr. estol, val. stol, flotte.

Στρατιώτης, soldat : it. stradiotto, esp. estradiote, v.-fr.
estradiot.

Σχίδιον, éclat de bois, bûche, lat. schidia seulement dans
Vitruve : it. scheggia.

Τάλαντον, poids, lat. talentum : esp. talante, avec l'a grec au
milieu ; pr. talan, mais aussi talento, talen.

Ταπεινός, petit, bas : it. tapino, vil, de peu de prix.

Τέρετρον. Voy. Teretrum dans la 2e liste ci-dessus.

Τραγήματα, dessert : it. treggéa. esp. dragéa, fr. dragée.

Τραυλός, bègue : it. troglio, m. s.

Τρώκτης. Voy. Tructa dans la 2e liste ci-dessus.

Τύφος, fumée : it. esp. tufo ; cf. fr. étouffer.

Φανός, lanterne : it. fanale, fr. fanal.

Φαρός, phare : piém. farò, peut-être it. falò, s'il ne vient pas
du précédent.

Φράττειν, entourer d'une haie : it. fratta, haie.

Φώϊξ, oiseau aquatique : de là esp. foxa, sorte de canard ?

Χαῖος, houlette : esp. cayado, m. s.

Χαλᾷν, lâcher, larguer, lat. chalare, dans Vitruve : it. calare,
esp. calar, fr. caler, baisser les voiles.

Χοῖρος, goret : it. ciro, porc.

Cette liste comprend, on le voit, des mots revêtus des significations
les plus diverses, dont beaucoup de termes de marine, introduits
à différentes époques, pour une partie certainement après les
croisades. Les dialectes italiens ont encore un assez grand
54nombre de mots grecs ; mais la langue la plus riche sous ce rapport
est le valaque, que sa position géographique prédestinait
plus que les autres à l'admission d'éléments grecs. Nous en
reparlerons plus loin.

III.
Élément germanique.

L'introduction immédiate de mots grecs dans le roman se
réduit a quelques mots isolés ; il n'en est pas de même des
emprunts faits à l'allemand : c'est la seule langue où aient puisé,
et dans des proportions considérables, tous les dialectes romans ;
aussi l'étude de ces dialectes est-elle une source intarissable
pour l'histoire de l'allemand.

Les faits historiques n'ont besoin que d'un coup-d'œil. L'invasion
et la conquête des provinces romaines par les peuples germains
eurent lieu, comme on sait, dans le courant du Ve siècle,
et encore dans le VIe ; la Dacie seule, patrie du dialecte valaque,
avait longtemps auparavant été occupée par les Goths. Ces invasions
guerrières eurent lieu très-diversement. Il y eut des pays
où les peuples vinrent s'établir les uns après les autres ; il y en
eut où ils se fixèrent les uns à côté des autres. L'Italie vit
d'abord, au milieu du Ve siècle, la domination passagère des
Hérules, puis celle des Ostrogoths, qui dura soixante-six ans,
et enfin celle des Lombards, qui se prolongea pendant deux
siècles. Le sud-ouest de la Gaule fut occupé par les Goths dès le
commencement du Ve siècle ; les Burgondes s'emparèrent ensuite
d'une grande partie du sud-est, tandis que les Francs se soumirent
le nord. L'Espagne fut de même traversée par diverses
races. Au commencement de ce même siècle, la Galice, les Asturies,
le royaume de Léon, une partie du Portugal, étaient occupés
par les Suèves ; une autre partie du Portugal et la province
de Carthagène appartenaient aux Alains ; une partie du
sud aux Vandales, qui ne tardèrent pas à passer en Afrique ; le
nord-est était possédé par les Visigoths, et ceux-ci s'étendirent
de plus en plus dans le siècle suivant, jusqu'à ce que, dans ses
dernières années, ils eussent réduit sous leur domination toute
la péninsule pyrénéenne. Plus d'une race, au milieu de ces bouleversements,
55fut exterminée en partie ou complètement : en
Italie, par exemple, il ne demeura sans doute qu'un bien petit
nombre d'Ostrogoths. Mais le plus ordinairement les peuples
établis en premier conservèrent, même après leur soumission par
d'autres Germains, leur résidence et leur constitution.

Chacun de ces peuples divers devait aussi exercer sur la
romana rustica une influence diverse ; cependant il ne faut
pas exagérer la portée de cette diversité, et il serait complètement
faux d'en faire la cause des différentes langues romanes comme
l'ont fait souvent des érudits même romans. A l'époque de l'invasion,
les dialectes germaniques étaient encore assez voisins les
uns des autres pour que ces différentes peuplades n'eussent certainement
pas entre elles besoin d'interprètes. Le gothique nous
dévoile les caractères phoniques de l'allemand dans leur état le
plus primitif, bien qu'il ne soit pas sans une certaine nuance dialectale ;
toutes les autres langues de la famille germanique doivent
être ramenées à ce type commun. Le lombard, à en juger
par les mots qui nous en ont été conservés, se rapproche, pour
les consonnes, du système du vieux haut allemand : il met la
ténue pour la moyenne, et z pour t, mais sans régularité absolue.
Le bourguignon se rapprochait plus du gothique que du
haut allemand (voy. Grimm, Geschichte der deutschen Sprache,
p. 707) 116. Le francique n'était qu'à moitié semblable au
gothique dans le vocalisme ; il l'était plus dans son consonantisme,
où il tenait beaucoup du vieux saxon ; mais depuis l'époque
carolingienne, il se rapprocha du haut allemand. Comme
nous ne possédons de documents ni du lombard, ni du bourguignon,
ni du suève, et à peine du vieux francique, nous nous
appuyons surtout, pour la recherche des éléments germaniques
entrés dans les langues romanes à l'époque des invasions,
sur le système phonique du dialecte gothique, que nous permet
de juger suffisamment un document très-ancien et très-précieux.

L'établissement violent des Germains sur le territoire de l'empire,
dont les habitants ne furent ni exterminés ni chassés, ne
pouvait avoir lieu sans le plus grand bouleversement politique.
Sur le même sol vivaient maintenant deux peuples, l'un dominateur,
et l'autre, sinon partout et complètement opprimé, cependant
subalterne et moins estimé : le premier était la classe belliqueuse,
le second la classe laborieuse de la nation. On trouve dans
56les langues romanes elles-mêmes quelques traces de cet état de
choses. Au nom de peuple francus, qui avait pris comme adjectif
le sens d'ingenuus, se rattachait encore en italien et en français
le sens de noble, courageux, et le v. fr. norois signifie norvégien
et aussi fier. Cependant les habitants de l'empire nommaient,
d'après le vieil usage, leurs conquérants barbari, et
étaient eux-mêmes désignés par le nom, tout aussi général, de
Romani ; de même les langues des deux races s'appelaient :
l'une lingua barbara (theotisca, germanica), l'autre lingua
romana
. Fortunat fait bien nettement sentir cette distinction :

Hinc cui Barbaries, illinc Romania plaudit ;
Diversis linguis laus sonat una viri.

Mais les rapports des deux nations ne s'étendaient pas aux
deux langues. La langue allemande n'était pas la dominante ;
toutes deux reconnaissaient la suprématie du latin, qui conservait
ses anciens privilèges de langue officielle et de langue ecclésiastique ;
les lois allemandes même étaient rédigées en latin. La
nation conquérante s'habitua donc elle-même à la manière de
voir reçue parmi les habitants cultivés des provinces, qui considéraient
comme des patois, et plaçaient sur une seule et même
ligne, bien loin au-dessous du latin, l'allemand aussi bien que le
roman, dont la valeur était cependant fort inégale. Toutefois il
ne faut pas attribuer à cette médiocre estime que les vainqueurs
faisaient de leur propre langue sa disparition sur le sol conquis ;
elle eut pour cause principale le mélange final des deux peuples,
mélange dans lequel l'emporta naturellement la grande supériorité
numérique de l'élément romain (les Franks n'étaient guère au
nombre de plus de 12000). Seuls, les Anglo-Saxons, qui ne se
trouvaient pas en contact avec une population indigène aussi
nombreuse, réussirent à sauver leur langue : leurs savants (non
pas les Bretons, qui avaient en horreur tout ce qui était allemand,
mais les Saxons) la cultivèrent avec amour. Sur le continent
même, il fallut d'ailleurs plusieurs siècles pour que les nouveaux
venus abandonnassent leur lingua barbara ; leurs armées, qui
les retenaient ensemble, en favorisaient singulièrement la persistance,
et en outre il devait en coûter à leur sentiment national
d'adopter l'idiome des classes inférieures ; mais le commerce perpétuel,
la pénétration des deux peuples l'un par l'autre, finirent
par ne plus pouvoir admettre une différence de langage. Nous
manquons de renseignements précis sur la mort des langues germaniques
dans les provinces romaines. Pour ce qui concerne la
57France, on sait que Charlemagne était encore fortement attaché
à la langue allemande et lui témoignait un intérêt efficace, et que
son fils Louis, au lit de mort, pour chasser le malin esprit, criait
en allemand huz, huz ! quod significat foras, foras ! 117. Ce
n'est pas être trop hardi que d'admettre que l'usage de l'allemand
a persisté environ jusqu'au partage de l'empire carolingien, et
même, si l'on peut citer en témoignage le chant francique composé
sur la victoire de Louis III à Saucourt (881), jusqu'à la fin
du IXe siècle : sa durée en Gaule aurait donc été de quatre ou cinq
siècles. En Italie, le lombard florissait encore au temps de Paul
Diacre (mort vers 800), qui en parle souvent comme d'une langue
vivante ; il s'éteignit sans doute aussi bientôt après le partage
de Verdun 218. Tant que les Visigoths restèrent ariens, leur langue
eut un avantage assez grand sur le francique et le lombard ;
elle régnait dans la vie publique et même dans l'Église. Mais
après qu'en 587 le roi Ricarède se fut converti au catholicisme,
et eut octroyé à tous ses sujets, sans distinction d'origine, un
droit uniforme, la fusion des Germains et des Romans, favorisée
par lui et ses successeurs, marcha, au détriment de la langue gothique,
plus rapidement en Espagne que partout ailleurs.

L'admission de mots allemands commença, sans aucun doute,
peu de temps après les invasions des Germains, et ne prit fin que
quand leur langue périt 319. On reconnaît, en effet, deux classes
chronologiquement distinctes de ces mots empruntés : les uns
trahissent, même après leur assimilation, une forme archaïque et
se rapprochant du gothique ; les autres, une forme postérieure.
Les marques caractéristiques des premiers sont les voyelles a
et i pour les voyelles postérieures e et ë (fermé et ouvert),
58la diphthongue ai pour ei, et les consonnes p, t et d, pour
f, z et t ; celles des secondes sont précisément les lettres ci-dessus
désignées 120. Or le changement des consonnes, le déplacement propre
au haut allemand, et qui forme un trait spécifique de ce dialecte,
est un fait philologique qui a dû se produire vers le VIe siècle : il
en résulte donc que les mots germaniques de la 2e classe n'ont
été introduits que postérieurement à cette époque ; pour la France
même, où le bas allemand se maintint longtemps encore contre
le haut allemand, ils ne doivent remonter qu'aux siècles postérieurs.
Il en résulte en outre que les mots de la 1re classe, surtout
quand aux consonnes primitives ils joignent un système de
voyelles un peu archaïque, doivent s'être introduits au Ve siècle,
ou au commencement du VI°, principalement en Italie. C'est vers
cette époque justement que ces mots empruntés apparaissent dans
le bas latin, ou (ce qui prouve encore mieux leur extension) sont
désignés par les écrivains comme des expressions de la vie commune.
Isidore, par exemple, cite les mots armilausa (pièce
d'armure) = vieux norois ermalausi (XIX, 22), francisca
(hache franque) = peut-être v.-nor. frakka (XVIII, 9), comme
populaires ; il y a d'autres mots, medus (hydromel) = ang.sax.
medo (XX, 3), scala (coupe) = v.-h.-all. scâla, et autres,
qu'il donne simplement pour latins, ce qui prouve qu'il les
tenait de la bouche des provinciaux, et non de celle des Goths.
— Pour la France, il faut noter une 3e classe de mots. Au
Xe siècle, une nouvelle population germanique, les Normands,
vint s'établir au nord-ouest de ce pays. Ils oublièrent, il est vrai,
leur langue, appelée par les écrivains de cette époque dacisca
(danoise), avec tant de facilité, que déjà sous le second duc,
Guillaume Ier, on ne la parlait plus que sur les côtes (voyez
Raynouard, dans le Journal des Savants, 1820, p. 395 et
suiv.) ; cependant elle a laissé en français des traces qui ne sont
pas tout à fait insignifiantes, et parmi lesquelles on doit compter
beaucoup de termes de marine.

La masse des éléments germaniques, en prenant toutes les langues
romanes, est considérable. Le Dictionnaire étymologique
donne environ 930 mots de cette classe, dont les uns sont vieillis
et les autres vivent encore. Tous, il est vrai, ne sont pas exempts
d'incertitude, et, en outre, si on les ramène aux radicaux, ils
donnent un nombre un peu plus faible ; mais, en revanche, les
nombreux dérivés et composés n'y sont pas comptés, non plus
59que les noms propres. La langue la plus riche sous ce rapport est
incontestablement la langue française. La Gaule, dont la frontière
étendue offrait aux envahisseurs les points de contact les
plus nombreux, fut aussi le pays qu'ils pénétrèrent le plus. La
partie méridionale du pays fut un peu moins fortement germanisée :
aussi manque-t-il là beaucoup des mots du nord, principalement
de ceux qui viennent des Normands ; mais il ne faut pas
oublier, au moins pour les anciens temps, que nous ne possédons
pas pour le sud un vocabulaire aussi complet que pour le nord.
Sur le nombre donné plus haut, il y a environ 450 mots qui appartiennent
à la Gaule exclusivement ou au moins originairement.
Après le français, c'est l'italien qui est le plus riche ; il peut
revendiquer environ 140 mots à lui propres. Les langues du sud-ouest
sont déjà bien plus pauvres ; elles n'ont guère qu'une cinquantaine
de mots de ce genre. La plus pauvre est le valaque :
aucune des provinces romanes ne fut cependant plus tôt que celle
où se parle cette langue occupée par les Germains ; dès le
IIIe siècle (272) l'empereur Aurélien fut obligé de céder aux Goths
la Dacie ; mais leur domination fut trop courte pour exercer sur
la langue une grande influence. Cent ans plus tard, on admit
aussi des Goths dans la Mésie et la Thrace ; mais le grand mouvement
des peuples teutoniques entraîna avec lui les peuplades
allemandes de ces pays, et les Germains qui y restèrent ne purent
maintenir longtemps leur nationalité au milieu des invasions et
des retraites perpétuelles des peuples les plus divers. — Il y a
environ 300 mots allemands communs aux divers dialectes. Ce
noyau considérable s'explique en partie par les mœurs et les
institutions germaniques qui obligèrent les Romains d'admettre
beaucoup de termes qui s'y rapportaient, en partie par le commerce
des deux races ; mais il ne laisse pas de surprendre.

Les catégories d'idées les plus diverses ont part à l'élément
germanique des langues romanes. Cependant la guerre tient le
premier rang. Les Germains conservèrent l'important privilège de
former la classe guerrière : il n'y a donc rien d'étonnant à ce que
les provinciaux aient pris l'habitude de nommer les objets et les
rapports qui touchaient aux armées, et qui souvent d'ailleurs
étaient nouveaux pour eux, comme ils les entendaient nommer
tous les jours, et à ce qu'enfin la plupart des expressions latines
qui rentraient dans ce cercle d'idées aient disparu pour faire
place à d'autres. En voici des exemples dont quelques-uns sont
d'une époque relativement moderne 121 :60

V. h. all. werra (guerra), strît (estrit, estrif fr.), sturm
(stormo), reisa (raise fr.), halt (halte fr.), woldan (gualdana),
schaarwacht (eschargaite, échauguette fr.), matsken
(verbe) néerl. (massacre fr.), raub (roba), bûten (bottino),
gilde (gelda, geldra), scara (schiera), heriban
(arban fr.), heriberga (albergo), bîwacht (bivac fr.), bergfrid
(battifredo), bolwerk (boulevard fr.), hornwerk (hornabeque
esp.), breme néerl. (berme fr.), letze (liccia), brehha
(brèche fr.). — Skirm (schermo, d'oùscaramuccia), brunja
(broigne fr.), halsberc (usbergo), helm (elmo), zarga (targa),
blaese ang.-sax. (blasone), brand (brando), flamberg (flamberge
fr.), bredda nor. (brette, fr.), stock (stocco), helza
(elsa), handhaba (hampe fr.), handseax ang.-sax. (hansacs
fr.), dolekîn néerl. (dolequin fr.), asc (azcona esp.), helmbarte
(alabarta), vigr v.-nor. (wigre fr.), vîfer ang.-sax.
(guivre fr.), azgêr (algier fr.), spiz (spito), spioz (espiet fr.),
sper (spiedo ?), daradh ang.-sax. (dardo), strâla (strale),
flitz (freccia), kohhar (couire fr.), haakbus néerl. (arcobugio),
gundfano (gonfalone). — Habersack (havresac fr.),
knappsack (canapsa fr.). — Scarjo (sgherro ?), landsknecht
(lanzichenecco), stuilrinc (esturlenc fr.). — Bardi v.-nor.
(barda), sporo (sperone), staph (staffa), brittil (brida, briglia),
gahlaufan, verbe (galoppare).

Parmi les mots qui se rapportent aux institutions politiques et
judiciaires, nous citerons ceux-ci :

Mahal (mall-public fr.), ordâl ang.-sax. (ordalie), ban
(bando), fehde (faide fr.). — Sago (sayon esp.), skepenno
v. sax. (scabino), barigildus b. lat. (bargello), gastaldius
b. lat. (castaldo), muntwalt (mundualdo), muntboro (mainbour
fr.), gruo, adj. (gruyer fr.), herold (araldo), petil
(bidello), manogalt (manigoldo), querca (carcan fr.), skalh
(scalco), siniskalh (siniscalco), marahscalh (mariscalco),
adaling (adelenc fr.), faeddr v. nor. ( fr. ?), sclave (schiavo).
Alôd (allodio), fihu (fio, feudum), wetti (gaggio), nâm
v. nor. (nans fr.), waif angl. (gaif fr.), werand v. fris. (guarento).
Gafol angl.-sax. (gabella), skilling (scellino),
vierling (ferlino), et autres noms de monnaies.61

Les termes de marine et de navigation, puisés presque tous
dans le norois et le néerlandais, tiennent aussi une grande place,
par exemple :

Skif (schifo), bât angl.-sax. (batto), flyboat angl.
(flibote fr.), sloop néerl. (chaloupe fr.), sneckia v.-nor.
(esnèque fr.), bootje néerl. (botequin fr.), bak néerl.
(bac fr.), vleet néerl. (flete fr.), kaper néerl. (capre fr.), kiol
(chiglia), wränger suéd. (varangues fr.), mast (masto), hûn
v.-nor. (hune fr.), staede néerl. (étai fr.), schoot néerl. (escota
esp.), höfudbendur v.-nor. (haubans fr.), kajuit néerl.
(cahute fr.), hangmak néerl. (amaca), steórbord angl.-sax.
(stribord fr.), thilia v.-nor. (tillac fr.), lurz, adj. (orza),
loof angl. (lof fr.), vracht néerl. (fret fr.). — Bootsmann
(bosseman fr.), steuermann (esturman fr.). — Hafen (havre
fr.), wrack angl. (varech fr.). — A cette série se rapportent
aussi les noms des points cardinaux : fr. nord, est, sud, ouest.
— Les verbes qui s'y rapportent sont : arrisan (arriser),
bogen néerl. (bojar), afhalen néerl. (affaler), fiskôn (fisgar),
hala v.-nor. (halar), hissen (issare), kaaken néerl.
(caquer), tow angl. (touer), trekken néerl. (atracar), etc.

Le règne animal ne nous offrira pas moins d'exemples :

Reineo (guaragno), hack angl. (haca esp.), gelding
angl. (guilledin fr.), hobby angl. (hobin fr.), kracke (criquet
fr.), zebar (toivre fr.), ram (ran fr.), belhamel
néerl. (bélier fr.), geiz (gate fr.), zicki (ticchio), steinbock
(stambecco), gamz (camozza ?), elenthier (élan
fr.), big néerl. (biga), frisking (fresange fr.), merisuîn
(marsouin fr.), dahs (tasso), braccho (bracco), bicce angl.sax.
(biche fr.), reinhart (renard fr.), haso (hase fr.), fehe
(faina), mul néerl. (mulot fr.), zisimûs (cisemus fr.). — Sperwœre
(sparaviere)., huwo (gufo), chouh (chouette fr.), agalstra
(gazza, agace), tâha (taccola), fincho (finco), meseke
néerl. (mésange fr.), trohscela (trâle fr.), speh (épeiche fr.),
sprehe (esprohon fr.), snepfa (sgneppa), möwe (mouette fr.),
heigro (aghirone), hagastalt (hétaudeau fr.), gante néerl.
(ganta), kahn (cane fr.), halbente (halbran fr.). — Sturjo
(storione), kabeljaw néerl. (cabeliau fr.), brachsme (brême
fr.), spierling (éperlan fr.), haring (aringa). — Creep,
verbe angl. (crapaud fr.), bizan, verbe (biscia). — Krebîz
(écrevisse fr.), humme (homard fr.), krabbe (crevette fr.),
veolc angl.-sax. (welke fr.), mîza (mite fr.).

Corps humain. — Wanca (guancia), lippe (lippe fr.),
62nif néerl. (niffa), drozza (strozza), halsadara (haterel fr.),
nocke néerl. (nuca), zitze (tetta), baldrich (barriga esp. ?),
skina (schiena), ancha (anca), tappe néerl. (zampa), poot
néerl. (poe fr.), skinko (stinco), knoche (nocca). — Schopf
(ciuffo), gran (greña esp.), zata (zazza). — Mago (magone),
milz (milza), rate néerl. (rate fr.).

Règne végétal. — Salaha (saule fr., ainsi que les suivants),
îwa (if), hulis (houx), krausbeere (groseille), braambezie
néerl. (framboise), bezie néerl. (besi), klette (gleton),
henbane angl. (hanebane), weit (guado it.), weld (gualda),
spelz (spelta), raus (raus prov.), lisca (lisca), mos (mousse
fr.).

Terre, éléments. — Melm. (melma), molta (malta ?),
land (landa), laer néerl. (larris fr.), waso (gazon fr.), scolla
(zolla), mott (motta), busch (bosco), walt (gault fr ainsi que
les suivants), rain (rain), haugr v.-nor. (hoge), bluyster
néerl. (blostre), thurm (tormo esp.), scorro (écore fr.), lahha
(lacca). — Wac (vague fr.), bed angl.-sax. (bied fr.), wat
(guado), hrîm v.-nor. (frimas fr.), wasal (walaie, guilée
fr.). — Glister angl. (esclistre fr.).

Pour l'habillement et les ustensiles de divers genres on trouve
aussi une masse de mots allemands, par exemple : gant, it.
guanto (pg. lua), et même des mots comme it. aspo, spuola,
rocca, (haspel, spuhle, rocken), pour désigner le dévidoir, la
navette et la quenouille, des ustensiles de la vie domestique la
plus paisible ; il est vrai que ces mots manquent en latin, à
l'exception de colus.

Les mots abstraits sont en plus petit nombre ; on trouve, par
exemple : eiver, adj. (afre fr.), geilî (gala), grimmida (grinta),
hast (hâte fr.), haz (, haine fr.), heit v.-nor. (hait, souhait
fr.), hizza (izza), hônida (onta), lob (lobe fr.), sin (senno),
skern (scherno), slahta (schiatta), smâhi (smacco), ûfjô
goth. (uffo), urguôli (orgoglio), vîle angl.-sax. (guile fr.),
wîsa (guisa), etc. On remarque encore quelques mots qui se
rapportent à des superstitions : hellekîn néerl. (hellequin fr.
comme les suivants), werwolf (garou, loup-garou), mar
(cauchemar), grîma v.-nor. (grimoire fr. ?), trölla, verbe v.nor.
(truiller).

Mais rien ne démontre mieux l'énergie avec laquelle la langue
germanique pénétra le roman que le grand nombre d'adjectifs et
le nombre encore plus grand de verbes qu'il a admis. Il est vrai
que parfois le latin, comme il devait arriver naturellement, ne
63fournissait pas d'expression propre pour rendre le sens du mot
étranger. Souvent aussi la forme latine pouvait déplaire ; mais
la plupart du temps il ne faut chercher à la naturalisation du mot
germain d'autre raison que le caprice de la langue et un certain
amour pour les sons qui lui étaient étrangers. Voici des adjectifs :
bald (baldo), blanh (bianco), blao (biavo), blôz (biotto),
brûn (bruno), bruttisc (brusco), dwerch (guercio), falo
(falbo), flau (flou fr.), frank (franco), frisc (fresco), gagol
angl.-sax. (gagliardo), gâhi (gajo), gelo (giallo), gram
(gramo), grim (grim fr.), grîs (grigio), heswe (hâve fr.),
jol, subst. v.-nor. (giulivo), karg (gargo), lam (lam pr.),
leid (laido), lîstig (lesto), los (lozano esp.), lunzet (lonzo),
minnisto (mince fr.), morn ? (morne fr.), mutz (mozzo),
resche (rêche fr.), salo (salavo), sleth (schietto), slimb
(sghembo), snel (snello), stolz (estout fr.), strac (estrac fr.),
strûhhal (sdrucciolo), swank (sguancio), tarni (terne fr. ?),
trût (drudo), welk (gauche fr.), zâhi (taccagno). — Voici
des exemples de verbes : blendan (blinder), bletzen (blesser),
brestan (briser), brittian (britar), dansôn (danzare), dihan
(tecchire), drescan (trescare), frumjan (fornire, fromir),
furban (forbire), glitsen (glisser), grînan (grinar), hartjan
(ardire), hazjan (agazzare), hazôn (haïr), hônjan
(onire), hreinsa v.-nor. (rincer), Jehan (gecchire), kausjan
(choisir), klappen néerl. (glapir), krassa v.-nor. (écraser),
krazôn (grattare), krimman (gremire), lappen (lappare),
lecchôn (leccare), leistan (lastar), magan (smagare), marrjan
(marrire), raffen et rappen (raffare, rappare), rakjan
(recare), rîdan (riddare), rostjan (rostire), ga-salhan
(agasalhar), skenkan (escanciar), skerran (eschirer, déchirer),
scherzen (scherzare), skiuhan (schifare), scutilôn
(scotolare), stampfôn (stampare), tômjan v.-sax. (tomar),
trechen (treccare), wahtên (guatare), wandjan (gandir),
wankjan (ganchir), walzjan (gualcire), wamôn (guamire),
warjan (guarire), warôn (garer), wartên (guardare), weidôn
(guéder), werfan (guerpir), windan (ghindare), witan
goth. (guidare), wogen (vogare), zaskôn (tascar), zergen
(tarier), zeran (tirare), zilên (attillare), zuccôn (toccare).

On s'aperçoit au premier abord que les langues romanes contiennent
beaucoup de mots qui se sont perdus dans les idiomes
germaniques actuellement existants. On en trouve même qui
sont rares dans les anciens dialectes, ou même qui n'y apparaissent
qu'une fois : tels sont les mots gothiques aibr (pr. aib),
64manvjan (amanoïr), galaubs (galaubia), treihan (trigar
port.), le lomb. gaida (piém. gajda), l'angl.-sax. lœva (esp.
a-leve), le v.-h.-all. sabo (esp. sagon), stullan (it. trastullare),
ewer (fr. afre). Pour d'autres, comme le prov. aloc (b.-lat. allodium)
et l'it. bargello (b.-lat. barigildus), le mot allemand fait
défaut. Beaucoup de ces mots ont conservé en roman leur forme
antique plus pure que dans l'allemand moderne : tels sont les
mots it. bara, palco, lisca, scranna, snello, et le pr. raus,
qui est tout à fait le mot gothique raus (all. mod. rohr). D'un
autre côté, une grande partie de ces mots germaniques disparurent
peu à peu de la langue, parce qu'elle pouvait s'en passer ;
il leur arriva ce qui était arrivé à tant de mots latins, qui furent
détruits par la synonymie ou par toute autre cause.

Nous devons encore mentionner ici un détail remarquable en
ce qu'il nous fait voir clairement l'usage germanique excitant
les Romans à l'imitation. Ce sont ces locutions, pour la plupart
interjectives, formées de deux ou trois parties où se suivent les
voyelles i, a, u, ou ordinairement les deux premières seules
(bif baf buf, kling klang, sing sang, wirr warr), locutions
qui ont trouvé de l'écho en roman, principalement dans les patois
(le roman connaît du reste d'autres formules du même genre,
mais moins usitées). Exemples : it. tric-trac, ninna-nanna ;
esp. ziz-zas, rifi-rafe ; cat. flist-flast, farrigo-farrago ;
pr. mod. drin-dran, blisco-blasco ; fr. pif-paf, mic-mac,
zig-zag, bredi-breda. L'échelle complète, i, à, u, se trouve
dans le milanais flich-flach-flucch, qui veut dire baragouin,
langage inintelligible 122.

La famille romane, en s'appropriant des éléments germaniques,
ne souffrit aucun dérangement essentiel dans son organisme ; car
elle surmonta à peu près complètement l'influence de la grammaire
allemande. On ne peut nier qu'il n'y ait dans la formation
de ses mots quelques dérivations et compositions germaniques,
on trouve aussi dans la syntaxe des traces de l'allemand ; mais
ces détails se perdent dans l'ensemble de la langue 223.

Si le roman, tout en conservant pour unique base la langue
populaire des Romains, a subi, outre un mélange à peine appréciable
65de grec, un mélange considérable d'allemand, il a en outre
fait dans ses provinces des emprunts à différents autres idiomes.
Ces idiomes sont ou les langues primitives des pays conquis par
les Romains, ou des langues introduites postérieurement ; nous
reparlerons ci-dessous de ces deux classes. C'est d'après ces
influences qu'il faut apprécier le degré de pureté de chacune des
langues romanes, car la proportion de grec et d'allemand est
presque partout la même. Ce n'est pas tant la masse des mots
étrangers que la masse des langues étrangères et leur organisation,
qui en rend plusieurs beaucoup plus rebelles que l'allemand
ou le grec à l'assimilation romane, qu'on doit peser pour établir
cette appréciation.66

Deuxième partie.
Domaines des langues romanes.

Nous passons maintenant au deuxième objet de cette introduction,
les provinces ou domaines respectifs de chacune des
langues qui composent la famille romane.

Dans chaque domaine, nous aurons d'abord à énumérer les
peuples qui l'habitaient originairement ou qui sont venus s'y
établir, puis a examiner brièvement les éléments spéciaux, autant
qu'il est possible de les distinguer ; les limites 124, le nom, le
premier emploi constaté, les premiers échantillons et monuments
de la langue, et les commencements de sa réglementation grammaticale.
Il nous faudra aussi donner quelque attention aux
dialectes les plus importants ; mais nous nous restreindrons
absolument à leurs caractères phoniques.

Comme nous donnerons ci-dessous les divers noms qu'a portés
chaque dialecte, nous ne devons pas négliger le nom de la langue
générale. Les Romains nommaient leur langue latina ; romana
ne se trouve qu'une fois dans des vers cités par Pline (Hist. natur.
XXXI, 2), et est rare aussi au moyen-âge (voy. A. W.
Schlegel, Observ. not. 24). L'expression de « langues romanes »
n'a été consacrée comme désignation générale de tous
les idiomes sortis du latin que dans ces derniers temps et en
Allemagne. Anciennement, chacune de ces langues s'attribuait
cette dénomination ; le vieux troubadour Jaufre Rudel dit, par
67exemple, du provençal (Bartsch, Chrestomathie provençale,
62) :

Senes breu de pargamina
Tramet lo vers que chantam
Plan et en lenga romana.

et Berceo, de l'espagnol (p. 1) : « Quiero fer una prosa en
roman paladino. » Mais pour signifier lingua romana, le subst.
pr. v.-fr. romans, esp. romance, it. romanzo, formé de l'adv.
romanice (bien qu'on ne dît pas lingua romanica), latinisé
romancium, verbe pr. romanzar, parler ou écrire en roman,
était bien plus usité 125.

Raynouard, qui n'entendait par langue romane que le provençal,
se servait pour désigner l'ensemble des langues, de la
pesante circonlocution langue de l'Europe latine ; plus tard,
du composé néolatines, qui a trouvé plus de faveur (it. lingue
neolatine
, rarement lingue romanze). Ces langues eurent
aussi toujours des prétentions à s'appeler latines, surtout l'italien
(voy. ci-dessous), et l'une d'elles porte même encore ce nom
(ladin). C'est pour cela que dans le Poema del Cid, v. 2676,
un Maure versé dans la langue espagnole est appelé un Moro
latinado
. Ces langues étaient aussi désignées en masse comme
populaires, vulgares. En ancien allemand, on traduisait roman
par wälsch, sans doute de Gallus (voy. Jacob Grimm, dans
Schmidt, Zeitschrift für Geschichte, III, 257).

1. Domaine italien.

Les anciens idiomes de l'Italie étaient, en partant du nord, le
gaulois sur les deux rives du Pô ; au sud-ouest l'étrusque ; puis
les trois dialectes parents, au sud-est l'ombrien, au centre le sabellien
avec le volsque, au sud l'osque ; la langue grecque, introduite
depuis un temps immémorial, s'étendait dans la Lucanie,
l'Apulie et la Calabre, où la langue messapienne s'éteignit graduellement.
« Le dialecte sabellien allait jusqu'à Rome ; son
68influence sur un dialecte qui n'appartenait pas à la même famille,
mais qui avait avec elle de nombreuses affinités, a probablement
donné naissance au dialecte romain tel que nous le connaissons
(Mommsen, Unteritalische Dialekt, p. 364). »

Parmi les populations qui parlaient ces diverses langues, les
Sabins, investis du droit de cité dès l'an 486 de Rome, furent les
premiers qui adoptèrent le latin. La langue osque, parvenue à un
degré de culture plus avancé, se maintint plus longtemps ; elle
vivait encore au temps de Varron, mais elle avait disparu au
temps de Strabon. Dans la guerre sociale et à l'époque de Sylla
« périt aussi la vieille nation étrusque avec sa science et sa littérature ;
les nobles qui avaient dirigé le mouvement tombèrent
sous le glaive ; les grandes villes reçurent des colonies militaires ;
la langue latine devint seule dominante, et la majorité de la nation,
dépouillée de toute propriété foncière languit dans la misère
sous des maîtres étrangers, dont l'oppression éteignit tous les
souvenirs nationaux dans le cœur du peuple avili et n'y laissa
d'autre désir que celui de devenir Romains tout à fait (Niebuhr). »
Ainsi la langue latine, après qu'elle se fut soumis la Gaule cisalpine
et la Grande Grèce, devint la seule de la Péninsule. — Les
peuples étrangers qui s'établirent en nombre considérable, après
la chute de l'empire romain, en Italie et dans les îles, furent des
Germains, dans le sud et en Sicile des Byzantins et des Arabes
(ces derniers depuis 827). Paul Diacre (II, 26) parle aussi de Bulgares,
de Sarmates et d'autres populations qu'Alboin amena dans
la presqu'île italienne.

Passons aux éléments de la langue italienne 126. Il faut d'abord
constater qu'elle ne contient pas trace des restes de vieilles langues
indigènes que nous ont conservés les tables de pierre ou
d'airain, les vases et les monnaies ; la même observation paraît
devoir s'appliquer aux patois. Quelques-uns seulement des mots
cités par les anciens, et usités par conséquent dans le peuple parlant
latin, se rencontrent encore ; ainsi nous retrouvons le mot
maccus, connu par les Atellanes, mais qui n'était pas même osque
(gr. μακκοᾷν), dans le sarde maccu ; le sabin cumba pour lectica
peut s'être conservé dans catacomba, le sabin veia pour plaustrum
dans veggia (bien que vehes convienne un peu mieux
pour le sens), l'ombrien plautus danspiota. Les influences hypothétiques
des lois phoniques des vieux idiomes italiens sur
69celles de la langue actuelle ont été pesées dans l'introduction du
Dictionnaire étymologique (p. XII). — L'italien est la langue
romane qui possède le plus de mots grecs après le valaque et le
plus de mots allemands après le français 127. — Les mots arabes
qu'elle s'est appropriés, comme alcova, ammiraglio, arsenale,
assassino, basacane, catrame, cremisi, feluca, fondaco,
gelsomino, magazzino, meschino, mugavero, ricamo, taballo,
et beaucoup d'autres, lui sont venus en grande partie de
l'espagnol ; ceux qui lui sont propres, comme zecca (d'où l'esp.
zeca, seca) et zirbo, sont très-rares. — Elle en a moins tiré du
slave que le voisinage ne le ferait supposer : il faut ranger dans
cette classe brena, indarno et quelques autres. — Il est remarquable
que quelques mots, comme lazzo et loja, indiquent une
origine basque (latza et loga). — On ne peut guère citer rien
de gaulois ou de breton qui ne se retrouve dans les autres langues.
— Ce qu'apportèrent à l'italien le français, par les Normands
romanisés en Sicile et à Naples, le catalan en Sardaigne,
dans le nord le provençal 228, doit à peine être regardé comme élément
étranger. — Si on soumet le vocabulaire italien à une analyse
minutieuse, après l'abstraction des éléments ci-dessus énumérés,
il reste encore un certain dépôt d'éléments étrangers et
de provenance inconnue. Comme il faut bien que ces éléments
aient une source, la logique nous amène à les considérer partie
comme des mots appartenant à des langues lointaines et transplantés
là par le hasard, partie comme des vestiges des anciens
idiomes, que la pauvreté de nos ressources philologiques ne nous
permet pas de ramener à leur origine. Le toscan, par exemple,
dura jusqu'à l'époque impériale ; il semble même qu'Aulu-Gelle
en parle comme d'une langue vivante. — Malgré tous les mélanges
70qu'il a subis, l'italien est le plus pur des idiomes romans ;
de toutes les filles de la langue latine, c'est celle qui ressemble le
plus à sa mère. D'après une appréciation d'ensemble, il n'y a
peut-être pas un dixième de ses mots qui ne soient pas latins.

La langue italienne s'étend aussi hors de l'Italie, y compris
naturellement la Corse, dans le canton suisse du Tessin et dans
une partie du Tyrol et de l'Illyrie. Elle fut d'abord appelée simplement
lingua vulgaris, par Dante vulgare latinum, latium
vulgare
, ou simplement vulgare, par Boccace latino volgare.
Plus tard, quand Florence fut maîtresse dans l'art de la parole,
on nomma la langue toscane, lingua toscana ; mais le nom
d'italienne fut usité de tout temps, et Isidore la nomme déjà lingua
italica
(XII, 7, 57). Les étrangers l'appelaient aussi lombarde,
par exemple : pr. lengatge lombard (Leys d'Amors, II,
388), v.-fr. (Gaufrey p. 279) :

Mès je soi bien parler francheis et alemant,
Lombart et espaignol, poitevin et normant.

Son usage dans la classe cultivée est constaté à partir du
X° siècle, bien qu'après comme avant cette période, le latin ait
été employé non-seulement comme langue savante, mais encore,
dans la poésie politique 129. On a fréquemment cité le témoignage
d'un savant italien qui vivait vers 960, Gonzo : « Falso putavit
S. Galli monachus me remotum a scientia grammaticæ artis,
licet aliquando retarder usu nostræ vulgaris linguæ, quæ latinitati
vicina est » (Raynouard, Choix, I, p. XIV). D'après le
témoignage de Witichind, Othon Ier savait la parler, car il ne
peut s'agir que d'elle à propos d'un roi d'Italie : « Romana lingua
sclavonicaque loqui sciebat, sed rarum est, quod earum
uti dignaretur » (Meibomius, I, p. 650). Citons encore le passage
bien connu de l'épitaphe du pape Grégoire V, d'origine
franque, mort à la fin du Xe siècle :

Usus francisca, vulgari et voce latina,
Instituit populos eloquio triplici.71

Au reste, il n'y a pas besoin de témoignage pour prouver que
les prêtres et les princes parlaient au peuple dans sa langue. Pour
quelques formes lexicographiques de la langue, on peut remonter
jusqu'au V° siècle 130. On trouve des chartes du XIIe siècle mêlées
de latin et d'italien, par exemple une de 1122, qui est fort
curieuse (Muratori, Antiquit. ital. II, col. 1047). Quant aux
textes proprement dits, on place d'ordinaire les premiers dans le
même siècle. Ils se composent d'une inscription de l'an 1135, qui
existait jadis dans la cathédrale de Ferrare, mais dont Tiraboschi
(Letterat. italiana, Firenze, 1805, III, 365) suspecte l'authenticité :
Il mile cento trenta cenque nato Fo questo templo
a S. Gogio donato Da Glelmo ciptadin per so amore
Et ne a fo l'opra Nicolao scolptore
 ; puis d'une inscription
sur une table de pierre, également disparue, qui appartenait à la
famille Ubaldini, à Florence, de l'an 1184 ; elle contenait six
vers latins suivis de trente vers italiens ; mais Tiraboschi et
d'autres critiques en combattent l'authenticité par de bonnes
raisons 231. Cependant on a découvert et publié récemment des
poésies lyriques auxquelles on assigne pour date le milieu du
XIIe siècle. Voy. Di Gherardo da Firenze e di Aldobrando da
Siena, pœti del secolo
XII, mem. di Carlo Baudi di Vesme,
dans les Mem. dell' Accad. delle scienze di Torino, vol.
XXIII, ser. 11, 1866 (avec fac-similé et avec glossaire).

Ce n'est que le siècle suivant qui vit se développer rapidement
toute une littérature, soit dans la langue écrite, soit dans les
dialectes. Il faut chercher le berceau de la langue écrite au
centre de l'Italie, en Toscane plutôt qu'à Rome ; elle est tellement
supérieure aux patois que le nom de langue de convention lui
revient à plus juste titre encore qu'au haut allemand littéraire.
Il y a donc du vrai dans l'assertion de Foscolo : « L'italiana è
lingua letteraria, fu scritta sempre e non mai parlata ; » car les
gens cultivés eux-mêmes, partout où l'usage n'exige pas l'emploi
de la lingua letteraria, se servent de leurs patois. — On ne
peut parler d'un vieil italien dans le sens du vieux français ;
la langue du XIIIe siècle ne se distingue de la langue moderne que
par quelques formes ou expressions surtout populaires, aucunement
72par sa construction grammaticale. — Les éditions des plus
anciens écrivains ne manquent pas. Une collection moderne (et
rien moins que correcte) des poètes lyriques du XIIIe siècle est :
Poeti del primo secolo della lingua italiana, Firenze, 1816,
2 vol. (p. Valeriani) ; une autre, Raccolta di rime antiche
toscane
, Palermo, 1817, 4 vol. (par Villarosa), comprend aussi
le XIVe siècle ; une troisième est : Poésie inédite raccolte da
Fr. Trucchi Prato
, 1846, 1847, IV vol., avec une introduction
dénuée de critique.

Les Italiens se sont mis de bonne heure à réfléchir et à écrire
sur leur langue. Dante commença dans son traité, écrit en latin
et malheureusement inachevé, De vulgari eloquentia, dans le
premier livre duquel il parle de la langue italienne (vulgare
illustre
), qu'il faut étudier, dit-il, non dans telle ou telle ville ou
province, mais dans les livres des grands écrivains 132. On peut
regarder cette œuvre (dans laquelle des intuitions sublimes alternent
avec les idées les plus naïves) comme le portique de la
philologie italienne. Mais celui qui le premier, sous la forme,
chère à son époque, de dialogues, traita la grammaire italienne,
fut Pietro Bembo, dont l'ouvrage, terminé longtemps
auparavant, parut en 1525 sous le titre de Prose ; Castelvetro
l'a accompagné d'un commentaire critique. Avant les
Prose de Bembo avait paru un livre composé postérieurement
au sien, les Regole grammaticali della volgar lingua,
de Fortunio (un Esclavonien), qui de Fan 1516 à l'an 1552
n'eurent pas moins de quinze éditions. Malgré les nombreuses
productions grammaticales de ce siècle et des deux suivants,
la première grammaire vraiment systématique, celle de
Corticelli, ne parut qu'en 1745 (voy. Blanc, Grammaire,
p. 23-34). — La littérature lexicographique commence par des
glossaires sur des écrivains célèbres. Le premier est celui de
Lucillo Viterbi sur Boccace (1535). L'année d'après parut un
travail analogue de Fabricio Luna sur Arioste, Pétrarque, Boccace
et Dante ; puis un Dictionnaire général, d'Accarisio, en
1543, et la même année un Glossaire de Boccace, par Alunno,
qui eut plusieurs éditions. Après diverses autres tentatives en ce
genre parut enfin en 1612 le célèbre Dictionnaire de la Crusca,
qui jusqu'à présent est définitif. Le premier dictionnaire étymologique
73fut dû à un étranger, Ménage : Le origini della lingua
italiana
, Parigi, 1669 ; bientôt il fut suivi de celui de Ferrari :
Origines linguæ italicæ, Patavii, 1676 ; puis parut une
seconde édition du livre de Ménage (Ginevra, 1685).

Dialectes. — L'Italie était destinée par sa forme, par sa
longue extension au sud-est depuis les Alpes, qui donne lieu à des
influences climatologiques très-diverses, et par ses grandes îles,
à voir se développer des dialectes fortement caractérisés : il est
clair que les organes ne sauraient être les mêmes au bord du lac
de Côme, et du Phare de Messine. Dante, dans l'ouvrage mentionné
plus haut, a déjà essayé de les déterminer, et les renseignements
qu'il donne sont encore dignes d'attention, ainsi que le
jugement qu'il porte. Il divise l'Italie (l. I, c. 10) sous ce rapport
en deux moitiés, une orientale et une occidentale, à droite et à
gauche de l'Apennin, et admet quatorze dialectes : ceux de
Sicile, d'Apulie, de Rome, de Spolète, de Toscane, de Gênes, de
Sardaigne, de Calabre, d'Ancône, de Romagne, de Lombardie,
de Trévise, de Venise et d'Aquilée ; Salviati (Opp. Milan. II,
359) s'en tient à cette division. De nos jours on a tracé les
limites, avec plus de raison, dans le sens de la largeur de la Péninsule,
et on l'a divisée en trois grandes régions, chacune avec
ses districts : une du nord, une du centre et une du sud 133. A celle
du sud appartiennent les dialectes napolitain, calabrais et sicilien,
ainsi que ceux de l'île de Sardaigne. Dans la région du
centre on comprend les dialectes toscans, par exemple ceux de
Florence, Sienne, Pistoie, Pise, Lucques, Arezzo et celui de
Rome ; on y rattache aussi la Corse et une partie de l'île de Sardaigne.
La région du nord comprend, d'après l'étude attentive
d'un grammairien italien 234 les quatre districts suivants : celui de
Gênes, celui de la Gaule Cisalpine, celui de Venise et celui du
Frioul. Le dialecte gallo-italien embrasse trois groupes : le
groupe lombard (Milan, Côme, Tessin, Bergame, Créma, Brescia,
Crémone, etc.), le groupe émilien (Bologne, la Romagne,
Modène, Reggio, Ferrare, Mantoue, Parme, Plaisance, Pavie,
etc.), et le groupe piémontais (Turin, Ivrée, Alexandrie). Il ne
faut pas attendre de ces dialectes une parfaite régularité dans les
lois phoniques, parce qu'ils n'ont pas toujours pu se soustraire à
la pénétration des dialectes voisins et à l'influence de la langue
74littéraire. De là vient qu'on rencontre jusqu'à trois ou quatre
représentations du même son italien ou latin ; mais parfois aussi
cette diversité est due à un développement intérieur. Nous ne
tiendrons pas compte, dans les remarques qui vont suivre, des
traits que les dialectes ont en commun avec la langue écrite,
comme la permutation de l et r, de b et v, ou le redoublement
des consonnes, à moins que ces traits ne soient accusés d'une
manière exceptionnelle ; nous ne signalerons que ceux où le
caractère des dialectes se marque le plus clairement, surtout
l'emploi des diphthongues ie et uo, des finales non accentuées e
et o, de la composition gli, des syllabes chi, pi, fi, quand elles
ont la valeur de chj, pj, fj, des palatales c (à côté de sc), g,
et de la lettre z. Les dialectes du centre sont ceux qui se rapprochent
le plus de la langue écrite ; nous pouvons les mettre de côté
après y avoir jeté un rapide coup d'œil : il suffit de remarquer que
le romain (que Dante, soit dit en passant, maltraite fort), comme
les dialectes du nord-ouest, fait disparaître l'r final (amà, temè,
dormì), et, comme ceux du sud, affaiblit nd en nn. La différence
des dialectes du sud et de ceux du nord est facile à saisir :
ceux-là effacent les consonnes, ceux-ci les voyelles atones ; ceux-là
ont le caractère de la mollesse, ceux-ci celui de la dureté ; mais
ce trait n'est pas absolu : ceux-là conservent, par exemple, la
tenue, tandis que ceux-ci ont une tendance à l'adoucir. Mais il
n'y a pas de marques distinctives précises et infaillibles comme
entre le haut et le bas allemand, à moins qu'on ne place à ce rang
le son sci, qui dans le sud garde sa valeur et dans le nord devient
presque régulièrement ss.

Les dialectes du sud doivent passer les premiers, parce qu'ils
déploient mieux le caractère italien, la plénitude des formes ;
nous commencerons donc par eux. Le napolitain conserve les
voyelles latines ĕ et o (dece, bono), mais admet les diphthongues
ie et uo devant deux consonnes (diente, puorco) 135. Dans la même
position, il maintient généralement i et u contre l'it. e et o
(stritto, curto). Les voyelles finales non accentuées sont traitées
comme dans la langue écrite. Quant aux consonnes, gli
reste à sa place. Mais pi est assimilé à l'it. chi, et même bi à
ghi (più devient chiù ; biondo, ghiunno), tandis que fi donne
sci (fiamma = sciamma). Les palatales comme en italien, si
75ce n'est que g s'adoucit ordinairement en j (piace, scena,
gente, jentile, lege = legge). Z se comporte aussi comme en
italien. D'autres particularités sont : l'aphérèse de l'i devant n
('ngiuria), la solution de l en o devant les dentales (balzano
= baozano
, caldo = cavodo) ; le changement de s en z, surtout
après r (verso = vierzo, possa= pozza) ; celui de d en r
(dito = rito, dire = ricere, dodici = rurece) ; le passage
assez fréquent de la moyenne à la ténue ; l'échange très-ordinaire
du b et du v, l'assimilation des consonnances mb et nd en mm
et nn (piombo = chiummo, mondo=munno) ; la forte accentuation
des consonnes initiales et le fréquent redoublement des
consonnes médiales ; l'intercalation d'un j entre deux voyelles
(uffizio = uffizejo) 136.

Le dialecte sicilien met aussi e et o pour ie et uo (miei =
mei
, cuore = cori). Il change en i et u les voyelles e et o, non seulement
quand elles sont finales et privées d'accent, mais souvent
encore quand elles sont accentuées dans le corps du mot
(verde = virdi, giuso = jusu, arena = rina, vapore =
vapuri
). Il durcit gli en gghi (folio = fogghiu). Pi devient
chi, fi devient sci (pianto = chiantu, flore = sciuri). Les sifflantes
et le z se comportent comme dans la langue écrite. Parmi
les autres traits nous remarquons, comme dans le napolitain, la
solution de l en une voyelle (altro = autru), l'assimilation de
mb en nd (gamba = gamma, fundo = funno) et l'intercalation
du j (spion = spijuni). Comme traits particuliers, nous
noterons l'échange de ll et de dd, qui a la valeur du th anglais
(cavallo = cavaddu), et la chute fréquente du v au commencement
des mots (volgere = urgiri, volpe = urpi).

Entre les deux dialectes ci-dessus, le calabrais occupe à peu
près le juste milieu. Comme le sicilien il dit i et u (onde — undi,
questo = chistu), et ggh pour gl (figlio = figghiu) ; comme
le napolitain, il supprime i devant n ('nfernu). Un trait à lui
propre est que fi y devient j, ou d'après une autre orthographe
hh (fiume =jume, hhume), et que ll est traité de même (nullo
= nujo
).

La Sardaigne se divise, sous le rapport linguistique, en trois
provinces. Dans celle du nord domine le dialecte de Gallura, que
76Ton désigne comme étranger, introduit dans les temps modernes
et n'étant que de l'italien corrompu ; au centre celui de Logudoro,
qui porte évidemment le cachet le plus original et le plus
archaïque, et qu'on appelle proprement dialecte sarde ; au midi le
dialecte de Campidamo (auquel se rattache aussi Cagliari), qui
penche vers les dialectes du nord de l'Italie 137. Nous nous restreignons
à celui de Logudoro. E et o remplacent ie et uo (vieni =
beni
, giuoco = jogu) ; la finale e persiste, mais o est souvent
remplacé par u (septe, fogliu). Gl et gn tantôt persistent et
tantôt deviennent z et nz (scoglio = iscogliu, aglio = azu,
segno = signu, vigna = binza, tegno = tenzo). Chi initial
se change en j ou g palatal (chiavo =jan) ; pi, fi, se comportent
en général comme en italien (dans le dialecte de Campidano
planta, planu ou pianu, flamma). Comme en sicilien ll devient
le plus souvent dd (molle = modde, pelle = podde, mais
bella). S initial suivi d'une consonne appelle un i (istella, ispedire) ;
c'est un des traits distinctifs de cet idiome. Au c palatal
répond tantôt z fort, tantôt une gutturale (certo = zertu,
braccio = brazzu, cera = chera, luce = lughe) ; au g palatal
tantôt g, tantôt z doux, tantôt la gutturale douce, tantôt enfin j,
quand g représente cette lettre (genere, girare, zente, anghelu,
maju = maggio). Z dans certaines terminaisons devient ss
(vizio = vissiu, spazio = ispassiu). Dans qu l'u s'éteint parfois,
dans gu régulièrement (quale=cale, guerra= gherra).
Dans les consonnances latines ct et pt, le c et le p ne sont point
assimilés, mais prononcés d'une manière à peine distincte (factu,
inscriptu). V initial devient très-souvent b, et cette dernière
lettre se place même quelquefois devant une voyelle initiale
(escire = bessire, uccidere = bocchire). Au commencement
des mots la prononciation douce ou dure de la plupart des consonnes
dépend de la lettre qui les précède, soit voyelle, soit consonne.
La ténue s'amollit à peu près comme dans le nord de
l'Italie. Mais il y a un point où la Sardaigne se sépare de toute
l'Italie : elle conserve à la fin des mots l's et le t latin (longas,
virtudes, duos, corpus, finit, finiant). Nous parlerons ci-dessous
(dans les Remarques sur les consonnes latines, § 3) de certains
cas de permutation entre les consonnes initiales.

Le dialecte génois sert d'intermédiaire entre les dialectes du
nord de l'Italie et ceux du sud, notamment ceux de la Sardaigne.
77Nous trouvons encore ici les finales pleines eet o (verde, bravo,
sotto, mais giardin et autres). Fi devient quelquefois sci (fiore
= sciù
, sicil. sciuri). C palatal devient ç ou x, qui a la valeur
du j françris (certo = çerto, viceno = vexin, mais ceppo =
seppo
et autres). G palatal est représenté de diverses manières
(giorno, lunxi, Zena pour Genova). Mais chi et ghi deviennent
déjà à la manière lombarde ci et gi (chiappare = ciappà,
ghianda = gianda). Pour z on trouve généralement ç ou s
(paçiença, bellessa, mezo). R est souvent supprimé (bruciare
= bruxà
, scrivere = scrive, cucire = cuxi, onore = onò,
opere = opeé) ; eu et u se prononcent déjà à la française, ae
équivaut au fr. ai ; on trouve aussi l'n nasal. Gli se prononce gi
(figlio = figgio), ce qui a lieu aussi sur la côte de l'Adriatique,
à Venise 138.

Des autres dialectes de la Haute-Italie nous ne mentionnerons
ici que trois des plus importants, le piémontais, le milanais et le
vénitien. Le piémontais met souvent ei pour e, eu ou ou (équivalant
au français eu, ou) pour o (stella = steila, piovere =
= pieuve
, sudore = sudour) ; ie devient le plus souvent e, uo
devient eu (pié = , uomo = om, vuole = veul, cuore =
cœur
) ; u a le même son qu'en français : les finales non accentuées
e et o disparaissent, excepté l'e qui indique le féminin
pluriel. Gli devient j ou disparaît (paglia = paja, pigliare =
pié
). Chi et ghi deviennent des palatales (chiesa = cesa, unghia
= ongia
), tandis que pi et fi restent. Ci, ce, hésitent entre
c palatal et s (certo = cert, facile =facil, città = sità, piacere
= piasi
) ; cci, sci deviennent s (lucio = lus, faccia =
fassa
). Gi, ge, hésitent entre g palatal et s, mais ggi reste palatal
(gente = gent, ragione = rason, pertugio = pertus,
oggi = ogi, raggio = rag). Z devient également s, consonne
qui joue, comme on le voit, un grand rôle dans ce dialecte, que
sa prononciation soit forte ou douce (garzone = garsoun,
piazza = plassa). La ténue au milieu des mots devient volontiers
78une moyenne ou disparaît ; r en fait autant dans la même
position (comprare = cumpré, spendere = spende, danaro
= dané
) 139.

Le dialecte milanais traite les voyelles à peu près comme le
piémontais. A la diphthongue italienne ie répond le simple e, à
l'uo le simple o ou œu, et ce dernier son (prononcez eu) remplace
souvent aussi l'o (fiera = fera, buono = bonn, cuore
= cœur
, piovere = piœur, gobbo = goeubb) ; u se prononce
comme en français ; les voyelles finales e et o tombent (en bolonais
il en est même ainsi de l'a : malati pour malattia). Gli
est traité comme en piémontais (canaglia = canaja, briglia
= bria
), ainsi que chi, ghi, pi, fi (chiave = ciav, ghiazzo =
giazz
). Ci tantôt reste palatal, tantôt devient z ou s et même sci
(cento = cent, cena = zenna, cigno = zign, dolce = dolz,
ceschio = sesch, vicino = vesin, ceppo — scepp) ; cci devient
zz et sci (braccio = brazz, feccia = fescia, luccio = lusc) ;
sci devient ss (cuscino = cossin, crescere = cress). Gi
comme en piémontais, tandis que ggi est souvent remplacé par
une sifflante (ruggine = rusgen, legge = lesg). Z reste ou
devient sci (grazzia, mezz, zampa = sciampa, cantazzare
= cantascià
). La ténue dans le corps du mot peut s'affaiblir en
moyenne, et la moyenne disparaître (catenna = cadenna,
prato = praa, giucare = giugà, capra = cavra, codaccia
= coascia
). R à la dernière syllabe disparaît souvent (cantà,
intend, fini, lavò pour lavoro), N à la fin des mots se nasalise.
Comme traits particuliers, nous remarquons que l disparaît souvent
comme r (figliuolo = fioeu, fagiuolo = fasoeu), que tt
(remplaçant le latin ct) prend le son palatal dur (latte = lacc,
et même freddo = frecc ; cf. le bergamasque gacc pour gatti,
nucc pour nudo), V se place souvent devant une voyelle initiale
comme b dans le dialecte sarde (essere = vess, ora = vora,
otto = vott, uno = vun).

Le dialecte vénitien se distingue du milanais par des points
importants, et en général par plus de douceur. Les diphthongues
ie et uo sont généralement ramenées à l'e et à l'o simples (sero,
bono, core) ; les finales ne tombent pas ; u a le son de ou, et non
celui de l'u français. Gli prend le son du g palatal, dont le j est
aussi susceptible (aglio = agio, boja = bogia, mais figliuolo
= fiol
). Chi, ghi, se prononcent souvent comme en milanais
79(chiodo = ciodo, ghianda= gianda). Ci initial persiste, ci
médial devient s ou z, et de même cci devient zz, et sci ss (cima,
cimice = cimese, bacio = baso, bruciare = brusare, braccio
= brazzo
, biscia = bissa). G palatal se prononce comme
z, ce qui est le vrai signe distinctif de ce dialecte (gente=zente,
giorno = zorno, maggiore = mazore). Z initial devient souvent
c palatal (zecca = ceca, mais finezza = ragazzo). L'adoucissement
ou la chute des consonnes sont des faits très-fréquents
(rete = rede, nipote = nevodo, ferito = ferio, sudare =
suar
, fuoco = fogo, lupo = lovo, sapore = saore, signore
= sior
). Mais r se maintient comme dans la langue écrite.
Notons encore que v est assez sujet à l'aphérèse, comme en sicilien
(voce = ose, volatica = oladega).

Les éléments des dialectes de l'italien, comme de ceux des
autres langues, ne sont pas exactement les mêmes que ceux de
la langue écrite : celle-ci favorisa les radicaux latins et leur
abandonna une foule de mots étrangers d'origine inconnue. Il n'y
en a qu'un petit nombre qui se retrouvent dans d'autres langues.
En napolitain par exemple, on peut admettre plus d'éléments
grecs que dans l'italien littéraire, Galiani tire de cette source,
entre autres : apolo, mou (ἁπαλός) ; cria, atome (κρῖ) ; crisuommolo,
abricot (χρυσός et βόλος, mieux χρυσόμηλον) ;jenimma, race
(γέννημα) ; sarchiopio, morceau de chair (σαρκίον) ; zimmaro, bouc
(χίμαρος). Il en cite aussi quelques-uns d'arabes, et beaucoup d'espagnols,
comme alcanzare, tonto, tosino, zafio, zote (azote).
— Le vocabulaire sicilien semble déjà contenir plus de mots
étrangers ; il ne manque pas non plus d'éléments grecs, par
exemple, d'après Pasqualino : caloma, câble (κάλως) ; gangamu,
filet (γάγγαμον) ; nichiari, agacer, irriter (νεικεῖν) ; spanu,
rare (σπανός) ; spinnari, désirer (πεινᾷν).

La domination des Normands a aussi laissé à ce dialecte plus
d'un mot français, par exemple : acchetta (haquet), fumeri
(fumier), giai (geai), pirciari (percer), preggiu (pleige),
spanga (empan). Avec quel zèle ces conquérants s'efforçaient
d'implanter leur langue en Italie, c'est ce que témoigne Guillaume
de Pouille (voy. Ystoire de li Normant, p. p. Champollion,
p. XCIIJ). — Le vocabulaire sarde est remarquable et mériterait
une étude attentive ; c'est un des plus difficiles à expliquer, et il
en faut sans doute chercher les éléments dans des langues très-diverses.
On sait que les anciens habitants de l'île étaient en
partie d'origine ibérique ; qu'antérieurement à la domination
romaine qui s'y fonda au IIIe siècle avant J.-C, des Phéniciens et
80des Carthaginois s'y étaient établis ; qu'après les Romains, les
Vandales, les Grecs et les Arabes y séjournèrent, et qu'elle passa
enfin sous la puissance de l'Aragon. Il est probable que là comme
sur le continent les langues antérieures aux Romains ont été
assez radicalement détruites ; du moins Guillaume de Humboldt
(Spaniens Urbewohner, p. 168) n'a-t-il pu rien découvrir
d'ibérique, c'est-à-dire de basque, dans le dialecte sarde actuel.
On peut retrouver quelques vestiges d'arabe ; on rencontre fréquemment
de l'espagnol et du catalan. Cet idiome, isolé par sa
position géographique, n'a pas suivi rigoureusement les autres
langues romanes ; il suffit de citer les deux verbes sciri (lat.
scire), et nai, prés, naru (lat. narrare), qui remplacent en
sarde les verbes sapere et dicere. — Le mélange paraît plus fort
encore dans les dialectes de la Haute-Italie que dans celui de la
Sardaigne, et surtout entre le Pô et les Alpes. Il est aisé de reconnaître
les éléments germaniques qui s'y trouvent. Tels sont ces
mots : baita, cabane, demeure (v.-h.-all. baitôn, angl. abode) ;
boga, lien (boga, bracelet) ; bron, puits (brunno) ; biova ou
sbiojà, cuire (brüejen) ; bul, querelleur, fanfaron (buhle)
caragnà, se plaindre (karôn, cf. sparagnare de sparôn) ; fesa,
pelure (fesa, écosse) ; fiap, flétri (flapp) ; fos, avide, désireux
(funs, prêt à, disposé à) ; frid (friede) ; gabeurr, homme grossier
(gabûro, paysan) ; gamina, complot (gameinî, association) ;
gast, objet d'amour, bien-aimé (gast) ; gheine, faim (geinôn,
ouvrir la bouche) ; gherb, acide (herb) ; grà, vieillard (grâ,
chenu) ; grezà, exciter (ga-reizen ?) ; grinta, mine sombre
(grimmida) ; grit, mécontent (grit, avidité) ; gudazz, parrain
(gotti) ; litta, limon (letto, argile) ; magone, gésier (mago) ;
meisasc, érysipèle (meisa, petite-vérole) ; molta, boue (molta,
terre, poussière ?) ; piò, charrue (pflug, plug) ; piolett, petite
hache (pial) ; piorl, seau (piral, urne) ; rampf, spasme
(rampf) ; sciovera (zuber) ; scocà (schaukeln) ; scoss
(schooss) ; slippà, glisser (slipfen) ; smessor, couteau(messer) ;
stip, chemin escarpé (cf. angl.-sax. steap, angl. steep, escarpé) ;
storà, troubler (storân) ; stosà, frapper du pied (stôzan) ; tortor
(trihtarï) ; trucca, coffre (trucha, trute) ; tuón, pigeon (tûba) ;
zartig (zart) ; zata (tatze) ; zigra, sorte de fromage (ziger) ;
zin, cochon (swîn) ; zingà (swingan), et une foule d'autres.
Biondelli a dressé (p. 57-87, 246-294, 558-577) trois listes de
mots importants de la Haute-Italie, la plupart d'origine obscure,
avec des indications étymologiques.

Les patois n'ont dans aucun pays d'Europe une littérature
81aussi riche qu'en Italie, ce qui s'explique, il est vrai, par ce que
nous avons remarqué ci-dessus sur leur usage. Cette littérature
consiste non-seulement en une masse d'œuvres d'imagination en
prose ou en vers, mais encore en travaux philologiques, surtout
en dictionnaires, et les lacunes qui existent encore seront sûrement
comblées d'ici à peu. Les textes remontent généralement
au XVIe siècle ; mais quelques dialectes peuvent offrir des monuments
plus anciens et plus précieux pour la langue. Ainsi dans le
patois napolitain, qui a la littérature la plus considérable (voy.
Galiani, Del dialetto napolitano, p. 49-193), on possède, outre
un poème de Ciullo d'Alcamo mentionné déjà par Dante, attribué
par Tiraboschi à la fin du XIIe siècle, par des critiques modernes
au second quart du XIIIe 140, des fragments du journal de
Matteo Spinello, vers 1250 (voy. Muratori, Scriptores, VII, p.
1064 et suiv.) Une chronique rimée d'Antonio de Boezio, d'Aquila,
se place dans la seconde moitié du XIVe siècle (Muratori,
Antiquit. VI, 711). On a imprimé des chartes sardes qui remontent
aux années 1153, 1170 et 1182 (Muratori, Antiquit.
II, p. 1054, 1051, 1059 ; cf. aussi Spano, Ortographia sarda,
II, 85 et suiv.) Le plus ancien monument authentique du dialecte
sarde, ce sont les Statuts de Sassari, au temps de Dante
(dans les Hist. patriæ monum. t. X. Turin, 1861 241). On a des
poèmes historiques en génois qui datent de la fin du XIIIe ou du
commencement du XIVe siècle (Archivio storico italiano, appendice,
n° 18) ; il y a une canzone, moitié en provençal, moitié en
génois, de Rambaut de Vaqueiras (Parnasse occitanien, p. 75),
qui est bien plus ancienne encore ; elle remonte peut-être à la fin
du XIIe siècle ; un poème bergamasque, il Decalogo, remonte
au milieu du XIIIe siècle (Biondelli, p. 673). Un beau monument
milanais, contemporain de Dante, et empreint d'une couleur
toute particulière, ce sont les Vulgaria de Bonvesin dalla Riva
(éd. Bekker, Berlin, 1850-58, voy. sur ce sujet Mussafia, Beiträge
zur Geschichte der romanischen Sprachen
, 1862),
ainsi qu'une poésie de son contemporain Pietro Da Bescapé (dans
Biondelli, Poésie lombarde del sec. XIII, Milan, 1856 342). Du XIIIe
82siècle aussi date une pièce de vers en vénitien (Regrets d'une
dame dont l'époux est à la croisade), qui présente déjà complètement
les caractères de ce dialecte (voy. Raccolta di poésie
veneziane
, 1845, p. 1). On trouve le dialecte véronais employé
dans deux longues poésies spirituelles de Fra Giacomino (dans
Ozanam, Documents inédits, Paris 1850 ; et Mussafia, Monum.
ant. Vienne, 1864, qui place le ms. vers le milieu du
XIVe siècle). Pendant les deux premiers siècles de la littérature
italienne, il exista, dans le nord de la péninsule, à côté de la
langue italienne du centre, une espèce d'idiome littéraire qui,
avec des variétés dialectales, offrait un grand nombre de traits
identiques, et qui, si les circonstances politiques et littéraires
lui eussent été favorables, eût pu devenir une nouvelle langue
romane littéraire. Heureusement pour l'unité linguistique de
l'Italie, que ces conditions de développement firent défaut. Il
existe dans la bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, de volumineuses
poésies dans une langue mixte, dont le français forme la
base, mais qui est très-pénétrée de formes ou de mots qui se rattachent
au dialecte vénitien, ou particulièrement à cette sorte de
langue écrite (voy. Mussafia Macaire, p. v, et Mémoires de
l'Acad. de Vienne
, XLII, 277).

Les dictionnaires se montrent de bonne heure ; ainsi nous en
avons un milanais de l'an 1489 (Biondelli, p. 91) ; un sicilien,
inédit, de l'an 1519 (d'après Pasqualino) ; un bergamasque de
l'an 1565 (Biondelli, p. XXXVI), un bolonais de l'an 1479 et
même un dictionnaire vénitien-allemand (Nurembergeois) de
l'année 1424 (voy. Schmeller, Dict. Bavarois, III, 484). Grâce
à ces sources anciennes, on peut déterminer avec précision la
marche et le degré de développement de chaque dialecte. C'est à
ce point de vue que Galiani dit du Journal de Spinello : « Sono
in napoletano purissimo, ed è mirabile che in tanti secoli abbia
in dialetto nostro sofferta così poca mutazione che è quasi impercettibile. »

2. Domaine espagnol.

Les premiers habitants de l'Espagne furent les Ibères, qui
étaient peut-être une race celtique, mais s'étaient séparés de
83bonne heure de la souche commune ; ils n'étaient purs de mélange
que vers les Pyrénées et sur la côte sud de la péninsule. Le mélange
des Ibères avec les Celtes proprement dits, ceux que nous
connaissons par les Grecs et les Romains, donna naissance au
peuple des Celtibères ; en outre, les Ibères occupaient au nord
une partie de l'Aquitaine et des côtes de la Méditerranée ; au sud,
ils étaient établis de temps immémorial dans les trois grandes îles
de cette mer (V. Guillaume de Humboldt, Recherches sur les
habitants primitifs de l'Espagne
, 1831). Les Phéniciens fondèrent
des colonies sur les côtes, et les Carthaginois étendirent
fort avant dans la contrée leur domination, à laquelle les Romains
mirent fin : ceux-ci possédèrent l'Espagne, d'abord avec une
résistance violente de la part des habitants, puis en paix, pendant
six cents ans, et y fondèrent une nouvelle patrie pour leur
langue et leur littérature. La latinisation de ce pays s'opéra sans
doute, au moins en partie, très-promptement. Strabon rapporte
des Turditans, l'une des populations du sud, qu'ils avaient abandonné
leurs mœurs pour celles des Romains et oublié leur ancienne
langue : « Οἱ μέν τοι ΤουρΒιτανοὶ τελέως εἰς τὸν Ῥωμαίων μεταβέβληνται
τρόπον, ουδέ της διαλέκτου τῆς σφετέρας ἔτι μεμνημένοι. » (éd.
Siebenkees, I, 404).

Les provincialismes cités par Columelle, qui ne sont que des
dérivés populaires de radicaux latins, comme focaneus de faux
et beaucoup d'autres, montrent combien le latin avait, au temps
où il écrivait, pénétré profondément dans la population. Cependant
Cicéron parle de la langue espagnole comme d'une langue
encore vivante : « Similes enim sunt dii, si ea nobis objiciunt,
quorum neque scientiam neque explanationem habeamus, tanquam
si Pœni aut Hispani in senatu nostro sine interprete
loquerentur. » (De divinatione, II, 64.)

Tacite parle aussi d'un homme de la tribu des Termestini
qui, mis à la torture, parlait dans la langue de ses ancêtres :
« Voce magna, serrnone patrio, frustra se interrogari clamitavit. »
(Annal. IV, 45.) On peut voir là-dessus le savant
livre d'Aldrete, Del origen de la lengua castellana, fol. 22 b,
30 b, 39 b, 23 b. Cette langue primitive de l'Espagne vit encore
dans le basque, comme l'a constaté Humboldt. Avec le Ve siècle
commencent les invasions des peuples germaniques ; au VIe et au
VII, les Byzantins dominèrent dans le sud ; au commencement du
VIIIe, les Arabes conquirent presque toute la péninsule, et ne
furent complètement vaincus qu'au XVe.

La domination ou l'établissement de tant de peuples dans un
84seul et même pays ne pouvait guère avoir lieu sans qu'il en
résultât une langue fortement mélangée. L'espagnol n'a pas
échappé à cette conséquence : c'est la cause de sa richesse en
même temps que des difficultés étymologiques qu'il présente 143.
Mais le système phonique et le vocabulaire s'en sont seuls ressentis ;
la formation des mots et la grammaire sont restées purement
romanes dans ce dialecte sonore, et plus voisines même du
latin que dans l'italien. L'apport de chaque langue est, ici comme
ailleurs, très-inégal. On peut admettre de prime abord qu'il reste
peu de traces des idiomes antérieurs à la conquête romaine. Quelques
expressions ibériques, adoptées ou citées par les Romains,
se retrouvent dans les dictionnaires espagnols, mais toutes ne
sont certainement pas dans la bouche du peuple. De celles-là
seules qui sont populaires, on peut affirmer qu'elles sont arrivées
de l'ibérique à la langue actuelle par l'intermédiaire de la romana
rustica
espagnole, où le latin les avait aussi puisées ; les
autres ont été postérieurement empruntées aux écrivains romains.
Il faut noter par exemple ballux ou balluca, sable mêlé d'or,
maintenant baluz, petite pépite d'or (V. Voss. Etymologicum) ;
canthus, cercle d'une roue, gr. κανθός, d'après Quintilien espagnol
ou africain (Schneider, 1, 211), cf. esp. canto, bout ou bord de
quelque chose ; celia, bière de froment, esp. même mot ; cetra,
bouclier de cuir, esp. même mot ; cusculium, graine de kermès,
esp. coscojo ; dureta, étuve, baignoire, esp. même mot ;
gurdus, bête, sot d'après Quintilien et Labérius (V. Voss.
Etym.
), esp. gordo dans le sens de gros (cf. it. grosso, gros,
bête ; gr. παχύς, gras, bête) ; lancea, mot espagnol d'après Aulu-Gelle,
allemand ou gaulois suivant d'autres, esp. lanza ;palacra,
palacrana, lingot d'or, esp. même mot. En outre, on peut
expliquer avec assez de certitude par le basque un certain nombre
de mots espagnols ; V. par exemple, dans le Dict. étymol.
les articles alabe, ardite, balsa, burga, chamarasca, estacha,
ganzua, garabito, garbanzo, gazuza, guijo, gurrumina,
hervero, izaga, lelo, mandria, modorra, morcon, moron,
nava, oqueruela, sarracina, socarrar, vericueto, zahurda,
85zalea, zamarro, zanahoria, zaque, zaragüelles, zarria,
zato, zirigaña. Pour d'autres, tels qu'ademan, amapola,
jorgina, zaga, etc., cette origine est plus douteuse ; au reste la
langue espagnole semble avoir à peine conservé quelques traits
du système phonique des Ibères (V. le Dict. étymol. p. XI). —
Nous avons apprécié plus haut les éléments grecs et germaniques ;
nous ajouterons seulement qu'on se servit en Espagne de l'alphabet
gothique jusqu'en l'an 1091, où il fut aboli par le concile de
Léon. — On a souvent fait remarquer l'influence qu'ont exercée les
Arabes sur les mœurs et la langue des Espagnols 144. L'élément
arabe a été étudié dès le XVI° siècle dans dés écrits devenus à peu
près introuvables ; plus tard, Sousa (il s'occupait proprement du
portugais, mais cela fait à peine une différence) dans son livre Vestigios
da lingua arabica em Portugal
(Lisboa, 1789 ; nouv.
édit. 1830), puis Marina, dans les Memorias de la Academia
real de la historia
, tomo IV, et Hammer dans les Mémoires de
l'Académie de Vienne (classe philosophique, t. XIV), ont extrait
l'élément arabe contenu dans l'espagnol ; mais c'est Engelmann
(dans son Glossaire des mots espagnols et portugais tirés de
l'arabe
, Leyde, 1861), qui a rempli le premier cette tâche d'une
manière satisfaisante, c'est-à-dire scientifique, par le moyen du
dialecte arabe vulgaire (tout-à-fait négligé par ses prédécesseurs)
tel qu'il se trouve dans le Vocabulista aravigo, de Pedro
d'Alcala (Granada, 1505), et dans les écrivains arabes de l'Espagne.
Le glossaire d'Engelmann renferme environ 650 articles.
Presque tous ces mots étrangers (facilement reconnaissables),
désignent des objets sensibles ou des idées scientifiques se rapportant
spécialement aux règnes de la nature, à la médecine, aux
mathématiques, à l'astronomie, à la musique ; plusieurs touchent
les institutions politiques, spécialement les emplois et les dignités ;
d'autres, les poids et les mesures ; quelques-uns aussi ont trait à
la guerre. Il n'y en a pas un seul qui soit emprunté à la sphère
des sentiments, comme si le commerce entre chrétiens et mahométans
s'était restreint aux relations extérieures, et n'eût permis
aucun de ces rapprochements amicaux qui existaient entre les
Goths et les Romains. Parmi les mots arabes, on remarque aussi
un pronom, fulano pour quidam, et deux particules, fata pour
tenus, oxalá pour utinam. — On a admis dans les dictionnaires
l'argot des voleurs, appelé germania, parce que plusieurs écrivains
86n'ont pas dédaigné de s'en servir ; mais il n'appartient pas
à la langue. C'est, comme l'a démontré Mayans (Orig. de la
leng. esp
. I, 116), une langue de pure convention, qui comprend,
il est vrai, des mots espagnols vieillis ou des termes arabes
qu'on n'emploie plus, mais aussi des mots étrangers apportés par
les vagabonds, et plusieurs mots de bon espagnol, dont les lettres
sont interverties (pecho = chepo, bota = toba) ou le sens
modifié.

L'espagnol ne s'étend pas, comme langue populaire, dans tout
le royaume : le nord-ouest appartient au rameau portugais, l'est
au rameau provençal, et on parle basque en Biscaye, Guipuscoa,
Alava, et dans une partie de la Navarre 145. En revanche, il a fait
de grandes conquêtes dans le Nouveau-Monde. Comme le nom
d'Espagne comprend toute la péninsule, on a nommé la langue,
d'après la province où elle se parle le plus purement, castillane
lengua castellana 246 ; et l'Académie a maintenu cette dénomination
dans sa grammaire et son dictionnaire. Mais depuis longtemps
on emploie aussi habituellement le terme de lengua espanola 347 ;
le vieux fr. dit aussi espaignol. Voy. ci-dessus, p. 71.

Les plus anciennes traces de l'espagnol se trouvent dans Isidore
de Séville. D'après la liste d'anciens mots romans, donnée plus
haut (p. 39 et suiv.), beaucoup de mots soit exclusivement espagnols,
87soit communs aux autres langues, se retrouvent dans son
livre ; tels sont : ala, amma, astrosus, baselus, cama, campana,
capa, capanna, capulum, caravela, casula, cattare,
ciconia, colomellus, cortina, esca, flasca, focacius, furo,
gubia, incensum, insubulum, lorandrum, mantum, milimindrus,
rasilis, salma, sarna, sarralia, taratrum, tructa,
turbiscus, turdela. D'autres mots, désignés par Isidore comme
vulgaires ou expressément comme espagnols, se sont perdus avec
le temps ; tels sont : aeranis, sorte de cheval (XII, 1) ; agna,
mesure de terrain (actum provinciæ bœticæ rustici agnam
vocant
, XV, 15) ; agrestes pour argestes (XIII, 11) ; brancia
pour fauces (IV, 7) ; capitilavium, dimanche des rameaux
(VI, 18) ; celio pour cœlum, ciseau (XX, 4) ; francisca, hache
franque (quas [secures] et Hispani ab usu Francorum par
derivationem franciscas vocant
, XVIII, 9) ; gauranis pour
equus cervinus (XII, 1) ; mustio, it. moscione (V. plus haut
à la liste) ; pusia, sorte d'olives (XVII, 7) ; sinespacio pour
semispatium, demi-épée (XVIII, 6) ; tusilla, altération de tonsilla
(XI, 1). Beaucoup d'autres qu'il donne pour des mots
latins, mais qui étaient certainement de la langue populaire, ont
également disparu. — Les textes proprement dits remontent
jusqu'au XIe siècle : du moins c'est à ce siècle, qu'Amador de los
Rios (Hist. critic. III, 19). rapporte le Pœma de los reyes
magos
découvert et publié par lui. On avait admis jusqu'ici, sur
la foi de critiques sérieux l'authenticité de la charte de commune
d'Aviles en Asturie, de l'an 1155 ; ce qui faisait de cette pièce la
plus ancienne charte espagnole, mais la fausseté de ce document
a été prouvée récemment (voy. le Jahrbuch für Roman. Litt.
VII, 290).

Le poëme épique du Cid paraît aussi appartenir au même siècle
(il est du milieu ou de la fin d'après Sanchez), mais la Cronica
rimada del Cid
publiée par Francisque Michel (Vienne, 1847),
semble être au plus tôt du commencement du XIIIe siècle.
Dans ce siècle, on trouve des monuments plus nombreux : les
Poésies spirituelles de Berceo, le roman d'Alexandre le Grand
de Juan Lorenzo Segura, celui d'Apollonius de Tyr, et
plusieurs petites pièces de vers (V. Sanchez, Coleccion
de poesias castellanas
, Madrid, 1779-1790, IV vol. ;
nouvelle édition par Achoa, Paris, 1843, avec de nombreuses
additions de Pidal ; — avec de nouvelles additions et une
restitution intelligente de l'ancienne orthographe par Janer,
Madrid, 1864) ; le code visigoth traduit en espagnol, ou Fuero
88juzgo
 ; les Siete partidas du roi Alphonse X, tous deux publiés
plusieurs fois ; la Conquista de Ultramar, Madrid, 1858, édité
par l'orientaliste Gayangos. Il faut rappeler ici les efforts du roi
que nous venons de nommer, qui, par ses propres travaux ou les
traductions qu'il fit faire du latin en espagnol, chercha à faire
avancer la littérature nationale. Les chartes commencent aussi
à être plus fréquentes. Du XIVe siècle sont encore le Conde Lucanor
de l'infant don Manuel (Madrid, 1575 ; Stuttgart, 1839),
les poésies satiriques de l'archiprêtre Juan Ruiz ; le poëme sur
Fernan Gonzalez, et les poésies de Rabbi Santo, tous dans les
collections indiquées plus haut. Citons enfin une nouvelle collection
de prosateurs de l'ancienne langue, celle de Gayangos :
Escritores en prosa anteriores al siglo XV, Madrid, 1860,
en tête de laquelle se trouve le livre d'origine orientale Calila
é Dymna
. Ces ouvrages, et quelques autres des trois premiers
siècles de la littérature espagnole, forment la grande source où
l'on doit puiser la connaissance de l'ancienne langue, aussi importante
par son vocabulaire que par ses caractères grammaticaux,
car elle a subi plus de changements que la langue italienne.

On commença au XVe siècle à travailler sur la langue nationale ;
mais ce n'est qu'à la fin de ce siècle que parut le premier dictionnaire,
celui d'Alonso de Palencia ; encore n'était-il que latin-espagnol :
El universal vocabulario en latin y romance,
1490 ; il fut suivi de près par le dictionnaire, souvent cité, du
célèbre humaniste Antonio de Lebrija : Antonii Nebrissensis
Lexicon latino-hispanicum et hispanico-latinum
,
Salamancæ, 1492 ; et le même donna, la même année, son
Tratado de grammatica sobre la lengua castellana. Dans la
première moitié du XVIIIe siècle parut la première édition du Dictionnaire
académique : Diccionario de la lengua castellana
por la real Academia española
, Madrid, 1726-1739, VI vol. ;
la grammaire ne fut publiée que beaucoup plus tard : Gramatica
de la Academia española
, Madrid, 1771. Un petit dictionnaire
étymologique du philologue Sanchez de las Brozas est resté
manuscrit (Mayans, Vita Francisci Sanctii, § 227) ; Covarruvias
s'en est servi pour son Tesoro de la lengua castellana,
Madrid, 1674.

Dialectes. — Les historiens de la langue espagnole ont
donné peu d'attention à ses dialectes. Mayans (I, 58 ; II, 31)
constate seulement leur existence, et restreint leur différence à la
prononciation et à un certain nombre de mots provinciaux. Nous
signalerons dans la grammaire les quelques faits intéressants qu'ils
89présentent. Le dialecte de Léon est encore celui qu'on peut le
mieux étudier, grâce à quelques textes étendus où il est employé,
comme le Poema de Alexandro (cf. Sanchez, III, 20), et le
Fuero Juzgo (dans certains mss.). Si on retranche de ce
dialecte ce qui se rapproche de son voisin le galicien, il lui reste
en propre bien peu de chose qu'on ne puisse retrouver dans
d'autres ouvrages en vieux castillan, comme le Poema del
Cid
148. On sent des traces de mélange dialectal dans d'autres
auteurs de ce temps, par exemple dans Berceo ; et comme
cet écrivain était de Rioja, sa langue trahit déjà l'influence
provençale.

3. Domaine portugais.

La langue portugaise, qui est très-voisine de l'espagnol, mais
qui n'en est pas un dialecte, qui maintient au contraire son originalité
par d'importants caractères grammaticaux, a les mêmes
sources, et par conséquent à peu près les mêmes éléments 249. Il
faut remarquer cependant que le portugais contient beaucoup
moins de mots basques que l'espagnol, soit que les Ibères fussent
moins nombreux en Lusitanie, soit que, venus du pays basque, ces
mots aient atteint la Castille sans pénétrer jusqu'en Portugal 350.
On doit relever aussi la proportion plus forte des mots français,
qu'on attribue, non sans vraisemblance, aux nombreux compagnons
qui suivirent le comte Henri de Bourgogne. Le commerce
avec l'Angleterre introduisit en outre en portugais plusieurs mots
inconnus en Castille : par exemple, britar, rompre (angl.-sax.
90brittian) ; doudo, insensé (angl. dold) ; pino, épingle (angl.
pin).

La langue a pour domaine le Portugal et, en outre, la Galice.
Il a déjà été question de l'asturien ; le portugais et le galicien
(galliziano, gallego) sont une seule et même langue, comme des
savants indigènes eux-mêmes l'ont reconnu et démontré avec des
chartes rédigées dans les deux pays (cf. Dieze, sur Velazquez,
p. 96). En effet si on examine les rares monuments d'une date
reculée qu'on peut nommer avec certitude galiciens, c'est-à-dire
les chartes de cette province, ainsi que les cantigas du castillan
Alphonse X, et les chansons moins anciennes de Macias, on
trouvera bien peu de formes ayant quelque importance qu'on
ne rencontre aussi dans les anciens textes portugais ; mais
l'idiome de cette province, politiquement unie à l'Espagne, s'est
peu à peu éloigné de son ancienne forme.

Pour désigner cette langue, le nom de portugaise, lingua
portugueza
, est seul demeuré en usage, et n'a jamais été
sérieusement compromis par ceux de hespanhola ou lusitana 151.

Si l'on écarte quelques rajeunissements d'anciennes chansons,
et quelques pastiches donnés pour authentiques, et attribués au
XIIe siècle et même aux temps antérieurs (V. Bellerman, die Liederbücher
der Portugiesen
, Berlin, 1840 ; Ferd. Wolf, Studien
zur Gesch. der Span. u. Port. Nationalliteratur
,
p. 690) c'est alors encore ici la littérature diplomatique qui
ouvre la marche. La plus ancienne charte en portugais pur est
datée era 1230, c'est-à-dire 1192 (voy. Ribeiro, Observações
para servirem de memorias ao systema da diplomatica
portugueza
, Lisboa, 1798, 1, p. 91, où l'on trouve une liste des
anciennes chartes) 252.

Les premiers monuments de la littérature proprement dite
sont trois grands recueils de chansons :

Le Cancioneiro galicien du roi Alphonse X de Castille
(1252-1281), contenant plus de 400 cantigas en l'honneur de la
91sainte Vierge, inédites pour la plupart, et dont il existe trois
manuscrits : deux à l'Escurial, un à Tolède.

Une collection comprenant les œuvres d'un grand nombre
de chansonniers, et dont le manuscrit unique (original ou copie)
fort incorrect existe à la bibliothèque du Vatican : de ce
recueil, on a publié à part les chansons du roi Denis (1279-1325),
qui fit pour la littérature de son pays ce qu'avait fait pour celle
du sien Alphonse de Castille : Cancioneiro d'El Rei D. Diniz,
por Caetano Lopes de Moura
, Paris, 1847.

Un ms. incomplet de la Bibliothèque d'Ajuda, imprimé sous
le titre de : Fragmentos de hum cancioneiro inedito na livraria
do collegio dos nobres de Lisboa
, Paris, 1823. Une meilleure
édition est : Trovas e cantares do XIV seculo (éd. F. A.
de Varnhagen), Madrid, 1849 153.

Le Cancioneiro geral de Resende (Stuttgart, 1846 et ss.,
3 vol.), comprend principalement des poésies du XVe siècle. Les
ouvrages en prose deviennent de plus en plus abordables, grâce
aux travaux de l'académie de Lisbonne ; déjà la Colecçaõ de
livros ineditos de historia portugueza
contient d'importantes
chroniques et un recueil de coutumes locales (foros), dont la
rédaction portugaise remonte au XIIIe ou XIVe siècle 254.

Les principaux travaux auxquels le portugais a donné lieu
sont des dictionnaires. Les plus intéressants sont : Vocabolario
portuguez e latino por D. Rafaël Bluteau
, Lisb. 1712-1721,
8 vol. in-fol. (reformado por Moraes Silva, Lisb.
1789, 2 vol. in-4°) ; Diccionario da lingoa portugueza, publ.
pela Academia
etc. Lisb. 1793, in-fol. ; mais il n'a paru de
ce dernier ouvrage que la lettre A. C'est un vrai trésor national
que le dictionnaire de l'ancienne langue publié par Santa-Rosa,
92Elucidario das palavras, termos e frases, que em Portugal
antiguamente se usárão
, Lisb. 1798-99, 2 vol. in-fol. Il
y a joint une histoire de la langue portugaise.

4. Domaine provençal.

Les deux dialectes romans de la Gaule, le provençal et le
français, se sont constitués, à peu de chose près, avec les mêmes
éléments ; ce que le premier a de particulier ou de commun avec
l'italien ou l'espagnol n'est pas de nature à l'éloigner sensiblement
du second, avec lequel il a une parenté intime. Il est vraisemblable,
sous certaines restrictions, qu'une seule et même
langue romane régna originairement dans la Gaule entière. Cette
langue s'est conservée plus pure dans le provençal que dans le
français, qui, à partir du IXe siècle environ, s'en détacha en
développant une tendance marquée à l'aplatissement des formes.
On a cru posséder un échantillon de cette langue commune de la
France dans les serments de l'an 842 ; mais dans ce monument
la prédominance du français est décisive, comme suffirait à
le montrer la forme cosa pour causa, qui n'a jamais été provençale 155.

La patrie spéciale du provençal est le sud de la France. La
ligne de démarcation des deux idiomes passe, d'après Sauvage
(Dict. languedocien, 1re édit. p. 217) par le Dauphiné, le
Lyonnais, l'Auvergne, le Limousin, le Périgord et la Saintonge ;
d'autres la fixent un peu autrement. Le Poitou, qui est la patrie
des plus anciens troubadours, n'appartient cependant pas à ce
domaine 256. En dehors de la France, le provençal s'étend sur l'est
de l'Espagne, particulièrement en Catalogne, dans la province
de Valence et des îles Baléares (Bastero, Crusca prov. p. 20).
La conscience de cette communauté de langage était si énergique,
qu'un troubadour (Choix, IV, 38) divise les peuples de la France
en Catalans et Français, et compte parmi les premiers les habitants
de la Gascogne, de la Provence, du Limousin, de l'Auvergne
et du Viennois. Dante, qui ne connaissait pas encore le
castillan, place même en Espagne le siège principal de la langue
93d'oc : « Alii oc, alii oïl, alii si affirmando loquuntur, ut
puta Hispani, Franci et Itali
. » (De vulg. eloq. I, 8.) On a
même dit que l'Aragon avait appartenu quelque temps à cette
langue et ne s'en était détaché que plus tard. Mayans dit par
exemple des chartes de ce pays : « Los instrumentos quanto
mas antiguos, mas lemosinos son
(I, 54). »

Mais Amador de los Rios contredit formellement cette opinion
dans son Hist. crit. de la litt. esp. (II, 584) ; s'appuyant,
lui aussi, sur les chartes aragonaises, il démontre que, malgré
les goûts provençaux des rois, l'idiome populaire de l'Aragon
n'a jamais été essentiellement différent du castillan.

Les preuves ne sont pas moins convaincantes pour la Navarre ;
là aussi la langue a toujours été analogue au castillan, et elle n'a
jamais été ni française, ni provençale.

Enfin, il faut encore rattacher à ce domaine la Savoie et une
partie de la Suisse (Genève, Lausanne et le sud du Valais). — II
était difficile de trouver un nom caractéristique pour cette langue
placée entre les domaines français, italien et espagnol, car il n'y
avait pas de désignation géographique qui embrassât son territoire :
il fallait l'emprunter à une des provinces qui le composaient.

On l'appela donc, quand on s'écarta du nom dominant romana,
la lenga proensal (Choix, V, 147), lo proenzal (Lex. rom.
I, 573), ou bien lo proensalès (L. rom. 1. c), lo vulgar
proensal
(Gramm. romanes p. p. Guessard, p. 2). Toutes ces
citations sont d'une époque peu ancienne. D'après la langue qu'ils
parlaient, les peuples se distinguaient en Provinciales ou Francigenae
(Diez, Poésie des troubadours, p. 7) ; on nommait
encore les Français Franchimans (forme allemande) au temps
de Sauvage. Dante et le roi portugais Denis, qui sont contemporains,
parlent tous deux de la langue et de la poésie provençale.
On emprunta à une autre province, mais assez tard aussi, le nom
de langue limousine, lemosi ; on le trouve pour la première fois
dans le grammairien Ramon Vidal, ensuite dans les Leys
d'amors
, qui attribuent à la langue du Limousin une pureté particulière :
« Enayssi parlo cil que han bona et adreyta parladura
e bon lengatge coma en Lemozi et en la major partida
d'Alvernhe
 » (II, 212) ; on déclinait et on conjuguait surtout
là mieux que partout ailleurs, d'après cet ouvrage (II, 402).
Ce nom, qu'emploie déjà aussi J. Febrer (en bon llemosi est,
151), désigna plus tard en Espagne non-seulement la langue provençale,
mais encore et surtout celle de la Catalogne et de Valence.
94Une grande partie de la France méridionale s'appelait en vieux
français, à cause de l'affirmation de sa langue (oc) la Languedoc,
dans Ramon Muntaner la Llenguadoch, en b.-lat. Occitania,
d'où l'adj. fr. occitanien, que plusieurs modernes ont employé
pour désigner l'ensemble de la langue provençale ; il vaut
mieux le restreindre au dialecte du Languedoc 157.

On place, sans aucune exagération, le premier monument de
cette langue au milieu du Xe siècle 258 ; c'est un poème sur Boèce,
fragment de 257 vers de dix syllabes, publié par Raynouard
(Choix, II, p. 4-39) 359, conservé dans un manuscrit du XIe siècle,
et que Paul Meyer, par l'examen de la langue et de l'écriture,
croit avoir été composé en Limousin ou en Auvergne. Puis viennent
quelques poésies du Xe et du XIe siècles, en un dialecte semi-provençal,
et dont nous reparlerons ci-dessous, en décrivant le
domaine français. Quelques poésies religieuses, éditées par Paul
Meyer (Bib. de l'Ecole des chartes, 5e série, 1, 1860), remontent
aussi au XIe siècle. Puis, deux sermons publiés par le même savant
dans le Jahrbuch, VIII, 81. Un monument en prose, beaucoup
plus important, est la traduction provençale du sermon du Christ
au lavement des pieds, édité pour la première fois par Conrad
Hofmann (dans les Anzeigen der bairischen Akademie, 1868),
d'après un ms. de la fin du XIe siècle ou du commencement
du XIIe.

Mais les plus riches matériaux pour l'étude de la langue sont
fournis par la littérature principalement poétique des XIIe et XIIIe
siècles, qui a été en grande partie mise au jour.

Parmi les œuvres épiques de cette période, citons surtout, à
cause de ses formes grammaticales toutes spéciales, le poème de
Girart de Rossilho (édité pour la première fois par Conrad
Hoffmann, Berlin, 1855-1857). — On trouve dans Raynouard
(Choix, II, 40), des chartes latines (de 860 à 1080), semées de
phrases provençales : Bartsch a admis dans sa Chrestomathie
quelques chartes de 1025 (ou environ), de 1122, de 1129, qui
sont complètement ou presque complètement provençales.

Aucune langue romane n'a eu de grammairiens d'aussi bonne
heure que le provençal. Leurs travaux étaient surtout destinés à
95prévenir la négligence des poètes et à arrêter la décadence de la
langue, qui commençait à se manifester. Ils contiennent plus
d'une remarque encore précieuse pour nous. L'un de ces ouvrages,
la Dreita maniera de trobar (la vraie manière de composer
poétiquement) par Ramon Vidal, est moins une grammaire qu'une
dissertation grammaticale. Son auteur est, sans aucun doute,
Raimon Vidal de Bezaudun connu par ses nouvelles rimées, car
c'est le nom que donnent les Leys d'amors à l'auteur de la
grammaire, dont elles citent un passage : « Segon que ditz En
Ramon Vidal de Bezaudu, le lengatges de Lemosi es mays
aptes e covenables a trobar
(II, 402). » Il paraît avoir vécu
vers le milieu du XIIIe siècle. Cette date s'appuie, il est vrai, sur
sa manière et son style, plutôt que sur des données positives 160.
Bastero s'en est déjà servi dans sa Crusca provenzale. — La
seconde de ces grammaires, nommée Donatus provincialis, par
Uc Faidit, existe en deux rédactions : l'une provençale, et
l'autre latine ; c'est la première qu'il faut tenir pour l'original.
Ces deux grammaires ont été publiées par Guessard, Grammaires
romanes inédites
(Paris, 1840), d'après des manuscrits
qui remontent encore au temps des Troubadours.
Guessard a publié, en 1858, une nouvelle édition de ces Grammaires
suivie d'un important dictionnaire de rimes. — Il existe
aussi quelques glossaires manuscrits, notamment le Floretus
(Voy. Hist. litt. XXII, 27), qui est à la Bibl. nat. de Paris, et
qu'a mis à profit Rochegude. — On trouve une grammaire et une
poétique complètes dans les Leys d'amors (les lois d'amours,
c'est-à-dire les lois de la poésie amoureuse, données à Toulouse
par l'académie del Gay Saber) ; une partie de ce volumineux
ouvrage, terminée dès 1356, Las flors del gay saber, a été
imprimée : Las Leys d'amor, p. p. Gatien Arnoult (Paris et
Toulouse, 1841, 3 vol.). L'auteur est Guill. Molinier, le chancelier
de la Société.

Dialectes. — On ne s'attend pas plus à trouver une langue
écrite, dans le sens rigoureux du mot, chez les Provençaux que
chez les autres peuples du moyen-âge, dont les poètes n'avaient
96pas de centre fixe pour leur activité, mais passaient et repassaient
sans cesse d'une cour à l'autre dans les différentes provinces
ou à l'étranger. Dès avant les premiers troubadours, on
s'est certainement efforcé d'employer une langue plus pure,
mieux réglée, et cherchant plus à se rapprocher du latin que les
patois populaires : à eux échut le rôle de pousser plus loin son
développement, de séparer le noble du bas, l'étranger du national,
mais en même temps d'emprunter aux patois ce qui donnait à
l'expression de la légèreté et de la variété, aux formes grammaticales
de la richesse. Ainsi se développa ce qu'on appela lo dreg
proensal
, la dreita parladura, langue de choix, qui n'était
liée à aucune province, mais n'excluait pas les nuances provinciales.
C'était principalement l'idiome des poëtes lyriques, des
troubadours proprement dits, tandis que les poëtes épiques ou
didactiques laissaient déjà pénétrer dans leurs vers plus d'expressions
dialectales, dont on devine dans la plupart des cas la patrie
plutôt qu'on ne peut la déterminer sûrement. Pour donner des
exemples de ces nuances provinciales, de ces formes multiples,
nous citerons fer et fier, deu et dieu, estiu et estieu, loc luoc
et luec, lor et lur, tal et tau, ren et re, conselh et cosselh,
chant et chan, cascun et chascun, engan et enjan, fait et
fach, et quelques autres : les meilleurs manuscrits donnent ces
formes concurremment 161. Mais des formes comme laychar pour
laissar, cargah pour cargat, amis pour amics, marcé pour
mercé, ou même graiça pour gracia, pleina pour plena,
dépassent les limites de la langue cultivée, et ne se rencontrent,
avant la fin du XIIIe siècle, que dans des écrivains isolés.
- Les patois actuels du sud de la France ont développé, il est
vrai, plusieurs traits particuliers qu'on cherche en vain dans
l'ancienne langue du pays ; mais ils sont loin d'offrir entre eux
97des contrastes aussi frappants que ceux de l'Italie. Nous reparlerons
de ces particularités dans la deuxième section. Comme traits
généraux, à peine susceptibles d'exceptions, nous signalerons ceux-ci :
l'o ou l'ou final atone remplace le prov. a (caro, bonou) ; ou
(équivalant d'ordinaire au fr. ou) ou eu remplacent l'o (honnour) ;
l'u se prononce comme l'u français ; les lettres s, t, p,
souvent r, et d'autres consonnes encore, ne se prononcent pas,
et souvent ne s'écrivent pas toujour, veritá, par (t), tro(p),
aimá, vení, vesé, pour le v.-pr. vezer). En général on se sert,
autant que possible, de l'orthographe française.

Le provençal moderne diffère peu, dans son système phonique,
du provençal ancien, excepté sur les points mentionnés
ci-dessus : plusieurs mots masculins changent l'e final atone
en i (agi, couragi ; capitani était déjà v.-prov.) ; les
diphthongues se conservent généralement ; pourtant, à Avignon,
ai devient volontiers ei (eimable, eisso). Au se prononce souvent
oou (vauc= voou, parooule, choousi). Ue est resté usité
à Marseille (bouen, jouec, louec) ; à Avignon, on le trouve
remplacé par io et oua (ce dernier aussi à Toulon : fio = fuec,
couar = cuer, nouastre). L se résout en u (gaou = gal,
maou, roussignoou, aoutre) ; lh à Avignon devient y (mouye
= molher
, payou = palha, ouriou = aurelha). N est toléré
à la fin du mot (ren, matin, moutoun). C devant a est tantôt
guttural, tantôt palatal (camin, toucá, chacun, chassá) ; ch
représente le latin ct comme en v.-prov. (fach, nuech, mais
lié pour le v.-pr. lieit, à Avignon). I palatal devient j (miejou
= lat. media
).

Les dialectes languedociens s'accordent assez bien avec ceux
de la Provence. Si là ei remplace ai, en Languedoc on le met
souvent pour oi (neyt, peys = noit, pois) ; à Montpellier, on
dit comme à Avignon, io pour ue ou uo (fioc = fuec, fuoc), et
de même on prépose dans plusieurs endroits un i aux voyelles ou
diphthongues (uelh = iuél, luenh = liuen, coissa = kiueisso,
bou = biou). Le changement de l en u n'est pas régulier : on
trouve mal, chival, capel, mais aussi mau, lensou, aubre,
caouquo (fr. quelque). N final n'est pas traité moins diversement :
à Montpellier cette lettre persiste (bon, vin, courdoun),
à Toulouse elle tombe (be, fi, fayssou). Outre le cas de l'infinitif,
r final tombe encore quelquefois (fior = flou, calor = calou).
Ca est rarement remplacé par cha (camí, cercá, fachá = fr.
fâcher
). Le lat. ct et di se rendent à Montpellier et à Toulouse
par ch (fach, gaouch = gaudium ; à Narbonne ct devient it
98(fait, leit). A Alby, g palatal ou j s'exprime par dz ou ds
(gentilha = dzantio, jorn = dsoun). Dans une grande partie
de cette province, par exemple à Toulouse et à Montpellier, v se
durcit en b (vida = bido, vos =bous), ainsi que dans le patois
du Quercy, qui diffère peu du languedocien.

Le dialecte limousin ne mérite pas les éloges qu'on lui prodiguait
autrefois. On distingue un haut-limousin et un bas-limousin.
Ce dernier a pris la mauvaise habitude de changer a
atone en o, ce que les autres dialectes ne font au moins qu'à
la fin du mot (amor — omour, parlar = porlá). Ai devient
ei, comme dans d'autres dialectes (eimá, eital). Jeu devient
ioou. L persiste ou s'efface (montel, mourcel, à côté de pastoureou,
quaouque) ; il en est de même de n (bien, visin, mais
gorssou = garson). Le trait le plus important est que ca représente
parfois le ch français ; mais il se prononce non ch, mais ts
(charmer = tsarmá, sachez = sotsas) ; de même à g palatal
(ou j) répond dz (gage = gadze, jour = dzour). Le lat. ct
subit l'assimilation (dit, escrits). Le haut-limousin a pour principal
caractère de laisser à ch et à g palatal leur prononciation
ordinaire 162.

Les dialectes de l'Auvergne offrent beaucoup de particularités.
Celui de la Basse-Auvergne change ai en oue (maire=mouere,
apaisar = apoueser) ; oi en eu (noit = neu, pois = peu,
coissa — queusse) ; eu, iu, en iau (leu = liaou, riu=riaou).
Les liquides l et n s'effacent à la fin du mot (nouvé, gardí,
razóu). Les sifflantes s, ç et z, deviennent des palatales (chi,
chirot, moucheu = fr. si, sera, monsieur ; ichi, dieux, souchi
= ici
, cieux, souci ; cregeas, rigeant = pr. crezatz,
rizen). Le ch est tout à fait comme en français (chambro,
champ, etc.). Comme en limousin, le lat. ct est rendu par t, et
non par le ch ordinaire (fait, parfet). Au contraire de la langue
écrite, le t s'est introduit dans plus d'un mot à la place du c final
(foc = fiot, vauc = vaut). — Le haut auvergnat, entre autres
caractères, change volontiers l en r (bel = ber, aquil=aquer,
ostal = oustahr, talmen = tahrament). Ch devient tz ou tg
99(tzamí, ritge = fr. chemin, riche) ; g palatal ou j devient dz,
dg (dzudze, mariadge = fr. juge, mariage).

Le dialecte dauphinois (il s'agit surtout de Grenoble) a
un tout autre cachet. L'a atone persiste à la fin des mots,
excepté après un i étymologique (roba, pucella ; glaci, esperanci,
egleysi). E à la même place devient o (agio = fr. âge,
damageo, miraclo, chano = chêne, et même vicio = it. vizio).
Les diphthongues sont très-altérées (cf. jamey, voey, ney, bet,
fio, avec le prov. jamay, vauc, neu, beu, fuec ; mais aiga,
rey, mieu, ont conservé l'ancienne forme). L final se résout
(biau, lincieu), mais n se maintient en règle (ben, fin, bacon,
mais savóu). R est diversement traité (chalóu = fr. chaleur,
parlá, habiller, sortir). Ca et ch sont déjà tout-à-fait comme
dans le français, dont l'influence sur ce dialecte est évidente : de
là des particules comme oüé (oui), avey (avec), chieux
(chez).

A la frontière orientale du Dauphiné, sur le territoire jadis
piémontais, aujourd'hui français, est un petit peuple remarquable
par sa confession religieuse, les Vaudois ; ils possèdent d'anciens
textes dans leur langue, qui appartient incontestablement au
domaine provençal (Fragments dans Raynouard, Choix, II ;
Hahn, Histoire des Vaudois, 1847 ; Herzog, les Vaudois
Romans
, 1853, et autres). Ils roulent généralement sur des
sujets religieux ; La nobla leyczon, le plus remarquable de leurs
écrits poétiques, était attribuée autrefois à la fin du XIIe siècle ; il
est maintenant établi qu'elle est plus jeune de trois siècles, et il
en est ainsi sans doute du reste de cette littérature 163. Ses caractères
100phoniques offrent avec ceux du provençal quelques différences
qui méritent attention. Ces différences sont moins sensibles
pour les voyelles : le vaudois dit, par exemple, ei pour ai
(eital), eo et io pour eu et iu (breo, vio). Les deux liquides l et
n à la fin des syllabes n'ont rien de particulier (hostal, hauta,
austra ; fin, certan), mais l'm de flexion devient n (sen, veyen
= sera, vezera) ; r final demeure intact. T s'apocope (voluntá,
formá, manjé, entendé = pr. entendelz). D est sujet à la
syncope (veer, poer). Ca est tantôt guttural, tantôt palatal
(cativa, peccar et pechar, chamin, chascun, archa). Le lat.
ct n'est jamais rendu par ch, mais par t, comme en dauphinois
(dit, oit, ensuyt = eissuch). S initial suivi d'une autre consonne
ne prend pas de voyelle prothétique (stela, scampá, sperit).
— Le vaudois moderne s'éloigne encore bien plus du provençal,
comme on le voit au premier coup d'œil, pour se rapprocher
de l'italien : aussi sa provenance de l'ancienne langue est-elle
sujette à de grands doutes 164. A et i atones se maintiennent
à la fin des mots (filla, servissi, principi) ; de même la diphthongue
ai (fait, paire) ; mais a devient souvent aussi e (erca,
entic) et o devient tantôt ou, tantôt eu (mount, aloura, peuple,
heureux) ; oi devient eui, oui (neuit, peui, connouisse).
Quant aux consonnes, l ne se dissout pas en u (mourtal),
mais bien, après une consonne, en i, à la manière italienne
(ghiesia, kiar, piassa = it. chiesa, chiaro, piazza), et se
change quelquefois en r à la fin d'une syllabe (ar = al,
sarvá = salvar). M final devient n, comme dans l'ancienne
langue (poen = podem). S s'apocope souvent (nou, vou,
apreu = fr. après). La est généralement guttural ; ch est
rare (caminá, cap, chauzí). La tendance vers l'italien se
marque surtout dans la déclinaison, qui n'admet pas l's de flexion.
La particule affirmative est si.

Si nous passons de l'orient du domaine provençal à l'extrême
occident, nous remarquons un dialecte, le gascon, qui ne peut
renier sa communauté primitive avec le provençal, mais qui porte
tant de caractères étrangers, que les Leys d'amors ne le regardent
déjà pas comme limousin : « Apelam lengatge estranh
coma frances, engles, espanhol, gascò, lombard (II, 388). »
101A ses particularités appartiennent (nous nous restreignons à
la partie sud de la province, c'est-à-dire à la Navarre et au
Béarn) l'a préposé a l'r (ren = arrei, riu = arriou), comme
en basque ; ll initial pour l comme en catalan (levar — llebá,
leit = llit) ; r médial pour l (galina = garie) ; ch pour s ou ss
(senes = chens, laissar = lachá, conois = counech) ; ca
guttural, jamais palatal (causí et non chausí) ; qua prononcé,
en faisant entendre l'u (can = couan, de même gaitar =
gouaitá
) ; y mis pour j, comme en basque (jutjar = yutyá,
joya = yoye, satge = sage) ; b mis toujours pour v, comme
en basque (volia= boulé, servici = serbici) ; h pour f, comme
en espagnol (fagot = hagot, far ha, femma = hemne 165.

La langue catalane (car on peut désigner ainsi, d'après la
province la plus proche, la langue qui s'étend sur l'est de l'Espagne,
les îles et le Roussillon) n'est pas exactement avec le provençal
dans le rapport d'un dialecte ; c'est plutôt un idiome
original allié de près à celui-là. Dans le pays où elle se parle,
malgré les nombreux poëtes qui ont employé le provençal, on ne
l'a jamais admis comme langue littéraire. Sans doute le catalan
ne pouvait point se soustraire à l'influence du provençal : au plus
tard, vers le milieu du XIVe siècle, des formes et des expressions
102provençales pénètrent dans la littérature 166. Il ne manque pas de
monuments qui témoignent de cet emploi précoce de la langue
indigène comme langue écrite. Selon Milà, Trovad. 466, on
trouve un planctus sanctæ Mariæ virginis, dans un manuscrit
antérieur au XIIIe siècle 267. Dans un autre manuscrit du XIIIe
siècle, se trouve une épître farcie, Plant. de Sent Estère (voy.
Milà, 1. 1. qui mentionne encore d'autres poésies spirituelles).
Puis, il faut citer d'importants monuments historiques, tels que
les ouvrages suivants qui sont bien connus : Cronica del rey En
Père
, etc… per Bernat d'Esclot (vers la fin du XIIIe siècle) ;
Chroniques étrangères, p.p. Buchon (Paris, 1840. Voy.Amat,
Memorias, p. 207 ; et Cronica, etc… per Ramon Muntaner
(1325), édité par Lanz, Stuttgard, 1844. Mais c'est au XVe
siècle qu'a lieu l'âge d'or de la poésie catalane, alors que déjà le
XIVe siècle avait vu naître une poésie de cour.

Une poétique, c'est-à-dire un dictionnaire de rimes (Libre de
concordances
, par Jacme March), parut en 1371 ; et on avait
traduit en catalan les Leys d'amor de l'académie toulousaine,
peu de temps après leur apparition. Bartsch a signalé (Jahrbuch
II, 280), un Cançoner d'amor, manuscrit qui contient plus de
300 chansons. Antonio de Lebrija, l'auteur d'un dictionnaire
espagnol, publia le premier Lexicon catalano-latinum (Barcelone,
1507) ; même après que le catalan dut s'effacer devant le
castillan tout-puissant, il parut jusqu'à nos jours bien des dictionnaires
et des grammaires de ses différents dialectes.

Pour exposer le système phonique, on peut se restreindre à la
forme catalane, le valencien étant presque identique, et ne se
distinguant, d'après Mayans (II, 58), que par un peu plus de
mollesse 368.103

En ce qui concerne les voyelles, on trouve a pour e atone,
manuts, conaxença, arrar (l. errare). E et o ne se diphthonguent
pas (, cel, primer, foch, lloch) ; e se change quelquefois
en i, o en u (durmint, mils = pr. melhs ; llur, ulh,
vulh, engruxar = engrossar). Les voyelles de flexion espagnole
e et o se trouvent en catalan, aussi peu qu'en provençal
(vert, fill), excepté dans quelques mots empruntés à l'espagnol
(Moro, Ebro, feudo), mais dont le nombre a beaucoup augmenté
avec le temps, surtout à Valence (cervo dans A. March,
brinco, motxo = esp. mocho, etc.). Le catalan favorise moins
les diphthongues que le provençal, ce qui lui donne à côté de
celui-ci une certaine sécheresse ; cependant quelques diphthongues
se développent d'une manière particulière. Le prov. ai persiste
ou se condense en e (aygua, aycell, faray ; fer, mes, nexer
= naisser
, fret), probablement après avoir passé par ei, comme
dans le v.-cat. feyt, cat.-mod. fet. On trouve aussi le prov. ei,
mais il devient le plus souvent e (rey, peyra ; dret, fret). Déjà,
dans des chartes latines (de quelle époque ?) on remarque, d'après
Milà, vedaré pour vedarai, fer pour far ou faire, Père pour
Peyre, etc… On trouve oi et ui, ce dernier fréquemment
(boira, coissó ; cuidar, fruyt, nuyt, tuit). Au devient o dans
les cas les plus importants (or, pobre, poch, posar, tresor) ;
dans d'autres mots, il s'est formé en remplaçant, par u, à la
manière provençale, v (blau, brau) ou z (voy. ci-dessous). Eu,
iu, ou, se comportent comme en provençal (meu, deus, greu ;
catiu
, ciutat, lliurar, scriure ; plou, ploure). Sur leur production
par des consonnes, voy. ci-dessous. Ie et ue ne sont pas
des sons catalans ; quand on les rencontre dans la langue
moderne (fieresa, pues), c'est qu'ils ont été introduits par les
Castillans. Les triphthongues ici, ieu, etc., font également
défaut.

Parmi les consonnes, l initial s'adoucit en ll (llibre, lloch,
llum) ; ll médial est souvent représenté, surtout dans la langue
moderne, par tl (vellar, dans Muntaner = pr. velhar ; batlle = .
esp. baile, ametlla = pr. mella) ; l ne se résout pas habituellement
104en u (altre, escoltar). N final, fondé sur un n latin simple,
tombe comme dans les dialectes provençaux (baró, catalá,
mais barons, catalans au plur.) ; n adouci s'écrit ny (anys,
seny = pr. ans, senh). Pour L mouillé, on trouve, mais rarement,
cette notation par y, comme dans ceyl (pr. celh), nuyl
(pr. nulh), fiyla (filha), vullyen (vulhan). Les sifflantes provençales
sont sujettes à tomber ; alors h empêche ordinairement
l'hiatus (plaher, prear, rahó, vihí, dehembre = plazer, presar,
razó, vesí, decembre) ; mais tz final est remplacé par u
(pau, palau, creu, feu, preu, diu = patz, palatz, crotz,
fetz, pretz, ditz). G, j et x sont des palatales ; leur emploi,
surtout à la fin des mots, est très-indécis, car on écritpuix,
puitx, putx, puig, puitg, et on prononce exactement ou à peu
près comme le castillan putch (Diccion. Catalan. Reus, 1836,
p. XI ; cf. Ros, Diccion. valenc. sub litt. g et j) ; cependant
g ou j entre des voyelles doivent avoir une prononciation
plus adoucie. Muntaner emploie x pour l'esp. ch (Sanxo) et pour
l'it. c palatal (Proxida) ; et le Catalan Bastero remarque : « Le
nostre sillabe xa, xe, etc., si profferiscono come le toscane
cia, ce. » Le prov. ss se rend en règle par x (puix, conexer,
pareix dix, axi, mateix baixar = pois, conoisser, pareis,
dis, aissi, meteis, baissar). Le lat. d se rend par u, comme tz
(caure, peu = cadere, pedem) ; dans d'autres cas on le supprime,
comme en provençal, ou on le change en s (possehir,
presich, espasa) ; dans la combinaison nd il tombe souvent, même
dans le corps du mot (manar, prenia, responre). Mais la combinaison
nt se maintient, même à la fin du mot, après une voyelle
accentuée (infant, quant). C guttural s'écrit, à la fin du mot,
ch (poch, amich), sans qu'il y ait aucune bonne raison pour
cela. C sifflant a le son doux de l's (Ros, sub litt. c, et non du c
espagnol. Ct se dissout en it, et l'i disparaît parfois (lluytar,
nuyt, dret pour dreit). Qua et gua font sonner l'u. — La
langue moderne n'a fait que peu de changements à ce système,
qui est celui de l'ancien catalan, bien qu'elle ait accordé davantage
à l'influence castillane ; elle a même, sous cette influence,
échangé le signe de sa parenté avec le provençal, l'affirmation
hoch pour l'espagnol si.

5. Domaine français.

César trouva en Gaule trois peuples distincts de langue, de
mœurs et de lois : les Belges au nord-est, les Aquitains au sud-ouest,
105et entre deux les Gaulois proprement dits ou Celtes. De ces
peuples, les Celtes et les Belges, comme nous l'apprennent d'autres
sources, étaient de même race ; les Aquitains semblent avoir
eu en partie une origine ibérique. Sur la côte méridionale, Massilie
avait répandu la langue et la civilisation grecques. — La
conquête romaine détruisit autant que possible dans toute l'étendue
de la Gaule les langues indigènes. Nous possédons toutefois
sur leur persistance quelques renseignements historiques. Au
commencement du IIIe siècle, un passage connu d'Ulpien cite le
gaulois comme une langue encore vivante : « Fidei commissa
quocunque sermone relinqui possunt, non solum latina vel
græca, sed etiam punica vel gallicana. » A la fin du IVe siècle,
S. Jérôme, qui connaissait la Gaule pour y être allé, rappelle la
communauté de langage des Galates et des Trévires : « Galatas
propriam linguam, eamdem pæne habere quam Treviros »
(Prœf. ad librum II in epist. ad Gal.). Vers le même temps,
Sulpice Sévère parle du celtique ou gaulois comme d'une langue
existante encore à côté du latin : « Vel celtice, aut, si mavis,
gallice loquere (Opéra, Lugd. Batav. p. 543) » ; et Marcellus
Empiricus donne une foule de noms de plantes gaulois usités dans
son pays (Vov. le travail de Jacob Grimm sur cet auteur, Berlin,
1849).

Dans la seconde moitié du V° siècle, Sidoine Apollinaire blâme
la noblesse d'Auvergne de conserver encore dans son langage
« celtici sermonis squamma, » ce qui peut, il est vrai, s'appliquer
aussi à un usage provincial ou rustique du latin. Cependant
dans la seconde moitié du VIe siècle, la vieille langue n'avait
pas encore tout à fait péri en Auvergne, car Grégoire de Tours
en tire l'étymologie d'un nom propre : « Brachio. quod eorum
(Arvernorum) lingua interpretatur ursi catulus (Vitæ patrum,
cap. 12). » Mais, malgré cela, en considérant l'énorme prépondérance
de la langue des Romains, on ne peut admettre qu'à
une époque aussi avancée, le celtique ait vécu encore autrement
que sur quelques points isolés, et à coup sûr fortement mélangé
de latin. Une province fait exception jusqu'à ce jour ; c'est l'Armorique,
ou l'élément celtique fut ravivé après la chute de l'Empire
romain par une immigration kymrique 169. Des établissements
106fixes lurent fondés en Gaule par des peuples germaniques à partir
du commencement du Ve siècle ; elle fut occupée par les Burgondes,
les Goths et les Francs, qui, à la fin de ce siècle, mirent
fin à la domination romaine. Beaucoup plus tard eut lieu une
seconde immigration germanique, celle des Normands, qui s'emparèrent,
au Xe siècle, des côtes septentrionales.

Si l'on embrasse l'ensemble de la langue française, on s'aperçoit
bien vite que l'élément latin y est moins fort, et l'élément
germanique bien plus considérable que dans l'espagnol et l'italien.
La proportion est encore plus défavorable au latin, si l'on
veut tenir compte des patois, ou, ce qui revient presque au même,
de l'ancienne langue, bien que les patois et le vieux français ne
manquent pas non plus de mots latins inusités dans la langue
actuelle. L'origine du résidu non latin, quand il n'est pas germanique,
n'est pas plus facile à assigner ici que dans le domaine
italien. Il est surprenant que, des mots gaulois transmis par les
anciens et désignés par eux comme tels, on retrouve presque la
moitié en français, en provençal, ou dans d'autres dialectes
anciens, et à l'état de mots populaires, ce qu'ils n'étaient pas en
latin. Tels sont les mots suivants : alauda (Pline), pr. alauza,
v.-fr. aloe, fr. alouette ; arepennis, mesure agraire (Columelle),
pr. arpen, fr. arpent ; aringa, sorte de céréale (Pline),
de là, d'après l'opinion commune, le mot patois riguet, seigle ;
beccus (Suétone), fr. pr. bec ; benna, sorte de véhicule (Festus),
v.-fr. benne, fr. banne ; betula (Pline), pat. boule, fr.bouleau ;
braccœ, βρακαί (Diodore de Sicile et autres), fr. braies ; brace
(sorte de grain qui servait à faire du malt pour la bière) v.-fr.
bras, d'où brasser, brasseur ; bulga, bourse de cuir (Lucilius),
v.-fr. bouge, bougette ; cervisia, boisson (Pline), fr. cervoise ;
circius, cercius, vent du nord-ouest (Vitruve ; la nationalité de ce
mot n'est pas certaine), pr. cers ; leuca (Ammien Marcellin,
Isidore), pr. legua, fr. lieue ; marga (terre argileuse) v.-fr.
marle (margula), fr. marne ; matara, mataris, materis,
sorte d'arme (César et autres), v.-fr. matras ; sagum, manteau
militaire (gaulois, d'après Varron et Polybe), v.-fr. saie ; vertragus,
race de chien (Martial, Elien et autres), v.-fr. viautre ;
vettonica, nom de plante (Pline), fr. bétoine. D'autres manquent :
ambactus (à moins qu'il ne se retrouve dans le v.-fr.
107abait, pr. abah, v. Diction. Etymol. II, c), bardus, cateia,
covinus (belge ou breton), emarcum, essedum, gœsum (le fr.
gèse est un mot récent), galba, petorritum, ploxinum, reno,
rheda, soldurius, taxea, toles, urus, vargus (Sidoine Ap.) 170. Une
autre source, mais moins claire, se trouve dans les dialectes celtiques,
le breton, le kymri, l'irlandais et le gaélique ; moins claire,
parce que ces dialectes eux-mêmes ont été fortement mélangés de
latin, d'anglais et de français, en sorte qu'il n'est pas toujours facile
de discerner ce qui leur est propre de ce qu'ils ont emprunté. Il
était cependant bien difficile qu'il ne passât pas dans l'anglo-normand,
qui les propageait à son tour, quelques mots venus du
kymri. De même les emprunts au breton étaient naturels.

Le domaine de la langue française comprend, abstraction faite
de la région provençale, la plus grande moitié de la France
romane, avec les îles normandes et une partie de la Belgique et
de la Suisse. Mais en dehors de ces limites, elle a trouvé, comme
langue internationale de l'Europe, une extension sans exemple
dans les temps modernes. — Son plus ancien nom paraît bien
être lingua gallica. Jean le Diacre, par exemple, vers 874, dit :
« Ille more gallico sanctum senem increpitans follem (fr. fol,
fou ; voy. du Cange, s. v. Follis). » Le moine de Saint-Gall
(vers 885) remarque : « Caniculas quas gallica lingua veltres
(v.-fr. viautres) nuncupant (Du Cange, s. v. Canis). »
Witichind (vers l'an 1000) dit : « Ex nostris etiam fuere, qui
gallica lingua ex parte loqui sciebant (ap. Meibomium, I,
646). » Cette dénomination s'est perpétuée en breton : gallek
signifie la langue française, comme Gall veut dire Français.
Francisca ou francica n'était originairement que le nom de la
langue franke (voy. Ermoldus Nigellus, Eginhard, Otfried, etc.),
et ce n'est qu'après l'extinction de cette langue en Gaule que la
romane du nord hérita de son nom, et fut appelée langue française :
jamais un Provençal n'aurait donné ce nom à son idiome.
Comme au moyen-âge on entendait surtout par Français les
habitants de l'Ile-de-France (voy. du Méril, Dict. normand,
p. XI), le nom de français aurait pu être aussi restreint au
dialecte de cette province ; mais on l'etendait souvent, dans un
sens général, à toute la langue du nord de la France : ço espelt
en franceis
, lit-on, par exemple, dans les Livres des Rois, qui
sont normands (de même dans le roman de Rouet ailleurs). Mais
108déjà, dans l'ancien temps, le langage de l'Ile-de-France ou de
Paris passait pour le français le plus pur ; et ce fait est prouvé
par des témoignages souvent cités. Une autre expression dont se
servent volontiers les modernes, est celle de langue d'oïl, en
opposition à la langue d'oc. — L'usage public de cette langue
d'oïl, surtout, comme il est naturel, dans la chaire, est attesté de
bonne heure. S. Mummolin (VIIe siècle) fut appelé à Noyon,
« quia prævalebat non tantum in teutonica, sed etiam in romana
lingua (Reiffenberg, dans son édition de Phil. Mousket, I,
p. C). » Paschasius Ratbert, disciple d'Adalhard, Franc de
naissance et abbé de Corbie (né vers 750), dit de lui : « quem si
vulgo audisses, dulcifluus emanabat ; » et un biographe postérieur
d'Adalhard rend plus clairement la même idée : « qui si vulgari,
id est romana, loqueretur (Choix, I, p. 15). » On connaît
la décision du concile de Tours (813) : « Ut easdem homilias
quisque aperte transferre studeat in rusticam romanam
linguam aut theotiscam. » On raconte du synode de Mousson
(995) : « Episcopus Viridunensis, eo quod gallicam linguam
norat, causam synodi prolaturus surrexit (Hard. Concil. VI,
1, 729). » Nous voyons le français employé comme langue
des négociations politiques après le partage de Verdun dans les
Serments de Strasbourg (842) et de Coblentz (860). Enfin, en
1539, François Ier ordonna d'écrire tous les actes en langue française
(Auguste Brachet, Grammaire Historique de la langue
française
, p. 27).

De toutes les langues romanes, le français est celle qui peut se
glorifier de posséder les plus anciens monuments ; bien qu'ici,
comme partout ailleurs, on ne puisse fixer qu'approximativement
la date de leur composition. Au IXe siècle, appartiennent
les suivants : 1° les serments dont il est parlé ci-dessus, prêtés
par Louis le Germanique et par l'armée de Charles le Chauve à
Strasbourg, que nous a transmis Nithard (mort en 853), dans son
Histoire (III, 5) ; le manuscrit du IXe au Xe siècle, est à Rome
(fac-simile dans le glossaire de Roquefort et dans Chevallet). La
langue ne s'est point encore tout-à-fait dégagée de l'influence
latine. (Nous ne connaissons que par la traduction latine, Capitularia
reg. Franc.
II, 144, le traité de Coblentz également
conclu entre ces deux rois) ; 2° la Cantilène ou la légende de
sainte Eulalie
, écrite par le moine bénédictin bien connu
Hucbald, vers la fin du IXe siècle (publiée par Willems dans les
Elnonensia, Gand, 1837, 1845 ; fac-simile complet dans
Chevallet) ; 3° le Fragment de Valenciennes, débris d'une
109homélie mêlée de latin sur le prophète Jonas, écrits partiellement
en notes tironiennes ; et qui, d'après son premier éditeur
Bethmann, Voyage historique, Paris, 1849, est au moins aussi
ancien que l'Eulalie (fac-simile reproduisant les notes tironiennes
dans Bethmann ; avec leur explication dans Génin,
Chans. de Roland, Paris, 1850 171). Au Xe siècle, appartiennent
deux poèmes assez étendus 272 : la Passion de Jésus-Christ,
poème originairement déjà très-pénétré de formes provençales,
et qui subit plus tard une autre influence provençale plus forte
encore (voy. Jahrbuch, VII, 379), édité d'après un ms. du
Xe siècle de Clermont-Ferrand, par Champollion-Figeac (Docum.
hist
. Paris, 1848, t. IV), avec un fac-simile. La légende de
saint Léger, également écrite dans une langue très-mélangée,
contenue dans le même ms., mais écrite d'une autre main, éditée
aussi par Champollion-Figeac (loc. cit.), avec fac-simile. Du
Méril (Formation, 414) a édité de nouveau, d'après le ms., les
strophes 1-18. Au XIe et au XIIe siècle, nous remarquons principalement
les monuments suivants : le poème d'Alexis, publié
d'après un ms. d'Hildesheim, provenant de l'abbaye de Lambspring,
par W. Müller (Journal de Haupt, V, 229), — par
Gessner (Archiv de Herrig. XVII, 189), d'après une nouvelle
collation du ms., — par K. Hoffmann (Munich, 1868), dans un
texte critique fondé sur la comparaison d'un ms. de Paris ;
le fragment d'Alexandre, dans une langue mixte, mais un peu
plus française que provençale 373, édité par Paul Heyse, d'après un
ms. de la Laurentienne, que ce savant place au XIIe siècle (Romanische
Ined
. Berlin, 1856) ; la Chanson de Roland, dans les
éditions de Th. Müller, Gœttingue, 1863, et de Conrad Hoffmann,
Munich, 1869 ; les Lois de Guillaume le Conquérant
(publiées plusieurs fois d'après les anciens manuscrits perdus ; le
110seul conserve est assez moderne et incomplet (Voy. Schmid,
Lois des Anglo-Saxons, Leipzig, 1832, 1858) ; une traduction
des Psaumes, Libri psalmorum versio antiqua gallica, éd.
Fr. Michel
, Oxon. 1860) ; les Livres des Rois (publiés par
Leroux de Lincy, avec des moralités sur le livre de Job et un
choix de sermons de S. Bernard : Les quatre livres des Rois,
Paris, 1841). Puis viennent diverses poésies religieuses, telles
que l'Épître farcie de S. Etienne, des premières années
du XIIe siècle, publiée par Gaston Paris (Jahrbuch, IV, 311) ;
un fragment d'une poésie religieuse publié par le même
(Jahrbuch, VI, 362 174) est à peu près du même temps. Aux XIIe
et XIIIe siècles, se développe une grandiose littérature poétique.
Jusque dans le siècle suivant, la langue conserve son caractère
grammatical primitif. Nous nommons cette première période, au
sens philologique, le vieux français. On pourrait appeler
période du moyen-français, l'espace de temps qui s'écoule
depuis le XIVe siècle (où s'opère dans les formes grammaticales
et dans la prononciation un changement important) jusqu'à
la première moitié du XVIe siècle, où on se débarrassa des
derniers restes de l'antiquité, et qui commence la période
du français moderne.

La littérature grammaticale commence au XVIe siècle. C'est
un Anglais, John Palsgrave, né en 1480, qui donna le premier
essai en ce genre : L'esclarcissement de la langue
françoyse
(1530), écrit en anglais (nouvelle éd. par Génin,
Paris, 1852), travail assez complet et important pour la linguistique.
L'auteur s'appuie déjà sur des grammairiens plus
anciens. Quelques années après parut : An introductorie for to
lerne french trewly
(London, s. d.), par Gilles du Wez ou du
Guez (réédité par Génin à la suite de Palsgrave). Presque en
même temps, le savant médecin Silvius (Jacques Dubois) publia
son In linguam gallicam Isagωge (Paris, 1531). Citons encore :
111le Tretté de la gramère françoeze, par Louis Meigret (Paris,
1550) ; le Traicté de la grammaire françoise, par Robert
Estienne, l'auteur du dictionnaire latin (Genève, 1557), traduit
en latin : Gallicæ grammaticæ libellus (Paris, 1560) ; la Gramère
de Pierre Ramus (Paris, 1562), qui fut plus tard refondue
(1572), et traduite par Thévenin : Petri Rami Grammatica
francica
(Francofurt. 1583) ; la Grammatica gallica d'Antoine
Caucius (Basil. 1570) ; la Gallicæ linguæ institutio de
Johannes Pilotus (Lugduni, 1586). Malheureusement les grammairiens
de cette époque se croyaient appelés à procéder en
réformateurs de la langue, et spécialement à faire dans l'orthographe
une révolution qui fut souvent ridicule ou niaise. Mais il
y eut aussi des écrivains plus intelligents qui consacrèrent à la
langue nationale une partie de leurs études : tels furent les philologues
Budée, Bouille, Joachim Périon, Henri Estienne, Joseph
Scaliger, Casaubon. De Bouille, par exemple, nous citerons :
Liber de differentia vulgarium linguarum et gallici sermonis
varietate
(Paris, 1533) ; de Périon : Dialogi de linguæ
gallicæ origine ejusque cum græca cognatione
(Paris, 1555,
traduits par lui-même en français) ; de H. Estienne : Traicté de
la conformité du langage françois avec le grec
(Paris,
1569, rééd. en 1853) ; De la précellence du langage françois
(Paris, 1579, réimpr. en 1850) ; Hypomneses de gallica lingua,
1582. Scaliger et Casaubon, ainsi que plus tard Saumaise, touchèrent
souvent dans leurs notes critiques à des étymologies
françaises. — Des dictionnaires parurent dès le XVe siècle, par
exemple : Dictionnaire latin-françois, p. p. Garbin (Genève,
1487) ; Dictionnaire françois-latin, (Paris, Rob. Estienne,
1539) ; Dictionnaire fr. lat. augmenté, recueilli des observations
de plusieurs hommes doctes, entre autres de M. Nicot
,
Par. 1573, qui n'est, à vrai dire, qu'une nouvelle édition du
précédent. (Livet, p. 480). La première édition du Dictionnaire
de l'Académie
, où les mots sont groupés étymologiquement,
parut en 1694. Le travail étymologique le plus important avant
ce siècle, est celui de Ménage : Dictionnaire étymologique de
la langue françoise
(Paris, 1650, 1694, 1750).

Mais avant tous ces dictionnaires imprimés, il faut citer les
nombreux glossaires manuscrits, rangés soit par ordre de matières,
soit par ordre alphabétique, ou accompagnant un texte
particulier. On peut y rattacher ces gloses de Cassel en latin et
en haut allemand (dont nous avons déjà parlé ci-dessus), dont
la partie latine incline si fort vers la forme romane qu'on y
112trouve souvent des mots tout à fait romans, c'est-à-dire vieux
français. Dans d'autres glossaires, les vocables latins sont expliqués
par des mots latins, mais qui appartiennent à la langue populaire :
ainsi callidus = vitiosus (qui est le v.-fr. voiseus), femur
= coxa
(qui est le fr. cuisse). Quant aux glossaires latins-français
proprement dits, ils ne datent que du XIVe siècle et du XVe, mais
sont encore importants pour la langue. Littré en a énuméré plusieurs
(Hist. litter. XXII, 1-38). Voici la liste de ceux qui ont
été imprimés : Glossaire roman-lat. du XVe siècle, p. p.
Gachet, Bruxelles, 1846 ; par Schéler, Anvers, 1865 ; Vocabulaire
latin-français du XIVe siècle
, publié par Escalier
(Douai, 1856) ; Vocabulaire latin-français du XIIIe siècle,
p. p. Chassant, Paris, 1857) ; Glossaire du ms. 7692 de Paris
(Extraits), par Conrad Hofmann, Munich, 1868.

Dialectes. — Ils jouent en français un rôle bien plus important
qu'en italien. En effet, dans l'ancienne littérature, ils avaient
pleine valeur, et aucun d'entre eux n'était proprement accepté
comme langue écrite. Les anciens désignaient déjà ces dialectes
par des noms empruntés naturellement aux provinces et généralement
adoptés. Dans le Reinardus Vulpes, par exemple
(XIIe siècle), le renard parle bourguignon (IV, 449) :

Hæc ubi burgundo vulpes expresserat ore,

après qu'on a désigné plus haut son langage (IV, 380) en général
comme franc, c'est-à-dire français. Le roman provençal de
Flamenca (v. 1916) mentionne le bourguignon comme langue
indépendante à côté du français :

E saup ben parlar bergono,
Frances e ties e breto.

Dans un Psautier lorrain de la fin du XIVe siècle (L. des Rois,
p. XLI) on lit : « Vez ci lou psaultier dou latin trait et translateit
en romans, en laingue lorenne (lorraine). » Un troubadour,
dans un passage déjà cité, mentionne le normand et le
poitevin. Le poëte Quenes de Béthune se plaint qu'à la cour, à
Paris, on ait blâmé son langage d'Artois, c'est-à-dire picard
(Romancero françois, p. 83) :

Ne cil ne sont bien appris ne cortois,
Qui m'ont repris, se j'ai dit mot d'Artois.

Mais il y a trois dialectes (car les grammairiens français ont
raison de ne pas les appeler des patois) auxquels on peut ramener
les particularités linguistiques de chaque province : le bourguignon,
113le picard et le normand. Roger Bacon désignait déjà
ces idiomes comme les plus importants de France : « Nam et
idiomata ejusdem linguæ variantur apud diversos, sicut patet
de lingua gallicana, quæ apud Gallicos et Normannos et Picardos
et Burgundos multiplici variatur idiomate. » (Du Méril,
Dictionn. normand, p. XX). Les grammairiens postérieurs au
moyen-âge prennent encore parfois les dialectes principaux en
considération. Périon, par exemple, connaît, en dehors de son
bourguignon, qui pour lui est la langue écrite, le picard et le
normand, qui s'en éloignent. On sait qu'un philologue moderne,
Fallot, a étudié ce sujet avec le soin qu'il demandait dans un
ouvrage spécial : Recherches sur les formes grammaticales,
etc. Paris, 1839 ; malheureusement son travail est resté
à l'état de fragment ou de projet. Il admet aussi, en déterminant
leur domaine respectif au XIIIe siècle, trois grands dialectes : le
normand en Normandie, Bretagne, Maine, Perche, Anjou,
Poitou, Saintonge ; le picard en Picardie, Artois, Flandres,
Hainaut, Bas-Maine, Thiérache, Rethelois ; le bourguignon en
Bourgogne, Nivernais, Berry, Orléanais, Touraine, Bourbonnais,
Ile-de-France, Champagne, Lorraine, Franche-Comté.

Le dialecte de l'Ile de France, le français proprement dit
(qui appartenait originairement au rameau bourguignon), prit
si bien le dessus qu'il devint la langue écrite. Ce fut un événement
politique qui donna à l'idiome français cette suprématie :
l'usurpation de Hugues Capet, qui fixa la tête du système féodal
à Paris. — A mesure que l'unité du royaume se fortifia,
les différences provinciales s'effacèrent, et peu à peu le dialecte
de l'Ile de France devint dominant, et s'éleva enfin au
rang de langue commune, mais non sans recevoir des dialectes
circonvoisins de nombreuses formes qui étaient proprement
étrangères à son essence (Littré, Hist. de la langue
française
, II, 101). Nous allons examiner, mais en nous restreignant
à très-peu de sources choisies, les dialectes les plus
importants, non sans jeter un coup-d'œil sur leur forme postérieure
ou actuelle. Nous ne pouvons nous proposer d'épuiser
toutes les variations ou exceptions. Il est à peine besoin de
rappeler que les caractères phoniques ne reposent jamais dans
les manuscrits sur une orthographe fixe, et que par conséquent
on ne peut pas toujours déterminer avec précision la valeur des
lettres. Comme les scribes lisaient sans aucun doute des livres
écrits dans les dialectes les plus différents, il était inévitable
qu'ils admissent des formes orthographiques étrangères à leur
114dialecte, sans vouloir leur faire exprimer pour cela la prononciation
étrangère, et cette liberté se justifiait d'autant mieux
que les ouvrages qu'ils transcrivaient étaient destinés non seulement
au cercle restreint de leur propre dialecte, mais à
toute l'étendue du domaine de la langue française.

Dans le dialecte bourguignon, qu'on peut étudier dans les
Dialogues de S. Grégoire (du Méril, Formation, p. 428) et
dans Gérard deViane, le caractère distinctif est la modification
des voyelles par l'adjonction d'un i. Ainsi le fr. a devient ici ai
(jai, brais, mesaige, chaingier, bairon, pour ja, bras,
etc.). E, fermé ou ouvert, est remplacé par ei : penseir, penseiz
au part. ou à la 2e pers. plur., aleie = allée, veriteit, meir =
mer
, neif = nef, freire, peire), — mais aussi par ie, surtout
après g ou ch (plaidier, laissier, jugier, mangier, chief,
aimer, donner). E et i se remplacent aussi par oi (moiner =
mener
 ; manoier, noter, proier, proisier = manier, nier,
prier, prisier) ; cette diphthongue ici très-favorisée subsiste
toujours quand elle se trouve en français, et représente aussi
l'ai français (moderne) dans les mots où le provençal n'a pas
ai (fois, rois, devoir ; françois, roit, perdoie, plaisoit,
laroie = français, raide, perdais, plaisait, laisserais ;
toutefois on trouve aussi alait, aurait). Eau, eaux, sont
rendus ici par iau, iaz, iax (hiaume, biau, biaz, coutiax) ;
eu tantôt par ou, tantôt par o (soul, gloriouz, flor, dolor,
volt = veut). Pour ou l'ancien o est resté prédominant (vos,
jor, amor, secors, sofre, tot ; mais aussi vous, bouton).
Parmi les consonnes, l résiste encore souvent à la résolution en
u, au moins orthographiquement (oisel, altre, halt, chevalz,
mais aussi haut, vasaus). Dans le patois bourguignon moderne,
tel qu'on le trouve, par exemple, dans La Monnoye (né à Dijon
en 1641), on remarque la même tendance à combiner certaines
voyelles avec i, à mettre, par exemple, ai pour a (lai, glaice,
laivai = laver) et même pour e (ronflai, boutai, trompaite),
ainsi que ei pour a ou é (jei, teiche = , tache ; peire, mysteire) ;
u se prononce souvent eu (jeuste, leugne = lune,
seur, treufe). La prédilection pour oi, qui se condense souvent
encore en o, persiste aussi (françois, moigre, moison, frôche,
chantô, pône, foindre = français, maigre, maison, fraîche,
chantais, peine, feindre). Eau sonne ea (bea, morcea) ;
o est maintenu pour ou (jor, aimor, cor — court, vo =
vous). Ie devant r est interverti en ei (pousseire, premeire,
premei pour premeir ; l'ancien bourguignon disait déjà seculeirs).
115L finale s'éteint volontiers (autai, noei = autel, noël).
N médiale s'adoucit en gn (breugne, épeigne = brune, épine).
La chute de l'r devant une consonne et à la fin des mots est une
négligence fréquente dans le parler populaire (vatu, po, savoi
= vertu
, pour, savoir).

Le dialecte lorrain, voisin du bourguignon, s'en distingue
peu ; voy. dans le Psautier lorrain, cité plus haut, des exemples
comme jai pour , langaige, doneir, asseiz, prie (et non
proie), savoir, françois, soul = seul, perillouse, errour.
Mais au français moderne ou correspond toujours ici cette
même diphthongue, et non o. Un trait particulier est le w
pour le w allemand (warder = garder) ; une charte de
Verdun (L. des Rois, p. LXXIV) écrit de même warentise,
et les Sermons de S. Bernard, qui rappellent d'ailleurs
ce dialecte, disent aussi werpil, eswarder, etc. Les
patois lorrains modernes conservent plusieurs particularités
bourguignonnes, mais ils sont en somme fort dégénérés ; ils
offrent, par exemple, des diphthongues tout à fait inconnues
à l'ancienne langue : on dit à Nancy aimouer, foueive, pour
amer, fève ; à Metz, petiat, pieux, pour petit, peu.

Le dialecte français, à en juger d'après Rutebeuf (sous S. Louis),
ne se séparait au XIIIe siècle qu'en peu de points du bourguignon.
La diphthongaison n'atteint pas a (voiage, jamais
voiaige), mais bien e, qui est exprimé par ei, moins généralement
toutefois (parleir, doneiz, povretei ; mais venez,
volenté, mer et non meir), ou par ie (chiere, chiés = chez,
brisier, laissier). Oi est aussi très-favorisé (loier, proier ;
j'avoie, estoit, voudroit, savoir). L'emploi de iau est plus
restreint (biau ; oisel, ostel). Eu devient rarement o (cuer =
cœur
, seul ; dolor), ou se montre déjà un peu plus souvent
à côté de o (nous, goute, jouer, moustrer ; jor, retor, cop,
molt).

Le dialecte picard, pour l'étude duquel nous emploierons
Gérard de Nevers et la légende en prose de S. Brandan, a
beaucoup d'analogie avec le bourguignon dans son vocalisme.
L'e français, par exemple, qui correspond au latin e, i, a est
volontiers diphthongue en ie (biel, nouviel, adies, chief,
chiere, prisier, mangier) ; ou, oi, et iau, se comportent de
même (jor ; cortois, avoir, estoit, oseroie ; biaus, oisiaus,
vaissiaus ; biais, chastiel). Pour ieu on trouve iu (liu). Pour
les consonnes, on remarque cette différence capitale, que le
français ç (ou ss quand l'orthographe lui fait traduire le latin
116ci, ti, ) est habituellement rendu par ch, et ch au contraire par k
(Franche, merchi, fache = fasse, cacher = chasser,
canter, pékié = péché) ; mais, même dans les monuments les
mieux caractérisés de ce dialecte, l'usage picard est souvent en
concurrence avec l'usage français (voy. par exemple les chartes
picardes, L. des Rois, p. LXX-LXXIII) ; on trouve ce à côté de
che, chose à côté de cose. Remarquons encore dans les consonnes :
ga pour ja (gayant, sergans = géant, sergent), et
le w allemand (warder, werpir). Le patois picard moderne
(d'après Corblet) change, comme l'ancien, e en ie (biel, traitier) ;
ai en oi (même dans moison, moit, poyer = maison,
maître, payer) ; eau en iau, mais aussi en ieu (biau, coutiau ;
bien, vieu = veau) ; ieu en iu (diu, liu, liue). Après oi, qui
se prononce ou oué, il favorise surtout eu, qui peut se mettre
pour u, ou et au (leune, beue, keusses = lune, boue,
chausses), tandis que l'eu français est remplacé par u ou o
(fu, malhur ; plorer, jonesse). Les consonnes n'ont pas
beaucoup varié ; il faut remarquer peut-être que l'l et l'r
tombent dans les terminaisons (regue, aimape = règle,
aimable ; chêne, soufe = cendre, soufre) ; que le fr. ch,
rendu d'ordinaire par k, est quelquefois aussi remplacé par g
(guevau, guille = cheval, cheville), mais surtout que les
consonnes finales sont prononcées dures. — Le dialecte flamand
offre peu de traits particuliers. Des chartes de Tournai
du XIIIe siècle (Phil. Mousk. II, 309 et suiv.) écrivent, à la
manière bourguignonne, heretaige, pasturaige, ou bien estaule
pour astable, paysieule pour paisible. — Dans le
Hainaut il y a aussi quelques petites divergences : des chartes
de Valenciennes (Reiffenberg, Monuments de Namur, I, 454)
écrivent, par exemple, volontei, veriteit, wardeir. Dans la
forme actuelle de cet idiome, il faut noter ô pour oi (, valenchenôs =
fois
, valenciennois) 175.

Le dialecte normand, pour la caractéristique duquel nous
emploierons les Lois de Guillaume le Conquérant et le poëme de
Charlemagne, aime à changer a en au devant n (auns = ans,
maunder). L'e français ne devient pas ou ne devient que rarement
ie ou ei (chef, mer ; chier, crieve = cher, creve (L
117Guill.) ; aveiz = avez (Charl.) ; d'autres textes donnent ie
assez souvent). Uaussi bien que o, ou et eu, se représentent le
plus habituellement par u, ce qui est l'un des signes distinctifs
de ce dialecte (vertuz ; unt, hunte, hume, reisun ; jur, pur,
vus, truver, duble ; ure = heure, bufs, colur, doloruse) ;
il y a à cette règle plusieurs exceptions de différentes natures
qui ne peuvent être énumérées ni expliquées ici. Ai est souvent
remplacé par ei (feit, meis, meint, seint, franceis, aveit,
avertit ; avérai, fait, etc.). Cet ei est le représentant propre
et spécialement normand de oi (fei, lei, rei, seit, saveir et
saver
, meité = moitié). Ie devient simplement e (ben, cel,
ped, vent, dener, chevaler, amisted = amitié ; beaucoup
de textes donnent ie). L'attraction de l'i, qui produit souvent
en français des diphthongues, est évitée (pecunie, testimonie,
glorie, miserie). G et ch, dans les textes que nous avons cités
plus haut, se comportent comme en français ; mais dans d'autres
on trouve aussi l'usage picard. Transplanté en Angleterre, ce
dialecte y a développé plusieurs particularités d'orthographe et
de prononciation qui ont fini par lui donner un cachet anglais.
Dans le patois normand moderne (du Méril, Decorde) on cherche
en vain les traits sévères de l'ancien dialecte. Est-ce l'influence
du picard ? La domination de l'u, par exemple, est très-restreinte :
car on dit bacon, au lieu du v.-norm. bacun, leur ou
leu pour lur, tout pour tut. Mais ei pour oi a laissé beaucoup
de traces, représenté qu'il est tantôt par e, tantôt par ai (mei,
bet, dret, nerchir, aver = moi, boit, droit, noircir, avoir ;
fais, vaie, vaix = fois, voie, voix). Eau, dans la vieille
langue el, est diphthongué (batiau, avias = oiseau) ; ie reste
aussi diphthongué (bien, rien, batière). La représentation de ç
(ss) par ch et de ch par k est plus fréquente que dans l'ancien
langage (cha, capuchin, nourichon = ça, capucin, nourrisson ;
cat, acater, quien = chat, acheter, chien ; chère,
chèvre, comme en français). V pour gu est très-usité (varet,
vaule, vey = guéret, gaule, gué).

Nous avons constaté plus haut que les troubadours ne regardaient
pas le poitevin comme un dialecte provençal. Dans les
anciens poëmes poitevins qui nous sont parvenus, on reconnaît
en effet un mélange de français et de provençal, où le premier
paraît être prépondérant 176. Mais, depuis que le Poitou appar-118

tint à la France (1206). la langue d'oïl, venant surtout de
Normandie, s'y répandit de plus en plus, et l'idiome de cette
province, malgré plus d'un trait provençal, doit être adjugé
sans hésitation au domaine français.

Le bourguignon et le picard se ressemblent dans leur manière
de traiter les voyelles ; le premier est un peu plus riche en
diphthongues. En opposition à tous deux se présente le normand,
qui, mettant des voyelles simples à la place des diphthongues,
doit le leur céder pour la variété des sons vocaux.
Dans les consonnes, les divers dialectes n'ont qu'un trait d'une
importance capitale qui les distingue entre eux et de la langue
moderne, c'est leur diverse manière de traiter le c latin.

A l'extrême frontière nord-est de la langue d'oïl, touchant
d'un côté au domaine picard, de l'autre au domaine bourguignon
(lorrain), se trouve l'idiome wallon, qui, développant une originalité
bien marquée, se distingue par des caractères phoniques
tout particuliers, et par quelques traits qui indiquent une haute
antiquité 177. Il a moins de ressemblance avec le picard que ne
le ferait supposer leur voisinage. « Il faut bien se garder, dit
Hécart, de confondre le rouchi (c'est-à-dire le picard qui se
parle en Hainaut) avec le wallon qui n'y ressemble guère. »
Il est encore moins voisin du lorrain. On distingue les sous-dialectes
de Liège et de Namur. Voici des exemples de son
système phonique. — A s'affaiblit souvent en e (chess, pless, chet,
greter, sechai). Il y a un e fermé et un e ouvert ; mais, de
même que dans d'autres patois, leur application n'est pas toujours
la même qu'en français : père, par exemple, se dit pére., et
cognée, congneie. Devant plusieurs consonnes e se diphthongue
119volontiers en ie (biess, viersé = bête, verser) ; de même o en
oi, quand la première consonne est r (coirbâ = corbeau). Ou
est très-fréquent sous son ancienne forme o (to = tout, trové).
U se représente souvent soit par o, soit par eu (nou, houg =
= nu
, huche ; comeunn, meur=commune, mur). Oi correspond
d'ordinaire à l'ai français. Oi et ui donnent le plus souvent
les sons simples eu et u (neur, poleur = noir, pouvoir ; boi
= bois
 ; cûr = cuir). Au devient â (aw) ou ô (, cawsion
= faut
, caution ; cho = chaud). Eau donne ai, très-rarement
ia (bai, chestai, coutai, coutia = beau, château, couteau).
Ie est remplacé par i (bin, fîr, = pied, clavi =
clavier
). Quant aux consonnes, la chute de l'l ou de l'r est
fréquente, comme dans le picard moderne (cop, fib = couple,
fibre). Ll et gn peuvent tomber (barbion, coy = barbillon,
cueillir ; champion = champignon). S médial devient à
Liège une h fortement aspirée (mohone = maison) ; à Namur
un j (maujone). Ch (= lat. sc) devient aussi h à Liège (hale,
marihâ = échelle, maréchal), mais reste ch à Namur (chaule,
marechau), v. Grandgagnage, Mémoire sur les anciens noms
de lieux
, Bruxelles, 1855. p. 102. S initial suivi d'une consonne
se passe généralement de l'e prothétique (staf, skrîr, spal =
étable
, écrire, épaule) ; st final se réduit à ss (ess, aouss =
être
, août). Ç reste à sa place (cîr, et non chîr = pic. chiel,
fr. ciel). Ch reste aussi le plus souvent ; cependant à la fin
d'une syllabe il devient souvent g, et quelquefois ailleurs k à la
manière picarde (chein, atechi = chien, attacher ; egté, cheg
= acheter, charge ; cangi, bok = changer, bouche). Dans
qu, l'u se fait entendre (kouatt = quatre). G dur s'écrit souvant
w, comme en picard et en lorrain (wazon, waym =
gazon
, gain ; aweie = aiguille).

De même que pour les dialectes italiens, dans les dialectes
français les proportions des éléments constitutifs ne sont pas
tout à fait les mêmes que dans la langue écrite. Le lorrain, par
exemple, a jusqu'aux temps modernes admis une masse de mots
allemands, le picard en a pris au flamand. Dans le normand on
trouve des mots bretons, mais un bien plus grand nombre de
francs, d'anglo-saxons et de norois que la langue écrite ne reconnaît
pas. Exemples : aingue pour aingle, hameçon (v.-h.all.
angul) ; bédière, lit (v.-nor. bed) ; bur, demeure (v.-h.-all.
bùr) ; clanche, loquet (all. klinke) ; cotin, cabane (v.-nor. kot) ;
cranche, malade (all. krank) ; dale, vallée (v.-nor. dal) ;
drugir, courir ça et là (v.-nor. draugaz, more larvarum
120circumerrare ?
) ; esprangner, briser (v.-h.-all. sprengan,
nor. sprengia) ; finer, trouver (v.-nor. finna) ; flo, troupeau
(v.-nor. flockr) ; grimer, gratter (m.-h.-all. krimmen) ; haule,
fosse (v.-h.-all. hol) ; heri, lièvre (v.-nor. hêri) ; hogue, colline
(haugr) ; hut, bonnet (v.-h.-all. huot) ; lague, manière (angl.sax.
lag, loi) ; lider, glisser (angl.-sax. glîdan) ; napin, enfant
(v.-nor. knappi) ; naqueter, claquer des dents (v.-nor.
gnacka) ; guenettes, dents (v.-nor. kinn, mâchoire) ; vatre,
mare (angl. water), etc. Voy. du Méril, Dict. normand,
LXXXVI.

Dans une partie de l'ancienne Rhétie, actuellement le canton
des Grisons, vit encore une langue romane qui, tout en se
rapprochant par certains points soit de l'italien, soit du provençal
ou du français, porte dans toute sa structure un cachet particulier.
Cette partie de la Rhétie était appelée par les Allemands au moyen-âge
Chure-Wala, d'où le nom allemand Churwelsch pour désigner
ce dialecte. Ce nom est plus limitatif et plus modeste que celui de
rhétoroman, composé qui n'est usité nulle part ; dans le pays
même la langue s'appelle roumanche = prov. romans. Nous ne
pouvons, malgré toutes les réclamations contraires, la mettre à
côté des six langues romanes littéraires comme une sœur égale
en droits, d'abord parce que, troublée par des influences étrangères,
elle n'a pu arriver à une complète originalité 178 ; ensuite
et surtout parce que sur son sol il ne s'est pas développé de
langue littéraire, car on n'écrit et on ne parle que dans les
dialectes et d'après une orthographe arbitraire. Il n'y a pas ici
un idiome cultivé et poli, qui n'était pas nécessaire, il est vrai,
à un petit peuple alpestre ; ce qui est regardé comme la langue
écrite va de pair avec les dialectes et change avec eux. Le plus
ancien monument de cette langue est une traduction du Nouveau Testament
de l'an 1560, réimprimée en 1607 (voy. des citations dans
Carisch, Formenlehre, p. 175-184). Les dialectes principaux sont
au nombre de deux : celui du pays d'en-haut aux sources du
Rhin ; et aux sources de l'Inn, le dialecte d'Engadin, qui
s'appelle aussi ladin, latin. Mais ceux-ci se divisent à leur
121tour en dialectes secondaires, par exemple le ladin en haut et
bas ladin (voy. Carisch, Dictionnaire, p. XXV et suiv. ;
Formenlehre, p. 118 et suiv. ; Bœttiger, Rhätoromanska
sprakets dialekter
, Upsala, 1853 ; Mitterrutzner, Die Rhätoladinischen
Dialecte in Tyrol
. Brixen, 1856). — Andeer
a traité dans son livre (De l'origine et de l'Histoire de la
langue rhéto-romane
, Chur, 1862) toutes les questions les
plus importantes qui se rattachent à ce domaine. Il y a donné
une liste bibliographique de 176 ouvrages écrits en cette
langue. — Nous ne parlerons ici que des lois de mutation,
qui, tout en n'étant pas régulièrement observées, ont cependant
pénétré un peu profondément dans la langue 179. A devant l ou
n devient souvent au (lat. calidus, roum. cauld, angelus =
aungel), et dans d'autres cas o (anima = olma, clamo =
clomm) ; dans le ladin il peut s'affaiblir en ä (faba, fäv,
vanitas = vanität, laudare = lodär). E se diphthongue en
ie ou ia dans le haut roum. (ferrum = fier, terra = tiara).
A, e et i, dans le même dialecte, deviennent aussi ai, en ladin
ei (honorabilis = hundraivel, hundreivel ; plenus = plain,
plein ; piper = paiver, peiver). 0, quand il ne persiste pas,
devient en haut roum. soit u (bonus = bun, pons = punt,
corona = corunna), soit ie, ou en ladin ö (oleum = ieli,
öli ; nobilis = niebel, nöbel). U long (rarement u bref) donne
en ladin u prononcé à la française, qui s'atténue en i dans le
haut roum. (durus = dur, dirr ; justus = just, gist). O et
u se diphthonguent souvent en ladin en uo (forma = fuorma,
curtus = cuort). Au donne en haut roum. au, en ladin ô
(fraudem = fraud, frôd). Les voyelles finales sont traitées
comme en provençal ou en haut italien (casa, facil, amar,
amig). L'incertitude des voyelles atones à la première
syllabe dépasse toute mesure et n'est égalée dans aucun autre
dialecte roman : pavo = pivun, papyrus = pupir, tenere =
taner
, peccatum = puccau, servitium = survetsch, timere
tumer
, infans = uffont, portare = purtar, junix =
gianitscha
, laudare = ludar. Il faut noter la prédilection marquée
pour l'u. — Pour ce qui regarde les consonnes, al se résout,
en haut roumanche, en au, en ladin en ô (alter = auter, oter).
L et n mouillées se produisent de la même manière que dans les
autres langues et se rendent par lg, ng, ou bien gl, gn. S initiale
122devant une consonne se prononce ch. Ti se partage entre
plusieurs formes (palatium — palaz, credenza = cardienscha,
rationem = raschun, radschun). C devant a, o, u, se
comporte en haut roum. à peu près comme en italien ; cependant
il y prend quelquefois, et toujours en ladin, un son écrasé qu'on
exprime par ch, chi, et souvent aussi par tg (lat. calor, caballus,
peccatum, caput, canis, corpus, corium, cuna ; h.
roum. calur, cavaigl, puccau, cheau, chiaun, chierp, chir,
chiuna ; lad. chalur, chavaigl, percha, cheu, chaun, chierp,
chör, chunna). Devant e et i, c se prononce à peu près comme tz,
surtout en ladin (celebrar, facil) ; ou comme tch, auquel cas il s'écrit'
tsch (cœlum = tschiel, facies = fatscha) ; ou encore comme
ch (sch), son qui rend aussi le latin sce, sci (tacere = tascher,
decem = diesch, nasci = nascher). Ct en haut roum. donne
g, écrit aussi ig ou tg (lectus= lég, noctem = noig), en ladin
tt (lett, nott). Il y a deux g, le g guttural des autres langues,
et un g plus doux, exprimé ordinairement par gi et souvent
par tg à la fin des mots. Devant a, o, u, il conserve d'habitude
le son guttural en haut roum. (gallina = gaglina, mais ligare
= ligiar
) ; en ladin il prend le son doux au moins devant a
(giallina, etc.) ; devant e et i il conserve souvent aussi la prononciation
gutturale (aungel, fugir) ; mais il y a beaucoup de
mots où on le rend sifflant (gener = schiender, ingenium =
inschin
, pungere = punscher). J est généralement remplacé
par gi (jejunus = giginn ; jentare = giantar). Les muettes
n'offrent rien de remarquable.

Le côté étymologique de cette langue est très-digne d'attention.
Les Rhétiens étaient de race étrusque. Sous Auguste leur
pays fut conquis par les Romains et soumis à la langue latine.
Peu de siècles après, les Alamans occupèrent la partie occidentale,
les Bavarois la partie orientale du territoire. A l'ouest la langue romane
s'est maintenue ; dans l'est (Vorarlberg, Tyrol allemand)
elle a péri. Des vestiges étrusques se sont conservés dans des noms
de lieux, comme l'a récemment montré un philologue (Steub, Ueber die
Urbewohner Rhätiens
, 1843 ; Zur Rhätischen Ethnologie,
1854) ; quelques substantifs roumanches permettent d'en
conjecturer d'autres 180.123

L'élément romain s'est beaucoup obscurci, principalement par
l'emploi fréquent de la métathèse, ce qui n'ajoute pas peu aux
difficultés de l'étymologie : caula, par exemple, représente
aquila ; damchiar, imaginare ; diember = numerus ;
diever = opera ; iamma = hebdomas ; sdrelar= disgelare
(voyez Steub, Ethnologie, p. 43 et suiv.). L'élément germanique
est assez considérable, mais ne s'est introduit en grande
partie, comme l'indiquent les formes, qu'à une époque tardive.

6. Domaine valaque.

Au sud-est de l'Europe, sur les deux rives du bas Danube, une
nombreuse population parle une langue dont la construction
grammaticale aussi bien que la composition lexicologique indique
une origine latine 181. Quelque mêlée et altérée que semble cette
langue, le valaque, nous ne pouvons lui refuser une place parmi
les langues romanes, en considération de son rang extérieur
(puisqu'elle est la langue officielle, liturgique et littéraire de la
contrée où elle se parle) et aussi des traits archaïques qu'elle a
conservés.

Le nom de Valaque est étranger (serbe Wla, hongrois Oláh),
et très-probablement d'origine germanique, signifiant la même
chose que velche (wälsch 282) : les Valaques eux-mêmes se nomment
Romains, Romuni, et leur langue, romaine, romunie. Le
domaine actuel de cette langue comprend la Valachie et la Moldavie,
une grande partie de la Transylvanie, et quelques parcelles
de la Hongrie et de la Bessarabie ; mais on l'entend aussi
124dans une vaste étendue sur la rive droite du Danube, dans les
anciennes provinces de Thrace et de Macédoine, jusqu'en Thessalie 183.
Le tout se divise en deux grands dialectes, celui du nord
et celui du sud, autrement appelés daco-roman et macédo-roman.
Le premier passe pour être moins mélangé, et est littérairement
plus développé ; le second a reçu plus d'éléments étrangers, particulièrement
albanais, et surtout beaucoup plus de grecs, mais
moins de slaves, et est resté à l'état de patois 284. Nous ne comprendrons
que le premier sous le nom de valaque. Là, comme en
italien, l'étymologie rencontre de grandes difficultés ; des langues
appartenant aux familles les plus diverses, connues ou inconnues,
se sont trouvées réunies ou se sont succédé dans les provinces
moldo-valaque ; et cependant, à en juger par le dictionnaire que
nous possédons, l'idiome daco-roman est resté pauvre.

La plus ancienne population de la Dacie était d'origine
thrace, et parlait, d'après l'opinion généralement admise, une
langue voisine de l'ancien illyrien ; les habitants de la Dacie
orientale étaient les Gètes, ceux de la partie occidentale les
Daces proprement dits. Après la conquête de l'Illyrie (219
av. J.-C.) et de la Mésie (30 av. J.-C.) par les Romains, l'empereur
Trajan réduisit aussi, en l'an 107 de notre ère, la Dacie
en province romaine. « Trajanus, victa Dacia, ex toto orbe romano
infinitas eo copias hominum transtulerat ad agros et
urbes colendas » (Eutrope, VIII, 3). Mais déjà auparavant la
population thrace presque entière avait été obligée de reculer
devant l'invasion des Jazyges, population sarmate qui venait de
l'Orient (voy. Niebuhr, Kleine Schriften, I, 376, 393). Les
colonies qu'on transporta depuis la conquête contribuèrent puissamment
à en romaniser les anciens habitants 385 ; mais elles ne
purent cependant les pénétrer aussi profondément que les contrées
de l'Europe occidentale : car, déjà cent cinquante ans environ
après la réunion de la Dacie, l'empereur Aurélien fut contraint
de céder cette province aux Goths (272). A cette époque on
transporta en Mésie une partie des habitants. Vers la fin du
125Ve siècle (489), les Bulgares, peuple tartare, assimilé plus tard
aux Slaves, commencent leurs incursions en Thrace et en Mésie,
ils y trouvent déjà des colonies slaves ; quatre-vingts ans plus
tard, il y a en Macédoine une province slave, la Slavinie, et le
domaine valaque finit par être entouré ou occupé par des peuples
de cette race. Ces renseignements historiques sont essentiellement
tirés d'un article de Kopitar dans les Wiener Jahrb. n° 46. Cf.
aussi l'introduction qu'a mise Albert Schott en tête des Contes
valaques
qu'il a publiés avec Arthur Schott (Stuttgard et Tubingue,
1845). — Miklosich(DieSlavischen Elemente im Rumunischen,
Vienne, 1861) expose les faits de la manière suivante :
Les colons romains, qui n'étaient point de purs Romains, mais qui
venaient de tous les coins du monde, se fondirent avec les Daces de
la rive droite du Danube, et avec les Gètes (en Mésie). Les Romuni
des IVe et Ve siècles ne doivent donc être considérés que comme
des Daces et des Gètes romanisés. A ce mélange de l'élément
autochthone et de l'élément romain, s'adjoignit, vers le VIe siècle,
l'élément slave, notamment le Slovène. Il est vraisemblable que
les Romuni de la rive droite du Danube furent poussés par les
Slovènes vers le nord, où ils sont encore aujourd'hui. C'est alors
aussi, sans doute, qu'ils s'établirent dans le sud (Macédoine). A
quelle famille appartenait cet idiome gète ou dace qui s'est combiné
à l'idiome romain ? Nous l'ignorons, faute de monuments.
Cependant on peut inférer, de certains caractères propres au
valaque, que cet idiome était essentiellement identique avec la
langue des Albanais, descendants des Illyriens anciens, qu'on
peut considérer comme les parents des Thraces 186.

Cet immense mélange de peuples se reflète à merveille dans
la plus orientale des branches sorties de la lingua rustica.
C'est à peine si la moitié de ses éléments est restée latine. On
pourrait croire trouver dans cette langue, qui n'a eu presque
aucun contact avec ses sœurs et s'est développée sans leur
influence, un certain nombre de mots latins qui leur sont inconnus ;
mais on se tromperait : le nombre de ces mots est relativement
minime : adauge (adaugere), cadę (cadus, gr. κάδος, et
aussi slav. hongr. kad), gianę (gena), hanu (fanum), linge
126(lingere), ninge (ningere), nuntę (nuptus), rudę subst.
(rudis, illyr. rud), sau (seu), ud (udus), vitrég (vitricus),
vorbę (verbum), et quelques autres. Au contraire, on y cherche
en vain beaucoup des mots les plus usités, des substantifs comme
pater, mater, cor, pes, vita, vox ; des adjectifs comme brevis,
durus, dignus, firmus, levis, paucus, solus, verus ; des
verbes comme amare, debere, mittere (seulement dans des
composés), solere, sperare, etc. Les radicaux de la moitié non
latine doivent se rattacher au slave, à l'albanais, au grec, au
turc, au hongrois, à l'allemand, et à d'autres langues encore 187.
La lettre B du Dictionnaire d'Ofen ne compte pas plus de quarante-deux
mots latins contre cent cinq étrangers : mais la
disproportion n'est pas si forte dans les autres lettres. Un
examen attentif des éléments étrangers prouve que, malgré les
prétentions des grammairiens valaques à la pureté de l'origine
de leur langue, l'élément slave est celui qui domine. Déduction
faite de quelques noms propres, de plusieurs mots qui ne sont
évidemment pas d'origine slave, ou qui sont douteux, il ne
reste pas (dans cette lettre B), d'après Miklosich, moins de
cinquante mots qui se retrouvent en slave. De ce nombre sont :
babę, mère (serbe bába) ; bale, salive (bale) ; bálęge, fumier
(bàlega) ; basnę, fable (slov. basn') ; baśta, père (bulg. m. m.) ;
bęsca, spécialement (serbe bàśka) ; bęsnę, obscurité (russe
bezdna, abîme) ; blasnę, gâchis, ouvrage mal fait (serbe blèsan,
imbécile) ; blid, écuelle (v.-slov. bljodo) ; boalę, maladie
(serbe bôl, douleur) ; boartę, arbre creux (russ. bort'), bob, fève
(serbe bob) ; bojariu, gentilhomme (boljâr, de bòlji, meilleur) ;
bogát, riche (bògat) ; brasdę, sillon (serbe brazda) ; brod, gué
(brôd) ; bujac, impétueux (bûjan, orageux). En albanais on
retrouve : baltę, bourbier (baljtę) ; beleà, calamité(beljá, accident ;
cf. serbe bèlâj m. s.) ; bęcan, épicier (alb. turc serbe bakal) ;
bizuì, confier (bessóig, croire) ; brad, sapin (breth) ;
briciu. rasoir (brisk, serbe brîjâć) ; broascę, crapaud (breśkę,
tortue) ; bucurà, se réjouir (bukuróig, embellir) ; buzę, lèvre
(alb. même mot). Les mots suivants se retrouvent en hongrois :
bálmoś, gâteau de farine (bálmos) ; baraboju, corbeille
(barabolj) ; beancę, cailloux (beka kö) ; benui, regretter (banni) ;
betég, malade (m. m.) ; bicáo, fer à cheval (ló békó) ; biréu,
juge (biró) ; biruì, vaincre, posséder (birni) ; boboanę , sorcellerie
127(babo nasag) ; boi, combat (baj) ; boncęi, rugir (bögni) ;
bórzoś, hérissé (borzas) ; bucni, pousser (bökni) ; bunda, peau
de bête (bunda, originairement allemand) ; burujánę, gueule-de-lion
(burián, mauvaise herbe) ; buśdugán, massue, casse-tête
(buzogany). Mais avec une langue aussi singulièrement mélangée
on ne peut affirmer qu'ils en viennent ; plus d'un peut aussi
se rattacher au slave. L'élément grec est plus fortement représenté
que dans les autres langues, même l'italien ; nous prenons
des exemples dans toutes les lettres : afurisì, excommunier
(ἀφορίζειν, séparer) ; argát, valet (ἐργάτης, serbe argatin) ;
ateu, impie (ἄθεος) ; ázim, sans levain (ἄζυμος) ; bętęleu, homme
efféminé (βάταλος) ; biós, riche (πλούσιος ? grec moderne) ;
bosconì, ensorceler (βασκαίνειν) ; camętę, intérêts (κάματος, travail) ;
cęlúgęr, moine (καλὸς γέρων, beau, c'est-à-dire cher
vieillard
, alb. calojér) ; cęręmidę, tuile (κεραμίς) ; chivot,
armoire (κιβωτός) ; colíbę, cabane (καλύβη) ; crin, lis (κρίνον) ; dáscal,
maître (διδάσκαλος) ; dęcę, colère (δίκη ?) : drom, chemin
(δρόμος) ; eftin, à bon marché (εὐτελής) ; fármecę, enchantement
(φάρμακον) ; fleure, bavard (φλύαρος) ; haínę, vêtement
(χλαίνη ?) ; halęu, filet, Lex. Bud. (ἁλιεύειν, pêcher) ; hęręzi,
donner, faire cadeau (χαρίζεσθαι) ; icoane, image (εἰκών) ;
lipsę, manque (λεῖψις) ; mac, pavot (μηκών) ; męrturisí, témoigner
(μαρτυρεῖν) ; miel, brebis (dont la rencontre avec l'homérique
μῆλον doit cependant plutôt être fortuite) ; plasmę,
créature (πλάσμα) ; procopsî, faire des progrès (προκόπτειν) ;
prónic, prévoyance (πρόνοια) ; scafę, vase à boire, plateau de
balance (σκάφη) ; seatrę, tente (ἐξέδρα) ; trufíe, orgueil (τρυφὴ) ;
zeamę, sauce (ζέμα) ; zugráv, peintre (ζωγράφος). Il est vrai
qu'une partie de ces mots existent aussi dans des dialectes
slaves. — L'élément germanique est insignifiant, malgré le contact
des Goths ; une partie des mots qui le composent a même été
introduite médiatement, par les Hongrois et les Slaves des pays
voisins ; une autre ne l'a été que dans les temps modernes, par
la Transylvanie et l'Autriche. Il est vrai qu'en pareil cas, ce
qui est décisif, c'est le fait de la possession, et non la manière
dont on l'a acquise. Voici à peu près les exemples les plus
importants : bandę, troupe (s'accorde, il est vrai, avec l'all. bande,
mais aussi avec le hongr. banda) ; gard, haie (avec le goth.
gards, all. garten, mais aussi avec l'alb. gardę) ; groapę,
fosse, pourrait être le goth. grôba, mais ressemble plus à l'alb.
gropę ; ladę, coffre, all. lade, est aussi illyr. slav. hongr. ; lec
médecine, lecuì, guérir, goth. lêkinôn, slovène ljekovatisz : c'est
128un mot auquel le germanique et le slave ont une part égale ; sticle,
verre comme matière, slovène styklo m. s., gothique stikls
coupe, qu'on ne sait auquel rapporter du slave ou de l'allemand :
stęrc, stręcę, cigogne, bulg. struk : selon Miklosich il est
très-improbable que ce mot vienne de l'allemand ; vardeati,
garder, goth. vardjan, v.-h.-allemand warten, slovène mod.
vardeti, bulg. vardi ; d'origine allemande, d'après Miklosich.
La ressemblance de pad, lit, avec le goth. bâdi est frappante ; mais
on doit aussi rapprocher le hongrois pad, banc : de même
pildę, modèle, rappelle le v.-h.-allemand pildi, mais aussi le
hongr. illyr. pelda. Barde, hache (v.-h.-all. barta) ; bordeaiu
cabane (all. bord) ; dost, nom d'une plante (v.-h.-all. dosto,
all. mod. dost, origan) ; latz (all. latte) ; steangę, perche (all.
stange, perche) ; toanę, tonne (all. tonne), paraissent libres
de tous rapports avec d'autres langues que l'allemand. Plusieurs
autres, comme bręgle, bride ; dardę, flèche ; isbęndí, venger ;
nastur (nœuds) ; salę, salle, viennent sans doute immédiatement
de l'italien briglia, dardo, sbandire, nastro, sala.
D'autres encore, comme bruncrútz, ciubęr, dantz, drot,
grof, háhelę, harfę, muldę, obśit, plef, śinę, śoncę, śurę,
śurtzę, troacę, semblent avoir pour source l'allemand
moderne (souvent prononcé à l'autrichienne) : brunnenkresse,
cresson ; zuber, cuveau : tanz, danse ; draht, fil ; graf,
comte ; hechel, séran ; harfe, harpe ; mulde, jatte ; abschied,
congé ; blech, plaque ; schiene, bande ; schinken (schunken),
jambon ; scheuer, grange ; schürze, tablier ; trog, huche. —
Dans des circonstances favorables, une langue peut quelquefois
subir le mélange le plus fort sans y perdre son caractère ; mais
le valaque n'était pas bien arrivé encore pour ainsi parler à la
pleine possession et à la conscience de lui-même, quand il
commença d'être pénétré par les éléments étrangers. Les principes
de l'assimilation lui faisaient encore défaut : l'admission
trop littérale des mots étrangers en est la preuve ; des sons
purement slaves, des groupes même de lettres comme ml et mr
initiaux, furent accueillis sans changement.

La littérature daco-romane commence à la fin du XVe siècle.
Du moins il a paru à Jassy en 1856 un long Fragment istorik in
vechea limbę romęnę, din
1495, réimprimé dans la Revista
romana
, vol. I, Bucharest, 1861, p. 547, 574. Un autre document
de l'année 1436, également publié, est regardé comme faux
dans ce dernier ouvrage. Jusqu'alors, on avait placé la naissance
de la littérature (qui n'était guère qu'ecclésiastique) à l'année
1291580. Le prince de Transylvanie Rakoczy ordonna le premier
(1643) aux Valaques de prêcher la parole de Dieu dans
leur langue. Dans ces derniers temps, il a paru des ouvrages
scientifiques et poétiques en valaque. Plusieurs écrivains se sont
occupés de leur langue ; cependant il manque encore un bon
dictionnaire dont le valaque serait l'objet principal et le point de
départ. Le Lexicon valachico-latino-hungarico-germanicum
(Budae, 1825), œuvre de plusieurs mains, est, jusqu'à présent,
le plus complet, sinon le plus exact. Si on possédait des chartes
(slaves, bien entendu) écrites en Valachie au moyen âge, elles
permettraient, ne fût-ce qu'au moyen des noms propres, de
pousser plus haut l'histoire de la langue et d'éclairer bien des
faits inexpliqués. La science ressent vivement cette lacune.130

LIVRE I.
PHONÉTIQUE.131

Livre I.
Phonétique.

Nous divisons ce premier livre en trois sections. La première,
partant des langues mères, étudie le sort de leurs lettres dans les
langues dérivées : la seconde, remontant de ces langues dérivées
(considérées comme organismes complets) à leur origine,
expose le rapport étymologique de leurs sons. A vrai dire il n'y
a qu'une langue base et source de toutes les langues romanes : c'est
le latin. Mais, comme nous l'avons vu, il y a encore, dans le
domaine roman, un élément étranger qui n'est pas sans importance,
et qui a subi en roman une transformation propre : aussi
est-il nécessaire, après avoir étudié les lettres latines, de
passer en revue les lettres étrangères. La seule langue étrangère
qui ait exercé par son vocabulaire une influence notable sur le
roman est celle des Germains dans ses différents dialectes.
Aussi peut-on dresser un tableau complet des lois qui ont présidé
à cette action, comme nous le verrons ci-dessous. L'influence de
l'arabe (sans importance pour le domaine roman envisagé dans
son ensemble) est considérable dans les langues du sud-ouest de
l'Europe, et ici encore on peut décrire avec exactitude les règles
de transformation. Quant à ce qui concerne les autres langues dont
l'influence ne s'exerce que sur une province isolée de ce vaste
domaine, l'assimilation de l'élément slave par le valaque pourrait
aussi se ramener à des lois définies ; mais cette dernière langue
inspire jusqu'à présent moins d'intérêt que ses sœurs, et il serait
peu utile de traiter ce sujet en détail : il suffira d'en noter les faits
importants dans le chapitre consacré à l'étude des lettres
valaques. Quant aux éléments celtiques et ibériques, trop clairsemés
pour donner lieu à une étude systématique, nous nous
bornerons à des observations isolées. L'élément grec, presque
insignifiant, comme on l'a vu ci-dessus, peut être joint au latin,
— Ces deux premières sections, qui se complètent et se déterminent
mutuellement, sont suivies d'une troisième section
consacrée à l'étude de la prosodie.133

Section I.
Lettres des langues mères.

Lettres latines.

Avant d'aborder l'étude des questions que soulève le rapport
des lettres latines aux lettres des langues dérivées, il faut insister
sur une division importante déterminée par le temps, et qui
sépare l'élément latin en deux classes. La première, de
beaucoup la plus importante, comprend tous les mots que le
peuple a formés de la langue originaire, d'après des lois
d'autant plus sûres qu'elles étaient inconscientes. La deuxième
classe se compose de tous les mots introduits plusieurs
siècles après, et de nos jours encore, par les lettrés avec
une exactitude littérale, et sans aucun souci de ces lois fondamentales.
On peut comparer les mots de la première classe aux
créations de la nature, les mots de la seconde aux créations
de l'art. Nous insisterons souvent encore dans le cours
de cette grammaire sur cette division caractéristique. On peut
citer comme exemples de la première classe l'it. cagione,
cosa, dottare, l'esp. caudal, palabra, velar, le fr. acheter,
façon, frêle, employer ; comme exemples de la
seconde l'ital. occasione, causa, dubitare, l'esp. capital, parabola,
vigilar, le franç. accepter, faction, fragile, impliquer.
Ce procédé devait nécessairement amener l'existence de
beaucoup de mots latins sous une double forme dans les langues
dérivées ; et les exemples que nous venons de citer ont été
choisis dans cette catégorie 188.134

Cette division des mots en deux classes, d'après leur origine,
est particulièrement importante pour le français : d'une part en
effet cette langue est celle qui a perdu le plus grand nombre de
mots latins qu'elle a été obligée de remplacer ensuite en recourant
de nouveau à la source commune ; d'autre part c'est celle où
la différence de forme entre les mots anciens et les mots nouveaux
est le plus tranchée et appelle le plus une explication. Aussi les
grammairiens français de nos jours insistent-ils avec raison sur
cette division des deux couches de mots. Ils nomment les mots
de la première classe mots populaires, ceux de la seconde
mots savants 189. Ils reconnaissent les premiers à trois caractères
distinctifs : l'observation exacte de l'accentuation latine, la suppression
de la voyelle brève atone, la chute de la consonne
médiane. Voyez spécialement Brachet, Grammaire historique
de la langue française
, p. 71 et suivantes. De ces trois règles
de formation, la première sera étudiée dans notre troisième section ;
nous parlerons de la seconde, à propos des voyelles atones, dans
la présente section ; la troisième règle trouvera son application à
chacune des consonnes. Tous les mots qui n'observent pas ces
trois règles se caractérisent par cela même comme rentrant
dans l'élément savant.

Voyelles.

Leur importance en roman dépend principalement de l'accent :
la voyelle sur laquelle il repose forme le centre, l'âme du
mot ; le génie de la langue s'est imposé ici, dans ses créations,
une règle précise, tandis qu'il se permet des changements
beaucoup plus arbitraires avec les voyelles non accentuées (ou
atones). Ces deux catégories ont eu pour lui la valeur de deux
éléments spécifiquement distincts. Aussi est-il nécessaire de les
étudier séparément.135

I. Voyelles accentuées.

Les voyelles accentuées exigent, étant de beaucoup les plus
importantes, une étude très-minutieuse. Il faut y établir une
seconde division fondée sur la quantité, et qui les distingue en
longues et en brèves ; une catégorie à part doit être ouverte
pour celles qui sont longues par position. Il n'y a que l'a
auquel ne s'applique point cette division.

Les dérogations aux règles générales du roman sont si fortes
en français, qu'il eût été plus commode d'étudier cette langue à
part. Cependant comme cette grammaire est une grammaire
comparée, et qu'en plusieurs points importants la langue
française donne la main à ses sœurs, il est plus sage de ne
point opérer cette séparation.

A.

Cette voyelle s'est maintenue intacte en italien, en espagnol,
en portugais et en provençal. Cependant on ne peut nier qu'il
existe quelques exemples d'affaiblissement en ai ou e. L'it. melo
du substantif mālus semble être une forme différentiative amenée
par malo de l'adjectif mălus (que la prosodie ne distinguait plus
de mālus), et n'a sans doute aucun rapport avec le grec μῆλον.
Le suffixe italien évole s'est de même formé du lat. abilis
par la conversion au suffixe ebilis ou ibilis, lodevole = fievole.
Treggia de trahea est un autre exemple. Notare présente
un exemple du changement de a en o (voy. le Dictionnaire
étymologique
). — On peut citer pour l'espagnol alerce de
larix ; pour le portugais fome de fames ; pour le provençal
menjar à côté de manjar ; aigua, aiga tandis qu'on ne
rencontre point agua (de aqua) doit étonner. Quant aux autres
exemples provençaux, ils ne se rencontrent que dans des syllabes
atones : aigrament, aimansa, aiguilleta, escaimel, maigreza.
Cf. au de o dans la même position (aulen de olens). Greve, de
gravis, forme générale en roman, est peut-être né, par une sorte
d'analogie, sous l'influence du pendant leve. La forme, générale
aussi en roman, gettare vient plutôt de ejectare que de
jactare. Cf. Dictionn. Etymolog. I. — Le cas le plus fréquent
et le plus important est celui où a (par l'influence d'un e ou d'un
i qui s'attache à lui) devient, suivant les langues, tantôt ai,
136tantôt ei, tantôt e et ie : pr. air, esp. aire de aer ; pr. primairan
(mais seulement primer, primier), pg. primeiro, esp.
primero, it. primiero de primarius ; pr. esclairar à côté de esclariar ;
pr. bais, pg. beijo, pr. beso, esp. basium ; pr. fait,
pg. feito, esp. hecho de factus ; par la résolution du c en i. Il
est douteux que dans allegro de alacer, l'e de la dernière syllabe
ait agi de même sur la forme de la tonique. Dans it. ciriegia,
esp. cereza, pr. serisia, de cerasum, ceraseum, la forme
provençale s'oppose à l'hypothèse d'une semblable influence.

La déviation de la voyelle pure est un peu plus forte en
valaque. D'ordinaire elle reste intacte, aussi bien devant les
consonnes simples que devant les consonnes composées, par
exemple : acu, amar (amarus), apę (aqua), aramę, (aeramen),
asin, bratz (brachium), cad (cado), cap (caput), case,
chiar (clarus), fac (facio), fag (fagus), lat (latus adj.),
mare, nas, pace (pax), plac (placeo), rad (rado), ramurę
(ramus), rar, sare (sal), scarę (scala), trag (traho), tramę
(trama), vacę (vacca) ; ambi, arbore, ard (ardeo), armę
(arma), aspru, barbę, calc (calco), cald, carne, carte,
gras (grassus), lampę (lampas), lapte (lac), larg, larvę,
las (laxo), margine, nasc (nascor), palmę, parte, salce
(salix) et beaucoup d'autres. Les exceptions sont par exemple
innot (nato, -as), lotru (latro, -onis Lex. bud.), pelutę
(palatium, hongrois palota), la plupart devant m comme
chem (clamo), defęim (diffamo), foame (fames), cųmp
(campus) umblà (ambulare). Devant n, c'est une règle que
l'a se change en ų sourd : que l'n soit suivie d'une voyelle ou
d'une consonne, ou qu'elle soit elle-même finale, cela ne change
absolument rien. Exemples : cųine (canis), cųnepę (cannabis),
lųnę (lana), mųnece (manica), romųn (romanus) ; blųnd
(blandus), frųng (frango), mųnc (manduco), pųntece (pantex),
sųnge (sanguis) ; on en trouvera dans la deuxième section
des exemples plus nombreux. A persiste dans un petit nombre
de mots comme an (annus), lance (lancea), plantę, sant
(sanctus) ; il se change en d'autres voyelles dans : gręu (granum),
stręin (extraneus), ghindę (glans), inimę (anima),
alunę (avellana), unghiu (angulus).

C'est en français que cette voyelle a le plus souffert ; le son
pur de l'a s'est très-fréquemment assourdi en ai, e, ie 190. On doit
137avant tout mettre à part le changement général en roman, changement
dont nous venons de dire un mot, et qui consiste dans
l'assourdissement de l'a par l'influence d'un i subséquent comme
dans air, premier, baiser, fait. Les transformations de l'a sont
multiples ; on peut cependant y saisir quelques règles : 1) a reste
intact en position latine, et en position romane, même quand
elle n'existe plus dans la forme présente : a) cas de position
latine : cheval, val, pâle (pallidus), haut (altus), flamme,
lampe, change (cambio), an, pan (pannus), van, plante,
grand, mange (manduco), lance, balance, sang, chanvre,
char, charme (carmen), art, part, lard, charge (carrico),
large, barbe, arbre, casse (quasso), gras, las, pas, pâques
(pascha), âpre, louvat (it. lupatto), natte (matta), bats
(battuo), quatre (quattuor), sac, vache, lâche (laxus),
larme (lacrima), nappe (mappa), achat (adcaptare). — b)cas
de position romane : chambre, âme (anima an'ma), manche
(man'ca), ancre (anch'ra), charme (carp'nus), diacre (diac'nus),
âne, plane (plat'nus), voyage (viat'cum) et d'autres
semblables, fat (fatuus fatvus), miracle, gouvernail,
image (imag'nem), page (pag'na), sade (sap'dus), admirable
et toutes les finales en able ; de plus, tous les mots avec
un i palatal comme mail (malleus maljus), paille, bataille,
Espagne, grâce, cuirasse (coriacea), bras, place, ache
(apium apjum), sage (sapjus), rage (rabjes), cage (cavja).
Il n'y a sans doute pas d'autre exception que chair (pr. carn),
très, qu'a précédé d'ailleurs un type roman très-ancien tras,
asperge (asparagus). En résumé, la position protège la
voyelle a, comme elle protège aussi l'e et l'o. — 2) Devant m
et n, lorsqu'ils ne sont pas suivis d'une consonne, a dégénère
en ai : aime, ain (hamus), clain v.-fr. (clamare), daim
(dama), faim, rain v.-fr. (ramus), -ain dans airain (aeraramen),
essaim (examen), levain (*levamen), demain,
(mane), grain, laine, main, nain, pain, plaine, raine vieilli
(rana), sain, semaine (septimana), vain, -ain dans romain,
chapelain. Grâce à une légère altération, le suffixe ien pour
iain dans chrétien, égyptien, indien, italien, païen, etc. se
dérobe à cette règle, ainsi que lien pour liain (ligamen).
Artisan, paysan sont une exception réelle. Chien pour chain
138est une forme qui étonne, quand on en rapproche pain de panis
et autres semblables. — 3) Devant les autres consonnes simples
(si l'on considère les mots dans leur forme la plus primitive),
et aussi quand ces consonnes sont suivies de la semi-voyelle r,
a se change habituellement en e ouvert (parfois transcrit ai),
— ou en e fermé quand il est final ou devant une consonne
muette, comme dans quel, sel, tel, échelle, pelle (pala), -el
dans mortel et autres semblables, autel (altare), amer, cher,
chère (gr. κάρα), mer, chanter, chantèrent, écolier, régulier,
chez (casa), nez, gré pour gret, (latum), pré, vérité,
chanté, chef (caput), achève (esp. acabo), sève (sapa), chèvre,
fève, lèvre, orfèvre, tref vieux (trabs), clef, nef, soef vieux
(suavis) ; aile, clair, pair, vulgaire, aigre, maigre. Mais
il ne manque pas de mots qui devant les consonnes les plus
diverses gardent fidèlement la voyelle originaire. Ce sont les
suivants : mal, animal, canal, -al dans bestial, égal, loyal,
royal, et d'autres adjectifs ainsi terminés, avare, car (quare),
rare, cas, rase (radere, rasus), vase, avocat, état, cigale,
(cicada), lac, estomac, rave (rapa), entrave (trabs), cave,
grave, lave, cadavre. Plusieurs de ces mots portent à la vérité
l'empreinte moderne, comme canal (v.-fr. chenel), avocat
côté avoué) ; d'autres ne pouvaient abandonner l'a qui servait
à empêcher l'homonymie, comme cas à côté de chez, état à côté
de été, rave à côté de rêve, lave à côté de lève ; mais pour la
plupart des mots, cette excuse n'est pas admissible.

E.

I. 1. Quand il est long, ou quand il est devenu long par la
chute d'une consonne (mensis mēsis), e s'est maintenu ordinairement
intact. Dans un petit nombre de cas seulement il se
diphthongue, par suite d'une confusion avec e bref. Ital. alena
(anhēlare), rena (arēna), avena, blasfemia, cedo, celo,
cera, credo, creta, devo (dēbeo), femmina, fievole (flēbilis),
erede (herēdem), meco (mēcum), mese, peggio
(pējus), peso (pensum pēsum), pieno (plēnus), cheto (quiētus),
remo, rete, sede, seme, sera, seta, sevo (sēbum),
spero, tela, teso (tensus), tre (trēs), velo, vena, veneno,
prima-vera (vēr), vero ; querela, avere, canneto, et les
autres dérivations en -ēla, -ēre, -ētum. Les cas de diphthongaison
en ie sont bieta (bēta), fiera (fēria, s'il n'y a pas
attraction de l'i), Siena (Sēna). — Esp. avena, cera, creo,
139debo, lleno (plēnus), mesa (mensa), mes, quieto, remo,
red, semen, sebo, espero, tela, tres, velo, vena, veneno ;
querella, haber, arboleda (arborētum). Ie dans tieso (tensus
tēsus
). — En portugais, quand e est suivi d'une seconde
voyelle, il peut s'allonger en ei : freo freio (frēnum), cheo
cheio
(plēnus). — Pr. alé, avena, ces (census), cera, cre, crei
(crēdo), peitz (pējus), ple, quet, le (lēnis), ser, seré (serēnus),
esper, tres, veré (venēnum), ver, aver. — Le français
s'écarte beaucoup de cette règle générale en roman. A la vérité,
e se maintient encore intact dans beaucoup de mots, notamment
devant l, comme dans : bette (bēta), blasphème, cautèle,
carême (quadragēsima), cède, chandelle, complet, cruelle
(crudēlis), femme, fidèle, pèse, querelle, règle, rets, sème
(sēmino), espère, étrenne (strēna) ; devant n on écrit généralement
ei : frein, haleine, plein, veine. Mais la forme
ordinaire est oi : avoine, crois (crēdo), dois (dēbeo), moi
(), mois, poids (it. peso), soir, soie, espoir, toile, trois,
voile, avoir, courtois (*cortensis), hoir vieux (hēres), coi
(quiētus), voir (vērus). Dans d'autres mots, la langue s'est
décidée pour la forme ai, comme dans : craie (crēta), cannaie
(cannētum), taie (thēca). — Val. otzet (acētum), trei (trēs),
pomet (pomētum, dans Stamatipomęt). Ea dans cearę (cēra),
searę (sēra), teacę (thēca), aveà (habēre), etc.

2. La permutation de e en i, bien que commune au roman,
est rare en dehors du français. L'italien, par exemple, dit : Corniglia
(Cornēlia), Messina (Messēne, ou du grec Μεσσήνη, η
étant prononcé comme i), sarracino (saracēnus). — Esp. consigo
(sēcum), venino vieux (venēnum) ; pg. siso (sensus
sēsus
). — Pr. berbitz (vervēcem), pouzi (pullicēnus), razim
(racēmus), sarraci. — Fr. brebis, cire (cēra), marquis
(marchensis), merci (mercēdem), pris (prensus), poussin,
raisin, tapis (tapētum), venin, v.-fr. païs (pagense, aujourd'hui
pays), seïne (sagēna), seri (serēnus). On retrouve cette
propension au changement de e en i dans le vha. fîra (fēriæ),
pîna (it, pena), spîsa (spesa).

II. 1. E bref, devant les consonnes simples, passe régulièrement
à la diphthongue ie, et aussi à ea en valaque. Le
portugais seul garde la voyelle intacte : dans les autres langues,
de nombreux exemples prouvent cette loi de la diphthongaison 191.
140Ital. brieve (brĕvis), dieci (dĕcem), diede (dĕdit), fiele (fel),
fiero (fĕrus), gielo (gĕlu), ieri (hĕri), lieve (lĕvis), mietere
(mĕtere), mestiero (ministĕrium), niego (nĕgo), piede
(pĕdem), priego (prĕcor), riedo (rĕdeo), siede (sĕdet),
sieguo (sĕquor), siero (sĕrum), tiene (tĕnet), viene (vĕnit),
vieto (veto), Orvieto (urbs vĕtus). — Esp. bien (bĕne), diez,
yegua (ĕqua), fiebre (fĕbris), hiere (fĕrit), fiero, yerno
(gĕner), hiedra (hĕdera), ayer (hĕri), liebre (lĕpus), miel,
miedo (mĕtus), niebla (nĕbula), niego, piè, siego (sĕco),
tiene, viene, viedo (ancienne forme pour vedo, lat. vĕto),
viernes (Vĕneris), viejo (vĕtulus). — Pr. brieu, dieu, ieu
(ĕgo), fier (fĕrit), hier (hĕri), lieu (lĕvis), mielhs (mĕlius),
mier (mĕret), mestier, mieu (mĕus), siec (sĕquor), vielh. —
Fr. bien, brief, dieu, hièble (ĕbulum), fièvre, fiel, fier,
fierté (fĕretrum), lierre (hĕdera), hier, lièvre, relief (relĕvare),
liége (lĕvis), miel, mieux (mĕlius), métier, pied,
piége (pĕdica), sied, tient, tiède (tĕpidus), vient, vieux ;
de plus, citons les formes du vieux-français, telles que : ieque
(ĕqua), fiert (fĕrit), miege (mĕdicus), mier (mĕrus), espiegle
(spĕculum), criembre (trĕmere) ; i consonnifié dans je (ego)
de ieu, de même que dans les patois jèble de hièble, jeuse de
yeuse (ilex, dans lequel ie vient de i), voy. Furetière et
comparez Gemble de Hyemulus (Voc. hag.). — Val. eapę
(ĕqua), feare et fiere (fĕl), meare miere (mĕl), mierlę
(mĕrula), miez (mĕdius), peadecę (pĕdica), peatrę (pĕtra).

2. La plupart des langues offrent des exemples de e au lieu de ie.
En italien, on trouve souvent le même mot sous les deux formes,
breve, fele, fero, gelo, etc. Mais e demeure intact surtout
quand il est proparoxyton, ou qu'il l'était en latin, ainsi dans :
edera (hĕdera), genere, grembo (grĕmium), imperio, ingegno
(ingĕnium), lepido, lepre (lĕporem), medico, merito,
merla (mĕrula), nebbia (nĕbula), pedica (à côté depiedica),
specchîo (spĕculum), tenero, tepido (à côté de tiepido),
vecchio (vĕtulus) : dans plus d'un cas (imperio, ingegno,
nebbia, specchio, vecchio) ce fut l'euphonie qui décida de la
forme à adopter, parce que la voyelle suivante contenait déjà
141un i palatal. Voici d'autres exemples : bene, crĕma (crĕmor),
febbre, gemere, gregge (grĕgem), legge (lĕgit), premere.
Dans les syllabes ouvertes, e se change volontiers en i. Cf. cria
(crĕat), dio (dĕus), io (ĕgo), mio (mĕus), rio (rĕus). L'italien
n'a point adopté pour le pluriel les formes si peu harmonieuses
dii, mii, rii, mais dei, miei, rei. D'ailleurs le vieil
italien dit aussi deo, eo, meo 192-. — L'espagnol observe plus
sévèrement la loi de la diphthongaison ; cependant la voyelle
simple persiste parfois dans les proparoxytons, comme dans
adulterio, madera (matĕria), menester (ministĕrium),
genero, lepido, medico (mais v.-esp. miege), merito. Le
portugais présente quelques cas de la diphthongue intervertie
ei, par ex. ideia (idĕa), queimo (crĕmo). — En provençal,
la voyelle la plus usuelle est e, qu'on peut retrouver dans tous
les exemples cités au § 1 : breu, deu, eu, fer, her, leu, melhs,
mer, mester, meu, sec, velh. Il est à remarquer que cette
langue ne souffre jamais la diphthongue à la fin des mots, et
conserve toujours à cette place la voyelle simple : c'est ainsi
qu'elle dit pe côté de l'it. esp. pié, fr. pied ; elle dit de même
be (bene), re (rem), te (tenet), ve (venit), et jamais pié, bié,
rié, tié, vie. N final ne compte pour rien : on ne prononce et
on n'écrit jamais bien rien tien vien, en dépit du français
bien rien tient vient. De même l final ne peut supporter la
diphthongue : fel, gel, mel sont les formes ordinaires du provençal,
et non point fiel, giel, miel. Nous remarquerons, en
traitant de la lettre o (II, 2), une loi correspondante. — Les
exemples français de e pour ie sont : crème, genre, lève
(lĕvo), merle, tendre ; i dans dix et dîme (decimus).

III. E en position reste intact, sauf dans l'espagnol et le
valaque, qui, ici aussi, emploient volontiers la diphthongue.
Il est inutile de citer des exemples italiens. — Esp. ciento,
ciervo, finiestra vieux, hierro (ferrum), confieso, fiesta,
miembro, piel (pellis), pienso, pierdo, siempre, siento,
siete (septem), tiempo, tierra, habiendo et d'autres gérondifs ;
mais ceso (cesso), lento, mente, senso, etc… devant
les mêmes consonnes. Dans les syllabes antépénultièmes, e se
maintient de préférence : bestia, ferreo, mespero (mespilum),
142persigo, pertiga, tempora, termino, vertebra. Dans
quelques autres mots, on rencontre i où l'ancien espagnol (dans
les dialectes) mettait encore ie, par exemple silla, nispera,
vispera ; v.-esp. siella, niespera, viespera. — La langue française
s'abstient ici de toute diphthongue : cependant on trouve
fréquemment ie pour e dans l'ancienne langue, comme particularité
dialectale, ainsi : biel (bellus), bieste, ciert, cierve,
confiesse, iestre (esse), tierme (terminus), viespre 193. Le
même phénomène se produit encore aujourd'hui dans le wallon
qui prononce sierpain (serpent), biess (bestia). Il a lieu aussi
dans le roumanche du pays haut, qui allonge d'ordinaire ie en
ia : fier (ferrum), unfiern (infernum), bial (bellus), fiasta
(festa), siarp (serpens), tiara (terra), viarm (vermis),
schliatt (allem. schlecht). — Le val. diphthongue e en ea, ie :
eascę (esca), fereastrę (fenestra), fier fer (ferrum), earbę
(herba), earnę (hibernum), peale pele (pellis), peanę (penna),
pierd (perdo), śeapte (septem), śease (sex), tzearę
tzierę
(terra), vearme verme (vermis). Mais ici ea est souvent
prononcé et écrit a (voy. la deuxième section).

I.

I. 1. En principe i long reste intact. De nombreux exemples
mettront ce fait en évidence. It. castigo, chino (clīno), cribro,
crine, dico, fibbia (fībula), fico, fido (fīdus), figgere (fīgere),
filo, figlio (fīlius), fine, friggere (frīgere), frivolo,
giro (gyrus), imo, ira, isola (insula īsula), libero (līber),
libbra (lībra), liccio (līcium), giglio (līlium), lima, lino,
mica, miro, nido, uccido (occīdo), pica, piglio (pīlo), pino,
Pisa, primo, ripa, scrivo (scrībo), scrigno (scrīnium), sibilo,
si (sīc), scimia (sīmia) simo, spica, spina, spirito, sublime,
vile (vīlis), vino, viso, vite, invito (invīto verbe, invītus)
vivere, les suffixes -ice, -ico, -ile, -ino, -ivo : felice, amico,
gentile, sottile (subtīlis), ovile, sentina, cattivo (captīvus).
— Esp. convido (invīto), cribro, crin, digo, higo
(fīcus), hilo (fīlum), hijo (fīlius), fin, frido (frīgidus), frivolo,
giro, isla, libra, lizo (līcium), lirio (līlium), lima,
lino, miga, nido, pia (pīca), pillo, pino, riba, escribo,
escriño, sibilo, simia, espiga, espina, vil, vino, viso ; feliz,
143amigo, gentil, ruina, cautivo. — Les exemples portugais
sont pour la plupart homophones des exemples espagnols. — Pr.
convit, dic, figa, filh, fi (fīnis), gir, lima, miga, mina
(hemīna), mir (mīror), niu (nīdus), pin, riba, escriu, si
(sīc), simi, espiga, espina, vil, vin, vis ; razitz (radīcem),
amic, gentil, caitiu. — Fr. châtie, incline, convie, crime,
crin, figue, fil, fils, frire, île, livre (līber, lībra), lice, lis
(līlium), lime, ligne, mari ( marītus), mie, mine, admire,
oubli (oblītum), nid, péril, pic, pille, pin, prime, rive,
écris, écrin, si, siffle, singe, épi (spīca), épine, sublime,
tige (tībia), vil, vin, avis, vis (vītis), vivre ; impératrice, treillis
(trīlicem), ami, fourmi, gentil, subtil, pruine, chétif.
Sur la nasalisation du fr. i, voy. à la deuxième Section. — Val. zic
(dīco), fige, frig (frīgus), frige, linie, mie (mīca), mir
(mīror), ucid, scriu (scrībo), simie, spicę, spin, suspin
(suspīro), vin, vitze (vītis), viu (vīvus) ; cerbice (cervīcem),
ferice (felīcem), besicę (vesīca), lefticę (lectīca), amic,
ruinę, fęrinę (farīna).

2. Il n'y a presque pas d'exceptions à cette règle générale. Les
mots italiens freddo (frīgidus frig'dus) et elce (īlicem il'cem)
se justifient parce que l'e s'est trouvé en position de très-bonne
heure (on rencontre au moins frigdus) ; la forme secondaire élice
au lieu d'ilice peut avoir été suscitée par elce). Dans les dialectes,
il est vrai, on trouve fréquemment e pour i, par exemple en
romagnol spena, sublem, ven (vīnum). En espagnol il y aurait
peut-être à remarquer esteva (stīva), pega à côté de pia. En
provençal, on doit noter frevol, ainsi que freit (frig'dus) pour
friit, qu'il eût été impossible de prononcer, ce qui a causé aussi le
fr. froid. Notons en français : loir (glīrem), auquel la diphthongue
est venue donner plus de corps (il n'y a point de monosyllabes
en ir, à l'exception de tir, substantif verbal) ; poīs
(pīsum) qui a pris cette forme pour se différencier de pis
(pejus). Le valaque offre botez (baptīzo), rępę (rīpa), rus
(rīsus), rųu (rīvus). Un cas commun à toutes les langues romanes
est l'it. esp. caréna, pg. crena, fr. carène, val. carenę.
au lieu de carina que l'Elucidarius provençal est seul à
employer.

II. 1. I bref devant une consonne simple passe au son voisin
e : it. bevere (bĭbere), cenere (cĭnis), ricevere (recĭpere),
cetto (cĭto), fede (fĭdes), frego (frĭco), lece (lĭcet), lego
(lĭgo), meno (mĭno, minus), nero (nĭger), netto (nĭtidus),
neve (nĭvem), pece (pĭcem), pelo (pĭlus), pevere (pĭper),
144pero (pĭrus), piego (plĭco), sembro (sĭmilo), sen arch. (sĭne),
seno (sĭnus), sete (sĭtis), secchia (sĭtula), stelo (stĭlus),
stregghia (strĭgilis), strega (strĭga), Tevere (Tĭberis), temo
(tĭmeo), vece (vĭcem), vedo (video), vedova (vĭdua), verde
(vĭridis), vetro (vĭtrum). — Esp. bebo, cebo (cĭbus), concebo
(concĭpio), cedo (cĭto), dedo (dĭgitus), hebra (fĭbra),
fe (fĭdes), frego, menos, negro, neto, pez, pella (pĭla),
pelo, pebre, pera, plego, recio (rĭgidus), seno, sed, temo,
vez, veo (video). Diphthongue dans nieve pour neve, pliego
à côté de plego (plĭco), riego pour rego (rĭgo). — Pg. bevo,
cevo, cedo, etc. — Pr. beu, cenre, det (dĭgitus), frec, fe, fem
(fĭmus), enveia (invĭdia), letz (lĭcet), men (mĭno), mens
(mĭnus), meravelha (mirabĭlia), ner (nĭger), neu (nĭvem),
pez, pebre, plec, rege (rĭgidus), senes (sĭne), sen (sĭnus),
tem, vetz, vei (vĭdeo), veuza (vĭdua), veire (vĭtrum), vermelh
(vermĭculus). — Cet e, commun au roman, ne se produit
en français que dans la position romane, assimilée à la position
latine, c'est-à-dire dans une syllabe originairement antépénultième.
Exemples : oreille (aurĭcula), cendre (cĭnerem), conseil
(consĭlium), justesse (justĭtia), merveille, neige
(nĭveus), net, possède (possĭdeo), semble (sĭmulo), seille
(sĭtula), teille verbe (tĭlia ?), trèfle (trĭfolium), vesce (vĭcia),
vermeil, veuve (vĭdua), vert ; on le trouve en outre isolément
dans les mots mène (mĭno), sein (sĭnus), verre (vĭtrum). La
seconde forme de l'ĭ en français est, comme celle de ē, la diphthongue
oi, où l'i provient souvent d'une gutturale adoucie, comme
le montre la forme primitive ei : par exemple : nigr, negr, neir,
noir. Voici les exemples les plus importants : boire (anciennement
boyvre), doigt, foi (fĭdes), froie (frĭco), Loire (Lĭger),
moins (minus), noir (nĭger), poil (pĭlus), poivre, poire
(pĭrus), déploie (plĭco), roide (rĭgidus), soif (sĭtis), voie
(vĭa), vois (vĭdeo). — Val. beu (bĭbo), curechiu (caulĭculus),
frec, leg, negru, plec, precep (præcĭpio), sete, tem,
ved. Les autres formes sont ę danspęr (pĭlus), vęduvę (vidua) ;
ea dans pearę (pĭrum), teamę (de tĭmere, it. tema), valaque
du sud siate (sĭtis), viarde (vĭridis) ; ų dans mųn (mĭno),
sun (sĭnus). Les dérogations à la règle sont donc nombreuses.

2. Dans beaucoup de cas i a résisté à cette transformation :
en italien principalement à l'antépénultième originaire, où l'on
rencontre parfois à côté de i la forme plus romane e : arbitrio,
ciglio (cĭlium), discipolo discepolo, dito (dĭgitus), invidia,
liquido, miglio (mĭlium), minimo menomo, nitido, rigido,
145simile, tigna (tĭnea 194), titolo, vizio, vezzo ; fatticcio (factĭcius),
fitticcio, cavicchio (clavĭcula), vermiglio, famiglia,
maraviglia (mirabĭlia), possibile, terribile, legittimo,
marittimo, sanguigno (sanguĭneus), avarizia avarezza,
giustizia giustezza, servizio. Il faut y joindre quelques paroxytons,
comme cibo, fimo, libro (lĭber), sito, tigre, surtout
quand i se trouve dans une syllabe ouverte : dia di (dĭes), fia
(fĭet), pio, pria (prĭus), stria, via. — L'espagnol maintient l'i
à peu près dans les mêmes cas que l'italien : arbitrio, discipulo,
envidia, liquido, mijo (mĭlium), minimo, nitido, rigido et
recio, simil, tina, titulo, viuda (vĭdua), vizio vezo ; hechizo
(factĭcius), ficticio, familia, maravilla, posible, terrible,
maritimo, justicia, servicio ; libro, ligo, lio, estriga (strĭga),
tigre, dia, pio, estria, via ; on trouve cependant sin
(sĭne 295). Fr. sourcil, disciple, envie, mil, prodige, titre,
vide, vigile, vice ; maléfice, famille, flexible, légitime,
avarice ; chiche (cĭcer), livre, lie (lĭgo), plie ploie (plĭco),
tigre.

III. 1. I en position est traité comme i bref ; d'où l'it. ceppo
(cippus), crespo, cresta, degno, fendere, fermo, lembo,
lettera (littera, non lītera), mettere, pesce, secco, selva,
semplice, spesso, verga, vesco, etc. — Esp. cepo, crespo,
cresta, letra, lengua, pez, seco, espeso, verga ; en portugais
à peu près de même. — Pr. cep, denh, fendre, ferm, lengua,
letra, metre, peis, sec, selva, espes, verga. — Fr. baptême
(baptisma), cep, crêpe, crête, chevêtre (capistrum), évêque
(episcopus), fendre, ferme, herse (irpex), lettre, mettre,
pêche (piscor), sec, étroit de estreit (strictus), verge. Devant
ng, gn, nc originaire, i devient tantôt ei, tantôt ai, tantôt a :
ceindre (cingere), feindre (fingere), enfreindre (infringere),
peindre (pingere), enseigne (insignis) ; daigne (dignor),
vaincre (vincere) ; langue (lingua), sangle (cingulum).
Vierge (virgo) a subi la diphthongaison pour éviter
l'homonymie de verge (virga). — Val. semn (signum), peśte
(piscis), etc., mais on trouve aussi ę, i, ea et a : sęc (siccus),
intru (intro), sealbę (silva), vargę (virga).146

2. Il y a ici beaucoup plus d'exceptions que pour l'e bref
devant une consonne simple. En italien, i persiste le plus
souvent devant ll, n et s, comme dans brillare (beryllus),
mille, pillola, scilla, squilla, stilla, villa ; cinque, cinto,
finto, lingua, principe, propinquo, quinto, stinguo, stringo,
tinca, vinco ; acquisto, arista, assisto, cista, epistola,
fisco, fisso (fixus), fistola, ispido, ministro, misto (mixtus),
tristo. — En espagnol, les exceptions se produisent presque
dans les mêmes cas qu'en italien : arcilla (argilla),brillar,
mil, pildora, villa, cinco, cincho, finjo, quinto,
extinguo, astrinjo, arista, assisto, conquisto, epistola,
fisco, fistola, ministro, mixto, triste ; néanmoins l'i reste
dans beaucoup de cas où l'it. met e comme : dicho, digno, firme,
obispo (episcopus), silva, virgen. — Val. chingę (cingulum),
cincĭ (quinque), fistulę, limbę (lingua), literę (littera),
mie (mille), ninge, simplu, stinge, trist et beaucoup
d'autres. — L'i s'est conservé rarement en provençal et en
français. — Mille, quinque, quintus, tristis, villa conservent
leur i dans toutes les langues romanes : parmi ces mots, mille
avait en latin la voyelle longue, ce qui justifie l'i roman.

E pour i bref n'est point un romanisme spécifique, mais au
contraire un trait tout à fait archaïque de la langue latine
(semol, mereto, soledas, posedet dans les inscriptions), trait
qui disparaît dès l'année 620 avant J.-C, et dont on ne trouve
plus dans les monuments postérieurs que de rares exemples, voy.
Ritschl, de epigr. Sorano, p. 15 ; de Aletrinatium tit., p. XIII,
XIV. Il faut sans doute admettre une connexité historique entre cet
e latin et l'e roman : l'e, qui dans la langue populaire a pu
continuer d'exister parallèlement à l'i latin littéraire, semble
avoir été transmis par elle aux dialectes postérieurs. Toutefois
l'accord n'est point parfait : car si d'une part correspondent à
senu (Orell. 4583) le roman seno, à magester dans Quintilien
le roman maestro magestre, à senester (Fr. Arv.) sinestro
senestre
, à félĭcem dont Flavius Caper blâme l'emploi pour
filicem (Putsch, p. 2246) le roman felce, — on rencontre d'autre
part vea pour via, vella pour villa (relevés tous deux par
Varron dans la langue des paysans), ou fescum pour fiscum
dans une inscription (Grut. 1056, 1), ou leber pour liber dans
Quintilien, ou même speca pour spīca (noté aussi par Varron
comme rustique), tandis que tous ces mots possèdent un i dans
leur forme romane. Les chartes du VIIe siècle et du VIIIe dont
les copistes étaient négligents laissent percer assez fréquemment
147la forme romane ; on trouve fedem, menime, vecem,
decto (dictus), esto (iste), fermare, prometto, provencia,
selva, vendicet, vertute et autres semblables. — A l'exception
d'un certain nombre de mots (qui pour la plupart ne sont
point anciens dans les langues romanes), on peut dire que
cette règle de la différenciation de ē et de ĕ devant une consonne
simple s'applique avec une rigueur assez générale : Fīdus et
fĭdes, vīvere et bĭbere, pīlum et pĭlus, se différencient de la
manière la plus distincte dans les formes ital. fido et fede, vivere
et bevere, pilo et pelo.

O.

I. 1. O long reste intact en italien : conobbi (cognovi),
corona, cote (cōtem), dono, flore (flōrem), onore (honōrem),
ora (hōra), leone, moto, nobile, nodo, nome, no (nōn),
nono, noi (nōs), persona, pomo, ponere, pioppo (pōpulus),
come (quōmodo), scrofa, sole (sōl), solo (sōlus), voce, voi
(vōs), voto, -oso : glorioso. — Esp. corona, don, flor, honor,
leo, no, nono, nos, persona, pomo, como, sol, solo,
voz, vos, voto, glorioso ; il y a plus d'un exemple de diphthongaison,
comme ciguena (cicōnia), cuelo (cōlo), consuelo
(consōlor), mueble (mōbilis). Pg. corona, dom, etc… —
Pg. corona, cot, don, flor, honor, hora, leon, not (nōdus),
nom, non, nos, persona, pom, sol (sōlus), tot, votz, vos,
vot, glorios. — En français ō est traité comme ŏ : la voyelle
simple ne se maintient d'ordinaire que devant m, n ; la forme
dominante est eu, œu. Ex : couronne, donne, nom, non,
personne, pomme, pondre (ponere), comme (quōmodo),
Rome, lion, patron, raison (ratiōnem) et les autres substantifs
en -o -ōnis, en outre console, or (hōra), dos (dōsum
pour dorsum), noble, octobre, sobre (sōbrius). En revanche
heure, meuble (mōbilis), mœurs (mōres), neveu (nepōtem),
nœud (nōdus), œuf (ōvum), pleure (plōro), seul (sōlus),
vœu (vōtum), honneur, glorieux et tous les autres mots en
-or -ōris et -ōsus. Une troisième variante, dans cette langue,
est ou, comme le témoignent les exemples suivants : avoue
(vōto), doue (dōto), noue (nōdo), nous et de m. vous, pour
(prō), proue (prōra), roure (rōbur), époux (spōsus pour
sponsus), Toulouse (Tolōsa), tout (tōtus). Au lieu de oi, on
trouve ui dans buie (bōia), truie (trōia). — En valaque, ō est
rendu tantôt par o, tantôt par oa, preuve que cette langue le
148confond avec ŏ :coronę, onore, natzion, nome, noi, pom,
rod (rōdo), tot (tōtus), voi, ghibos (gibbōsus) ; noatin (annōtinus),
coadę (cōda), coroanę, floare, oarę (hōra), persoanę,
poamę, scroafę, soarece (sōricem), sudoare (sudōrem).
— Remarquons ici la diphthongaison, presque générale
en roman, du mot ōvum : it. uovo, esp. huevo (ovo Alx. str.
130), pr. uou, fr. œuf ; le valaque seul dit ou, c'est-à-dire
ov.

2. De même que e long devient i, o long devient u. En italien,
les exemples sont rares : giuso (deorsum deōsum, chez Dante
encore gioso), cruna (corōna), tutto (tōtus). — Esp. yuso
(= it. giuso), nudo (nōdus ; nuedo Canc. de B.), octubre
(octōber). Pg. almunha vieux (alimōnia), outubro, testemunho
(testimōnium), tudo. — En français, on trouve surtout
cet u dans l'ancien dialecte normand. Ex. : amur, barun, tut,
vud (vōtum), ure (hōra), etc. Voyez la deuxième section. —
Le roumanche favorise aussi cette voyelle : amur, dun (dōnum),
flur, liun, num, nus, sul, glorius ; sans parler ici des
variétés dialectales. — Val. cępun (capōnem) Lex. bud.,
cęrbune (carbōnem), conciune (conciōnem), cununę
(corōna), murę (mōrum), nu (nōn), pune (ponere).

II. 1. O bref se diphthongue devant une consonne simple, et
donne en it. , en val. óa, en esp. , en pr. ué uó, en fr.
eu (œu, ue, œ). Ici encore, comme pour l'e, le portugais
rejette la diphthongue, et le provençal ne l'emploie que rarement.
It. buono (bŏnus), buoi (bŏves), cuopre (cŏŏperit), cuoce
(cŏquit), cuore (cŏr), cuojo (cŏrium), gruoco (crŏcum),
duole (dŏlet), duomo (dŏmus), fuoco (fŏcus), fuori (fŏris),
uomo (hŏmo), giuoco (jŏcus), luogo (lŏcus), muore (mŏritur),
muove (mŏvet), nuoce (nŏcet), nuovo (nŏvus), uopo
(ŏpus), pruova (prŏba), puote (pŏtest), ruota (rŏta), scuola
(schŏla), suocero (sŏcer), suolo (sŏlum), suole (sŏlet),
suono (sŏnus), suora (sŏror), stuolo (στόλος), tuono (tŏnus),
tuorlo (tŏrulus), vuole (vult de vŏlo), -uolo : capriuolo
(capreŏlus), figliuolo (filiŏlus). — Esp. bueno, buey (bŏvem),
cuece (cŏquit), duendo (dŏmitus), duele, fuego,
fuero (fŏrum), fuera (fŏras), juego (jŏcus), jueves (Jŏvis),
luego, muele (mŏlit), mueve (mŏvet), nueve (nŏvem),
nuevo, huele (ŏlet), huebra (ŏpera), pueblo (pŏpulus),
ruega (rŏgat), rueda, escuela, suegro, suelo, suele, sueno,
tuero (tŏrus), vuela (vŏlat), hijuelo (fitiŏlus). Le vieil espagnol
a encore d'autres exemples : cuemo pour como, cuer
149(cŏr) PCid, nuece (nŏcet Alx.), huebos (ŏpus) ; toutefois il
est en général moins favorable à la diphthongue. Les formes en
o comme bono Bc. Alx. FJuzg., jogo Alx., abolo (*avolus)
FJuzg. sont fréquentes, et dans le Poema del Cid l'assonance
oblige assez souvent à prononcer ue comme o, pueden v. 2931,
par exemple, comme poden, cf. Sanchez, I, 224. — Le pr.
emploie ue : bueu (bŏvem), fuec, fuelha (fŏlium), fuer
(fŏrum), luec, muer (mŏritur), mueu (mŏvet), nueu (nŏvus),
suegre, suer (sŏror). Un second dialecte met ue pour
uo ;voy. la section II — Fr. bœuf chœur (chŏrus), queux
(cŏquus), cœur, deuil (dŏlium dans cordolium), feu, feuille,
huem v. fr. (hŏmo), jeu, lieu, meule (mŏla), demeure
(demŏratur), Meuse (Mŏsa), meut, neuf (nŏvem, nŏvus),
œil (ŏculus), aveugle (*abŏculus), œuvre, peuple, preuve,
écueil (scŏpulus), seuil (sŏlium), sœur, veut (= it. vuole),
chevreuil, filleul. — Dans le dialecte roumanche du pays
haut, il faut remarquer la diphthongaison de ο en ie, alors que
cette diphthongue dans les autres langues est toujours le produit
d'un e : diever pour iever (ŏpera), ieli (ŏleum), niev (nŏvus),
pievel (pŏpulus). C'est un üe affaibli, qui apparaît même
quelquefois dans cette forme, et qui correspond au provençal ue.
Devant g, il se prononce ieu : fieug (fŏcus), gieug (jŏcus),
lieug (lŏcus). Mais d'ordinaire ο se soustrait tout à fait à la diphthongaison :
bun, bov, cor, mover, or (fŏris), prova, roda,
scola, sora (sŏror), tun (tŏnus), um (hŏmo). — Val. coace,
doare (dŏlet), oameni (hŏmines), poate (pŏtest), roagę
(rogal), scoalę (schŏla), vioarę viorea (viŏla).

2. En italien, ο antépénultième et en position romane résiste
ordinairement à la diphthongaison : cattolico, cofano (cŏphinus),
collera (chŏlera), doglio, donno (dŏminus), lemosina
(eleemŏsyna), foglio (fŏlium), oggi (hŏdie), moggio (modius),
occhio (ŏculus), oglio (ŏleum), opera, poggio (pŏdium),
popolo, proprio, soglio (sŏleo, sŏlium), soldo, solido,
stolido, stomaco, en outre dans bove (bŏvem), coro (chŏrus),
dimoro (demŏror), modo, nota, nove (nŏvem), rodo, rosa,
tomo. — Habituellement, ο antépénultième se maintient en
espagnol : catolico, cofino, colera, etc., en outre dans dolo
(dŏlo je dole), modo, nota, rosa, tomo, tono (tŏnus). U dans
cubro (cŏŏperio), pg. furo (fŏrο je fore). — En provençal, ο
conserve ses droits à côté de ue, uo : par exemple bou, bueu,
buou. Pas plus que pour ie, la diphthongue ne se produit à la fin
des mots ou devant n, l finaux ; ainsi bo, so, bon, son, dol,
150sol, estol, rossinhol, non buon, duol. — La voyelle simple
persiste assez souvent aussi en français, principalement devant
m et n : coffre, girofle (caryŏphyllum), hors (fŏras), globe,
mode, proche (prŏpius), rose, école, sole (sŏlea), viole,
v.-fr. voche (vŏco), vol (de vŏlare) ; bon (v.-fr. boen boin),
concombre (cucumis), dôme, on (hŏmo), Rhône (Rhŏdanus),
son, ton, trône. Ou dans couvre, prouve (prŏbo), roue
(rŏta), dépouille (spŏlium) ; devant i il y a u, non o, dans :
hui (hŏdie), pui (pŏdium). — Val. bou (bŏvem), domn, foc,
nou (nŏvus), ochiu, op (ŏpus), rog, socru, probe (prŏba),
voiu (vŏlo), etc. Outre oa et o, le valaque emploie encore u :
bun (bŏnus), rųsę (rŏsa), spuzę (spŏdium), sun (sŏnus), tunę
(tŏnat). — Parmi les mots en o, quatre sont communs à toutes
les langues romanes, rosa, modus, nota, tomus. Le premier
doit avoir pris de très-bonne heure un o long, en sorte que sa
prononciation se confondit avec celle du participe rōsa, car cette
quantité se retrouve aussi dans le vieil allemand, voy. le Dict.
étymol
. Il existe des formes diphthonguées de modus dans le
vieil esp. muedo (Bc. Rz.) et dans le fr. mœuf. Nota et tomus
n'ont certainement jamais été populaires en roman. L'ital.
nove est une forme différenciée de nuove (novæ).

III. 1. La voyelle simple reste intacte en position ; seuls, le
valaque et l'espagnol permettent la diphthongaison (comme pour
e). Val. coastę (costa), coapsę (coxa), doarme, foale(follis),
foarte, oaste (hostis), moale (mollis), noapte (noctem),
poartę, soarte. — L'espagnol diphthongue volontiers devant
l, m, n, r, s ; exemples : cuelgo (colloco), cuello, fuelle (follis),
muelle, suelto (de soltar), vuelvo, dueño (domnus),
sueño (somnus), cuento (computo), luengo, fuente, puente,
encuentro (de contra), cuerda (chorda), muerte, puerta,
suerte, fuerte, huerto, tuerto, duermo, cuerno, cuerpo,
cuervo, huerco (orcus), huerfano (orphanus), huesa (fossa),
hueste, nuestro, hueso (ossum), pues (post). Mais cet usage
n'a rien d'absolu ; à côté de puente, cuerno, on trouve monte,
torno. Souvent, pour arriver à une prononciation plus facile,
l'u est élidé même devant une consonne simple : estera (storea),
fleco à côté de flueco (floccus), frente à côté de l'ancienne
forme fruente Alx. FJuzg. (frontem), lengos pour luengos
(longos) Canc. de B. 196, lerdo (it. lordo), pest (post) dans
151pestoreja, serba (sorbum). — Les cas de diphthongaison en
provençal sont : luenh (longus), muelh (mollio), nueg (nox),
vuelf (volvo) à côté de lonh, molli, noch, volf. — En français,
ou se produit encore parfois à côté de l'ancien o, comme
dans cour (chors), tourne (torno). — La diphthongaison est
fréquente dans les dialectes : ainsi le wallon met oi devant r :
boir (fr. borde), coid (chorda). Le roumanche met de même ie
(voy. ci-dessus, II, 1) : briec(it. brocca), chiern (cornu), chierp
(corpus), diess (dorsum), ierfan (orphanus), iess (ossum),
niess (noster), pierch (porcus), sien (somnus), tiert (tortum,
fr. tort). Le dialecte del'Engadine offre ici uo (o dans le
pays haut) : cuolp, duonna, fuorma, etc.

2. U pour o se rencontre dans quelques langues ; il est rare
en italien : lungo (longus), uscio (ostium). Il est plus fréquent
en espagnol : cumplo (compleo), curto (contero),
nusco (nobiscum), pregunto (percontor), tundo (tondeo),
uzo (ostium PC), pr. uz. — En français, cet u se diphthongue
en ui : huis (ostium), huître (ostrea), puis (post). — Fréquent
en valaque : curte (chortem), cust (consto), cumpet (computo),
culc (colloco), frunte (frontem), frunzę (frondem), uśę (ostium).
Ostium a pris dans toutes les langues romanes u pour
o ; cet u provient probablement d'une ancienne forme ustium,
car on trouve déjà ustiarius dans une charte napolitaine de 551
(Marini, p. 180).

U.

I. 1. U long persiste partout et presque sans exception. Ital.
acuto, bruco (brūchus), bruma, bruto, bufalo (būbalus),
bure (būra), crudo, culla (cūnula), culo, cura, ducere,
dumo, duro, fiume (flūmen), fūi (fūi Schneider I, 100),
fumo, fune, furo (fūr), fuso, confuso, umido (hūm.),
giudice (jūdex), giubbilo (jūbilum), luglio (jūlius), giugno
(jūnius), giuro (jūro), luccio (lūcius), luce, lume,
luna, maturo, mucido, mugghio (de mūgire), mulo,
muro, musica, muto (mūto, mūtus), nube, nuvolo (nūbilum),
nudo, nutro, oscuro (obs.), pertugio (pertūsus),
Perugia (Perūsia), piuma (plūma), più (plūs), pruno,
puro, puto (pūteo), ruga, ruta, scudo, sicuro, spuma, suco,
sudo, consumo, suso (sursum, sūsum), uno, uso, utile,
uva, -ume, -ura, -ute, -uto : legume, natura, salute, minuto.
— Esp. agudo, brugo, bruma, bruto, bubalo, buho,
152(būbo), crudo, cuyo (cūjus), culo, cuba (cūpa), cura,
duzgo (dūco), duro, humo (fūmus), huso (fūsus), confuso,
humedo, julio, junio, lucio, luz, lumbre (lūmen), muro,
musica, mudo, nube, nudo, nutro, escuro (obs.), pluma,
pruna, puro, ruga, escudo, seguro, espuma, sugo (sucus),
sudo, consumo, uno, uso, útil, uva ; futuro, natura, virtud ;
v.-esp. flumen Bc, mur (mūrem) Alx. — En portugais
comme en espagnol. — Pr. agut, cru, cul, cuba, cura, duc
(dūco), flum, fum, fur (fūror), fus (fūsus), juli, juni, lus
(lūcius), lum, luna, mul, mur, musica, nuble, nut (nūdus),
oscur, pertus, pluma, plus, rua (rūga), ruda, escut,
segur, espuma, suc, un, us, natura, vertut. — Fr. aigu,
brume, brut, bufle, buse (būteo), caduc, conduire (condūcere),
confus, exclus, cru, cul, cuve, cure, flun arch.
(flūmen), fus (fūi), parfum, glu (glūten), enclume (incūdem),
jeûne, (jejūnium), juge, juin, jure, jus (jūs), luit
(lucet), lune, mûr (matūrus), mule, mur (mūrus), mue
(mūto), nue (nūbes), nu (nūdus), obscur, pertuis, plume,
plus, prune, puce (pūlex), pur, pue (pūteo), rue (ruga,
ruta), écu (scūtum), suc, sûr (secūrus), sue (sūdo), consume,
sus (sūsum), un, use, utle arch. (ūtilis) ; légume,
nature, vertu, menu (minūtus), Autun (Augustodūnum)
et de même Embrun (Eburodūnum), Melun (Melod.),
Verdun (Virod.), etc. — Val. crud, cur (cūlus), cupę
(cūpa), curę, duc (dūco), fum, fune, fus, fur, umęd, źude,
julie, junie, luminę, lunę, muc, mut, prun, pur, put, rutę,
spumę, asud (sudo), sug, uger (ūber), ud (ūdus), legumę,
rupturę, vęrtute, minutę.

2. Cette règle souffre quelques exceptions peu importantes.
U devient o : it. coppa (cūpa), ghiotto (glūtus), lordo (lūridus),
otre (ūter) ; esp. copa, odre, pr. copa, glot, lort, oire ;
fr. ou : coupe, lourd, outre. Mais il faut remarquer que
dans lordo la confusion de la position romane avec la position
latine a pu avoir lieu, qu'à côté de cūpa on trouve
aussi cuppa (Schneider I, 426), et que gluttire permet
de supposer une forme gluttus pour glūtus ; reste donc
comme seule exception le mot ūter ; mais la quantité de ce mot.
telle que la donnent habituellement les lexiques, n'est rien
moins que démontrée, car le mot se présente rarement au nominatif,
et, d'autre part, sa communauté d'origine, à peu près
irrécusable, avec ŭterus, indiquerait plutôt ŭter. Le soso et le
lome de Dante (Inf. 10, 45, 69) sont occasionnés par la rime ;
153ce ne sont point cependant des créations forcées, car quelques
dialectes emploient certainement o pour u ; cf. romagnol fom
(fumus), fon (funis), furtona (fortuna), lom (lumen), lona
(luna), spoma (spuma), comasq. flom (flumen), etc. Le
picard moderne change u en eu : leume (lumen), leune,
pleume. Remarquons aussi que dans plusieurs noms de ville,
le français emploie on pour un comme dans Laon (Laudūnum),
Lyon (Lugdūnum, dans les mss. de la Not. dign. Lugdonensis).

II. 1. U bref devant les consonnes simples devient o. Les
exemples de ce cas ne sont point nombreux. Ital. Canosa
(Canŭsium), croce (crŭcem), covo (cŭbo), gomito (cŭbitus),
conio (cŭneus), dotta (de dŭbitare), folaga (fŭlica), gola
(gŭla), omero (hŭmerus), giogo (jŭgum), giova (jŭvat),
giovane (jŭvenis), lova (lŭpa), loto (lŭtum), moglie (mŭlier),
Modena (Mŭtina), noce (nŭcem), pioggia (plŭvia),
pozzo (pŭteus), poto (pŭto), rogo (rŭbus), rozzo (rŭdis), sopra
(sŭpra), ove (ŭbi), Venosa (Venŭsia). — Esp. cobdo, cobre
(cŭprum), gola, joven (jŭvenis), logro (lŭcror), lobo (lŭpus),
lodo (lŭtum), pozo, podo, sobro (sŭpero), toba (tŭba). Le
portugais ressemble ici à l'espagnol. — Pr. crotz, coa (cŭbat),
code (cŭbitus), conh (cŭneus), cobe (cŭpidus), secodre
(succŭtere), gola, jo (jŭgum), jove, logri, lop, lot, molher,
notz, nora (nŭrus), ploia, potz, sobre (sŭper). — En français,
l'o roman ne se maintient que devant les nasales (car la
langue ne tolère pas le son oun), ou quand il se lie à un i, ex. :
son (suum), ton (tuum), nombre (nŭmerus) ; ponce (pŭmicem),
coin (cŭneus), croix (crŭcem), noix (nŭcem). La
voyelle dominante est ou, à côté de laquelle se maintient encore
o dans l'ancien français : couve (cŭbo), coude (cŭbitus), doute
(dŭbito), joug, loup, (ŭbi). — Val. cot (cŭbitus), norę
(nŭrus) ; les exemples tombent pour la plupart sous la règle
exposée au § 2.

2. A l'antépénultième, u italien échappe d'ordinaire au
changement en o, du moins dans cumulo, cupido, diluvio,
dubito, fluvio, umile (hŭmilis), numero et dans beaucoup
d'autres mots pareils ; en dehors de ce cas il y a peu d'exemples,
comme fuga (Dante Par. 12, 50 foga pour la rime), fuggo
(fŭgio), gru (grŭem), lupo (lŭpus, mais lova meretrix), luto
à coté de loto 197, rude (rŭdis). — En espagnol u se présente
154aussi souvent que o ; il n'est pas seulement employé dans la
syllabe antépénultième ou originairement antépénultième, mais
encore dans d'autres cas : cumulo, dubio, fluido, numero,
lluvia (plŭvia), cuño (cŭneus), dudo (dŭbito), huyo (fŭgio),
rujo (rŭgio), cruz, gula à côté de gola, yugo, rubro, rudo.
Le portugais se comporte ici comme l'espagnol. — Fr. déluge,
humble (hŭmilis), fuis (fŭgio), grue, pluie (plŭvia), puits
(pŭteus), rude, sur (sŭper), tube (tŭbus) 198. — En val. u est la
forme dominante : cruce, fug (fŭgio), gurę (gŭla), źune
(juvenis), lut (lŭtum), nucę, numęr, putz (pŭteus), rug
(rŭbus).

3. Quelquefois la diphthongue apparaît comme le produit
d'un o secondaire (roman) = lat. ŭ. Nuora (nŭrus), scuotere
(excŭtere) en italien supposent un degré intermédiaire nora
scotere
. On trouve en espagnol cueva (cŭbare ; déjà dans une
charte de l'an 1075, Esp. sagr. XXVI, 460), nuez (nŭcem),
nuera (nŭrus) et culebra pour culuebra, cf. page 151. Port.
cova, noz, nora, cobra. Franc, couleuvre (colŭber, colŭbra),
gueule (gŭla). Val. ploae (plŭvia), scoate, etc.

III. 1. En position, c'est o qui d'ordinaire représente u. Ital.
ascolto (ausculto), bolla, colmo (culmen), dolce, fólgore,
gotta, lombo, losco, piombo (plumbum), rosso, zolfo (sulphur),
sordo, torre, onde (unde), etc. — Esp. bola, colmo,
hondo (fundus), gota, lomo (lumbus), plomo (plumbum),
roxo, torre, donde. — Prov. escout (ausculto), dous
(dulcis), folzer (fulgur), gota, losc, plom, ros, sort, tor,
on (unde). — En français, l'o général en roman ne se maintient
que comme son nasal, ou en liaison avec i, p. ex. dans
lombe, plomb, monde, dont (de unde), ongle (ungula) ;
joindre (jungere), poing (pugnus) ; en outre dans quelques
mots isolés : flot (fluctus), mot (b.-l. muttum), noces (nuptiæ),
vergogne (verecundia). Dans les autres cas, où
il représente aussi le groupe ul, il devient ou : boule, double
(duplex), four (furnus), goutte, louche, ours (ursus),
roux, souffre (suffero), sourd, sous (subtus), tour ; doux,
écoute, foudre (fulgur), soufre (sulphur).

2. U persiste aussi en italien, surtout quand il est antépénultième :
cuspide, nunzio, rustico, turbine, particulièrement
devant gn, ng, nc : grugno (grunnio), pugno, pungo, ungo,
155giungo (jungo), adunco, unghia (ungula) ; en outre dans
curvo, frutto (fructus), fusto, gusto, giusto (justus), nullo,
purgo, tumulto, turbo etc. L'espagnol le favorise beaucoup, et
non-seulement quand il est antépénultième, comme dans cuspide,
rustico, turbido, mais encore quand il est pénultième devant
les consonnes les plus variées, particulièrement devant ch, ng,
ñ : escucho (ausculto), cumbre (culmen), culpa, culto,
curso, dulce, duplo, fruto, gruño (grunnio), gusto, justo,
lucho (luctor), mucho (multus), mundo, nulo, puño (pugnus),
punjo (pungo), purgo, turbo, sulco, azufre (sulphur),
unjo, uña (ungula). Le portugais conserve parfois u
contrairement à l'espagnol, comme dans funda, chumbo, surdo,
urso (esp. honda, plomo, sordo, oso), mais à l'inverse doce,
enxofre (esp. dulce, azufre). — Le provençal maintient u :
bulla, flux, frucha (fructus), fulvi, furt, fusc, fust, just,
lucha (luctus), musc, nulh, punher, purga, ruste (-icus)
et quelques autres. — Les exemples français sont : buis (buxus),
fruit, fût (fustis), jusque (usque), juste, lutte, nul, purge,
urne. — En valaque u est la forme principale : ascult, dulce,
fúlger, gust, mult, must, rumpe, surd, tunde, unde, unge,
urs, vulpe.

La remarque faite ci-dessus sur le rapport historique de l'e
à l'i bref s'applique aussi au rapport de o à ŭ, devant lequel il a
dû finalement céder en latin classique, avec la réserve que cet o
a persisté dans les inscriptions un peu plus longtemps que e,
vov. Ritschl l.e. Les exemples tirés des plus anciens monuments
sont poplicus (publ.), nontiare, sont, consolere ; comme
syllabes atones dedro, dedrot (dederunt), consentiont,
Hercolei, popolus, tabola, vincola ; formes de la Columna
rostrata
 : poplom, exfociont (effugiunt), primos (-us),
navebos, diebos, des inscriptions tumulaires des Scipions :
Cornelio (-us), Luciom, filios (-us). Des inscriptions plus
récentes ont jogo, mondo, tomolo Orell. n. 4858, dolcissima,
Mur. 1413, 6. Jusque vers la fin du VIIe siècle de
Rome, o s'emploie à l'exclusion de u, après u ou v, ex.
arduom et non arduum, vivont et non vivunt, et aussi dans
la langue littéraire volnus, volpes, volt, à côté de vulnus,
vulpes, vult. Quelques écrivains se servent en outre de formes
comme fornus, solcus, moltus, sordus ; les grammairiens du
VIe siècle ap. J.-C. remarquent polchrum, colpam (Schneider
I, 30). Les plus anciens diplômes, qui écrivent habituellement
croces, somus, incorrat, onde, polsatur, fondamentis,
156singoli, titolum, attestent par là l'antiquité de l'usage roman qui
est essentiellement d'accord avec celui du latin archaïque, mais
qui cependant, nous l'avons vu, n'a pas complètement banni l'u
classique.

Y.

La forme romane de cette voyelle grecque, correspondant à l'ü
allemand, qui ne se trouve que dans quelques mots populaires, est :
1) i, forme qu'elle avait déjà souvent prise en latin (Schneider
I, 43), par ex. : it. abisso, cochiglio (conchylium, κογχύλιον)
lira, mirra, etc. Le passage de cet i à e, comme en italien
gheppio (γύψ), sesto (ξυστόν), trépano (τρύπανον), n'est pas
précisément fréquent. Nous n'avons pas ici à considérer les
expressions techniques prises au grec. — 2) o, principalement
dans les mots que les Romains reçurent directement de la bouche
des Grecs ; il perçut ü comme ū et le traita comme tel : cette
représentation du son ü est attestée par le bas-latin. Ital. borsa
(βύρση, b. lat. bursa), grotta (crypta, b. lat. crupta), lonza
(lynx), tomba (τύμβος), torso (thyrsus), serpollo (serpyllum),
dans une syllabe atone cotogna (κυδώνιον), mostaccio (μύσταξ) ;
esp. bolsa ( = borsa), códeso (κύτισος), grota arch. (maintenant
gruta), onza (= lonza), trozo, mostacho, tomillo (thymum) ;
franç. boîte (πυξίδα), bourse, grotte, once, tombe,
tros arch., coing, moustache. Dans quelques cas u demeure
intact : it. tuffo, esp. tufo (τύφος) ; val. giur (γῦρος) ; esp. pg.
murta (μύρτος), comme déjà en latin ; pr. Suria (Συρία) ; franç.
jujube (ζίζυφον).

Diphthongues.

Le latin n'a transmis que peu de diphthongues aux langues
romanes. Dès les temps les plus anciens, la plupart d'entre elles
commençaient à se résoudre en sons simples ; d'autres, comme ai,
oi, ei étaient déjà tombées en désuétude vers le temps où commencèrent
les guerres civiles. Æ et œ, issues de ai et oi, ont
persisté, au moins dans les classes cultivées, jusque dans les IIIe
et IVe siècles. Nous verrons dans la suite que les langues-filles
sont cependant riches en diphthongues dont elles n'ont point
hérité, mais qu'elles ont acquises.

Æ. Œ.

Dans áe on entendait les deux voyelles distinctement, en
157sorte que æ se rapprochait fort de ái également employé. La
diphthongue, dans le parler familier, correspondait probablement
à l'ä long allemand, puisqu'on la trouve confondue avec e
(Schneider, I, 50, 52). L'italien rend ce son æ, tantôt par ie,
tantôt par e ouvert : Iesi (Æsis), cieco (cæcus cœcus), cielo
(cælum cœlum), fieno (fænum fœnum), Fiesole (Fæsula),
lieto (lætus), chiere chère (quærit), siepe (sæpes sepes) ;
egro (æger), emulo, Cesare (Cæsar), greco, ebreo, nevo
(nævum), presto, giudeo (jud.), preda, secolo, spera (sphæra),
tedio. — Esp. ie, e, quelquefois i : cielo, ciego, cieno
(cænum cœnum), griego, quiere (quærit) ; heces (fæces),
heno (fænum), ledo, preda, tea (tæda), tedio ; Galicia
(Gallæcia), judio, siglo (v.-esp. sieglo). Le Portugais a
seulement e. — Pr. ie, plus souvent e : juzieu juzeu (jud.),
quier quer, etc. — Français ie, e, oi : ciel, siècle, anc. fr.
cieuc (cæcus), lié (lætus), quiert ; grec, défèque (defæco) ;
blois arch. (blæsus), foin (fænum), proie (præda). —
Val. e : ceriu (cælum), ed (hædus), et aussi ied. — Le grec
αι, qui ne représentait plus pour le roman une diphthongue, est
rendu par a et non par e. Παιδίον donne l'italien paggio : qu'aurait-on
fait de peggio ? De même αἴσιον donne l'italien agio,
pr. ais, mais l'étymologie est douteuse. Σκαιός reçut dans le
prov. escai la même diphthongue que scarabæus dans escaravai
qui fait supposer la prononciation scarabajus (cf. l'ital.
scarafaggio).

2. Œ, là où il ne se confond pas avec æ, est rendu par e,
non par ie : ital. cena, femmina, mesto (mœstus et aussi
mæstus), pena ; esp. cena, hembra, pena et non ciena,
piena, ce qui montre avec quelle précision beaucoup de nuances
phonétiques du latin ont été traitées.

AU.

1. A côté de la diphthongue au on trouve aussi en latin sa forme
condensée o ; ainsi à côté de auricula, cauda, caulis, caupo,
claudere, taurus, — oricula, coda, colis, copo, clodere, torus
(ce dernier dans Varron L. L. 5, 95, ed. M.) étaient plus ou moins
en usage. Festus dit que dans beaucoup de mots o ne s'employait
que dans les campagnes ; l'osque ne connaissait que o.
On peut s'attendre à ce que le même phénomène se reproduise
en roman. Les deux sons, diphthongue et voyelle, se sont ici
conservés ; l'un a dominé dans un domaine, l'autre dans l'autre ;
158d'où nous pouvons conclure que la voyelle simple ne fut pas, à
l'exclusion de la diphthongue, transportée du Latium dans les
provinces, c'est-à-dire que celle-ci comme celle-là était usitée
couramment dans la langue populaire. La forme dominante
italienne est certainement o : lodola (alauda), odo (audio),
ora (aura), oro (aurum), oso (ausus), o (aut), coda, cosa,
foce, frode, godo (gaudeo), gioja (gaudium), lode, alloro
(laurus), nolo (naulum), poco, povero, poso, roco, ristoro,
toro, tesoro, aussi Niccolò (Nicolaus). Mais au persiste aussi,
tantôt comme forme auxiliaire dans le style élevé, tantôt comme
forme unique, tantôt enfin comme forme distinctive dans bon
nombre de mots : aura, auro, esaudire, esausto, fauci,
fraude, gaudio, laude, lauro, naulo et navolo, rauco,
restauro, tesauro ; austro, cavolo pour caulo (caulis), cauto,
nausa (nausea), Paolo pour Paulo ; causa cause (cosa
chose), pausare s'arrêter (posare reposer), tauro (taureau,
signe du zodiaque ; toro taureau). Udans cuso (causor). Dans
Metaro (Metaurus) et Pesaro (Pisaurum) au se réduit à a.
— L'o s'est encore mieux établi en espagnol qu'en italien ; du
moins les formes en au y sont-elles plus rares : aloeta arch.,
oigo (audio), oro, oso, o, cola (cauda), col, cosa, coto (cautum),
hoz (faux ; déjà foz dans une charte de l'an 804 Esp.
sagr. XXVI
, 442), joya (gaudium), loo (laudo), poco, pobre,
poso, ronco (raucus), toro, tesoro ; aura, austro, causa,
claustro, fraude, lauro laurel, pauso, restauro. — Le
portugais met ou et aussi oi pour au : ouço (audio), ouro,
ouso, ou, couve (caulis), cousa, couto, chouvo (claudo),
gouvo (gaudeo), louvo (laudo), louro, pouco, pouso, rouco,
touro, tesouro. Au dans quelques mots comme aura, austro,
fraude, pauso. O dans cola, foz, pobre. — Le provençal a
conservé la diphthongue pure comme le valaque : alauza, aug,
aura, aur, aus, austri, caul, causa, clau (claudo), frau,
gaug, lauzi (laudo), laur, nausa, pauc, Paul, paubre, paus,
vauc, restaur, taur, thezaur. Les seules exceptions sont peut-être
o (aut) au lieu de au qui eût été trop large, et joy qui
semble venir du français. Coa paraît se rapporter à coda, qui
fut préféré parce que cauda aurait donné cava. — La forme
française est o, qui aime à s'unir à i : aboie (*adbaubo), ois
(audio), or, ose, chose, clore (claudere), cloître (claustrum),
joie, ôter (*haustare), noise, pose, Savoie (Sabaudia),
trésor. Dans d'autres mots comme cause, fraude, pauvre, restaurer,
taure, on écrit au. Une troisième forme est ou
159dérivé de o dans alouette, ou, chou, loue (laudo), enroue
(raucus). De paucus vient l'ancien français pau et po, de ce
dernier le français moderne peu ; de coda, queue. — Le valaque
ne connaît que au à la place duquel il écrit aussi ao : auz
(audio), adaug adaog (adaugeo), aur, austru, au (aut),
causę, laudę, laur, repaos (*repauso), taur. Coadę vient
de la forme latine coda et non de cauda.

2. La tendance à faire disparaître la diphthongue par la consonnification
de u en l se montre dans les formes florentines, admises
dans le dictionnaire italien, aldace, esaldire, fralde, galdere,
lalde, par ex., pour audace, esaudire, fraude, gaudere,
laude et aussi dans le nom de ville Alfidena (Aufidena) ; esp.
galtera (prov. gauta) ; catal. altreiar (prov. autreiar) ; it.
esp. calma (καῦμα). La consonnification de l'u en b ou même en p
n'est pas sans exemple dans les langues du sud-ouest : esp. alabar
(allaudare allauar), Pablo (Paulus), anciennement
abdencia pour audiencia, abze pour auze, cabsar pour causar,
aptuno pour autuno ; v.-port. absteridade, captela
pour austeridade, cautela SRos.

Parmi les autres diphthongues, on ne retrouve dans les langues
filles que les diphthongues eu et ui. Eu, qui persista comme
diphthongue au temps de l'empire, reste dans les expressions
géographiques et dans les mots savants : Europa, neutro.
Rheuma est en ital. rema, en esp. roma (dans romadizo),
en prov. rauma, en franç. rhume ; au pr. rauma compar.
le nom propre Daudes (Deus-dedit, au venant d'eu), laupart
de leopardus. Leuca, it. lega, par transposition esp. prov.
legua, fr, lieue. Ui se conserve exactement dans l'ital. cui,
fui, etc.

II. Voyelles atones.

Si les voyelles toniques persistent ou se modifient d'après des
lois fixes, les voyelles atones sont bien plus sujettes à l'empire du
hasard. Elles n'ont guère dans les langues romanes qu'une valeur
numérique : la nature de la lettre importe peu ; c'est surtout son
existence même qui est prise en considération ; aussi sont-elles
susceptibles des métamorphoses les plus diverses. Les suivre
ici serait faire un dénombrement stérile de faits particuliers
sans lien entre eux ; toutefois quelques phénomènes
nécessiteront une mention spéciale, d'autres, plus importants,
une analyse détaillée. — La voyelle atone peut ou bien être
160simplement voisine d'une consonne, ou bien former un hiatus avec
une autre voyelle ; comme ces différentes positions agissent
différemment sur elle, il convient de traiter chacune d'elles
séparément.

1. Voyelles atones en dehors des cas d'hiatus.

Il faut les distinguer ici, suivant qu'elles sont placées avant
ou après la syllabe tonique.

1. Avant la syllabe tonique. A cette place, l'atone subit,
dans tout le domaine roman, des transformations nombreuses,
assez arbitraires, et dans lesquelles la quantité n'est d'aucune
importance. On remarque surtout cette confusion dans la
syllabe initiale du mot. L'italien servira d'exemple. A se
change en e : gennaro (jānuarius), sermento (sarm.), smeraldo
(smăragdus) ; a — o : soddisfare (sătisfacere) ; a — u :
lucertola (lăcerta). E — a : asciugare (exsucare *), starnutare
(stern.) ; e — i : ciriegio (cĕraseus*), dicembre (dĕc.)
finestra (fĕn.), midollo (mĕdulla), migliore (mĕliorem),
riverenza (rĕverentia), signore (sĕniorem) ; e — o : dovere
(dēb.), popone (pĕponem) ; e — u : ubbriaco (ēbrius),
rubello (rĕbellis). I — a : anguinaglia (inguinalia) ; i — e :
lenzuolo (linteolum) ; i — o : dovizia (dīvitiæ) ; i — u :
suggello (sĭgillum). O — a : maniglia (mŏnile) ; o — u : budello
(bŏtellus), cucchiajo (cochlearium), fucile (de fŏcus),
mulino (mŏlina), ruggiada (de rōs), ubbidire (ŏbedire),
uccidere (occ.), ufficio (off.), ulivo (ŏliva), ulire (ŏlere) ;
u — i : ginepro (jūniperus) ; u — o : coniglio (cŭniculus),
governare (gŭb.), ortica (urt.) Æ — u : uguale (æqualis).
Au — a : agosto (augustus), ascoltare (auscultare), déjà
dans le latin de la décadence Agustus et ascultare, ajoutez
encore sciagurato (exauguratus) ; au — o : orpimento (auripigm.) ;
au — u : uccello (aucella), udire (audire) ; au
persiste : aurora, australe, autunno (autumnus). Les autres
langues romanes fournissent aussi des exemples ; elles ont en
commun une préférence marquée pour l'a dans la première
syllabe atone, et le substituent souvent à cette place à e ou i :
en effet, la voyelle a n'a pas la couleur décidée des autres, ce qui
fait qu'elle est naturellement suggérée aux organes vocaux
avant l'effort décisif que nécessite la syllabe tonique. Nous
citerons (outre les exemples donnés ci-dessus) : ital. danaro (denarius),
maraviglia (mirabilia), salvaggio (silvaticus) ; esp.
161ayuno (jejunium), balanza (bilanx), galardon (v.h.all.
widarlôn), sargento (serviens) ; franç. chacun (quisque
unus
), farouche (ferox), jaloux (zelosus), marché (mercatus 199),
paresse (pigritia). Voy. Dict. étymol., I, XX. Le faible
poids de l'atone explique aussi pourquoi elle tombe souvent à
la première syllabe, ce qui lui arrive même quand elle est longue.
Le groupe oriental et le provençal en offrent surtout des exemples
fréquents. It. bottega (apotheca), Girgenti (Agrigentum),
lodola (alauda), lena (anhelare), Lecce (Aletium), ragna
(aranea), rena (arena), resta (arista), Rimini (Ariminum),
vocolo (pour avocolo) ; chiesa (ecclesia), ruggine
(ærugo), vangelo (evangelium), vescovo (episcopus) ; nello
(in illo), nemico (inimicus), rondine (hirundo), verno
(hibernum) ; cagione (occasio), rezzo (pour orezzo) ; licorno
(unicornis). Il faut signaler en italien la chute très-fréquente de
l'atone à l'initiale devant s impure. Ex. sbattere (prov. esbattre,
ital. aussi disbattere), scaldare (exc-), smendare (exm pour
em-), snudare (exn- pour en-), Spagna (Hispania),
spandere à côté de espandere, sparago (asparagus, aussi
sparagus, voy. Voss. h. v.), sporre à côté deesporre, sterpare
(exstirpare), storia (hi-). On a d'anciens exemples en latin :
storias (hi-), strumentum (in-), et surtout 'sti, 'storum,
etc.(isti, istorum), dans de bons ms., voy. Lachmann in Lucret.
197, 232, ital. stesso pour istesso. Dans un glossaire stimavit
(æst-, comme en it.), Diutiska, I, 502. — Val. noatin (annotinus),
prier (aprilis), spargę (it. sparago) ; lictariu (electuarium) ;
nalt (in-altus), nęlbi (inalbare), sbate, scęldà, sparge. —
Esp. bispe (it. vescovo), Merida (Emerita) ; Lerida (Ilerda) ;
relox (horologium). — Port. no (it. nello), namorar (inamorare
*) ; Lisboa (Olisipo). — Pr. Guiana (Aquitania),
lauzeta (alauda), lena (comme en ital.), ranha (comme en
ital.), bispe (comme en esp.), gleisa (ital. chiesa), mina
(hemina) ; randola (hirundo). — Fr. mine (hem.), vesque
arch. (prov. bispe), et un petit nombre d'autres.

Remarquons encore quelques traits délicats, tels que ceux qui
permettent d'attribuer à une lettre une certaine influence sur
l'atone qui la précède.

En italien la labiale v semble appeler la voyelle voisine o.
162pour remplacer un i ou e originaire. Ainsi : dovere (mais à la
tonique dévo), dovidere, indovinare, dovizia, daddovero,
piovano (mais tonique piéve, b.lat. plebs, plebanus), rovesciare
(reversare), rovistare (revisitare). La labiale m paraît aussi
avoir cette force plastique, cf. domandare, domani (toutefois
dimestico et domestico), somigliare (similiare *) ; de même b
dans ubbriaco (ebr.), rubello (rebellis) ; dans ce mot u a été
préféré, comme aussi dans umiliaca (armeniacum). Ajoutons les
exemples provençaux dans lesquels la labiale qui agit est surtout
m, et la voyelle introduite u, comme dans umplir (implere),
lumdar (limitaris), prumier (à côté de premier), -o dans
romaner ; il faut sans doute apprécier de même le nom de ville
Domas pour Damás (Damascus) Flam. v. 214. Enfin le français
alumelle (v.fr. alemelle), fumier (lat. fimus), jumeau
(gemellus), Jumillac (Gemiliacum), chalumeau (calamus,
u venant de a), dans les patois fumelle (femella). V.fr. frumail
(fermail) 1100.

En espagnol existe, à n'en pas douter, la tendance à échanger
contre un e l'i latin atone ou devenu atone, toutes les fois que
la syllabe qui suit contient un second i tonique : c'est par une
raison euphonique, afin de ne pas entendre deux i immédiatement
prononcés : Cecilia arch. (Sicilia), ceniza (cinis), ceñir
(cingere), cetrino (citreus), colegir (colligere), concebir
(concipere), constrenir (constringere), corregir (corrigere),
decir (dicere), envidia (plus usité que invidia), encina (ilicina*),
enemigo (inimicus), Felipe (Philippus), freir (frĭgere),
hebilla (fibella *), henchir (implere), heñir (fingere),
mestizo (mixticius *), reir (ridere), reñir (ringi), sencillo
(simplicellus *), teñir (tingere), vecino (vicinus). Il est vrai
que i persiste souvent, surtout dans les mots peu populaires :
afligir, astringir, dirigir, escribir (anc. escrebir), extinguir,
fingir (anc. fengir), imprimir, recibir (en opposition
163avec concebir), redimir (à côté deredemir), vivir (anc. aussi
vevir). A l'inverse, e originaire, quand la syllabe suivante
contient ie, est remplacé par i : cimiento (cæmentum),
hiniestra (fenestra), simiente (sementis), tinieblas (tenébræ),
surtout dans la conjugaison comme dans mintiera, sintiese.
— Le provençal obéit souvent aussi à la première de ces lois d'euphonie
constatées dans l'espagnol, quand il dit desig (dissidium),
enemic, enic (iniquus), enrequir (ric, allem. rîch),
esperit, fenir, fregir, gengiva, gequir (Prés. gic), omelia
(ὁμιλία), tesic (phthisicus), vesin (vicinus). Il faut sans doute
aussi assigner une cause euphonique aux formes italiennes
Sanese pour Senese, Modanese pour Modenese. Remarquons
en passant dans l'ancien français e pour o lorsque la syllabe
qui suit contient déjà cette dernière voyelle, comme dans correcious
pour corrocious, déjà dans le fragment de Val.,
costeïr pour costoïr (custodire) ChRol., felenie pour felonie.
— Mais l'ancien milanais donne un exemple frappant de l'empire
que l'atone peut exercer même sur la tonique. E tonique, quand la
syllabe qui suit contient un i, devient également i, par ex. : sing.
parese (ital. palese), plur. parisi ; dans la conjug. havesse à la
Ire pers. (ital. avessi) mais à la 2e pers. havissi ; feva (faceva),
mais fivi (facevi).Voy. Mussafia, Beiträge. 19, Macaire p. VII.

2. Après la tonique, dans les proparoxytons, il faut noter
un phénomène fréquent et intéressant, que présente tout
le domaine roman : c'est la chute de la voyelle suivante, habituellement
i ou u. Ex. : ital. caldo (calidus), opra (opera),
posto (positus), occhio pour oclo (oculus) ; esp. caldo,
obra, puesto, ojo ; fr. chaud, œuvre, cercle (circulus) et
des centaines d'autres. Il n'y a là rien d'étonnant, puisque la
langue-mère, dans sa période ancienne, emploie régulièrement
ces formes plus dures et privées de la voyelle de dérivation, ainsi
qu'il résulte des inscriptions très-anciennes où on lit dedro (dederunt),
Lebro (Libero), vicesma, et même fect (fecit), etc. ;
les formes adoucies n'apparaissent que plus tard (Ritschl, De
Aletr. tit. p
. IX sqq.). La prose classique en offre encore
des exemples, bien qu'en petite quantité, comme caldus, hercle,
lamna, valde, vinclum ; le style poétique en fournit davantage,
comme ardus (arid.), cante (canite, d'après Varron in
saliari versu
), circlus, opra, periclum, poclum, porgo,
postus, sæclum, spectaclum. Plus tard ces formes deviennent
fréquentes. L'App. ad Prob. critique speclum, masclus, veclus
(vetulus), baclus, calda, frigda, oclus, tabla, formes qui
164toutes sont romanes. « On peut en conclure justement que dans
la vie ordinaire bien des mots se prononçaient en syncopant la
voyelle sans toutefois être écrits de même par les gens cultivés. »
(Schneider, I, 172.) Notre haut-allemand a suivi la même voie
en contractant par ex. farawa en farbe, kirihha en kirche,
patina en pfanne, syllaba en silbe, asparagus en spargel, sans
toutefois s'enchaîner à la tonique : cf. fenchel de fœniculum,
fenster de fenéstra et beaucoup d'autres.

Les voyelles atones finales, même celles qui ne le sont devenues
que par la chute d'une consonne (decem-dece, amat-ama,
filius-filia) sont assez diversement traitées dans les différentes
langues ; mais les cas les plus intéressants seront étudiés à
propos de la flexion. En ital. a, e, i, o persistent habituellement :
casa, forte, jeri, ivi, uomo, amo, mais u se change en o : cavallo.
En outre e devient souvent i : altrimenti (altera mente),
avanti (ab ante), dieci (decem), domani (de mane), indi
(inde), lungi (longe), oggi (hodie), quinci (hincce), tardi
(tarde), Chieti (Teate), Rieti (Reate). Dans d'autres noms de
ville æ est rendu aussi par i : ainsi dans Acqui (Aquæ), Alifi
(Allifæ), Capri (Capreæ), Veletri (Velitræ), Vercelli (Vercellæ),
Veroli (Verulæ), par e dans Firenze (Florentiæ).
— L'espagnol agit à peu près comme l'italien, avec cette différence
que les voyelles finales sont moins fréquentes, la chute de
l'e étant assez normale : casa, fuerte, fácil, órden, amo,
bueno. — En prov. a seul persiste, les autres voyelles disparaissent
régulièrement quand l'euphonie ne les maintient pas :
casa, fort, paire (patrem), er (heri), y (ibi), testimoni
(-ium), Virgili, caval, autre pour autr ; o est supplanté par
e ou i ; laire (latro), ami (amo), etc. En français la chute est
aussi absolue, mais les voyelles qui ne tombent pas sont remplacées
par e : âme, fort, bonnement, hier, témoin, Virgile,
aime (amo), cheval. — En valaque a se modifie en ę, e persiste,
les autres voyelles tombent d'ordinaire quand la consonne qui
précède n'exige pas leur maintien : apę (aqua), laudę (laudat),
bine (bene), er (heri), om (homo), aur (aurum), patru (it.
quattro), socru (socer).

2. Voyelles atones formant hiatus.

Partout ici domine la disposition à éviter, autant que possible,
la rencontre de deux voyelles dans deux syllabes distinctes d'un
mot (hiatus). Ce résultat est atteint tantôt par élision, tantôt
165par attraction de la première voyelle, tantôt par contraction,
tantôt enfin par l'introduction d'une consonne. L'existence de
l'hiatus est parfois indiquée par un h placé entre les voyelles :
esp. ahi, ahina, ahullar, vihuela ; portug. cahir, sahir,
ancienn. poher, tavoha, tehudo, vehuva ; pr. ahur, atahinar,
rehusos ; fr. envahir, trahison, v.fr. Loherain, pahis,
pehu, trehu, vehoir ; b.lat. controversihis, Danihel.

Les trois cas d'hiatus les plus importants sont les suivants :
ou l'hiatus se présente déjà dans les mots simples latins, — ou
bien il résulte d'une composition latine ou romane, — ou bien
encore il est amené par la chute romane d'une consonne.

I. Hiatus originaire dans les mots simples. — 1. Si
l'accent porte sur la première voyelle, la destruction de l'hiatus
est plus difficile à opérer, et n'a pas lieu dans toutes les langues.
On l'obtient cependant quelquefois : a) par l'immixtion d'une
consonne, comme par ex. de v après u ou o : lat. fu-v-it, flu-v-ius,
plu-v-ia, vidu-v-ium ; it. fluvido (fluvidus page 13) ;
piovere, esp. llover, fr. pleuvoir (pluere) ; it. gruva et gruga
(grus gruis). Un phénomène analogue se trouve parfois en ancien
français dans des mss. qui donnent seuwe, veuwe, trauwé,
euwissent pour seue (fr. mod. sue), veue (vue), traué (troué),
euissent (eussent) et autres semblables. L'hiatus se détruit aussi
par l'intercalation du j, tel que le roman le prononce : ital.
veggia (vehes, c'est-à-dire ve-es) ; struggere (destruere) ;
tragge, val. v.port. trage, v.esp. traye Apol. (trahit) ; it.
scarafaggio, esp. escarabajo (scarabæus), qui ont dû se
prononcer à l'origine veja, strujere, traje, scarafajo, j =
i cons. Cet effacement ou amoindrissement de l'hiatus au moyen
d'un j résonnant après la première voyelle, est, comme l'on sait,
particulièrement fréquent dans les dialectes du sud de l'Italie,
par ex. napolit. affizejo (it. ufficio), ajero (aere), et aussi
pajese (paese, pagensis), sicil. spijuni (spione), trijaca
(triaca), et se trouve aussi quelquefois en allemand (lilije,
spijon, moy.h.all. meije, boije). La production de l'i consonne
par la voyelle i qui le précède, en ancien français écrit
ii, souvent aussi iy, est un fait analogue ; par ex. en prov.
amiia, diia M. num. 873, en v.fr. anciien, crestiien, paiien,
criier, criyer (crier), proiier (prier). Ne faut-il pas ranger
sous cette loi le français moderne y dans la plupart des cas ?
Rapprochons encore l'esp. suyo, tuyo, arguyo 1101. G est plus usité
166que j dans le latin du moyen-âge, cf. vegere pour vehere dans
beaucoup de chartes, retragendum Brun. p. 417 (de l'an
684), subtragendum p. 421 (700), struges pour strues.
Exemple de l'intercalation d'un d dans l'it. ládico (laïcus). —
b) Par élision : it. , val. (dies) ; fr. tandis (tam diu) ;
it. trarre (trahere) ; val. fire (fieri) ; it. abete (abietem), parete,
esp. pared (parietem) ; it. Carsoli (Carseoli) ; esp. dos
(duos) etc. — c) Par déplacement de l'accent pour former
une diphthongue : it. figliuólo (filiolus), piéta (pietas) ;esp. diós
(deus), mais port. déos. Les langues de l'Est et du Sud-Ouest
supportent très-bien cette espèce d'hiatus ; celles du Nord-Ouest
cherchent par tous les moyens à le détruire là où elles le trouvent.

2. Si l'accent ne porte pas sur la première des voyelles, et si
celle-ci est i, e ou u (diurnus, debeo, continuus), la destruction
de l'hiatus est plus facile et s'opère fréquemment.

A. Parlons d'abord des combinaisons qui commencent par i et e,
car les deux voyelles sont ici équivalentes ou plus exactement e
a la valeur de i. Les Romains eux-mêmes les confondaient souvent,
à cette place, dans les désinences eus, ius : leurs grammairiens
rejettent alleum, doleum, palleum, sobreus employés
pour allium, etc. (Schneider, I, 16). L'Appendix ad
Probum
avertit de dire : Cavea, non cavia ; brattea, non
brattia ; cochlea, non cochlia ; lancea, non lancia ; solea,
non solia ; balteus, non baltius
. L'auteur de cet appendice
aurait tout aussi bien pu crier à l'auteur d'une charte de la Haute Italie
de l'an 726 HPMon. n. 8 : antea, non antia ; habeat, non
abiat ; valeat, non valiat ; moveant, non moviant ; debeant,
non debiant
 ; beaucoup d'autres scribes cherchaient de même
à rendre la prononciation par l'écriture. Ainsi on voit dans les
inscriptions dolea pour dolia Orell. II, 381, filea pour filia
ib. num. 2497, et réciproquement abias pour habeas n. 2566,
vinia pour vinea 3261. Vossius cite tinia pour tinea d'après un
ms., Arist. I, 43. Dans les cas où la voyelle i (il faut donc y comprendre
aussi l'e) se modifie par synérèse en i consonne, c'est-à-dire
en j, nous l'appelons, pour abréger, i palatal. La contraction
des groupes disyllabiques ia, ie, io, ea, eo en une syllabe
était déjà usitée chez les poètes romains (de nombreux exemples
entre autres dans Lachmann in Lucret. p.72, 82, 115, 122, 193),
167et on a même exprimé la prononciation trisyllabique de abiete,
ariete, fluviorum par l'orthographe : abjete, arjete, fluvjorum
(Schneider, I, 90, 286). Le roman donne à ce procédé ou
plutôt à cette disposition à effacer l'hiatus une bien plus grande
extension ; seul, le valaque le laisse presque partout subsister.
La prononciation de l'i palatal dépend d'ailleurs de la nature de la
consonne précédente, bien qu'ici toutes les langues romanes ne
soient pas d'accord ; le passage aux gutturales g ou c se présente
aussi. Dans le haut-allemand quelque chose d'analogue s'est produit :
là aussi un j (et finalement un g ou ch) est né du lat. i
ou e, cf. cavea, v.h.all. kefja, all. käfig ; electuarium,
latwerge ; apium, eppich ; lolium, lolch ; minium, mennig.
Dans le grec populaire moderne, les mots du grec ancien ἰατρός,
διά, πλατεῖα deviennent γατρός, δγά, πλατγά, dans lesquels γ est
prononcé comme notre j.

a. Liquides avec i palatal. — I après L et N a la propriété de
mouiller ces consonnes (comme on dit en français). Le motif en
est dans la facilité que possède j de se combiner avec ces sons
également formés dans le palais. Les exceptions ne sont cependant
pas sans importance ; en esp. par exemple, j après l
prend la prononciation romane, il joue le rôle d'aspirée (fijo au
lieu de fillo de filius), ce qui amène la chute de l. En valaque,
comme en espagnol, l tombe de même que n. Après n, j peut
aussi, par exception, prendre sa prononciation romane chuintante
ou aspirée.

Après L : it. aglio (allium), consiglio, famiglia, figlio,
foglia, giglio (lilium), maraviglia (mirabilia), moglie (mulier),
oglio (oleum), paglia (palea), tagliare (talea). Renforcement
en g : valga (valeam). Chute dans vangelo (evangelium).
— Esp. batalla, maravilla. La forme dominante est
ici j aspiré : ageno (alienus), ajo, ceja (cilium), consejo,
hijo (filius), majar (malleare), mijo (milium), muger, paja,
tajar, dialectal. Aussi chez les anciens écrivains bataja Alx.
FJuzg., meravija Alx. Renforcement dans les cas de conjugaison
salga (saliam), valga. — Port. alhéo (alienus), alho, filho,
palha, talhar, valha. — Pr. alh, batalha, conselh, eissilh
(exilium), familla, filh, palha, talhar, valha. — Fr. ail,
bataille, conseil, famille, fille, etc. Attraction dans huile
(oleum). L'adoucissement fait défaut dans exil, fils, lis (lilium)
et là où u remplace l comme dans mieux (pr. melhs). — Val.
aju, coju (coleus), foaje, mujere, tejà ( = it. tagliare), mais
fiu, et non fiju.168

Après N : it. bagno (balneum), calcagno (-aneum), calogna,
plus habituellement calunnia (calumnia), Campagna
(-ania), ingegno (ingenium), vergogna (verecundia avec
suppression du d), vigna (vinea). Renforcement de, j en g dans la
conjugaison : rimango (remaneo), tengo (teneo). Chute de la
voyelle dans befana (ἐπιφανία), strano (extraneus), et aussi
avec i palatal strangio. — Esp. baño, caloña à côté de calumnia,
campaña, cuño, engeño arch., España, viña. Avec
aspiration : extrangero (extraneus), granja (granea). —
Port. banho, campanha, Minho (Minius), vinha ; chuintante
dans granja, v.port. grancha. — Pr. banh, castanha (-nea),
estranh, engenh, vinha. Ici aussi immixtion de la chuintante :
calonja, dangier (damnarium *), songe (somnium). Renforcement
dans remanc, etc. — Fr. Champagne, oignon
(unio), vigne, mais à côté danger, donjon (b.lat. domnio),
étrange, grange, lange (laneus), linge (lineus), songe,
v.fr. chalonge. Attraction dans bain, coin (cuneus), juin,
témoin (testimonium). — Val. baje, cęlcųju, cuju (cuneus),
vie (vinea).

Après M i reste voyelle, en français seulement il devient
chuintante douce dans Baussenge (Balsemius), congé (commeatus),
Nigeon nom de lieu (b.lat. Nimio), Offange
(Euphemia), singe (simia), Poange (Potamius) Voc. hagiol.,
vendange (vindemia), v.fr. blastenge (blasphemia). Il y a
aussi en pr. comjat ; l'it. congedo vient du français congé. L'attraction
est visible dans le vaudois soyme (somnium) Chx.
II, 111.

Lorsque R précède les atones ius, ia, ium, d'où naissent les
groupes ari, eri, ori, uri (us), ou bien i est attiré par la tonique
et forme avec elle une diphthongue, mode commun à presque
toutes les langues romanes, ou bien i est consonnifié, ou bien
enfin il est éliminé. Le groupe ari subit les traitements les plus
divers : ari devient air, eir, er, ier. Le valaque s'abstient de
toutes ces formations. — Ari en italien donne lieu à une diphthongue :
argentiere (-tarius), cavaliere, primiero. On a encore
j pour i après la chute de r, forme propre à cette langue, analogue
à l'espagnol j pour lg : argentajo, carbonajo, pajo
(pareo), vajo (varius). En outre élision d'i dans carbonaro,
varo, etc. Pour ce qui est des autres groupes, on ne trouve
que l'élision ou la diphthongaison : impero (-rium), monastero,
Lucera (Luceria), Nocera (Nuceria) ; muojo
(morior), pensatojo (pensatorius), seccatoja ; foja (furia),
169moja (muria) ; cependant on pourrait voir une attraction dans
fiera (fēria, prov. feira). — En espagnol le groupe ari est
rarement rendu par air comme dans donaire (donarium),
habituellement par er, c.-à-d. que la diphthongue ai, que la
comparaison avec le portugais permet de supposer, se simplifie
en e comme dans d'autres cas : caballero, carcelero (-cerarius),
enero (januarius), primero. Le groupe eri a la même
forme : madera (materia). Le groupe ori subit une diphthongaison
dans cuero (corium), asmaduero (æstimatorius) Bc.
Le groupe uri donne uer : entre uri et uer il faut admettre uir
comme intermédiaire né par attraction : aguëro (augurium),
Duero (Durius), huero (οὔριος), salmuera (muria). Apocope
dans vivar (-ium), lavador (-torium). — En portugais l'attraction
s'exerce très-fortement. Le groupe ari devient dans le v.pg.
air, cf. adversairo FTorr. 616, avessayro FGuard. 437, contrayro
FSant. 574, notairo FTorr. 614, salayro FGuard. 437,
vigairo (vic.) FMart. 603, SRos. II, 298, et dans le port. mod.
ei : cavalleiro, Janeiro, primeiro, eira (area). Groupe eri :
cativeiro (captiverium *), feira (feria), madeira. Groupe
ori, ancien portugais oir : adjudoiro, adoboiro, aradoiro
SRos., coyro (corium) FTorr. 636, en port. mod. habituellement
our, aussi pour uri : bebedouro (bibitorium *), couro, etc. ;
agouro, Douro, sal-moura. — Pr. cavalier, primier, favieira
(fabaria), Daire (Dárius), vaire ; feira, madeira ;
mangadoira
, moira (moriatur). Apocope dans albir (arbitrium),
agur (augurium), etc. — Fr. chevalier, premier,
rivière (riparia), aire (area), contraire ; matière, foire pour
feire (feria) ; Grégoire, gloire, histoire, mangeoire, cuir
(corium). E ou i devient g dans cierge (cereus), v.fr. serorge
(sororius), auquel il faut ajouter Tiberge (Tiberius) Voc. hag.

b. Sifflantes avec i palatal. — Après S, T, C, i tombe ou devient
muet, et la consonne conserve sa prononciation habituelle (ti égale
ici z) ; à cette règle il y a, toutefois, d'importantes exceptions.

Après S : it. chiesa (ecclesia), tosone (tonsio), Canosa
(Canusium), Venosa (Venusium). On trouve plus souvent ģ,
venu d'un j devant lequel s a disparu : Anastagio (-asius), Biagio
(Blasius), cagione (occasio), cervigia (-isia), Dionigio
(-ysius), fagiano (phasianus), fagiuolo (phaseolus), Parigi
(Parisii), Perugia (Perusia), pigione (pensio), ragia (rasea*),
rugiada (ros, franç. rosée), Trivigi (Tarvisium).
Exceptions bacio bascio (basium), cacio cascio (caseus),
Norcia (Nursia). — Esp. Blas, fasol. Attraction dans beso
170pour baiso (basium), queso pour caiso (caseus), faisan,
mayson (du prov. ?) — Port. habituellement j au lieu de s ou
de z : beijo, cerveja, fajão faisão, feijão (esp. fasol), igreja
(ecclesia), queijo, cf. esp. eclegia PCid. — En prov. et en
franç. l'attraction seule semble s'exercer partout : pr. bais
(basium), faisol (phaseolus), foiso (fusio) Fer. 3309, gleisa
(ecclesia), maiso (mansio), ocaiso, preiso (prehensio), voy.
àl'S ; fr. Ambroise, baiser, faisan, foison, toison (tonsio),
et aussi église pour egleise, v.fr. Aise (Asia), Ren. IV, 106.

Après T : it. Arezzo (Arretium), giustezza (justitia),
Isonzo (Sontius), lenzuolo (linteolum), marzo (martius),
palazzo (palatium), piazza (plátea), pozzo (puteus), tizzone
(titio), Vicenza (Vicentia) ; dans les chartes justiza H P Mon,
n. 19, année 827, pozolum (puteolus) ibid. n. 127, année 966.
Dans beaucoup de cas ģ pour z ou tous les deux parallèlement,
ainsi dans cupidigia (cupiditia, 10e siècle), indugio
(indutiæ), palagio, pregio (pretium), presentagione, ragione
(ratio), Vinegia (Venetia). Après c originaire ou p, c
apparaît d'habitude comme dans succiare cacciare pour suctiare
captiare
, voy. au T. — Esp. avestruz (avis struthio),
dureza (duritia), lenzuelo, marzo, plaza, pozo, razon,
tizon ; j dans axenjo (absinthium). — Port. (tantôt avec
z, tantôt avec ç) abestruz, dureza, lençol, março, praça,
poço, ração, tição, differença, presença. Le vieux mot
chrischão (christianus) est singulier. — Pr. chanso (cantio),
dureza, Marsal (Martialis), obediensa, planissa
(planitia), plassa, potz, razo, roazo (rogatio). Attraction
dans palais, poiso (potio). — Fr. chanson, façon
(factio), Ignace (Ignatius), justesse (-itia), convoitise
(cupiditia), mars (martius), place. Attraction dans conjugaison,
liaison (ligatio), palais, nièce (neptia*), tiers, tierce
(tertius, ia), poison, puits (puteus) et beaucoup d'autres. —
Val. piatzę, putz. Avec ć minciune (mentitio*), nęciune
(natio), tęciune (titio).

Après C (ch, qu) : It. braccio (brachium), calcio (calcius),
faccia (facies), ghiaccia (glacies), laccio (laqueus),
minaccia (minaciæ), piaccia (placeat). Avec z : calzo à côté
de calcio, Durazzo (Dyrrhachium), sozzo (sucius pour sucidus),
terrazzo (terraceus*). Esp. brazo, calza, haz (facies),
hechizo (facticius), menaza Alx. FJ. — Port. braço, calça,
faço (facto), feitiço, juiço (judicium). — Pr. bratz,
calsamenta, menassa, vinassa (vinacea). Attraction dans
171faissa (fascia), sospeisso (suspicio). — Fr. bras, face,
menace, renoncer (renunciare), soupçon, terrasse. Attraction
dans plaise (placeat). — Val. avec tz : atzę (acia), bratz,
cęltzun, ghiatzę, latz.

C. Après les douces et après v, j prend d'habitude la prononciation
romane qui lui est particulière, et il s'assimile la
consonne qui précède. L'espagnol préfère le prononcer comme y
et syncoper la consonne ; le portugais a des cas analogues.

Après D : it. giorno (diurnum), giuso (deorsum), gire
(de-ire ?), Chiasteggio (Clastidium), oggi (hodie), inveggia
(invidia) Purg. 6, 20, merigge (meridies), poggio (podium),
raggio (radius), scheggia (schidia), asseggio (assedium
*) et beaucoup d'autres. Z pour g (mezzo) ; voyez au D.
Renforcement du j en g dans la conjugaison : seggo (sedeo),
veggo (video). — Esp. jornada ; d'ailleurs avec y : poyo,
rayo etc. — Port. hoje (hodie), orge arch. (hordeum). — Pr.
jorn, jos, auja (audiat), rag ; avec yenveha, poyar. Renforcement
en g dans arga (ardeat, etc. — Fr. jour, jusque (de
usque
), Jubleins nom de lieu (Diablintes), orge, assiéger et
siège, Angeac (Andiacum), Antége (Antidius) Voc. hagiol. ;
appuyer, envie. Attraction dans muid (modius). — Josum
jusum
se présente de borne heure dans le latin du moyen-âge,
jornus, jornalis dans les chartes carolingiennes. Le roumanche
adopte ce traitement roman du dj dans giavel (diabolus), giù
(deorsum), car ici le gi guttural est analogue au gi palatal
italien. Il est vrai que ce g se produit aussi devant i tonique
comme dans gi (dies), gig (diu), gir (dicere).

Après G : it. faggio (fageus), litigio (-ium), regione,
Reggio (Rhegium), saggio (exagium). Renforcement dans
fuggo (fugio). — Esp. ensayo (it. saggio), haya (fagea). —
Fr. éloge, litige, prodige ; essai.

Après B : it. cangiare (cambiare), deggio (debeo), aggia
(habeam), roggio (rubeus), saggio (sabius pour sapius). —
Esp. sage arch. (it. saggio). Renforcement du j en g dans la
conjugaison : oygo (audio). — Port. haja (habeam), sage
FGrav. Attraction dans raiva (rabies), ruivo (rubeus). —
Pr. camjar, ratge (rabies), satge. — Fr. changer, rage,
rouge, sage, tige (tibia). Attraction dans l'anc. franç. saive
pour sage. — En val. attraction dans roibę (rubia), cf. coif
(cofia).

Après V : it. gaggia (cavea), leggiero (leviarius *),
pioggia (pluvia, ploja, chez Dante), sergente (serviens). —
172Esp. greuge (gravium*, b. lat. greugia), ligero, sargento.
— Port. fojo (fovea), ligeiro etc. — Pr. greuge, leugier.
— Fr. abréger (abbreviare), auge (alveus), cage, Dijon
(Divio au 6e siècle), déluge (diluvium), sauge (salvia), sergent.
Attraction dans le v.fr. caive = cage, et dans le fr. mod.
fleuve (fluvius fluivus). Chute de l'i commune à la famille
romane dans lixivia, it. lisciva, esp. lexia, franç. lessive,
b. lat. lexiva (9e siècle) Graff, II, 152.

d. Après la forte P, la palatale douce devient forte, c.-à.-d.
l'ital. ģ devient ć et d'une façon correspondante le fr. j devient
ch. It. piccione (pipio), approcciare (appropiare *), saccio
(sapio). — Esp. pichon, reprochar ; attraction en Port. dans
aipo (apium), caibo (capio). — Pr. ache (apium), apropchar,
repropchar (repropiare *), sapcha (sapiat), avec la forte
négligée par les autres dialectes 1102. — Fr. ache, achier, v.fr.
(apiarium), approcher, reprocher, sache, sèche (sepia),
Clichy (b. lat. Clipiacum), Gamaches (Gamapium), pigeon,
avec la palatale faible, est inorganique.

On peut s'attendre à ce que la règle de formation développée
jusqu'ici ne s'applique pas à tous les mots ; beaucoup d'entre eux,
surtout ceux qui sont peu populaires ou modernes, conservent
au contraire leur forme latine. Il n'est pas même nécessaire de
donner des exemples. Dans ce fait, que la règle romane n'a pas
été générale, gît la principale raison de l'existence des doubles
formes et doubles mots que le roman contient en si grand nombre ;
à côté de la forme nationale il en existe une autre plus latine ou
savante (voyez plus haut, p. 135). Donnons quelques exemples
de ce dernier cas : it. esiglio esilio, luglio Giulio,
veglia vigilia, strangio strano stranio, grembo gremio,
foja furia, vajo varo vario, volentiero volontario, cagione
occasione
, avarezza avarizia, inveggia invidia, aggia,
abbia, gaggia gabbia, saccia sappia, saggio, savio. —
Esp. ancien et moderne igreya iglesia, angoxa angustia,
canzon cancion, razon racion, servizo servicio, rayo radio,
sage sabio. — Pr. velha vigilia, gleisa glesia, avaricia
avareza
, razon ration, camjar cambiar, satge savi. Comme
les noms de la deuxième déclinaison dépouillent dans cette langue
173leur terminaison us (um), la voyelle qui se présentait la première,
délivrée de l'hiatus, pouvait d'autant mieux se conserver.
Ces terminaisons sont nombreuses : capitoli, concili, evangeli,
Virgili, lani (laneus), lini (lincus), Antoni, simi (simius),
aure (aureus), ciri (cereus), sagitari, espaci (spatium), vici
(vitium), cilici, collegi, ordi (hordeum), fluvi, grafi (graphium)
et bien d'autres. — Fr. veille vigile, gloire glorie
arch., foison fusion, façon faction, raison ration. La finale
provençale i s'applatit ici déjà en e.

B. Lorsque u atone occupe la position étudiée ci-dessus (ua,
ue, ui, uo, uu), il éprouve le même sort que i ; seulement les
exemples sont rares. La transformation de l'u en v qui correspond
à celle de l'i en j ne se présente peut-être que dans
ï'it. belva (bellua), parvi (parui) ; cf. aussi l'arch. dolvi
(dolui), et le franç. janvier ainsi que l'ancien franç. eve (aqua
aqva
), ive (equa), tenve (tenuis) FCont. II, 68 ; des poètes
romains ont prononcé genva, tenvis, tenvior (genua, tennis,
tenuior) voy. Lachmann, Comment. in Lucret. p. 115. 182.
On a des exemples de transposition ou d'attraction dans l'esp.
viúda (v.esp. plus exactement víuda, cf. vibda PC. FJ., Bc) ;
pr. véuza (vidua) ; v.fr. vuid, d'où le franç. moderne vide
(viduus) ; pr. téuna (ténuis) ; pr. saup (sapui) ; c'est certainement
le même procédé qui a donné naissance aux mots espagnols
sopo supo, hobo hubo (habuit haubit).

L'élision se rencontre partout, cf. esp. atrevo (attribuo) ; it.
batto, esp. bato (-uo) ; it. cucio, esp. coso (consuo) ; Port. cuspo
(conspuo) ; esp. contino (-uus) ; it. Adda (Addua) ; it. morto
(-uus), esp. muerto, etc. ; it. febbrajo (februarius), etc.
Mortus se trouve dans un ms. de Cicéron De re publ. 2, 18
(33), et febrarius est noté par l'App. ad Prob. comme vicieux
et par conséquent usité. D'autres cas, par ex. supervacum,
sont mentionnés par Lachmann l. c. 306. — En italien l'u produit
un v qui annule l'hiatus dans bon nombre de cas, comme dans
continovo, Genova, lattovaro (electuarium), manovale (manuale),
Manovello (Emanuel), rovina (ruina), vedova (vidua,
aussi val. veduvę), vettovaglia (victualia).

II. Hiatus provenant de la composition. — Pour le détruire,
on emploie l'élision, que la composition soit latine ou romane. It.
coprire (cooperire), dorare (deaurare), donde (de unde), dove
(de ubi), ravvisare (re-avv.), melarancia (melo ar.), verdazzuro
(verde azz.) Esp. antojo (ante oculum), cubrir, dende
(de inde), dorar, ralentar (re-al.), telaraña (tela araneæ).
174Pr. antan (ante annum), contranar (contra anar), entrubert
(entre ub.), sobraltiu (sobre altiu). Franc. devant
(de ab ante), raviser, malaventure (male av.). Val. intr'un
(intru un), dinante (de in ante). Là où la composition n'est
plus sensible, comme dans deorsum, la synérèse peut se produire :
it. giuso. Dans les mots plus récents l'hiatus est plus facilement
toléré : ainsi en it. cœtaneo, controurtare, preesistere,
reintegrare ; esp. entreabrir, entreoir, maniobrar, preexistir,
puntiagudo, reanimar ; fr. coopérer.

Notons encore un procédé propre au français dans les mots
dérivés. Quand, par suite de la dérivation, deux voyelles se
rencontrent, l'hiatus se comble d'ordinaire par un t, c.-à-d. par
une lettre qui ailleurs s'élide entre voyelles. Les consonnes
muettes finales ne comptent pour rien. Exemples : abri abriter,
bijou bijoutier, café cafetier, caillou cailloutage, clou
cloutier
, filou filouter, jus juteux, numéro numéroter,
tabac tabatière ; après une syllabe nasale le même fait peut se
produire : fer-blanc ferblantier, rein éreinter. Ce t euphonique
aura dû (probablement) son origine au t flexionnel du
verbe ; l'oreille en effet s'était faite à la variation il est et est-il,
il y a et y a-t-il, et ce t fut transporté dans le domaine de la
dérivation. Dans les langues qui ne conjuguent pas avec t on
cherche en vain ce phénomène. C'est aussi de la même façon que
tante naquit du groupe ma-t-ante. D'autres intercalations seront
étudiées ailleurs.

III. Hiatus par chute de la consonne. — Comme certaines
consonnes quand elles se trouvent entre des voyelles sont souvent
syncopées, des cas nouveaux d'hiatus se produisent alors ; ces hiatus
qu'elle a créés elle-même, la langue ne les tolère pourtant pas
toujours, et les annule, comme d'habitude, tantôt par contraction,
tantôt par intercalation de consonnes. Ex. de contraction : it.
mastro de maestro, bere de bevere beere, desti de dedisti
deesti
 ; esp. mastro comme en ital., ver de veer etc. ; fr. âge,
gêne, rançon, reine, rôle, rond, sûr, veau de eage aage,
geene, raançon, reïne, roïne, roole, roond reond, seür, veau.
On a des exemples d'intercalation de consonnes, dans lesquels
v (esp. b) est introduit après u, o, souvent aussi après a (p. 166) ;
quelques langues introduisent d (prov. z) et aussi la gutturale g,
c.-à.-d. les sons les plus doux de chaque organe : it. biava
dialect. (biada bia-a), Rovigo (Rhodigium Rho-igium),
chiovo chiodo (clavus clau-us clo-us), brado (bravo bra-o),
padiglione (papilio pa-ilio), frigolo (frivolus fri-olus, b. lat.
175frigolus Mab. Dipl. p. 506 année 803), pagone (pavone
pa-one
), ragunare (radunare ra-unare), sego (sevo se-o),
sughero (suvero su-ero). Esp. cobarde (it. codardo, pr.
co-art), v.esp. juvicio (ju-icio) 1103 ; Port. couve (caulis
cau-is
), chouvir (claudere clau-er), louvar (laudare lau-ar),
ouvir (audire au-ir) ; v.cat. pregon (pr. pre-on). Pr.
Savornin (Saturninus Sa-urn) Voc. hag., avultre (adulter
a-ultre
), glavi (gladius gla-ius), azondar (a-ondar)
LOcc., pazimen (pavimentum pa-im.) LAlb. 3118, Prozenzals
(Proven. Pro-en.) B. 51, 4, rogar (rotare-roar)
L. Rom. Fr. emblaver (b.lat. imbladare imbla-ar), glaive
(comme en pr.), gravir (gradir gra-ir), parvis (paradis
para-is
), pouvoir (pr. poder po-er), rouver arch. (roqare
ro-ar
), avec f à la finale v.fr. blef, bleif (blatum bla-um).

Remarques sur les voyelles.

1. Il est important de remarquer ici avec quelle précision les
filles du latin, pour la plupart, distinguent à l'origine les voyelles
longues
et les brèves quand elles sont accentuées. Voici la
règle : les longues restent ce qu'elles sont, les brèves sont
tantôt remplacées par des voyelles de même nature, tantôt
diphthonguées ; a comme étant la plus pure est celle qui résiste
le plus. Les longues sont donc par leur quantité protégées aussi
dans leur qualité, ce sont réellement des lettres doubles ; elles
ont la consistance de ces dernières. Quant aux brèves, si l'on
considère la langue italienne (car c'est celle qui présente
le nouveau système phonique dans sa plus grande pureté)
on verra que le lat. e était prononcé comme e ouvert et
clair, et que le lat. i l'était comme e fermé : fèro (fĕrus) et
féde (fĭdes) ont maintenu les deux voyelles originaires e et i
suffisamment distinctes, en sorte qu'il n'y avait aucun besoin
grammatical de modifier l'e ouvert en ie : fièro. Cet e se distinguait
aussi de l'e long latin qui se prononçait ouvert. — Il en
176est de même de l'o bref et de l'u dans leur représentation
italienne. Comment la langue en vint-elle donc aux diphthongues ?
A-t-elle satisfait par là à un besoin d'euphonie que nous
ne comprenons plus ? D'autres langues aussi aiment à diphthonguer
en préposant un i : on a remarqué ce fait même dans
un des anciens dialectes italiques, qui employait i de cette
manière presque devant toutes les voyelles. Dans les deux
cas il est évident que les langues ont pris plaisir à la diphthongue ;
mais en italien l'adjonction de l'i est systématique :
elle se borne à l'e ouvert, et devant o ouvert, c'est u qui remplit
ce rôle. Il semble donc que la langue se soit surtout préoccupée
d'accuser plus fortement encore l'écart entre ĕ originaire et ĭ,
ŏ et ŭ, non-seulement qualitativement, mais aussi quantitativement.
Les formes italiennes, comme nous l'avons déjà vu, ne
dominent point partout. L'espagnol a, il est vrai, conservé ie,
mais dit ue pour uo probablement par immixtion de ie. Le
provençal connaît les deux formes italiennes ; cependant chez lui
comme en espagnol uo devient dialectalement ue, que le français
intervertit en eu. L'écart le plus considérable se trouve dans le
valaque, qui obtient la diphthongaison en plaçant a après la voyelle
originaire (ea oa) ; toutefois il est difficile d'y voir une forme
primaire : c'est plutôt une dégénérescence de ie et uo, les
seules formes qui présentent l'avantage d'un développement
immédiat et logique. Ie, qui persiste encore à côté de ea et qui
se rattache au reste de la famille romane, pouvait facilement aboutir
à ia, qui est moins ouvert (ea ne se prononce pas à proprement
parler autrement) : même chose est arrivée dans l'a.fr. et le
roumanche : bial de biel. Ce ia ou ea devait être suivi de très-près
par ua ou oa, ainsi que cela se présente dans d'autres
dialectes (prov. mod. couar de cor). — Notre haut-allemand
moderne a cette grande ressemblance avec le roman qu'il allonge
les brèves originaires ; mais cet allongement n'a pas eu pour
conséquence la diphthongaison, qui a été au contraire appliquée
à des longues originaires, au moins pour i et ō : pour celles-ci
on introduisit, afin de distinguer les anciennes longues des
nouvelles, au et ei, bien que cette introduction donnât lieu à une
collision avec les anciennes diphthongues ei et au (ou). Le grec
moderne, dans sa manière de traiter les voyelles du grec ancien,
ne montre pas plus que l'allemand de ressemblance avec le
néo-latin. Ces voyelles, brèves ou longues, se sont conservées
quant à leur qualité : seulement e long (η) et υ sont devenus
phonétiquement i ; la diphthongaison n'a pas eu lieu, et
177même les diphthongues se sont réduites à des voyelles simples.

2. Les mots romans qui ont l'antépénultième accentuée conservent
habituellement intacte leur voyelle latine, parce qu'ils
sont entrés pour la plupart dans la langue après que l'ancienne
loi de formation eut perdu sa force plastique, ou parce qu'ils
n'étaient jamais arrivés à une complète popularité. Les proparoxytons
vraiment populaires obéissent en grande partie à la
règle générale, comme on le voit par l'it. piedica, vedova, vergine,
uomini, gomito, giovane. Quand la voyelle de la pénultième
est élidée, l'italien (puisqu'ici il se produit véritablement position
romane) ne permet pas la diphthongaison (vecchio, donna). Au
contraire, l'espagnol, et surtout le français, qui annulent cette
position par l'amollissement de la consonne ou par d'autres
moyens, admettent la diphthongue (viejo, dueña ; tiède, œil.)

3. C'est à l'italien, le dialecte qui serre de plus près le latin,
qu'en ce qui concerne les voyelles on doit reconnaître l'organisation
la plus primitive, parce qu'elle est la plus simple et la plus
régulière. Les exceptions sont rares, en sorte qu'avec assez de
sûreté on peut conclure de la persistance ou du changement des
toniques latines (sauf a) à leur quantité : celles qui persistent se
manifesteront comme voyelles longues, celles qui changent comme
voyelles brèves. — L'espagnol admet pour les voyelles plus de
changements que l'italien, mais suit néanmoins une règle fixe
autant que possible. Il respecte les longues i, u, mais touche
parfois aux longues e et o. La diphthongue est particulièrement
favorisée chez lui, en quoi il ressemble souvent au valaque. Il
maintient particulièrement aux atones i et u leur valeur primitive.
— Le portugais a ceci de propre qu'il n'admet aucune diphthongue ;
pour le reste, il ressemble à l'espagnol. — En provençal les
voyelles longues persistent ; la diphthongue, pour les brèves,
n'est pas admise ou recherchée devant toutes les consonnes. —
Nous avons vu déjà que le français s'écarte d'une manière notable
de l'usage commun au reste des langues romanes. A s'y
affaiblit fréquemment, mais non pas tout à fait irrégulièrement,
en ai ou e. Pour les autres voyelles, la séparation systématique
entre les longues et les brèves disparaît en grande partie. Parmi
les longues, e et o dégénèrent, d'habitude, en diphthongues et
sons mixtes ; ē se confond presque avec i bref, ō avec o bref ; quant
à i et u ils se maintiennent intacts, c-à-d. qu'aucune autre
lettre ne prend leur place, bien que u ait perdu son ancienne
prononciation. Parmi les brèves e suit la règle générale, les
autres prennent les nuances et éprouvent les vicissitudes les plus
178variées. En position, e suit aussi bien que i la règle commune ;
o et u présentent dans leur développement quelques particularités
qui les éloignent de la règle. — L'absence de règle caractérise
ici le valaque. Pour quelques voyelles (ē, ĕ, ō, ŏ) on ne
peut même admettre aucune forme dominante ; les brèves dans leur
ensemble se modifient de la façon la plus diverse ; e et o longs
sont même traités comme s'ils étaient brefs ; seuls a, i et u longs
maintiennent à peu près complètement leur intégrité.

4. Voici le tableau des voyelles, pour lesquelles les formes
principales sont seules relevées :

tableau ital. | esp. | port. | prov. | franç. | valaq. | long | bref | posit.

5. A l'occasion des nombreuses modifications auxquelles est
soumise la tonique spécialement en français, il y a lieu de poser
la question suivante : la diphthongaison a-t-elle eu le caractère de
l'Umlaut de la grammaire allemande, d'après laquelle ce phénomène
consiste dans le trouble apporté aux voyelles a, o, u par
l'influence de l'i ou de l'u de la syllabe suivante ? Ainsi défini, on
ne peut le constater. C'est un autre phénomène analogue qui le
remplace ici : l'attraction, qui s'étend à i (e) et àu et qui est
évidemment favorisée par certaines consonnes (l, n, r, s) ; ces
voyelles i (e), u sont attirées par la tonique et se fondent avec
elles en un son, pourvu toutefois que l'atone forme un hiatus
avec la voyelle qui la suit. En français, cette condition n'est, il
179est vrai, pas nécessaire pour que a devienne e : premier rapproché
de primari ne doit pas être jugé comme mer rapproché de
mare, ni surtout comme le haut-allemand moderne meer rapproché
de mari : dans premier c'est l'attraction qui a agi, dans
mer c'est la préférence pour e, dans meer c'est un phénomène
purement germanique. Dans la même langue, il faut aussi tenir
compte du cas où une gutturale s'est affaiblie en i : joindre
(pr. jónher, c.-à-d. jónier), poin (pr. punh) se sont formés
exactement comme témoin (testimonium) où il y a un i
originaire.

6. On ne peut pas non plus admettre dans ce domaine l'apophonie
allemande si l'on entend par ce mot un changement de la
voyelle radicale fondé sur certains principes et employé comme
procédé de flexion. Les cas existants déjà en latin sont naturellement
exclus. Les changements de la voyelle radicale sont dans
les langues filles chose ordinaire : leur raison d'être n'est pas dans
certaines lois de flexion (à l'existence desquelles on ne devait
pas s'attendre ici), elle réside ou dans les variations de la
quantité et de l'accent ou dans le besoin de clarté. Ainsi,
tandis que dans le latin tenet, tenemus l'e de la racine demeure
intact, le français tient, tenons montre au contraire une variation
frappante dans le son ; mais si l'on en cherche la raison, on
trouve bientôt que la diphthongue ie dans tient doit son existence
à la brièveté de e dans tenet, et que la voyelle e dans
tenons est de son côté restée intacte, parce qu'elle est atone
dans tenemus. Le phénomène s'explique donc par le mode
roman de la représentation des sons latins, qui s'appuie sur
les lois prosodiques 1104. Si au contraire au parfait tint le radical
180e apparaît changé en i, le motif visible en est dans la distinction
entre la forme de ce temps et celle du présent. De plus, la voyelle
radicale est aussi sous l'influence de lois ou de considérations
euphoniques. La grammaire espagnole peut en fournir un
exemple. Dans siento, sentimos, sintió, du latin sentio, sentimus,
sentiit, e est remplacé une fois par ie, une autre fois
par i : i est la voyelle fondamentale choisie par la langue pour ce
verbe, e s'explique par l'euphonie, parce qu'un i tonique suit
(voy. p. 163) ; la diphthongue tombe sous la loi générale. Ces changements
de la tonique, s'ils ne sont pas une conséquence des principes
de l'apophonie, supposent cependant, surtout quand ils
viennent aider la flexion, un moyen de formation analogue, et
qu'on aurait peut-être le droit de désigner par le mot apophonie. 1105

7. L'influence de l'accent sur la voyelle radicale est l'un des
traits caractéristiques des langues néo-latines. Cette influence
peut être considérée comme heureuse, car elle engendre des
formes variées sans confusion. La tonique de la langue-mère se
modifie, comme nous l'avons vu, d'après des lois générales,
l'atone reste intacte. C'est surtout dans la conjugaison que cet
échange de sons est important, et dans la formation des mots il
a aussi une grande valeur. Quelques exemples le mettront en
lumière : It. brieve brevità, meno minore, pelo piloso,
pruovo provare, suora sorella, moglie muliebre. Esp. fiero
feroz
, liebre lebrato, cebo cibera, hebra fibroso, bueno
bondad
, pruebo probar, gola guloso. Fr. prix précieux,
lièvre lévrier, relief relever, foi féal, moins menu, poil
peluche
, œuf oval, feu fouace, jeu jouer, bœuf bouvier,
deuil douleur, loup lupin. Val. peatrę petrariu, doare
doresc
, barbę bęrbat. Que les voyelles e et o, qui à la tonique
remplaçaient i et u, aient souvent été transportées aussi à l'atone,
cela se comprend ; il devait même arriver qu'on en fît autant pour
181les diphthongues. Cf. en it. (où ce fait est d'ailleurs rare) fiera
fierezza
(pour ferezza), siepe assiepare Inf. 30, 123, nuota
nuotare
, luogo luoghetto ; esp. ciervo ciervatico (à côté de
cervatico), miel mieloso (mieux meloso), cuerdo cuerdero,
huebra huebrada.

8. Nous avons souvent remarqué combien la forme de la
voyelle dépend de la consonne qui la suit. L'intensité de cette
dernière, c'est-à-dire si elle est simple ou double, a aussi une
grande importance. De plus, les liquides exercent une action
spécifique sur les voyelles immédiatement précédentes, qui
s'explique en partie par leur nature de semi-voyelles. En italien
par exemple, i et u, devant ng, comme nous l'avons vu précédemment,
conservent leur forme pure. — En esp. o en position
devient habituellement diphthongue devant les liquides : cuelgo,
sueño, puente, cuerpo. — En prov. la même voyelle devant
l simple, m, n, répugne à la diphthongaison : filhol, hom, son.
— En franç. a devant m et n se change en ai : aime, pain ; mais
devant les mêmes lettres o échappe à la diphthongaison : Rome,
couronne, et o = lat. u au changement habituel en ou :
comble, ongle. Il est à peine besoin de rappeler la nasalisation
des voyelles et les modifications qui en résultent. Si on consulte
l'usage des dialectes populaires, on trouve beaucoup d'exemples
remarquables de la puissance des consonnes. Ainsi, dans le
dialecte de Rutebeuf, o persiste devant r, tandis qu'habituellement
il devient ou : amor, jor, por, tor, retor, secor, corage.
En bourguignon moderne (dans La Monnoye) e fr. devant r se
change en a, pourvu que r soit suivie d'une autre consonne, qui
peut plus tard même être tombée : harbe (herbe), marci, marle,
vatu pour vartu (vertu), garre (guerre), tarre, anfar (enfer),
couvar (couvert), dezar (désert), var (verd). En wallon,
e devant r dans les mêmes cas (et même quand l'r n'existe
plus), quelquefois devant ss = st, se diphthongue en ie :
piel (perle), vier (ver, vermis), stierni (éternuer),
vierni (vernis), vierné (gouverner), sierpain (serpent),
siervi (servir), viersé (verser), pietri (perdrix), piett
(perte), biergi (berger), nierr (nerf), biess (bête), fiess
(fête), tiess (tête) ; de même o en oi : doirmi, coinn (corne),
coir (corps), foisse (force), hoirsi (écorcher), moirt, poirté,
foir (fort), boir (bord), stoid (anc. franç. estordre), coirbâ,
(corbeau). Qui ne se rappellera à ce propos l'action que cette
même liquide exerce en gothique sur i ou u précédent ? — Enfin
en valaque a bref devant m et n s'assourdit souvent en u : umblu
(ambulo), prunz (prandium), etc.182

9. La syncope de l'atone a joué dans la formation des
langues romanes un rôle capital, puisqu'elle a donné naissance
à des groupes de consonnes très-divers et souvent presque
intolérables, si bien que la langue a dû trouver de nouveaux
moyens pour les adoucir à leur tour. C'est dans les
langues du nord-ouest qu'elle a le plus d'action : les voyelles
de flexion ne sont même plus respectées, en sorte que des mots
polysyllabiques se réduisent finalement à la syllabe tonique, cf.
dominus, pr. dons ; hominem, pr. hom, plus exactement
omne ome ; rotundus, fr. rond. On peut indiquer cette
abréviation systématique après la syllabe tonique comme la loi
principale de formation de ces langues, et comme le signe qui
les distingue de leurs sœurs. Celles-ci usent avec beaucoup plus
de retenue de ce moyen d'assimilation. C'est surtout la voyelle
de dérivation i qui est sujette à tomber, ainsi que le prouve le
traitement des désinences ĭcus, ĭdus, ĭlis, ĭnus. Quelquefois
aussi la voyelle s'élide après la consonne initiale, ce qui peut
rendre l'origine du mot singulièrement obscure, cf. it. brillare,
fr. briller (beryllus) ; Port. crena (carina) ; it. crollare,
fr. crouler (corotulare) ; it. crucciare (pour corrucciare) ;
cruna (corona) ; fr. Fréjus (Forum Jul.) ; frette (pour ferrette) ;
v.fr. gline (gallina) Ren. IV, 24 ; it. gridare, fr. crier
(quiritare) ; it. palafreno, fr. palefroi (paraveredus) ; it.
pretto (pour puretto) ; scure (securis) ; staccio (setaceum*) ;
it. esp. triaca, fr. triacleur (theriaca) ; ital. trivello (terebellum*) ;
fr. vrai (veracus*) 1106.

10. Par la contraction, l'atone se fond dans la tonique ; nous
avons ici de nombreux exemples. L'it. Napoli p. ex. vient de Neapolis,
trarre de traere, de' de deve dee, denno de devono
deono
, col de co il, Susa de Segusium, Seusium ; esp. ver
de veer (encore dans proveer), Jorge de Georgius, sentís de
sentitis sentiis ; Port. vir de viir, vontade de voontade ; fr.
abbesse de abbéesse, voir de véoir, mûr de meür. Il a été
déjà question de ce fait à l'étude de l'hiatus (p. 175). Souvent,
et surtout en français, les deux voyelles engendrent ensemble
un troisième son qui n'était point contenu dans la tonique. En
italien, ce fait ne se produit presque jamais : l'o tiré de au
183appartient déjà au latin ; en esp. aire de aer (Reines. Inscr.
ind. gramm. aire pro aere), airado de aïrado cf. Rz. 173,
lego de laïgo, véinte de viginti veínte, sois de sodes soes ; fr.
chaîne de chaïne, Laon de Laudunum Loon, seine de seïne,
empereur de empereor, roi de rei.

11. La destruction de l'hiatus constitue, à n'en pas douter,
dans le développement du roman, un facteur d'une importance
telle qu'on ne le retrouve au même degré dans aucun autre
domaine. Les conséquences les plus remarquables sont la consonification
de l'i, à laquelle se rattachent le mouillement de l'l et
de l'n et l'envahissement des sons palataux et aspirés, et aussi la
naissance de nombreuses diphthongues. L'émission de l'hiatus
exige un certain effort des organes, puisqu'il s'agit de maintenir
séparés deux sons vocaliques immédiatement voisins ; comme la
conscience de la valeur des éléments linguistiques s'était insensiblement
émoussée, on n'attacha plus à la persistance de voyelles
incommodes qu'une importance secondaire. On ne prit plus
garde à l'i radical dans diurnum, aux e, i, u de flexion
dans habeam, fugio, dolui, aux dérivatifs e et i dans
palea, primarius, varius : on dit en ital. aggia, fuggo, dolvi,
paglia, primerio, varo. Cependant l'élision des consonnes
introduisit dans la langue une foule de nouveaux cas d'hiatus,
toutes les fois que l'euphonie gagnait plus à l'élision qu'elle ne
perdait à l'hiatus.

12. Tandis que la langue latine a une antipathie marquée
pour les diphthongues, et partout où elles se rencontrent cherche
à s'en débarrasser par la contraction ou la résolution en
voyelles distinctes, ses filles, chacune à sa manière, les ont développées
avec abondance. Mais ici se place une remarque. Bien
que la nature fluide des voyelles rende toute liaison entre elles
possible, toutefois les unes se prêtent moins bien que les autres
à créer une unité phonique. I atone et u s'unissent, par exemple,
très-facilement aux autres, mais elles peuvent, grâce à leur
parenté avec les consonnes j et v, perdre leur nature de
voyelles. En particulier, elles ont un caractère indécis quand
elles précèdent les autres voyelles (, , ,  ; ,
, , ) ; elles acquièrent facilement alors un son intermédiaire
entre i et j, u et v, et forment ainsi une diphthongue
impropre : aussi les Italiens écrivent-ils ieri et jeri ; dans aglio
de allium l'i est complètement consonnifié. D'après les règles de
l'assonance espagnole, i atone et u, dans une diphthongue, ne
comptent point pour une voyelle : par exemple on fait rimer
184necio feo, memoria reforma, aire madre, rabie maten ;
lengua cesa. Ces voyelles conservent mieux leur nature quand
elles suivent les autres (ái, éi, ói, úi, áu, éi, íu, óu) ; cependant
l'assonance espagnole ne les compte pas non plus dans ces cas :
vengais hablar, trayga dulzaina alta, aire al fange, hazeis
poner
, deleite deben, reyno menos, heróico famoso ; rauda
xaula causa alma
, deuda ella. Le roman favorise ces diphthongues
composées de i et u atones et d'une autre voyelle
autant qu'il évite celles qui se composent d'i et u toniques et de
l'une des trois autres (ía, íe, ío, úa, úe, úo ; , , , ,
, ). Pour les éviter il a été jusqu'à déplacer l'accent et à
prononcer iólus (it. figliuólo) au lieu de íolus, ainsi qu'il a
été déjà dit.

13. D'après leur origine, on peut diviser les diphthongues en
cinq classes. La première comprend le petit nombre de celles
(au, eu, ui) qui ont été transplantées du latin. — La deuxième
comprend les diphthongues nées de l'élargissement d'une voyelle
simple, comme ie de e, uo etc. de o ; mais ici il faut encore
signaler une autre formation de diphthongues qui est plus rare et
qui se présente dans certains mots monosyllabiques. Quand un de
ces mots se termine par une voyelle, pour assurer au mot une
plus grande étendue (car une voyelle simple en finale devient
facilement brève), on ajoute une deuxième voyelle, en sorte
qu'il se produit une diphthongue : ital. noi pour (nos),
voi (vos), poi (post pos), crai (cras). Esp. doy (lat. do),
estoy (sto), soy (so de sum), voy (vado), encore en v.esp.
do, estó, so, vo. Port. hei = esp. , sei = se, dou =
doy, estou = estoy, sou = soy, et aussi foi = v.esp.
fo, diphthongue postérieurement en fué, cf. à la médiale ideia
à côté de idêa, freio à côté de frêo ; ce fait ne semble se produire
que dans les syllabes ouvertes. Le provençal prononce
les noms de lettres pe et te comme pei et tei Boèce v. 205, 207,
et parfois aussi rey pour re (lat. rem), tey pour te (tenet),
jassey pour jassé Chx. III, 376. IV, 143, aussi sui pour su
(sum). Ancien franç. mei, tei, sei, quei (= pr. que), sui, fr.
mod. moi, toi, soi, quoi, suis. — A la troisième classe
appartiennent celles qui sont nées par suite de la résolution
d'une consonne en une voyelle ; celle-ci, à cause de son origine,
ne reçoit jamais l'accent. Elles sont nombreuses et se confondent
par leur forme avec quelques-unes de celles de la classe précédente.
L'étude des consonnes donnera beaucoup d'exemples ; quelques-uns
peuvent se placer ici. Diphthongue par résolution d'une gutturale :
185esp. auto (actus), reyno (regnum), grey (gregem) ; v.port.
contrauto (contractus), pg. mod. leite (lactem), noite
(noctem), outubro (october) ; pr. flairar (fragare), leial
(legalis), bois (buxus) ; fr. payer (pacare), étroit (strictus),
cuisse (coxa). D'une labiale : esp. ausente (absens),
cautivo (captivus), deuda (debita), ciudad (civitas) ; prov.
caissa (capsa), caitiu, trau (trabs), beu (bibit), eis (ipse).
D'un l : v. ital. autro, pr. autre, fr. autre, pg. outro (alter) ;
après des consonnes ital. chiaro (clarus), etc. En latin, ce
procédé est plus rare, ex. : nauta de navita, neu de neve,
aufero de abfero. Dans les langues germaniques il naît souvent
des diphthongues par suite de la chute de consonnes, plus
rarement par suite de leur résolution en voyelles : m.h.all.
kît de quidit, meit de maget, eise de egese, gît de gibit
m. néerl. seilen de segelen, reinen de regenen ; v. fris.
hei de hag ; angl. hail de l'angl.-sax. hägel, fair de fäger,
day de däg, way de veg, eye de eáge, grey de graeg, key de
caege ; ici d'ailleurs, comme dans le français ai et ei, aucune
diphthongue ne se fait plus sentir ; ancien haut-allemand blâo
de blâw, sêo de sêw ; néerl. goud de gold, woud de wald.
Parmi les langues celtiques, le kymrique développe ai et ei de
c et p : laith llaeth (lat. lac lactis), Sais (Saxo), seith
(septem) ; au et iu de av et iv : Litau (Letavia), lissiu (lixivium,
prov. aussi lissiu) ; le breton de av : caô (lat.
cavus), etc. — La quatrième classe embrasse celles qui sont
nées par suite d'attraction et dont le chapitre de l'hiatus nous a
fourni des exemples. Parmi les exemples les plus palpables,
citons le provençal te-u-ne de ten-u-is, v.esp. hobe d'abord de
ha-u-be de hab-u-i, prov. sa-u-p de sap-u-i, esp. vi-u-da
de vid-u-a, prov. va-i-re de var-i-us, portug. fe-i-ra de
fer-i-a, fr. ju-i-n de jun-i-us. — La cinquième comprend
celles que produit la chute d'une consonne ou plus généralement
la réunion de deux syllabes, comme : esp. amais (amatis),
teneis (tendis), sois (v.esp. sodes) ; prov. paire (pater),
cadeira (cathedra), huei (hodie), traire (trahere) ; paorucz
en tres sillabas o paurucz en doas
, Leys I, 46 1107.186

14. Outre les véritables diphthongues, il en est d'autres encore
nées par synérèse, mais qui n'ont point toujours une existence
bien assurée, car elles sont sujettes, suivant les différents styles,
à des déterminations variables : ainsi le style poétique les sépare
volontiers, tandis que le langage familier trouve plus commode
de les réunir. On a des exemples italiens dans subitaneo, Italia,
ardui, franç. dans diacre, essentiel, union. Cette réunion de
deux voyelles séparées syllabiquement, surtout lorsque la première
était un i ou un u, ne pouvait manquer de se faire ;
aussi les poètes latins, surtout les comiques, qui se servent volontiers
du langage familier, en fournissent-ils de nombreux exemples :
ea, eo, eu, ia, ie, io, iu, ue se fondent facilement chez
eux en une syllabe ; p. ex. dans beatus, deorsum (ital. gioso),
deus (également monosyllabe dans le provençal deus), via,
quietus (ital. cheto), prior, diu (prov. diu monosyllab.),
puella.

Consonnes.

La phonétique distingue les consonnes en simples, doubles, et
combinées ou multiples. Est considérée comme simple, au moins
à l'initiale, une consonne que suit la semi-voyelle r, bien qu'il
y ait des cas où ce groupe doit être rangé parmi les consonnes
multiples. Dans ces dernières il faut compter non-seulement ces
combinaisons de deux ou plusieurs consonnes qui déjà existent
en latin, mais encore celles qui sont nées en roman de la chute des
voyelles. Quand il y a deux consonnes (inégales) la règle est que
la première disparaisse. On trouvera plus loin des exemples. Si,
par la chute d'une voyelle, trois sont en présence et que celle du
milieu soit une muette ou un f, ces dernières lettres tombent, ne
pouvant persister qu'entre deux liquides ; c'est ce qui arrive p.
ex. pour ctl, duct'lis, v.fr. doille ; ctn, pect'nare, esp. peinar ;
187stc, mast'care, v.fr. mascher ; stl, ust'lare,
v.esp. uslar ; stm, æst'mare, v.fr. esmer ; — ptm, sept'mana,
franç. semaine ; rtc, pert'ca, franç. perche ; ndc,
mand'care, ital. mangiare, franç. manger ; nct, sanctus,
ital. sancto, etc. ; scl, misc'lare, ital. mischiare, prov.
mesclar ; mpt, comp'tare, ital. contare, etc. ; rpn, carp'nus,
franç charme ; spt, hosp'tem, ital. oste, etc. ; sbt, presb'ter,
v.fr. prestre ; rbc, berb'carius, franç. berger ; dfc,
nid'f'care, franç. nicher ; sfm, blasph'mare, ital. biasmare,
etc. ; à côté, il est vrai, ard're, franç. ardre ; anch'ra,
franç. ancre. R et s entre deux consonnes persistent aussi et
forcent la consonne précédente à disparaître ou bien à s'affaiblir :
fabr'care, prov. fargar ; prox'mus, v.fr. proisme.
Outre cette distinction, la phonétique en observe encore une
autre étymologiquement importante, celle qui concerne la place
de la consonne dans le mot, suivant qu'elle est initiale, médiale
ou finale.

Nous étudierons d'abord les liquides auxquelles, suivant l'usage
reçu, nous associons la nasale labiale m et la nasale dentale n,
puis les muettes. Pour ces dernières nous renversons l'ordre
indiqué par l'alphabet grec, β, γ, δ, parce que les dentales sont
plus voisines des liquides l, n, r. Nous distribuons les spirantes
entre les divers organes. L'ordre est donc : l, m, n, r ; t (th), d,
z, s ; c (ch), q, g, j, h ; p, b, f (ph), v.

L.

1. Les permutations de l en lettres de même nature sont fréquentes.
1) En r ; initiale : it. rosignuolo (luscinia) commun au
roman, de même ital. rovistico (ligusticum). Médiale : ital.,
dattero (dactylus), veruno (vel unus), insembre (simul).
Esp. caramillo (calamus), coronel (fr. col.), lirio (lilium),
mespero (mespilus) ; fréquent en basque. Prov. caramida
(calamus), volateria (-tilia), Basire (Basilius) GRoss.
Franc. Orne (Olna) ; après des consonnes que la chute d'une
voyelle a mises en contact avec l, apôtre, chapitre, chartre
(chartula, très-fréquent en b.lat.) ; épître, esclandre (scandalum) ;
v.fr. concire (concilium, ), estoire (στόλιον),
idre (idolum), mur (mulus) Gar. I, 111, mure (mula)
NFCont. I, 2, navirie (pour navilie), Wandre (Vandalus).
Ainsi lat. cæluleus cæruleus, palilia parilia. Val.
burete (boletus), corastę (colostra), dor (de dolere), fericit
188(felix), gurę (gula), moarę (mola), pęr (pilus), sare (sal),
soare (sol), turburà (turbulare*), etc. Assez fréquemment
devant les consonnes : it. corcare pour colcare (collocare),
rimurchiare (remulcum) ; esp. escarpelo (scalpellum),
surco (sulcus), pardo pour paldo (pallidus) ;, fr. orme (ulmus),
remorquer, v.fr. corpe (culpa), werpill (vulpecula).
2) En n, à l'initiale : esp. Niebla (Ilipla), nutria (lutra,
ἐνυδρίς) ; prov. namela Fer. (lamella) ; fr. niveau (libella),
nomble (lumbulus). A la médiale : it. conocchia (colus),
filomena (voy. Grimm, Mlat. Ged.., p. 322), melanconico,
módano (modulus), muggine (mugil), mungere (mulgere) ;
esp. encina (ilicina*), fylomena Canc. de B.., mortandad
(mortaldad) Alx. ; fr. marne (marga, margula),
poterne (posterula), quenouille (colus), v.fr. dongié
(delicatus) ; val. funingine (fuligo), asemenà (assimilare).
3) D se trouve dans un mot commun au roman :
it. pg. àmido, fr. amidon, esp. almidon (amylum). L'it.
sedano (σέλινον), le pr. udolar (ululare), l'esp. monipodio
(-opol.) sont des cas particuliers. Dans les mots ital. giglio
(lilium) et gioglio, prov. juolh, esp. joyo (lolium) l'initiale
permute par dissimilation avec g.

2. La chute de l en initiale s'est souvent produite, sans aucun
doute parce qu'on a confondu cette lettre avec l'article : it.
arbintro (labyrinthus), avello (labellum), orbacca (lauri
bacca
), ottone (esp. laton), usignuolo (luscinia), et aussi
azzurro (persan lazvard), orzo (allem. lurz, voy. mon Dict.
étymol.
) ; esp. onza (fr. once), azul, orsa ; fr. avel arch.
(lapillus), once (lyncem, ital. lonza), azur. D'un autre genre
est l'aphérèse valaque de l'l dans épure (lepus), ertà (libertare*),
eau (levo), in (linum), itz (licium). Dans les trois
premiers exemples on écrit aussi iepure, iertà, ieau Lex.
bud
., et par conséquent nous avons ici le même phénomène
qu'amène la chute de l'l médiale : iepure est pour liepure
(valaque du sud), comme aju est pour aliu (allium) ; on retrouve
cette aphérèse dans jubi du serbe ljubiti, jute de ljût. Le quatrième
exemple in est sans doute pour ljin qui existe en albanais ;
itz a peut-être aussi été précédé par un affaiblissement de l
initiale. — De même que l'l a disparu, parce qu'on la prenait
pour l'article, elle a été, par la même méprise, ajoutée et incorporée
à des voyelles initiales : ainsi en it. lero (ervum), lella à côté de
ella (inula), lunicorno (unicornis) ; pr. lendema (lo en dema),
lustra (ostrea) ; fr. lendemain, lendit (indictum), Lers nom
189de fleuve (prov. Ertz GAlb. 1750), lierre (hedera), Launay
nom de lieu (Alnetum), Lille (Insula), loriot (aurum),
luette (uva), cf. Ampère, Form., p. 215, 285, 365. —
Les dialectes montrent bien plus fréquemment encore cet usage.
Pour les adjectifs, qui tiennent moins étroitement à l'article, ce
phénomène est douteux. Voy. Dict. Etym. II. a. lazzo.

3. Les langues du sud-ouest ne présentent pas l'aphérèse de
l'l. Mais la syncope est très-usitée en portugais comme dans
aguia (aquila), candêa (-delà), côr (color), débeis (débiles),
dór (dolor), mágoa (macula), pêgo (pelagus), saúde
(salus), saudaçaõ (salutatio), sahir (salire), taboa (tabula),
taes (tales), vêo (velum), voar (volare), arch. besta (balista),
moyer (mulier) SRos. Par contraction, cette chute peut
sembler atteindre même la finale : avô (avolus*), cabido
(capitulum), diabo (diabolus), (ital. duolo), (mala),
(mola), (mulus), (pala), povo (populus),
(solus), qui sont pour les archaïques ou hypothétiques avóo,
cabídoo, diaboo, dóo, máa, móa, múo, páa, póvoo, sóo.
Sur la manière dont l en espagnol et en valaque se comporte
devant i =j, voy. plus haut, p. 168.

4. Cette lettre, aussi bien que r, est fort sujette à la transposition,
et c'est d'ordinaire la consonne initiale qui l'attire à
elle : ainsi en ital. chiocciola pour clocciola (coclea), fiaba
pour flaba (fabula), pioppo pour ploppo (pōpulus), singhiottire
pour singlottire (singultire) ; val. plop, plęmųn
(pulmo) ; esp. blago (baculus), bloca (buccula), esclepio
(speculum) Canc. de B. ; portug. choupo pour ploupo.
Ou bien l change de place avec une autre consonne : ital.
alenare (anhelare), padule pour palude ; particulièrement
en esp. : olvidar (oblītare*), silbar (sibilare), rolde (rotulus),
espalda (spatula), veldo pour vedlo Canc. de B.,
moludoso pour moduloso id., milagro (miraculum), palabra
(parabola), peligro (periculum, dans Mar. Egipc.
570b periglo) ; portug. bulrar, melro, palrar à côté de
burlar, merlo, parlar, de même espalda, milagre, palavra,
anc. Port. pulvigo (publicus), esmola (eleemosyna).

5. Le mouillement de l simple médiale est général, mais
il est rare : ital. Cagliari (Calaris) ; esp. camello (camelus),
muelle (moles), pella (pĭla), querella ; fr. saillir (salire),
ital. pigliare, esp. prov. pillar, franç. piller (pīlare).
Le dialecte catalan présente cette particularité que (excepté
dans les mots moins usités ou venus de l'espagnol) l'l initiale se
190mouille partout, ainsi llansa, llengua, llibre, llog, llum. On
ne trouve en espagnol qu'un petit nombre de formes de ce genre ;
elles sont archaïques et dialectales, comme llegar Alx. (ligare),
llodo id. (lutum) 1108. Prov. par ex. : lhia (fr. lie), lhissar, lhivrar,
lhuna, etc. ; particulièrement dans G Ross, et GAlb. ; roumanche
glimma (lima), glinna (luna), glîsch (lux), etc.

6. Quand l se rencontre avec une consonne suivante en français,
elle se résout d'ordinaire en un u qui s'unit pour former un
seul son avec la voyelle précédente : aube (alba), auge (alveus),
chaud (cal'dus), jaune (galb'nus), faux (falsus), Meaux
(Meldæ), vieux (vet'lus vetls vels), yeuse (il'cem), coup (bas latin
colpus), soufre (sulph'r), château (v.fr. castels),
cou (cols), dans lesquels les cinq cas al, el, il, ol, ul sont représentés 2109.
Dans chommer (ital. calmare) et somache (salmacidus)
Dict. de Trév., au se cache derrière o 3110. En vieux français
cette forme, comme on peut s'y attendre, n'était pas encore
arrivée à dominer complètement : on écrivait anel, beals, col,
colchier, salvage, et encore maintenant l se maintient dans cheval,
métal, val, bel à côté de beau, scel à côté de sceau, fol à
côté de fou ; elle persiste encore dans les mots étrangers ou modernes,
comme altesse, balcon, belge, calfater, calme, falbala,
palme. La langue, dans sa période ancienne, faisait encore entendre
l là où plus tard il y eut u ; ce qui le montre, c'est par
exemple, dans la combinaison ancienne ldr, l'introduction de d
comme lien euphonique entre l et r, — voyez ci-dessous LR. Souvent
ll ou l ont été élidés : puce (pulicem), pucelle (pullicella*),
ficelle (fil'cellum), grésillon (pourgrel-cillon de gryllus),
pupitre (pulpitum). — En prov. cette métamorphose de
191l'l est dialectale et rare. Ainsi on trouve chivau, vau, mau,
reiau, tau (encore maintenant dans le Sud du domaine : animau,
fiu, lensou, etc., devant t et s seulement elle est fort
usitée à côté de la forme primitive : aut, caut, autre, beutat,
viutat, mout, avoutre (adulter), caussar (calciare), saus
(salvus), dous à côté de alt, calt. Il y a encore ailleurs des
traces de cette résolution. L'ital. topo est né de taupa talpa,
Ausa (nom de fleuve) de Alsa ; les anciens poètes ont autezza,
autro, auzare ; auna pour alna se trouve aussi, et pour plusieurs
dialectes la résolution de l'l en u est la règle (p. 76). Les
exemples espagnols (o de au) sont : coz (calx), escoplo (scalprum),
hoz (falx), otero (altarium), otro (alter), popar
(palpare), soto (saltus), topo (comme en ital.) ; au dans
autan arch. (aliud tantum), sauce (salix), sautus, dans des
chartes, pour saltus, anciennement avec consonnification de
l'u en b ou p abteza Bc, apteza Alx. pour auteza. Port.
outro, fouce (falx), poupar, souto soto, escopro, toupeira.
Dans le groupe LT, précédé d'un u, le portugais préfère i à u,
c'est-à-dire qu'il met ui au lieu de ou : buitre (vultur), escuitar
escutar
(auscultare), muito (multus), cuytelo (cultellus).
L'espagnol a aussi buitre, muy, toutefois dans escuchar,
cuchillo, mucho, puche (pultem), cet it devient ch ; cf.
ci-dessous à ct ; un exemple provençal de cette espèce est dans
Boèce, v. 10 aitre pour autre. Dans le pg. doce (dulcis) et
ensosso (insulsus, esp. soso) l (comme r devant les sifflantes)
paraît avoir disparu puisqu'il n'y a pas douce, ensousso. —
La résolution de cette liquide en u (tout à l'heure nous en constaterons
de même une autre en i) n'est pas inconnue dans de
pareilles conditions à d'autres domaines linguistiques. Cretois
αὐγεῖν, εὐθεῖν, θεύγεσθαι = grec ἀλγεῖν, ἐλθεῖν, θέλγεσθαι. Néerl.
oud, hout = haut-allem. alt, holz. Northumb. awmaist, awd
= angl. allmost, old. Serbe pisao pour pisal. Slov. moderne
dal, jolśa, prononcé dau, jouśa. La fréquence de ce phénomène
oblige à admettre un rapport intime entre l et u, rapport
qui ne se manifeste presque que dans le cas où la liquide cherche
à éviter la rencontre avec une consonne qui suit. 1111

LL. La gémination est sujette au mouillement beaucoup
192plus souvent que le son simple. Même chose se présente dans
nn (voy. ci-dessous). Nous avons vu au chapitre de l'hiatus la
tendance de l'i à s'agglutiner avec ces linguales palatales quand
il les suit immédiatement (figlio ingegno). Cette tendance devait
facilement amener, pour fondre la dureté de la double consonne,
l'insertion d'un i non étymologique. A côté du mouillement,
se produit la simplification de la consonne double et même sa
chute. Rarement en italien : argiglia, togliere, svegliere
(ex-vellere*), vaglio (vallus). Plus souvent ce gl est appelé
par un i final ; il tombe aussi quelquefois, comme dans capegli
capei
(capilli). — En espagnol le mouillement est la règle, la
simplification l'exception : arcilla, bello, bullir, caballo, cuello
(collum), ella, estrella (stella), fallecer, gallina, grillo,
meollo (medulla), muelle (mollis), pollo (pullus), centella
(scintilla), silla (sella), toller, valle, vassallo, villa, -illo
dans castillo, etc., anguila, capelo (it. capello), nulo, piel
(pellis), dans PCid. 1980pielle. — En portug. c'est au contraire
la simplification (phonétique, non graphique) qui est la
règle, le mouillement l'exception ; la syncope est usitée aussi
quelquefois : argilla, cavallo, collo, estrella, grillo, molle,
pelle, valle, villa ; galhinha, polha arch., centelha, tolher ;
anguia, astea, gemeo. — En prov. lh et l coexistent, mais
plusieurs mots, tels que anguila, argila, col (collum), estela,
gal, pel, pola, vila paraissent ne posséder que l'l simple. —
En français le mouillement est rare : anguille, bouillir, briller,
faillir. — Val. purcel, vetzel (vitellus) ; syncope fréquente,
comme dans cętzea (catella), criśtaiu (crystallum), gęinę
(gallina).

LR, dans quelques langues, insère un d euphonique (cf. ci-dessous
NR) ; esp. valdré pour valeré ; pr. aldres pour alres,
foldre pour fol're (fulgur), toldre pour tol're, Amaldric
pour Amalric ; fr. faudra pour fal'ra ; foudre comme le prov.
foldre, moudre pour mol're, poudre pour pol're polv're,
etc., même coudre pour col're (corylus, colrus). Notre baldrian
de valerianus et le hollandais helder pour heller sont
des produits tout à fait analogues. L'italien préfère l'assimilation :
corruccio, carrà, vorró pour colruccio, calrà, volró.

LC, voy. C.ML, voy. M.NL, voy. N.RL,
voy. R.

TL, CL, GL, PL, BL, FL. 1. Ces groupes sont d'une importance
particulière, car ils sont soumis sinon partout, du moins
dans les mots les plus populaires, à un traitement particulier
193qui tantôt modifie fortement le son originaire, tantôt l'efface
complètement. Voyons chaque langue séparément.

En italien les groupes ci-dessus, à l'initiale, résolvent d'ordinaire
leur l en i = j : chiaro (cl.), ghiaccio (glacies), piuma,
biasimare (blasphemare), fiamma. Quand l est déjà suivie
d'un i en latin, l'un des deux i disparaît en italien, p. ex. ghiro
(glirem), chinare (clinare), non ghiiro, chiinare ; on ne dit pas
acciaji, mais acciai 1112. Dans cavicchio (clavicula) l, dans Firenze
(pour Fiorenza) o a été élidé. Il est remarquable que les Romains
donnaient dans ce cas à l'l, ailleurs prononcée mollement, toute sa
plénitude de son : plenum habet sonum, dit Priscien, quando
habet ante se in eadem syllaba aliquam consonantem, ut
flavus, clarus
. Il semble que l'italien a cherché à adoucir ces combinaisons,
non pas en résolvant immédiatement l en i, mais en
ajoutant à l cette voyelle : de flamma on a tiré d'abord fliamma
ou fljamma, puis le mot plus commode fiamma. Cet écrasement
de la liquide en a amené finalement l'exclusion, que l'on retrouve,
dans quelques dialectes, même là où cette liquide était précédée
d'une voyelle (familla, familja, famija) ; voy. le groupe ital.
gli dans la deuxième section 2113. Le premier degré du développement
de ce son en italien (fliamma) est encore observable, comme
nous le verrons tout à l'heure, dans quelques dialectes. A la
médiale les formes sont de deux espèces. Ou bien on a la première
manière, déjà signalée, et qui consiste dans le redoublement
de la consonne : orecchia (auricula auricla), pecchia
(apicula), finocchio (fœniculum), nocchio (nucleus), stregghia
(strigilis), tegghia (tegula), coppia (copula), doppio
(duplus), fibbia (fibula), bibbia (biblia), soffice (supplicem),
inaffiare (in-afflare) ; de tl se forme d'abord cl, puis chi :
crocchiare (crotalum croclum), fischiare (fistulare), nicchio
194(mitulus), secchia (situla), teschio (testula), vecchio (vetulus),
mais spalla (spatula), sollo (soltulus*) ; les formes
siclus ou sicla et veclus remontent haut, cf. sicla DC, siccla
Gl. cass.
. ; veclus App. ad Prob., curte vecla Tirab. II, 17a
(a. 752), 33a 1114. Ou bien la liquide adoucie persiste, et la consonne
qui précède disparaît, procédé qui se présente souvent à côté du
premier dans le corps d'un même mot, mais qui ne s'exerce que
sur les groupes tl, cl, gl, pl : veglio à côté de vecchio, oreglia
orecchia
, caviglio cavicchio, spiraglio (spiraculum), cagliare
(coagulare), streglia stregghia, vegliare vegghiare
(vigilare), scoglio (scopulus) ; un exemple de bl est le nap.
neglia (nebula). — Plusieurs dialectes s'écartent nettement de la
langue écrite. Ils suppriment également la consonne, même initiale,
devant l, mais transforment l'i en une palatale dont la forme
propre (dure ou molle) est déterminée par la nature de la consonne :
Ci = it. chi : milan, ciar (chiaro), cepp (chieppa), s'cenna
(schiena) ; piém. cerich (chierico), ociale (occhiale), sarde
becciu (vecchio). Gi = ghi : mil. gera (ghiaja) ;piém. giaira
et aussi ongia (unghia). Chi =pi : nap. chiagnere, cocchia
(coppia), anchire (empiere), analogue ghi pour bi (ghiunnu
pour biondo) ; sic. chiaga, chianu, chiantu. Le dialecte valaque
du sud emploie aussi ce chi pour pi : chiale pour piale (pellis),
chiatrę (petra), chiaptine (pecten). Sci = fi : sic. sciamma
(fiamma), sciume (fiume), asciari (lat. afflare) ; nap. asciare
et acchiare.

La forme normale espagnole pour l'initiale (cl, pl, fl, à peine
gl) est ll, c.-à-d. l mouillée après la chute de la muette : llamar
(clamare), llave (clavis), llande (glans, Sanchez Gloss. de
Berceo), llaga (pl.), lleno (pl.), llano (pl.), llorar (pl.),
llover (pluere), llama (flamma). C'est seulement dans les dialectes
(léonais) qu'on trouvera, j et aussi le ch portugais : jamar,
jaga, jano, jeno ; chabasca (clava), chamar FJuzg., changer
(plangere) Alx., chanela (planus), chato (πλατύς, platt),
chopo (ploppus pourpōpulus), choza (pluteum ?), chus arch.
(plus). Chute de la muette devant l dure dans latir (fr. glatir),
lande (glans), liron (glirem), lácio (flaccidus), etc. La
195forme dominante de la médiale (tl, cl, gl, pl) est j, a peine
toléré à l'initiale : almeja (mytilus), viejo (vetulus), abeja
(apicula), corneja (cornicula), grajo (graculus), hinojo
(fœniculum), lenteja (lenticula), ojo (oculus), oreja (auricula),
piojo (pediculus), reja (reticulum), cuajar (coagulare),
teja (tegula), manojo (manipulus), ancien esp. enjir
(implere), ajar (afflare) ; plus rarement l'll correspondant à
l'ital. gli : viello FJuzg., abella, cabillon (clavicula),
malla (macula), sellar (sigillare*), uña pour l'imprononçable
unlla (ungula), escollo (scopulus), enxulla (insubulum),
chillar (sibilare), trillar (tribulare), sollar arch.
(sufflare), c'est-à-dire pour bl et fl. — Dans beaucoup de cas
aussi ch : cachorra (catulus), cuchara (cochlear), espiche
(spiculum), hacha (facula), mancha (macula), nauchel
(nauclerus), sacho (sarculum), ancho (amplus), henchir
(implere), inchar (inflare).

La forme portugaise normale pour l'initiale est ch, c.-à-d. un
j plus fort : chamar, chave, chaga, chão (planus), chato,
cheio (plenus), chorar, choupo ( = esp. chopo), chover
chumaço
(pluma), chus arch. (plus), chama (fl.), Chamoa
(Flammula) SRos., Chaves (Aquæ Flaviæ), cheirar (flagrare
pour fragrare). J dans jamar pour chamar SRos. ;
lh dans l'usuel lhano à côté de chão. A la médiale, à l'espagnol j
correspond ici lh : selha (situla), velho, abelha, cavilha,
colher (cochlear), gralho, joelho (geniculum), lentilha,
malha (macula), olho, orelha, piolho, relha, coalhar, telha,
unha pour unlha, manolho, escolho. Ch aussi a trouvé accès,
d'ordinaire quand n précède, comme dans facha (facula), funcho
(fœniculum), mancha, ancho, encher, inchar, achar (afflare).

En provençal l'initiale n'éprouve aucune modification. Remarquons
toutefois pus pour plus. A la médiale (dans tl, cl, gl,
pl) le mouillement seul a lieu : selha, vielh, aurelha,
falha, gralha, malha, olh, velhar, escolh (scopulus). Le
français se comporte comme le provençal, cf. seille, vieil,
oreille, graille, maille, œil, treille (trichila), veiller,
écueil ; chute de la muette dans loir (glirem), Lézer (Glycerius
Voc. hagiol.). Cependant nous devons enregistrer dans ce
domaine une particularité remarquable. Un dialecte franç. (celui
de Nancy) traite ce groupe, au moins initial, absolument comme
l'italien, par exemple : kié (fr. clef), kiou (clou), kinei (incliner),
piomb (plomb), biei (blé), fiamme, fio (fleur),
196onfié (enfler), cf. aussi Oberlin, Essai p. 98 1115. Dans d'autres
dialectes l n'est pas résolue, mais mouillée comme dans le valaque
méridional (voy. ci-dessous), c.-à-d. unie à i =j. Ainsi dans le
dial. de Metz, où l'on dit. : glioure (gloire), pliaiji (plaisir),
plien (plein), plionje (plonge), blianc, blié. Ainsi en normand :
cliocher (clocher), encliume (enclume), gliand,
bliond, fleu (flieur), etc.

Le valaque emploie seulement celle des résolutions de l'l qui
laisse intactes les consonnes précédentes ; il y joint quelquefois
l'élision de l'i. Ex : chiae (clavis), chiar (clarus), inchinà
(incl.), chiemà chemà (clamare), ghem (glomus),
ghiatzę (glacies), ghinde (glans), ghiocel (glaucion Lex.
bud.
), vechiu, curechiu (cauliculus), genunche (geniculum),
ochiu, ręnunchiu (ranunculus), urachie (auricula),
junghià (jugulare Lex. bud.), privegheà (pervigilare),
unghie (ungula). Le dialecte du sud a cela de particulier, qu'il
n'efface pas l devant i et dit en conséquence : cliáe, cliamà
(valaque du nord chiemà), glietzu (ghiatzę),gljinde, gliemu,
vecliu, genucliu, ocliu, ureclie, unglie.

2. Une autre modification du groupe en question est l'échange
de l et de r. Les exemples italiens sont : cristero, scramare
(excl.), sprendido, obriganza, fragello (déjà dans App. ad
Prob.
flagellum, non fragellum, cf. grec φραγέλλιον), affriggere,
à côté de clisterο, etc. — Espagn. ecripsado (ecl.) Canc.
de B.
, engrudo (gluten, dans Apol. est. 20 englut), praser
Rz.
, prazo Alx., preyto id., emprear Canc. de B. Plus
fréquent en port., comme cremencia, igreja (ecclesia), regra,
praga, pranto, emprir SRos., brando, nobre, fraco,
frouxo (fluxus). — En français plus rarement : cf. les ex.
déjà donnés plus haut, chapitre, épître et autres semblables.

3. Ici comme ailleurs, il arrive assez souvent que la forme
latine résiste à toute modification, par exemple dans l'ital.
clamore, clemente, gleba, plebe, blando, flagello, miracolo,
Ascoli (Asculum), Cingoli (Cingulum), plus fréquemment
dans les dialectes ; esp. claro, clavo, placer, floxo, flor, non
llaro, etc., arch. clamar, plorar, etc. ; Port. clamar (cramar
Gil Vic.), claro, planta, pleito, flavo, flor.

BL médial ; voyez sous B.197

M.

1. Cette lettre se transforme accidentellement : 1) en sa
voisine n. A l'initiale (d'ordinaire, quand la syllabe suivante
contient aussi une labiale) : ital. nespolo (mespilum), nicchio
(mitulus) ; esp. naguela arch. (magalia), nispero, v.esp.
nembro, nembrar (memorare) Alx. FJ. ; v.port. de même
nembro, nembrar SRos., Canc. ined., maintenant lembrar ;
fr. nappe (mappa), natte (matta), nèfle (mesp.) ; val.
nalbę (malva). Nespilum (d'où le v.h.all. nespil) est une forme
générale en roman, c'est-à-dire qu'elle appartient à la vieille
langue populaire. Cette transformation n'atteint pas l'm
médiale en italien ; au contraire l'm est même souvent redoublée :
commedia, dramma, femmina, fummo (fumiis),
scimmia (simia), amammo, udimmo, fummo (fuimus), etc.
Franç. daine (dama), d'où ital. daino. Val. furnicę (formica).
Ce changement de l'm est plus fréquent dans les combinaisons
mt, md, mph, voy. ci-dessous. — 2) Au changement
de l'l en la muette voisine d correspond celui de l'm en b :
(lat. scamellum scabellum, d'après Schneider, I, 229) lequel
b est à son tour transformé en v par le roman : ital. novero
(numerus), svembrare (membrum) ; v.esp. bierven (vermis) ;
franç. duvet (pour dumet). Le breton nous montre le
même phénomène dans nivera (numerare), gevel (gemellus),
palv (palma). En latin, le passage de l'm au v entre voyelles
n'a pas lieu.

2. La finale demande une attention spéciale. Quand m a déjà
cette position en latin, elle devient également n dans certains
monosyllabes : ital. con (cum), sono (sum), spene (spem ?) ;
esp. quien (quem), tan (tam), v.esp. ren (rem) ; prov.
ren, son (suum), quan-diu ; franç. rien, tan-dis ; dans les
inscriptions romaines con, quen, tan. Jam a partout perdu son
m, ital. già, etc. Mais dans les syllabes finales atones m n'est
pas tolérée ; elle est rejetée : on dit en ital. sette, nove, dieci,
unqua et de même dans les autres langues. Cela devait
d'autant plus facilement arriver que dans ce cas, déjà chez les
Romains, m avait un son sourd ou étouffé : m obscurum in
extremitate dictionum sonat, ut
templum, apertum in
principio, ut
magnus, mediocre in mediis, ut umbra (Priscien
555) 1116. Sur la chute complète, l'App. ad Prob., entre
198autres témoignages, remarque qu'on doit dire passim et non
passi, nunquam et non numqua, et ainsi de pridem, olim.
Dans les anciennes chartes on trouve nove, dece et d'autres
semblables 1117. Nous reviendrons sur l'm de flexion dans l'étude
de la flexion. Enfin quand m devient finale par la chute des
syllabes subséquentes, ce qui se présente seulement dans le
nord-ouest, elle conserve sa forme ou est remplacée par n : prov.
hom, com con (quomodo), flum, colom colon (columbus), nom
non
(nomen) ; franç. on, comme. — L'espagnol écrit dans les
noms bibliques n pour m : Adan, Abrahan, Belen, Jerusalen.

ML, MN, MR, groupes nés par la chute d'une voyelle, intercalent
d'ordinaire un b comme élément euphonique. Le cas se rencontre
surtout dans les langues occidentales. 1) ML, qui, en outre,
change souvent l en r, donne en it. mbr : ingombrare (cumulare),
sembrare (simidare) ; esp. semblar, temblar (tremulare*),
ancien nimbla pour ni me la PCid. ; Port. combro
et cómoro (cumulus), semblante sembrante ; prov.
semblar, tremblar ; franç. encombre, humble (humilis),
sembler, Gemble (Hyemulus), Momble (Mummulus),
Romble (Romulus) Voc. hag.2) MN. En ital. la voyelle
n'est pas syncopée ; on dit femina, lamina, et non femna,
lamna. Dans les substantifs terminés en n, cette lettre disparaît
d'après la règle, comme dans allume, fiume, lume,
nome, seme, strame, vime à côté de vimine. Quelques formes
secondaires présentent, il est vrai, la chute de l'n, ainsi dans
allumare, nomare, sur lesquels, du reste, les noms lume et nome
peuvent avoir réagi ; un cas décisif est lama pour lamina.
199Esp. avec changement de n en r : arambre (æramen),
cumbre (culmen), hembra (femina), hombre (hominem),
lumbre (lumen), nombre (nomen), sembrar (seminare),
mimbre (vimen), aussi hambre (fames), comme s'il y avait
un gén. faminis ; v.esp. habituellement lumne, nomne,
semnar, famne. Port. arame, hune, nome, nomear, presque
comme en ital. Prov. dombre et damri (dominus) Boèc. v.
143, sembrar (seminare) ; à côté aussi, il est, vrai, domna et
dona, omne et ome (homines), nomnar et nomar, semnar.
On trouve en v.fr. la forme lambre (lamina), d'où lambris. En
fr. mod. m'n devient m ou mm, et aussi n à la finale : allumer,
entamer (intaminare*), nommer, semer, charmer (carmen),
dame, femme, homme, lame (lamina), airain, essaim (examen),
étrein (stramen), nom. DansGembloux (Geminiacum),
mn est devenu d'abord ml, puis mbl. — 3° MR. It. membrare
(memorare), même quand la voyelle persiste entre m et r
comme dans bombero (vomer), gambero (cammarus). Esp.
cambra, cogombro (cucumerem), hombro (humerus), membrar,
gambaro, anc. combré pour comeré, par ex. PC ; port.
hombro, lembrar. Pr. cambra, membrar, nombre (numerus).
De même en franç. Cambrai (Camaracum), chambre, concombre,
nombre, et, avec changement de m en une n qui,
alors, demande d au lieu de b, craindre (tremere), épreindre
(exprimere), geindre (gemere). Dans marbre (marmor) et
aussi dans l'esp. marbol, Apol. 96, m a été absorbée par b. —
Ce traitement euphonique de ml et mr est d'ailleurs un phénomène
connu ; rappelons seulement ici le grec μέμβλεται pour
μεμέλεται, μεσεμβρία pour μεσημερία.

MN, quand il existe comme groupe originaire, reste intact
ou éprouve l'assimilation habituelle de l'm à l'n, comme en lat.
solemnis solennis, Garumna Garunna (Schneider I, 504,
Böcking dans Notit. Occ., p. 281), alumnus alonnus Murat.
Inscr. 1439, 7, b.lat. domnus donnus Bréq. n. 287, allem.
nemnan nennen, rarement de n à m comme dans columnella,
columella, scamnellum scamellum ; il ne subit jamais l'intercalation d'un b.
D'après Priscien, n avait dans la liaison mn un son
faible, ce que semble contredire l'assimilation nn. Ital. alunno,
autunno, colonna, danno, donno (domnus déjà lat.), inno
(hhymn.), ranno (rhamn.), sonno ; exception ogni (omnis),
id. baleno pour balenno (βέλεμνον). Esp. otoño, daño, doña,
sueño (ñ = ital. nn), columna, coluna ; Port. otono, dano,
dona, somno (pron. sóno). Prov. automne autom, colompna
200colonna, dampnar, domna, plus tard dona, som somelh
sonelh
. Franç. automne (pron. autonne), colonne, condamner,
Garonne ; m dans dommage (damn.), somme, dame.
Val. toamnę (aut.), doamnę, somnu, mais coloanę.

MT, MD sont habituellement exprimés par nt, nd. Ital.
conte (comitem), contare (computare), sentiero (semitarius),
circondare, ezian-dio (etiam deus). Esp. andas (amites),
conde, contar, duendo (domitus), senda (semita),
lindar (limitare), lindo (limpidus), circundar. Prov. avec
m ou n : comte, comtar, semdier, lindar. Franç. comte,
compte (computum), conter compter, dompter (domitare,
l'intercalation du p est un reste de la vieille orthographe),
sentier, tante (amita). Si un r précède, m peut disparaître :
dortoir (dormitorium), Ferté (firmitas), cf. aussi v.fr.
charroie pour charmroie.

MB, voyez au B.

MPH (grec) échange presque généralement m avec n : ital.
anfibio, anfiteatro, linfa, ninfa, sinfonia ; l'esp. comme l'it. ;
le portug. hésite, ninfa et nympha, etc. ; val. anfibię, ninfę,
sinfonie.

NM, voyez à l'N. — GM, voyez au G.

N.

1. La transformation de l'n en une autre liquide, particulièrement
en une linguale, est fréquente. 1) En l, à l'initiale :
esp. Lebrija (Nebrissa) ; v.portug. lomear (nominare),
Lormanos (Normanni) ; franç. Licorne (unicornis), v.
franç. lommer ( = portug. lomear) G. d'Angl. A la médiale :
ital. Bologna (Bononia), Girolamo (Hieronymus), meliaca
(armeniaca), Palermo (Panormus), témolo (thyminus),
veleno (venenum) ; esp. Antolin (Antoninus), Barcelona
(Barcinon), calonge (canonicus), timalo, et quand la consonne
a été rapprochée de l'n : comulgar (communicare), engle
(inguen) ; v.portug. Deliz (Dionysius), icolimo (œconomus) ;
franç. Châteaulandon (Cast. Nantonis) Voc. hagiol.,
orphelin (orphanus), velin arch. (ital. veleno). — 2) En r :
ital. amassero (amassent) ; Port. sarar (sanare) ; prov.
casser (quercinus*), froisser (fraxinus) GRos., Rozer
(Rhodanus), veré (ven.) ; val. fereastrę fenestra. Plus
fréquemment quand une consonne en a été rapprochée, comme
l'esp. sangre (sanguinem) ; prov. cofre (cophinus), margue
201(manica), morgue (monachus) ; franç. coffre, diacre
(diaconus), Chartres (Carnŏtis Charntes Chartnes), Langres
(Lingŏnes), Londres (London), ordre (ordinem),
pampre (pampinus), timbre (tympanum). Voyez d'autres
exemples à MN et à NM. — 3) En m : esp. mastuerzo
(nasturtium), mueso (pour nuestro), cf. marfil (arab. nabfil) ;,
franç. venimeux (pour venineux), charme (carpinus),
étamer (de stannum). Principalement devant p et b, comme
en latin, mais aussi devant v qui, alors, se renforce en b : v.
esp. ambidos (invitus) ; prov. amban (pour anvan), emblar
(involare), v.fr. embler.

2. N est souvent exposée à tomber, surtout en portugais, où
d'ordinaire, entre voyelles, elle éprouve ce sort aussi bien dans les radicaux
que dans les suffixes, par ex. alhêo (alienus), arêa (arena),
boa (bona), cadêa (catena), cêa (cœna), çœlho (cuniculus),
geral (generalis), lua (luna ; Lus. 9, 48 luma : nenhuma),
miudo (minutus), moeda (moneta), pessôa (persona), pôr
(ponere), saar (sanare), semear (seminare), soar (sonare),
ter (tenere), vaidade (vanitas), vêa (vena), vir (venire).
Santa Rosa signale encore deostar, diffir, dieiro, estrayo, fiir,
meior, moimento, pea pour dehonestar, diffinir, dinheiro,
estranho, finir, menor, monumento, pena. Ce trait du portugais
lui est commun avec le basque avec lequel il offre, d'ailleurs,
moins d'analogies que l'espagnol. Exemples du dialecte
de Labour : khoroa (corona), ohorea (honor), lihoa (linum),
pergamioa (esp. pergamino), camioa (camino). N persiste
dans abominar, feno (fœnum), fortuna, honor, menos,
minimo, mina, pagina, etc., humano, lusitano, romano ;
régulièrement dans le suffixe inus : divino, matinas, peregrino,
rapina, resina, ruina, souvent avec une h destinée à
renforcer n pour empêcher son élision : adevinho, caminho,
farinha, rainha (reg.), sobrinho, bainha (vag.), visinho
(vic.), anc. portug. Cristinha, Martinho, determinhar
FTorr., ordinhar FMart., encore à présent ordenhar ; esp.
muñir (monere), ordeñar, rapiña. — Le valaque emploie la
syncope devant i palatal (voy. ci-dessus p. 108). Devant les
consonnes elle est partout usuelle, surtout devant s (voy. ci-dessous
NS), mais aussi devant d'autres, par ex. v.esp. portug.
comezar pour comenzar (com-initiare) ; prov. macip (mancipium) ;
franç. escarboucle (carbunculus) ; ital. cochiglia,
franç. coquille, esp. coquina (conchylium) ; val. cętrę
(contra). Devant les labiales : prov. efan (inf.), efern (inf.),
202evers (inv.), coven (conventus), franç. couvent. — Quand n
latine devient finale par le rejet d'une terminaison, le dialecte
provençal maintient indifféremment ou laisse tomber cette n :
asne ase (asin-us), ben be (ben-e), chanson chanso (cantionem),
joven jove (juven-is), man ma (man-us), ten te (ten-et).
Le catalan laisse toujours tomber l'n, ex. : cansó, jove et non en
même temps canson, joven. Même chose se produit dans les patois
du nord de l'Italie, dans lesquels, p. ex., l'it. paragone, lontano
s'abrège en paragù, luntà. Voyez Biondelli, Saggio, 6, 195.
En franç. n finale tombe, mais seulement après r : ainsi dans
chair (carn-em), jour (diurn-um), four (furn-us) = prov.
carn, jorn, forn ; dans Béarn n est muette 1118. L'n finale latine
tombe dans les mots vraiment romans ou doit prendre une autre
forme : ital. nome, lume, esp. nombre, lumbre, cependant
anc. esp. nomne, lumne. Le monosyllabe in garde sa consonne
partout ; il n'en est pas de même de non.

3. Un autre phénomène bien plus important est celui par
lequel cette liquide disparaît comme son articulé, mais non sans
communiquer quelque chose de sa nature à la voyelle précédente
pour la rendre nasale. On le trouve au sud et au nord-ouest,
aussi bien que dans l'est, mais partout partiellement : en Portugal
et non en Espagne, en France et non en Provence, dans
une partie de la Haute-Italie et non dans les autres contrées
ni en Valachie. Il n'y a pas à chercher la cause de ce phénomène.
Il n'était pas préparé par la prononciation latine de l'n, même pas
par celle de l'autre nasale m, puisque dans les cas où cette dernière
était prononcée sourdement, c'est-à-dire à la finale, elle
est presque toujours tombée en roman. On retrouve le même
développement de sons dans certains patois allemands, qui
prononcent la préposition an presque comme le substantif français
an, lohn presque comme le français long. Le breton fait
de même, non-seulement dans les mots français, mais encore
dans les siens propres. Nous traiterons ce sujet à propos de
chaque langue, dans la section II. Pour ce qui est du français,
la chute (observée ci-dessus § 2) de l'n finale dans la combinaison
RN est due à ce que la nasalité n'était pas applicable ici ; la
persistance de cette n en provençal est la plus forte preuve que
cette langue conservait à l'n finale son pur son lingual.

NN peut s'affaiblir en nj, comme ll en lj. En italien beaucoup
203plus rarement que pour ll, dans grugnire (grunnire). Plus
fréquemment en esp. : año, caña, cañamo (cannabis), gañir
(gannire), gruñir, paño, peña (pinna). Portug. canhamo,
grunhir, penha, à côté de cana, panno, penna, tinir. Prov.
anhir (hinnire), gronhir. En français il n'y a peut-être pas
d'exemples, car grogner se rapporte à grunniare, pignon
à pinnio. — Il est remarquable que cet affaiblissement s'étend
parfois aussi à l'initiale : ainsi en ital. gnacchera (esp. nacar),
gnocco ignocco, gnudo ignudo, milan. gnerv, gnucca, vénit.
gnove (nove), gnissun (nissuno), etc. ; esp. ñoclo (nucleus ?),
ñublo (nubilum), ñudo (nodus).

NL est sujet à l'assimilation comme en latin : manluvium
malluvium
, unulus ullus, vinulum villum. Ital. culla
(cunula cun'la), ella (enula), lulla (lunula), mallevare
(manlevare*), pialla (planula*), spillo (spinula) ; esp. ala,
(ital. ella) ; prov. malevar manlevar, Mallios (Manlius)
Boèce ; franç. épingle (spinula), g intercalé.

NM. Dans ce groupe, n devient tantôt l ou r ; tantôt aussi
elle disparaît. Ex. : ital. esp. portug. alma, prov. arma, franç.
âme (anima) ; val. mormint (monumentum) ; esp. prov.
mermar (minimare*) ; anc. franç. almaille (animalia,
maintenant aumailles), franç. mod. Jérôme (Hieronymus).

NR. De même que b s'insère entre m et une liquide, t entre
s et r, de même d s'insère entre n et r, l et r (voy. LR),
mais non dans toutes les langues romanes. Ainsi dans l'italien
spécialement l'assimilation est seule admise, comme dans
maritto (pour manritto), porre (ponere), terrò (pour
tenerò), et seulement dans des cas isolés. Un exemple de nr
est la forme archaïque, bien connue par Dante, onranza, dans
beaucoup d'éditions orranza. — L'espagnol intercale un d au
futur de certains verbes : pondré, tendré, vendré au lieu de
ponré, etc. ; ondra, ondrar (honorare) PCid. Alx. est archaïque
pour la forme usitée honra, honrar. L'espagnol emploie aussi
l'interversion : yerno (gener), tierno (tener) et les formes
secondaires porné, terné, verné ; donc trois formes, nr, rn,
ndr. Le portugais les connaît aussi toutes les trois : genro,
honrar, tenro et terno, mais anc. hondrar, pindra (pignora).
— En provençal nr et ndr sont des formes du même mot,
aussi trouve-t-on cenre cendre (cinerem), honrar hondrar,
etc., même sendre (cingere). — Le français emploie le plus
souvent l'intercalation : cf. cendre, gendre, Indre (m.lat.
Anger), moindre (minor), pondre, semondre (summonere),
204tendre, vendredi, tiendrai, viendrai, dans les serments
sendra (senior) d'où sire, comme térin tarin de tendre ;
avec expulsion du g : ceindre (cingere), feindre, enfreindre,
peindre, plaindre, poindre, astreindre, oindre. L'ancienne
langue employait aussi l'assimilation : ainsi dans dorroit pour
donneroit, merra pour menera. Nr persiste par ex. dans
genre (genus), denrée, tinrent, vinrent. — En valaque la
forme latine persiste : ginere (gener), onorà, punere. —
Nous savons, du reste, que l'intercalation est familière à d'autres
langues, par ex. grec ἀνδρός pour ἀνερός, σινδρός pour σιναρός,
allem. fähndrich, Hendrich, néerland. schoonder pour
schooner.

ND, voyez au D.

NS (, nz) admet la syncope de l'n : c'est la continuation de
l'usage romain qui se présente à nous dans mesa (Varron, L. L.
5, 118), consposos (dans Festus), iscitia (ins.) dans Flav. Caper
(Putsch 2246), cosol, cosolere, cesor, mesis, impesa, Eboresi,
Viennesis dans des inscriptions de dates différentes,
Schneider I, 458. Ex. : ital. Cosenza (Consentia, déjà Cosentia
in Pollano titulo
, plus tard aussi dans Jornandes), Costantino
(Const.), costare (HPMon. n. 102), isola, mese, mestiero
(ministerium), mostrare, pigione (pensio), speso (expensus),
sposo, trasporre (transponere), Genovese et autres
ethniques. — Esp. asa (ansa), costar, dehesa (defensa, Yep.
I
, num. 8 defesa), esposo, isla, mesa (Yep. V, n. 22 de
l'an 978), mes, mostrar, seso, tieso (tensus), tras (Esp. sagr.
XXXIV, 446 de l'an 917), tusilla (tonsilla) mentionné par Isidore,
mais qui ne se trouve plus, Vicente (Vincens, Vincentius),
Genoves, etc. ; Port. defesa, ilha, mesa, etc. — Prov. bos
(bonus bons), ces (census), coselh, coser (consuere), costar,
defes, despes (dispensus), espos, isla, maiso (mansio), mes,
mestier, mostrar, ses (sens, lat. sine), tras, Genoes, etc. —
Franç. coudre, coûter, époux, isle, maison, mois, métier,
Génois. — Val. cuscru (consocrus), des (densus), masę
(mensa). — D'autres langues aussi admettent cette syncope,
par ex. goth. mês (lat. mensa ?), Kustanteinus (Const.) ;
angl.-sax. gôs (gans, oie) ; v.sax. fus (funs), etc. — Le roman
n'admet pas l'assimilation, comme dans le latin passus pour
pansus, messor pour mensor (Orell.).

NC, voyez au C.

NG. Si n est suivie de a, o, u, devant la gutturale g, elle reste
aussi gutturale, c'est l'n adulterinum : ital. lingua, lungo,
205piango, etc. Suivie de e ou i, comme alors le g s'affaiblit en j ou
prend sa prononciation romane, n devient linguale : voy. NG
sous G.

MN, voyez M. — GN, voyez G. — PN, voyez P.

R.

1. Nous verrons ci-dessous, dans la deuxième section, que
cette lettre, dans quelques langues romanes, a reçu deux prononciations.
Les grammairiens romains ne nous disent rien de pareil
sur l'r en latin.

2. On constate, dans des changements communs à toutes les
langues romanes, la permutation entre les sons linguaux liquides
l, n, r.qui se présente partout dans le domaine indo-européen (Bopp,
Vergleich. Gramm. I2, 35, trad. Bréal, I, p. 58). 1) R devient
l. Initiale : it. lacchetta (pour racchetta). Médiale : it. albero
(arbor), alido (ar.), Catalina, celebro (cerebro), ciliego (cerasus),
mercoledi (Mercurii dies), pellegrino, prevalicare,
remolare, salpare (pour sarpare), scilinga (syrinx), Tivoli
(Tibur), svaliare (pour svariare), veltro (vertragus). Esp.
alambre (æramen), almario (arm.), ancla (anchora), Catalina,
celébro, miercoles, plegaria (precaria), roble (robur),
silo (sirus), taladro (τέρετρον), templar (temperare), tinieblas
(tenebræ). V.portug. alvidro (arbiter), aplés (pour
aprés), semple (semper). Prov. albire (arbitrium), albre
(arbor), Alvernhe (Arvernia), citola (cithara), flairar
(fragrare), veltre. Franc. Auvergne, flairer arch., Floberde
(Frodoberta) Voc. hag. Val. alcam (arcanum), tųmple
(tempora). L'App. ad Prob. marque que l'on doit prononcer
terebra non telebra ; cf. λείριον et lilium. A la finale, l'espagnol
aime à employer l pour r, ex. carcel, marmol, papel (papyrus),
vergel (viridarium). Un exemple français est autel
(altare). — 2) On trouve rarement le passage d'r en n comme
dans l'ital. argine (agger), centinare (cincturare*), Sinno
nom de fleuve (Sirus) ; en esp. arcen (agger) ; en valaque
cununę (corona), suspinà (suspirare). — 3) L'ital. échange
assez facilement r avec d : armadio, Bieda (Blera), chiedere
(quærere), contradiare (pour contrariare), fiedere
(ferire), intridere (interere), pórfido (porphyrus), proda,
rado. La dissimilation doit avoir joué ici son rôle, puisque
presque tous les primitifs contiennent deux r ; la substitution
du d est particulière à cette langue et paraît se présenter, dit-on,
206aussi dans l'osque. Sur une s française tirée de r, voy. à la
lettre S, § 3.

3. R est de toutes les consonnes la plus mobile, en quoi elle
se peut comparer aisément aux voyelles. Les consonnes
initiales, surtout t et f, aiment à l'attirer à elles, non-seulement
quand elle se trouve dans la même syllabe, mais encore quand elle
a sa place dans l'une des suivantes. Cette attraction peut aussi
être exercée par une consonne médiale. Ital. drento (pour dentro),
frugare (furca), granchio (cancer), strupo (stuprum),
Trieste (Tergeste), Trivigi (Tarvisium) ; leggiadro (pour
leggiardo), vipistrello (vespertilio). Esp. cralo (clarus),
estrupo (stupr.), fraguar (fabricare), ogro (orcus), preguntar
(percontari), trujal (torcular), yerno (gener). Port.
fragoa (fabrica), fremoso arch. (form.), fresta (fenestra).
Prov. cranc (cancer), presega (persica), trempar (temperare),
trolh (torculum). Franc. Brancas (Pancratius) Voc.
hag
., brebis (vervex), breuvage (prov. beuratge), Fréjus
(Forum Jul.), fromage (pour formage), tremper, treuil,
troubler (turbulare*), v.franç. bregier (berger), estreper
(exstirpare), fremer, hebregier. Valaque crap (b.lat. carpa),
frementà (ferm.), frimbie (fimbria), frumós (form.) —
Mais parfois, au contraire, l'r s'écarte de l'initiale : ital. coccodrillo
(b.lat. cocodrillus Vocab. opt., p. 45), farnetico
(phren.), formento (frum.), Palestrina (pour Pralestina ?
lat. Præneste) ; esp. cocodrilo, corchete (franç. crochet),
escudriñar (scrutinium), pesebre (præsepe), quebrar
(crepare), v.esp. estormento (instrum.) Canc. de B. ; port.
costra (crusta), v.port. desperçar (dispretiare*) ; prov.
Durensa (Druentia). Dans les dialectes la transposition de l'r,
qui est un phénomène connu dans d'autres langues, comme le
grec, le latin et l'allemand, est extrêmement habituelle. En particulier,
le cas le plus fréquent est le changement de place de r
initiale avec la voyelle suivante ou réciproquement de la voyelle
initiale avec r, p. ex. bologn. arsolver (ris.), arsponder (risp.),
piém. arcapitè (ricapitare), arport (rapp.) ; mais aussi dans
l'it. écrit arcigno (fr. réchin), arnione (roignon), Orlando
(Roland) comme en b.lat. Ortrudis pour Rotrudis Voc. hag.,
orliqua (reliquia), ramolaccio (armoracia), rubiglia (ervilia).
De même en picard ercanger (rechanger), erfiker (reficher),
ernir (revenir) 1119.207

4. La chute de cette liquide entre des voyelles s'est à peine
produite. Il semble qu'on en ait des exemples dans l'it. dietro pour
diretro, et prua pourprora ; mais ici r a disparu par euphonie ;
drietro surtout aurait été insupportable. On remarque en outre
cette chute dans quelques désinences qui paraissent avoir été modifiées
par analogie avec d'autres : battisteo Par. 15, 134, romeo,
scaleo scalea pour scalero scalera Purg. 15, 36, 12104. Dans
aja (area), foja (furia), Pistoja (Pistoria) ou le val. intųiu
(anterius), coaie (corium) r ne disparaît pas entre voyelles,
mais devant j. En espagnol même chose se produit quelquefois
devant j et devant ch : sobejo (superculus*), macho (marculus),
sacho (sarculum). La chute assez fréquente après une
forte est générale en roman : italien arato (aratrum),
cugino (consobrinus consrin), deretano (retro), Piperno
(Privernum), propio (proprius) ; esp. canasta (canistrum),
quemar (cremare), temblar (tremulare*) ; Port. rosto, etc. ;
prov. ganré ( = gran re) ; valaq. corastę (colostra), rost
(rostrum), tunet (tonitru). Mais il arrive aussi souvent, et
même plus fréquemment, que l'r est attirée par une forte, voy.
la IIe section. L'apocope n'est pas non plus sans exemple. Ital.
cece (cicer), frate, mate Dante De vulg. eloq. 2, 7, pate,
moglie (mulier), pepe (piper), preste (presbyter), sarto
(sartor), suora (soror). Esp. frai, maese (magister), nueso
(noster) ; Port. frai, mãi, pai, goto (guttur). Prov. senh
(senior), d'où le cat. mosen = franç. monsieur, de même
prov. Pey pour Peyr d'après Leys d'am. II, 188. Franc.
chiche (cicer), Oise (Isăra), Trèves (Treviri), toutefois dans le
dernier ex. r paraît être tombée devant s (Treviris ou Treviros,
Trevirs) ; dans le langage vulgaire mette pour mettre, rende
pour rendre et semblables. Val. frate, sorę. Dans quelques cas
la chute de l'r entraîne aussi un t précédent. Ce sont surtout les
expressions désignant la plus proche parenté qui sont soumises
à ces abréviations.

Dans RL la première liquide s'assimile à la deuxième dans
quelques cas d'enclise : en it. costallo pour costar lo, pel pour
per il, esp. hazello pour hazer lo, port. amallo pour amar lo.
Rapprochez-en le v.fr. Challon, mellan, paller à côté de
Charlon, merlan, parler, franç. moderne chambellan ; cf.
208lat. pellucidus de perlucidus. Mais Challon renvoie directement
à l'ancien norois Kall de Karl.

RS comme NS éprouve souvent la syncope de la liquide. C'est
encore simplement la continuation d'une habitude linguistique du
latin, qui s'exprime p. ex. dans haesi, hausi, dans les composés avec
vorsus, comme prosa, retrosum, susum (Schneider, I, 471),
introsus (Orell. 4034), rusus pour rursus Class. auct. VII,
578, et avec assimilation dans dossum (sic et dossum per duo s
quam per
r dorsum quidam ut levius enuntiaverunt Vel.
Long. Putsch 2237), dossuarius dans Varron, Sassina
pour Sarsina. Ex. : ital. dosso, ritroso, suso comme en latin,
muso (morsus), pesca (persica). — Esp. avieso (aversus),
traves (transversum, travessas Yep. IV, n. 29, année 791),
vieso, arch. (versus) Bc. Apol., suso, mais dorso, non doso ;
ajoutez coso (cursus), mueso (morsus), oso (ursus) ; port.
avesso, travesso, pecego (it. pesca), pessõa (persona. —
Prov. dos et dors, ves (versus prép.). — Franç. dos, dessus,
pêche, aussi chêne pour chersne (quercinus*). — Val. dos.

RC voyez sous C.

LR et NR intercalent un d pour adoucir la prononciation,
comme nous l'avons vu en parlant de L et N. Le groupe RR
résultant d'une syncope emploie le même procédé, comme dans le
pr. aerdre (adhærĕre pour -ēre), franç. sourdre (surgere
sour're
), tordre (torquĕre tor're pour -ēre), qui rappellent le
néerl. meerder de meerer ou le cimbrique jardar de jarar
(jahre).

MR voy. M.NR voy. N.TR voy. T.DR voy. D.
SR voy. S.BR voy. B.

T. TH.

Dans th, comme dans ch et ph, l'aspiration disparaît ; d'où il
suit que th équivaut à la forte même dans les mots que les
langues néo-latines ont immédiatement tirés du grec : it. tallo
(thallus), torso (thyrsus), spitamo (σπιθαμή) ; mais avec
d Adige (Athesis), endica (ἐνθήκη). — Initial, t persiste
partout. A la médiale il est diversement traité. En ital. la forte est
de règle : abbate, acuto, state (æstatem), amato, carota,
fato, frate, lieto, loto (lutum), mutare, nepote, salute,
sentito, vita, voto. Elle est redoublée dans bottega (apotheca),
battere, bettola (betula), brutto, cattedra, cattolico, cetto
(cito), legittimo, putto, tutto. Par exception on trouve aussi
209la douce, parfois à côté de la forte : ainsi dans badia (abbatia),
budello (botellus), contado (comitatus) en contradiction
avec ducato, et dans contrada, imperadore, lido (litus),
madre, paladino, padella, padre, spada, strada. La douce
est beaucoup plus usitée dans les dialectes. Elle se redouble dans
soddisfare (satisfacere), ce dont il n'y a pas un second exemple 1120.
— L'espagnol préfère décidément la douce : agudo, amado,
condado, dedo (digitus) ; emperador, lodo, madre, miedo,
mudar, padilla, padre, rueda, saludar, sentido, espada,
estrada, todo, vida. Dans différents mots, la plupart d'origine
récente, t persiste aussi : abeto (abietem), absintio, agitar,
aparato, apetito, astuto, betun, bruto, cariota, cicuta
(anc. ceguda), grato, gritar (quiritare), habitar, incitar,
infinito, irritar, lite à côté de lid, margarita, meritar,
meta, nepote, notar, planeta, poeta, quieto à côté de quedo,
recitar, refutar, secreto, seta à côté de seda, visitar, voto.
Remarquons un ex. de syncope, trigo (triticum). Le Port.
comme l'espagnol. — Le provençal, lui aussi, préfère de beaucoup
la douce : aguda, amada, budel, cadena, cridar, leda, margarida,
menuda (minuta), mudar, padela, poder, pudir
(putere), sadol (satullus), saludar, seda, sentida, vedel
(vitellus), vodar (votare*). La chute de ce d, comme dans
puor pour pudor, tuar pour tudar, via pour vida, est rare et
dialectale. Mais quelquefois, et même dans des mots tout à fait
populaires, ici encore la forte a remporté la victoire sur la
douce, cf. beta, betun (bitumen), citar, dotar, fatigar, litigi,
lutos, matin (certainement de matutinus mat'tinus), matrona,
metal, meitat (medietas), natura, nota, potestat, titol,
tota, tutela, util, vital à côté de vidal. — En français le d
commun à la branche romane occidentale, et que l'on retrouve
dans les anciens monuments, disparaît : on dit par ex. aimée,
finie, soucier (sollicitare), roue (rota), vouer, arguë,
menue, puer, saluer, pouvoir (anc. pooir), veau (veel),
Bourges (Bituriges Boorges), Châlons (Catalauni Chaal.),
chaîne (catena caena), aurone (abrotanum, avec chute de la
syllabe ta), plane (platanus, de même). Dans plusieurs cas, il
faut admettre l'insertion d'un i euphonique après la chute de t,
cf. ci-dessous TR : boyau (botellus boellus boiel), craie
(creta crea creia), délayer (dilatare dilaer). Un très-petit
210nombre seulement de mots vraiment français, comme aider
(adjutare), coude (cubitus), plaider (placitare) tolèrent la
douce. Brigade, cascade, estrade, parade, salade, bastide
et d'autres noms tirés de verbes sont étrangers. La persistance
de la forte est bien plus fréquente, et elle a lieu, non pas seulement
dans les mots (savants) soustraits aux lois phonétiques,
mais encore dans d'anciens mots populaires. Voici des exemples
de différentes sortes, quelques-uns avec redoublement du t :
battre, bette, blette (blitum), boutique (ital. bottega), brutal,
carotte, citer, coutume, dette (debita), diète, disputer,
éviter, fuite, imiter, ingrate, interprète, jatte (gabata),
mériter, minute, motif, nette (nitida), noter, quitte (quietus,
v.fr. coi), planète, poète, réfuter, suite (b.lat. sequita),
toute, visiter, voter à côté de vouer. Il est vrai que dans
plusieurs d'entre eux, comme beta, blitum, noter, tota les formes
seraient devenues trop courtes. — Le valaque garde la forte :
frate, inperat, lęudatę, mutà, sete (sitis), spatę ; d dans
sad (satus). — On trouve de très-bonne heure quelques
exemples de l'affaiblissement de t en d. Ainsi dans des inscriptions :
limides pour limites, Badaus pour Batavus (Schneider
I, 255), iradam pour iratam (142ap. J.-C.) Orell. num. 2541.
Fréquent dans les chartes surtout franques, par ex. mercado,
strada, quarrada Bréq. n. 69, podibat Mar. p. 100 (de l'an
657), terridoriam HPMon. n.. 15 (de l'an 816), etc. ; lidus
pour litus dans les mss. de la L. Sal.

La finale latine dans les mots et, aut, caput n'est conservée
nulle part : ital. e, o (devant les voyelles ed, od), capo, etc.
Dans la conjugaison, les langues du nord-ouest seules la conservent,
et encore avec des restrictions ; voy. ci-dessous au
chap. de la flexion. Le t devenu final par apocope comme dans
beltat, virtut, amat, vestit est supprimé par la langue italienne
quand elle ne conserve pas la voyelle suivante : beltà, virtù,
amato, vestito. L'espagnol échange la forte avec la douce
comme à la médiale : abad (abbatem), ciudad (civitatem),
lid, red, sed (sitis), salud, virtud, amad (amate) ; les anciens
écrivaient encore abat, beltat, cidat. Le portugais ne supporte
jamais ce t, il dit : abade, cidade, lide, rede. En provençal la
forte reste intacte : abat, beltat, salut, amat, vestit ; seul le
vaudois la rejette habituellement comme dans salvá, trinitá,
offendú. Sur c pour t au parfait (mordet, mordec) voy. la
Flexion. Le franç. n'aime pas le t final et le rend généralement
muet là où il l'écrit. Il ne l'écrit du reste que dans un petit
211nombre de mots anciennement usités comme dot, esprit, fat,
lit, tout ; fréquemment dans des mots récents ou étrangers comme
ingrat, délicat (ancienn. delié), légat, soldat, mandat, appétit,
crédit, débit, dévot, brut, institut. Mais dans les désinences
at, it, ut, la forte disparaît complètement : ainsi dans duché,
gré, aimé, abbé, cité, parti, vertu (mais cependant salut),
écu, aigu, menu, glu. Dans soif (sitis) t semble avoir subi un
changement singulier en f. Yoy. sur ce point Dict. Etymol. II.
3me édit. Le valaque supporte t à la finale : cųntat, vindut, auzil.

2. Devant i ou e atone suivi dans la même syllabe d'une
autre voyelle, t devient z = ts, qui prend une différente forme
d'après le caractère de chacune des langues. C'est dans la nature
de l'i palatal, qui se rapproche du j, qu'il faut chercher la raison
de ce changement en une sifflante. Ital. grazia, avarizia,
palazzo ; cc de t, ct, pt : Lecce (Aletium), docciare (ductiare*),
succiare (suctiare*), cacciare (captiare *), conciare
(comptiare *), et aussi zz, comme dans frizzare (frictiare *),
nozze (nuptiæ). Esp. gracia, nacion, palacio, dureza,
cazar. Prov. gracia, razo, chanso, cassar. Franç. grâce,
nation, justesse, sucer, chasser. Voyez ci-dessus au chapitre
de l'hiatus, où sont indiquées d'autres formes qu'a prises ce
groupe. Ce développement phonique de ti ou tj s'observe déjà
dans les vieilles langues italiennes, qui présentent pour la désinence
tio aussi bien sio que so avec disparition de l'i. La langue
populaire latine des bas temps en fournit de nombreux exemples.
D'après un grammairien du Ve siècle on prononçait etiam comme
eziam (it. ezian dio). Isidore dit ; cum justitia z litteræ sonum
exprimat, tamen, quia latinum est, per t scribendum est
sicut militia
. Dans une charte gothique de Ravenne, probablement
du commencement du VIe siècle, donc bien antérieure à
Isidore, kavtsjôn = lat. cautionem présente ts pour t ; pour
Ulfilas, au contraire, lectio sonnait encore laíktjô, et non
laíktsjô. Dans des chartes des VIe et VIIe siècles, également de
Ravenne, il y a des exemples comme δοναζιονεμ, δονατζιονες, ακτζιο
pour le latin donationem, donationes, actio. L'App. ad
Prob.
défend de prononcer Theophilus comme Izophilus,
c.-à-d. teo comme zo, ce qui se faisait donc. Aussi ce i est-il
de bonne heure rendu par s : alterchassiones HLang. I, 99
(de l'an 852), concrecasione 124 (873), nepsia pour neptia
Ughell. III, 35 (898). — En roman, t devant i tonique, suivi
d'une voyelle, du moins dans les mots grecs, subit la même
règle de prononciation : it. profezía, esp. democracía, franç.
212aristocratie ; it. Milzíade, esp. Milcíades, franç. Miltiade.
On peut ranger en outre dans le même cas : it. zio (thius, θεῖος),
val. inpęrętzie, esp. Macías (Mathias), fr. populaire Macé
(Matthæus) Voc. hag. Mais l'assibilation se produit aussi
sans que la présence d'une deuxième voyelle soit nécessaire.
Ital. abete, abezzo (s'il ne vient pas plutôt de abietus *), rotolare
ruzzolare
, Forenza (Forentum). Esp. gonce, port.
gonzo (contus ?), particulièrement dans le suffixe azgo =
alicus, à côté de adgo : consulazgo consuladgo, etc. Prov.
Bezers (Biterræ, Biterris), espaza (spatha), mezeis (metipse),
lampreza (lampreta *), palazi (palatinus). Franç.
seulement l'arch. palasin. En val. très-souvent tz même à
l'initiale : tzineà (tenere), tzarę (terra), tzest (testu), tzie
(tibi), intzeles (intellectus).

Le groupe TT ne donne pas de douce. Ital. gatto (cattus
catus
), ghiotto (gluttus, cf. gluttire), gotta (gutta), matta,
mettere, quattro, saetta. Esp. gato, gloton, gota, meter,
quatro, saeta. De même prov. catal., etc., franç. chat, glouton,
goutte, goître (guttur), mettre, quatre. Même règle
dans les composés comme attendere, attestare.

TL voy. sous L.

TR médial. L'italien dans ce groupe incline un peu plus vers la
douce, cf. padre, madre (mais frate, et non fradre), adro
Purg
. 30, 54, cedro (citrus), ladrone, nudrire. Le prov.
va plus loin que d'habitude ; il syncope t et comble la lacune par
un i euphonique d'où naissent des diphthongues : on doit supposer
ici l'intermédiaire dr (fradre, etc.). On pourrait poser
comme degré intermédiaire la vieille forme paer (que l'on trouve
dans certains textes), où la diphthongue ai n'apparaît pas
encore achevée ; on en rapprocherait alors traire de traer.
Il est difficile d'admettre que l'i provienne de t : ces deux
sons sont trop étrangers l'un à l'autre ; les grammairiens qui
s'appuient sur l'expérience résisteront toujours à cette théorie 1121.
Ex. paire, maire, fraire, laire (latro), lairar (latr.),
emperaire, meire (metere), peira (petra), reire (retro),
veire (vitrum), oire (uter), noirir (nutr.), poirir (putrere),
buire (bútyrum) ; albire (arbitrium) sans diphthongu. En
franç. père s'explique facilement par le prov. paire ; aussi
pierre et arrière sont à peira et reire comme entière enteira
213a intégra. Autrement t est plus volontiers syncopé d'après la
règle générale : Lure nom de lieu (Luthra, Quicherat, 20),
Marne (Matrona), nourrir, pourrir, verre, merrain
(materiamen), v.fr. erre et errer (iter, iterare*) ;
L'immixtion de l'i aurait ici donné les formes Mairne, noirir,
poirir, voire. Un ancien exemple portugais est mare (mat 'r)
SRos., mais à côté de ce mot on ne trouve pas frare, pare ;
portug. moderne, mãi, pai.

TC, voy. sous C. — MT, voy. sous M.

ST (çt) au milieu des mots se transforme souvent : ital. en sci,
esp. et portug. en x, z, prov. et franç. en ss. A la finale, t est
simplement expulsé : pos pour post se trouve déjà chez les arpenteurs
romains (pos legem, pos te) ; un ancien grammairien mentionne
posquam, voy. Schneider, I, 479, et mon Dict. Étym. I, s.
v. poi. Ital. angoscia (angustia), arbuscello (arbustellum*),
bescio (bestia), coscino (culcitinum*, culçt.), moscione (mustio),
uscio (ostium), poscia (postea) ; avec z inzigare (instigare) ;
à la finaleè (est), poi (post). — Esp. angoxa arch., Arbuxuela
nom de lieu (arbustum ?) PCicl v. 1551, dexar (desitare *),
quexar (questare *), uxier (ostiarius) ; Baza
(Basta), escarzar (excarstare pour excastrare), gozo (gustus),
mozo (mustus), rezar (recitare), uzo arch. (ostium),
Zaragoza (Cæsar Augusta) ; avec c acipado (stipatus),
Ecija (Astigis) ; à la finale es (est), pues (post) ; à l'initiale x
dans Xeres (Asta regia), z dans Zuñiga pour Stuñiga, voy.
Sanchez, II, 527. — Portug. congoxa, deixar, queixar ; avec
z amizade (amicitas*, esp. amistad). — Prov. engoissa, coissi
(ital. cuscino), us, pues. — Franç. angoisse, coussin, tesson
(testa) ; huis, puis. — Les exemples valaques manquent. —
Notre Cassel est né de même de Castellum, le goth. vissa de
vista, le v.nor. sess de sest, le b.all. tassen de tasten ; voy.
Aufrecht, Ztschr. für vergl. Sprachf. IV, 29.

ST init., voy. S. — CT, voy. C. — PT, voy. P.BT,
voy. B.

D.

1. D initial reste intact. Médial, entre deux voyelles, il ne
persiste que dans les langues de l'est, tandis que celles de l'ouest
le laissent fréquemment tomber. Ital. cadére, credere, crudo,
fedele, giudice (judex), godere, grado, lodare, midolla,
nido, nudo, odio, odore, radice, rodere, udire (audire).
La chute est rare, par exemple en composition avec ad : aocchiare,
214aombrare, aoprare, de même dans gioja (gaudium),
appojare (podium), Po (Padus), vo (vado), dans
les mots poétiques creo (credo), gioire (gaudere), rai (radii),
veo (video), dans le mot populaire monna pour madonna,
etc. — Val. crede, laudà, etc. — Esp. adorar, ceder,
crudo, estudio, grado, medio, modo, nido, nudo, odio,
odor, persuadir. Syncope par exemple dans aojar (ital.
aocchiare), bayo (badius), caer, créer, hastío (fastidium),
feo (fœdus), fiel, hoy (hodie), juez, loar, meollo, oir,
porfia (perfidia), poseer (possidere), poyo (podium), raiz,
roer (rodere), tea (tæda). Cette chute est moins constante
dans la vieille littérature, où l'on écrit encore cader, creder,
lodor, roder Bc., odredes pour oireis PC., porfidia
FJ
., mais aussi cruo pour crudo, suor pour sudor Berceo.
Le ms. d'Apolonio, au contraire, comble d'habitude l'hiatus
avec y : cayer, creyer, peyon, riya (rideat), seyer, veyer.
— Le portugais presque comme l'espagnol ; en intercalant v
chouvir, louvar, ouvir, voy. p. 176. — En prov., à côté du
passage au z (§2), la syncope est très-usitée : aïrar (adirare*),
aorar, aultéri, caer, Caerci (Cadurcinus), claure, creire,
cruel, desirar (desiderare), fiel, envaïr (invadere), enveia,
meola, reembre (redimere), roer (rod.), suar (sud.), bai
(badius), glai (gladius), huei (hodie), miei (medius), pui
(podium), rai (radius). La persistance de la douce est beaucoup
plus rare : adorar, adulteri, credensa, cruda, nuda,
obedien, odi, odor, predicar, raditz, roder, rudeza, teda.
— En français la domination de la syncope est encore plus
entière ; en cela, le français est à l'italien ce que le hollandais
est au haut-allemand ; cf. choir (cadere), clore, désirer,
envahir, envie, fiancer (fides), glaïeul (gladiolus), juif
(judæus), Melun (Melodunum), moëlle, nue, ouïr, Quercy
(prov. Caerci), rançon (redemtio), Rhône, seoir, suer, voir,
bai, hui, pui et beaucoup d'autres. En somme, cette consonne
ne se maintient que dans des mots postérieurs mal assimilés,
spécialement dans les suffixes idus et udo comme avide,
cupide, humide, insipide, solide, aptitude, habitude et
dans quelques autres de cette création, comme céder, code,
commode, étude, fidèle (mais v.fr. féel, pl. féaux), fraude,
grade, mode, nudité, persuader, odeur, remède, rude, et
aussi dans les mots d'origine ancienne comme roide (rig'dus), sade
(sap'dus), tiède (tep'dus), souder (sol'dare), émeraude (smaragdus),
dans lesquels une consonne en précédant le d l'a protégé.215

Pour ce qui concerne le d final, il persiste seulement dans l'it.
et le prov. ad, dans l'it. et le v.fr. ched (quid), mais seulement
devant les voyelles initiales, et dans l'ancien français od (apud).
Le d devenu final par suite d'abréviation est traité en italien
comme t : , mercè, piè à côté de fede, etc. Le valaque le
supporte : aud (audio), hęd, (fœdus). L'espagnol l'admet moins
aisément et dit, il est vrai, red (rete), mais fe et non fed
(fides), et de même pie, mais merced ; en général, il aime,
dans ces mots, à garder la voyelle finale, comme dans fraude,
sede (sedes). Le dialecte portugais ne supporte pas plus ici d,
que t : cf. , mercé, (esp. sed), de même cru (crudus),
no (nodus), nu (nudus). En provençal d, lorsqu'il ne
disparaît pas, devient fort : nut (nudus), pe, etc. En français
il se maintient comme lettre muette ou disparaît complètement :
muid (modius), nœud, nid, pied ; cru, demi, foi,
degré 1122.

2. De même que t devant i palatal devient z = ts, de même d
devient z = ds (z doux). L'apparition de cette sifflante produite par
di se constate déjà dans le latin de la décadence, car on prononçait
le grec δια διαι za ze, zabolus pour diabolus, zaconus pour
diaconus, zametrus pour diametrus, zeta pour diæta, cf.
éolien καρζά pour καρδία. D'après Servius, cette manière de prononcer
atteignait plutôt les mots latins que les grecs ; il remarque
en effet à l'occasion du nom de pays Media : di sine sibilo
proferenda est, græcum enim nomen est
(Schneider, I,
387) ; la sifflante se faisait donc entendre dans le latin media.
C'est à cela que correspond, dans une charte italienne de 793,
mecia pour media. HPMon. n. 14 ; l'ital. mezza a supprimé
ici l'i. D'autres exemples latins sont zebus pour diebus Mur.
Inscr. 1571, 1 ; dans une charte de Bergame γαυζιουσο pour
gaudioso Mar. p. 169 ; un glossaire du VIIe au VIIIe siècle
traduit l'allemand speicha par razus, ital. razzo. Mais ce
développement phonique rappelle aussi l'osque zicolo correspondant
au latin dieculus (Kirchhoff, Sladtrecht v. Bantia). Au
temps d'Isidore, les Italiens disaient déjà ozie pour hodie
216(roumanche oz), aussi dérive-t-il mozica de modicus : mozica
quasi modica… z pro d, sicut solent Itali dicere ozie pro hodie
(20, 9). Une autre ressemblance de di avec j sera indiquée sous
cette dernière lettre. On a un exemple complet des trois formes
dans Diabolenus Zabolenus Jabolenus comme dans Jadera
Diadora Zara
, cf. Buttmann, Lexicologus, I, 220 ; de même à la
médiale dans Eporeia Eporedia Eporizium, voy. Böcking Index
ad Not. dign.
Les exemples romans sont : ital. orzo (hordeum), mezzo (medius),
mozzo (modius), pranzo (prandium),
razzo (radius), rozzo (rudius pour rudis), schizzo (σχέδιος),
berza (viridia) ; on trouve ce z à l'initiale dans le dialecte vénitien :
zago (diaconus), (deorsum), zorno (diurnum). Val.
orz, miez, prųnz, razę, spuz (spodium). Esp. bazo (badius),
mezana mesana (mediana), orzuelo (hordeum), vergüenza
(verecundia). Les exemples provençaux et français manquent ;
esquisse vient de l'ital. schizzo. — Cependant, ici aussi, comme
pour le t, la sifflante s'est produite sans le secours d'un i palatal
comme dans l'ex. ci-dessus mozica ; cette sifflante est la forme
vraiment indigène en valaque et en provençal. Val. zece (decem),
zieu (deus), (dies), zic (dico), frunze (frondem), pręzi (prædæ) ;
particulièrement dans la conjugaison : crezi, crezųnd,
crezut. Prov. azesmar (adæstimare *), azorar (adorare),
azulteri, auzir, benezir, cazer, cruzel, fizel, glazi (gladius),
lampaza, lauzar, obezir, orreza (horrida), prezicar,
pruzer (it. prudere), tarzar, vezer (videre), veuza (vidua) ;
encore prov.mod. z ou s : auzí, veuzo, susá (sudare). Dans
quelques mots comme auzir, cazer, z domine exclusivement,
dans d'autres, il y a syncope (§ 1) ; certains mss., celui du Boèce
au moins, n'emploient pas du tout z (cadegut, laudar,
veder). Les exemples sont rares dans les autres langues. Ital.
arzente, penzolo, verzura pour ardente, etc., cf. verzaria de
l'an 752 Mur. Ant. V, 1011 ; esp. juzgar (judicare), v.port.
avec ç ou s arcer (ardere), asunada SRos. ; v.fr. tarzer
pour tarder Chr. Ben. (si ce n'est pas pour targer),
champ. rizelle pour ridelle, v.fr. Mazalaine pour Magd.,
voy. Ruteb. II, 488 ; Bouille aussi, De vulg. ling. 38,
remarque Mazelaine, de même Vezelay pour Vedelay. Du
prov. azesmar est né le v.franç. acesmer, ital. accismare,
esp. acemar. — Parmi les langues voisines, le breton connaît
(peut-être depuis le XIe siècle, Zeuss, I, 164) la dégénérescence
du d médial et final en z (s doux) ; mais ici il y a eu
comme intermédiaire une aspirée que les dialectes apparentés
217montrent encore. Ex. clezeff (gladius, prov. glazi), feiz
(fides), Juzeth (Judith), krîz (crudus), preiz (præda),
prezec (prædicare), urz (ordo).

3. Le changement en l, n, r était facile : 1) En l : ital. caluco
(cad.), cicala, ellera (hed.), tralce (tradux). Esp. cola
(cauda), esquela (scheda), homecillo (homicidium), Madrileño
(pour Madrid-), melecina, mielga (medica), cf. l de t
dans nalga (natica) ; à la finale Gil (Ægidius) ; voy. ci-dessus,
p. 90, des exemples du dialecte de Léon ; prov. cigala, elra, Gili.
Ce rapport entre d et l est déjà connu du latin : à l'init. dacrima
lacrima
, devir (δαήρ) levir, dingua lingua ; à la méd. cadamitas
calamitas
, dedicata delicata, Medica Melica, Ὀδυσσεύς
Ulysses. On le retrouve aussi dans des langues étrangères à
l'Europe, comme le prouve Bopp, Vergleich.Gramm. I, 29, 2e éd.,
trad. Bréal, I, 51. — 2) En n : ital. lampana (-da), palafreno
(paraveredus), pernice ; esp. palafren. — 3) En r :
ital. mirolla (medulla), nap. rurece (duodecim) ; esp. lampara
(-da) ; val. armęsariu (admiss.) ; de même en lat. meridies
(med-). L'échange avec t se produit aussi (voy. ci-dessous nd),
d'où ital. Tertona (Dertona), Trapani (Drepanum). Plus
remarquable est l'échange avec la douce de la série gutturale
dans gazapo pour dasapo (dasypus), golfin à côté de dolfin
(delphinus), gragea à côté de dragea (τράγημα).

DR partage dans le nord-ouest le sort du tr : la muette
tombe et est remplacée par un i quand il n'y en a pas déjà un.
Prov. caire (quadrum), raire (radere), cadeira (cathedra),
creire (cred.), aucir (occid.), rire (ridĕre pour -ēre), foire
(fod.), concluire (conclud.). Franç. équerre (quadrum),
raire, croire, clore pour clorre, etc. Il est vrai que le phénomène
n'est assuré que dans caire et cadeira ; dans les autres
cas, on peut penser à la chute simple du d : radere ra'ere
raire
comme trahere traire. Eulalie a creidre, qui montre
l'attraction de l'e (credere creedre creidre). Dans l'ital. Carrara
rr
, d'après Pott, Personennamen, p. 437, provient de dr,
c'est quadraria, nom emprunté aux carrières de marbre.

DC, voy. sous C.

DJ, DV se comportent comme bj, bv : ital. aggiustare
(adjuxtare *), au contraire ajutare (adj.) et non aggiutare,
et en outre avvenire (adv.) ; esp. ayudar, avenir, etc.

MD, voy. sous M.

ND. Dans ce groupe, d disparaît dans beaucoup de mots ou
s'assimile, et alors n se redouble, comme par ex. en v.nor. ou
218suéd. (annar, finna, goth. anthar, finthan), ou aussi dans des
dialectes populaires allemands (finne pour finden, kinner pour
kinder). Les cas de cette espèce sont : ital. canido (cand.),
manucare (mand.). Très-fréquent dans les dialectes de la basse
Italie, par ex. sicil. abbunnari (abundare), accenniri
(accendere) 1123. Esp. Blanes nom de lieu (Blanda d'après
Cabrera), escaña (pour escanda), fonil (fundibulum). Catal.
anar (esp. andar), fonament (fundam.), Gerona (b.lat.
Gerunda), manar (mandare), segona (secunda) ; ici très-usité.
En provençal d tombe toujours quand il est final, ainsi que t :
en (inde), on (unde), preon (profundus), joven (juventus).
Franç. espanir arch. (expandere), prenons (pour prendons),
responent arch. (pour respondent). Devant i palatal : ital.
vergogna (verecundia), franç. Bourgogne (Burgundia),
Compiegne (Compendium). Cf. lat. grunnire de grundire,
dans Plaute dispennere pour dispandere, qui coïncide d'une
manière frappante avec le v.franç. cité espanir, si l'origine de
ce dernier mot est exacte. — La douce est remplacée par la forte
dans l'ital. sovente, franç. souvent (subinde), peut-être par
assimilation à repente. Et aussi dans quelques autres mots
comme : ital. pentola (pendula), esp. culantro (coriandrum),
franç. pente (de pendere).

GD, voy. sous G. — PB, voy. sous P.

Z.

Ce son composé (ds avec s douce) n'affecte pas partout la même
valeur dans les langues nouvelles ; en portug. et en franç. par
exemple, il est devenu un son simple, à peu près comme l'ancien
ζ dans le grec moderne. Dans le prov. fr. ladre (Lazarus), z,
à cause de l'r qui suit, a été remplacé par d ; on a des exemples
semblables dans l'ital. sidro, esp. sidra, franç. cidre (sicera) ;
franç. madré (allemand maser). Dans quelques autres cas,
il a dû céder au g palatal : ital. geloso, prov. gelos, franç.
jaloux (zelosus, esp. zeloso) ; ital. gengiovo, esp. gengibre,
219franç. gingembre (zingiberi) ; ital. giuggiola, franç. jujube
(zizyphum) ; à quoi se peut comparer dans les mss. le passage
de z à di : ὄβρυζον obridia, glycyrrhiza glycyridia, gargarizare
gargaridiare
(Schneider, I, 386). Nous avons vu sous
la lettre d la production inverse du z de j ou dj. Le suffixe
verbal izare échange, en français, z avec s : baptizare
baptiser
.

S

était, en latin, prononcée dure à l'initiale aussi bien qu'à la médiale
et après les consonnes (excepté après n), douce entre les voyelles,
sourde et mate à la finale spécialement dans la langue populaire
ancienne et récente, où elle finit par s'effacer complètement
(Corssen, 2e édit., I, 277 ss.). Dans les langues filles aussi,
s sonnait généralement, plus ou moins forte, voy. la 2e section.
Il faut en outre faire les observations suivantes :

1. Elle dégénère rarement en d'autres sons, et quand cela lui
arrive, elle prend le plus souvent la prononciation de la chuintante
large ś (ital. sci, Port. x) : ce son devint une aspirée en
espagnol, mais ne pouvait se traduire en provençal et en français
que par ss ou iss. Exemples à l'initiale : ital. scialiva (sal.),
sciapido (in-sapidus), scimia, scempio (simplus), sciringa
(syrinx).Esp. en-xabido (ital. sciapido), xabon (sapo), xolma
enxalma
(sagma), Xalon nom de fleuve (Salo), xarcia (ital.
sartie), Xativa (Setabis), xenabe (sinapis), Xenil nom de
fleuve (Singilis), xerga (serica), xeringa, Castro-xeriz
(Castrum Sirici), xibia (sepia), Xigonza (Segontia), ximia,
xugo (sucus), enxullo (insubulum). En pg. quelquefois avec la
syllabe en préposée : en-xabido, xarcia en-xarcia, xastre
(esp. sastre), en-xergar (esp. en-sercar), xeringa, en-xofre
(sulphur). — Exemples à la médiale : ital. asciogliere (assolvere),
vescica ; esp. baxo (bassus), Carixa (Carissa), cejar
(cessare), Lebrija (Nebrissa), mexias (messias), paxaro
(passer), vexiga ; portug. paixão (passio), etc. ; prov. baissar
(de bassus), franç. baisser. — Dans les exemples que nous
venons de citer, s éprouve, comme on voit, le même sort que x.
Le franç. baisser aussi se conforme à laisser (laxare). Mais
on est peu porté à supposer pour cela des formes antérieures
ximia, xirinx, vexica, baxare ; d'ailleurs le bas-latin n'en
fournit pas d'exemples. Une remarque facile à faire, c'est que
cette prononciation n'atteint que l's romane dure (médiale ss),
jamais l's douce. On n'imagine pas un ital. roscia pour rosa : et
220pour ce qui est de vescica, on doit croire que la forme (qui se
rencontre) vessica = franç. vessie aura précédé. La langue
semble donc avoir cherché ici un adoucissement de l's dure, car s
a plus de douceur que ss. Seulement, il ne faut pas expliquer cet
adoucissement, comme, pour l et n, par l'immixtion d'un j,
car là où sj existe réellement, il est représenté tout autrement
dans les langues romanes (p. 170). — Nous parlerons du valaque
ś dans la seconde section.

2. S s'échange aussi avec z, ç, ou esp. ch. Ital. zavorra
(saburra), zambuco, zaffiro, zezzo (secius), Zannone
(Sinnonia), zinfonia (symph.), zoccolo, zolfo (sulphur),
zufolare (sufflare) ; surtout après n ou r, comme dans anzare,
anzi, canzare, manzo, scarzo pour ansare, etc., Conza
(Compsa). C dans bacio, cacio, voy. p. 170, Cicilia (Sic),
cinghiale (singularis), concistorio, cucire (consuere). G
dans Adige (Athesis). — Esp. zafir, zandalo, zueco zocalo
choclo
(soccus), zucio (sucidus), azufre (sulph.), zurdo,
almuerzo (morsus), Iviza (Ebusus), rozar (rosus) ; cedazo
(setaceum*), cendal (sindon ?), Cerdeña (Sardinia), cerrar
(sera), Cervantes (Servandus d'après Cabrera), cidro
(sicera), acechar (assectari), decir (desidere) PC., Corcega
(Corsica), rucio (russeus) ; chiflar (sif.), chinfonia arch.,
chuflar (suffl.), et aussi prov. chiflar, chuflar. — Franc.
céleri, cendal arch., cidre. — Val. zar (sera), zer (serum).

3. L'histoire des langues nous fait connaître le changement
fréquent de l's en r (Bopp, Vergl. Gramm.2, I, 42, trad. Bréal,
I, 64). Le domaine roman en connaît plusieurs cas, auxquels
on doit ajouter aussi ceux où r provient de ç. Ital. ciurma
(κέλευσμα, esp. chusma), orma (ὀσμή). En espagnol pas
d'exemple, à moins qu'on n'admette llardrado pour lazdrado,
Apol., 63 ; portug. churma, cirne pour cisne.
Cat. fantarma (phantasma), llirimaquia (lysimachia).
Prov. almorna (eleemosyna), azermar pour azesmar,
Ermenda pour Esmenda Chx. IV, 70, gleira pour gleisa
(ecclesia), gleisargue (ecclesiasticus), varvassor pour vasvassor.
Franç. orfraie (ossifraga), v.fr. almorne comme en
prov., marle pour mascle Barl., p. 182, 32 (encore en picard
merle), merler pour mesler, varlet pour vaslet. A l'inverse,
on trouve, dans le français moderne, quelques s venues de r :
besicle, chaise, poussière de bericle, chaire, pourrière.
Nous verrons dans la section II le passage, dans un dialecte, de
s à h.221

4. La syncope de s entre voyelles est à peu près inconnue dans
le domaine roman. En provençal on remarque des formes comme
bayar pour baysar (basiare) LRom. I, 577b, Chx. III, 59 ;
dans Flamenca 2605 baia rime avec aia, (habeat) ; maio est
pour maiso GRos. souvent, LRom., I, 575a, M. 662, 7 ; ocaio
pour ocaiso, id. ; raio pour raizo Flam. 5416, gleisa (ecclesia)
rime avec eia, etc. ibid. v. 2310, on comprend qu'il faut ici lire
gleia ;preio pourpreiso est dans Chx., IV, 628 1124. Devant les consonnes
la syncope est déjà plus fréquente. En ital., elle est à peine
usitée : prete pour prestre (presbyter) et poltro au lieu du
dur polstro (allem. polster). En provençal l's tombe dialectalement
devant les liquides : isla ilha, meisme meime,
pruesme proime, almosna almoina, masnada mainada,
preisseron preiron. La chute de cette lettre devant les autres
consonnes, en français, est assez connue et n'a besoin d'aucun
exemple pour être établie, voy. ci-dessous ST, SC, SP. —
L'apocope en italien est de règle, et la place de la consonne
chassée est quelquefois remplie par i euphonique ou e, comme
dans crai (cras), piue (plus), voy. p. 185. En provençal,
il faut peut-être noter mai à côté de mais, bai à côté de bais.
Dans les autres langues s persiste, si ce n'est qu'en français elle
est souvent représentée par z ou x : chez (casa), nez (nasus),
deux (duos). Sa chute dans les flexions appartient au livre II.

SS devant x, voy. ci-dessus § 1.

SR (çr, xr). Ce groupe n'est pas, il est vrai, proscrit, surtout
en composition (l'italien l'admet même à l'initiale) : sradicare,
esp. desrota, prov. esraigar, v.fr. mezre (misera) Alex. ; le
français, comme le latin (dans estrix, tonstrix), pour faciliter
la prononciation, intercale un t devant lequel s a fini par
disparaître. Ex. : v.franç. ancestre, franç. mod. ancêtre
(antecess'r), conoistre connaître, croistre croître, estre
être
, naistre naître, paistre paître, paroistre paraître
222(parescere *), tistre (texere) ; parfaits assistrent, duistrent
(dux.), occistrent, pristrent, quistrent. Dans cousdre
coudre (consuere) d s'introduit, cf. fisdra SLég. 21, presdra,
15. Prov. istra de issir, mesdren (miserunt) Boèc., 27 ;
roumanche cusdrin (consobrinus) ; esp. Esdras (Esra),
v. esp. conostria Canc. de B., istria de exir Bc., lazdrado
(laceratus). De même en allem. castrol pour casserolle :
pareille intercalation a lieu aussi dans les langues slaves.

ST, SC, SP. Cette liaison de s avec une forte, que le latin
admet dans une large mesure, parut aux Romans, du moins aux
Romans de l'ouest, trop dure à l'initiale ; ils séparèrent donc
cette syllabe compliquée en lui préposant un e, de sorte qu'ils
prononcèrent, par ex., sta comme esta, ce qui ajouta au mot
une syllabe entière. Esp. estar, escribo, espero ; Port. estavel,
escandalo, especie ; prov. estable, escala, espada. SMeut
le même sort dans les mots venus du grec, esp. esmeralda,
prov. esmerauda (σμάραγδος), esp. esmeril (σμύρις). Le français,
ici aussi, se comportait autrefois comme le provençal : on écrivait
et on prononçait l's, estable, eschelle, espée ; peu à peu
la sifflante s'assourdit, et enfin ne fut même plus écrite, tandis
que la voyelle qui lui devait l'existence fut assez heureuse pour
se maintenir : étable, échelle, épée. Pourtant l'une et l'autre
persistent accidentellement dans quelques vieux mots comme
estimer, estomac, esclandre, espace, espèce, espérer,
esprit ; d'autres tels que estacade (vieux estachette), estafilade,
estrade, estrapade, escabeau, escalade, escalier,
espalier, trahissent une origine étrangère. Partout d'ailleurs
les mots savants maintiennent leur initiale originaire ; seul,
l'espagnol introduit ici aussi l'e prothétique : estatica, esclerotica,
esperma. Mais d'anciens monuments négligent parfois
la prothèse, même dans les mots populaires, par ex. : esp.
spidios' PCid v. 226, spidies' 1261, sperando 2249 ; port.
spadoa, stado SRos ; prov. ferma speransa, li scudier ; vaud.
scriptura, spirit à côté de escriptura, esperit ; en français
dans Sainte Eulalie on lit une spede, et plus tard encore ce cas
n'est pas sans exemple, toutes les fois qu'une voyelle finale précédente
se chargeait du rôle de la prothèse. L'ancien catalan offre
un phénomène singulier : l'e s'y prononce quelquefois sans être
écrit, et compte pour une syllabe dans les vers (comme le remarque
Mila, Jahrbuch V, 176). Toutefois, dans un des
dialectes occidentaux, en wallon, la prothèse ne s'est pas pleinement
développée. Voyez ci-dessus, p. 120. — Si nous tournons
223maintenant nos regards vers l'est du domaine roman, nous trouvons
en italien l'initiale originaire intacte, et souvent même
l'it. fait naître ce groupe (s plus une consonne) par l'aphérèse
d'une voyelle : stimare pour estimare (cf. stimaverunt HP
Mon
., n. 111, année 959), stesso pour istesso ; toutefois l'ital.
n'est pas demeuré complètement étranger à l'habitude de l'ouest,
du domaine roman, car lorsque non, in, con, per précèdent,
il a l'habitude d'éviter la dureté de ces groupes en leur préposant
un i : non isperate, in istate, con isdegno, per istare. Mais la
voyelle ainsi préposée n'est essentielle, c.-à-d. inséparable dans
aucun mot. Parmi ces patois, il y en a un, celui de Logudoro, qui
ne peut s'en passer : voy. ci-dessus, p. 77. Le valaque maintient
partout le groupe initial sans l'affaiblir. — On peut suivre l'usage
roman jusque dans le plus ancien b.-lat. et même plus haut. La
plus ancienne forme de la voyelle est i au lieu d'e, qui est plus
grossier, comme on le voit en italien et parfois même en provençal
(istable, istar, isquern, cf. inspieth pour ispieth
SLég
.) : i devait en effet se glisser devant s initiale d'autant
plus facilement que, ainsi que nos grammairiens nous l'apprennent,
l'élément vocalique précédant l'émission de cette
consonne correspond déjà lui-même à un léger i. C'est pour cela
qu'aucune des voyelles plus lourdes a, o, u n'a été employée
à cet usage. Au IVe siècle on trouve istatuam, ispirito. Dans
un ms. de Gaius du VIe siècle, Istichum est pour Stichum.
Lachmann, Comm. in Lucretium, p. 231, a réuni de nombreux
exemples mss. de i, hi, ou in placés en tête du mot (histoïcis,
instoicï). Des inscriptions chrétiennes d'âge différent ont Ismaragdus,
Istefanu (cf. esp. Santisteban avec i au lieu de e),
Ispeti pour Spei, voy. Reines. Inscr. p. 973. Dans les chartes
mérovingiennes cela se présente fréquemment : ainsi istabilis
Bréq. num. 139, estodiant (studeant) 232, esperare 287,
estabelis 290, estodium ib., especiem 316, istibulatione
Mab. Dipl. p. 497, escapinios 501 ; quelquefois même dans
des chartes italiennes iscrivere, istavilis, iscimus, ainsi par
ex. Mur. Ant. III, 569, 1009, Brun. 465, 608, escavino de l'an
827 HPMon. n. 19. Dans sa dissertation Plattlateinisch, p. 333,
Pott a rassemblé des exemples (tirés des mss. de la L. Sal. et de la
Lex Rip.) où x est mis pour s. Les exemples espagnols sont :
escriptura, Esperauta de l'an 775 Esp. sagr. XVIII, 302,
exspontanea de l'an 855 Marc. p. 788 1125. Des langues qui ne sont
224pas romanes emploient aussi cette prothèse. Le basque ne supporte
pas l's impure, il dit esteinua (stannum), ezpalda
(spathula), ezquila (schelle), ou avec i izpiuna, izpiritua,
izquila. Le kymrique prépose y, i, e : yspeit (spatium), ystabyl
(stabulum), yscawl (scala). Mais cet usage, que ne connaît
même pas le breton, est postérieur (Zeuss I, 141), et ne peut avoir
eu aucune influence sur la constitution du mot roman. Parmi les
langues plus éloignées, citons le hongrois qui change l'allemand
storch, strenge, stab en eszterág, esztrenga, istáp.

Un autre moyen d'adoucir la rudesse de l'initiale se présentait
encore à la langue, c'était de faire disparaître l's elle-même.
Mais comme ce procédé avait pour conséquence de rendre les
radicaux obscurs, on en fit rarement usage : esp. pasmar,
prov. plasmar, fr. pâmer (spasmus) ; prov. maragde (smaragdus) ;
franç. tain (stannum).

A la médiale, après une consonne, s impure n'exige aucune
voyelle adoucissante, par ex. esp. abstraer, constreñir,
inspirar Le français non plus ne prépose pas d'e, mais il
élide l's après une voyelle : apôtre, bétail, évêque, nèfle, même
aussi dans contraindre (constringere), montrer. Même chose
dans les groupes SL, SM, SN : mêler, témoin, âne, v.fr.
mesler etc.

La confusion entre st, sc et sp apparaît parfois à l'est : ital.
stiantare, mistio, rastiare, abrostino pour schiantare, mischio,
raschiare, abroschino ; fischiare pour fistulare ; scoglia,
squillo pour spoglia, spillo ; val. śtimb, śtiop pour śchimb,
śchiop ; peśte pour pesce (voy. SC sous C) ; v.portug.
estoupro pour escopro ; prov. ascla pour astla (voyez p. 195
note). Cette confusion entre les divers organes est facile et
naturelle, comme le montrent aussi des exemples allemands :
voyez Wackernagel dans la Zeitschrift de Haupt, VII, 130.

ST médial voy. sous T. — SC méd. voy. C. — NS
voy. N.RS voy. R. — CS voy. C.PS voy. P. —
BS voy. B.

C. CH.

L'aspirée a la même valeur que la forte. En valaque seulement
on entend encore l'aspiration, qui est ici exprimée par h.

C a eu une destinée toute particulière ; il se divise en deux
sons déterminés par la lettre suivante : tantôt il demeure guttural,
tantôt il devient palatal ou sifflant.

I. 1. Devant a, o, u, devant une consonne ou à la finale, c
225demeure guttural sans persister constamment comme forte.
A l'initiale, c persiste d'ordinaire ; cependant on trouve quelques
exemples de douce, analogues au lat. gobius (κωβιός), grabatus
(κράβατος), gummi (κόμμι). Une r ou l suivante ne fait point ici
de différence. Ital. Gaeta (Cajeta), gambero (cammarus),
gastigare, gatto (catus), gabbia (cavea), gobbola (copula),
gonfiare (conflare), gomito (cubitus), graticula, grotta
(crypta ; grupta Ughell. II, 747 de l'an 887). Esp. gambaro,
gamella (camella), garbillo (cribellum), gato, gavia,
graso (crassus), greda (creta). Prov. gat et cat, gabia, gleira
(ecclesia), gras, gruec (crocus). Franç. gobelin (κόβαλος ?),
gonfler, gobelet (cupella), glas (classicum), gras.

A la médiale (après une voyelle) c a éprouvé à peu près le même
sort que t ; il devait fréquemment descendre à la douce, comme
cela est arrivé déjà dans le lat. negotium (nec otium), ou dans
Saguntus (Ζάκυνθος) et assez souvent dans le plus ancien b.l. ;
par ex. matrigolarius Bréq. n. 139, vindegare 220, vogator
(vocatur) 239, sagrata 253, evindegatas 267, vagas (vacuas)
Mab. Dipl. p. 506, abogadus (advocatus) 513, vigarius
dans les formules juridiques. En ital. c persiste dans la plupart
des cas, comme acro, amico, briaco (ebriacus), bruco (bruchus),
cieco, dico, fico, fuoco, giuoco (jocus), meco (mecum),
medico, mica, pecora, pedica, pica, poco, roco (raucus),
sacro, secolo, secondo, sicuro, specchio (speculum), stomaco,
verruca, vescica (vesica). Cependant on trouve parfois
la douce dans les mêmes mots à côté de la forte, cf. ago, agro
(acer), dragone, lago, lagrima, laguna, lattuga, luogo,
magro, miga, annegare, pagare, pregare, sagro, segare,
segola (secale), segreto, spiga. Plus souvent encore dans
les dialectes. — En espagnol, la douce a décidément pris le
dessus : agrio, amigo, embriago, brugo, ciego, digo, dragon,
higo (ficus), fuego, lago, lagrima, laguna, latuga, luego,
Lugo nom de lieu (Lucus), magro, Malaga (-ca), migo
(mecum), miga, Miguel (Michael), milagro (miraculum),
anegar, pagar, pega (pica), sagrado, segar, siglo, segundo,
seguro, espiga, estomago, trigo (triticum), verruga, vexiga.
Dans un petit nombre seulement de mots populaires comme sauco
(sambucus), secreto (segredo Bc), et le mot important poco,
souvent aussi dans les désinences ico, ica, icar : medico,
rustico, musica, aplicar, implicar, indicar, justificar et
dans quelques autres comme caduco, opaco, cloaca, pastinaca,
la forte a résisté. On ne trouve guère la syncope que dans cette
226désinence icar (emplear = implicare), que ic soit radical ou
dérivatif. De même en portugais. — En prov. la douce a pris la même
importance que dans le sud-ouest ; mais ici, à condition que a,
e, i précède, elle admet très-souvent la résolution en y, et alors
iy se simplifie en i. Ex. agre, agut, drago, lagrema, magre,
braga braya (braca), pagar payar, sagramen, cega, negar
neyar
, plegar pleyar (plicare), pregar preyar, segle, segun,
segur, amiga amia (pour amiya), diga dia, figa fia,
miga mia, vesiga, fogal (focus), jogar, logal, verruga.
Après o et u cette résolution ne paraît pas usitée : foial, verruia,
etc. ne se trouvent nulle part. La forte persiste d'ordinaire dans
les mêmes cas qu'en espagnol. — En franç. la résolution et la
chute de la douce (secondaire) font de grands progrès. La résolution
en y ou i se trouve dans doyen (decanus), foyer (focarium),
noyer (necare), noyer (nucarius), voyelle (vocalis),
essuyer (exsucare*), payer (pacare), braie (braca). Chute
dans amie, délié (delicatus), épier (spica), mie (mica), pie
(pica), plier (plicare), prier (precari), vessie (vesica),
mortifier (-ficare), lieue (leuca), verrue (verruca), sûr
(securus), prône (præconium), Saône (Sauconna), larme
(lacrima), serment (sacram.), Yonne nom de fleuve (Icauna
Quicherat 81). Mais dans plier et prier i représente la diphthongue
ei (pr. pleyar, peyar), dans laquelle c est contenu
(voy. I franç. dans la 2° partie) ; à côté de larme on trouve
anciennement lerme pour lairme, dont l'i provient de la
résolution du c ; serment est abrégé de sairement, en sorte
que dans ces exemples et dans d'autres semblables la gutturale
n'a pas totalement disparu. Cette résolution de c en i après
transformation visible ou cachée en g est difficilement contestable.
Dans quelques cas provençaux, comme amia pour amiya,
on pourrait, il est vrai, admettre aussi la chute de la gutturale,
mais dans verai de veracus, ibriai de ebriácus, Cambrai de
Camaracum (voy. ci-dessous à la finale), la résolution
apparaît fort nettement. Elle n'est pas moins visible dans les
cas où la rudesse d'une combinaison comme cs ou ct forçait à la
vocalisation de la première de ces consonnes, puisque l'assimilation
répugnait au caractère des langues du nord-ouest ; des
mots comme seis de sex ou fait de fact peuvent rendre clair ce
phénomène ; voy. ci-dessous CS et CT. La douce demeura
seulement là où l'on ne crut pas pouvoir s'en passer, par ex,
dans aigre, aigu, dragon, figue, maigre, seigle, etc. ; la
forte presque exclusivement dans les mots d'origine récente ou
227moins populaires : baraque, casaque, opaque, bibliothèque,
bourrique, angélique, chronique, logique, musique, rustique,
tunique, époque, caduque, provoquer, suffoquer,
déféquer ; diacre, secret, second (mais qui cependant est
prononcé segond), siècle. — En valaque partout la forte seulement :
acru, amic, zic (dico), foc, etc.

C final, en tant qu'il existe déjà en latin comme dans dic,
fac, hoc, nec, sic, tunc n'est jamais toléré, sauf en prov. oc
(hoc), et le composé franç. avec, et aussi dans donc (tunc), et
l'ancien franç. illoc, illuec (illoc) ; ital. avec une voyelle ajoutée
introcque Inf. 20, 130 (inter hoc), dunque. Autrement le c
est apocopé d'ordinaire : , fa, , , però (pro hoc), esp.
, ni, , péro, etc. Mais en esp. ancien ce c final, dans
les particules, est encore représenté par n : nin, sin, aun
(adhuc), allin (illic) GVic, et ainsi en portug. nem, sim. Il
paraît aussi être contenu à la médiale dans ansí (æque sic),
peut-être même dans l'adjectif enteco (hecticus), ou dans le
subst. portug. pentem (pecten). A ansí (ansin) correspond
aussi l'ancien franç. ainsinc, franç. mod. ainsi, de même que
le prov. aissin LRom. I, 571 a, encore maintenant à Marseille
ensin 1126. — Le provençal respecte partout le c que l'apocope a
rendu final : amic, foc, Aurilhac (Aureliacum), Figeac, Saissac,
etc. Le français ne le conserve pas partout : ami, feu, lieu,
estomac, lac. D'autres mots de cette langue échangent c pour t :
artichaut (it. articiocco), abricot (it. albercocco), palletot
(pour palletoc), ancien franç. gerfault (pour gerfalc). Par
suite les noms de ville gaulois en acum prennent habituellement
ay comme veracus devient vrai, ceux en iacum
prennent y : Bavay (Bagacum), Cambray (Camaracum),
Ally (Alliacum), Fleury (Floriacum), etc. ; cf. Mone, Gall.
Sprache
, p. 33, Pott, Personennamen 255, 456, Zeuss,
Gramm. celt. II, 772 2127.228

2. Le groupe originaire ca (cca) s'écarte sensiblement en
français de l'usage commun : le c y dépouille sa nature
de gutturale et devient chuintant sous la forme ch ; le lat.
a peut se transformer en toute autre voyelle, sans perdre son
influence sur le c précédent, c.-à-d. que ce passage du c au ch
est antérieur au passage de l'a à d'autres voyelles. Ex. de l'init. :
cheval, chance (cadentia*), chommer (it. calmare), changer,
chambre, chef (caput), chien, cheveu, chartre (carcer),
charme (carmen), château, chignon (catena), chat, chou
(caulis, non colis), chose. De la médiale : bouche (bucca),
coucher (collocare), manche (manica), miche (mica), perche
(pertica), sécher (siccare). Peu de mots échappent à cette loi,
en ce sens qu'ils conservent la forte (nous avons parlé au § I.
des cas où elle est adoucie ou supprimée) : p. ex. cadet (de caput),
campagne (ancien champagne), câble (capulum*), caisse à
côté de châsse (capsa), cage (cavea), manquer (mancare*).
Le plus grand nombre de ces mots est d'origine récente ou étrangère,
latine, italienne, espagnole : cadence, caler, caleçon,
calme, camarade, camp, canal, canaille, cap, cape, captif,
capitaine, caprice, cardinal, carotte, carrosse, carte,
cas, cascade, cause, cautèle, cavale, cavalcade, cf. les mots
vraiment français chance, chausse, chambre, champ, chenel,
chien, chef, chèvre, chardonaus arch., char, charte, chose,
cheval. Devant les voyelles provenant du latin o, u, la gutturale
persiste intacte : cacher (coactare), cailler (coagulare),
carole arch. (chorus), cour (cors), cou, colère, coffre,
couver (cubare), coude, coin (cuneus), cuve, cuivre, coûtre
(custos), écuelle (scutella). Quand la flexion amène un changement
de voyelle, ch peut se maintenir : prés. sèche (sicco) de
l'inf. sécher ; il en est autrement de l'adj. sec, qui conformément
à la règle est né de siccus : le fém. sèche est venu régulièrement
aussi de sicca. Ca n'est pas partout devenu cha dans ce domaine,
puisque le dialecte picard a conservé fidèlement la forme primitive
(voy. ci-dessus, p. 116). Dans quelques mots ch s'échange
avec j (g) : jambe (camba*), jamble arch. (cammarus),
jante (cames* camitis ?), geôle (caveola), gercer jarcer
(carptiare*), germandrée (chamaedrys). Le provençal aussi
emploie ch pour c, mais seulement dialectalement à côté de c.
L'italien rend le franç. ch par ć dans ciambra, ciamberlano,
ciapperone, etc. L'espagnol emploie aussi ch : champion,
229chantre, chanzoneta, chaperon, chapitel, bachiller (bachelier) ;
aspirée dans xamborlier (chambrier), xefe (chef), etc.
Port. chapéo (chapeau), charneira (charnière), charrua,
micha et beaucoup d'autres. — Mais comment expliquer
maintenant la transformation de ca en ch ? N'aurait-elle pas,
peut-être, pu se produire sous l'influence du k aspiré des dialectes
de l'a.h.all. qui se sont parlés en France et sur les frontières, et
qui prononçaient : chamara (lat. camera), chappo (capo),
chafsa (capsa), charchari (carcer) ? L'aspirée devait devenir
en français une chuintante, de même que l'esp. Don Quixote
se prononce encore aujourd'hui Don Quichotte. La forte du
picard trouverait donc son explication dans le voisinage de ce
dialecte avec le dialecte néerlandais, qui a de même conservé
la forte. Si les groupes ce, ci ne sont point entrés dans ce
mouvement, c'est qu'ils avaient déjà abandonné leur son guttural.
Même le signe ch en français indique l'existence primitive
d'une aspirée. Le roumanche présente un trait tout à fait
analogue, surtout dans le dialecte d'Engadine. Ici le groupe ca est
devenu presque sans exception ch ou chj aspiré : chabgia (cavea),
chadaina (catena), chalur, charn, chasa, chaussa, chonf
(cannabis), chiamin (caminus), chiau (caput). Avec le
groupe eu, ce changement est rare, avec le groupe co il se
présente à peine : chör (corium), chül (culus), chünna (cuna),
chüra (cura) ; on pourrait ici aussi soupçonner une influence
alemannique. Mais il y a une difficulté, c'est la persistance
devant o et u (alors même que les mots sont d'origine allemande)
de la forte en français, tandis qu'en ancien allemand c est également
devenu aspiré, comme dans chophenna (cophinus), chorp
(corbis), chupfar (cuprum). Pourquoi l'aspiration s'attachait-elle
seulement à ca et non pas aussi à co cu ? Et pourquoi g
obéit-il à la même loi (voy. ci-dessous), tandis que le v.h.all.
ne paraît pas avoir connu gh ? Ne doit-on pas d'après cela
attribuer à la voyelle a la propriété de faire naître dans une
forte ou douce gutturale qui la précède une aspiration qui
devint ensuite une chuintante ? Aussi un dialecte pouvait y être
plus disposé qu'un autre. A est guttural et proche parent de h,
remarque Pott, Forsch., II, 23 ; cette remarque peut nous
expliquer le phénomène sans qu'il soit besoin de recourir à l'influence
de l'allemand 1128.

II. 1. Devant e, i, ae, oe, le c latin a perdu, dans le
230domaine roman presque entier et même ailleurs, son ancienne
prononciation gutturale. Dans les quatre langues occidentales il
apparaît comme sifflante ç (assibilation), dans les deux de l'est
comme palatale dure c. Même lorsqu'une consonne précède, le
son guttural ne peut se maintenir. En finale, c est représenté
par des consonnes analogues, esp. par z : cerviz, diez ; prov.
par tz ou s : cervitz, crotz (crucem), detz, notz (nucem),
patz, votz, balans (bilancem) ; franç. par s ou x : brebis,
croix, dix, fois (vicem), noix, paix, poix (picem), voix.
Des exemples français il résulte que la sifflante forte ç, de même
que (voy. ci-dessous), a la propriété de faire naître une
diphthongue, au moyen d'un i euphonique développé sous son
influence : cruc-em cruiç croix. Il va de soi qu'ici aussichsuit
d'habitude l'exemple du c : brachium donne braccio, brazo,
bras ; archidux, it. arciduca ; ἀρχίατρος d'abord sans doute arciater
(d'où v.h.all. arzât, h.all. mod. arzt).

L'histoire de l'assibilation n'est pas exempte d'incertitude. Remarquons
tout d'abord que l'ombrien présente ce développement phonique ;
ainsi dans les mots çesna = cena, pase = pace
(pake). Quant à ce qui regarde le domaine latin, les points
de repère les plus importants sont les suivants. 1) On peut
admettre comme démontré que pendant la durée de l'empire
romain d'Occident c devant toutes les voyelles = κ grec. — 2) On
ne peut exactement indiquer combien de temps cette prononciation
survécut à l'empire d'Occident ; on peut affirmer cependant
qu'elle ne disparut pas tout d'un coup, si on considère ceux
des mots latins passés en allemand dans lesquels, comme dans
keller (cellarium), kerbel (cerefolium), kerker (carcer),
kicher (cicer), kirsche (cerasus), kiste (cista), ce ci se
prononçait ke ki, puisque ces mots n'ont pu passer en
allemand que depuis la grande immigration allemande sur le sol
romain, et non pas lors des premiers rapports entre Romains et
Germains : leur nombre est trop considérable pour cela. — 3) Dans
les chartes de Ravenne et autres des VI° et VIIe siècles les groupes
latins sont souvent écrits avec des lettres grecques, et c devant e
et i est rendu par κ. Exemples : δεκει pour decem (Mar. p. 172),
φεκιτ, δεκιμ pour fecit, decem (Maffei, Istor. dipl. p. 167,
Mar. p. 186), πακειφικος, υενδετρικαι, φεικαερομ pour pacificus,
venditrice, fecerunt (Maff.166, Mar. 188, de l'an 591), δωνατρικι,
κρουκες, φικετ, βικεδωμενον pour donatrice, crucis, fecit, vicedominum
(Maff. 145, Mar. 145). Ces chartes sont du VIe
siècle, dans d'autres peut-être un peu postérieures on lit de
même φικετ (Mar. p. 140), κιβιτατε pour civitate (id. p. 142). Dans
231une charte latine, également de l'exarchat et de l'an 650 (Maffei
p. 171), quaimento est pour caemento, c.-à-d. qu pour c. La
question est donc celle-ci : la lettre grecque κ représente-t-elle
simplement le signe latin c ou exprime-t-elle le son guttural ?
Comme les scribes s'appliquaient visiblement à indiquer partout
la prononciation vivante et écrivaient par exemple αννομερατους,
σοσκριψι, λεγιτορ sans s'occuper de l'orthographe latine, la première
alternative est difficilement admissible. De même les Grecs
écrivirent postérieurement τζερτα, ιντζερτος = certa, incertos
(dans les Basiliques. — 4) Encore à la fin du VIe siècle les prêtres
romains en Bretagne rendaient la forte gutturale anglo-saxonne
sans exception par c : cêne audax, cild infans, cyning rex, et
ce mode de transcription se trouve dans les premiers monuments
du haut-allemand. — 5) Il faut mentionner à part le c devant i quand
il est de plus suivi d'une autre voyelle ; l'assibilation doit s'être produite
de bonne heure ici, puisque dans les plus anciennes chartes
c se confond souvent avec t. Les inscriptions, jusque dans les
premiers temps de l'époque impériale, faisaient au contraire
encore une soigneuse différence entre ci et ti ; c.-à-d. que pour
ci on n'employait pas en même temps ti et réciproquement. Ti
se montre seul par ex. dans nuntius, ci dans condicio (Corssen).
Mais dans les chartes on écrivait soiacio, perdicio, racio,
eciam, precium à côté de solatio, etc., et en même temps ce c
ou t était rendu par le grec ζ ou τζ ou aussi par z lat. (onzias
pour uncias Mur. Ant. II, 23, de l'an 715 ?) ; à côté de ce ζ, τ est
encore employé : πρετιο, πρεσιντια, et pour cia on a κια, etc. :
γενεκιανι, ροστικειανα, ουνκαιαρον pour geneciani, rusticiana, unciarum,
et même πρεκειω est une fois (Maff. 166) pour pretio,
c.-à-d. κ pour t, cf. dans une charte gothique d'Arezzo, probablement
du commencement du VIe siècle, unkja = uncia.
D'après les derniers exemples, on doit admettre ou bien une
incertitude ou bien une diversité provinciale dans la prononciation
du ci ou ti devant les voyelles. Cette hésitation
est certainement admissible, quand on songe que les sons ne se
transforment qu'insensiblement. — 6) Depuis le VIIIe siècle c est
enfin admis devant e et i, dans l'alphabet allemand, au lieu de z
(cit, crûci) alors même qu'aucune autre voyelle ne suit ; la
nouvelle manière de prononcer le son guttural c doit avoir été
déjà très-répandue alors sur le sol roman et être née probablement
au VIIe siècle 1129. A l'origine le c semble avoir eu la valeur
232d'un z dur, comme encore dans des dialectes italiens et portugais
et en valaque du sud, non-seulement parce que les scribes
allemands le traitaient comme le z allemand, mais aussi parce que
dans les groupes ci-dessus cia, cio, il remplaçait le t = z
(etiam, eciam). En italien et valaque du nord ce ts s'épaissit en
ć ; dans les langues de l'ouest il se détermina comme un simple
son sifflant, qui cependant en espagnol, grâce à un choc particulier
de la langue, rappelle, ce semble, le son indiqué plus
haut 1130.

On sait par l'histoire des langues que les sons gutturaux,
devant les voyelles pleines a, o, u, conservent leur nature (il y
a cependant des exceptions, comme nous l'avons vu plus
haut), et que devant les voyelles plus grêles i et e, ils
deviennent facilement des sons sifflants et palataux. Ce phénomène
s'est produit sur une grande échelle dans la famille
romane, en ce qui touche l'élément latin. Le roman a ici la plus
grande ressemblance avec les langues slaves : ainsi dans
l'ancien slovène les gutturales k, g, ch devant les voyelles grêles
ne s'emploient pas, mais k devient tantôt ć, tantôt tz, et g
tantôt ź, tantôt z, le ch manquant au roman devient ś et s. Le
233lithuanien k se change très-souvent aussi en lette devant i et e
en z = ts (Pott, Forsch. Ire édit. I, 77). En grec moderne
ce phénomène n'est pas arrivé à son plein développement ;
cependant k, dialectalement, devant le son i se prononce
comme ć (ib. II, 11). C'est à peu près de même que dans les dial.
albanais kj devient ć (v. Hahn Studien II, 20). Pour ce qui est
du domaine germanique, de l'anglo-sax. ci ce = ki ke naît
l'angl. ch = ć ; on constate presque la même chose en ancien
frison (Rask, Frisisk sproglaere, 10.18), et d'après une opinion
particulière (Rask, Angels. sprogl. 8) aussi en suédois. En
h.all. on peut rappeler la parenté qui existe entre qu et zu
(Grimm, I2, 196).

2. Quelquefois la gutturale originaire est représentée par
d'autres sifflantes ou palatales. L'italien admet z dans quelques
cas : ainsi zimbello (cymbalum), dolze, donzella (dominicilla*),
dozzi (duodecim), lonza (lyncem), sezzo (secius) ;
ailleurs z est dialectique. Quand une voyelle tombe entre ć et t,
le son palatal ne se maintient pas et devient s : amistà (amicitas*),
destare (de-excitare), fastello (pour fascettello). Parfois
on trouve la palatale douce : gelso (celsus), abbragiare
(pour abbracciare), augello (aucella), congegnare (concinnare ?),
damigella, doge (ducem), dugento (ducenti, cf. lat.
quingenti), piagente (placens), vagellare (vacillare). En
esp. z est rare : zarzillo (circellus) ; plus fréquemment ch :
chicharo (cicer), chico (ciccum), chinche (cimicem), corcho
(corticem), lechino (licinium), marchito (marcidus),
pancho (panticem), picho (picem). Port. murcho (murcidus) ;
s dans visinho (vicinus). — En provençal, z, qui correspond
ici à une s douce, est très-usité : auzel, jazer, Lemozi
(Lemovices), plazer, vezi ; ss correspond phonétiquement à c
et est une autre manière de l'écrire, comme dans vensser (vincere),
taisser (tacere). — En français aussi s ou ss s'emploie
souvent, cf. sangle (cingulum), siller (cilium), dîme pour
disme (decimus), génisse (junicem), pance (panticem),
poussin (pullicenus) 1131. Comme en espagnol, ch a aussi pénétré
en français : chiche (cicer), farouche (ferocem), mordache
234(mordacem), moustache (mystacem), ranche (ramicem).
— Les exemples valaques avec tz sont tzenterimu (cœmeterium)
Lex. bud., otzét (acetum, ce mot est aussi anc.slave) ;
avec g ager (acer), vinge (vincere).

La gutturale ne se serait-elle pas conservée dans quelques
cas ? C'est à peine admissible : la tendance de la langue était
trop nettement indiquée. Il est vrai qu'à l'encontre des autres
langues, le valaque présente encore la forte gutturale, mais ici
l'influence grecque est visible, non-seulement dans les mots
d'origine grecque, comme chedru (κέδρος), chime (χῦμα), mais
encore dans beaucoup d'autres, comme chelariu, dechemvrie
qui avaient leur type dans le grec κελλάρης, δεκέμβριος. Dans
d'autres comme cęrchea (circulus), cucutę (cicuta), tacųnd
(tacendo), scųntée (scintilla), val. du sud pęntecu (pantex),
pescu (piscis), la voyelle décisive s'est modifiée après c. Nous
verrons tout à l'heure ce qu'il faut penser des formes comme
nucę (nucem), salcę (salicem) ; chinge (cingulum) paraît
être un exemple assuré, mais le changement en clingum et finalement
la chute du t étaient très-possibles. Il y a cependant un
dialecte qui a résisté à la modification de la gutturale forte,
c'est celui de Logudoro. A l'initiale la forte persiste dans la
plupart des mots, cf. chelu (cælum), chena (cœna), chentu
(centum), chera (cera), chervija (cervix), chiza (cilium) ;
dans d'autres comme zegu (cæcus), zertu, zibu. Le zétacisme
a déjà pénétré : en médiale, entre voyelles la forte passe à la
douce : boghe (vocem), dughentos (ducenti), faghere (facere),
mais il y a ischire (scire), pischina (piscina). Dans ce dialecte
nous rencontrons donc encore l'écho de la prononciation
romaine, qui n'a pu se conserver que dans le profond isolement
d'une contrée montagneuse. Il est difficile d'attribuer une
influence au grec, qui n'a exercé nulle part en Italie une
action analogue. Les autres langues ne présentent aucun
exemple. Le français lucarne (lucerna) renvoie à un latin
lucarna, qui se retrouve aussi dans le gothique lukarn ; de
même une forme lat. lacartus paraît avoir précédé le portug.
lagarta, esp. lagarto (lacertus). Dans quelques substantifs
comme en ital. rádica (radicem), sorgo (soricem, Inf. 22,
58 sorco), esp. pulga (pulicem), les nominatifs radic-s,
sorec-s, pulec-s peuvent avoir influé sur la prononciation du c,
ce qui serait vrai aussi pour le val. nucę et salcę et pour le
napol. jureche (judicem) ; cependant le transport direct de
quelques-uns de ces mots de la troisième déclinaison à la première
235ou la deuxième est un phénomène encore plus vraisemblable,
car il se présente souvent : on a pu dire radica à côté
de radix, de même que dans le latin classique on disait fulica
à côté de fulix. Sur duca (dux), giuschiamo (hyoscyamus),
scojattolo (sciurus), voy. mon Dict. étym. I 1132.

4. Nous avons déjà remarqué la chute particulière au français
du c devant a, o, u. Le c sera-t-il tombé aussi devant e, i,
bien que déjà en b.lat. il fut devenu sifflant devant ces voyelles ?
C sonnait alors comme ts : or nous savons que s (du moins devant
les voyelles) résiste absolument à la syncope, et il n'y a pas de
raison pour que l'union avec un t précédent ait diminué en rien
la ténacité de la sifflante. Pourtant facere a donné en fr. faire
avec chute du c ; on a de placere (accentué plácere) plaire,
de nócere nuire, de dicere dire, de coquere (cocere) cuire,
de placitum plaid (IXe siècle), etc. A côté sont des formes
où une s correspond au ç latin, comme dans faisons (facimus),
fisdrent (fécerunt), disons (dicimus), plaisir, nuisir. Peut-on
admettre que les mots et les formes où le c a disparu provenaient
d'une époque où cette lettre était encore gutturale, par suite
exposée à tomber, et que les mots et formes en s provenaient
d'une époque où le latin s'était fait déjà à l'assibilation ? Les
recherches sur cette question donneraient difficilement un
résultat satisfaisant. Les deux époques, l'ancienne et la moderne,
la latine et la romane, se sont donné la main vers le VIIe siècle ;
on peut supposer quelques exceptions à la règle devenue générale,
et c'est surtout dans la conjugaison qu'elles semblent se faire
jour. Doit-on maintenant, en ce qui concerne le cas présent,
admettre la série fakere faëre faire, ou fakere fakre faire
(k résolu en i), ou fakere fazere fazre faire ?236

5. Le traitement du lat. ç dans un des plus importants dialectes,
le catalan, est digne de remarque. Il tombe comme en
franç. et en prov., et on ne doit pas s'en étonner : ainsi dans
dir, fer, etc., et aussi dans deya (trisyllab. dicebat), feya
(faciebat), dehembre (decembre), rebre (recipere), vehi
(vicinus). La sifflante t ( = esp. z) peut éprouver le même sort :
prehar (pretiare*), rahó (ratio). Mais ce qui étonne, c'est
que le c disparu est remplacé par u, rarement au milieu du
mot, mais tout à fait régulièrement à la fin du mot, et cet u forme
alors une diphthongue avec la voyelle précédente : jaure (jacere),
plaure (placere), creu (crucem), diu (dicit), feu
(fecit), nou (nucem), pau (pacem), veu (vocem). Comment
expliquer ceci ? Plaure est-il né de plaire et plaire de placre
comme Jaume de Jacme ? Mais cet u tient aussi la place de z,
comme dans palau (palatium), preu (pretium), et remplace
même la désinence verbale ts comme dans haveu (habetis), qui,
dans les plus anciens se montre déjà çà et là à côté de havets.
Comme u ne peut provenir ni de ç, ni de z, ni de ts, on doit
présumer que ce dialecte, grâce à sa position particulière, a
préféré la voyelle u là où le prov. ou le franç. auraient mis i,
ce qu'il a fait par ex. aussi dans traure = prov. traire, cf.
ci-dessus, p. 186, note. C'est précisément ainsi que le portug.
met ou pour oi sans se soucier de l'étymologie, par ex. mouro
pour moiro (morior). De amats (amatis), par ex., a pu être
formé d'abord amaus = esp. a-mais, puis amau, de nucem
d'abord nous, puis nou.

Le ch latin devant les voyelles douces n'est traité comme c
par les langues romanes que dans les mots anciens : ital.
celidonia (chel.), cirugiano (chirurgus), Acerenza (Acherontia),
arcivescovo (archiep.), braccio (brachium), Durazzo
(Dyrrhachium), macina (mach.), Procida (Prochyta) ;
esp. celidonia, cirujano, arzobispo, brazo ; prov.
celidoni, ciragra (chir.), arcivesque, etc. ; anc.franç. seorgien
(chir.). Au contraire, ital. chimera, chimico, chirurgo,
architetto, lisimáchia ; esp. quimera et suiv. ; fr. chimère,
archevêque, etc. Déjà dans les inscriptions romaines on lit
bracium (Schneider, I, 397), dans les chartes senodocium
Bréq. n. 122 (de l'an 648), sinedocio Mur. Ant. III, 569 (de
l'an 757), monaci et arcipresbiter, ibid. V, 367.

CC. Ital. bacca, becco, bocca, ecco, fiacco, fiocco (floccus),
moccolo (muccus), peccare, sacco, secco, socco, succo,
vacca. Esp. baca, boca, chico (ciccum), flaco, flueco, moco,
237pecar, saco, seco, suco, vaca. Franç. bec, floc, sac, sec,
soc, suc ; ch pour cc, v. ci-dessus p. 229. L'adoucissement n'a
pas lieu : le prov. baga, franç. baie, se rapporte à la forme latine
baca dont on a des exemples ; esp., portug., prov. braga,
franç. braie à braca, non pas à bracca qui n'a pas eu de
correspondant en roman ; ital., esp. sugo se rapporte à sucus.
— Devant e et i la double consonne éprouve le sort de la simple,
de là l'ital. accento, accidente, successo ; esp. acelerar,
aceptar, suceso. Cependant, quand dans cette dernière langue
les deux c persistent, la première de ces lettres conserve en même
temps le son guttural, par ex. ac-cento à côté de acento, ac-cesion,
ac-cidente (arch. acidente). En français cela arrive
toujours, ac-cent, ac-cident, suc-cès.

CL, voy. à L.

CT. Cette importante combinaison éprouve tantôt une assimilation,
ce qui est le procédé commun au roman, tantôt une résolution
de la gutturale en i avec formation de diphthongue,
comme dans les langues de l'ouest, tantôt enfin, différant en cela
de la forme de la combinaison cs, une résolution des deux lettres
en un son palatal après avoir (à ce qu'il semble) passé par it.
Ct persiste fréquemment, surtout dans les mots d'origine récente.
Dans la voie de l'assimilation ou de la syncope du c devant les
consonnes, le latin avait, comme l'on sait, précédé ses rejetons :
gluttio est pour gluctio de glocire, mattea pour mactea,
natta pour nacta, sitis pour sictis de siccus, artus pour
arctus, fultus pour fulctus. Dans le latin provincial ou postérieur
on rencontre Vitoria pour Victoria, santo pour sancto,
defunto ; dès le commencement du IVe siècle apr. J.-C. lattuca,
otto, qui sont complètement italiens, voy. Corssen, 2° édit.,
I, 37, 39, 43. Dans les chartes postérieures on lit maleditus
Bréq. n. 64 (de l'an 627), ditto Brun. p. 625 (de l'an 772). Parmi
les domaines voisins, celui du celtique présente spécialement de
nombreux exemples d'adoucissement, par ex. kymr. laith llaith
(lat. lactem), reith (rectum), traeth (tractus), voy. Zeuss, I,
172. En italien, l'assimilation seule existe : atto (actus), cotto,
detto (dict.), diritto (direct.), fatto, frutto, letto, notte,
petto, tetto, giunto (junctus), santo. La résolution en une
palatale (prononcer cc comme l'esp. ch) se rencontre dans les
dialectes : milan. lacc (lactem), lecc, noce, pecc, peccen
(pecten), tinc (tinctus), dans Bonvesin digio (dictus),
dregiura (directura), fagio (factus). — L'espagnol emploie
l'assimilation moins souvent que la forme pleine ct. Exemples :
238abstracto, acto, activo, directo, docto, doctor dotor, efecto
(arch. efeto), fruto, matar (mactare), octubre (arch. otubre),
olfato (olfatum dans une charte du IXe s. Esp. sagr. XI,
264), junto, llanto (planctus), santo, afliccion (arch. aflicion),
faccion (arch. facion). La résolution du c en i et u
se voit dans pleito (de plectere), auto (actus), populaire
carauter (character), voy. Monlau, 39. Dans les mots les
plus importants ch est la forme usuelle pour ct : derecho,
dicho, estrecho (strictus), lecho, noche, ocho, pecho, techo,
cincho (cinctus), anc.esp. frucho Bc. FJuzg 1133. Ici l'e ( =
Port. ei, prov. ai) indique quelquefois un c affaibli en i : hecho
(factus), lecho (lactem), pecho (pactum), trecho (tractus),
voy. ci-dessus p. 137. — Portug. acto, dito (dictus), fructo,
juncto junto, luto (luctus), matar. La forme dominante est
le c affaibli en i, à côté duquel on trouve aussi l'u : direito,
estreito, feito (fact.), leito, noite, oito ; auto, outubro,
doutor (doctor) ; altpg., coito (coctus), condoito (conductus)
SRos., oytubro FTorr. p. 614, auçom (actio), autivo (activus),
contrauto (contractus) SRos. La résolution en ch
comme dans colcha et trecho est beaucoup plus rare. Le provençal
supporte ct dans actual, affliction, contract, dictar,
doctrina, lector, octobre, etc. Mais la forme véritablement
indigène, ici comme en portugais, est la résolution du c en i, p. ex.
coitar (coctare*), duit (ductus), destruit, dreit, estreit, fait,
frait, noit, peitz, (pectus), trait. Cet i peut se fondre dans un
i précédent, comme dit (dictus). Dans le groupe nct il est attiré
par la voyelle radicale : oint (unctus), peint (pinctus de pictus),
saint (sanctus), théoriquement pour onht, penht, sanht.
Un autre dialecte présente ch comme en espagnol : cochar, drech
dreich
, fach, frach, estrech, dicha, poncha (puncta),
sanch (sanctus, voy. Leys d'am. II, 208), à la place duquel
g est aussi employé en finale : dreg, fag, etc. — En français aussi
les formes sont multiples. Les nombreux mots tout latins, comme
action, abstract, direct, docteur, octobre, se comprennent
d'eux-mêmes et n'ont pour l'histoire de la langue aucune importance.
239Exemple d'assimilation : contrat, effet, jeter, lutrin
(b.lat. lectrum), lutter, pratique, roter (ructare), façon
(factio). Surtout adoucissement : conduit, droit, étroit, fait,
nuit, joint, peint, saint. Quelques exemples présentent aussi
la résolution en ch propre à l'espagnol et au provençal : ainsi
cacher (coactare), fléchir (flectere), empêcher (impactare*).
— En val. l'assimilation est rare, peut-être dans aretà
(de rectus), fluturà (fluctus), unt (unctum), val. du sud
fruttu. Ct persiste rarement, comme dans octomvrie (october).
seactę (secta). Les formes nationales pour ce groupe sontpt
et ft, par ex. ajeptà (adjectare*), asteptà (exspectare),
copt (coctus), fipt (fictus pour fixus), fępture (fact.), fript
(frictus), lapte, luptà (luctari), noapte (noctem), pept,
peptene, supt (suctus) ; doftor (doctor), óflicę (hectica),
lefticę (lect.).

CS, c'est-à-dire x. Pour briser la dureté de ce groupe
l'assimilation était indiquée ; il y en a déjà des exemples
en latin, comme eossim, assis, lassus, trissago pour
coxim, axis, trixago, dans les inscriptions conflississet
Grut. Ind. ss pro X, obstrinserit Orell., æssorcista
(exorc.) Mur. Inscr. p. 1841, sistus (sextus) Reines., dans
les manuscrits frassinus, tossicum (Schneider, I). La langue
moderne se sert aussi de ce moyen avant et après les consonnes
et entre voyelles. Elle emploie de même la résolution du c en i,
d'où naissent des diphthongues, et aussi le changement du
groupe entier en une aspirée ou une sifflante. En italien sci est
traité à la fois et par l'assimilation et par le changement. L'assimilation
en ss s'opère quand cs est placé entre deux voyelles :
Alessandro, bosso (buxus), frassino, flusso, lasso, lusso,
matassa, rissa, tasso, tessere, visse (vixit) ; ansio (anxius),
esperienza, esplorare, tosco (toxicum) ; une s simple suffit
cependant à la particule ex et à quelques autres mots : esame,
esemplo, eseguire, Bresello (Brixellum), fiso (fixus). Les
exemples avec sci, sont : Brescia (Brixia), coscia (coxa),
lasciare (laxare), lisciva (lixivia), sciame (examen), scialare
(exh.), sciagurato (exaug.), scegliere (ex-eligere),
scempio (exemplum), escire (exire), sciocco (exsuccus).
— De même val. : Alesandru, esemplu, estre (extra), frásin
(frax.), lasà, mętasę, Sas (Saxo), tzesęturę (textura) ; eśì,
liśie. Quelquefois x : Xavérie, toxicę Lex. bud. En espagnol
la variété est encore plus grande. Le son latin cs persiste
souvent, comme dans examen, exequias, eximir, luxo, sexo,
240maximo, même devant des consonnes, comme dans excepto,
extremo, sexto, texto. L'assimilation se présente dans plusieurs
mots aussi bien devant les consonnes que devant les
voyelles, par ex. fresno (fraxinus), tasar (taxare), tosigo
(toxicum), ansio. D'autres mots préfèrent l'aspirée x (j) analogue
à l'italien sci : Alexandro, buxo, coxo (de coxa), dixe
(dixi), exemplo, texer, xaguar (exaquare*), xamete (b.gr.
ἑξάμιτος ξάμητος), xaurado (exauguratus). Quand un a
précède cette aspirée, il se change en un e, correspondant au
portugais ei (cf. beso, beijo) : exe (axis), lexos (laxus),
madexa (metaxa), mexilla, texo (taxus). A la première syllabe
du mot, on prépose parfois encore n à l'aspirée x : enxambre,
enxemplo arch., enxundia (axungia), enxugar (exsuccare) ;
sur l'origine de cette n, voy. p. 228, n. 1. Seis (sex) nous présente
un exemple de la résolution de c devant s. — Le signe x se maintient
ordinairement intact en portugais comme en espagnol,
mais il possède ici aussi des valeurs phoniques diverses (cf.
dans la section II). X = cs dans fluxo, nexo, sexo, etc. ; x =
is dans experto, extremo, exemplo ; x = ital. sci dans coxa,
enxame, enxugar, enxundia. Nous avons des exemples de résolution
de c en i ou en u dans seis (= esp. seis) dont on peut rapprocher
l'analogue eis (ecce), et dans l'arch. tousar (taxare) SRos.
Eixo (axis), leixar arch., madeixa, seixo (saxum), frouxo
(fluxus) nous offrent des exemples de résolution de c en i ou en u,
dans lesquels l'écriture conserve x, comme en esp. On rencontre
aussi s et ç : tasar, ansio, tecer. — On peut admettre l'assimilation
pour quelques cas dans les langues du nord-ouest, comme pour
le prov. essai (exagium), esclairar, essugar, josta (juxta) ;
franç. essai, éclairer, essuyer, joûter. En outre, x persiste
dans les noms propres et dans la plupart des mots savants, par
exemple pr. Alixandre, exemple, exercir ; fr. exact, examen,
exploit, luxe, maxime, sexe, préfixe. Mais la forme
dominante est la résolution en iss : prov. aissela (axilla), bois
(buxus), eissart (exsárritum*), eissil (exilium), eis (exit),
fraisse (fraxinus), laissar, maissella, proisme, teisser
(tex.), oissor (uxor) ; fr. ais (axis), aisselle, Aisne
(Axŏna), buis, cuisse (coxa), frêne (de fraisne), laisser,
paisseau (paxillus), et aussi en v.fr. buisine (buccina équivalant
à bucsina).

La chuintante ou l'aspirée née de cs semble reposer sur la fusion
intime avec s d'un i provenant de la résolution d'un c, par un
procédé d'abord général, et encore usité dans le nord-ouest. Ainsi
241de coxa est d'abord venu cojsa, puis cosja, et de là en ital. coscia
et en esp., avec une tendance à l'aspiration, coxo. On a des
exemples qui appuient cette explication, au moins dans l'ital.
bascio de basium basjum, cascio de caseus casjus, et dans le
portug. puxar de pulsare puisar.

Un fait caractéristique pour le mode de formation des langues
romanes est l'inversion immédiate du cs en sc = sk, qui s'est
produite dans beaucoup de mots. Ainsi laxus est devenu en
ital. lasco, en prov. lasc, lasch, en franç. lâche, comme de
laxare vient l'esp. lascar, le prov. lascar, laschar, le franç.
lâcher ; c'est donc un exemple général en roman. Du b.lat. taxa
est venu le prov. tasca, tascha, le franç. tâche, l'angl. task.
De traxit est venu le catal. trasch, de vixit le v.esp. visco,
le prov. visquet. De fracassare, contract. fraxare, le prov.
frascar. De flaccidus (cci = xi) le fr. flasque. Dans les
mots français mèche (myxa) et échemer arch. (examinare),
ch correspond de même à l'x latin, c'est-à-dire à un sc intermédiaire,
aussi ce dernier mot se trouve-t-il dans un poète
espagnol sous la forme escaminar, voy. Canc. de B. Le
valaque présente aussi une trace de cette inversion, si l'on
accepte la dérivation vęścà (remuer, secouer) de vexare. Sur
la même transformation dans d'autres mots romans et même
celtiques, voy. mon Dict. Etym. I, lasciare ; on pourrait aussi
rappeler des exemples grecs, tels que ξένος σκένος, ξίφος σκίφος.

LC, NC, RC, TC, DC. Il faut remarquer dans ces combinaisons
le passage fréquent de la forte gutturale à la palatale douce
(et en esp. à l'aspirée). Mais souvent aussi le c suit la règle
générale, c'est-à-dire qu'il persiste, ou se change en douce, et
en franç. en ch. Ce changement anomal ne peut s'expliquer que
par le voisinage avec le c des sons linguaux et dentaux. Les
exemples existants sont : 1) De LC seulement le v.franç.
delgié, deugé (delicatus) ; esp. delgado et non pas deljado.
2) de NC (provenant souvent de la syncope de ndc) : ital.
mangiare (manducare man'care), vengiare (vindicare) ;
esp. canonge arch. (canonicus), manjar, monja (monacha),
portug. monja ; prov. manjar, monje, penjar (pendicare*),
venjar ; franç. manger, venger, Saintonge (Santonicus
pagus
), v.franç. canongé (canonicatus), escomenger (excommunicare),
mais à côté le franç. mod. pencher ( = prov.
penjar), revancher. — 3) De RC : en ital. seulement avec c
carcare caricare
 ; en esp. avec g cargar, sirgo (sericus) ;
prov. bergier (vervecarius ver'carius*), farjar (fabricare) ;
242franc. berger, charger (carricare), clergé (clericatus),
forger, serge (serica), v. franç. enferger (inferricare*),
furgier Ren. I, 21 (de furca). — 4° De TC : ital.
selvaggio (silvaticus), viaggio (viaticum) ; esp. herege,
(hereticus), salvage, viage ; portug. herege, etc. ; pr. eretge,
gramatge (grammaticus), porge (porticus), salvatge,
viatge ; franç. sauvage, voyage, v.fr. herege, ombrage
(umbraticus) FC. II, 316, nage (natica*, voy. ci-dessus
p. 36) Bert. 96, franç.mod. avec ch Avenche (Aventicum),
nache, comme aussi perche (pertica) et aussi esp. pg, percha.
— 5° De DC : ital. giuggiare (judicare) Purg. 20, 48 ;
v.esp. miege (medicus), avec la douce g esp.mod. juzgar ;
portug. pejo (pedica) ; prov. jutjar, metge ; franç. juger,
piège, mais prêcher (prædicare).

SC médial devant e et i suit presque identiquement la règle
du cs. En ital. sc reste mais n'exprime plus qu'un son simple :
conoscere, fascia, pesce ; s pour sc dans rusignuolo ; c dans
fiocina (fuscina) ; g dans vagello (vascellum*). — Esp. x :
dexenxo arch. (descensus), faxa, faxo (fascis), pexe ; mais
la forme habituelle est c ou z : conocer, crecer, haz (fascis),
pacer, pez, à côté de ruiseñor. — Portug. faixa, feixe,
mexer, peixe, rouxinol ; conhecer, crescer, pascer. —
Prov. aissa, conoisser, creisser, deissendre, fais, faissa,
iraisser, meisser, paisser, peis, peisson, soissebre (suscipere),
Rossilho (Ruscinion). — Franç. faix, faisceau, poisson ;
avec intercalation d'un t : connaître, etc. Pour SR, voy.
sous S. — Val. fęśie ; mais d'ordinaire sc s'échange avec śt
suivant le procédé slovène, cf. cunoaśte, creśte, muśte
(muscæ), paśte, peśte. — Cf. la forme épigraphique cresseret
pour cresceret, Orell. 4040. — C guttural, à la fin des mots,
disparaît après s, en franç. : connais (cognosco), de même dans
frais (v.h.allem. frisk).

SC initial, voy. S.

Q.

I. Le son guttural persiste aussi ici devant a, o, u : l'u est
tantôt sonore, tantôt muet. On trouve déjà des traces de ce dernier
cas en latin, comme cocus, cotidie ; dans les inscriptions plus
récentes et les chartes elles sont nombreuses, comme cod, condam,
alico, anticus, oblicus, ou à l'inverse quoepiscopus. Mais
à côté de la forte, la douce s'est établie surtout dans les langues de
243l'ouest. En ital. q persiste presque toujours avec u sonore :
il ne devient guère muet que dans les syllabes finales
brèves : quale, quando, quarto, quotidiano, et avec redoublement
de la forte acqua (cf. « aqua, non acqua » App. ad
Prob.
), iniquo, obliquo ; antico, cuoco, come. On trouve
la douce dans eguale, guascotto (quasi-coctus), seguo. — Esp.
avec u sonore : qual, quanto, quatro, cinqüenta (v.esp.
cinquanta) ; avec u muet, au contraire, qualidad, quantidad,
quatorce, de même nunca, escama (squama), como.
La douce est fréquente : agua, alguandre arch. (aliquantum,
aliquantulum), yegua (equa), antiguo, igual ; avec suppression
del'u dans algo (aliquod), sigo (sequor). — Prov. qual
cal
, quan can, quar car, aprobencar (appropinquare),
com, antic, enic (iniquus) ; aigua aiga, engual engal
(æqualis), segre (sequi). — En français on ne trouve q avec
u sonore que dans les mots savants, comme quadrupède ; mais
l'u est muet dans quel, qualité, quatre, quotidien, cadre
(quadrum), car (quare), casser (quassare), comme. On
trouve la douce dans égal, gant arch. (quantum), gascru (quasi
crudus
). Le q disparaît dans Seine (Sequana), et de même,
avec l'u consonnifié, dans le v.franç. antive (antiqua antiua),
ewal (æqualis) SBern. Sur eau (aqua), voy. Dict. étym.
II, c. Devant a, qu, se prononçant comme c, devrait aussi produire
ch ; et comme cela n'arrive pas, il est probable que u dans
le groupe qua n'était pas encore muet à l'époque où ca est
devenu ch. Cependant on trouve l'anc. fr. onches (unquam)
et même les formes picardes auchun et cachun, cf. Fallot, 359.
— En valaque, on trouve la forte avec chute de l'u : cųnd
(quando), care (qualis), cum (quomodo). Mais parallèlement
il s'est produit un remarquable changement en p : apę (aqua),
eapę (equa), patru (quatuor), pęreásimi (quadragesima),
qui rappelle la parenté et la rencontre bien connue de ces deux
lettres dans d'autres langues 1134.

II. Devant e et i, dans différents mots où l'u a dû devenir
muet de bonne heure, qu se prononce comme le c roman devant
les mêmes voyelles. Le latin emploie ci, ce pour qui que, dans
244secius pour sequius, dans cocere pour coquere, Schneider,
I, 336 ; une inscription romaine du IIIe ou IVe siècle a cinque pour
quinque, voy. Murat. Ant. II, 1008 ; plus tard, on trouve
fréquemment dans les chartes cinquanta pour quinquaginta.
Les exemples italiens avec qu sont : querela, quercio, quiete,
quinto ; avec ch : cherere (quærere), chi (quis), cheto (quietus) ;
avec c : cinque, cuocere, laccio, torcere ; chute du q
dans le nom de fleuve Livenza (Liquentia), cf. ci-dessous
prosevere. — En espagnol, l'u s'entend dans les mots modernes
comme qüestion, conseqüencia ; autrement il est muet comme
dans querer, quitar. Ç ou z dans acebo (aquifolium), cerceta
(querquedula), cinco, cocer, torcer, lazo, etc. — De même
le français ne fait aussi entendre l'u que dans les mots d'origine
récente. Ç ou s se trouvent dans cercelle ( = esp. cerceta),
cinq, lacet, cuisine (coquina), etc. ; cs dans lacs (laqueus) ;
ch dans le chi des textes les plus anciens (lat. qui) et dans
chaque (quisque, voy. Dict. étym.), chêne (quercinus*).
On trouve la douce dans Guienne = prov. Guiana (Aquitania)
et dans aigle = prov. aigla (aquila), ou l'i a en même temps subi
une attraction. Chute du g dans cuire (coquere), suivre (sequi,
déjà prosevere dans les Form. andeg.), l'Yveline, nom d'une
contrée (Aquilina) Voc. hag. — En valaque on ne trouve que
ć ou z : ce (qui, quid), nicĭ (neque), cincĭ, coace, stoarce
(extorquere), latz ; et jamais qu (cęśtigà ne vient pas de
quæstus, mais de castigare).

On peut comparer à l'assourdissement de u après q le même
phénomène en allemand : v.h.allem. chena de quena, moy.h.
allem. kal de qual, kil de quil, kit de quît, angl.sax. com de
qvom, angl. kill de qveljan.

G.

La douce a eu le sort de la forte : c'est la lettre suivante qui
fixe sa valeur.

I. 1. Devant les voyelles a, o, u et devant les consonnes,
tantôt g persiste comme gutturale douce, tantôt il s'affaiblit ou
disparaît comme les autres douces. Sur g initial, il n'y a
rien à dire. Médial, il persiste le plus souvent en italien.
Exemples : castigare, fragrante, fuga, giogo (jugum),
legale, legare (ligare), legume, negare, pagano, pelago,
piaga (pl.), regale, regola, rogare, ruga, vago. Syncope
dans Aosta (Augusta), auzzino à côté de aguzzino (arab.),
245intero (integrum), nero (nigrum), leale = legale, reale =
regale, sciaurato sciagurato (exaug.), Susa (Segusium).
— Esp. castigar, fatigar, fuga, yugo, legar (legare), negro,
llaga, etc. Ici aussi la syncope n'a que peu d'empire, par ex.
dans Calahorra et Loharre (Calagurris), frido (frigidus,
cf. fons fridus Yep. II, n. 13, de l'an 646), leal à côté de legal,
liar (ligare), lidiar (litigare, elidiare Form. Marculf.
app
. 3), Mahon (Mago), entero, pereza (pigritia, v.esp.
pegricia Alx.). — Le portugais à peu près comme l'espagnol.
Résolution en i dans cheïrar (fragrare), inteiro (integrum).
— En provençal, la douce originaire se comporte comme la
douce provenant d'une forte, en ce sens qu'après a, e, i, elle
peut se résoudre en i (y), par ex. flairar (fragr.), jagan
jayan
(gigantem), pagan payan, plaga playa, entegre
enteir
, legum lium, leial, negar neyar, nègre neir, fatigar
fadiar
, ligar liar, pigreza. Mais cette douce primaire se différencie
de la douce secondaire (née de c), en ce qu'elle est sujette
de plus à la chute complète : agost aost (augustus), agur aür
(augurium), rogazo roazo (rogatio), ruga rua ; non pas
ayost, ayur, royazo, ruya. — En français, la résolution, et
finalement la chute (double phénomène que nous avons déjà
étudié à l'histoire du c) dominent, et sont même devenues les
formes nationales. On trouve la résolution par exemple dans
flairer, païen, plaie, Loire (Liger), noir. La chute a lieu
dans bonheur (a.fr. bonaür), août, géant, paresse (pour
péresse, pigritia), pèlerin, lier, nier, châtier, rue (ruga) ;
i dans nier, etc. semble, ici comme pour le c (voy. p. 227),
remplacer un ei antérieur. Dans les mots récents, g persiste
comme c : fatiguer, légal (vraie forme française loyal),
léguer, légume (vieux leüm), règle (vieux riule rule), tigre,
vague et maints autres. — Val. fugę, legal, legà, legumę,
negru, pęgųn, regal.

Lorsque le g guttural devient final par apocope romane, il
reste intact en valaque : fag, plųng (plang-o), larg. De même
en français : joug, long. En provençal, la douce se durcit
suivant une règle générale en forte : castic (castig-o), lonc,
larc. G final peut naturellement se résoudre en i : par ex. le prov.
lei vient de leg-em. Mais il peut aussi devenir u : prov. fau
(fag-us, ou peut-être de fa[g]us ?), crau (kymr. crag), esclau
(v.h.allem. slag). Même devant une consonne, ce changement
de la gutturale douce a lieu : v.franç. fleume (phlegma), prov.
sauma (sagma), esmerauda (smaragdus), mais dans les deux
246derniers exemples on rencontre aussi l pour u ; voy. ci-dessous
à GM, GD 1135.

2. Au changement du c en ch correspond le changement de
g en j devant a latin, fréquent en français et dialectal en provençal.
Exemples à l'initiale :jatte (gabata), jaune (galbinus),
Javoux (Gabali), geline (gallina), joie (gaudium),
jouir (gaudere) ; prov. joy, jauzir. Médiale : franç. Anjou
(Andegavi), asperge (asparaga pour asparagus), large, allonger ;
pr. Anjau, larja, lonja. L'on trouve aussi dans les
langues du sud des traces de cette permutation, peut-être sous
l'influence française : ital. gioire, gioja, pg. jalne jalde (fr.
jaune), jouver, joya ; esp. jalde, joya. Dans le dialecte roumanche
de l'Engadine ga s'adoucit en gia : giallina, giada
(prov. vegada), giast (allem. gast).

3. Dans quelques mots, la douce a été élevée à la forte (cf.
d) : ital. esp. cangrena, franç. cangrène (gangræna), esp.
Cadiz (Gades), Cinca, nom de fleuve (Cinga, d'après Cabrera),
ital. faticare, franç. marcotte (mergus), parchemin = parcamin
(pergamenum).

II. 1. Devant e et i, g dépouille sa qualité de gutturale douce
et devient une palatale ou chuintante douce, qui en espagnol se
transforme en aspirée. A la fin du mot, quand il a fait tomber
devant lui les voyelles décisives e ou i, g finit lui-même par tomber
ou bien se fait représenter par un i, car, d'ordinaire, aucune
palatale n'est tolérée à cette place : ital. re (reg-em), esp. ley
(leg-em), rey, prov. lei, rei, de même brui (lat. moy. brug-it),
fui (fug-it), fr. loi, roi, fuit. Rien n'indique que le g latin ait
eu une valeur analogue ; il faut donc se demander jusqu'où
remonte cette innovation et quelle en est la cause ? La supposition
la plus naturelle est que la douce, placée devant les
voyelles grêles, a perdu sa valeur originaire en même temps que
la forte. On voit que g, du moins avant le VIIe siècle, ne se
prononçait pas à l'italienne, par ce fait que, lorsqu'à la fin du
VIe siècle les Anglo-Saxons échangèrent leur alphabet national
contre l'alphabet latin, ils donnèrent à g, devant toutes les
voyelles, le rôle de la gutturale douce. Mais quel est le son que g
247a pris d'abord devant e et i ? Si l'on pouvait affirmer que les langues,
dans leur développement phonique, ont partout observé
la conséquence la plus sévère, on devrait admettre pour la
douce le son du z doux (ds) comme étant l'analogue du z dur
provenant de la forte ; on devrait admettre en outre que ce z doux
aurait insensiblement glissé au son palatal, et cette hypothèse
trouve quelque appui dans l'existence du g roman (zelosus,
geloso) venu de ζ grec. Mais le fait que le j latin a pris en
roman, sinon exclusivement, du moins généralement, la même
prononciation que le g devant e et i, conduit irrésistiblement
à l'hypothèse qu'ici g s'est changé d'abord en j ou, plus exactement,
en dj, puis est devenu chuintant ou aspiré, ainsi que le
montrent les exemples ital. giorno, franç. jour, esp. jornada
de diurnum, c'est-à-dire djurnum, et en b.lat., pour
ce qui concerne le j, l'orthographe madius = madjus pour
majus 1136. L'adoucissement de la forte semble aussi avoir eu tj
pour degré intermédiaire. Entre le traitement de celle-ci et celui de
la douce, il n'y aurait que cette différence peu importante que c
(du moins dans l'ouest) s'est avancé par l'intermédiaire de tj
jusqu'à tz, tandis que g est resté à dj ou j. Mais cette prononciation
antérieure du g n'a-t-elle pas laissé de traces ? Dans
l'italien fignere et dans d'autres mots semblables, le g se
prononce, il est vrai, comme j, mais c'est peut-être par un adoucissement
amené par la rencontre de n et de g. Toutefois, on trouve
quelques traces réelles de cette prononciation, voy. ci-dessous § 3.
Des chartes des VIIIe et IXe siècles écrivent jenitos pour genitos
Fumag. p. 2 (de l'an 721), jenere pour genere Tirab. II, 50 b
(de l'an 837) ; d'autres mettent g au lieu de j, comme dans adgæcencias Bréq.
n. 140 (del'an 658), ageciencias 211 (690), mensis
magii
Mur. Ant. II, 23 (de l'an 715 ou 730). On trouve à la fois
trahere trajere tragere ; quelquefois dg : adgentes pour
agentes Bréq. p. 476. Voy. encore Anciens Glossaires romans,
tr. Bauer, p. 61 2137. Du reste, un affaiblissement analogue du g
248devant les mêmes voyelles se retrouve dans d'autres langues,
en grec moderne, en frison (jeva, c'est à-dire geben) et en suédois
(gerna, gift) : en moy.néerl. et en anc.h.allem. g, devant
e et i, s'aspire et s'exprime par gh (gheven, gheban).

2. Un changement fréquent est celui du g en z ou en un son
voisin. La parenté de ces lettres s'exprime aussi clairement dans
la représentation du, j fr. par le z allemand (joye, moy.h.allem.
zoie). Dans le dialecte vénitien g est habituellement rendu par
z, arzento = argento ; en sicilien souvent par ć, áncilu =
angelo, et dans la langue écrite bigoncia (bicongius*). En
esp. par ç après n et r : arcen (ital. argine, lat. aggerem),
arcilla (argilla), encía (gingiva), ercer (erigere), récio
(rigidus), uncir (jungere). — En prov. par z, s, seulement aussi
après n et r : borzes (burgensis*), d'où s. d. l'a.esp. burzes, par
ex. Apol. 80, puis ceinzer (cingere), sorzer (surgere), terser
(tergere), à la finale Jortz (Georgius) Chx. IV, 277 ; cf. v.fr.
eslonziet (éloigné) SBern. 546°, atarzié, id. 547°. On peut
citer en franç.mod. gencive (gingiva) né de la dissimilation.
Le Vocabularius S. Galli connaît déjà arcilla pour argilla,
et c'est peut-être de là qu'est issu aussi le nom de lieu Arzilias
dans une charte franque de l'année 664 (Bréq. n. 159), cf. wallon
arzèie pour le franç. argile.

3. La gutturale romaine persiste encore dans quelques cas
isolés. Ital. ganascia (gena), avec ou après altération, il est
vrai, de la voyelle décisive. Sarde (Logud.) anghelu, pianghere,
isparghere. Val. ghips (gypsum), lingųnd (lingendo) ; mais
le premier peut avoir été formé d'après le grec γύψος, sarde
ghisciu, nap. ghisso ; le second a altéré la voyelle. Un autre
exemple est le valaque du sud ghintę (gens) = alb. ghint. On
a un exemple espagnol dans regalar (regelare), également
avec changement de la voyelle. On en a un autre dans erguir
(erigere), sur la forme duquel la gutturale pure du présent
(erigo, erigam) paraît avoir influé. Un mot commun au roman
est l'it. gobbo, roum. gob, franç. gobin, val. ghib (gibbus),
écrit souvent en b.lat. gybbus, dans lequel y paraît être la base
de l'o roman. On peut tirer du basque des exemples plus probants :
ainsi erreguina (regina), maguina (vagina), biguiria (vigilia).
249— Des dialectes italiens connaissent encore l'adoucissement en j,
que nous avons regardé ci-dessus comme le premier pas du g en
avant, par ex. en sicil. jelu (gelu), jenestra (genista), lejiri
(legere) ; nap. jentile, jelare, conjognere. Dans la langue
écrite, il faut remarquer ariento, qui correspond par hasard au
kymr. ariant. En espagnol on rencontre des cas comme yelo
(gelu), yema (gemma), yerno (gener), yeso (gypsum),
leyenda (legenda), mais dans les mots où ye est initial, il est
possible qu'il provienne de la diphthongaison de e, et que g ait
disparu ou se soit assimilé, car l'esp. ne supporte pas g à l'initiale
avec ye, et quant à leyenda de leer, y peut y avoir été introduit
pour annuler l'hiatus, comme dans creyendo de creer. On écrit
aussi hielo, hiema, hierno, hieso. Dans quelques mots, g disparaît
complètement ou est remplacé par h muette, dans encia
(gingiva), Elvira (dans les chartes Geluira Geloira), hermano,
hinojo (geniculum). Le portugais prononce irmão (S.
Rosa a germaho) et geolho.

4. Les exemples de syncope du g devant e et i abondent. Ital.
cogliere (colligere), coitare (cog.), dito (digitus), fraile
frale
(fragilis), freddo (frigidus), mai (magis), maestro
(magister), niello (nigellum), paese (pagense), reina, rione
(regio), saetta, saime (sagina), trenta (triginta), venti
(viginti). — Esp. cuidar, dedo, ensayo (exagium), espurrir
(exporrigere), frio, huir (fugere), leer (leg.), Léon (Legio),
mas, maestro, niel, pais, reina, saeta, sain, trenta, veinte ;
Port. cuidar, dedo, etc., presque comme en espagnol. — Prov.
colher, cuidar, det, essai, freit, frire (frigĕre), lire (legere),
mais, maïstre, païs, reïna, reio, saeta, trenta, vint. —
Franç. cueillir, doigt pour doit, essai, faîne (fagina), frêle
(fragilis), froid, frire, lire, Loire (Liger), mais, maître,
nielle, reine, roide (rigidus), trente. Dans Loire et roide on
pourrait aussi expliquer l'i par le g. — Val. cureà (corrigia),
mai, męestru. — On trouve aussi beaucoup d'exemples dans le
b.lat. Ainsi recolliendo Tirab. 50b de l'an 837, treinta HPM.,
n. 131 de l'an 967, trentas Mur. Ant., III, 1004 de l'an 730,
veinte esp. Yep. V, n. 22 de l'an 978, niellatas Bréq. p. 508d.
Comme exemples d'une haute antiquité, on peut encore citer
l'ombrien mestru ( = ital. maestro), et vinti ( = ital. venti,
sicil. vinti) dans une inscription de la Villa Campana à Rome.

GU. Cette combinaison qui est à g comme qu est à c conserve
partout en ital. son u : arguire, stinguere (ext-),
inguine, languire, lingua, pingue, sangue, unguento. En
250valaque, tantôt u disparaît : lųnced (languidus), sųnge (sanguis),
unge (unguis), tantôt gu s'échange avec b : limbę
(lingua), ce qui correspond à apę formé de aqua. Dans les
autres langues, u disparaît très-souvent, il est vrai, mais g
reste guttural : esp. arguir, extinguir, languir, lengua,
sans u engle, sangre ; franç. arguer, languir, langue, sang,
aine (pour eine, egne, lat. inguen).

GL, voy. ci-dessus à L, où il est aussi parlé de la chute du g
(esp. lande de glans, liron = fr. loir de glis, fr. Lézer de
Glycerius Voc. hagiol. ; cf. lat. liquiritia de γλυκύῤῥιζα).

GM. Des mots latins tels que examen pour exagmen (exigere),
flamma pour flagma (flagrare), jumentum pour
jugmentum (jungere), laissent tomber la muette ; d'autres
comme figmentum, tegmen la maintiennent. La première forme
se retrouve en italien : aumentare (augmentare), domma
(dogma), enimma (ænigma), flemma (phlegma), frammento
(fragm.), orpimento (auripigm.) ; toutefois on écrit
aussi dogma, enigma. La seconde s'est maintenue en valaque :
dogmę, flegmę, fragment. Les autres langues admettent
indifféremment l'une ou l'autre : esp. aumentar, dogma, enigma,
flema, fragmento, pimiento ; prov. augmentar, flemma,
fragment, piment ; franç. augmenter, piment, etc., anciennement
flieme et fleume. Dans σάγμα g a été supplanté par l,
d'où la forme salma attestée par d'anciens textes (voy. p. 54),
et qui a engendré soma, somme.

GN peut prendre des formes diverses. 1) Transposition phonétique
avec adoucissement du g en j : ital. cognato, degno,
magno, pugna (punga Inf. 9, 7), pugno, regno, segno,
(signum) ; esp. deñar, tamaño (tam magnus), puño, seña ;
portug. cunhado, desdenhar, manho (Lus. 4, 32, aujourd'hui
magno) ; prov. conhat, denhar, manh, ponh, ponhar
(pugnare), renh, senh ; franç. digne, magne, règne, signe,
enseigner (insignare). — 2) Adoucissement sans métathèse :
esp. reyno (regnum) ; prov. reinar, coinde (cognitus) ; franç.
accointer (accognitare*), poing pour poin (pugnus). Sans
adoucissement : esp. pg. digno, signo. En valaque, n maintient
également sa place, mais g cède ordinairement la sienne à la nasale
m : cumnat (cognatus), tzęmn (cygnus) Lex bud., indemnà
(indignari ?), lemn (lignum), pumn (pugnus), semn
(signum). — La chute du g ne se produit presque que dans les
syllabes atones et à la finale : ital. conoscere, insino prépos.
(in signum) ; esp. conocer, desden (dignus) ; pg. ensimar,
251sinal, dino archaïque et employé seulement en poésie, indino,
sina ; franç. bénin, malin, dédain ; val. cunoaśte.

Dans GD, g se rapproche du d en se changeant en l ou en n :
ital. Baldacco (Bagdad), smeraldo (smaragdus), mándola
(amygpala) ; val. mándulę Lex. bud. (ailleurs migdálę), esp.
esmeralda (esmeracde Alx.), almendra ; Port. esmeralda,
améndoa (pour -dola) ; prov. avec u pour l Baudás, maraude
maracde
 ; franç. émeraude, amande. Magdalena est
devenu en ital. esp. Madalena, franç. Madelaine.

NG. Quand ce groupe est suivi de a, o, u, il ne donne lieu à
aucune observation. Suivi de e ou i, g est diversement traité. 1) II
reste palatal ou aspiré suivant la tendance propre de chaque langue,
par ex. : ital. angelo, fingere, giungere (j.), piangere (pl.),
lungi ; esp. cingir, fingir ; pg. cingir, fingir, frangir, pungir,
esponja (spongia), anomal enxundia (axungia) ; prov.
angel, franger, planger, esponja ; fr. ange, éponge ;, val.
ingeresc (angelicus), ninge. — 2) Il s'adoucit phonétiquement
en j, par exemple : ital. agnolo, cogno (congius), fignere,
giugnere, piagnere, spegnere (expingere) ; esp. ceñir arch.
(cing.), plañir, reñir (ringi), uñir arch. (jungere) ; en
portug. rarement, comme dans renhir ; prov. penher (ping.),
planher, unher (ung.), et aussi à la finale dans lonh (longe).
En français, ce groupe adouci nj se transpose en in : ceindre,
feindre, joindre, loin, peindre, plaindre, oindre. — Par
interversion du son, les groupes gn et ng peuvent coïncider,
comme nous l'avons vu : comp. l'it. regno avec spegnere, l'esp.
deñar avec ceñir, le franç. poing avec loing.

J.

Dans les langues filles, ce son qui flotte entre la consonne et
la voyelle a tantôt gardé sa valeur ancienne, tantôt en a pris
une nouvelle, sans que la voyelle suivante ait exercé sur lui
aucune influence 1138.

1. Le j originaire se retrouve comme semi-voyelle (à la façon
du j allemand) dans la plupart de3 langues romanes, bien qu'il
ne revête pas partout la même forme. Ital. Jácopo, jugo,
ajutare, majo, presque tous existant aussi sous la deuxième forme
(§ 2). Le j a conservé un domaine plus étendu dans les dialectes
252du sud : sicil. jettari, jucari, judici, dijunu ; nap. jennaro,
jodecare, v.sarde iettare à côté de gettare. — Val. januarie,
julie, junie, majer (major), maju. — Esp. avec y :
Yago (Jácobus), ya (jam), yugo, ayudar, ayunar
(jejunare), ayuntar (adjunctare*), cuyo, mayo, raya
(raja), v.esp. yoglar (joculator) Alx., deyecto (dejectus).
C'est aussi là la prononciation du dialecte basque du Lebortan,
par exemple : yokhoa (jocus), yudua (judæus), yustua
(justus), yuyea (judex) et aussi yendea (gens), yelosia,
yarroa (esp. jarro). Le dialecte de Guipuscoa emploie le j
qu'il a pris de l'espagnol. Cet y mis pour j et g domine aussi
en Gascogne, par exemple yutyá (judicare), yen (gens). —
En portugais seulement à la médiale : maio, maior, anciennement
aussi ya pour ja FGuard. 442, Yago SRos. — En prov.
j devant les consonnes et à la finale se résout en i comme v en u :
aidar (adj.), bailar (bajulare), peitz (pejus), maire
(major). — Franç. aider, maire, raie (raja), mai ; avec un
j phonétiquement transposé bailler et non bailer.

2. Le j originaire s'est uni à d qui lui est voisin pour former
dj, et a glissé ainsi vers un son doux, palatal ou chuintant, fait qui
nous est connu déjà par giorno ou jour de djurnum. Quelques
formes secondaires mettent encore ce dj en évidence : ainsi ital.
diacere de jacere, diacinto de jacinthus pour hyacinthus,
b.lat. madius pour majus, pediorare pour pejorare. Ital.
à l'initiale già (jam), Giacomo (Jacobus), gennajo (januarius ;
genuarius HPMon. n. 55 de l'an 899 et ailleurs), Girolamo
(Hieronymus Jeron.), Gerusalemme (Jer.), giuco (jocus),
giudice (judex), giogo (jugum), giugnere, giugno (junius),
giovane (juvenis), giurare ; à la médiale maggio (majus),
peggio (pejus). — Val . źoc, źude, źug, źunc (juvencus
Lex bud
.), źune (juvenis), źurà, aźunà (jejunare), aźunge
(adj.), aźutà (adj.). — Port. jamais, jazer, jogo, cujo
(cujus). — Prov. ja, joc, jutge, etc. ; à la médiale mager
(major) ; franç. déjà, jeu, juge. — En esp. cette palatale
romane se présente comme aspirée gutturale : jamas, Geronimo,
juego, juez, julio, junio, jóven ; voyez le j espagnol
(section II).

3. Remarquons encore quelques formes de j : 1) Le dj
venu (d'après ce qui a été dit plus haut) de j s'affina comme le
dj originaire (medius mezzo) en z 1139. Les seuls exemples sont en
253valaque zeaceà (jacēre, ital. diacere) et en ital. zinepro,
esp. zinebro (juniperus). Les inscriptions donnent Ζουλια
pour Julia, Mur. tab. 879, Ζουλιανη pour Juliana, ibid. 1925
(cf. Celso Cittadini, Tratt., p. 44b), Zesu pour Jesu dans Reines.
Inscr., idus mazas pour majas madias, κοζουγε pour conjuge
(Nouv. traité de dipl. II, tab. 29). Quant au rapport inverse,
j (ģ) venant de z, nous l'avons vu p. 220. — 2) L employé pour
j dans luglio ital. (julius) et Lillebonne franc. (Juliobona)
doit étonner.

4. Un son aussi faible devait facilement tomber. Ainsi en ital.
Gaeta (Cajeta), maestà ; en esp. aullar (ejulare), à l'initiale
acer (jacere) Alx., echar (jactare ou ejectare), enebro à
côté de zinebro, enero (jan.), uncir (jungere) ; en portug.
mor pour moor (major), etc.

DJ, voy. au D. — BJ, voy. au B.

H.

Le latin aspirait encore fortement cette lettre : profundo
spiritu, anhelis faucibus, exploso ore fundetur
, dit Marius
Victorinus. Toutefois, déjà à l'époque classique, on hésitait sur la
manière de l'employer. C'est surtout l'écriture lapidaire qui
montre une grande incertitude, car h y est souvent omise ou écrite
contre la règle : ic, oc, ujus, aduc, eredes, oris, onestus, omo ;
hac au lieu de ac, hobitus, hornamentum (Grut. ind. gramm. :
h superfluum, omissum). Des chartes d'Italie et de France,
dans lesquelles l'arbitraire dans l'emploi de h va toujours en
augmentant, nous confirment que presque immédiatement après
la chute de Rome l'h était devenue un signe sans valeur 1140. En roman,
l'h est à peu près complètement éteinte, bien que plusieurs langues
l'aient conservée dans l'écriture. Le spiritus asper est aussi en
grec moderne un signe muet. Les langues qui font encore entendre
254parfois l'h sont le valaque et le français. Le valaque la prononce
dans les noms propres comme Hetruria, Hispania, dans hostie,
et, d'après le Dict. d'Ofen, aussi dans hebét (hebes), heredíe (heres),
hirundineà (hirundo), de même que dans les mots grecs comme
hagiu, pèlerin (ἅγιος), halęu, filet (de ἁλιεύω). On la trouve
en français dans haleter (halitare), hennir (hinnire), héros,
herse (hirpex) et dans quelques autres mots. Dans haleter, l'aspiration
est destinée à peindre l'effort. Cette lettre a si peu de vitalité
que c'est à peine si elle présente quelques exemples de transformation
phonique. Dans l'orthographe de la basse latinité michi
pour mihi, nichil pour nihil, Vachalis Vacalis pour Vahalis
(Sidonius), de même que dans l'ital. nichilo, annichilare, esp.
aniquilar, h s'est sans doute changée en ch pour ne point
être annulée. Le f du sicilien finniri (hinnire) provient de
l'h aspirée du français hennir, phénomène que nous observerons
aussi ci-dessous à propos de l'h allemande. Remarquons encore
que dans des inscriptions postérieures, spécialement de la Gaule,
h est souvent intercalée entre deux voyelles pour séparer les
syllabes, comme dans Romanehis, Bohetyhus (Corssen, I,
111), fait que nous avons déjà rencontré en français (cf.
ci-dessus p. 166).

P.

1. P initial ne s'adoucit que fort rarement. Ital. batassare
(πατάσσειν ?), bolso (pulsus), brugna à côté de prugna (prunum),
dans les chartes bergamina (pergamena) HP Mon.
n. 55, 85 et très-fréquemment ; dans befania (epiph.),
bottega (apotheca), brobbrio (opprob.), bacio (opacus),
búbbola (upupula*), vescovo (episc.), le b provient d'un p
qui était originairement médial. On trouve encore çà et là, dans
les autres langues, quelques exemples isolés : en esp. le p est
devenu v dans verdolaga (portulaca) ; portug. bostela (pustula) ;
prov. bostia, fr. boîte (pyxis). Cf. le lat. burgus,
buxus, carbasus avec le grec πύργος, πύξος, κάρπασος.

P médial ne persiste à vrai dire que dans les langues de l'est ;
dans les autres, il descend au b et même en français au v. Ital.
ape (apis), capace, capello (capillus), capestro, capo,
cipolla (cæpulla), coperto, cupido, lepre (lepus), lupo,
opera, papa, pepe (piper), popolo, rapa, rapire (rapere),
ripa, sapa, sapere, sapore, sopra, superbo, vapore. Mais
v n'est point inconnu à l'italien : cavriolo (capreolus),
Ivrea (Eporedia Eporeia), ricevere (recip.), ricoverare
255(recup.), coverto, pevere (piper), povero, riva, savio
(sapius*), savore. Il n'y a qu'un très-petit nombre de cas
avec b, par exemple ginebro (juniperus), lebbra (lepra),
ainsi devant r, phénomène que nous avons déjà vu fréquemment
à l'initiale. Redoublement dans appo (apud), cappa (de capere),
cappone (capo), doppio (duplus), pioppo (pōpulus),
seppellire, etc., cf. notre doppelt, pappel. — Val. seulement
p : ceapę (cæpa), cupę, jepure (lepus), papa, piper,
sępun (sapo). Esp. b, avec la prononciation douce : abeja
(apicula), cabestro, cabo, cabra, cebolla, receber, cubrir,
cuba, obispo (episcopus), lebrel (leporarius), lobo (lupus 1141),
obra, pebre, pueblo, raba, riba, saber, sabio, sabor,
xenabe (sinapis), soberbio, sobre. La forte persiste dans les
mots d'origine récente ou empruntés à l'ital. : capital à côté de
caudal (capitalis), copia, discrepar, disipar, lepido, participar,
estupido, estupro, vapor, capitan, caporal ;, de
même aussi dans apio, copia, manopla, papa, pipa, propio.
— Le portugais se comporte à peu près comme l'espagnol,
cependant il a v dans povo (populus), savão (sapo), escova
(scopa), etc. — Prov. b : abelha, cabelh, cabestre, ceba,
recebre, cobrir, doble, lebre, loba, obra, obs (opus), paubre,
pebre, poble, riba, saber, sabo, sobre. — Franç. cheveu,
chevêtre, chèvre (capra), recevoir, cuve, évêque,
lièvre, poivre, œuvre, pauvre, rave, ravir, rive, savoir,
savon, sève (sapa). B dans abeille (apicula), double, Grenoble
(Gratianopolis) ; p dans les mots d'origine récente ou
italienne : capital, dissiper, lèpre, occuper, stupide, vapeur,
capitaine (v.franç. chevetaine, etc.) ; de même dans couple
(copula), pape, pipe, peuple, peuplier, propre, triple. On
trouve la chute du p dans le nom de fleuve Loue (rendu en latin
par Lupa, voy. Quicherat p. 81), dans sur (prov. sobre), et
dans le v.franç. oes (prov. obs.). — Nous avons remarqué à
propos de t et de c que, dans le plus ancien bas-latin, la douce
se montre déjà fréquemment pour la forte au milieu des mots. C'est
aussi le cas pourp, par exemple noncobantis (nuncup.) Bréq.
n. 217, suber, subra, Mab. Dipl. p. 506 et beaucoup d'autres
analogues.256

A la finale la forte persiste : prov. cap, lop ; franç. loup,
champ ; val. cap (caput), episcóp, lup ; cf. § 2.

2. P s'est rarement changé en f. On en a quelques exemples
communs à toutes les langues romanes comme : ital. esp. port.
golfo, franç. gouffre (κόλπος) ; ital. esp. trofeo, franç.
trophée, angl. trophy (tropæum) ; en outre dans l'ital. soffice
(supplex), dans le nom propre Isifile (Hypsipyle) ; en
français, quelquefois à l'initiale, à la médiale et à la finale : fresaie
(præsaga), nèfle (mespilum), chef (cap-ut), v.franç.
apruef, Trist. II, 78, 79 = prov. aprop, seif (sep-es) Voc.
d'Evr
. p. 32.

PP. Ital. cappero (capparis), ceppo, coppa (cuppa forme
secondaire de cupa), lappa, lippo, mappa, poppa (puppis),
schioppo (stloppus), stoppa (stuppa forme préférable à stupa,
Schneider, I, 427), stroppolo (struppus), supplicare, Filippo.
Esp. cepo, copa, lampazo (lappaceus), mapa, popa,
estopa, estropo, suplicar, Filipo. Franç. câpre, cep, coupe,
nappe, poupe, poupée (puppa à côté de pupa), sapin (sappinus),
étoupe, estrope arch., supplier, Philippe. On ne
trouve nulle part la douce ou le v, excepté dans l'esp. estrovo,
mais on rencontre dans les manuscrits une forme stropus.

PL, voy. sous L.

Les groupes initiaux PN, PT, PS perdent d'ordinaire la
première lettre. V.franç. neume, b.lat. neuma, v.h.allem.
niumo (pneuma, πνεῦμα) ; ital. esp. tisana, franç. tisane
(ptisana) ; ital. Tolommeo, esp. Tolomeo, franç. Ptolémée
(Ptolemæus), déjà dans le latin populaire des bas temps Tolomaid,
Tolomea. Ital. esp. portug. salmo, franç. psaume,
v.h.allem. salm (psalmus).

PT médial et final. Cette combinaison est sujette aussi soit à
l'assimilation du p (comme scrittus ou scritus pour scriptus que
l'on rencontre souvent dans les chartes), soit, dans l'ouest, à la
résolution de ce même — p en un u qui, parfois, se change même en i,
cf. ci-dessous PS. Ital. atto, cattivo, grotta (crypta), nozze (nuptiæ),
ratto, rotto (ruptus), scritto, sette ; pt est ici impossible.
— Esp. atar (aptare), catar (captare), gruta, malato (male
aptus
) et même malacho (moy.h.allem. malâtsch malêtsch),
nieta (nepta depuis le VIIIe siècle pour neptis), escrito, siete,
seto (septum). D'autres mots présentent l'affaiblissement du p
en b et la résolution du b en u : bautizar, cabdal caudal
(capitalis), cabdillo caudillo (capitellum avec un changement
de sens), cautivo (capt.), Ceuta (Septa), reutar pour reptar
257Pœm. de José el patr. p. 402. Mais pt n'est point contraire
aux habitudes de l'esp., cf. aptar, captar, optimo, rapto,
ruptura. — Portug. atar, cativo, neta, sete ; caudal ; anciennement
aussi adoutar, boutizar, SRos. ; avec i, receitar pour
receutar (receptare) que l'on trouve encore en v.esp. — Prov.
acatar (accaptare*), rot (ruptus), escrit escrich, set, etc.
Résolution en u et i : azaut (adaptus*), malaut, rautar
(raptare), caitiu (esp. cautivo). P persiste par exemple dans
acaptar, capdolh (capitolium) ; pour malautz, le manuscrit
du Boèce, v. 127, donne malaptes, pour corota la N. Leyczon,
v. 80, donne coropta. — Franç. acheter, chétif, grotte,
nièce (neptia*), noces (nuptiæ), route (rupta sc. via),
écrit ; sur malade, voy. mon Dict. Etym. On écrit le p dans
baptiser, captif, compter, sept, etc., voy. section II. — Val.
botezà (baptizare), etc., mais captiv, śapte (septem), avec
n nuntę (nuptus). Il faut noter la présence de ch dans l'esp.
prov. malacho, escrich, où pt est traité comme s'il y avait ct.

PD est soumis à la syncope du p : ainsi dans stordire, ital.
esp. aturdir, franç. étourdir (extorpidire*) de même en
esp. codicia ancienn. cobdicia (cupiditia*), en v.franç. sade
(sapidus), en franç.mod. tiède (tepidus).

PS médial et final subit tantôt l'assimilation du p, tantôt, et
surtout dans l'ouest, la résolution de cette consonne en u et
même en i. La première de ces voyelles s'explique simplement
par un affaiblissement antérieur du p en b (qu'on doit admettre
malgré le manque d'exemples) et ensuite en v ; l'i provient d'une
prédilection particulière pour les diphthongues ei ou ai. Ital.
cassa (capsa), esso (ipse), gesso (gypsum), scrissi (scripsi).
Val. casę, etc. ; mais ghips, lipsę (λεῖψις). Esp. caxa, ese,
yeso ; Port. caixa, esse, gesso. Prov. aus (hapsus p. 14),
meçeus (metipse) Geistl. Lieder p. 8, neus (ne ipsum) ;
caissa, eis (ancienn. eps), mezeis, geis. Fr. châsse et caisse.
On peut rapprocher, pour l'assimilation, le latin cassis pour
capsis ( ?) et aussi l'ombrien iso pour ipso, auquel répond dans
les chartes issa pour ipsa Esp. sagr. XI, 102 (IXe siècle), ou
même scrisi pour scripsi Brun. p. 567 (de l'an 759). Quant
aux mots scientifiques, comme ellipsis, on comprend que ps y soit
toléré (esp. elipse, franç. ellipse).

SP, voy. à l'S.

B

initial persiste. Il n'y a que des dialectes du sud de
258l'Italie qui le confondent fréquemment avec v, comme le
nap. vaso (ital. bacio), vascio (basso) ; sicil. vagnu (bagno),
varva (barba), vrazzu (braccio) et aussi l'ital. viglietto
(franç. billet). Médial, il ne conserve pas cette solidité : il s'adoucit
la plupart du temps en v, et, dans ce cas, sa disparition
subséquente n'est point un fait rare. Cet adoucissement en v, qui
a gagné toutes les langues de la famille néo-latine, s'est produit
de bonne heure ; on lit dans les monuments anciens devitum,
acervus, incomparavilis (Schneider, I, 227) ; dans les chartes
du VIe siècle deviti Marin. p. 175, deliverationem, ib. 180 ;
du VIIe siècle movilebus Bréq. n. 67, diveatis pour debeatis
Mur. Ant. V, 367 ; du VIIIe siècle havitare, movile, havere,
I, 207 ; du IX° siècle conavit Esp. sagr., XI, 264, etc. En italien
les deux formes se balancent à peu près. Exemples :
abito, abominabile, cibo, debile, gleba, globo, liberare,
libra, librare, libro, plebe, sibilare, stabilire ; redoublé dans
ebbrio, fabbro (faber), febbrajo (februarius), febbre
(febris), abbia (habeat), fabbro, libbra, obbligo, pubblico,
rabbia (rabies), ubbidire ; bévere, cavallo, covare (cub.),
devere, fava, avere, ivi, lavorare, maraviglia (mirabilia),
provare, scrivere, tavola, Tevere, ove (ubi). La syncope est
rare, par exemple bere pour bevere, lira pour libra. — L'esp.
offre partout le b prononcé doux : beber, caballo, etc., v dans
maravilla. Syncope dans codo (cubitus), hediondo (fœtibundus*),
neula (nebula) Alx. 1879. — Portug. beber,
cerebro, debil, globo, habito, plebe, sibilar ; mais v domine :
cavallo, cevo (cibus), dever, duvidar, Evora (Ebra), fava,
haver, livro, livrar, maravilha, provar, escrever. — La
douce persiste plus rarement encore en provençal ; la plupart du
temps, en effet, elle se change en v ou s'éteint complètement :
abac (-eus), abet (abies), ebriac, fabre, nibla (nebula),
rabia ; caval, dever, fava, aver, provar ; aondar (abund.),
laorar (labor.), prenda (præbenda), proar, saúc (sabuc),
traút (tributum). De même aussi en franç. : ex. célèbre, habit,
libre ; cheval, devoir, fève, etc. ; nuage (nubes), taon (tabanus),
viorne (viburnum). — Le val. comme l'ital. : bibol
(bubalus), dębęlà flétrir (debilis ? ), probę (proba), probozì
(probrum) ; bevut (bibitus), chimval (cymb.), diavol,
favricę, chivernisì (gubernare), aveà, evreu (hebr.). Syncope
dans beà (bibere), cal (caballus), glie (gleba), earnę
(hibernum), iertà (libertare*), lęudam (laudabam), seu
(sebum), soc (sabucus). — Devant les consonnes ce v devient
finalement une voyelle, voy. BL, BR, BS, BT.259

B final en provençal ou bien se change en u ou bien se renforce
en p, surtout après une consonne, par ex. beu (bib-it),
deu (deb-et), escriu (scrib-it), trau trap (trab-em), orp
(orb-us), trop (infinitif trobar). Le français le supporte comme
lettre muette dans plomb, etc., ou il l'aspire : tref = pr. trap,
anc.franç. proeb (probe adv.).

2. Changement du b en d'autres labiales : 1) En p rarement :
ital. canapa, val. cunępę, alb. canęp (cannabis), franç.
ensouple (insubulum). — 2) En f : ital. bifolco (bubulcus),
scarafaggio (scarabæus), tafáno (tabanus) ; esp. befre
(bebrus), escofina (scobina) ; v.franç. fondèfle (fundibalum) ;
val. corfę (corbis), bolfos (bulbosus) ; lat. bubalus
bufalus
, rubeus rufus, sibilare sifilare. — 3) En m : ital.
gomito (cubitus, cf. cumitus Voc. S. Gall., v.ital. govito,
Buti Inf. 10), Giácomo (Jacobus), Norma (Norba), trementina
(terebinthinus), vermena (verbena) ; esp. cañamo
(cannabis), Jayme (Jacobus) ; prov. Bramanzo pour Brabanzo,
Jacme ; franç. samedi (sabbati dies) comme l'allemand
samstag. Cf. aussi le v.lat. dubenus (dans Festus), plus tard
dominus.

BL et BR subissent souvent la résolution du b en u, cf. grec
νάβλα ναῦλα. Ital. fola (fabula fab'la faula), parola (parabola).
Esp. faular arch. (fabulari), paraula Alx. Apoll.
par interversion palabra. Prov. faula, paraula parola,
taula (tabula), faur, aurai (pour habrai), freul (flebilis),
beure (bibere), deuria (pour debria), siular (sibilare),
escriure (scribere), liurar (liberare), roure roire (robur) ;
catal. sauló (pour sabló). Franç. forger (fabricare faurcar),
parole, tôle (tabula), aurone (abrotanum), aurai. Val.
faur (faber). — Il n'y a que très-peu de ces exemples que l'on
puisse expliquer par la syncope (fabula fa-ula).

BT presque comme pt. Ital. detta (debitum), dottare (dubitare),
sottile (subt.), sotto (subtus). Esp. sota en composit.,
soterrar, sutil ; dudar ; béudo béodo arch. (bibitus), deuda ;
cf. le traitement de bd dans raudo (rabidus). Prov. très-varié :
sotil, sotz ; code coide ; deute (debit.), gauta (gábata) ;
devant une forte la douce passe à la forte dans depte = deute,
doptar, sapte (sabbatum), sopte (subitus), suptil. Franc.
dette, jatte (gabata), doute, coude, subtil. Val. cot (cubitus),
datoriu (debitor) ; subt, subtzire.

BS s'assimile et se résout en us, comme ps. Ital. ascondere
(absc), assolvere (abs.), astenere (abstin.), osceno (obscœnus),
oscuro (obsc), ostare (obs.), sostanza (subst.). Esp.
260esconder, escuro, aussi absconder, obscuro et absolver,
abstenido, obsceno, obstar, substancia ; résolution dans
ausente (absens), v.pg. austinente (abst.), austinado (obst.).
Prov. escondre, escur, obstinar, etc. ; deus (debes). En franç.
bs persiste. Val. ascunde, ostenì (abstinere). — L'assimilation
s'exerçait déjà dans le latin jussi pour jubsi, et nous
trouvons dans les chartes des VIe et VIIe siècles des formes telles
que suscribturi, suscripsimus, σουσκριψι.

BJ, BV ont une tendance marquée vers l'assimilation ; des
grammairiens romains écrivaient déjà ovvertit, ovvius. Ital.
oggetto obbietto (objectum), suggetto subbietto, ovviare
(obv.) ; esp. sujeto, mais obviar (ancienn. uviar, voy. mon
Dict. Etym. II, b.) ; prov. sojeit, sovenir ; franç. sujet, souvenir ;
mais objet.

MB est souvent atteint par la chute de la deuxième consonne.
Ital. amendue (ambo duo), tomare ( = esp. tombar) ; fréquente
en sic. : cummattiri (combattere), gamma (gamba), limmu
(limbo), etc. Esp. lamer (lambere), lomo (lumbus), paloma
(palumba), plomo (plumbum), Xarama (Saramba, d'après
Cabrera), v.esp. amos (ambo), atamor pour atambor, camear
pour cambiar PC. ; portug. comme l'esp. : amos, plomo SRos.
Prov. colom (columba), plom (plumbum). Franc. Amiens
(Ambiani). B.lat. concamium pour concambium, par ex.,
Form. Bign. n. 14. Allem. kummer, schlummer de kumber,
slumber.

F. PH.

La différence phonétique qui règne en latin entre f et ph
disparaît tout à fait en roman : ph prend la prononciation de
f, et est souvent écrit de même 1142.

1. Le plus important des accidents qui atteignent f est son
passage à h devant des voyelles, au commencement du mot,
rarement au milieu. Dans ce cas, f perd l'élément labial qu'il
possède pour s'éteindre dans une simple aspiration, qui, le
plus souvent, n'est même plus sensible : les grammairiens
261romains attribuaient déjà à cette lettre une forte aspiration. —
Toutefois, ce changement n'est pas général dans les langues
romanes ; il ne règne qu'en espagnol, et ne se présente
guère qu'isolément dans les autres domaines. Donnons d'abord
des exemples espagnols : haba, hablar (fabulari), hacer,
hambre (fames), harto (fartus), haz (facies), hender
(findere), herir, hierro (ferrum), hijo (filius), hilo, hoja
(folium), hondo, horca (furca), horma, horno (furnus),
hostigar (fust.), huir (fugere), humo, hurto, huso. Au milieu
du mot, le changement de f en h est limité aux composés :
dehesa (de-fensa), sahumar (suf-fumare*), Sahagun nom
de lieu (Sant-Fagunt PC. = S. Facundus) ; on ne trouve jamais
ruho (rufus), cuehano (cophinus). Cette h était inconnue au
plus ancien espagnol, comme elle l'est encore aujourd'hui au portugais ;
on écrivait faba, fablar, fazer, etc., et l'espagnol
moderne rejette encore cette h dans beaucoup de mots : fácil,
falso, faltar, fama, familia, favor, faxa, , feliz, feo,
fiero, fiesta, fiel, fin, firme, fixar, fué (dans Juan de la
Encina hu), fuego (rarement huego), fuente, fuera, fuerte
(dans Encina huerte), fuga, fumar, furia, etc. Dans quelques
cas, la brièveté du mot a pu empêcher l'affaiblissement de l'f,
comme peut-être dans feo, fin, fué pour heo, hin, hué ; dans
d'autres, c'est le besoin de distinguer les sens : fe, fiero,
fiel auraient pu être confondus avec he (habeo), hiero (ferio),
hiel (fel). Dans d'autres cas, la langue admet des formes doubles,
précisément pour créer une distinction des sens : falcon halcon,
falda halda, faz haz, ferro hierro, fibra hebra, filo hilo.
On sait que le basque a une répulsion particulière pour l'f, que
l'on ne trouve jamais dans ses mots racines ; f persiste il est
vrai en partie dans les mots étrangers (faborea =. esp. favor),
mais il se change souvent en une h qui, toutefois, est muette dans
la partie espagnole du pays (hunila = esp. fonil), ou en p
(portzatu = forzar), et quelquefois en b (breza = freza). L'espagnol
ne connaît à l'initiale que le premier de ces procédés ; mais
on ne peut nullement le regarder comme un trait fondamental de
cette langue, car il l'aurait pénétrée plus complètement : c'est
une permutation dont l'origine et les progrès peuvent être suivis
historiquement, et qui s'est produite, à ce qu'il semble, sous une
influence qui venait des Pyrénées, et qui n'a plus atteint le Portugal.
Dans le dialecte gascon qui confine au basque, cette h, même
devant r, a trouvé aussi accès et y est devenue très-usuelle : hada
(pr. fada), hagot (fagot), hemna (femna). D'aquest mudamen
262uso fort li Gasco
(disent déjà les Leys d'amors, II, 194),
quar pauzo haspiratio, so es h en loc de f, coma hranca
per franca, rahe per rafe, hilha per filha. La langue française
écrite a seulement hors pour foris (qui a conservé en esp. son
f, mais qui l'a également perdu dans le roumanche or) ; habler
vient de l'esp. hablar ; des exemples anciens sont harouce pour
farouche et aussi hausart Parton. II, 4, pour fausart. En
outre, quelques exemples se présentent aussi en wallon : horé
(forare ?), horbi (franç. fourbir). A l'est du domaine roman,
en valaque, cet affaiblissement de l'f s'est également produit,
cf. han (fanum, Lex bud.), hęblęi (fabulari), hęmisi (de
fames), hųd (fœdus, adj.) ; plus souvent et plus nettement
dans le dialecte du sud : heru (ferrum), hiavrę (febris),
hicatu (ficatum, esp. higado), hiliu (filius). — Qui ne songe
en présence de ce procédé roman à l'échange de f et de h dans
les vieilles langues italiques ? Et de fait, les grammaires latines
ont, depuis longtemps, renvoyé à l'espagnol. Mais si le trait
phonétique des vieilles langues italiques n'est dans aucun rapport
causal avec la formation romane, — quelque parfaite que soit la
coïncidence de l'esp. haba et hilo avec l'anc.lat. haba et hilum,
— il peut au moins nous confirmer la parenté qui existe entre
f et h.

2. Le passage de l'f à d'autres labiales se produit rarement :
1) Il se change en b, à l'initiale seulement dans l'italien bioccolo
(floccus), bonte (fons), busto (fustis, douteux) ; à la médiale,
peut-être dans l'ital. forbice (forfex, forpex) ; esp. ábrego
(africus), Cristóval (Christoph.), cuebano (cophinus),
Estéban (Stephanus, cf. Stevanus dans une charte de l'an
915, Yepes III n. 8), rábano (raph.), Santovenia nom de
lieu (S. Euphemia, voy. Cabrera), toba (tophus), trébol
(trifolium) et aussi acebo (aquif) ; portug. abrego, Estevâo,
trevo, etc. — 2) En p à la médiale : ital. colpo (colaphus),
Giuseppe (Josephus, Josep HPMon. n. 42), Jepte (Jephta),
zampogna (symphonia) ; esp. diptongo, golpe, orespe (pour
orifice), soplar, zampona ; portug. napta ; prov. colp, diptonge,
solpre. Cf. ἀφύη apua, πορφύρα purpura 1143.

3. La syncope est ici également rare : ital. sione (sipho,
263σίφων) ; esp. desollar pour deshollar desfollar, prov. conortar
(conf.) ; grihol (gryphus), preon (profundus), rehusar pour
refusar ; franç. antienne (antíphona), écrouelle (scrofula),
Etienne (Steph.).

FF. Cette double consonne, qui n'existe presque que dans des
composés, résiste à toute dégénérescence en un son plus faible,
d'où esp. diferir, ofender, sufocar et non diherir, etc. Ahogar
(ad-focare) n'est pas latin et est conséquemment de nouvelle
création ; il en est de même de sahumar pour sufumar, qui ne
vient pas de suffumicare.

FL, voy. sous L.

V.

1. A l'initiale, v a moins de stabilité que les muettes, car souvent
il se change en un son plus fort (§ 2, 3, 4). Dans le valaque
du sud j peut même prendre sa place (voy. à la section II).
L'aphérèse ne semble pas se produire dans les langues écrites ;
on en rencontre quelques cas dans les dialectes italiens, comme
sicil. urgiri (ital. volgere), urpi (volpe), sarde espi (vespa),
idi (vite), piém. issola (visciola), vénit. ose (voce). —
Médial, il persiste dans beaucoup de mots très-usités : ital.
brieve, cava, chiave, favilla, favo, favore, frivolo, gingiva,
grave, lavare, levare, lisciva, nativo, nave, nuovo,
pavone, pavore, privare, rivo, saliva, et de même aussi d'ordinaire
dans les autres langues. C'est surtout quand v se trouve
entre deux voyelles qu'il est atteint par la syncope, qui n'avait
pas épargné même le son plus résistant du b. Ital. Bojano
(Bovianum), bue (bovem), città (civitas, citate, Brun. p.
625, de l'an 772), Faenza (Faventia), neo (nævus), paone
pour pav., paura (pavor), rio pour rivo, Saone (Savo).
Esp. esiragar (extravagare), hoya (fovea), friolero (frivolus),
paon Alx., paor id., vianda (du franç.). Prov. estragar,
gingia, paor, Prœnsa, vianda. Franç. jeune (arch.
joene), paon (pao Gloss. Cass.), peur, viande et autres
exemples analogues. — En valaque, la syncope est très-fréquente :
alunę (avellana), chiae (clavis), gingie (gingiva),
źune (juvenis, v.slov. źun'), (lavare), luà (levare), leśie
(lixivia), noę (novem), pemųnt (pavimentum), oae (ovis).
Parfois la syncope du v se produit même après une consonne
(après la résolution préalable du d en u ?) : ital. fujo (furvus
furvius
), lero (ervum) ; esp. Gonsalo (-alvus), polilla (de pulvis),
pg fulo (fulvus) ; franç. guéret (vervactum). Les ex. lat.
264tels que movitus motus, uvidus udus, si vultis sultis, sont
connus. Chez les comiques latins novis novus ont une valeur
monosyllabique, et l'on trouve dans les inscriptions de la décadence
noembr. (val. noembrie), Faonius, probai (it. provai).
L'App. ad Prob. dit : avis, non aus ; rivus, non rius, cf.
rio Bréq. n. 73. — Grâce à sa mollesse, cette lettre n'est guère
plus en état de jouer le rôle de finale que son analogue j :
c'est pourquoi ou bien elle se transforme en une labiale plus
forte, ou bien elle se résout en u (lat. neve neu, sive seu) ;
elle subit donc ici le même traitement que sa douce b. Toutefois,
dans les patois italiens, v final est écrit et prononcé réellement,
piém. serv (ital. cervo), milan. ciav (chiave). Nous avons un
exemple de ce cas dans l'esp. buey (bov-em), où y est sans
doute purement paragogique (portug. boi), et dans le v.esp.
nuef (novem). Le prov. met u pour v après une voyelle,
par exemple : bou, breu, estiu (æstiv-us), leu (lev-is), mou
(mov-et), suau (suav-is), viu (viv-it), de même Anjau
(Andegav-i), Peitau (Pictav-i), devant s vius (vivus), nous
(non vos, no vos). Après l et r, v devient plus d'une fois f :
vuelf (volv-it), serf (serv-it) ; mais plus ordinairement, dans
ce cas, v disparaît : cal (calv-um), sal (salv-um), cer-s
(cerv-us), ser-s (serv-us). On remarque p dans corp (corvus,
curv-us), mais ici ce p renvoie à un b médial, cf. § 2.
Le français met partout f et dit bœuf, bref, chétif, cerf,
grief, nef, nerf, œuf, sauf, serf, soef arch. (suav-is), suif
(sevu-m, transp. suev) ; Anjou et Poitou viennent du provençal.
Le valaque met b après une consonne, u après une
voyelle : cerb (cerv-us), corb (corv-us), bou (bov-em), greu
(grav-is), nou (nov-us), ou (ov-um).

2. On connaît par le latin la confusion du v avec b, surtout
depuis le commencement du IVe siècle. Adamantius Martyrius fit
une dissertation spéciale sur le juste emploi des deux lettres,
mais il commet lui-même des erreurs en recommandant par
exemple besica, manuviæ, lavor, voy. Schneider, I, 228.
L'App. ad Probum recommande de dire alveus et non albeus.
De même on lit dans des inscriptions (surtout napolitaines) bendidit,
berna, berum, bixit, jubenis, serbus, vibus, boces,
atabisque, curbati ; dans les chartes des VIe et VIIe siècles silbam,
pribati Mar. 172, conserbandis ib. 147, très-souvent
Berona pour Verona (par ex. dans une charte lomb. Arch.
stor
. app. II, 115) ; au VIIIe siècle, en Espagne, ribulum,
silbarias, Esp. sagr. XVIII, 301, et plus anciennement
265encore Isidore écrivait baselus pour vascellum 1144. Cet ancien
échange de lettres règne aussi dans les dialectes néo-latins.
Ainsi à l'initiale, l'italien dit berbice (vervex), bertovello
(vertebra), Bettona (Vetona), boce (vox), Bolsena (Volsinii),
boto (votum qui s'écrit aussi botum). En esp. on écrit
barrer (verrere), Basco (Vasco), etc. En portug. bexiga
(vesica), bodo vodo (votum). Les ex. prov. sont : Baudés
(Valdensis), berbena (verb.), berbitz. En franç. on a Besançon
(Vesontio), brebis. En val. besicę (vesica), bętrun (veteranus),
Met (vietus Lex bud.), boltę (ital. volta), sburà
(exvolare*). — A la médiale : ital. corbo (corvus), Elba
(Ilva), nerbo, serbare ; avec redoublement du b : conobbi
(cognovi), crebbi (crevi), gabbia (cavea), Gubbio (Iguvium),
trebbio (trivium) ; p pour b dans Piperno (Privernum).
Prov. corbar (curvare), emblar (involare) ; franç. corbeau,
courber, arch. embler. Val. albinę, abeille (de alvus), cerbice,
ferbe (fervere), sęrbà, śerbì, sealbę. Ce durcissement du
v en b est surtout familier aux langues de l'est ; mais certains
dialectes du domaine italien et provençal font de ce changement
un emploi encore plus fréquent, notamment le napolitain, l'occitanien,
le languedocien, le gascon, dans lesquels ce procédé
(comme en basque) est même devenu une règle (voy. ci-dessus,
p. 102).

3. La dégénérescence de v en f est plus rare. Un exemple
commun au roman est palafreno (voy. p. 17). Un autre est
l'ital. fiasco, esp. portug. frasco, v.franç. flasche (vasculum
vlasc
). Citons en outre : ital. fia adv. (via), biffera (bivira),
profenda (providenda) ; esp. hampa pour fampa (ital. vampa ?),
he pour fe (vide), hemencia pour fem. (vehementia contr.
en vementia), hisca pour fisca (viscus), pg. trasfegar, voy.
Dict. Etym., referentia (reverentia) ; voy. pour d'autres ex.
de latin espagnol Esp. sagr. XI, 325 ; fr. fois (vicem) ; voy. § 1
des exemples d'f pour v final. Cette prononciation date de loin dans
le haut-allemand, car les Glosses de Cassel écrivent ferrat,
fidelli, fomeras pour verrat, etc., et c'est de là que sont nées
les formes telles que fiedel, vesper, vogt, veilchen. Mais la
prononciation allemande est restée sans influence sur la prononciation
266romane, car, dans le domaine roman, le changement de
v en f n'est qu'une rare exception.

4. On a quelques exemples du durcissement du v en g guttural,
occasionné par une confusion avec le v.allem. w. A l'init. dans l'it.
guaina (vagina), Guasconia (Vasc.), guastare (v.), golpe (vulpes),
gomiero (vomer), gomire (vomere), guizzo vizzo (vietus),
Esp. gastar, golpe Alx., gulpeja (vulpecula) Rz., gomito
(v.). Prov. gabor (vapor), Gap (Vappincensium civ.), garah
(vervactum), gastar, guia modus (via). Franç. gaine, gâter,
guéret (prov. garah), gui (viscum), goupillon (b.lat. vulpilio),
gomir dans Bouille, Diff. vulg. ling. ; v. franç. avec w
wange
(vanga), werpilh (vulpecula), etc. Plus rarement à la
médiale : ital. aguinchi pour avvinchi, PPSec. I, 101, pargoletto
pour parvoletto ; mais dans frigolo, nugola (pour
nuvola), ugola (pour uvola), il faut plutôt considérer le g
comme le produit d'une intercalation, surtout parce qu'il
n'existe pas pour ces mots de formes avec gu (voy. ci-dessous,
p. 175). Un exemple douteux est le val. fagur (favus ?). Esp.
Alagon, nom de lieu (Alavona, d'après Cabrera) ; dans le v.pg.
aguëlo (avulus*) gue remplace le groupe aspiré vue, de même
qu'il se substitue aussi à hue. De même valui, volui donnent en
prov. valgui, volgui. — Nous verrons plus tard comment le
v est aussi devenu j en valaque.

5. Devant les consonnes, v se résout régulièrement en sa
voyelle u : ital. ottarda pour autarda (avis tarda) ; esp.
aulana (avellana) Alx., ciudad, leudar (levitare) ; prov.
ciutat, mais aussi ciptat ; franç. autruche (avis struthio) ;
val. greutate (gravitas) ; de même en lat. aucella, fautor,
lautus.

DV, voy. sous D. — BV, voy. sous B.

Remarques sur les consonnes.

1. Les consonnes sont sujettes, comme les voyelles, à des
changements variés, mais qui atteignent dans une mesure très-diverse
les différentes classes d'articulations. Les liquides offrent
une résistance passable ; elles s'échangent, il est vrai, fréquemment
entre elles (m toutefois seulement avec n), mais elles n'abandonnent
pas facilement leur domaine. Mais l subit, à un haut
degré, la résolution vocalique ou la chute en suite de la production
d'une voyelle. De toutes les spirantes, c'est s qui présente
la plus grande constance, excepté toutefois dans la seule langue
267française ; v et j sont inconstants ; h (dans les langues écrites) est
un simple signe qui n'a plus de son. Les spirantes ne s'échangent
point entre elles, du moins dans l'ensemble du roman ; et le
développement de f en h, de h en f, et même de v en j sont des
phénomènes isolés. Pour ce qui est des muettes, à l'initiale elles
persistent, chacune à son degré, avec une grande fermeté. Au
milieu du mot, il est à remarquer que la forte descend à la douce,
que la douce se résout parfois en une voyelle : le t devient d,
le c g, le p b, — le d se dissout, le g se perd dans la voyelle i,
le b dans la semi-voyelle v. Cette dégradation des muettes (qui
est toutefois moins générale dans les langues de l'est) constitue
la substitution des consonnes romane, avec laquelle la Lautverschiebung
germanique (qui toutefois atteint aussi l'initiale)
fait le plus complet contraste : celle-ci, en effet, consiste à
élever la douce originaire à la forte et à avancer de la forte à
l'aspirée et de l'aspirée à la douce, de façon à parcourir le
cercle entier ; phénomène qui plus tard s'est répété, encore une
fois, dans le haut-allemand par rapport aux autres dialectes.
Dans les vieilles langues celtiques, la substitution des consonnes
n'a atteint que la douce qui s'est transformée (comme dans la
langue allemande) en aspirée. Mais les dialectes celtiques
modernes (bien que leur consonantisme soit en réalité très-différent
du consonantisme roman) présentent, sous ce rapport, un
développement analogue. En irlandais, la forte dans les groupes
rp, sp, st, sc, devient douce, ce qui est inconnu au roman ;
mais la même dégradation apparaît aussi en dehors de ces
quatre groupes, spécialement dans les trois dialectes étroitement
apparentés, kymrique, comique et breton. Ici aussi la
douce ne se maintient qu'à l'initiale ; à la médiale et à la finale
b et d peuvent subir l'aspiration, mais b peut aussi éprouver la
résolution en u ou v. Comme ces divers traits n'apparaissent
qu'à une période linguistique postérieure, ce serait faire une
hypothèse malheureuse que d'attribuer à l'influence celtique
l'affaiblissement des consonnes fortes dans le domaine roman,
affaiblissement qui remonte aux premiers siècles du moyen âge.
On trouve des traits analogues dans des langues encore plus
lointaines.

On a déjà souvent remarqué l'étonnante coïncidence du
système roman avec celui des dialectes prâcrits, par rapport à
leur source, le sanscrit. En prâcrit, , t, p descendent à , d, b
(mais k ne descend point à g). La syncope atteint également,
entre les voyelles, t, k, p, d, g, b, v, j, mais en outre
268aussi les sifflantes. La tendance romane se retrouve presque
identiquement, mais d'une manière plus systématique encore,
dans une des langues germaniques : en danois, la forte organique
persiste toujours à l'initiale ; à la médiale et à la finale elle
ne se maintient qu'après des consonnes, tandis qu'elle descend
à la douce après des voyelles, p. ex. : gribe (suéd. gripa), fyge
(fjuka), vide (vita). Mais le point par lequel le danois se
rapproche le plus du français, c'est qu'il peut résoudre les
douces en un son plus faible ou les supprimer complètement :
b entre deux voyelles arrive à être prononcé comme v, et g
s'adoucit en j : eje, eye (suéd. äga), vej (wäg), cf. fr. loyal,
loi, — ou g disparaît : stie (stege), cf. fr. lier ; d subit également
la syncope : broer, moer (pour broder, moder), comme
le fr. ouïr, envie. La seule différence qui sépare le procédé français
du procédé danois, c'est que dans le premier la forte peut
descendre deux degrés (capra, cabra, chèvre ; — nucalis,
nogalh, noyau ; — amata, amada, aimée), tandis que dans
le second elle ne peut généralement en descendre qu'un ; car la
douce qui se dégrade est ici une consonne primaire : ce n'est
pas une douce secondaire née d'une forte. Le grec moderne n'a
point suivi ce chemin. Les fortes y gardent leur rang ; les douces,
il est vrai, s'y affaiblissent (b devient v, g gh, d dh), mais ce
procédé diffère du roman en ce qu'il agit quelle que soit la place
de la consonne dans le mot. La grammaire historique n'a point
à rechercher les causes d'une disposition si opposée des organes
vocaux, qui tantôt tendent à prononcer un p originaire comme
un b ou un v, tantôt un b originaire comme un p ; le grammairien
a pour seule tâche de suivre le fait jusqu'à ses origines et
dans toute son étendue 1145.269

Un échange d'un autre genre, celui qui a lieu entre les
divers ordres de consonnes (grec φήρ θήρ, δᾶ γῆ, ὀβελός ὀδελός,
βλέφαρον γλέφαρον, πότε πόκα), est très-rare en roman pour les
consonnes simples. Nous avons traité comme des cas tout à fait
isolés la production en valaque d'un p ou b venu de qu ou gu,
en espagnol d'un g venu de d initial, et quelques autres. Les
patois eux-mêmes n'en fournissent que de très-rares exemples.
Ce sont ordinairement des mots où une muette précède un i
palatal, ce qui donne naissance à une espèce de consonnance multiple
qui facilite ces transformations. Les dialectes italiens, p. ex.,
échangent pj avec chj, bj avec gj, voy. ci-dessus, p. 75.
Le valaque du Sud dit de même chiaptine (pecten), chiale
(pellis), chiatrę (petra), mais aussi cheptu (pectus), chinu
(pinus). Dans le patois parisien, amitié sonne comme amikié,
dieu comme ghieu. C'est en sarde que se produit l'échange le
plus complet des muettes entre elles, mais nous ne pouvons
l'étudier ici. Un autre développement, commun au roman, est
d'une grande importance. Sous l'influence d'une des voyelles
molles (i, e), les gutturales ont donné des chuintantes et des
palatales. La nouvelle langue a pris par là un caractère phonétique
très-différent de l'ancienne.

2. Le tableau suivant donne un aperçu des consonnes médiales,
et, en outre, à la seconde ligne, des consonnes finales (quand
cela est nécessaire). Ca représente également co et cu ; — ci
de même ce ; de même pour qua, qui (qui comprennent l'initiale
et la médiale) et pour ga, gi. Le mot nasale, ajouté à m, n, doit
être pris au sens français ; † désigne la syncope.

tableau ital. | esp. | port. | prov. | franç. | valaq. | nasale270

tableau ital. | esp. | port. | prov. | franç. | valaq.

3. Il s'est établi entre les médiales et finales un échange de
consonnes qui nous offre exactement l'inverse de la Lautverschiebung
romane, c'est-à-dire l'ascension de la médiale douce
à la finale forte, la douce n'étant point ordinairement tolérée à
cette dernière place. Quelques autres consonnes encore ont
participé à cet échange. Les Romains eux-mêmes prononçaient,
forte la finale douce : haud comme haut, sed comme set (Schneider,
I, 251) ; et l'on retrouve le même fait dans d'autres langues.
Comme cette habitude dans son développement complet et systématique
se restreint au provençal, nous en réservons l'explication
pour la deuxième section. Cette altération des consonnes,
que nous trouvons ici à la finale, se présente pour certaines
lettres à l'initiale dans le dialecte sarde de Logudoro, quand les
consonnes se trouvent en contact immédiat avec la voyelle finale
d'un mot précédent, ce qui en fait en quelque façon des médiales.
Dans ce cas, les fortes s'adoucissent, la douce d reçoit une
prononciation plus molle (il n'y a point à parler de g), b se
dissout complètement, f devient v, v se dissout comme b ou se
transforme en une faible aspiration : r et s reçoivent une prononciation
plus douce : ģ devient j, par exemple sas cosas, una
271gosa ; — bellos boes, bellu oe ; — duos fizos (filii), unu
vizu
 ; — sos giaos, unu jau. Toutefois, cet échange de
consonnes n'atteint que la prononciation, non l'écriture.

4. Il y a des changements de lettres que l'on ne peut guère
ramener à des lois ou à des règles, et pour lesquelles il faut s'en
rapporter au sentiment (voy. mon Dict. étym. p. XIX-XXII).
Il arrive par exemple que par une sorte d'assimilation deux
consonnes de même famille, qui commencent chacune une syllabe,
s'accommodent de telle façon, que la première se convertit
en la seconde, comme dans l'italien Ciciglia pour Siciglia.
A l'inverse par dissimilation, lorsqu'une consonne se présente
plus d'une fois (séparément) dans un mot, elle est remplacée
par une autre consonne du même ordre ou disparaît, comme
dans l'italien pellegrino pour peregrino, et dans le français
foible pour floible. C'est principalement sur cette tendance
euphonique qu'est fondé le fréquent échange des liquides entre
elles. Mais la dissimilation s'exerce aussi sur les muettes,
comme dans l'italien Chieti (Theate), Otricoli (Ocriculum) 1146.
— Un autre procédé est l'analogie, par lequel on amène un mot
à une certaine correspondance de forme avec un autre mot qui
lui est parent par le sens : c'est ainsi que le b.lat. senexter
a visiblement été formé d'après dexter, et octember d'après
september. Par le mélange des radicaux, un mot nouveau peut
aussi naître de deux autres : franç. selon de secundum et de
longum. Les formes distinctives, dont nous avons déjà parlé
p. 46, sont aussi d'une grande importance ; ce procédé consiste
à différencier par la forme plusieurs significations d'un seul et
même mot latin, ou plusieurs mots qui ont un son pareil ou
très-voisin : on a un exemple du premier cas dans l'ital. pensare
(penser) et pesare (peser) dérivés l'un et l'autre de pensare ;
on a un exemple du second cas dans popolo (peuple) et pioppo
(peuplier), l'un et l'autre de populus. — Enfin l'étymologie
populaire, par laquelle on introduit un radical roman dans un
mot étranger incompréhensible, est un procédé fréquent et connu
de toutes les langues.

5. La chute des consonnes (à l'exception de h) n'atteint
presque jamais l'initiale, qui est d'une grande solidité ; la première
syllabe disparaît fréquemment tout entière, mais seulement
272lorsqu'elle est atone. Ainsi en ital. baco (pour bombaco),
bilico (umbilicus), cesso (secessus), cimento (specimentum),
ciulla (fanciulla), fante (infans), folto (infultus), gogna
(verecundia), lezia (delicia), scipido (insipidus), sdegno
(disdegno), stromento (instrumentum), testeso (ant'ist'ipsum),
tondo (rotundus) ; esp. cobrar (recuperare), mellizo
(gemellicius *), saña (insania ?), soso (insulsus) ; portug.
beira (ribeira), doma arch. (hebdómadem) ; prov. bot (nepotem),
cobrar (comme en esp.) ; franç. (rare) cenelle (coccinella*),
voler (involare). Ici comme dans d'autres domaines,
c'est surtout sur les noms de baptême que s'exerce l'aphérèse.
En outre, la première syllabe est quelquefois expulsée quand
elle a l'apparence d'un redoublement : ital. zirlare (zinzilulare) ;
franç. coule (cucullus), voy. mon Dict. étym. I, XX.
— La syncope se restreint généralement à la douce, pourtant en
français elle s'étend même à la forte, et en portugais aux
liquides l et n. — L'apocope aussi est souvent appliquée, surtout
en provençal et en français. Mais à la fin du mot, ce ne sont pas
seulement des consonnes isolées qui disparaissent : ce sont des
syllabes entières ou des suffixes. C'est le cas, par exemple, dans
l'ital. chiasso, prov. clas, v.fr. glas (classicum) ; prov. rust
(rusticus), gramadi (grammaticus) ; roum. miedi (medicus),
silvadi (silvaticus) ; franç. datte (dactylus), ange (angelus) ;
prov. tebe (tepidus) et autres mots de ce genre ; esp. cuerdo
(cordatus) ; ital. esp. manso (mansuetus) ; ital. esp. fino,
franç. fin (finitus) ; ital. serpe, esp. sierpe, prov. serp (serpens) ;
ital. insieme ; prov. ensems (insimul) ; franç. Aristote ;
esp. acebo (aquifolium) ; esp. maese (magister) ; voy. p. 195.
C'est en français que cet accourcissement est le plus fort : cf.
prince, évêque, encre (encaustum), clavecin (clavicymbalum),
avec lesquels cependant l'anglais ink (= franç. encre),
l'allemand sarg (sarcophagus), fliete (phebotomus) peuvent
rivaliser.

6. De toutes les consonnes, ce sont les liquides l et r qui sont
le plus sujettes à la métathèse, et la transposition consiste d'ordinaire
en ce qu'une muette précédente les attire à elles ; on
peut ici comparer la mobilité de ces liquides à celle des voyelles
i et u : de même que i et u s'accolent à chaque voyelle avec
facilité, l et r s'accolent de même à toutes les consonnes muettes.
Comme exemples de métathèse des autres lettres, on peut citer :
ital. fradicio, sudicio pour fracido, sucido, cf. lat. lapidicina
pour lapicidina ; esp. cortandos, amasdo pour cortadnos,
273asmado PCid. Il est remarquable qu'on trouve dans le
même poème la métathèse du mouillement dans laño, leño
pour llano, lleno, analogue à la métathèse de l'aspiration en
grec dans κιθών, κύθρη pour χιτών, χύτρα. Il est rare que la métathèse
déplace l'initiale pour l'introduire dans le corps du mot,
comme dans l'ital. cofaccia de focaccia, gaveggiare de vagheggiare ;
esp. golfin de folguin Canc. de B., jasar de sajar,
facerir de zaferir, gavasa de bagasa, garzo de zarco,
amahaca de hamaca, batahola à côté de tabaola ; portug.
cerquinho de quercinho.

7. Si la consonne simple est sujette à bien des changements, la
consonne géminée, en vertu de sa plus grande intensité, persiste
intacte et solide : on peut, sous ce rapport, la comparer à la
tonique longue, de même que l'on peut comparer la consonne
simple à la voyelle brève. Cette comparaison est surtout admissible
pour les muettes. Si la lettre double est diminuée quantitativement,
elle n'est jamais atteinte qualitativement, c.-à-d. que
cc, pp, tt peuvent, il est vrai, se réduire à la simple, mais ils ne
peuvent, comme c, p, t, descendre à la douce ou éprouver
d'autres altérations. Ll, nn, ss se laissent, il est vrai, amollir,
mais elles ne perdent alors qu'une partie de leur substance. Les
cas où ll peut disparaître constituent une exception de peu d'importance 1147.

8. La consonne double n'est point partout traitée de même.
L'italien, qui redouble même les consonnes simples, la respecte
assez fidèlement ; il se permet toutefois quelques cas de simplification :
par ex. m pour mm dans comandare, comadre,
comiato, comune ; n pour nn dans anello qui peut, il est vrai,
274se justifier par une forme latine anellus ; s pour ss dans glosa,
chiosa, Narciso, Parnaso. Le valaque, au contraire, la rejette
constamment : par conséquent il dit bucę et non buccę. Sauf
quelques restrictions, l'espagnol procède de même : ll dans
bello ne forme pas un son double, mais un son complexe. En
portugais, l'absence de règles orthographiques permet d'écrire,
dans beaucoup de cas, la consonne double aussi bien que la
consonne simple : bocca à côté de boca. Les mss. provençaux
préfèrent, en général, la consonne simple, mais ils mettent la
double, spécialement ss pour s dure (aussor), même après les
diphthongues. En français, l'orthographe se règle sur l'orthographe
latine, mais le plus souvent la gémination est purement
graphique. On trouve des exemples de simplification dans :
estrope (struppus), souple (supplex), pale (palla), secouer
(succutere), secourir (succurrere), semondre (summonere).

9. Consonnance multiple. — On sait que le latin, au moins
au commencement et au milieu des mots, éprouve de la répugnance
pour plusieurs groupes de consonnes que le grec supporte
sans difficulté (voy. Benary, Zeitschr. f. vergl. Sprachf.,
I, 51). C'est ainsi qu'à l'initiale manquent en latin : mn, sm,
tm, dn, dr, cm, en (excepté Cneus), cs (x), ct, bd, pm, pn,
ps, pt. A la médiale, si l'on excepte les mots composés avec des
particules, sont exclus par exemple les groupes : sl, sn, sg,
tl, tm, tn, dm, dn, dr (sauf quadrans et les mots apparentés),
cn, pn ; sont très-rares : ld (caldus), cl, gl, bl. Dans quel
rapport, sur ce point important, les langues romanes sont-elles
à la langue mère ? On peut prévoir qu'ici encore elles n'auront
point suivi toutes un seul et même chemin, et il suffit même
d'un coup d'œil rapide sur leur structure pour voir que l'admission
ou la suppression des consonnances multiples constitue
précisément l'un de leurs principaux modes de différenciation.

Nous étudierons dans la section II les combinaisons les plus
importantes. Nous n'avons à faire ici qu'une remarque : c'est
que la nouvelle langue, bien éloignée de revenir aux groupes
que le latin évitait (sauf dans quelques cas isolés), ne tolère même
pas (comme nous l'avons vu plus d'une fois dans la présente
section) tous ceux que le latin admettait. Les dialectes nouveaux,
il est vrai, possèdent tous des groupes composés des muettes
initiales avec r ou l, c'est-à-dire tr, cr, gr, pr, br, cl, gl, pl,
bl, ce qui n'a rien de remarquable, mais ils n'ont gardé ni cn,
ni gn dans les mots populaires. Fr et fl sont partout également
275conservés. Le groupe de s plus une forte, à laquelle peut encore
se joindre r ou l, est très-usuel, au moins en italien et en
valaque, et même dans ces deux langues, contrairement au système
phonique latin, s peut être suivie de presque toutes les consonnes,
de sorte qu'en réalité les combinaisons grecques comme σμ et σβ
revivent dans ce domaine. Le valaque et le français vr, et le
valaque vl sont aussi des groupes phoniques inconnus au latin
que l'on rencontre à l'initiale. Mais les langues filles se montrent
plus délicates au milieu des mots. Elles limitent dans ce cas
aux combinaisons avec r et l les groupes formés d'une muette
et d'une liquide ; tl est trop dur pour la plupart des langues
romanes ; d'autres groupes comme tn, dl, dn (à moins qu'on ne
prétende donner comme exemples les enclises espagnoles dadle,
dadnos) et aussi bm, bn manquent complètement : le latin
tolère tous ces groupes, au moins dans les composés (at-nepos,
etc.) ; même gm et gn manquent à l'italien (au moins dans la
prononciation réelle). Le provençal peut, il est vrai, exhiber
des consonnances telles que tl, cm, pm, mais il est presque
tout à-fait isolé. Les groupes composés d'une muette avec une
spirante, spécialement ts (etsi), ds, cs, ps, bs, dj, bj, dv, bv
(la plupart, il est vrai, dans les composés) ne se rencontrent pas
non plus, ou ne sont employés partiellement que par quelques
langues, comme l'espagnol et le français. La plus grande aversion
du roman s'adresse à la combinaison de deux muettes,
admise par le latin au moins dans la composition et en outre
dans les groupes ct et pt : on en trouve plusieurs exemples dans
les langues de l'ouest, mais dans des mots d'origine un peu
bâtarde. La spirante avec une autre consonne se comporte à
peu près comme à l'initiale ; sauf qu'ici s (non-seulement dans
les langues de l'est, mais encore dans celles de l'ouest) peut
former un groupe avec toutes les consonnes, ce qui n'était point
le cas en latin, excepté dans certains composés (trans-). Le
roman admet partout, comme le latin, le rapprochement d'une
liquide et d'une muette, quand la première se présente à la fin d'une
syllabe, sauf quand deux muettes suivent (sculptura, promptus,
sanctus, functio, arctus), du moins dans les mots proprement
romans. Quant aux groupes de deux liquides, ils ont
presque acquis en roman une plus grande importance que dans
la langue latine. Lm, ln, rm, rn ont persisté ; mn pas partout ;
rl, qui ne se présente que dans les composés (commeper-luere),
existe souvent en roman dans les simples, ainsi que le groupe non
latin nr qui est partout admis ; il y a des exemples de lr, mr
276(prov. damri), nl (franç. ébranler où cependant n n'existe
plus en tant que consonne), nm (esp. inmenso, prov. anma).
Les chuintantes, sons encore ignorés des Romains, tolèrent
avant elles le contact immédiat des liquides l, m, n r dans
presque toutes les langues, d'm en valaque et en provençal
(cimśer, camjar) et çà et là aussi des muettes (val. batźocurà,
prov. sapcha, franç. suggérer, objet). Mais elles ne souffrent
après elles, sauf en valaque, le contact immédiat d'aucune
consonne.

10. Les combinaisons ci-dessus mentionnées sont donc
reconnues, soit de toutes les langues romanes, soit de quelquesunes.
Mais il est d'autres groupes (comme nous l'avons déjà
remarqué) qui déplaisent au roman et qui, ainsi que les groupes
nouveaux résultant principalement de la chute d'une consonne,
sont détruits par divers procédés. Ces procédés sont l'assimilation,
la syncope, la résolution d'une consonne en voyelle, la transposition,
enfin la préposition ou l'insertion d'un élément étranger.
Nous avons déjà parlé (p. 186) de la résolution ; en traitant
des consonnes, nous avons cité les quelques cas fort rares de
transposition. Nous n'avons donc qu'à jeter un coup d'œil sur
les autres procédés.

11. L'assimilation a profondément pénétré dans la structure
de la langue latine, et a contribué essentiellement à son
euphonie. C'est grâce à l'assimilation que ml s'est transformé
en ll (com-locare coll.), mn en nn (Garumna Garunna),
mr en rr (com-ripere corr.), ms en ss (premsi pressi),
nl en ll (unulus ullus), nm en mm (in-mitis imm.), nr en
rr (in-ritare irr.), ns en ss (pansum passum), rl en ll
(perlucidus pell.), rs en ss (dorsum dossum), tr en rr
(patricida parr.), ts en ss (quatsi quassi), dl en ll (pediluviæ pell.),
dn en nn (ad-nuntiare ann.), dr en rr (adrogare
arr
.), ds en ss (cedsi cessi), dt en tt (cedite cette), dc
en cc (id-circo icc), dg en gg (ad-gerere agg.), dp en pp
(quid-piam quipp.), df en ff (ad-ferre aff.), ct en tt
(Actius Attius), gn en nn (stagnum stannum), pm en mm
(supimus summus), bm en mm (sub-monere summ.), br
en rr (sub-ripere surr.), bs en ss (jubsi jussi), bc en cc
(sub-cumbere succ.), bg en gg (subgerere sugg.), bp en pp
(sub-ponere supp.), bf en ff (sub-fundere suff.). De deux
consonnes dissemblables naît donc une consonne double.
Examinons maintenant jusqu'à quel point les langues modernes
sont restées fidèles à ce caractère ; nous choisirons principalement
277pour cela la langue italienne, qui, seule, exprime pleinement la
double consonne. Si, comme il est naturel, on exclut les composés
modernes formés à l'aide de particules, qui, d'après le
génie de la langue italienne, ont dû déposer leur consonne finale,
comme ad, ou sub qui est tombé en désuétude (car on peut
très-bien se représenter annodare, assetare, attaccare, accompagnare,
agghiacciare, appagare, affaticare, socchiamare,
soggrottare, soppannare, soffriggere, comme formés
de a nodare, so chiamare, etc.), et si l'on écarte com, qui
sonne maintenant con, voici celles de ces assimilations qui
sont en activité : mn-nn (domna donna),m (p)s-ns (campsare
cansare
), nl-ll (lunula lulla, conliquare coll.), nm-mm
(inmelare imm.), nr-rr (ponere porre, con-redare corr.),
rl-ll (per-il pel), tr-rr (bútyrum burro), dl-ll (stridulus
strillo
), dr-rr (quadrare, franç. carrer), cs-ss (taxus tasso),
ct-tt (factus fatto), gn-nn (cognoscere, franç. connaître),
bs-ss (absolvere assolvere). Ainsi sont éteints ns-ss, rs-ss
(car dosso est déjà latin), ts-ss, pm-mm, toutes assimilations
d'un emploi rare, dont les deux dernières remontent au premier
âge de la langue des Quirites. Au contraire, un grand nombre
d'assimilations nouvelles sont devenues plus ou moins usitées :
ainsi br-rr (dolerà dorrà), tl-ll (spatula spalla), tm-mm
(maritima maremma), dm-mm (admirari amm., à peine
latin), cr-rr (ducere durre), gm-mm (dogma domma), gd-dd
(frigidus freddo), ps-ss (capsa cassa), pt-tt (aptus
atto
), bt-tt (subtus sotto), vt-tt (civitas città). Il est rare que
ce soit la seconde consonne qu'on assimile à la première, et dans
ce cas il faut qu'elle soit moins forte qu'elle, comme dans netto
(nitidus), putto (putidus), franç. angoisse (angustia). Ces
faits nous prouvent que, dans l'emploi de l'assimilation, la
langue nouvelle va plus loin encore que l'ancienne : il est vrai
que cela s'applique avant tout, comme nous l'avons dit, à
l'idiome italien qui adoucit par ce procédé toute combinaison de
consonnes différentes qui offre la moindre dureté. Mais les dialectes
même qui n'emploient pas dans ces cas la gemmation
contredisent par là non point le principe de l'assimilation, mais
simplement, au moins dans leur état actuel, son expression
graphique ; car s et t dans l'esp. ese (ipse), matar (mactare),
escrito (scriptus) peuvent tout aussi bien représenter ss et tt
que dans asentir et atender, et de fait t, c, et p (quand ils
correspondent à une assimilation italienne) représentent bien
une consonne double, comme le prouve leur nature même,
278qui les a empêchés de descendre à d, g, b. Nous verrons, dans
la section II, que le valaque supporte les combinaisons les plus
dures sans recourir au procédé de l'assimilation.

12. A côté de l'égalisation complète des consonnances multiples,
il faut encore, dans les langues romanes, en observer
une autre approximative, qui ramène au même degré les consonnes
de degrés différents, en sorte que, comme en grec ou en
serbe, la forte s'accommode à la forte, la douce à la douce. Mais
comme ce procédé exige déjà une oreille plus délicate, il n'a pas
été mis partout en pratique dans l'orthographe, et, même quand
il a été employé, il ne l'a pas toujours été rigoureusement 1148. C'est
cette règle que suit l'ancienne orthographe espagnole, par
exemple dans cabdal (capitalis), recabdo, debdo (debitum),
cobdo (cubitus), cibdad (civitas), mais en contradiction
avec cette règle on trouve cautivo (captivus) au lieu de
caudivo (qui est exactement dans le rapport de caudal à
cabdal) ; cependant le fait que le groupe pt existait déjà en
latin semble ici justifier la présence d'un t espagnol. Les Provençaux
écrivent conformément à la règle : doptar (dubitare),
qui correspond au latin scriptus, au m.h.allem. lept et à l'allemand
moderne haupt ; de même aussi correctement sopte en
même temps que sobde (l'un et l'autre de subitus) ; capdolh
(capitolium), maracde sont des formes incorrectes ou mal
choisies, puisque l'on devait attendre cabdolh, maragde ou
captolh, maracte. En général, devant s ou z, le provençal
admet aussi la forte et f, comme dans traps (trabs), larcs,
loncs, notz (nodus), nutz (nudus), serfs (servus). Si l'on
remarque que la palatale molle correspond à la douce, la
palatale dure à la forte, on peut expliquer, dès lors, diverses
transformations phonétiques : ainsi l'i palatal tantôt est élevé à
la palatale dure par la présence d'une forte qui le précède, comme
dans apropchar, sapcha (apropjare, sapjat), franç. approcher,
sache, ital. approcciare, saccia, et de même dans cacciare
(captiare *), docciare (ductiare *) ; tantôt il fait descendre
la forte à la douce, comme cela paraît être le cas dans l'ital.
palagio (palatium) pour palacio, et si l'on veut assimiler
279s à une forte, aussi dans cagione 1149 (occasio). — L'égalisation
de deux consonnes, au point de vue de l'organe vocal, n'est pas
non plus étrangère à ce domaine. Ceci concerne principalement
les liquides. Mt, par exemple, devient habituellement nt ou nd
(comitem, ital. conte, esp. conde), np-mp (ital. in-picarre
imp
.), nb-mb (Gian-Battista Giamb.), nv-mb (invitus,
v.esp. ambidos), gd-ld (Bagdad, ital. Baldacco), etc. A cette
règle contredisent le changement de mph en nf commun au
roman (nympha ninfa) et l'esp. nm pour mm (immensus
inmenso
).

13. La syncope, dans les consonnances multiples, a été d'une
grande importance en latin. Elle atteint surtout la muette devant
une liquide. Les gutturales, par exemple, sont tombées dans
aerumna (de aeger), ala (axilla), flamma (fragrare), hodie
(hocdie), luna (lucere), vanus (vacare), tormentum (torquere) ;
les labiales dans gluma (glubere), somnus (sopire
ὕπνος) ; les dentales dans arsus (ardere), manare (madere),
filum (findere) 2150. Si sopnus avait semblé dur aux Romains,
somnus parut encore trop dur aux Romans, qui lui préférèrent
sonnus. Les Romans font à leur tour de la syncope l'emploi
le plus fréquent : elle est générale, par exemple, pour n ou r
devant s ; elle est partielle dans un grand nombre de cas ; il
suffit de rappeler : portug. doce (dulcis), franç. pucelle (pullicella
*), prov. efan (infans), franç. âme (anima), prov.
anar (pour andar), ital. conoscere (cogn.).

14. Le roman adoucit ou facilite souvent une rencontre de
consonnes qui lui déplaît, soit par la préposition d'une
voyelle auxiliaire, comme nous en avons déjà remarqué sous S
un cas très-important, soit encore par l'insertion d'une troisième
consonne, procédé que nous avons également étudié plus haut. Dans
le dernier cas (par ex. lr, mr, nr, sr, ml, mn), l'insertion
d'une voyelle n'était point admissible, puisque ces groupes
provenaient précisément de la chute d'une voyelle antérieure.
Mais lorsque les groupes de consonnes sont originaires,
l'insertion vocalique peut avoir lieu. On la trouve au milieu
du mot dans l'italien entre s et m : crésima, cristianésimo,
280biásimo, fantásima, spásimo pour cresma, crisma, etc.,
et aussi tout à fait accidentellement dans d'autres mots, tels que
aliga (alga), astero (astrum), maghero (macrum) ; plus
souvent dans les dialectes, p. ex. en romagnol sélum ( = ital.
salmo), zéruv (cervo). Esp. calavera (calvaria), engarrafar
(engarfar), escarapelar (ital. scarpellare). Mais l'initiale
complexe a plus souvent encore éprouvé cette insertion, même
dans des cas qui n'offraient aucune dureté réelle. En voici des
exemples, parmi lesquels il est des mots d'origine allemande :
ital. pitocco (pour ptocco de πτωχός qui eût été dur), calabrone
(clabro pour crabro), calappio (klappa), caleffare (kläffen),
scaraffare (schrapfen) ; esp. calambre (klammer),
galayo (glayo ?) Canc. de B., taragona (draco), farapo (ital.
frappa, filibote (franç. flibot), coronica (chronica), curuxia
(pour cruxia) Canc. de B., gurupa (gruppa, it. groppa) ;
portug. caranquejo (pour cranquejo, prov. cranc), baraça
(pour braça), coroça (pour croça), gurumete (grumete),
gurupa garupa (esp. grupa) ; prov. esbalauzir (pour blauzir) ;
franç. semaque (néerl. smak), canif (kneif), hanap
henap
arch. (hnapf), varech (wrack) ; val. fęręme (fragmen),
sicriu (scrinium), śinór (schnur), śumaltz (schmalz).
B.lat. sinaida (snaida) L. Long., varanio (v.all. wrênjo) ;
lat. mina (μνᾶ), Timolus (Τμῶλος), cinifes (σκνῖπες) 1151.
Il est remarquable que les langues du sud-ouest emploient chaque
fois, comme voyelle d'insertion, la voyelle de la syllabe contiguë.
Nous retrouvons cette tendance aussi bien dans le basque
qui en est géographiquement voisin (voyez des exemples dans
mon Dict. étym. p. XIII, et cf. Mommsen dans la Zeitschrift de
Höfer, II, 372) que dans une langue bien éloignée du domaine
roman, le hongrois, où, par exemple, l'illyr. zsleb revêt la forme
selep ou silip. L'osque comme le v.h.all. (d'après la remarque de
Kirchhoff, Ztschrft. f. vergl. Sprachf. I, 36) peut employer
pour l'insertion la voyelle de la syllabe radicale précédente :
ainsi, par exemple, l'osque aragetud (lat. argento), teremniss
(terminus), uruvo (urvus que l'on déduit de urvare).

15. Le tableau suivant offre un aperçu comparatif des combinaisons
les plus importantes. Presque toutes appartiennent à la
médiale, sauf la muette avec l qui appartient en même temps à
l'initiale.281

tableau ital. | esp. | port. | prov. | franç. | valaq. | init. | méd.

16. Souvent aussi, même là où il ne s'agit pas d'adoucir une
consonnance multiple (§ 14), on insère des consonnes, procédé
qui a sa cause en partie dans un certain sentiment de l'euphonie,
en partie dans un pur hasard. Nous étudierons ces cas dans la
section II. Mais il est nécessaire de donner déjà place ici à un
trait qui, dans ce procédé, est commun à toutes les langues
282romanes : c'est la préférence accordée pour l'insertion aux liquides
sur toute autre lettre. L est souvent apposée à une consonne initiale,
par exemple : ital. fiaccola = flaccola (lat. facula), esp.
espliego (spica), prov. plasmar (spasmus), franç. enclume
(incus). M est préposée à une autre labiale : ital. strambo
(strabus), portug. trempe (tripus), prov. sembeli (sabellinus),
franç. Embrun (Eburodunum), val. octomvrie (october).
On trouve encore dans d'autres langues, spécialement en
latin, d'assez fréquents exemples de ces formes rhinistiques
(cumbo, sambucus, limpidus, etc.). N s'insère devant les
dentales et les gutturales : ital. lontra (lutra), fangotto (fag.) ;
esp. ponzoña (potio), ninguno (nec unus) ; prov. penchenar
(pectinare), engual (æqualis) ; franç. jongleur (joculator),
etc. ; val. merunt (minutus) ; lat. centum, findo, linquo,
frango. Reddere, dans les formes romanes rendere, rendir,
rendre, prend partout une n. La postposition d'une r à une
muette (cf. ci-dessus, p. 207) est très-fréquente : ainsi dans
l'ital. brettonica, esp. estrella, portug. fralda, prov. brostia
(boîte), franç. fronde, cf. lat. culcitra à côté de culcita, etc.
(Schneider, I, 474). Trompa (tuba) semble bien devoir sa
forme à une double insertion. Le renforcement de l'initiale par
une s est un procédé commun au roman, mais surtout recherché
par la langue italienne : p. ex. ital. smergo, portug. estragão,
prov. escarpa, franç. escarboucle, val. sturz (turdus).

Lettres allemandes.

D'après ce qui a été dit dans l'Introduction, nous devons
nous adresser, pour l'appréciation de l'élément allemand ou
germanique, à la plus pure et à la plus ancienne forme linguistique,
le gothique. Nous sommes obligés, il est vrai, de puiser
surtout nos matériaux dans l'ancien haut-allemand, qui est
une source infiniment plus abondante, et parfois aussi dans
l'anglo-saxon, le frison, le néerlandais, le norois, mais il faut
alors se reporter toujours en esprit à la forme gothique 1152.283

Voyelles.

A. — Le gothique ê, qui correspond au v.h. all. â, n'a pas pénétré :
on a en ital. bara (v.h.all. bâra), franç. vague (v.h.all. wâc,
le goth. était vêgs) et autres mots analogues. L'ital. Tancredo,
qui est en contradiction avec Corrado, est venu de la France.
Le nom de personne esp. Suero, dans les chartes Suerius,
nous ramène immédiatement au gothique svêrs ἔντιμος ; car on
ne pourrait songer au latin suarius. On trouve aussi fréquemment
que Suerius la forme Suarius, dont le type répond au
v.h.allem. suâri = gravis, et cette forme doit avoir été la
forme primitive du mot, car Suerius a bien pu venir de
Suarius, mais non ce dernier du premier : cf. primero de
primarius. Il n'y a donc point à chercher dans Suero un e
gothique. L'a originaire persiste ordinairement en roman,
même dans les cas où par la loi depériphonie (Umlaut), cet a
a déjà dégénéré en e dans les textes de l'a.h.allem. : par ex.
en ital. albergo etc. (heriberga, goth. harjis), aringa etc.
(harinc, herinc), franç. falaise (felisa), ital. fango etc.
(goth. fani, v.h.allem. fenni), gaggio (vadi, wetti), guarire
(varjan, werjan), al-lazzare (latjan, lezjan), smarrire
(marzjan, marrjan, merran), prov. gasalha, port. agasalhar
(saljan, gaseljan), ital. smaltire (smelzan) ; esp.
escansiar (skenkan), prov. escharir (scarjan, skerjan),
ital. straccare (strecchan). Le français traite l'a allemand
autrement que l'a latin : il n'applique pas la règle d'après laquelle
a se change en e devant une consonne simple, et conserve
plus fréquemment l'a pur, par ex. dans braguer (v.norois
braka), cane (kahn), écran (schragen), élan (elaho), estraper
(strapen), flan (flado), flatter (v.norois flat), garer
(waron), hase (haso), nans (v.norois nâm), raguer (v.norois
raka), rame (ram), salle (sal). — Les noms de l'ancien haut-allemand
composés avec hari, comme Gundahari, Walthari,
Werinhari, changent leur a en ie : ital. Gontiero, Gualtiero,
Guarniero, franç. Gonthier, Gaultier, Garnier, non point
par une dérivation immédiate du moyen-haut-allemand Gunthêr,
Walthêr, Wernhêr, mais en vertu du même procédé qui
284transforme argentarius en argentiere, voy. ci-dessus p. 169.
Sparwari (nisus) suit la même voie dans sparviere, et peut-être
faut-il juger de même schiera, en admettant pour ce mot
un v.h.allem. scarja pour scara. Il en est de même du franç.
bière, prov. bera pour beira (cf. primera primeira), qu'appuierait
l'existence d'un v.h.allem. barja (néerl. berrie).

E. — L'ĕ latin devient, comme nous l'avons vu, la diphthongue
ie. Cette diphthongue pouvait à peine se produire dans
les mots empruntés à l'allemand, qui n'offrait certainement aux
Romans qu'un petit nombre d'ĕ, la plupart de ceux qu'il possède
ayant remplacé des i plus anciens : toutefois, on peut citer au
nombre des e l'ital. spiedo (sper), esp. yelmo (helm), franç.
fief (vehu) : les formes spir, hilm, vihu auraient difficilement
engendré cet ie ; l'esp. fieltro renvoie de même à une forme
propre felz qu'il faut supposer comme forme secondaire de filz.

I. — 1. Les Romans ont rendu l'ī allemand (qu'Ulfilas
exprime par le groupe ei) avec la même exactitude que l'ī latin ;
aussi ne cède-t-il la place à aucune autre voyelle, comme
on le voit par de nombreux exemples ; en voici quelques-uns :
ital. giga (gîge), digrignare (grînan), grigio (grîs), guisa
(wîsa), lista (lîsta), riddare (ga-rîdan), riga (rîga), ricco
(rîhhi), stia (stîga) ; esp. giga, gris, guisa, iva (îwa), lista,
mita (ags. mîte), rico ; franç. canif (v.norois knîfr), gigue,
gripper (v.norois gripa), gris, guise, if, liste, mite, rider,
riche, ar-riser (rîsan), v.fr. guïle (ags. vîle), esclier (slîzan),
eslider (ags. slîdan), guiper (goth. veipan).

2. Sous ĭ, il faut ranger aussi bien le goth. et le v.h.a. ĭ
que le goth. et le v.h.all. ë. La représentation de ce son la
plus habituelle en roman est e, comme celle de l'ĭ latin. Ainsi
dans l'ital. feltro (filz), fresco (frise), elmo (goth. hilms),
lesto (goth. listeigs), senno (sin) et dans beaucoup d'autres
exemples, tant dans cette langue que dans les langues sœurs.
Mais il y a aussi des cas, qui sont loin d'être rares, où cet i
conserve sa forme, alors même qu'en v.h.allem. il s'est déjà
en partie affaibli en e : ital. fio (vihu, vehu), camarlingo,
siniscalco (sini-scalh, mais franç. sénéchal), schifo (skif),
spiare (spehon), tirare (zeran, goth. tairan) ; esp. esgrimir
(skirman, mais ital. schermire), eslinga (slinka), espiar,
tirar, triscar (goth. thriskan, v.h.allem. dreskan, ital. trescare),
portug. britar (ags. brittian) ; franç. blinder (goth.
ga-blindjan), eschirer arch. (skerran), flin (vlins), frique
arch. (goth. frik-s, v.h.allem. vreh), grincer (gremizon),
285nique (hnicchan), esquif et équiper (skif, skip), sigler arch.
(v.nor. sigla, v.h.allem. segalen).

O. — Le roman reste généralement fidèle à la forme de cette
voyelle. On ne peut citer qu'un petit nombre de diphthongaisons,
qui s'appuient aussi bien sur l'ô goth. (v.h.allem. ô, uo) que sur
l'ŏ v.h.allem. (goth. u, ). Ital. spuola à côté de spola
(spuolo, spôlo), palchi-stuolo (stuol, stôl), truogo (trog),
uosa (hosa) ; esp. espuela ancienn. espuera (sporo), huesa,
rueca (rocco) ; franç. fauteuil (valt-stuol), feurre (vuotar,
goth. fôdr), heuse, meurtre (mord, goth. maurthr). Dans
quelques-uns de ces exemples, le uo italien renvoie à un ō
allemand, tandis que dans les mots latins ō n'engendre pas úo.
Aussi doit-on croire que c'est la diphthongue allemande uo qui
est ici directement reproduite. Signalons encore le provençal
raustir (rôstjan), voy. mon Dict. étymologique.

U. — 1. Quand u est long, il persiste intact, comme en latin.
Les cas sont à peu près les suivants : ital. bruno (brûn), buco
(bûh), drudo (drûd), gufo (hûvo), schiuma (scûm), sdrucciolo
(strûhhal) ; esp. bruno, buco buque, escuma, adrunar
arch. (rûnen) ; franç. bru (brût), brun, dru, écume, écurie
(scûra), hune (v.nor. hûn), sur acidus (sûr), v.franç. buc
(bûh), bur (bûr), busse (v.nor. bûssa), cusc castus (kûsc),
huvet mitra (hûba), runer susurrare (rûnen), sur columna
Ren. IV (sûl).

2. Pour ŭ, la forme dominante est o (franç. ou), par ex. en
ital. forbire (vurban), stormo (sturm) ; esp. mofar (mupfen),
Alfonso (-funs) ; franç. fourbir, moufle (b.l. muffula).
Il ne manque pas d'exemples où l'u originaire s'est maintenu,
comme en ital. cuffia (kuppha), ruspo (ruspan), stucco
(stuck), stufa (stupa), trastullo (stulla), trucco (druck),
zuffa (zupfen) ; esp. almussa (mütze), cundir (goth. kunds),
estufa, tumbar (v.nor. tumba) ; franç. hutte (hutta), étuve
et analogues.

AI. — A cette diphthongue gothique correspond d'ordinaire le v.
h.all. ei ou e, qui en est la condensation : mais beaucoup de monuments
conservent ai, qui est aussi très-fréquent dans les chartes
franques du VIe au VIIIe siècle, comme dans Aigatheo, Chaideruna,
Dagalaiphus, Gairebaldus, Garelaicus, Wulfolaecus. Le
domaine roman, comme l'anglo-saxon, ne fait ordinairement
entendre dans ai que la voyelle accentuée : mais cependant la
diphthongue pleine ne lui est point étrangère. Si les Allemands
avaient fourni aux Romans la forme déjà affaiblie ei, elle aurait
286sans doute donné en ital. esp. e, en prov. port. ei. Il vaut la
peine de réunir ici tous les exemples que nous connaissons,
même ceux où l'ai allemand est devenu atone. Ital. aghirone
(heigro), gala (geil), gana (geinon ?), guadagnare (weidanon),
guado (weit isatis), guaragno (hreinno), razza (reiza),
stambecco (steinbock), zana (zeina), Arrigo (Heinrîh) ; ai
dans guai (goth. vai), laido (leid). Esp. gala, gana, guadañar
arch., garañon, lastar (leistan) ; raza ; ai dans airon,
guay, laido arch. Prov. bana (bein ?), gazanhar, garanhon,
raza, Rostan (Hruodstein, dans les chartes Rustanus,
Rostagnus) ; mais la diphthongue est ici plus usitée : aigron,
faidir (b.lat. faida), fraiditz (vreidic), lait, Azalais
(Adalheit), Baivier (Beigar), Raimbaut, Rainart, Raynier,
Raimon (Reimbald de Regimbald, etc.). Franc. afre (eivar),
avachir (weichjan), gale arch., gagner, hameau (heim),
havir (heien), race ; ai et e dans laid, souhaiter (goth. haitan),
rain margo (rain), Adelaïde, guêde (ital. guado),
guéder (weidon), héron, hêtre (néerl. heister), v.franç.
faide, gaif res derelicta (b.lat. wayvium), gaide, hairon,
raise (reisa), tai (néerl. taai, h.allem. zähe). Le vieux norois
ei (prononcez ej) devient a dans hanter (heimta), i dans rincer
(hreinsa).

AU. — La diphthongue gothique au, en v.h.allem. ô, ou
(rarement au 1153), v.nor. au, anglo-saxon , a été dans son
traitement à peu près assimilée au latin au. Ital. biotto (m.h.all.
blôz, v.nor. blaut-r, ags. bleát), di-bottare (m.h.allem.
bôzen, v.nor. bauta, ags. beátan), galoppare (goth. hlaupan),
loggia (louba), lotto (goth. hlaut-s), onire (haunjan,
hônjan), onta (hônida), roba (roub). Dans plusieurs mots, au
s'est abrégé en u parce qu'il était atone, comme dans udire du
lat. audire : ainsi bugiare (prov. bauzar), buttare à côté
de bottare, rubare (roubon), ar-ruffare (néerl. raufen),
tuffare (toufan). Au persiste dans Austria (ôstar, néerl.
austr), comme il a persisté aussi dans le lat. australe ; de même
dans sauro (sauren). Esp. botar, galopar, lonja (ital.
loggia), lote, lozano (goth. laus, v.h.allem. lôs), robar, sopa
(v.nor. saup). Froyla (Frauila) ; au dans bauzador (prov.
bauzaire). Portug. ou seulement dans loução, roubar, v.port.
cousimento (prov. causimen), dans les autres o. Prov. blos
287( = ital. biotto), botar, lotja, sopa ; la forme nationale est au,
comme dans les mots latins : bauzar (bôsi ?), blau (blâo), esbalauzir
(v. mon Dict. étym.), cauana (chouh ?), caupir (goth.
kaupôn), causir (goth. kausjan), galaubia (goth. ga-laub-s),
galaupar galopar, aunir, anta (pour aunta), mauca
(mauck), rauba, raubar, raus (goth. raus), saur, Audafrei
GRos
. (Autfrit Otfrit), Audoart (Audwart Otw.), Austorica
(Ostarrîhi), Gausbert (Gôzberht), Gaucelm (Gôzhelm)
et analogues. Franç. o, oi, ou : galoper, honnir, loge,
robe, dé-rober, choisir, bouter, houe (houwa) ; au dans
saurer.

IU est rare et sa représentation est incertaine : ital. schivare,
esp. prov. esquivar (skiuhan), où u paraît consonnifié en v ;
ital. esp. tregua, prov. treva, franç. trêve (triuwa triwa),
ital. chiglia, esp. quilla, franç. quille (kiol). Dans le nom
propre esp. Gustios (b.lat. Gudestheus Godesteo Gusteus),
qui renvoie à un goth. guths thius (serviteur de Dieu), les deux
voyelles se sont maintenues. Le Poema del Cid accentue
Gustiós, les romances Gústios.

Consonnes.

L. — La seule remarque que suggère cette lettre, c'est
qu'elle peut quelquefois être remplacée, comme l'l latine, en italien
par i, en français par u : bianco (blank), heaume (helm) 1154.
Une muette suivie de l donne parfois une l mouillée (comme dans
les mots latins) : ital. briglia (brittil britl) ; franç. haillon
(m.h.allem. hadel) ; ital. quaglia, franç. caille (néerl. quakele) ;
franç. quille (kegil) ; ital. gagliardo, franç. gaillard
(ags. gagol ?) ; ital. tovaglia (duahila) ; v.fr. esteil (stihhil ?) ;
fr. grouiller (grubilôn).

M. — M finale s'échange avec n dans les langues du nordouest :
prov. estorn, mais v.franç. estor ; franç. ran bélier,
dans les patois (v.h.all. ram). De même dans les noms propres :
prov. Bertran (Bertram), franç. Gauteran pour Galtran
(Walram).

N. — La langue française a une tendance à ajouter un d à l'n
288finale, même quand elle provient de m. Ainsi dans allemand
(alaman), normand (nordman), fém. allemande, normande,
de même aussi dans Bertrand (Bertram), Baudrand (Baltram) ;
v.franç. t : Guinemant (Winiman), etc. Dans d'autres
mots, comme étrain (strand), d disparaît après n.

R. — Après une consonne initiale, r s'échange assez souvent
avec l : ainsi dans les chartes italiennes Flodoinus, par exemple
HPMon, n. 92, pour l'usuel Frodoinus (Frôdwin) ; esp. esplinque
(springa sprinka), blandon (brand), flete (fracht), dans
les chartes Flavila (Frauila) ; franç. Flobert pour Frobert
(Frôdbert) Voc. hag., floberge pour froberge, voy. mon Dict.
ètym. II. c
. s. v. flamberge. Quelques autres cas isolés
sont : it. albergo (heriberga), maliscalco (marscalc), esp.
Bernaldo (Bernhard), Beltran (Bertram). La métathèse si
connue de cette liquide se présente aussi plus d'une fois, comme
dans l'it. ghermire à côté de gremire (krimman), scrima à
côté de scherma (skirman).

T. — 1. La forte de l'ordre des dentales se maintient dans la
plupart des cas, p. ex. à l'init, it. taccagno (néerl. taai,
v.h.allem. zâhi), tasca (allem. mod zesche), tirare (goth.
tairan), toccare (zucchon), truogo (ags. v.h.allem. trog) ;
esp. tacaño, tapon (bas-allem. tap, v.h.allem. zapfo), tascar
(zaskon), tirar, tocar ; franç. taquin, tape, tas (néerl. tas),
tirer, toucher. Médial : it. batto et battello (ags. bât), biotto,
buttare (voy.sous au), fetta (fizza), greto (grioz), scotto (fris.
skott, allem. mod. schosz), spito (spiz) ; esp. batel, botar,
brote (broz), hato (fazza, vaz, pg. fato), guita (wita = lat.
vita), escote, espeto ; et en français aussi à la finale : bateau,
beter arch. (ags. bœtan, m.h.allem. beizen), bouter, bout,
brout, mite (mîza), écot, espieut arch. (spioz). — L'abaissement
de la forte à la douce paraît à peine se produire pour le
t allemand. On en reconnaît un exemple dans l'ital. guidare,
prov. guidar, franç. guider (goth. vitan), dans le v.franç.
hadir (hatan), ainsi que dans le fr.mod. amadouer (v.nord.
mata). Le français ne présente aussi que fort rarement l'expulsion
du t : gruau (ags. grut), haïr (v.franç. hadir), poe
(néerl. poot), rayon de miel (m.néerl. râte), rouir (néerl.
roten), Maheut (Maht-hild). Cf. également esp. prov. guiar
= franç. guider.

2. En revanche, l'élévation haut-allemande du t au z a déjà
profondément pénétré, et il est à peine besoin de rappeler que les
mots qui contiennent ce z trahissent ainsi ou une admission
289postérieure dans la langue ou tout au moins une transformation
par analogie. Si l'on compare le t allemand au t latin, qui, sauf
devant l'i palatal, n'est presque jamais rendu par z, on comprend
que ce z n'est dû qu'à l'influence de la forme haut-allemande ;
car ici il peut remplacer le t devant toutes les voyelles.
L'italien l'exprime directement par z ; les autres langues
emploient z, ç, s et ss. Ital. à l'init. zaffo (zapfo), zaino (zain),
zana (zaina), zazza (zata), zecca (zecke), zuffa (ge-zupfe),
zuppa (zupfen). Les autres langues en présentent à peine un
cas assuré ; l'esp. zaina, par exemple, paraît avoir été emprunté
à l'italien. Mais les exemples à la médiale sont extrêmement
nombreux : ital. bazza (m.h.allem. bazze), bozza (butze),
cazza (chezi), chiazza (kletz), elsa (helza), a-gazzare (hazjan),
izza (hiza), a-izzare (hetzen), lonzo (lunz), al-lazzare
(lezjan), milza (milzi), mozzo (mutz), orza (lurz), pizzicare
(pfetzen), scherzare (scherzen), spruzzare (sprützen),
stronzare (strunzen), strozzare (drozza), Ezzilo
(Etzel). Esp. cazo, melsa pour melza, orza, pinza (pfetzen).
Prov.bossa, etc., Gaucelm (Gôzhelm), Gausseran (Gôzram).
Franç. blesser (bletzen), bosse, clisse (kliozan ou klitz),
écrevisse (krebiz), a-gacer, grincer (gremizon), mousse,
pincer, saisir (sazjan), v.franç. casse (ital. cazza), groncer
(grunzen), hesser (ital. aizzare), etc. — Il n'est pas rare de
voir la sifflante dépossédée par une palatale, comme dans l'ital.
biscia (biz), boccia à côté de bozza, freccia (flitz), gualcire
(walzjan), liccia (m.h.allem. letze ?), solcio (sulze) ; esp.
bocha, flecha, mocho, pincha ; franç. flèche.

ST médial, dans les mots latins, se simplifie (comme nous
l'avons déjà dit p. 214) en ital. en sci ou en z, en esp. en x ou
z, et en franç. en ss ou s. Le même phénomène se produit aussi
pour divers mots allemands. Le v.h.allem. brestan donne le
prov. brisar, franç. briser ; le v.h.allem. burst ou brusta
donne l'esp. broza, prov. brossa, franç. brosse ; v.h.allem.
hulst, franç. housse ; goth. kriustan, ital. crosciare, esp.
cruxir, prov. crussir ; v.h.allem. lista, franç. lisière ; v.h.
allem. minnisto, franç. mince pour minse. C'est aussi de cette
manière que sont nés gazza, agace, voy. Dict. étym. I.

D. — 1. La douce de l'ordre des dentales (devenue en v.h.all.
t) est exactement traitée comme le d latin : elle se maintient
ordinairement ; dans l'ouest seulement, soit après une voyelle,
soit entre deux voyelles, elle est d'habitude élidée. Init. ital.
esp. dardo (ags. daradh), franç. drague (v.nord. dregg) et
290analogues. — Méd. ital. ardito (goth. hardus), banda (goth.
bandi), bidello (v.h.allem. bitil), bordello (goth. baúrd),
predello (ags. bridel), fodero (goth. fôdr), guadare (ags.
vadan), guado (vâd), guardare (veardian), mondualdo
(vealdan). Esp. banda, bedel, bordel, brida, guardar, etc.
Prov. ardit, banda, etc., bradon braon (v.h.allem. brâto),
fuerre, Loarenc (Lodharing), loire (m.h.allem. luoder).
La prononciation du z attribuée au d latin a été aussi appliquée
au d allemand (et au th), brazon à côté de bradon, flauzon
(v.h.allem. flado), guazar, guazanhar, guazardon pour
guadar, etc., Azalais, transposé en Alazais (Adalheit), Azalbert,
Azimar (Hadumar), Ezelgarda Chx. V, 334 (Adalgarta),
Lozoïc, Ozil (Uodil) 1155. V.franç. et franç.mod. hardi,
bande, bédeau, bride, guède, godine (wald), eslider (ags.
slîdan) ; brayon, estriver pour estrier (nor. strîda), fourreau,
guéer, layette (moy.h.allem. lade), leurre, Loërain
Lorrain
, tiois (goth. thiudisk). On voit qu'en français le d
allemand s'est un peu mieux conservé que le d latin.

2. — La transformation du d goth. primitif en t h.allem.
n'est pas restée non plus sans influence : on la trouve même en
roman dans des cas où le h.allem. accordait la préférence au d.
Pourtant il faut admettre que c'est le h.allem. là aussi qui
a dû donner l'exemple. Init. ital. taccola (v.h.allem. tâha),
trincare, sans doute mot postérieur (trinken), troscia et
s-troscio (goth. ga-drausjan, allem.mod. dreuschen), tuffare
(taufen) ; franç. tan (tanna), ternir (tarnjan), trinquer. —
Méd. ital. brettine (britil), scotolare (scutilon), slitta (slito) ;
fr. brette(nor. bredda), enter (impiton), gleton arch. (klette).

TH. L'aspirée (que possédaient tous les anciens dialectes de
la famille germanique, et que seul le v.h.allem. a modifiée ou
restreinte au profit de la douce) n'a pu atteindre en roman une
représentation aussi précise que le θ grec (après son passage
par le th latin) parce qu'elle s'est croisée avec le d qui la remplaçait
en h.allem. Dans les cas où l'aspirée fut transmise au
roman, il rendit ce son étranger par la forte, comme on le voit
très-fréquemment dans les chartes latines 2156. A l'origine, ce t paraît
291avoir été l'unique mode de transcription ; ainsi thiudisk donna
l'ital. tedesco, esp. tudesco, prov. ties, v.franç. tiois, non
detesco, etc., comme le h.allem. diutisc. A l'initiale, la transcription
romane est appliquée avec toute la rigueur qu'on
peut attendre en pareille matière. Exemples : v.h.allem.
thamf à. côté de tamf, allem.mod. dampf, ital. tanfo ; v.h.
allem. dahs, probablement pour thahs, ital. tasso, prov. tais,
esp. texon, franç. taisson ; v.h.allem. tharrjan, cf. goth.
thaírsan, prov. franç. tarir ; goth. theihan, v.h.allem. dîhan,
ital. tecchire, v.franç. tehir ; v.nor. thilia, franç. tillac ;
néerl. drie-stal (pour thrie-), franç. tréteau ; goth. thriskan,
ital. trescare, esp. triscar, v.franç. trescher ; ags. throsle,
franç. trâle ; ags. thryccan, ital. trucco, esp. truco, prov.
truc ; goth. thvahl, ital. tovaglia, esp. toalla, franç. touaille ;
v.h.allem. Dankrât, ital. Tancredo, dans les chartes franques
Tancradus ; Thiudburg, prov. Tiborc ; Diotbalt, prov.
v.franç. Tibaut et autres noms propres. Il faut citer comme
exception l'ital. danzare, etc., du v.h.allem. danson ( = goth.
thinsan) ; franç. drille s'il dérive du v.h.allem. drigil =
norois thräll. — A l'initiale, où toutes les consonnes ont plus
de solidité, on trouve à peine une exception à cette règle, mais
à la médiale d l'emporte de beaucoup, en partie, comme on
peut le penser, sous l'influence du d h.allem. T persiste, il
est vrai, dans le franç. meurtre (goth. máurthr), honte
(háunitha *), dans l'ital. grinta (grimmitha *), mais on trouve
partout ailleurs la douce, qui, en français, éprouve l'affaiblissement
en i ou la syncope : ags. broth, v.h.allem. brod, ital.
brodo, franç. brouet ; goth. bruth, v.h.allem. brût, v.franç.
bruy, franç.mod. bru ; ags. fœhthe, v.franç. faide ; ags.
fedher, nor. fidr, v.h.allem. fedara, ital. federa ; goth.
guth, ags. god, v.franç. goi ; v.nor. leith-r, ags. lâdh, v.h.
allem. leid, ital. laido ; ags. vœthan, v.h.allem. weiden, fr.
guéder ; goth. vithra, ags. vidher, v.h.allem. wider, ital.
guider-done ; goth. Frithareiks, v.h.allem. Fridurîh, ital.
Federigo, franç. Frédéric ; goth. Guthafriths, prov. Godafrei
GRos. GAlb. 8381, où la voyelle de composition a a eu la
chance de se maintenir, v.franç. Godefroi.

S. — Peu de mots trahissent l'affaiblissement de s en r : ainsi
en prov. v.franç. irnel pour isnel (snel) et sans doute aussi le
nom propre ital. Sirmondo pour Sismondo ? Ce sont de belles
formes que les mots prov. raus, franç. roseau (raus, rôr), qui
montrent encore une s gothique en face de l'r haut-allemande : de
292même le mot besi (goth. basi, néerl. besie, all. beere) que l'on
trouve dans les patois français, ne s'est point laissé enlever
son s.

SL, SM, SN. Le roman n'a point rejeté ces groupes, inconnus
au latin à l'initiale ; seulement il va de soi que l'ouest leur
préposa partout un e, comme il avait déjà fait pour st, sc, sp :
ital. slitta (slito), smacco (smâhi), smalto (smelz), snello
(snel) ; esp. eslinga (slinga), esmalte ; franç. élingue, émail.
Toutefois, sl est rarement reproduit dans son intégrité : d'ordinaire
le roman intercale c entre les deux lettres, comme déjà
le fait l'ancien-haut-allemand (slahan sclahan), et par imitation
sans doute du procédé allemand. Ex. ital. schiatta pour sclatta
(slahta), schiaffo (schlappe), schiavo (sclave pour slave),
schietto (sleht), schippire pour sclippire (slipfen), sghembo
(slimb) ; esp. esclavo ; prov. esclau (slâ), esclet ; franç.
esclave, v.franç. esclenque (slinc), esclier (slîzan). Dans le
franç. salope pour slope, semaque (néerl. smak), senau
(néerl. snauw), ainsi que dans chaloupe (néerl. sloep), chenapan
(schnapphahn), l'initiale complexe a été scindée par
l'insertion d'une voyelle. On a un exemple du groupe sn, avec
l'insertion d'une consonne, dans l'ital. sgneppa (sneppa,
schnepfe).

K. — 1. La forte gutturale, devenue au milieu et à la fin des
mots une aspirée dans l'ancien-haut-allemand, n'a point été traitée
par le roman de la même manière que la lettre latine correspondante.
Tandis que le c latin perd sa valeur devant e et i, la lettre
allemande, même devant ces voyelles, persiste comme gutturale.
Tandis que l'italien rend par exemple le latin cilium (kilium)
par ciglio, il rend l'allem. kiel par chiglia ; de même le lat.
scena (skena) est rendu par scena, l'allem. skina par schiena.
Enfin une autre différence, c'est que le passage de la forte gutturale
à la douce est une règle pour les mots latins (au moins à la
médiale), tandis que pour les mots allemands c'est une exception.
Tableau :

Lat. c — rom. ca, co, cu (ga, go, gu), ce, ci.

Allem. k — rom. ca, co, cu che, chi.

Mais sur ce point la langue française s'écarte tellement de la
règle commune au roman, que nous devons traiter cet idiome
séparément. Exemples à l'appui du tableau ci-dessus : init. et
méd. it. camarlingo, scalco, eufipa, schiuma (scûm), lacca
(lahha), stecco (steccho) ; chiglia, schiena, schermo (schirm),
stinco pour schinco, squilla (skella), ticchio (zicki) ; douce
293dans gargo (karg), brago (nor. brâk), Federigo, plus fréquemment
à l'init. kr : graffio, grampa, grappa, grattare
(krazon), gremire, greppia (kripfa), groppo (kropf ?).
En esp. devant e ou i : quilla, esquena, esquila, escalin
(skilling), Fadriquez ; douce par exemple dans brigola
(m.h.allem. brechel), Rodrigo ; de même à l'init. pour kr ;
garfio pour grafio, grapa, gratar, grupo. Le portugais et le
provençal offrent des exemples analogues.

2. En français, k ne reste guttural que devant o, u ou une
consonne, et à la finale : devant a, e, i, il se change d'habitude
en ch : dans les mots latins, ce son ch se restreint au groupe
ca, parce que, quand ch s'est formé, ce et ci n'avaient déjà
plus la même valeur que ca ; enfin dans les groupes co, cu, la
forte a été respectée aussi bien en allemand qu'en latin.
Tableau :

Lat. c — franç. cha, ce, ci, co, cu.

Allem. k — franç. cha, che, chi, co, cu.

Exemples d'abord de co, cu (sko, sku) : cuire arch. (kohhar
koker
), bacon (bacho), écope (suéd. skopa), écore (ags.
score), écot (fris. skot), écume (skûm) ; de même à la finale
blanc, franc etc. De ka, ke, ki : init. Charles (Karal),
chouette (kauch), choisir (goth. kausjan), échanson (skenko
pour skanko), échevin (scabinus), eschernir arch. (skernen),
eschiele arch. (skella), échine (skina), déchirer (skerran) etc.
Méd. anche (ancha), Archambaud (Erchanbald), blanche
(blancha), brèche (brehha), clinche (klinke), fraîche (frisca),
franche (franka), hache (hacke), laîche (lisca), lécher
(lecchon), marche (marcha), poche (ags. pocca), riche
(rîhhi), Richard (Richart), toucher (zuchon), tricher (néerl.
trekken). Mais il ne manque pas d'exceptions dans le français
ancien ou moderne : écale (skal), quille (kiol), esquif (skif) ;
buquer (néerl. beuken), bouquer (nor. bucka), braquer (nor.
brâka), caquer (néerl. kaaken), esclenque (slinc), esprequer
(néerl. prikken), esquiver (skiuhan), flaque (dialect. vlacke),
frique (goth. frik-s), nique (nicken), plaque (néerl. plack).
L'exception atteint principalement les mots d'origine postérieure
(c'est-à-dire introduits après la période franque), norois aussi
bien que néerlandais, parmi lesquels il faut placer aussi les
mots composés avec -quin, comme bouquin, mannequin.
Dans d'autres cas, le français a accordé la préférence à la douce,
qui, finalement, se résout aussi en i ou s'évanouit : braguer
arch., raguer, rogue, brai (v.nor. braka, raka, hrôkr,
294brâk), hagard (v.angl. hauke), Alary (Alaricus), Aubery
(Albericus, Alprîh), Emery (Emerîh), Ferry (Friderîh),
Gonthery (Gundrîh), Henri (Heimrîh), Olery (Uodalrîh),
Thierry (Thiotrîh) et autres prénoms et noms de famille,
cf. Pott, p. 256. A l'initiale, ce fait se produit comme dans les
langues sœurs, mais un peu plus rarement ; devant r dans :
grappin, gratter etc. ; devant l dans glapir (klaffen), glouteron
(klette), devant une voyelle dans guingois (v.nor.
kingr). — Remarquons encore que k final disparaît dans
maréchal, sénéchal. Il est probable qu'il se produisit aussi une
vieille forme franç. seneschalt senechault d'où le moy.h.allem.
seneschalt, de même v.franç. gerfault (d'où esp. girifalte)
pour gerfalc. On retrouve également cette conversion de la
gutturale sous l'influence d'une liquide précédente dans haubert
(halsberc), v.franç. herbert Bert. p. 52 (pour herberc, herberge),
Estrabort (Strâzburc), Lucenbort (Luxemburc),
tous mots dans lesquels le c avait remplacé un g final.

KN. Ce son initial, que le roman ne tolère jamais, et que le
latin lui-même connaît à peine, a été dissous par l'insertion
d'une voyelle : ainsi dans lands-knecht, ital. lanzichenecco,
esp. lasquenete, franç. lansquenet ; kneif, franç. canif,
ganivet, v.esp. gañivete ; kneipe, franç. guenipe ; knappsack,
franç. canapsa. L'insertion n'était pas inusitée, même
en v.h.allem., comme dans cheneht pour chneht, chenistet
pour chnistet, chenet pour chnet.

SCH. Ce son du haut-allemand moderne est rendu en roman
par le même son ou par un son analogue, par exemple : ital.
ciocco (schock) ; esp. chorlo (schörl) ; franç. chelme (schelm),
chopper (schupfen).

G. — 1. La douce gothique, qui, en v.h.allem. s'est élevée
au k, a été très-diversement rendue par les langues romanes et
spécialement par le français ; car tantôt g garde le son guttural,
soit comme en latin devant a, o, u, soit même, comme le k allemand,
devant e, i ; tantôt il se change en une palatale ou une
autre gutturale. En italien, g reste guttural devant a, o, u :
gabella (ags. gaful), Goffredo (Gotfrid), gonfalone (gundfano).
Devant e et i, il reste tantôt guttural comme dans ghiera
(gêr), gherone et garone (gêre, fris, gare), aghirone (heigiro),
Gherardo (Gêrhard), Inghilfredo (Engilfrid) ; tantôt
il devient palatal comme dans geldra (gilde), bargello (barigildus),
giga (gîge), Gerardo, Gerberto, Gertruda, Gismondo
(Sigismund), Engelfredo à côté de Inghilfredo.
295Devant a dans giardino (garten), peut-être aussi dans Gioffredo
= prov. Jaufré ? Esp. gabela, albergue ; giga, giron
(ital. gherone), jardin, tarja (franç. targe) ; affaiblissement
du g dans desmayar (magan). Prov. gabela, gonfanon ;
Gueraut, Guerart ; giga, giron, Germonda (Gêrmund),
Giraud, Girart ; jardin et gardin, tarja, Jausbert et
Josbert (Gauzbert, Gôzbert), Jaufré (Gauzfrid, Gôzfrit),
Jauri (Gozrîh) ; affaiblissement dans esmayar ; chute dans
Raymbaut trisyllab. (Raginbald). En français et devant toutes
les voyelles, la palatale douce est la forme dominante ; d'ailleurs
l'aspirée francique ghe, ghi ne se laissait guère rendre autrement
que par ce son. Ex. jardin, jaser (nor. gassi), geai
(gâhi, voy. mon Dict. étym.), gerbe (garba), Geoffroi (Gaufredus),
Jaubert (Gauzbert), v.franç. geude à côté de
gueude, gigue, giron, Gérard, Giraud (Gêrold), Gerbert,
Jombert à côté de Gombert (Gundobert) ; médial auberge,
hoge arch. (b.lat. hoga), renge arch. (hringa), targe (zarga) ;
la douce persiste rarement comme dans gabelle ou dans
vague (v.h.allem. wâg) ; elle se mouille dans haie (hag), v.fr.
esmayer, tarier (néerl. targen). Nous avons étudié sous C le
groupe final RG. — NG final dans le suffixe ing perd en français
la gutturale, et l'i est diversement représenté, cf. escalin (skilling),
guilledin (angl. gelding), lorrain (lotharing), brelan
(bretling), éperlan (spierling) ; avec addition d'un d flamand
(flaming). V.franç. lorrenc, brelenc, flamenc.

2. On remarque des traces de la forte du haut-allemand dans
quelques mots comme l'ital. diffalcare, esp. desfalcar, franç.
défalquer (falkan pour falgan) ; ital. castaldo, b.lat. castaldus
(goth. gastaldan) ; esp. confalon, pr. v.franç. confanon
(gundfanon) ; ital. bica (biga) ; dialect. luchina (lugina) ;
esp. esplinque (springa).

J. — J prend à l'initiale la prononciation romane connue :
franç. jangler (b.allem. jangelen), v.franç. gehir (jehan),
ital. giulivo, franç. joli (v.nor. jôl). Dans l'intérieur du mot,
l'i ou lej qui appartient au suffixe est exactement traité comme
l'i latin palatal, et se montre encore vivant dans des cas où le
v.h.allem. l'a effacé. Remarquons, en outre, que le j roman a
parfois sa raison d'être dans l'i final du nominatif ou dans un j
contenu dans le génitif. 1) Après l, m, n, j (i) persiste : ital.
scaglia, franç. écaille (goth. skalja) ; prov. gasalha, portug.
agasalhar, esp. agasajar (v.h.allem. gasaljo) : la forme espagnole
est ici à l'allemand dans le rapport où hijo est à filius ; prov.
296gualiar (ags. dvelian) ; franç. hargner (v.h.all. harmjan) ;
prov. bronha, v.franç. brunie (goth. brunjô) ; esp. greña,
prov. grinhon (v.h.allem. grani plur.) ; ital. di-grignare
(grînjan *) ; ital. guadagnare etc. (weidanjan *, cf. mon
Dict. étym.) ; ital. guaragno, esp. guarañon (hreino) ; franç.
mignon (minnia) ; ital. sogna, prov. sonh, franç. soin (b.lat.
sunnis, sunnia) ; prov. a-tilhar (v.sax. tilian). Le prov.
fanha (goth. fani, génit. fanjis) offre dans le franç. fange et
l'ital. fango deux représentations différentes. 2) Après les
autres consonnes, la représentation du j est moins régulière.
Ital. boriare (burjan), d'où aussi franç. bourgeon ; ital. storione,
esp. esturion, franç. étourgeon (sturjo). Ital. liscio,
franç. lisse (lisi ?) ; ital. bragia, esp. brasa, franç. braise
(ags. bräsian) ; ital. strosciare (goth. ga-drausjan, cf. cascio
de caseus) ; crosciare (goth. kriustan). Esp. sitiar (v.sax.
sittian ?) ; ital. guardia (goth. vardja) ; ital. gaggio, franç.
gage (goth. vadi, génit. vadjis). Ital. guancia (wankja pour
wanka ?) ; schiacciare (klackjan) ; sguancio (swank). Ital.
loggia, franç. loge (laubja) ; franç. drageon (goth. draibjan).
Ital. greppia, franç. crèche (krippea, c'est-à-dire kripja, cf.
appio, ache de apium) ; ital. graffio, esp. garfio (krapfjo,
pour lequel on trouve seulement krapfo). Esp. ataviar (goth.
ga-têvjan ou taujan).

H. — Le roman n'ayant pas admis l'aspirée latine, on ne
peut a priori admettre qu'il ait accordé à l'aspirée allemande une
influence considérable. Cette présomption est en général confirmée,
mais dans la reproduction des mots allemands il ne pouvait
repousser complètement un son qu'à la vérité il avait déjà
abandonné, mais qui maintenant s'offrait de nouveau et énergiquement
à son oreille. Tous les dialectes romans ne pouvaient,
il est vrai, l'employer dans sa vraie forme ; la plupart ont
même cherché (quand ils ne l'ont pas laissé périr) à le remplacer
par une autre gutturale, procédé qui rappelle en quelque mesure
celui du latin dans galbanum = grec χαλβάνη, orca = ὕρχη.
H est inconnue en italien, mais on trouve à l'initiale g ou c dans
garbo dialectal (herb), gufo (hûvo), médial dans agazzare
(anhetzen), aggecchire (prov. gequir), bagordare (v.franç.
behorder), smacco (smâhi), taccola (tâha), tecchire (v.franç.
tehir), taccagno (zâhi). En espagnol, h s'efface également,
bien qu'on l'écrive d'après l'exemple du français : hacha, halar,
heraldo. Mais dans le vieil espagnol l'aspirée allemande a
été parfois représentée par f (comme le h ou le ch arabe),
297renversement du procédé en vertu duquel f se résout en une
aspirée. C'est que derrière cet f on ne trouve pas une h allemande,
mais bien une h française, car les cas se limitent exclusivement
à des mots d'origine française : faca (haque), faraute
(héraut), fardido (hardi), fonta (honte), portug. fâcha
(hache), farpa (harpe), méd. esp. bofordar (bohorder). On
trouve la douce ou la forte dans tacaño, portug. trigar (goth.
threihan), de même prov. bagordar, degun (dihein), gequir
(jehan). Le français a gardé l'aspiration, conséquence de
l'influence dominante qu'exerça sur cet idiome la langue allemande.
A l'initiale, on trouve cette h sans aucune exception (voy.
pour les exemples mon Dict. étym.) ; à la médiale seulement dans
les vieux mots behorder (de hürde), gehir (jehan), tehir (dîhan) ;
la douce ou la forte dans : agacer (ital. agazzare), taquin 1157.

HL, HN, HR initiaux, par exemple, dans hlaupan, hneivan,
hrains, v.h.allem. hloufan, hnîgan, hreini. Que devinrent
ces combinaisons dans les langues romanes ? Puisqu'à cette
place l'aspirée commençait déjà à s'évanouir dans l'ancien-haut-allemand,
on peut aisément prévoir quel sort l'attendait dans un
domaine linguistique qui répugne à l'aspiration. Le roman lui
fait subir les traitements suivants : tantôt, et c'est le cas le plus
habituel, il la supprime sans compensation ; tantôt il la transforme
en l'aspirée labiale f ; tantôt enfin, il sépare le groupe
par l'insertion d'une voyelle, et dans ce cas h disparaît, sauf
dans le domaine français où elle reste debout : la voyelle d'insertion
est ici l'a qui est parente de h, et qui s'amincit aussi en e.
Nous ne pouvons mieux faire cette fois que de citer comme
exemples les formes françaises qui sont les plus fidèles. 1) HL :
v.h.allem. hlancha, franç. flanc, ital. fianco etc. (voy. toutefois
une objection à cette étymologie dans mon Dict.) ; goth.
hlauts, v.h.allem. hlôz, franç. lot, ital. lotto, esp. lote ; v.h.
allem. Hludowîc, franç. Louis, d'où l'ital. Luigi, esp. Luis ;
Hludovicia, franç. Héloïse, à ce que suppose Jault. Le goth.
hlaupan aussi a trouvé accès en roman, toutefois galoppare
se rapporte vraisemblablement au composé ga-hlaupan 2158.
2982) HN : v.h.allem. hnapf, v.franç. hanap henap, et avec
expulsion de h prov. enap, ital. anappo nappo. Grandgagnage
cite une dérivation analogue : le wallon hanète (cervix) du v.h.
all. hnack. Dans le franç. nique de hnicchan, h s'est évanouie.
3) On trouve pour HR plus de cas où l'aspiration est
exprimée : v.h.allem. hring, franç. harangue, ital. seulement
encore aringa, esp. arenga ; ags. hriopan, v.franç. herupé
LJRs
. 345, NFC. I, 17, étranger aux autres langues : v.nor.
hros, norm. harousse. Dans les autres cas, h s'évanouit devant
r : par exemple b.lat. ad-hramire ad-chramire, pr. v.franç.
a-ramir ; v.nor. hreinsa, franç. rincer. Si le v.h.allem.
hreinno répond à l'ital. guaragno, c'est que gu ne renvoie point
à h mais à w, dans la forme plus ancienne warannio de la Loi
Salique (c'est-à-dire wrainjo). L'anglais wrack a subi le même
traitement, c'est-à-dire l'insertion d'une voyelle, dans le franç.
varech. Mais il faut encore mentionner ici une autre particularité.
Dans les mots empruntés au norois (c'est-à-dire postérieurement
introduits dans la langue), le groupe hr est souvent
rendu par fr, ce qu'on ne pourrait pas démontrer pour le haut-allemand
hr, à moins d'alléguer le b.lat. adframire pour
ahramire qui n'a point légué au français de forme aframir.
Les exemples sont les suivants : frapper (v.nor. hrappa ?),
freux (hrôk-r, cf. queux de cocus), frimas (hrîm), friper
(hripa).

HT, groupe médial et final, se change en t, parfois en it et en provençal
aussi bien en ch : il correspond donc tout à fait au latin ct.
Mais on trouve dans les anciennes chartes depuis le VIe siècle bert
pour berht, beraht, qui prouve déjà une syncope allemande, comme
dans Bertoaldus et autres du même genre. Exemples romans :
ital. otta (uohta), schiatta (slahta), schietto (sleht), guatare
guaitare
(wahten), Bertoldo, Matilde (Mahthilt), et plusieurs
noms propres, ici comme dans les autres dialectes ; de même en
esp. aguaitar, et à côté gaita ; prov. esclata, esclet, gaita
gacha
 ; franç. fret (v.h.allem. frêth), guetter, mazette (mazicht).

P. — 1. A l'initiale, la labiale forte (v.h.allem. p, ph, pf),
sauf dans les mots étrangers, est peu employée par les langues
germaniques : sa présence à cette place ne peut donc être que
rare dans les langues romanes : prov. pauta, v.franç. poe
(pfote) ; ital. pizzicare, esp. pizcar, franç. pincer (pfetzen) ;
franç. plaque (néerl. plak) ; poche (ags. pocca) ; potasse
(pott-asche), mot récent ; esp. polea, franç. poulier (angl.
299pull). Le p médial et final reste d'ordinaire intact. Ex. : ital.
chiappare (klappen), lappare (lappen), rappa (dial. rappe),
arrappare (b.allem. rappen), stampare (stampfen), trampolo
(ge-trampel), zeppa (m.h.allem. zepfe). Esp. arapar,
estampar, lapo (lappa), trepar (trap, treppe). Prov. guerpir
(goth. vaírpan), lepar, arapar, topin (topf), trampol.
Franç. clamp (v.nor. klampi), guerpir arch., guiper arch.
(goth. veipan), laper, lippe, nippe (néerl. nijpen verbe),
échoppe (schoppen schuppen), étamper, escraper arch.
(schrapen).

2. Le f haut-allemand a laissé en roman des traces nombreuses
qui sont particulièrement visibles en italien, comme on pouvait
s'y attendre : caleffare (kläffen), ciuffo (schopf), ag-graffare
(krapfo krafo), ag-gueffare (wifan), ar-raffare
(raffen), lomb. ramfo, crampe, spasme (m.h.allem. ramf),
ar-riffare (bav. riffen), ar-ruffare (raufen), scaffale (m.h.
allem. schafe), scaraffare (schrapfen), schifo (skif), staffa
(stapf), tanfo (dampf), tuffare (taufen), zuffa (ge-zupfe)
et autres mots analogues. Il y en a moins d'exemples en esp. :
a-garrafar (ital. aggraffare), mofar (mupfen), rifar, arrufarse,
esquife. Franç. afre (eivar eipar), a-grafe, griffer
(grîfan), rafler, riffer arch., esquif, tiffer arch. (néerl. tippen ;
h.allem. zipfen ?), touffe (ital. zuffa) 1159.

B. — 1. La douce gothique, que le haut-allemand, dialecte
plus dur, a élevée à la forte, et que les langues septentrionales
ont le plus souvent remplacée par l'aspirée au milieu et à la fin
des mots, reste habituellement intacte dans les emprunts faits
par les langues romanes : toutefois le b gothique s'adoucit
aussi en v au milieu des mots, comme le b latin : ital. addobbare
(ags. dubban), forbire (vurban), rubare, innaverare
(nabagêr), Everardo (Eberhard) ; franç. adouber arch.,
fourbir, lobe (lob), dé-rober, écrevisse (krebiz), étuve
(stuba, nor. stofa), graver (graban), havresac (allem.mod.
habersack).

2. Comme dans l'ancien-haut-allemand, on trouve dans plusieurs
mots romans la forte pour la douce à l'initiale. Les Francs
en étant restés à la douce gothique b, le français n'offre aucun
300exemple de la forte ; les Longobards au contraire favorisant lep,
l'italien nous présente, la plupart du temps, le changement de la
douce en forte : palla à côté de balla (id. en v.h.allem.), palco
balco
(même forme en v.h.allem.), pazziare (barzjan), pécchero
(pehhar), poltrone boldrone (polstar bolstar). Il faut
rapporter ici les exemples valaques tels que pat lectus (v.h.all.
petti), pęhar, pildę (piladi), plef (blech) qui ne sont point, il
est vrai, tout à fait sûrs.

F se comporte en espagnol comme l'f latin, et comme lui
se résout en une aspiration qui n'est plus perceptible aujourd'hui :
init. halda (falta), hato (faza), Hernando à côté de Fernando
(Fridnand) 1160 ; médial moho à côté de mofo (muffen), cf. aussi
cadahalso (ital. catafalco). F final dans le groupe LF tombe
habituellement en français : ainsi dans garol garou (werwolf),
Arnoul (Arnolf), Marcou (Markolf), Raoul (Radulphus),
Rou (v.nor. Hrôlfr), Thiou (Theodulphus) Voc. hag.

V, W. — 1. Le signe gothique était un v simple (gr. υ), le
signe de l'ancien-haut-allemand un v ou un u redoublés, et sa
valeur était celle du w anglais : wa, par exemple, se prononçait
ou peut-être uwá avec une labiale fondante. L'organe vocal
des Romans n'était guère propre à rendre cette prononciation,
quoique les langues romanes possèdent, même à l'initiale, quelques
exemples des combinaisons , , , (franç. ouate,
esp. huebra, franç. huître, ital. uomo). Les Romans auraient
pu introduire là leur v comme ils l'ont fait aussi dans certains
cas ; mais l'instinct qui les poussait à altérer le moins possible le
son étranger les amena à trouver une autre représentation qui
parût en conserver plus fidèlement l'essence. C'est la combinaison
gu (avec un u sonore et parfois avec un u devenu muet),
dans laquelle la gutturale condense et incorpore, pour ainsi dire,
l'aspiration flottante du w allemand. Toutefois, cette transformation
ne fut régulièrement appliquée qu'à l'initiale, place où
l'articulation étrangère ressortait avec le plus d'énergie. Au
VIIIe siècle, cette transcription est usuelle dans les chartes des
pays romans ; on lit à toutes les pages Gualtarius, Gualbertus,
Guichingo, Guido. On rencontre également ce gu pour w
dans l'ancienne langue allemande. Paul Diacre (I, 9) rapporte
301que les Lombards auraient prononcé Gwodan le mot Wodan ; on
trouve aussi dans leurs chartes guald pour wald, peut-être par
une influence romane, ce qui est admissible puisqu'ils vivaient
au milieu des Romans (voy. Grimm, Gesch. d. d. Sprache 692,
cf. 295). On a remarqué aussi cette représentation du w dans
d'anciens monuments d'un autre dialecte situé sur les frontières
romanes, le dialecte du Bas-Rhin (v. Grimm, Altd. Gespräche,
p. 16-17) 1161. La chronique d'Isidore a Gulfilas pour Vulfilas. Mais
la présence d'un gu dans des cas différents, et spécialement pour
remplacer un ua, ue, ui non allemand, suffit pour prouver que
cette manière d'exprimer le w s'appuie sur une disposition
romane : pour huanaco, man-ual, men-uar, av-uelo l'espagnol
prononce en préposant un g guanaco, man-gual, menguar,
a-güelo, de même pour huebra qui est dans les dialectes
guebra, et autres semblables. Le provençal fait de dol-uissem
dol-gues
, de ten-uissem ten-gues, le napolitain exprime le
fr. oui par gui 2162. Il est vrai que gu, correspondant au v latin,
est également indigène dans le domaine celtique : v.kymr. guin
= vinum ; kymr.mod. gw auquel l'anglais w lui-même a dû se
soumettre : warrant gwarant, wicket gwiced. L'analogie est
frappante, mais les langues romanes n'appliquent point (ou très-rarement)
leur procédé au v simple comme fait le kymrique.
Il y a beaucoup d'exemples avec gu : ainsi en ital. Gualando
(Wielant), guarire (warjan), guerra (werra), Guido
(Wito), guisa (wîsa) ; avec chute de l'i ghindare (winden),
ghirlanda (wiara), l'un et l'autre venus sans doute du français,
mais aussi gora (wuor) ; avec chute de l'i Guglielmo (Wilhelm).
De même en esp. dans guarir, guerra, guisa, avec u muet
dans les groupes gue et gui. Fr. garnir (warnen), guerre etc.,
toujours avec u muet. L'ital. esp. portug. tregua, tregoa (triwa)
constitue l'unique exemple du changement de w en gu au milieu
du mot. Remarquons encore dans les langues du nord-ouest
quelques traits dialectaux. C'est ainsi que ģ s'est substitué à gu
dans le prov. gila pour guila (ags. vîle), gimpla pour guimpla
(wimpel), et de même dans le v.franç. gerpir pour guerpir
(werfen), gile pour guile, franç.mod. givre pour guivre
(wipera), dans le Berry gêpe pour guêpe. C'est le produit de
302la confusion du g secondaire (né de w) avec le g primaire ; de
même qu'on prononça Guérard et Gérard, on prononça aussi
guile et gile. En outre, plusieurs dialectes conservent le w
originaire : par exemple le picard, où wa, we, wi, wo sont
prononcés comme le franç. oua, oué, oui, ouo, ainsi dans
warde (garde), waide (guède), wère (guères) ; il en est de
même en wallon. Mais cette permutation n'est pas étrangère
aux dialectes anciens de la Normandie et de la Bourgogne. Il faut
citer comme exemples d'une haute antiquité les formes wanz
(franç. gants) dans le Glossaire de Cassel, wardevet (gardait)
dans le Fragment de Valenciennes.

2. Les dialectes de la Haute-Italie emploient le v simple, mais
seulement dans des cas isolés, par exemple : piém. vaire, vaitè
pour guari, guatare ; comasque et mil. vaidà, vardà, vindel ;
vénit. vadagno, vardare. C'est ce qui a généralement lieu en
Lorraine, où l'on prononce vépe, veyen, vrantir pour guêpe,
re-gain, garantir. D'anciens manuscrits français mettent aussi
v pour w : ce n'est souvent qu'une négligence des copistes. Mais
la langue écrite échange par euphonie gu initial avec v dans
vacarme, vague, voguer, pour empêcher deux syllabes successives
de commencer par une gutturale. Dans les mots d'origine
récente, v était seul applicable. Mais au milieu des mots, toutes
les langues romanes rendent w par v ; g à cette place eût été
trop dur. Ainsi dans le vénit. biavo, v.esp. blavo, prov. fémin.
blava, masc. blau, franç. bleu (v.h.allem. blâw-) ; ital. falbo
pour falvo, franç. fauve (falw-) ; ital. garbare, esp. garbar
(garawan) ; vén. garbo (harw-, allem.mod. herbe) ;, franç.
have (ags. hasva) ; esp. iva, franç. if (îwa) ; ital. salávo
(salaw-) ; ital. sparviere etc. (sparwari) ; franç. trêve ; franç.
a-vachir (er-weichen) 1163.

3. La résolution du w en ou ou en o, dont on a des exemples
de toute antiquité (grec Οὐανδάλος pour Wandalus, de même
que Οὐοπίσκος pour Vopiscus) a laissé quelques traces en français.
303A l'initiale dans ouest et dans le v.franç. ouaiter (pour
gaiter guetter) ; méd. dans les noms propres, comme Baudouin
(Baltwin), Goudoin (Gotwin), Hardouin (Hartwin), Grimoart
(Grimwart), v.franç. Noroec (Norvegr) ; w est autrement
traité dans Bertould (Bertwalt), Regnault (Reginwalt).
Dans les autres langues aussi, la résolution du w se limite presque
aux noms propres : ital. mondualdo (mundualdus,
muntwalt), Adaloaldo (Adalwalt), Baldovino pour Baldoino,
Grimoaldo, Ardoino, Lodovico, sans o Grimaldo,
Bertaldo à côté de Bertoldo, Rinaldo ; esp. Noruega, Baldovinos,
Arnaldos, Reynaldos ; mais ici Wallia (angl.
Wales) sonne Ubalia, de même que l'on trouve dans des chartes
wisigothiques des formes telles que Ubadila, Ubaldefredus.
En roumanche, la résolution paraît être régulière et tout-à-fait
indigène : à côté de guault, guerra, guisa, guont on prononce
aussi uault, uerra, uisa, uonn, mais g peut avoir disparu,
fait que mettent en lumière les mots latins tels que ual à côté de
agual (aquale), uila à côté de guila (franç. aiguille).

SW est diversement traité. Dans les noms de pays, ital.
Svevia, Svezia, Svizzeri, esp. Suabia, Suezia, Suiza, franç.
Souabe, Suède, Suisse il est rendu à peu près uniformément.
Il n'en est pas de même dans d'autres : u = w persiste par ex.
dans l'esp. Suero et Suarez (goth. svêrs, v.h.allem. suâri,
allem.mod. schwer, voy. ci-dessus p. 284) ; de même dans le
franç. suinter (suizan), marsouin (meri-suîn) ; w disparaît
comme dans le néerl. zuster, angl. sister (goth. svistar), dans
le prov. Ermessen (v.h.allem. Irminsuind), Brunessen
(Brunjasuind ?), aussi Arsen Chx. V, 116 (dans des chartes
Arsinde), Garcen (Garsindis Gersindis Garcendis et autres
mots analogues.

Lettres arabes.

La représentation des lettres arabes en roman présente bien
des analogies avec celle des lettres allemandes, seulement on ne
peut méconnaître que le roman s'est approprié plus fidèlement
encore l'élément arabe, et que, par suite, il se l'est plus imparfaitement
assimilé, que l'élément allemand ; ce qui, d'ailleurs, s'explique
facilement par la longue persistance de cette langue dans
la péninsule ibérique. Dans les remarques qui vont suivre, nous
nous bornerons à donner (autant que cela est permis à quelqu'un
304qui est étranger en ce domaine) les changements les plus importants
des sons arabes en roman. Le petit nombre de mots persans
que les Romans ont admis leur est presqu'entièrement arrivé
par l'intermédiaire de l'arabe.

L, M, N, R. — Nous retrouvons ici des faits connus. R, par
exemple, devient l dans l'esp. alquile (alkera), añafil (annafîr)
(où nn se mouille également en ñ), ainsi que dans xaloque,
ital. scilocco (schoruq) ; il devient d dans l'esp. alarido
(alarîr, mais voy. aussi mon Dict. étym. II b.). N initiale
devient m dans l'esp. franç. marfil (nabfil). On trouve l'intercalation
du b au milieu du groupe mr dans l'esp. Alhambra
(Alhamra), zambra (zamr).

T, D. — La représentation des différents sons dentaux est uniforme :
t (ت), (ث) et ˁt (ط) sont rendus par t de même que
d (د), (ذ), ˁd (ض) sont rendus par d ; les Romans n'avaient
point l'oreille assez délicate pour saisir ces nuances, ou ils ne
possédaient aucun moyen d'en marquer la différence. Exemples :
ital. esp. tamarindo, franç. tamarin (tamar hendî), esp.
arrate, portug. arratel (ratl), portug. fata (ˁhatta), esp.
retama (ratam) ; tabique (ˁtabîq), ital. talismano, esp. talisman
(ˁtelsam), ital. esp. tara, franç. tare (ˁtarah), ital. cotone,
franç. coton (qoˁton), ital. matracca, esp. matraca (maˁtraqah) ;
esp. dala, franc, dalle (dalâlah) ; esp. alarde (alˁarˁd) etc.,
adarve (addarb), almud (almod). A la médiale, l'espagnol offre
cependant quelques exemples d'une prononciation plus douce :
algodon ( = ital. cotone), almadraque (almaˁtraˁh, prov.
almatrac), maravedi (marâbeˁtin, prov. marabotin).

S, SCH, Z. — Pour s (س) les diverses sifflantes sont assez
indifféremment employées : cf. ital. esp. sena, franç. séné
(sanâ), ital. zecca, esp. zeca (sekkah), ital. sommaco, esp.
zumaque (sommâq), ital. zucchero, esp. azúcar (sokkar),
esp. arancel (arasel), portug. macío (masîˁh), esp. azafate
(assafaˁte), azote (assauˁt), azucena (assûsan), it. tazza, esp.
taza, franc, tasse (ˁtassah). Pour ç (ص), z est au contraire
la représentation habituelle, p. ex. : ital. esp. fr. zéro (çiˁhron),
esp. zurron (çorrah), alcázar, ital. cassero (qaçr), esp.
azófar (aççofr), alcance (alqanaç). Sch (ش) est ordinairement
exprimé en esp. et en portug. par x, en ital. par sci : ital.
scirocco, esp. xaloque, portug. xaroco, franç. siroc (schoruq),
esp. xaqueca (schaqîqah), xarifo (scharîf), ital. sciroppo,
esp. xarope, franç. sirope (scharâb), esp. oxalá
(enschá allah). Voyez sur ce point le J espagnol dans la
305section II. On trouve aussi ch comme dans l'esp. achaque, port.
achaque (aschaki), portug. Alcochete nom de lieu (Alqaschete) ;
et même les sifflantes pures c ou s : esp. albricia
(albaschârah), portug. Alcobaça nom de lieu (Alkobascha),
ital. sorbetto, esp. sorbete (schorb). La palatale douce ģ (ج)
a été exprimée en ital. par ģ, en Port. et en esp. par j ; voyez
également sur ce point le chapitre du J espagnol. Exemples :
esp. jaez, portug. jaez (ģahaz), ital. giara, esp. jarra, franç.
jarre (ģarrah), ital. algebra etc. (alģebr), esp. alforja,
portug. alforge (alchorģ). Esp. ch dans elche (elģ). Z (ز),
sauf de rares exceptions, est également exprimé en roman par z :
ital. zafferano, esp. azafran, franç. safran (zâfarân), esp.
zaranda (zarandah), zarco (zaraq), ital. zibibbo (zibîb),
esp. azoque (azzaibaq), ital. carmesino, esp. carmesí, franç.
cramoisi (qermazî). On trouve même un exemple de la permutation
rare du z en ģ : ital. giraffa etc. (zarrâfah).

K, G. — Entre k (ک) et q (ﻕ), le roman ne fait, comme on
le pense bien, aucune différence : il les exprime l'un et l'autre
par le c guttural. Ce qu'il y a de plus important, c'est que k, q
et g devant les voyelles douces restent toujours gutturaux :
ital. meschino etc. (meskîn), esp. Guadalquivir (Vadalkebir),
portug. Quelfes nom de lieu (Kelfes), Saquiat id.
(Saqial), regueifa (regeifa). La gutturale douce ain (ع),
que l'on compare au piémontais ñ, paraît à peine avoir laissé
quelque trace : on prononce, par exemple, esp. alarde (alˁarˁd
ou alnarˁd), arroba (arrobˁa). Ou bien ce son serait-il contenu
dans l'y de atalaya (ˁtalˁaah) ? — On voit par l'ital. gesmino,
esp. jasmin (jâsamûn) quel est le traitement du j.

CH, H. — On attribue d'ordinaire au ch (ﺥ) la valeur de
l'esp. j. L'espagnol aurait donc pu aisément s'approprier la
lettre arabe ; cependant il ne remplace jamais le ch arabe par
j, mais le rend principalement par le son labial f, qui s'est
changé ensuite en h comme l'f latin, et environ à la même
époque. La prononciation du ch arabe et du j espagnol n'était
donc point la même. En fait, cette contradiction s'explique
complètement par la remarque récemment faite que l'aspirée
gutturale espagnole avait à l'origine la valeur d'une palatale, et
par suite ne pouvait convenablement exprimer la gutturale
arabe. De même le portugais exprime le ch arabe par f, mais
ici cette lettre n'a point cédé sa place à l'h. Ex. : port. albafor
(albachûr), alface (alchaseh), esp. alfange (alchanģar),
portug. almofada, esp. almohada (almechaddah), v.esp.
306rafez, plus tard rahez (rachîç), portug. safra (çachrah),
portug. tabefe (ˁtabiche). L'ˁh (ﺡ), qui vaut un ch doux, est
assujettie au même traitement, de même que h ( ﻩ), et ici il faut
rappeler l'f venu de l'h française aspirée : Port. fata (ˁhatta),
portug. forro, esp. horro (ˁhorr), portug. Albufeira nom de
lieu (Alboˁheirah), esp. alholba (alˁholbah), portug. almofaça,
esp. almohaza (almeˁhassah), v.esp. almofalla (almaˁhallah),
portug. bafari, esp. bahari (baˁhri), portug. sáfaro,
esp. zahareño (çaˁhrâ) ; esp. aljófar (alģaûhar), portug.
refem, esp. rehen (rehân) et beaucoup d'autres. Le nom du
prophète sonne en v.esp. Mafomat, plus tard Mahóma, v.port.
Mafamede, ital. Maometto, v.franç. Mahom, mais prov.
Bafomet, dont le f a été emprunté à l'espagnol, et dont
le b est peut-être le produit d'une interprétation populaire
railleuse, qui a confondu ce nom avec bafa (grossier mensonge).
Mais on trouve dans café (qahuah) un f commun
à toutes les langues romanes. D'ailleurs l'aspirée arabe se
laisse parfois aussi supplanter par la forte ou par la douce :
ainsi dans l'esp. alcachofa (alcharschufa), ital. carrobo,
franç. caroube, esp. garrobo (charrûb), esp. fasquia (fasˁchia),
ital. magazzino, esp. magacen, franç. magasin (machsan).
Elle s'évanouit dans l'esp. alazan (alˁhaçan), ital.
assassino etc. (ˁhaschisch), zero (çiˁhron), portug. ata pour
fata.

B. F. V. — Sur le b arabe, il n'y a rien à remarquer si ce
n'est qu'il passe à la forte dans plusieurs mots : esp. Julepe,
franç. julep (ģolab), ital. giuppa, franç. jupe (ģubbah), ital.
siroppo etc. (scharâb). — Pour f, le seul point qui mérite
d'être relevé, c'est qu'il se maintient en espagnol aussi bien
qu'ailleurs, c'est-à-dire qu'il n'est pas affaibli en h : cf. faluca
(folk), farda (farˁd), faro (fârah), fustan (fostat), alferez
(alfâres), añafil, azafate, azafran, azufaifa (azzofaizaf),
cafre (kâfir), calafatear (qalafa), canfora (kâfûr), cenefa
(sanifah), cifra (çifr), garrafa, girafa, marfil, xarifo ;
alhóndiga (alfondoq) est une exception isolée. La raison
est facile à découvrir. Quand l'affaiblissement d'f en h se produisit,
l'arabe florissait encore en Espagne (voy. ci-dessous aux
Lettres espagnoles), et la prononciation vivante empêcha
l'altération ; quand la langue arabe eut disparu, la tendance
qui poussait à échanger f avec h avait depuis longtemps perdu
sa force, en sorte que la labiale resta intacte. Il n'y a pas de
contradiction dans le passage à l'h de l'f espagnol né de la
307gutturale aspirée arabe, puisque ce n'était pas un son arabe. —
La semi-voyelle v, comme le w allemand, est rendue régulièrement
par gu, mais aussi par v à l'initiale : esp. alguacil alvacil
(vazîr), Guadiana (Vadiana, c'est-à-dire fleuve Ana), Guadalaviar
(Vadelabiar), Guadelupe (Vadelûb), ital. mugavero.esp.
almogavare (almogâver). Dans un ancien manuscrit
espagnol écrit en lettres arabes (voy. de Sacy, dans la Bibliothek
für bibl. Litt.
de Eichhorn VIII, 1), le groupe espagnol gu est
à l'inverse rendu par v (agua par ava).308

Section II.
Lettres romanes.

On se propose dans cette section d'étudier, dans chacune des
langues romanes, la prononciation, l'histoire (autant qu'il est
nécessaire) et la condition étymologique de chaque lettre (au
moins dans ses traits importants). Pour les voyelles, ici encore,
il s'agit principalement des toniques, mais les atones appelleront
souvent aussi notre attention. L'occasion s'offrira souvent de
faire entrer en ligne de compte les patois à côté des langues
écrites, quand ils contribueront à donner au sujet de l'intérêt ou
de la clarté.

Nous conservons en gros l'ordre des consonnes adopté dans la
première section. Quant à la classification qui voudrait distinguer
sévèrement les spirantes, les aspirées ou les palatales de chaque
organe, elle n'aurait que l'apparence d'une méthode scientifique,
et ne serait que d'une bien faible valeur pratique, puisque
nous n'avons devant nous que des idiomes modernes, dont l'organisme
troublé n'a pu revenir à une complète harmonie. Dans la
partie espagnole, par exemple, on placerait sous la rubrique des
palatales le son unique ch qui correspond exactement, pour le
son, au ć italien, mais qui n'a avec lui aucun rapport étymologique.
Cette classification ne donnerait donc lieu qu'à des
malentendus. Il est d'ailleurs dangereux de séparer le son du
signe qui lui appartient par tradition, le c palatal, par exemple,
du c guttural. Il suffira donc de fixer exactement, dans les
remarques préliminaires à l'étude des consonnes de chaque
langue, le rapport de ces sons aux sons latins, et particulièrement
de noter les développements nouveaux.309

Lettres italiennes.

En Italie, une langue nationale s'était formée de bonne heure
sous l'action de grands écrivains, et en même temps les traits
fondamentaux de l'orthographe s'étaient suffisamment fixés pour
ne recevoir plus tard aucune modification importante. Cette
sûreté et cette constance de l'orthographe italienne, jointes à la
clarté et à la transparence de la langue, facilitent singulièrement
l'étude des lettres italiennes. Sans doute quelques lettres admettent
différentes prononciations, mais les causes de cette différence
sont alors si prochaines qu'il n'est pas besoin de recherches
pénibles pour les établir.

Voyelles simples.

Ce sont a, e, i, o, u ; y est remplacé par i. Il n'y a de
remarques importantes à faire que sur deux d'entre elles, e et o.

A

a un son clair et pur, qu'il possède d'ailleurs également dans les
autres langues romanes. Il provient partout d'un a originaire ;
d'un o seulement dans saldo (solidus) et dama (domina, franç.
dame) ; de i ou de e dans sanza arch., sargia (serica),
cornacchia (cornicula), volpacchio (vulpecula) ; de au par
exemple dans Pesaro (Pisaurum), de l'ai (ei) allemand dans
plusieurs mots comme zana (zeina). — A a été maintes fois
préposé, et peut-être ce procédé a-t-il été suggéré à la langue par
des formes doubles, comme arena et rena, alena et lena,
provenant de la chute d'un a étymologique : alloro (laurus),
ammanto (mantelum), anari (nares), aneghittoso (neglectus),
avoltojo (vulturius), à côté de lauro, manto, nari,
neghittoso.

E

a une valeur double : 1) E ouvert, e aperta, larga, ainsi nommé
parce qu'il faut ouvrir largement la bouche pour le faire entendre,
comme dans l'allemand wegen, leben. — 2) E fermé, e chiusa,
stretta, qui se prononce en ouvrant moins la bouche, comme notre
legen, heben. Cette distinction ne concerne que les voyelles accentuées,
car les e atones sont toujours des e fermés. Depuis longtemps
les grammairiens italiens se sont efforcés de trouver des
310règles précises pour distinguer l'e ouvert de l'e fermé : on
sentit même le besoin de venir en aide à l'insuffisance de l'alphabet
en créant, pour exprimer cette distinction, une lettre
nouvelle. Le célèbre poète et grammairien Trissino proposa
d'employer l'ε grec pour exprimer l'e ouvert, correspondant
à l'ω grec, par lequel il voulait rendre l'o ouvert ; mais cette
proposition fut repoussée par Firenzuola et par d'autres qui
regardaient, à bon droit, comme une chose inadmissible l'introduction
de lettres grecques dans l'alphabet latin. D'ailleurs cette
distinction des deux e n'a jamais paru assez essentielle pour
qu'on l'étendît à la rime, comme dans le moyen-haut-allemand :
on n'est même pas d'accord sur tous les cas. C'est l'étymologie
qui fournit la meilleure base pour la distinction. Nous distinguerons
ces deux séries d'e, comme en français, à l'aide de l'accent
grave et de l'accent aigu.

1. L'e ouvert provient : 1) d'un e latin bref : dèa, bène, brève,
cerèbro, crèma (crĕmor), desidèrio, fèbbre, gèmito, gèlo,
génere, grègge, impèrio, lèpre, lèvo, mèdico, mèglio,
mèle, mèrla, mèro, mèzzo (mĕdius), prèmere, ripètere,
tènero, spècchio, vècchio. Il y a ici quelques exceptions ;
telles sont par exemple éllera (hĕdera), grémbo (grĕmium),
ingégno, mérito, nébbia. — 2) De e en position, comme dans
ècco, bèllo, pèlle, fèrro, tèrra, cèssa, prèsso, tèmpo, cènto,
dènte, gènte, sèrvo, bèstia, lètto, dilètto, aspètto ; et en
outre dans les suffixes ello et enza : anèllo, asinèllo, castèllo,
cervèllo, coltèllo, fratèllo, sorèlla, ucèllo (parfois éllo, car
le latin présente aussi le suffixe illus : agnéllo, capéllo) ;
assènza, clemènza, semènza. Il y a ici un plus grand nombre
d'exceptions : on prononce, par exemple, sélla, stélla, pénna
(peut-être d'après la forme pinna ?), régno, bélva (bellua),
témpio, témpra, préndere, véndere, ménte, ménto (mentum,
mentior), seménte, péntola, ésca, créscere, les suffixes
mente, mento : chiaraménte, reggiménto. On voit que e,
devant une n complexe, tend à prendre la prononciation obscure.
3) De æ : Enèa, Ebrèo, Galilèo (et aussi dans Maffèi
et dans d'autres noms propres terminés de même, ainsi que dans
Pelèo, Tesèo et autres semblables), en outre dans Cèsare, cèsio,
cèspite, chèrere, ègro, èmulo, grèco, lèi, colèi, costèi,
nèvo, prèda, prèdica, prèsto, prèvio, sècolo, spèra, tèdio.
La diphthongue ie, née d'un a avec attraction d'un i, a pris
également cette prononciation : rivièra (riparia), ciriègio
(ceraseus), schièra (v.h.allem. scarja).311

2. L'e fermé provient : 1) De i latin bref, exemples : bévere,
cénere, élce (ilex), légo, méno, néro, nétto, néve, pélo,
piégo (plĭco), sécchia (sĭtula), séte, témo, véde, vérde,
vétro. On retrouve aussi cette prononciation dans les suffixes
eccio, eggio verbe (ĭco), ezza (ĭtia) : venderéccio, veneréccio,
lampéggia, rosséggia, certézza, tristézza. Il faut en
excepter, par exemple, cètera (cĭthara), ginèpro (juniperus).
2) De i en position, comme dans sécco, quéllo, cénno (b.lat.
cinnus), sénno (allem. sinn), céppo, gréppia (allem. krippe),
mésso, spésso (et suivant d'autres spèsso), ésso (ipse), égli,
élmo (goth. hilms), émpio, déntro, férmo, schérmo (schirm),
pésce, frésco (frisk), césta, quésto, mézzo (mĭtis), orécchio
(aurĭcula), ainsi que fréddo (frīgidus frigdus). Il en est
de même des suffixes esco, essa, etto, par exemple : pittorésco,
tedésco, duchéssa, principéssa, animalétto, parolétta. Mais
cette règle ne manque pas non plus d'exceptions : vèllo (villus),
fèndere, assènzio (absinthium), mèscere, dèsco, rèsta
(arista) et beaucoup d'autres. — 3) De e long : aléna, aréna,
avéna, céra, chéto (quietus), débole, détta (dēbitum),
fémina, légge (lēgem), méco, mése, péso, rémo, réte, séme,
séra, véla, venéno, véro ; les suffixes ere, ese (ensis, ēsis),
eto : avére, vedére, cortése, palése, francése, genovése,
arboréto, cerréto. Quelques-uns de ces mots ont un e ouvert :
blasfèmo, cèdere, estrèmo, glèba, monastèro, pèggio,
règola, sède, spèro, querèla, tutèla (mais cependant candèla) ;
dans pièno (plenus), fièvole (flebilis), quièto la diphthongue
ie a donné naissance à un e ouvert. — A l'e fermé
italien correspond en Piémont la diphthongue ei : beive (bévere),
peil (pélo), peis (péso), steila (stélla).

D'ordinaire on donne à l'e final une prononciation fermée sans
avoir égard à l'étymologie, ainsi dans é (et), ché, (lat. inde),
, , , , , , tré, , , mercé, poté, vendé ; mais l'e
final est ouvert dans è (est), (nec), ' (meglio), ' (tieni)
et même dans oimè. La prononciation des flexions verbales
ayant pu subir encore d'autres influences que les influences
étymologiques, nous donnons séparément ces syllabes de flexion :
éte, éva, éi, ètti, émmo, éssi, rèi, èndo, ènte, comme dans credéte,
credéva, credévi, credéi, credé (et de même aussi dans
l'e radical du parfait, comme dans ténne, prése etc.), credètti,
credèttero, credémmo, godérono, credéssi, credéssimo,
crederèi, crederèsti, crederèbbe, crederèmmo, credèndo,
dormènte.312

Souvent, et alors presque toujours d'accord avec l'étymologie,
la langue italienne varie la prononciation de la voyelle
pour différencier les homonymes, par exemple : bèi (belli)
et béi (bibis), cèra (franç. chère) et céra (l. cera), dèssi
(débet se) et déssi (dedissem), èsca (exeat) et ésca (esca),
lègge (legit) et légge (legem), lètto (lectus de legere) et létto
(subst. lectus), mèzzo (médius) et mézzo (mitis), pèsca
(persica) et pésca (piscatur), tèma (thema) et téma subst.
(timere), vèna (avena) et véna (vena), vènti (venti) et vénti
(viginti), mèndo (réparation) et méndo (défaut), l'un et l'autre
de mendum.

La double nature de l'e en italien a-t-elle déjà une base dans
la prononciation latine ancienne ? Il est bien dangereux d'émettre
sur ce point même une simple hypothèse. On peut dire seulement
que dans la prononciation de l'e ouvert, au moins lorsque
cet e a remplacé le latin æ, on reconnaît encore cette diphthongue
antique qui doit avoir graduellement dégénéré en ä.
Il est vrai que l'italien a donné à l'ē latin une prononciation
fermée, et si l'on considère que les Latins échangeaient fréquemment
ē avec æ (fēnus fænus, glēba glæba, sēta sæta,
tēda tæda) et que cet échange permet de conclure à l'identité
ou du moins à la parenté tout à fait étroite des deux sons, il
semble qu'il y ait une contradiction dans cette prononciation.
On ne pouvait, il est vrai, maintenir dans leur intégrité les sons
latins après avoir abandonné la prosodie antique : on a suppléé
à la différenciation résultant de la quantité en diversifiant les
sons.

Dans quelques cas, e provient aussi d'autres voyelles, par
exemple de a dans melo (malum), p. 136, de o dans sottecco
(pour sottocchio), de u dans chieppa (clupea).

I

provient : 1) De i long, fréquemment aussi, surtout à l'antépénultième,
de i bref : fine, viso, liquido, vermiglio. —
2) Rarement de e long ou bref, comme dans sarracino, mio. —
3) De l mouillée : fiamma, pieno, fiore, fiume, orecchio,
doppio. Dans ce groupe, les patois transforment i = j en un
son chuintant, voy. p. 195. — Sur le remplacement à la fin des
mots de i par j, voy. à cette dernière lettre.

0.

Cette voyelle partage le sort de l'e ; comme lui, elle est susceptible
313d'une double prononciation, résultant, ici aussi, du plus
ou moins d'ouverture de la bouche. On distingue l'o en : 1) o
ouvert, aperto, largo ; 2) o fermé, chiuso, stretto, qui se rapproche
beaucoup de l'u. Tout o atone est un o fermé. A la
rime, l'italien ne fait, ici non plus, aucune distinction entre ces
deux séries d'o.

1. L'o ouvert a son origine : 1) Dans l'o bref, omme bòve,
cattòlico, chiòma (cŏma), còfano, còllera, còro, dòglia,
fòglio, lemòsina, mòdo, nòve, òdio, òggi, òpera, pòpolo,
ròsa, sòglio (solium), stòmaco ; suffixe olo dans febbricciòla
etc. Il faut en excepter cónte (comitem), dimóro
(demoror, mais ce dernier cas n'est point une vraie exception,
puisqu'ici il y a en même temps déplacement de l'accent). —
2) Dans l'o en position, comme fiòcco, stòcco, fòlle, mòlle,
cògliere, fòssa, gròsso, dònna, pòndo, tòndere, òrbo,
còrda, fòrte, òrto, sòrte, òrzo, dòtto ; suffixe otto : cappòtto,
casòtta, galeòtto. Les exceptions, qui sont loin d'être rares, se
produisent particulièrement devant une n complexe : cólle,
sógno, sónno (et non sògno, sònno), ógni, cómpro, fónte,
frónda, nascóndere, frónte, mónte, pónte, cónto, prónto,
órca, órdine, fórma (mais nòrma), órno, tórno, fórse,
conósco etc. — 3) Dans la diphthongue au, exemples : ò (aut),
chiòstro, còsa, fòce, fròde, giòja (gaudium), lòde, òro,
pòco, pòsa, pòvero, tesòro, tòro, òca (prov. auca), gòta
(gauta), fòla (faula fabula), sòma (sauma), chiòdo chiòvo
(clau clavus), (Padus Pa'us), lòggia (all. laube), sòro
(v.h.all. sauren verbe).

2. L'o fermé provient : 1) de u bref : cóva (cŭbare), cróce,
dóge (dŭcem), giógo, gióvane, góla, gómito, lóva, móglie,
nóce, ómero, pózzo, rógo (rŭbus), rózzo, sópra. Il y a
plusieurs exceptions, comme dòtta (de dŭbitare), fòlaga
(fŭlica), piòggia (plŭvia). — 2) De u ou y en position : bócca,
tócco (v.h.all. zucchan), bólla, pólio, bórra, córro, rósso,
ghiótto, dólce, zólfo, fólgore, cólmo, cólpa, vólpe, mólto,
pólta, pólvere, tómba, lómbo, piómbo, ómbra, rómpo,
trónco, spelónca, ónda, ónde, fóndo, tóndo, giocóndo,
lónza, órcio, sórdo, tórdo, bórgo, giórno, tórno, órso,
tórso (thyrsus), bórsa, lósco, mósca, sótto. Au contraire,
o est ouvert dans : fòlla (de fullo), tròppo (b.lat. truppus),
gòtto, sòffice, cròsta, fiòtto, lòtta, gròtta (crypta), nòzze
et beaucoup d'autres. — 3) De même que e fermé vient de
e long, de même o fermé devrait venir de o long ; c'est le cas,
314en effet, dans les suffixes importants one, ore, ojo (ōrius),
oso, par exemple cagióne, ragióne, rettóre, fióre, onóre,
pensatójo, lavatójo, rasójo, glorióso, et dans beaucoup de
mots isolés, comme coróna, dóno, móstro (monstrare mōstrare),
nóbile, nón, pómo, pónere, Róma, vóce, vóto.
Toutefois, nous avons autant d'exemples dans lesquels la voyelle
prend le son ouvert, même dans le suffixe orio identique avec
ojo, par exemple : bravatòrio, purgatòrio, glòria, vittòria,
de même dans decòro, sonòro, atròce, bòja, Bològna, còte,
dòsso (dorsum dōsum), dòte, mòro, nòdo, nòme, nòno, òra,
òrlo (ōrula *), piòppo (pōpulus), pròno, sòlo, sòle, tròja.
— Le passage de l'o fermé à u est fréquent en ancien italien,
ainsi dans dimura, nascuso, persuna, voy. Blanc p. 51, et
maintenant encore dans les dialectes : sicilien amuri.

A la finale, l'o se prononce ouvert, contrairement à l'e dans la
même position : (modo), , ciò, , , , , stò, ,
(voglio), ' (togli), ' (cogli), (capo), prò (prode) ;
dans la flexion verbale : cantò, canterò.

Ici aussi nous rencontrons de nombreux homonymes que
distingue la prononciation, par exemple : còlto (collectus) et
cólto (cultus), còppa (kopf) et cóppa (cuppa), còrso rue
et córso course (tous les deux de cursus), fòro (fŏrum) et
fóro verbe (fŏro), fòsse (fossæ) et fósse (fuisset), lòto
(lōtus) et lóto (lŭtum), nòce (nŏcet) et nóce (nŭcem), òra
(aura) et óra (hōra), ròcca (franç. roche) et rócca (v.h.allem.
rocco), sòrta (sors) et sórta (surrecta), tòrre (tôllere) et
tórre (turris), vòlto (volutus) et vólto (vultus).

U

correspond : 1) dans la plupart des cas à u long, et aussi à u
bref à l'antépénultième : duro, lume, bruno (v.h.allem. brûn),
cupido, umile, rustico. — 2) rarement à o, soit long soit
bref, comme dans tutto, lungo. — Dans les dialectes de la
Haute-Italie, u a le son de ü, par exemple : cüra, lünna
(luna), büff, büdell, cürt ; beaucoup de ces dialectes, comme
le milanais, par exemple, dans lesquels l'u ne s'est point reformé
par l'altération d'autres voyelles, ont perdu complètement ce son.

Diphthongues.

Il n'est pas plus aisé en italien que dans les autres langues
romanes de déterminer nettement les diphthongues au milieu des
combinaisons de voyelles ; c'est ce qui explique qu'on soit si peu
315d'accord sur leur nombre : Giambullari, par exemple, admet seulement
cinq diphthongues, L. Dolce sept, et Salviati n'en veut pas
moins de quarante-neuf. Il y a bon nombre de grammairiens
qui ne reconnaissent point les combinaisons initiales avec i ou u
comme des diphthongues, parce que ces lettres sont pour eux des
consonnes et non pas des voyelles : bianco est selon eux =
bjanco, guarda = gvarda. Il est vrai que dans ces combinaisons,
l'i, appuyé à une consonne, se rapproche assez du j, l'u du
v, de sorte qu'il ne se produit que des diphthongues imparfaites,
aussi une double consonne peut-elle les suivre comme dans
dienno, fiamma, quello, guerra. Pour ce qui est de i, on
peut l'admettre sans réserves, et ieri s'écrit aussi bien jeri ;
quant à uo provenant de o, il fait entendre une vraie diphthongue :
uomo, buono, luogo n'ont pas le même son que
vomo, bvomo, lvogo. D'autres grammairiens ne voient pas non
plus de diphthongue dans lei, sei (sex), poi, cui, lui, qui proviennent
de diphthongues ou de voyelles simples latines, parce
que, à la fin du vers, les poètes les emploient comme disyllabes.
Beaucoup de combinaisons ne sont comptées comme monosyllabiques
que par synérèse : ai dans rai, amai, ea dans beato, ei
dans direi, tartarei, eo dans idoneo, ia dans viaggio, cristiano,
gloria, ie dans grazie, io dans viola, passione,
nazione, glorioso, premio, uo dans virtuoso, continuo. Il
faut particulièrement se garder de voir dans soave et mansueto
des diphthongues ; chez les poètes, le premier compte toujours
pour trois, le second pour quatre syllabes.

Les grammairiens italiens divisent les diphthongues en étendues
(distesi) et contractées (raccolti) ; dans celles-là la voix
appuie sur la première, dans celles-ci sur la seconde voyelle.
Voici (avec quelques exemples ajoutés entre parenthèses) le
tableau dressé par Buommattei (p. 68, éd. di Ver. 1744), dont
le système ne va trop loin dans aucun sens : ÁE, ÁI, ÁO, ÁU ;
ÉE
, ÉI, ÉO, ÉU ; ÓI, ÚI ; EÀ ; IÁ, , ,  ; , ,
, . Exemples : aere, traere, ai pour alli, maisì (crai,
laido), Paolo, aurora ; veemente (mais deux voyelles semblables
ne font jamais une véritable diphthongue), ei, mei (mieux
lei, sei de sex), Eolo, Europa, feudo (neutro, reuma) ;
oimè (noi, voi, poi, poichè), altrui, colui (lui, cui) ; Borea ;
fiato
, piano, piego (quieto, pieno), piovere, schiuma ; guasto,
guado, quando, quesito, guerra, guisa (qui), tuono (quotidiano).
On peut toutefois en ajouter d'autres encore, comme
Buommattei l'accorde lui-même. — Quelques-unes d'entre ces
combinaisons appellent ici quelques remarques.316

AU,

qui n'est point tout à fait l'au allemand, mais qui se prononce
en appuyant un peu sur u, vient : 1) de la même diphthongue
latine et n'est souvent usité que dans des formes doubles réservées
au style élevé. — 2) de al dans les écrivains anciens (p. 192) et
encore à présent dans les dialectes, comme en sicilien autu (alto),
cauciu (calcio), addauru (alloro) ; napol. baozano (balzano).
Il est curieux qu'une intercalation sépare quelquefois les deux
éléments de cette combinaison : à Rome on dit, par ex., Lávura
pour Laura, Pávolo pour Paolo (Fernow, § 36) ; à Naples,
cávodo pour caodo (caldo), ávotra pour aotra (altra), et
même la langue écrite a dilaté caulis en cávolo, comme naulum
en návolo.

IE.

Cette diphthongue si usitée provient : 1) du latin i-e, par
synérèse, comme dans pietà, medietà, Oriente, paziente, quoziente.
2) Elle est l'expression propre de l'e bref latin : fiero,
piè etc. — 3) Elle répond à l'æ ou a-i : cielo, lieto, primiero
(-arius, -air). Rarement à l'e long. — La seconde voyelle de
cette diphthongue se prononce ouverte, excepté dans pié, où elle
se prononce fermée. — Tous les dialectes n'aiment pas cette
diphthongue, beaucoup préfèrent la voyelle simple ; le napolitain,
au contraire, l'emploie même pour l'e en position, comme l'espagnol,
par ex. dans capiello, castiello, pierde, viento.

UO,

qu'on doit prononcer avec o ouvert, est le produit de la diphthongaison
de l'o bref latin : buono, nuovo ; il provient rarement
de l'u bref. — Les dialectes préfèrent ici la voyelle simple
(o), tandis que le napolitain emploie uo pour l'o en position,
comme l'esp. ue : puorco, puojo (poggio), tuosto. Remarquons
encore que les dialectes de la Haute-Italie remplacent
l'uo et l'o italiens par une syllabe qui rappelle l'eu français :
milan. fœura (fuora), cœur (cuore), scœud (scuotere),
piœuv (piovere), gœubb (gobbo) ; piém. feu (fuoco), pieuve
(piovere).

Quant aux triphthongues, les uns admettent leur existence,
les autres la contestent. Buommattei en voit dans vuoi, miei,
et même dans l'interjection eia. Mais il est peu admissible que
dans les deux premiers exemples la voyelle de flexion i se perde
dans une diphthongue ; quant à eia, il est évidemment disyllabique.
De même mariuolo se divise ainsi : mari-uolo. Sur ce
317point, voyez, avec plus de détails précis, Fernow § 41, Blanc
p. 77.

Consonnes.

L'italien possède toutes les consonnes latines, à l'exception de
l'x ; ch aussi lui est resté, mais comme forte ; rh est représenté
par r, th par t, ph par f : Reno, teologia, filosofia ; gh est
nouveau. Il y a trois sifflantes : , ć et ģ.. Les dialectes seuls
présentent une aspirée dentale et gutturale.

Un trait important du système phonétique de cette langue,
c'est qu'aucune consonne n'est tolérée à la finale : ou bien elle
disparaît (ama de amat), ou bien une voyelle vient s'y ajouter
(aman-o de amant). Sont seules exceptées de cette règle les
liquides l, n, r dans il, con, non, per, qui peuvent aussi affecter
les formes lo, co, no, pe. C'est ainsi que se comportent les mots
en tant qu'individus isolés ; nous verrons à la fin de la syntaxe à
quelles conditions la voyelle finale peut s'élider dans le discours
suivi. Les noms propres classiques sont traités comme des noms
communs. Les noms bibliques conservent quelquefois leur consonne
finale (David Davidde, Judit Giuditta). Les noms
modernes de personnes, quand ils ne sont point connus sous une
forme latinisée (Cartesius, d'où Cartesio, et aussi Eulero,
Keplero, Leibnizio, Wolfio) restent d'habitude intacts (d'Alembert,
Schiller, Smith, Walter Scott). — Nous avons déjà vu
dans l'introduction que les dialectes de la Haute-Italie n'ont pas,
comme la langue écrite, cette aversion pour les consonnes finales.

L'italien aime tout particulièrement la gémination, même en
dehors des cas d'assimilation. D'après les préceptes des anciens
grammairiens romains, elle n'est permise qu'après les voyelles
brèves, parce qu'après les longues on ne peut pas la faire
entendre. Ici aussi, la gémination indique la brièveté de la
voyelle, car fatto a l'a plus bref que fato, et ce fait peut se
présenter tantôt dans des mots simples comme dubbio, tantôt
dans des enclitiques comme dammi, tantôt dans des composés,
comme giammai, dabbene. Nous renvoyons les cas d'enclise
à l'étude de la flexion, et les cas de composition à l'étude
de la formation des mots. Nous nous occupons de la gémination
seulement dans les mots simples, et nous passerons
encore ici sous silence, du moins en général, son rôle dans la
conjugaison, rôle qui est considérable (volle, tenne, vedde,
seppe, ebbe, bevve etc.). L'italien aime surtout à redoubler les
labiales m, p et b, par ex. femmina, appo, fabbro, voy. dans
318la première section. Avec f, ce redoublement est plus rare parce
que cette lettre se présente plus rarement à la médiale : on dit
par exemple Affrica, zeffiro, zafferano. Le redoublement du
v est habituellement bb : conobbi, crebbi. Parmi les autres
lettres, l, t, d, c se redoublent également dans quelques cas :
allegro, collera, scellerato, tutto, cattedra, legittimo,
cattolico, Soddoma, macchina, impiccare (pix), accademico ;
n, r, s jamais. Très-souvent on redouble la consonne
devant i atone suivi d'une voyelle, ce qui donne à i la valeur
de j ; il en résulte que la voyelle de la syllabe qui précède, se
trouvant pour ainsi dire en position, prend une prononciation
plus forte. Ici encore les exemples sont surtout nombreux après
m, p et b : bestemmia, lammia, mummia, scimmia, vendemmia,
appio, sappia, abbia, bibbia, dubbio, labbia,
rabbia, rubbio, scabbia, gabbia (cavea), Gubbio (Iguvium).
Toutefois on dit avec une consonne simple infamia, nimio,
premio, copia, propio, tibia. Quand i est décidément
consonnifié, les consonnes originaires c, g, t (s'il devient z),
d, p, b sont géminées, comme dans ghiaccio, liccio, luccio,
veccia (vicia), faggio, piaggia, pozzo, prezzo, raggio,
inveggia, piccione, approcciare, aggia, deggio, gaggia,
pioggia ; il en est de même de j quand il devient palatale douce,
comme dans maggio, maggiore, peggio, raggia (raja) 1164.
Quelques mots isolés, comme Grecia, crociare, beneficio,
litigio, échappent à cette règle. Il n'y a pas de redoublement
lorsque gi ou ci proviennent de ti ou si comme dans palagio,
pregio, stagione, Ambrogio, fagiuolo, bacio, cacio. Lorsque
i représente l, le redoublement a lieu sans exception, parce
qu'une position décidée (oculus oclus) a précédé : on dit alors
occhio, stregghia, doppio, nebbia. Il en est de même de g
provenant de tc, dc, comme dans selvaggio, giuggiare. Jamais
g ne se redouble dans les combinaisons gl, gn ; j non plus. Dans
319les patois, la gemmation est encore plus active que dans la
langue écrite.

Pour ce qui est des consonnes multiples, on trouve à l'initiale
une muette avec r ou l, c'est-à-dire les combinaisons TR, DR,
CR, GR, PR, BR, CL, GL, PL, BL ; GN et PN s'écrivent
(gnocco, pneuma), mais se prononcent de telle manière que g
exprime seulement le mouillement de n et que p devient muet.
La muette avec s, PS s'écrit bien dans quelques mots, comme
psicologia, mais p ne se prononce pas. On trouve de même une
muette avec une muette dans PT, BD (ptialismo, bdellio),
une liquide avec une liquide dans MN (Mnemosine). On trouve
aussi les groupes FR, FL. Mais la spirante s tolère après elle
toute consonne, simple ou multiple, à l'exception de z et j, et
même r et ģ, de là les combinaisons SL, SM, SN, SR, ST,
SD, SCH, , SGH, , SP, SB, SF, SV, STR, SDR,
SCR, SGR, SPR, SBR, SFR, SCL, SPL, SFL : slitta,
smalto, snodare, sradicare, stella, sdegno, scherro, scimmia,
sgannare, sgelare spallo, sbalzo, sfidare, svellere,
stretto, sdrajare, scredere, sgranare, sprezzare, sbranare,
sfrenare, sclamare, splendore, sflagellare ; SGL, SBL
manquent par hasard. La médiale tolère la combinaison de la
muette avec la liquide, mais seulement dans les cas où l'initiale
la tolère, cependant GL semble ne se présenter que dans les
composés (con-glutinare, bu-glossa). Les combinaisons d'une
muette avec une aspirée, pas plus que celles d'une muette avec
une muette, ne sont italiennes. Il en est autrement de s avec une
consonne, quelle qu'elle soit, comme à l'initiale. FL, FR et la
combinaison VR qui n'est pas latine sont tout aussi usitées (voy, au
V). Une liquide se trouve fréquemment auprès d'une spirante ou
d'une muette, quand les deux lettres sont syllabiquement séparées ;
il n'y a pas besoin d'en donner d'exemples. On trouve même
NF (ninfa) et aussi, dans l'enclise, MV (andiamvi), ainsi que
MT (aspettiam-ti) ; MS, MF, MD, MC (c guttural) manquent.
On rencontre une liquide avec une liquide dans LM, LN, NR
(Enrico, onrato), RL (perla), RM, RN. En enclise ML,
MN, NL, NM se rencontrent aussi : udiam-lo, prendiam-ne,
han-lo, fan-mi. LR et MR tombent.

L. M. N. R.

Elles s'emploient quelquefois l'une pour l'autre. Par exemple,
l naît de n dans Bologna ; de r dans celebro (cerebrum) ; et
aussi de d dans caluco. N naît de l dans filomena ; de m
320initiale dans nespolo, médiale dans conte, ninfa etc.,
finale, par exemple, dans con (cum), amian (pour amiamo).
R vient de l surtout dans les dialectes, par exemple en milan.
pures (ital. pulce), fir (filo), romain urtimo (ultimo), sicil.
curpa (colpa), sarde borta (volta) ; de d dans mirolla
(medulla), napol. rorere (rodere), rurece (dodici). M prend
la place de b dans quelques mots comme gómito.

L est souvent intercalée, puis remplacée par i, surtout après
c ou f, comme dans chioma (coma), inchiostro, fiaccola
(facula), fiavo (favus ?), fiocina (fuscina), rifiutare (refutare),
schiuma (anc.h.allem. scûm). M dans Campidoglio
(Capitolium), imbriaco (ebriacus), lambrusca (labr.),
strambo (strabus), vampo (vapor). N dans Brentino (Bretina),
lontra (lutra), Ofanto (Aufidum), santoreggia (satureja),
Vicenza (originairement Vicetia, mais aussi déjà chez
les anciens Vicentia), randello (allem. rädel), rendere
(redd.), ansimare (asthma), Sansogna (Saxonia), fangotto
(au lieu de fagotto), marangone (mergus), inverno (hibernum).
R dans brettonica, fronda (funda), frustagno (pour
fust.), tronare (tonare), anatra (anatem), balestra (balista),
celestro (cælestis), feltro (angl.sax. filt), geldra (b.lat.
gelda), giostra (juxta), inchiostro, scheletro (σκελετός),
scientre, Spalatro (Spalatum), spranja (allem. spange),
vetrice (vitex). Sur la préposition de l, voy. p. 189 ; on trouve
des exemples de préposition de n dans nabisso, ninferno, naspo
(haspel, proprement du verbe inaspare). Dans la première section,
il a été question de la transposition des deux liquides l et r.

M et n, dans la langue littéraire, se sont maintenues pures de
toute infection nasale dans le sens du français. Il n'en est pas
de même de n dans les dialectes. Ainsi n finale se prononce
absolument comme en français dans le Milanais et en général
dans la plus grande partie de la Lombardie jusqu'à Bologne, et
encore dans une partie de la Romagne : pan, men, vin, bon,
nissun se prononcent comme le franc. milan, bien etc., voy.
Cherubini Voc. milan. I, XXXI, Biondelli 199. Au Nord, à
Bergame, ce son est déjà moins net (Blanc, 645). Le milanais
a encore une autre n, une n aiguisée qui se prononce comme
si elle était unie à un e muet. Le piémontais a une n médiale et
finale (n torinese), qui, par exemple dans patruna, se prononce
presque comme ng allemand en effaçant à peu près le g.

LL peut provenir de nl et rl, ainsi dans colla (con la),
costallo (costarlo). Remarquons, dans quelques dialectes du
321sud, la représentation de ce ll par dd qui sonne comme le th
anglais : sarde (campid.) buddiri (bollire), cambedda (gambella*),
casteddu (castello), mais aussi ellu dans bellu etc. ;
sicil. cavaddu, addevu (allievo), beddu, griddu (grillo). —
NN représente mn dans donna, sonno etc. — RR représente
lr et nr dans torre pour toll're, porre pour pon're.

Les combinaisons gli, gn sont importantes.

GLI 1165, l mouillée (qu'on prononce lji = esp. ll, prov. lh,
franç. il), devant a, e, o, u, qu'on écrit glia, glie, glio, gliu
et qu'on prononce lja, lje, ljo, lju, a ce son (suono schiacciato,
écrasé) partout où il ne provient pas de la combinaison
immédiate gli, comme dans negligente, geroglifico, Anglia :
dans ce dernier cas, g conserve sa prononciation gutturale ordinaire.
Si on a choisi l'orthographe gl, c'est évidemment par
analogie avec gn. Ce gli a son origine : 1) Dans l avec i palatal :
figlio, oglio. — 2) Plus rarement dans un l ou ll sans cet i :
pigliare, togliere. — 3) Dans les combinaisons tl, cl, gl, pl :
veglio pour vecchio, speglio pour specchio, streglia pour
stregghia, scoglio (scop'lus). — Dialectalement, il se prononce
dans les deux premiers cas comme j et tombe même, comme
dans le parler familier français et en valaque. Exemples : piém.
paja (paglia), piè (pigliare) ; milan. canaja (canaglia),
consej (consiglio), bria (briglia) ; bologn. foia (foglia), mei
(meglio) 2166. En sicilien, il se durcit en ggh : famigghia, fogghiu,
battagghia, megghiu. En vénitien, il devient ģ : agio
(aglio), ogio (oglio), et aussi en génois conseggio (consiglio) ;
en sarde, il se change en z doux : azu (aglio).

GN, n mouillée (suono schiacciato) = esp. ñ, prov. nh,
franç. in, qu'il faut prononcer devant toutes les voyelles et aussi
à l'initiale (gnaffa, gnocco) comme nj, vient : 1) du lat. gn,
comme dans degno, pugno : de là cette orthographe, étendue
ensuite à tous les autres cas. — 2) à l'inverse, de ng : cignere,
fignere etc. — 3) de n avec i palatal : vegnente, vigna. —
4) de n initiale ou nn médiale, mais rarement : gnudo (nudus),
grugnire. — Les dialectes sardes prononcent, ; tantôt comme ģ,
tantôt comme z : bingia binza (ital. vigna).322

T. D.

T se maintient comme forte à toute place. Dans l'ancienne
orthographe, il était employé aussi là où il se prononçait comme
z (natione, giustitia) : ainsi placé, il a cédé au z vers la fin du
XVIe siècle (Blanc, p. 71), mais il a conservé encore jusqu'au
milieu du XVIIe siècle beaucoup de partisans (Buommattei, Della
ling. tosc.
p. 57).

D est souvent : 1) un affaiblissement de t, comme dans
padella, madre. Souvent t persiste à côté de d, cf. cotesto
codesto
, lito lido, imperatore imperadore, potere verbe,
podere subst. — 2) il représente r, comme dans rado (rarus).
— Il est intercalé pour détruire l'hiatus : ladico (laicus), prode
(pro proe), voy. p. 75.

TTest : 1) le produit du redoublement de t, comme dans
battere, tutto. — 2) le résultat de l'assimilation du ct et du pt,
comme dans fatto, inetto. — DD provient : 1) du redoublement
de t dans soddisfare. — 2) de l'assimilation du gd dans
freddo, Maddalena, habituellement Madalena.

Z.

Cette lettre, à proprement parler étrangère au latin, est devenue
très-importante en italien et provient d'éléments fort divers :
1) Du z grec, haut-allemand et arabe : ainsi dans azzimo, zelo,
battezzare, zaffo (v.h.-all. zapfo), zana (zeina), strozza
(drozza), zafferano, azzurro. — 2) De t, ct, pt avec i palatal :
nazione, pozzo (puteus), azzione, nozze (nuptiæ) ; quelquefois
même de t avec i tonique, comme dans aristocrazia. —
3) Aussi de di ; dans ce cas, le z alterne parfois avec gi :
mezzo, pranzo, razzo raggio ; de même de d simple dans
arzente (ardens), verziçare (viridicare). — 4) De ci ce :
zimbello (cymbalum), sezzo (secius), donzello, et dans les
suffixes azzo, izio, ozzo, uzzo ; popolazzo, fittizzio, gigliozzo,
animaluzzo. Ce z se trouve très souvent en concurrence avec c :
giudizio giudicio, spezie specie, superfizie superficie. — 5) De
s : zaffiro, zavorra (saburra), zolfo (sulphur), manzo (pour
manso), scarzo (pour scarso), arzura (arsura), magazzino
(arabe machsan). — 6) De st dans inzigare (instig.), zambecco
(allem. steinbock), zanco (pour stanco). — 7) De sk :
zappa (σκάπτειν ?), zanca (angl.sax. scanca ?), zolla (anc.h.all.
skolla). — 8) De j dans zinepro (juniperus). — 9) Du franç.
ch dans zambra.323

Le z, comme l's, se prononce de deux manières, soit dur,
comme ts, prononciation que connaît aussi le daco-roman, soit
doux, comme ds. La double valeur de cette lettre est assez bien
liée à l'étymologie. Ainsi le z est dur quand il vient de c ou de t ;
cependant beaucoup de mots échappent à cette règle, comme donzella bronzo
(brunitius ?), romanzo, rezza (retia), lezzo (pour
olezzo), rezzo à côté de orezzo, spolverezzo. A l'inverse, z est
doux quand il vient de d, et aussi, comme on peut s'y attendre,
quand il représente le z grec ou arabe et dans les noms propres
bibliques, comme Lazaro, Ezechiele, Nazzareno ; excepté
balzare (de βαλλίζειν ?). Quand il représente le z allemand, sa
valeur n'est pas précise ; il est tantôt dur comme dans zecca
(zecke) ; tantôt doux comme dans orza (lurz). Il est encore
doux quand il vient de s ; dans senza (prov. senes), il pourrait
avoir été renforcé par la consonne qui précède (comme peut-être
dans balzare). — Il y a d'autres exceptions dont on ne peut
tenir compte ici. On doit s'attendre à ce que les dialectes, ici
encore, ne soient pas tous d'accord avec la langue écrite, le piémontais
aime surtout à rendre le z par s : sampa, sagrin (zigrino),
pes (pezzo), piassa etc. Le lombard emploie très-bien
sgi ou sci pour zz : gasgia (gazza), cantascià (cantazzare).
Le vénitien fait quelquefois entendre ć à la place de z : cito,
ceca (zecca).

S

a le son dur ou fort (s gagliarda) devant les voyelles, à l'initiale
et à la médiale, devant les muettes fortes et f, et de même
après une consonne : sole, stella, schiantare, spalla, sforza,
volse, verso ; faible ou doux (s rimessa) entre voyelles, devant les
liquides, les douces et devant v : rosa, tesoro, slanciare, smania,
snodare, sradicare, sdegno, sguardo, sbarra, svelto.
Elle est dure aussi dans le suffixe oso : glorioso, virtuoso
(quand une voyelle précède, dit Fernow, en conséquence il ne
l'est pas dans ontoso), dans les finales eso, esa, esi : acceso,
difesa, accesi, accesero (Blanc). Dans les composés, l'initiale
conserve sa prononciation dure : venti-sei, altre-si, co-si,
ri-solvere, pro-seguire ; dans dis, mis, d'ordinaire aussi dans
es, la finale est également dure : dis-inganno, dis-leale, disnervare,
dis-dire, dis-gombrare, mis-avventura, mis-leale,
mis-gradito, mis-venire, es-eguire, es-ultare. Quelques
mots font aussi exception : ainsi cosa, riso, roso ont une
s dure.324

S ou ss proviennent quelquefois de c, comme dans desinare
(decœnare *), pusigno (postcœnium *) ; quelquefois de x,
ps, bs, comme dans ansio, esempio, esso, oscuro. ST médial
provient dans certains cas de ć't, comme amistà (amicitas *).

S initiale, suivie d'une consonne, s'appelle s impura. Ce cas
peut se présenter, comme nous l'avons vu, devant toute consonne,
sauf j et z. La langue, habituée à cette initiale, ajoute souvent
une s inorganique destinée à renforcer le son, comme dans sbieco,
sbulimo, scalabrone ; smania, smaniglia, smergo, sninfia,
spiaggia à côté de bieco, bulimo etc. Dans les dialectes, cette
prothèse est poussée bien plus loin encore, surtout en milanais.

SC devant i et e, combinaison importante en italien, devrait
se prononcer s'ć (allem. stsch) ; mais se prononce comme le ch
français et l'allem. sch. Devant a, o, u, on écrit scia, scio, sciu
(pron. scha, scho, schu). Cette combinaison provient : 1) Du
latin sc dans scena, osceno etc. — 2) De s avec i palatal : bascio,
cascio. — 3) De s initiale sans cet i : scialiva, scinda, rarement
de s médiale, comme dans vescica. — 4) De st : angoscia,
uscio (ostium). — 5) De x : scialare (exhalare), escire. —
Les dialectes, qui rendent d'habitude ć par s, emploient aussi ss
pour  : piémont. fassa (fascia), riussì ; milan. cossin
(cuscino), cress (crescere) ; vénit. assia (ascia), fasso (fascio).

C. Q.

1. C guttural (dont le son est désigné par l'expression suono
rotondo
) se rencontre devant a, o, u, l, r ; devant e et i, on écrit
ch, et avec redoublement cch. A cette place, l'ancien ch avait,
il est vrai, perdu le son guttural et avait suivi le traitement du
c, car brachium, machina s'écrivaient et se prononçaient tout
aussi bien bracium, macina. Mais on savait historiquement
que ch représentait le χ grec, et comme ce χ, encore dans la
bouche des Grecs des bas temps (même devant les voyelles
douces) ne se prononçait pas comme z, mais continuait à être
guttural, cette lettre sembla propre à rendre mieux que qu le
son primitif de c. Aussi de très-bonne heure ch est-il déjà
employé à cet office ; en particulier, le pronom qui s'écrit souvent
chi, par exemple dans Lupus p. 559 (de l'an 785), 674 (de l'an
828). La prononciation est celle du k allemand ; seul, le dialecte
florentin l'aspire de manière à le faire ressembler à l'h allemande
(ce que Fernow, Röm. Studien, III, 267, regarde comme un
écho de la langue étrusque). — Le c guttural renvoie toujours
à la forte, même à la forte allemande devant c et i, voy. p. 293.
325Il renvoie encore : 1) à l'aspirée grecque ou allemande : calare
(χαλᾷν), collera, pitocco (πτωχός), ricco (rîchi), scherzare
(scherzen), gecchire (Jehan), cf. annichilare (lat. nihil). —
2) Au qu : antico, chi (quis) etc.

Q, redoublé cq (rarement qq, comme dans soqquadro), se
joint toujours avec un u sensible et reproduit en partie le q latin,
en partie le c latin, comme dans quale, quagliare (coagulare),
quello (eccu'ille), quocere, quojo, et mieux cuocere, cuojo.
— Les dialectes favorisent la chute de l'u : sarde cale, candu,
casi pour quale, quando, quasi, napol. chillo, chisto pour
quello, questo.

2. C palatal, qu'on prononce comme tsch allemand = franç.
tch (suono schiacciato), se rencontre devant i et e ; devant
les autres voyelles on écrit ci, où l'i est muet : cialda, ciò,
ciuffo ; dans cieco et cielo il est également muet. Dans le
groupe cc, le premier c est palatal comme le second ; aussi
accento ne se prononce-t-il pas comme à la manière française
ac-cento. Ce c provient, comme nous l'avons dit, du latin ce,
, , ci ; il provient, en outre : 1) de ch ou qu devant e
et i : arcivescovo, cirugiano (chirurgus), cinque, torcere.
2) De s : concistorio, bicciacuto, ciufolare (sufflare) ;
et aussi de z : ciabatta (esp. zapata). — 3) De s, p, ct, pt
avec i palatal : camicia, piccione (pipio), saccio (sapio),
succiare (suctiare *), cacciare (captiare *). Il provient aussi
quelquefois du ch italien avec i palatal, comme dans grancio
pour granchio, morcia pour morchia. — Du français ch :
ciambra (chambre), ciapperone (chaperon), accia (hache),
arciere (archer), miccia (mèche). — Il s'en faut que cette
prononciation soit identique dans tous les dialectes. Le milanais,
par exemple, emploie c, sc, z et s : cervell, scener, scepp,
zeder (cedro), zign (cigno), zij (ciglio), brazz, dolz, serch
(cerchio), usell ; pour cc habituellement sc : fescia, lusc (luccio).
Le vénitien met c, s et (pour cc) zz : cima, sinque, baso
(bacio), cimese, brazzo, cazzare. Le piémontais c et s, ex.
cimes, cisi (cece), sener, sign (ciglio), sima, piasì (piacere),
strassè (stracciare). Parmi les dialectes du sud, le napolitain
emploie fréquemment z : azzettare, merzè, rezetto ; le sarde
(campid.) surtout ç (= franç. ç) ou bien encore la chuintante
douce x ( — franç. j), mais pour cc il emploie aussi zz : çertu,
çediri, çittaddi, deçimu, doçili, façili, feliçi, axedu (aceto),
bentixeddu (venticello), bixinu (vicino), boxe (voce), brazzu,
canazzu (cagnaccio), mais aussi cappucciu etc.326

G.

G guttural, qu'on prononce comme le haut-allemand g dans
gabe (suono rotondo), se présente devant a, o, u, l (excepté
dans la combinaison gli) et devant r ; devant e et i, on écrit
gh, redoublé ggh, visiblement sur le modèle de ch qui est
un son parallèle 1167. Dans la combinaison gu suivie d'une voyelle,
u est toujours sonore. — Dans les cas où g ne reproduit pas la
douce primitive, il provient : 1) souvent de la forte du même
organe : gargo (anc.h.all. karg), gastigare, lago, lagrima,
seguo (sequor) ; aussi se présente-t-il souvent à côté d'elle,
comme dans acuto aguto, mica miga. — 2) De l'h allemande :
agazzare (hetzen) etc. — 3) Du j renforcé : rimango pour
rimanjo (remaneo), seggo (sedeo) et autres verbes. —
4) Du w allemand, et dans ce cas il est rendu le plus souvent
par gu : guardare, guisa, ghindare (winden), tregua
(triuwa). Rarement du v latin, comme dans guaina (vagina),
gomire. — G est intercalé dans ragunare pour ra-unare et
dans quelques autres mots ; il est préposé dans gracimolo à
côté de racimolo (racemus), graspo à côté de raspo.

2. G palatal, qu'on ne peut représenter en allemand que par
dsch = fr. dj (suono schiacciato), se rencontre devant e et i ;
devant a, o, u, il s'écrit gi dans lequel i est muet : già, giovane,
giudice. Des traces de cette orthographe se rencontrent de très-bonne
heure, par exemple dans des inscriptions de la décadence
congiunta, Giove, comme en italien, Corssen, Lat. Ausspr.
I, 92, dans les chartes Giula et autres noms Ughell. I, 2,
p. 336, 337 (de l'an 1007), magiorem Tirab. p. 37b (de l'an
813), pegiorentur 49a (de l'an 833), et avec allusion à la prononciation
pediorentur HPMon. n. 33 (de l'an 875). Les
deux orthographes coexistent fréquemment dans les chartes
italiennes, cf. Laucegium et Laucedium ibid, n. 63, maintenant
Lucedio. D'autres scribes ont eu recours au z, dont le
son est très-voisin (cf. p. 248), comme dans Dazibertus pour
Dag. HPMon. n. 72 (de l'an 919), per covis zenium pour
327per quovis g. ibid. Dans le redoublement gg, comme dans cc,
le premier g est aussi palatal : on ne doit donc pas prononcer
suggerire comme le français sug-gérer. — Ce son provient,
sans parler du latin ge, gi : 1) de j : già, Giacomo etc. —
2) De i palatal : deggio (debeo), pioggia (pluvia), seggio
(sedeo), giorno, congedo (commeatus), palagio, cagione
(occasio). — 3) De ga non latin : giardino, giaveletto. —
4) De z, de sc et de c devant e et i dans quelques mots, comme
geloso, vagello (vascellum*), dugento. — 5) De c dans tc, dc,
nc : selvaggio, giuggiare, mangiare (manducare). — 6) Il
prend la place de l'l dans giglio, gioglio. — Il est intercalé au
lieu de j dans scarafaggio (scarabæus), tragge (trahit),
strugge. — Les dialectes ne présentent pas tous non plus cette
chuintante. Le vénitien l'affine en z : zalo (giallo), zogia (gioja),
zorno, finzere, frizzere, volzere, veza (veggia). Le sicilien
la prononce plus fortement, tantôt comme ć, tantôt comme  :
ancelicu, cinciri (cing.), adasciu, casciuni ; ou même comme
j, ce que fait aussi le napolitain.

J.

L'italien est la seule de toutes les langues romanes qui, pour
l'i consonne, emploie ce signe (dont l'introduction est attribuée
à Trissino, Blanc p. 65, 82). Mais ce son est moins consonniflé
que le son correspondant du j allemand, de sorte que, par
exemple, dans jeri, jota, noja, alleluja on croit entendre une
diphthongue ; aussi actuellement préfère-t-on employer le signe
de la voyelle. A la fin du mot, où il est pour ii, j est une véritable
voyelle et ressemble à l'i long : tempj, vecchj, vizj, glorj.
On a choisi ici ce signe, soit parce qu'il pouvait sembler exprimer
pour les yeux l'allongement de l'i, soit parce qu'on avait vu
également un i allongé pour ii dans l'écriture lapidaire : svlpicI,
afranI
. — Cette consonne provient : 1) dans quelques cas du
lat.j, comme dans ajutare, boja. — 2) De l'i atone suivi d'une
voyelle : jacinto (hyacinthus), jerarchia. Ce fait se rencontre
souvent, surtout après une r précédente qui alors tombe toujours :
aja pour arja (area), febbrajo, muojo etc. Cet rj
est prononcé par le sarde de Campidano comme , de même
qu'il prononce aussi nj comme , ex. telargiu (ital. telajo),
friargiu (febbrajo), et par le sarde de Logudoro comme
rz : corzu (cuojo). — 3) De la diphthongue ie = lat. e dans
jeri. Devant i, j disparait : acciai pour acciaji, abbaino pour
abbajino.328

H.

Elle est muette et ne s'emploie en dehors des groupes ch et gh
que dans quatre formes du verbe avere : ho, hai, ha, hanno,
pour les distinguer, au moins pour les yeux, de o, ai, a, anno,
et dans quelques interjections comme ah, deh, ohimè. On sait
qu'on écrivait anciennement à la manière latine havere, honore,
huomo, sans cependant prononcer ces h.

P. B. F.

L'échange entre les labiales est fréquent. P est pour f dans
Giuseppe (Joseph) etc. B est bien souvent pour p initial,
comme dans brugna (prunum) ; pour f dans bioccolo (floccus) ;
souvent pour v à l'initiale et à la médiale, comme dans
berbice, nerbo, serbare, crebbi (crevi). F est pour p dans
soffice (supplex), trofeo, peut-être dans catafalco ; pour b
dans tafano etc. ; pour v, par exemple, dans bíffera (bivira).

B est préposé dans brusco (ruscum) et aussi sans doute dans
brezzo (rezzo pour orezzo) et bruire (rugire). Il est intercalé
dans rombice (rumex) ; entre m et une liquide suivante : sembrare,
membrare ; m avec i palatal appelle aussi un b : grembo
pour grembio, combiato, milan. vendembia pour vindemmia,
voy. mon Dict. étym. au mot grembo II. a.

F est préposé dans frombo (ῥόμβος). — FF est le produit de
l'assimilation de pf dans zaffiro (sapphirus), Saffo (Sappho),
et dans les mots allemands graffio (krapfen), ruffare (rupfen
ou raufen), staffa (stapf), stoffa (stopfen), zaffo (zapfen),
zuffa (zupfen).

V

qu'il faut prononcer comme w allemand = v franç., est : 1) Un
adoucissement du p, comme dans povero, et existe parfois à
côté de lui : coverto coperto, riva ripa, cavriolo capriolo.
L'adoucissement a pénétré bien plus profondément dans les dialectes.
Le milanais, par exemple, dit rava, savè, cavra ; le
vénit. lievore (lèpre), lovo etc. — 2) Un adoucissement du b :
avere, cavallo, provare. — 3) Parfois, c'est la consonnification
d'un u, comme dans belva (bellua), parve, dolve. — 4) Il rend
le w allemand dans salavo (salaw-), sparviero. — Il sert à
détruire l'hiatus dans fluvido, piovere, rovina, vivuola (viola).
— L'aphérèse de cette consonne ne se rencontre que dans les
dialectes : sicil. urpi (volpe), sarde espi (vespa), vénit. ose
329(voce) ; en face de cette chute du v, on trouve la prothèse,
encore plus remarquable : sarde bandu pour vandu (ando),
occhire pour vocchire (uccidere) ; milan. vess (essere), vora.
(ora), volzà (osare), vott (otto), vun (uno).

VR est une combinaison très-usitée en italien, mais limitée
toutefois à la position de médiale ; en voici quelques exemples :
avrò, covrire, Ivrea, ovra, sovra.

Lettres espagnoles.

Avant d'étudier chaque lettre séparément, il convient de
remarquer que les Espagnols ont un système d'orthographe très-net,
qui, établi après bien des hésitations par l'Académie de Madrid
en 1815, appuyé et recommandé par le gouvernement, a été
généralement accepté, voy. Ortografia de la lengua castellana,
compuesta por la real Academia española
, 8e édit.,
Madr. 1815 1168. Cependant, comme ce système subordonne le
principe étymologique au principe phonétique, une grammaire
qui considère partout les lettres originaires méconnaîtrait son avantage
en voulant échanger partout l'ancien système (tout indécis
qu'il est) contre le nouveau. Toutefois, pour qu'on soit en état
de transposer l'ancienne notation en orthographe nouvelle, nous
indiquerons partout brièvement cette dernière. Déjà au XVIe siècle,
un anonyme s'occupe de la prononciation (Juan Lopez de
Velasco, voy. Nic. Antonio Bibl. hisp. nova, I, 721) dans un
livre qui nous montre qu'il y a eu dans cette partie de la langue
des changements notables : Orthographia y pronunciacion
castellana
, Burgos 1582 2169.

Voyelles simples.

Ce sont a, e, i, y, o, u. Elles n'offrent aucune difficulté, au
330point de vue de leur valeur phonétique aussi bien qu'étymologique.

A.

Sur cette voyelle remarquons seulement que a est souvent
préposé : 1) par un sentiment euphonique devant y, comme dans
ayantar (jentare), ayer (heri), ayuncar arch. (esp. mod.
juncal), ayunque (incus), ayuso. — 2) Devant de nombreux
substantifs, où il rappelle l'article arabe, comme dans ababa
(papaver), abedul (betula), acipres (cypressus), acitron
(citrus), alaton (franç. laiton), alerce (larix), arruga
(ruga), avispa (vespa), azufre (sulphur). Aussi enano
(nanus) pour anano = portug. anão ? — 3) De même dans des
verbes, où il n'a pas le sens de la particule ad et où il manque
aussi dans les autres langues romanes, ex. aconsejar, amenazar,
arrepentirse, atajar. — A est pour e dans regalar
(regelare), sarga (serica), sarta (serta), asmar (æstimare),
yantar (jentare). Il est venu de ei ou ai allemand dans gala
(geil ?), lastar (leistan), etc.

E.

La prononciation de cette voyelle n'a pas développé ici la
variété de l'italien. E est habituellement fermé, plus ouvert
devant r, s, z dans la même syllabe : ermita, espia, ezquerdear
(Chalumeau de Verneuil, Gramm. esp. II, 503).
Étymologiquement, il se comporte en principe comme l'e italien.
Remarquons surtout : 1) sa dérivation de a-i, surtout dans les
cas où ce groupe devient ie en italien et en français, par ex.
caballero, enero (januarius), primero, beso (portug. beijo),
lego (laïcus), hecho (portug. feito), plegue pour plaigue
(placeat), quepo (capio), sepa (sapiat), madexa (mataxa,
prov. madaisa, portug. madeixa). Cet e est déjà fréquent dans
la langue des vieilles chartes, cf. freznedo (fraxinetum) Yep.
III, n. 17, de l'an. 780, sendero (semitarius), mercatero
I, n. 30 etc. — 2) Sa dérivation de o ou u, par l'intermédiaire
de ue, comme dans fleco (floccus), frente (frons), culebra
(colŭbra), à côté de flueco et des formes vieillies fruente,
culuebro Fern. Gonz., ou dans nocherniego pour nochorniego
(nocturnus).

I. Y.

La seconde de ces lettres n'est plus employée comme voyelle
331propre que dans la particule y et dans les diphthongues. Même
dans les mots grecs, comme ciclo, Estige (Styx), lira, elle a
dû céder la place à l'i, tandis que les anciens l'employaient
presque sans règle, au lieu de l'i, surtout à l'initiale : yguar
(æquare), ynojo (geniculum), ynfierno, yvierno, yr, aiýna,
syn, fyncó. Etymologiquement, l'i espagnol concorde à peu
près avec l'i italien : il provient donc quelquefois aussi de e long
ou de i bref. — Nous avons parlé, p. 143, d'un ie archaïque (de
Léon) pour i, particulièrement usité dans le suffixe illo, par ex.
anyello, castiello, poquiello, surtout dans l'Alexandro et dans
Apotlonio, mais aussi dans Berceo et dans les Siete partidas ;
flumenciello = ital. fiumicello est dans une charte de Castille
de l'an 804, Esp. sagr. XXVI, 445.

O.

L'o ne connaît pas plus que l'e de diversité de prononciation,
il se prononce comme en français. Cette voyelle a la même
origine qu'en italien, mais souvent, comme l'au français, elle
provient de al : coz (calx), otro (alter), etc.

U

est un peu plus favorisé qu'en italien et en provençal, en ce sens
qu'il remonte souvent à o bref ou à u, cf. tundir, cruz, escucho
avec ital. tondere, croce, ascolto. Dans les parfaits comme
hube (habui, d'où haubi par attraction), plugo (placuit), supe
(sapui), il s'est condensé de au. Dans les diphthongues, il trahit
aussi parfois une provenance consonantique.

Diphthongues.

Dans le travail sur l'orthographe qui précède le Dictionnaire
de l'Académie espagnole
(1726), en admet les suivantes :
ÁE, ÁI, ÁO, ÁU ; ÉA, ÉI, ÉO, ÉU ; ÍU ; ÓE, ÓI, ÓU
(propr. portug.) ; ÚI ; EÁ ; IÁ, , , IÚ ; OÁ ; UÁ, ,
. Ai, ei, oi finales s'écrivent aujourd'hui avec y, ce qui avait
lieu jadis aussi à la médiale. Exemples : acaecer, ay, aire,
alcaide, amais, estay, caos, lavaos (lavados), pauta ; ea,
rey, reina, peine, seis, veinte, visteis, azeite, beodo,
deuda, feudo ; liudo ; coetaneo, doy, soy, sois, oigo,
heroico, toison, Moura, Coutiño ; muy, buitre, cuidado ;
beato
, beatitud, eterea ; Diago (anc. esp.), graciable, gracia,
gloria, miedo, diós, pidió, region, ocioso, viuda ; coagular ;
332cuajo, agua, muero, vergüenza, sumtuoso, arduo.
Sur beaucoup de ces combinaisons on peut, il est vrai, élever les
mêmes doutes qu'en italien. Sur l'origine des diphthongues,
voyez divers passages de ce livre, particulièrement p. 184-186.
Mais quelques-unes méritent encore une attention spéciale.

AU

provient de bien des combinaisons : 1) De au latin, comme dans
augmentar, causa, lauro etc. — 2) Des syllabes ac et ag dans
auto (actus), Jaume (Jacobus), launa (láganum). — 3) De
ap et ab : cautivo (captivus), raudo (rapidus), ausente
(absens), paraula arch. (parabola). — 4) De al : sauce (salix),
autan (aliud tantum), Gaula (Gallia). — 5) A est né
par suite de la chute d'une consonne dans aun (adhuc), paular
(padular pour paludar). — 6) Semblent être empruntés au
français : gaucho (gauche), jaula (jaiole geôle), et aussi
rauta (route).

IE

provient : 1) Du latin i-e : ebriedad, piedad, durmiendo etc.

2) C'est la diphthongue de e bref et de æ, comme dans fiero,
liebre, miel, viene, cielo ; mais ie est souvent aussi employé
pour e en position, parfois pour i : ciento, fiesta, tiempo,
nieve. A la médiale, on écrit et on prononce y pour i : yedra
(aussi hiedra, lat. hedera), yegua (equa), yelmo (helm),
yerba (aussi hierba), yermo (eremus), yerro (error), yerto
(hirtus), yervo (ervum), yesca (esca). Le nom Fontecubierta
montre cette diphthongue déjà dans une charte de 747 Esp.
sagr
. XL, 361 (si elle est authentique) ; de même flumenciello
cité à la lettre i.

UE.

L'espagnol, pour former ce son : 1) a diphthongué o bref, car
l'uo provençal et italien correspondant à ŏ lui est complètement
étranger : buevo, nuevo, ruego 1170. Il l'emploie souvent, surtout
devant certaines consonnes (voy. section I), pour o en position,
comme dans cuello, luengo, muerte ; rarement pour o long.
2) La nature de cette diphthongue est tout autre quand, par
suite d'attraction, elle provient de u-i ou bien encore de o-i,
333auquel cas elle répond à l'ou portugais. Ainsi dans agüero,
Duero (p. 170), mastuerzo (nasturtium), sabueso (segusius),
Sigüenza (Segontia), vergüenza (oerecundia), et aussi dans
cuero (portug. couro), muero (portug. mouro) et autres
semblables. Dans juez (judex, portug. ju-iz), ue provient d'une
syncope. Suero de serum est bizarre, voy. mon Dict. étym.
II b.

L'existence des triphthongues en espagnol n'est pas contestée.
Ainsi IAI, IEI, UAI, UEI, par exemple dans preciais, precieis,
santiguais, santigueis, buey, bueytre.

Consonnes.

Tous les caractères latins sont restés en usage. La nouvelle
orthographe ne bannit que les combinaisons ch, ph, th, rh,
et l'on écrit cristiano, filosofia, teologia, Reno. Le consonantisme
est, pour les chuintantes, moins complet qu'en italien,
puisque l'espagnol ne présente qu'un son de cette catégorie, ch.
En revanche, cette dernière langue possède une aspirée gutturale,
diversement écrite (j, gi, x).

Les consonnes ne sont pas toutes tolérées à la finale ; on
n'admet pas même la liquide m ; on ne trouve jamais non plus
aucune forte ni aucune douce, à l'exception du d ; l'espagnol
ne tolère pas davantage les spirantes f ou j, à plus forte raison
le v ni le ch palatal. Il ne reste que l, n, r, s, x, d, z :
mal, pan, mayor, mas, relox, abad, veloz. Les mots étrangers,
lorsqu'ils se terminent par une des consonnes antipathiques
à l'espagnol, reçoivent, d'habitude un e à la finale : norte (angl.
north), este (east), duque (anc.esp. duc, franç. duc), estoque
(stock), Enrique, xefe (franç. chef). Sont exceptés les noms
bibliques comme Judith, Nembroth ou Nembrod, Isac, Abimelec,
Abisag, Jacob, Caleb, Josef (plus souvent José). Les
anciens, au contraire, laissaient souvent tomber la voyelle à la
finale, et les consonnes les plus variées pouvaient terminer le mot :
cum (pour como), art, cort, englut (engrudo), much, cab
(cabe), quisab (quien sabe), of (hube), nuef (nueve).

Il est pratiquement important de noter que l'espagnol ne
supporte aucun redoublement, excepté celui de l'r, de l'n dans
les composés, du c quand le premier c est guttural et le second
sifflant. On écrit abad, abreviar, boca, Baco (Bacchus), adicion,
bola, Apolo, Tibulo, sumo, cepo, Filipo, grueso,
diese, amasar, disimular, Parnaso, Taso, meter ; mais
334carro, hierro, tierra, arrestar, arriba, correcto ; connivencia,
connubio, ennoblecer, ennoviar, innato, innovar,
innumerable ; acceder, faccion. Anciennement on écrivait
encore ss, en conséquence diesse, dulcissimo, et Velasco
désigne ce redoublement comme le seul qu'on entende encore.
L'orthographe moderne a même ramené l'mm latin dans les
composés avec nm : on écrit conmemorar, conmiliton, conmover,
enmudecer, inmaturo, inmoble, inmortal ; et aussi
inracional, inreparable.

Les groupes multiples de consonnes se comportent à l'initiale
comme en latin, si ce n'est que DR est plus usité ; GN l'est
seulement dans les mots grecs ; ST, SC, SP ne se présentent
pour ainsi dire pas. La médiale tolère des combinaisons plus
nombreuses et plus dures qu'en italien. Une muette se rencontre
aussi avec une liquide dans DL et DM, mais seulement dans les
enclitiques comme dad-le, dad-me, dans DN aussi ailleurs,
ex. dad-nos, adnado. GL, presque inconnu à l'italien, se présente
quelquefois en espagnol : cinglar, regla, seglar, siglo.
On trouve une muette avec une spirante, surtout dans les composés,
ainsi DV, CS, PS, BS : ad-viento, maximo, capsula,
ab-surdo, cabsa arch. On trouve une muette et une aspirée dans
DJ et BJ, mais seulement en composition comme ad-junto, abjucar ;
avec une forte et avec une douce CT, GD (à peine), PT,
PD (arch.), BT (de même), BD (également arch., sauf dans les
composés) : acto, esmaragda, optimo, capdal, cabtela, cobdicia,
abdicar. Parmi les spirantes, s supporte toute consonne,
quelle qu'elle soit, après elle : SL, SM, SN, SR, SD, (dans
les composés), SG, SJ (comme ), SB, SF etc., aslilla,
eslabon, asmar, pasmar, asno et ainsi gozne, asre, desrota,
esdruxulo, descebar, asgo, sesga, desjuntar, esbozo,
esfuerzo. FT n'est pas espagnol. Pour VL, VR on a BL, BR.
Les groupes de liquides avec une spirante ou une muette sont les
mêmes qu'en italien, à l'exception des cas d'enclise. On trouve
une liquide avec une liquide dans les combinaisons LM, LN,
LR (alrota, mal-rotar), MN à peine (calumnia etc.), NM
(in-mortal), NR (Enrique, honra, in-reparable, comme
nous l'avons vu, son-reir), RL, RM, RN. — Les modernes
évitent les consonnes muettes et purement étymologiques ; chez
les anciens elles ne sont pas rares : Bendicto, par exemple,
rime avec escripto, ce qui montre que les finales des deux mots
se prononçaient ito.335

L. M. N. R.

Il faut noter pour r deux prononciations, l'une plus forte, plus
aspirée et l'autre plus douce. La première s'emploie (presque comme
en italien) à l'initiale, alors même que le mot forme la seconde
partie d'une composition, à la médiale après l, n, s, et partout
dans le redoublement : rosa, ab-rogar, mani-roto, alrota,
honra, Israël, tierra. Cette prononciation plus forte, que mentionne
aussi Velasco, se rendait souvent anciennement au moyen
d'r redoublée, p. ex. honrra, sonrrisar, Manrrique, desrranchar,
et même grran (grande). La langue moderne présente
même plusieurs exemples de redoublement entre voyelles, comme
dans carrizo (carex), esparrago (asparagus), marron (mas
maris
), murria (muria). Dans les autres cas, r se prononce
plus douce : amor, hora, virtud. L'r basque se comporte
comme l'r espagnole, avec cette différence qu'on fait précéder la
première d'une voyelle à l'initiale, pour venir en aide à la prononciation
(comme pour l's impurum), par ex. arrosa, arribera,
errabia, erreguela (regula), ce que fait aussi le béarnais,
le plus voisin des dialectes romans : arride (ridere),
arroda (rota), arrous (ros).

En espagnol, une liquide naît souvent d'une autre liquide ou
d'une lettre voisine. Par exemple, l naît de n dans calonge
(canonicus) ; de r dans celebro (cerebrum), blandir (franç.
brandir), quilate (arabe qîrât) etc. ; de d ou t dans cola
(cauda), Madrileño (Madrid-), Isabel (Elisabeth), almuerzo
(admorsus). M vient de n initiale dans marfil (arabe nabfil),
mueso à côté de nueso (noster) et dans quelques autres mots ;
de b et v dans cañamo (cannabis), mimbre (vimen), milano
à côté de vilano (villus). N vient de l, par exemple dans enzina
(ilicina) ; de m initiale dans nespera (mespilum), à la médiale
dans lindo (limpidus) etc., souvent aussi de m finale. Sur n
mise aussi à la place de c, voyez ci-dessus p. 228 note. R vient
de l dans lirio et quelques autres mots (changement très-fréquent
en basque ainsi qu'en gascon) ; de n dans cofre.

L repose sur une simple intercalation dans eneldo (anethum),
espliego ( = espique) ; de même m dans embriago (ebriacus),
lampazo (lappaceus). L'intercalation de l'n est très-fréquente,
surtout devant les sifflantes et les dentales : cansar (quassare),
fonsado arch. (pour fosado), ensayo (exagium), mensage
(franç. message), mancilla (pour macilla), manzana (matiana),
ponzoña (potio), trenza (ital. treccia), alondra
336(alauda), rendir (reddere), cimenterio (cœmeterium), encentar
(inceptare), garganta (pour gargata), mancha
(macula). Devant des gutturales : enxundia (axungia), menge
arch. (medicus), lonja (ital. loggia), parangon (composé de,
para con), langosta (locusta), ninguno (nec unus), singlar
(allem. segeln), fincar (ital. ficcare). R est intercalée dans
bretonica, bruxula, traste, trueno (tonus), estrella (stella),
adelantre arch., alguandre (aliquantum, si ce n'est pas
aliquantulum) PC., delantre et autres semblables, ristra
(restis), cf. catal. grondola (ital. gondola). Dans la première
section nous avons déjà étudié la transposition de l'l et de l'r en
traitant de chacune de ces lettres.

LL, notation de l mouillée, qu'on doit par conséquent prononcer
comme l'ital. gl dans gli, est usité aussi à l'initiale, mais non à
la finale, par ex. llama, llanto, hallar, silla. On voit aisément
que ce signe a été choisi parce que ll latin a pris généralement en
espagnol la prononciation de l mouillée. Cette manière d'écrire
est déjà en usage dans les premiers monuments : le Poema del
Cid
, par exemple, écrit fallar, sellar, maravilla. Toutefois,
les anciens n'écrivaient pas toujours ll : on trouve souvent falar,
legar, leno, lorar pour fallar etc., sans que pour cela on
puisse admettre que la prononciation fût différente. Lh, comme
en portugais, se trouve aussi, par exemple dans le Poema de
José
(Janer, Poet. cast.). Les chartes plus anciennes que ces
monuments se servent aussi de l suivie de i, cf. Castelium
(Castillo) Yep. IV, n. 29 (aer. 829), vermelia (bermella),
V, n. 1 (aer. 930). — Cet ll provient de sources diverses : 1) Du
lat. ll : bello, caballo, valle. — 2) D'l simple, mais rarement :
llosco, camello. — 3) De l avec i palatal : batalia, maravilla.
4) Des combinaisons cl, gl, pl, bl, fl, à l'initiale et à
la médiale, comme llave (clavis), llaga (pl.), llama (flamma) ;
malla (macula), sellar (sigillare), escollo (scopulus), trillar
(tribulare), anc.esp. sollar (sufflare).

Ñ (n con tilde) est la notation de l'n mouillée = italien gn,
usitée aussi à l'initiale ; c'est, à proprement parler, l'abréviation
d'n double ; les anciens l'écrivent aussi nn, quelquefois n
en omettant le tilde, et enfin ny, en sorte que l'on trouve
Espanna, Espana et Espanya. Plusieurs manuscrits, comme
celui d'Apollonio, par exemple, écrivent ny à la manière
catalane : duenya, senyor, ninya, panyo ; cependant ils ne
rendent jamais ll par ly. Parfois les chartes fournissent ni, par
exemple Castaniera Yep. V, n. 14, 15 (Xe siècle), et aussi gn
337dagnatione (danacion) Esp. sagr. XXXVII, 277, calugnia
(caluña) ibid. 276, Sugnefredo (de Suniefredo) Marc,
p. 821, flumine de Luigna Yep. VI, n. 2. — L'ñ provient :
1) de nn : año, gruñir. — 2) De mn : daño, doña. —
3) Rarement d'n simple, comme dans ordeñar, anc.esp. à l'initiale :
ñublo (nubilum), ñudo (nodus). — 4) De n avec
i palatal : España, cuño etc. — 5) De gn : deñar, puño. —
6) A l'inverse de ng, comme dans plañir.

T. D.

T a partout le son d'une dentale forte, car lorsqu'il est devenu
sifflant (comme dans nacion) il est rendu par c. D affecte à la fin
des mots une prononciation particulière chuchotée, qui (d'après
Franceson) se rapproche de sd avec une s très-douce ou de z,
en sorte que Madrid sonne presque comme Madrizd, aussi
voit-on les anciens (par ex. Berceo) écrire Madriz. Dans le
langage familier il devient quelquefois muet à cette place ou
même entre voyelles.

T représente souvent ct et pt, par exemple dans fruto, retar
(reputare rep'tare) ; néanmoins ces combinaisons, comme nous
le savons déjà, ne sont pas bannies de l'espagnol. — D est à
l'initiale et à la finale un t adouci : amado, madre, salud etc.
Souvent aussi il est intercalé, et non-seulement, comme dans les
langues romanes en général, entre l et r, n et r (valdré, tendré),
mais encore après l suivie d'une voyelle : bulda (bulla),
celda (cella), humilde (humilis), rebelde (rebellis), toldo
(tholus), atildar (anc.sax. tilian), anc.esp. caldifa (califa) 1171 ;
après n dans pendola (pennula).

S.

Quelle que soit sa place dans le corps du mot, s est dure ou
forte comme le sz allemand 2172. Les anciens écrivaient aussi ss pour
s simple, même au commencement du mot : cossa, Alfonsso,
sse, ssus. Quant à sa provenance, remarquons seulement qu'elle
338représente quelquefois x, comme dans ansio, tasar, et quelquefois
aussi ns et rs, devenus d'abord ss, puis simplifiés en s, comme
dans mesa, mostrar, oso (ursus).

SC, devant i et e dans sciencia, sceptro, conoscer etc., se
prononce comme ç et s'écrit aussi c, d'après l'orthographe
moderne, même dans les noms propres comme Cipion.

Z.

Cette lettre (que les anciens remplaçaient souvent par le ç, qu'ils
mettaient même devant e et i : çagal, Çaragoça, veçino) a pris
une grande importance et se rencontre, dès le VIIIe siècle environ,
avec la valeur actuelle, par ex. freznedo Yep. III, n. 17 (ann.
780), dezimo (c.-à-d. diezmo) IV, n. 11, Oza villa n. 28, pozo
(puteus) n. 38, foz Esp. sagr. XXVI, 445 (an. 804), calzada
ibid., plumazos XL, 400 (ann. 934) ; mais elle est aussi supplantée
souvent par ci ou ti, comme dans Fernandici, Zaragotia,
Gometius. Le z se prononce non pas comme le z italien, non pas
exactement comme ts ou ds, mais presque comme le c espagnol
devant e et i, si ce n'est qu'on n'appuie pas aussi fortement la
pointe de la langue contre les dents : arrimada la parte anterior
de la lengua á los dientes, no tan apegada como para
la ç, sino de manera que quede passo para algun aliento
o espiritu, que adelgazado o con fuerça salga con alguna
manera de zumbido, que es en lo que diffiere de la ç
, dit
Velasco. C'est donc quelque chose d'analogue à l'aspirée th 1173.
Dans la bouche de beaucoup d'Espagnols il se rapproche même
de l'f, du moins à la fin des mots. D'autres, dont l'organe vocal
résiste à la rudesse du z, le transforment en s (Mayans, II, 86),
ce qui arrive surtout fréquemment chez les anciens. — Z, avec
tous ses rapports étymologiques, apparaît déjà dans les monuments
les plus anciens. Mais comme il ne se distinguait pas
nettement de ç et même de s, puisqu'on écrivait celada et
zelada, albrizias et albricias, Zaragoza et Saragoza, on a
établi dans l'orthographe moderne cette règle que z ne s'emploie
que devant a, o, u et à la finale, et c seulement devant e ou i ;
toutefois ze zi est toléré dans les mots non latins. Il en résulte
339que dans la flexion les deux lettres alternent : paz paces, forzar
forcemos
, cuezo cueces.

Le z espagnol, comme le z italien, est d'origine multiple.
Il provient : 1) du z basque, grec, allemand et arabe, par ex.
dans zaga, zaque, azimo, zelo, bautizar, zinco (allem.
zinck), azafran, zambra, zorzal. — .2) De t et d avec
i palatal, par ex. razon, avestruz (avis struthio), cazar
(captiare *), bazo (badius). — 3) Dans quelques cas simplement
de t et d : mayorazgo (majoraticus *), juzgo (judico).
4) De ce ci (che chi, que qui) : menaza, zarcillo (circellus),
diezmo (decimus), arzobispo (archiep.), brazo, lazo
etc. — 5) De s : zandalo, azufre, zugar (sucus), quizá (qui
sabe
), Corzo (Corsus), et aussi dans la désinence ez des noms
patronymiques : Gomez, Velasquez, de même dans Cadiz
(Gades), soez (suis ? voy. mon Dict. étym.), et dans la désinence
verbale zco, comme dans nazco, crezco. — 6) De st :
gozo (gustus), rezar (recitare). — 7) De sc = sk dans zambo
(scambus). — 8) De j dans zinebro (juniperus).

C. Q.

1. C est guttural devant a, o, u et les consonnes ; devant e et
i, on écrit qu, où u est muet. Le k gothique est obligé aussi de se
soumettre à cette orthographe (qu), par ex. Quintila Esp.
sagr
. XVIII, 322 (de Tan. 927), Quindulfus ibid. XXXVII,
318 (ixc siècle), Franquila (de l'an. 927), Requila et Richila,
Roderiquiz, Savariquiz. Etymologiquement le c guttural se
comporte comme en italien. Rarement, comme dans Cadiz
(Gades), il exprime une douce renforcée.

Q s'unit tantôt à un u sensible, tantôt a un u muet. U est sensible
devant a, excepté dans qualidad, qualificar, quantia, quantidad,
quasi, quatorce ; muet devant e, i et o, comme dans que,
quien, quotidiano. Pour qu'il s'entende devant ces voyelles, il
faut qu'il soit muni d'un tréma : ainsi par exemple dans qüestion,
cinqüenta, qüociente, propinqüo. D'après l'orthographe
moderne, devant u sensible on met partout c au lieu de q, et
devant u muet, suivi de a ou o, c tient lieu de qu, ainsi cual,
cuando, cuatro, cuestion, cincuenta, cuociente, cantidad,
catorce, cotidiano. Ce n'est que devant e et i que l'u muet
persiste, comme dans querer, quien. Cela est certainement
commode pour les étrangers ; il faut cependant se garder d'estimer
trop haut une règle qui sépare la langue écrite espagnole des
340autres langues romanes, et qui d'ailleurs ne peut s'appliquer à la
combinaison parallèle gu. Remarquons encore que les anciens
écrivent quelquefois qu avec u muet pour c : blanquo, marquo,
enforquar, quomo (quomodo), cf. ci-dessous au q provençal.
— Sous le rapport étymologique le q espagnol correspond, comme
l'italien, tantôt au q latin, tantôt au ca ou au ch latin, par ex.
dans quepo (capio), queso (caseus), quimera (chimæra).
Il alterne avec c guttural : delinco, delinquir.

2. Devant e et i, c a un son analogue à celui du ç français,
si ce n'est que, pour le former, on doit toucher avec la pointe
de la langue les gencives immédiatement au-dessus des dents de
la rangée supérieure, ou bien encore, suivant d'autres, il faut
porter, le bout de la langue entre les dents, ce que dit aussi
Velasco : el sonido de la ç se forma con la estremidad de
la lengua casi
mordida de los dientes no apretados. Devant
a, o, u et à la finale, z le remplace. Le ç doit se prononcer
tout autrement que l's ; prononcer s comme ç s'appelle en espagnol
cecear (chuchoter). Dans cc, ainsi que nous l'avons vu
dans la première partie, le premier c est guttural comme en
français, ac-cidente ne doit donc pas s'articuler comme acidente.

Étymologiquement, ce qui s'applique à z peut à peu près
s'appliquer aussi à c sifflant ; toutefois notons ce qui suit. Ç provient
tout d'abord du latin ce, ci, sce, sci (voy. ci-dessus à l'S),
puis : 1) D'un z étranger, comme dans cedilla (aussi zedilla),
cefiro, aceite (arabe zait). — 2) De che chi, que qui : cirujano
(chirurgus), torcer, cinco, acebo (aquifolium). — 3) De
t avec i palatal : nacion, Ponce (Pontius). — 4) De s latine :
cerrar (sera) ; de s arabe : cenefa, cifra, acicalar. Le basque
est aussi enclin à prononcer de la même manière, par ex. cerbitu
(servire), cihoa (sevum). — 5) De st : cerrion (stiria),
acipado (stipatus), trance (transitus). — 6) De sch : cedula
(schedula). — 7) De ge gi : arcilla (argilla), ercer (erigere)
et beaucoup d'autres. — 8) De l'ital. ģ dans celosia (gelosia),
cenogil (ginocchiello).

CH

est, en espagnol comme dans toutes les langues romanes de l'ouest,
complètement distinct de c, auquel il ressemble, étymologiquement,
beaucoup moins qu'en italien. Il se prononce presque comme
l'allem. tsch = fr. tch, pour l'articulation duquel toute la partie
341antérieure de la langue vient presser le palais. D'après l'ancienne
orthographe, il avait dans les mots grecs le son du ch italien,
qu'un accent circonflexe placé sur la voyelle suivante indiquait
d'ordinaire, comme dans Eschîlo, Achîles, chîlo, chîmera,
chîmia, archîtecto, qu'on écrit maintenant avec qu : Esquilo,
Aquiles etc. Les premiers monuments l'emploient aussi dans
d'autres cas à la place de la forte gutturale ; des chartes écrivent
Chintila à côté de la forme Quintila ci-dessus mentionnée, le
Poema del Cid écrit Anrrich, aussi bien que archa (aussi dans
le Fuero juzgo), marcho (aussi dans Alex.), minchal, à côté
de arca, marco, mincal (ital. me ne cale). Mais la chuintante
romane, que possède aussi le basque, voulait un signe particulier ;
on choisit alors, comme dans le provençal et peut-être
sous son influence, l'aspirée gutturale latine qui convenait assez
bien 1174.

Étymologiquement, la nature de cette lettre complexe et
difficile n'est point, tant s'en faut, éclaircie dans tous les sens. Ce
qui suit n'est qu'une maigre esquisse de ses rapports multiples.
Ch provient : 1) du latin ce, ci, dont il ne fait alors que
reproduire, comme en italien, une prononciation plus épaisse :
chinche (cimicem) etc., cf. en basque chingola (cingulum).
2) De s dans choclo (socculus), chuflar (sufflare) ; de même
en basque chardina (sardina), chimihoa (simia) etc. — 3) De
cl, pl, tl, fl, à l'initiale et à la finale : chabasca (clava), chanela
(planus), hacha (facula), cacho (catulus), hinchar (inflare).
4) De ct : dicho, lecho etc. — 5) De pt dans malacho
(male aptus). — 6) De lt : cuchillo (cultellus), mucho.
7) De l'arabe sch : achaque (schakâ). — 8) Il répond
au ch basque, par ex. dans chacona, chaparra, charro. —
9) De même au ci ou sci italien dans chancha, facha, charlar,
bicha. — 10) Très-souvent il rend le ch français : champion,
chaza, marchar, merchante ; l'allemand sch dans chamberga
(Schomberg), chorlo (schörl). — 11) Dans chubarba (joubarbe),
pichon (pigeon), il répond à la chuintante douce française. —
12) Souvent il coexiste avec z, cf. chamarra et zamarra,
342chanco et zanco, chiba et ital. zeba ; ainsi le basque borcha
= esp. forza, marchoa = marzo. Il se trouve aussi dans des
mots qui sont empruntés aux langues de l'Amérique du Sud.

X

se prononce de deux manières.

1. En tant que son composé, il se prononce comme en latin,
c'est-à-dire comme cs ou, un peu plus faible, comme gs. Cette
prononciation ne se rencontre qu'au milieu des mots ; c'est la seule
usitée devant les consonnes et celle que prend presque toujours la
particule ex, même devant les voyelles, et aussi extra, par ex.
sexto, excepto, examen, extrangero, extremo ; elle se retrouve
dans beaucoup d'autres cas, comme laxo, luxo, maximo, proximo
employé comme adjectif, flexible, fluxion, sexo ; dans les
noms propres, comme Praxiteles, Zeuxis. Pour assurer cette
prononciation, on munissait d'ordinaire la voyelle suivante d'un
accent circonflexe, ainsi l'on écrivait exâmen. L'orthographe
moderne écrit x sans cet accent.

2. En tant que lettre simple, x sonne comme le j espagnol
(voy. ci-dessus) et se présente à l'initiale, à la médiale et à la
finale. Il provient dans ce cas (où il est à peu près parallèle à
l'ital. sc) : 1) De l'x latin : Xerxes, Alexandro, dixo, exemplo,
exercito, proximo comme substantif, et beaucoup d'autres.
2) Quelquefois de sc qui cependant donne ordinairement
z : faxo (fascis), pexe (piscis), Ximena (dans les
chartes Scemena Escemena Semena). — 3) De ss et d's
simple : baxo, páxaro (passer), carcax (ital. carcasso),
xeringa (syrinx), ximia, Xelanda (Seeland), qu'on écrit
aussi Gelanda, xorgina jorgina (basque sorguina), dans les
chartes Xanxon (Samson), Ximon (Simon), Xuarez (Suarez).
4) La chuintante arabe sch a également pris cette
prononciation gutturale, comme dans xaqueca (schaqîqah),
oxalá (enschà allah). Quelquefois, comme dans xefe (chef),
le ch français est traité de même, mais d'ordinaire il est représenté
par ch. — L'orthographe moderne n'admet plus l'aspirée
x, elle la rend tantôt par j, tantôt par g (voy. ci-dessous au J).

Dans quelques mots, x se trouve aussi à la finale et se
prononce aspiré : box (buxus), carcax (ital. carcasso), relox
(horologium), plur. relojes. Les modernes écrivent aussi
reloj etc.343

G.

1. Comme douce, g se trouve devant a, o, u et devant les
consonnes ; devant e et i il s'écrit gu, par analogie à l'orthographe
correspondante de la forte qu. Dans cette combinaison,
u est donc muet ; si on veut le faire entendre on le munit d'un
tréma : agüero, argüir. Devant a et o, u se prononce toujours.
G provient d'abord de la douce latine et en outre : 1) De la
forte, rarement à l'initiale, comme dans graso, guitarra
(κιθάρα), où il est très-usité en basque : garizuma (quadragesima),
gatua (catus), gauza (causa), gastelua (castellum), gambara
(camera). G provient fréquemment de la forte au milieu du
mot, suivant l'habitude ordinaire du roman. En outre, l'espagnol
échange souvent sc pour sg (ce qui arrive aussi dans quelques
langues germaniques et celtiques), ex. asgo (apiscor),
fisga (goth. fiskôn), rasgar (rasicare), riesgo (ital. risco),
cf. aussi apesgar, nesga, sesgo, trasgo (voy. mon Dict.
étym.
). — 2) Des aspirées arabes ou allemandes, comme dans
garrobo (charrûb), degun anc. esp. (dihein). — 3) De l'i
palatal de certaines formes du présent : salgo, tengo, valgo
de salio, teneo, valeo. — 4) Du w allemand : guarir (warjan),
tregua (triwa) etc. ; de même du v arabe : Guadalaviar
(Vadelabiar) etc. ; rarement du v latin, par ex. gomito à côté
de vomito, cf. aussi le basque legamia (franç. levain), poroganza
(esp. probanza). — La provenance incontestable du g
d'un d dans quelques mots, comme gazapo (dasypus ?), golfin
(delphinus), gragea (franç. dragée), est singulière ; cf. mon
mon Dict. étym. s. v. camozza I.

Dans GN, g garde le son guttural qui lui est propre : gnomon,
digno, signo ; il est donc bien distinct du gn italien et
français 1175.

2. Devant e et i, g a la valeur du j espagnol, c'est-à-dire
d'une aspirée. Il est à peu près impossible à l'étranger, dit
Velasco, d'émettre ce son : formase con el medio de la lengua
inclinada al principio del paladar, no apegada á el ni
arrimada á los dientes, que es como los estrangeros la
344pronuncian
, p. 116, 117. Devant les autres voyelles, ce son est
rendu dans l'ancienne orthographe par un j ou par un x, dans
la moderne seulement par j.

J,

signe caractéristique de l'aspirée gutturale espagnole, que rendent
aussi, mais dans certains cas seulement, l'x et le g : les plus
anciens monuments de la langue lui donnent déjà cette valeur.
Il se prononce presque comme le ch allemand dans doch, ach,
mais il sort du fond du gosier. On a dit que le j espagnol
(en admettant que sa prononciation remonte à des temps
reculés, nous reviendrons sur ce point) provient de l'arabe
ou du gothique ; c'est là une légende souvent reproduite, qui est
contredite par ce fait que l'aspirée gutturale arabe est rendue en
espagnol par un son d'organe différent (p. 306) et que le
gothique n'a pas d'aspirées gutturales propres 1176. D'ailleurs il
manque aussi au basque qui ne le connaît que dans des mots
empruntés au castillan (Larramendi, Dicc. I, XXX) et qui
l'exprime souvent par ch palatal : bachera = esp. baxel,
alporchac = alforja, chucatcea= enxugar. Dans l'ancienne
orthographe, j ne se distingue pas encore rigoureusement de
x ou de g (on écrit même, par ex., fixa au lieu et à côté de fija,
du latin filia, comme Apol. 193). Mais il est déjà prédominant dans
certains cas, où devant e et i il est cependant parfois remplacé
par g. Il provient : 1) du j latin : jamas, juego. — 2) De i
palatal : jornada, ajero (allium), hijo, granja (granea),
mais ageno, estrangero, c'est-à-dire qu'on met habituellement
g devant e et i. — 3) De la douce g : jalde (galbinus),
jardin. — 4) De nc, tc, dc : manjar, salvaje, miege arch.
(medicus). — 5) De cl, gl, tl, pl : ojo, cuajar (coagulare),
viejo, manojo (manipulus). — 6) Du g palatal arabe, par ex.
jarra (garrah), julepe (golab). Aussi du français ge : jalea
(gelée), jaula (geôle). — Sur j au lieu de l'll espagnol (jamar
pour llamar), voy. ci-dessus p. 195.

L'usage des trois lettres employées à rendre l'aspirée gutturale
345est réglé par l'orthographe moderne (1815) comme il suit :
1) G reste là où le latin l'a déjà, ainsi dans gente, gigante,
regir. 2) Il représente souvent l'aspirée x devant e et i : egemplo,
egercito, egecutar, Gérges ou Jérjes, Genofonte.
3) J reste quand le latin l'a déjà : jamas, Jesus, justo. 4) Il
représente l'x guttural devant a, o, u, par ex. Alejandro,
deja, Quijote, enjuto ; devant e et i dans plusieurs mots,
comme jefe (aussi gefe), jeque, tijeras, projimo, Mejico ;
surtout dans les flexions et les dérivations, lorsque déjà le radical
a un j : fijar fijé, bajo bajeza, paja pajita. On écrit aussi
dije (dixi), duje (duxi). 5) X, en tant qu'aspirée, comme dans
relox, est réservé exclusivement à la finale.

On a récemment fait la remarque intéressante qu'avant le
XVIe siècle, c'est-à-dire exactement avant 1501, les aspirées
gutturales espagnoles (j, g ou x) se prononçaient autrement
que maintenant : elles étaient palatales, comme en portugais et
encore de nos jours en Galice, en Asturie et sur les côtes de l'est
de l'Espagne (j = j français, x = ch français), en sorte que
cette prononciation était autrefois répandue sur toute la péninsule.
Ce point est traité par le grammairien espagnol Monlau
dans sa dissertation Del origen y la formacion del romance
castellano
, Madrid 1859. L'auteur regarde ce fait comme suffisamment
garanti par d'anciens ouvrages de grammaire ou
autres, composés tant par des indigènes que par des étrangers.
Engelmann est du même avis, Glossaire 1861, p. XXI et suiv.,
et s'appuie sur le passage des noms propres arabes en espagnol,
et aussi sur la mode de transcription des appellatifs arabes en
lettres espagnoles par Pedro de Alcala (1517), auquel j et x
servent indifféremment à rendre le dsch et le sch arabes. Mila y
Fontanals, Trov. en Esp. p. 460, semble aussi être de cet avis ;
quant aux anciens grammairiens, comme Aldrete et Covarruvias,
ils ne touchent pas ce point, Mayans, plus récent, pas davantage.
Le dictionnaire de l'Académie se contente de dire sur la lettre x :
ténia en lo antiguo un sonido ó pronunciacion mas suave, que
aún se conserva en Galicia
etc. Pour Velasco (1582) la prononciation
est nettement gutturale, car d'après lui elle est très-difficile
pour les étrangers, observation qui ne pouvait s'appliquer
dans sa pensée à la palatale. Un argument contre la valeur
prétendue de l'ancien j ou x espagnol est fourni par ce fait que
ce n'est pas j ou x qu'on employa pour rendre les aspirées
arabes, mais bien f (voy. ci-dessus p. 306). Il appartiendrait à
la grammaire de rechercher les causes qui, alors que le caractère
346de la langue était déjà nettement formé, ont pu déterminer
des changements si frappants 1177.

Y

fait aussi (comme en anglais) l'office d'une consonne et se prononce
alors comme le j allemand précédé d'un léger i, comme
dans l'y français, en tant que essayer peut se résoudre en
essai-ier. A la médiale, y entre voyelles est toujours considéré
comme consonne, à la finale toujours comme voyelle, en sorte
qu'au pluriel reyes il est d'une nature autre qu'au singulier
rey. Il provient : 1) du j latin : ya (à côté de jamas), mayo,
Pompeyo. — 2) Il prend la place de ge à l'initiale dans yelo etc.,
voy. ci-dessus p. 250. — 3) Il remplace i lorsque la diphthongue
ie à l'initiale se rend par ye (yedra, voy. ci-dessus p. 333) ; de
même entre deux voyelles lorsque la seconde est tonique, comme
dans cayó, leyeron, royese pour ca-ió, le-ieron, ro-iese. —
Il s'intercale par euphonie après l'u tonique, suivi d'une seconde
voyelle, comme dans arguya, contribuye, tuyo pour argua etc.

H

est muette, d'où qu'elle vienne. Aussi déjà dans la plus ancienne
littérature est-elle souvent omise ; on trouve aber à côté de
347haber etc. Son origine est multiple. Elle provient : 1) De l'h
latine qui est toujours conservée : haber, héroe, honor ; de même
de l'h allemande : halar (halon), heraldo. — 2) De l'f latin
ou étranger, par ex. haba (faba), hoja (folium), alhondiga
(arabe alfondoq), halda (anc.h.allem. falt), Hernando (Fridnand).
On chercherait en vain cette h dans le Poema del Cid ;
dans Berceo on la trouve déjà : on y lit hascas à côté de fascas,
herropeas à côté de ferropeas ; dans l'Infant Manuel on ne
trouve guère que f ; dans Ruiz hadeduro à côté de fadeduro,
hedo pour fedo feo, hela pour fela, alahé pour alafé ; dans le
Fuero juzgo hebrero pour febrero. Dans la première moitié du
XVe siècle, par ex. dans Santillana, Juan de Mena, l'f est encore
prépondérant 1178. Il est à supposer que cette h, née d'une labiale,
n'était pas en principe un signe muet, que c'était plutôt une forte
aspiration. L'examen de l'ancienne métrique espagnole peut
appuyer cette supposition. Il n'y est jamais permis de traiter
comme muette cette lettre précédée d'une voyelle, et de la mettre
348sur la même ligne que l'h latine initiale, qui n'empêche pas
l'hiatus. Les poètes du Cancionero general scandent par ex.
esta | hermosa, de | hablar, viene | herido, me | hizo,
comme s'il y avait esta fermosa etc. Garcilaso fait encore de
même au XVIe siècle : alta | haya, no | hallaba, dulce | habla,
se | hartan. Mais Calderon scande déjà assez constamment sans
tenir compte de l'h, buena hacienda, solo hallaron, gran rato
hablaron
, de telle sorte que les syllabes na ha, lo ha, to ha ne
comptent métriquement que pour une seule, et les modernes
font toujours de même. Mais il y a encore d'autres témoignages
qui établissent qu'originairement l'h se faisait entendre.
Velasco remarque, sur cette lettre, que dans beaucoup de mots on
ne l'entend pas, en otras es tan gruessa la aspiration, que
llega a convertirse en
g (ce qui désigne ici le j), ainsi dans
hablar, hazer 1179. D'après un passage de Covarruvias, Tesoro
II, 46b, l'aspiration aurait été encore généralement perceptible
au temps où il écrivait (l'auteur était né vers 1600), mais
beaucoup de personnes la négligeaient déjà. Il dit en effet : los
que son pusilanimes, descuydados y de pecho flaco suelen
no pronunciar la
h en las dicciones aspiradas, como eno
por heno y umo por humo. On voit par ces exemples qu'il
s'agit de l'h substituée à l'f. Encore maintenant, comme l'affirme
entre autres Hervas, Orig. degli idiomi p. 66, en Andalousie
(et en Estramadure, comme le remarque le Dicc. de la Academia),
l'h s'aspire fortement : de là l'expression xándalo avec
aspiration, pour désigner ce trait de la prononciation andalouse.
Il est probable que là aussi c'est l'h provenant de f qui reçoit cette
prononciation. — 3) H provient aussi d'aspirées arabes, qui,
toutefois ont d'abord passé par f ; c'est donc un cas tout à fait
analogue au précédent : horro du vieux mot forro (arabe
ˁhorr), almohaza, anc.esp. almofaza (arabe almeˁhassah),
rehen ancienn. refen (arabe rahn). Dans les mots allemands
la même évolution est possible : anc.h.allem. hart, v.esp.
fardido, esp.mod. hardido, qu'on écrit toutefois seulement
ardido. — 4) Du v latin, avec f pour intermédiaire, voy.
sous cette dernière lettre. — 5) Souvent h, aussi d'après l'orthographe
moderne, est préposée à une voyelle : henchir (implere),
hedrar (iterare), hermita (eremita), hinchar (inflare) 2180.
349Mais ce fait se présente essentiellement : a) quand un g a disparu :
helar, hermano, hinojo, voy. ci-dessus p. 250. b) hie alterne
avec ye dans hiema yema, hielo yelo, hieso yeso, hiero yero
(ervum). c) h précède régulièrement la diphthongue ue, pour
rendre la forte aspiration qui en est inséparable : huebos arch.
(opus), huebra (opera), huele (olet), huerco (orcus), huerfano
(orphanus), Huesca (Osca), hueso (os), huevo (ovum) 1181. Au
lieu de h, l'espagnol employait encore une autre spirante, v, dans
vuedia (pour hueydia), vueste (pour hueste) Alx., comme
aussi le napolitain vuorco = esp. huerco, vuosso = esp. hueso ;
cf. encore le catal. vuit avec le fr. huit. Cette aspiration espagnole
s'est renforcée dans les dialectes (dans le royaume de Tolède
et d'autres pays, dit Velasco) en g, d'où les formes güebra,
güerto (huerto, lat. hortus), güeso, güespet (huesped) Apol.
141, pigüela (pihuela). — Aussi bien dans l'initiale hie, où elle
s'aspire plus doucement, que dans l'initiale hue où elle exprime
une forte aspiration, h est toujours une vraie consonne qui a une
valeur dans le mètre : tardo | hielo, pobre | huerfano.

P. B. F. V.

P provient de f dans golpe (colaphus) etc.

B, du moins entre voyelles, a une prononciation très-molle,
et a été souvent confondu en conséquence avec v, comme à
l'inverse v avec b, et cela dès l'origine : on écrivait berdat et
verdad, bolver et volver, bivir et vivir, haber et haver,
caballo et cavallo ; on rendait même la diphthongue au par ab
(p. 160) ; aussi Sanchez de las Brozas, par exemple, avertit-il
dans sa grammaire grecque que βῆτα ne doit pas se prononcer
comme vita. On voit que le b mis pour v était plus dur que ce
dernier, par l'action qu'il exerce sur une n placée devant lui : n
devient alors m, par ex. ambidos (invitus), embidia, comboy
(fr. convoi) etc., encore maintenant embestir (investire). Le
basque met partout b pour v. D'après les règles de l'orthographe
350moderne on doit prononcer et écrire ces deux lettres suivant
leur provenance ; quand celle-ci ne se voit pas clairement
on doit se conformer à l'usage existant. B dans quelques mots
comme abogado (advocatus), barrer (verrere), bermejo
(vermis), boda (vota), buitre (vultur), et v dans maravilla
s'emploient contrairement à l'étymologie. B ou v proviennent
de f dans cuebano (cophinus), Cristóval (Christophorus)
et quelques autres. De u dans Pablo (Paulus) ; 1182 dans quelques
mots le vieil espagnol l'employait aussi devant les consonnes
à la place de v : lebdar (levitare, esp.mod. leudar), muebdo
(movitus pour motus), comme Velasco le présume, il avait
aussi un son doux. De m dans bandibula (ma-), vervenzon
(vermis) Bc.

F a beaucoup perdu par son passage fréquent à l'h. En
revanche, dans quelques cas il provient de p et b : trofeo, golfo
(κόλπος), escofina (scob.) ; aussi de v qui, plus tard, est devenu
h en passant par f, par ex. lat. viscus, anc.esp. fisca, esp.mod.
hisca etc.

P ou b peuvent s'intercaler après m : compezar arch. =
comenzar, dombo = domo ; b, surtout entre m et une autre
liquide, voy. p. 200 ; il faut ajouter aux exemples cités des mots
arabes comme Alhambra et Zambra ; sur b ou v employés
pour faire disparaître l'hiatus, voy. p. 176.

Lettres portugaises.

Leur prononciation est tout à fait différente de la prononciation
espagnole, leur étymologie est à peu près la même, en sorte que
cette dernière n'a pas besoin d'une exposition particulière. L'orthographe
n'est point arrivée à un système fixe.

Voyelles simples.

Ces voyelles sont a, e, i, o, u ; y se présente aussi dans les
diphthongues et s'emploie en outre continuellement dans les
mots d'origine étrangère. Quant à la prononciation, qui contient
beaucoup de nuances délicates, remarquons seulement que a, e,
o atones rendent un son plus sourd, en sorte que a se rapproche
351de e, que e à la fin des mots sonne comme i dans les dialectes
et même à Lisbonne, et que o sonne comme u. Mais ce son est
très-faible, puisque les voyelles finales atones tendent à s'assourdir
presque entièrement ; c'est ainsi que freixo se prononce
aujourd'hui presque comme frex, dente presque comme dent.
Les anciens redoublaient fréquemment les voyelles, d'ordinaire
pour indiquer une syncope : aadem (anatem), fee pour
(fides), beesta (balista), vii (vidi), delfiis (delphini), coor
(color), póvoo (populus) ; mais arbitrairement aussi dans
certains cas, par ex. daa (dat), estaa, daraa, aveer.

Diphthongues.

Elles sont devenues, principalement par suite de l'attraction
et de la chute de consonnes, nombreuses et d'un usage fréquent.
L'existence des suivantes ne paraît pas douteuse : ÁE, ÁI, ÁO,
ÁU, ÉI, ÉO, ÉU ; ÍO, ÍU ; ÓE, ÓI, ÓU ; ÚE, ÚI ; , EÓ ;
IÁ ; OÁ ; UÁ
. Exemples : taes, pai, amais, pao, auto, pauta ;
lei
(ley), rei (rey), sei, ameis, amáreis, deos, mordeo, eu,
meu, seu, temeu ; vio, riu ; heroe, doe, boi, foi, pois, oiro,
ou, ouvir, sou, amou ; azues, fui, muito ; lactea, lacteo ;
gloria ; coalho
, agoa ; qual, igual, egua 1183. Quelques autres
comme , , ne se présentent que dans les mots savants :
quesito, inquirir, equoreo. Grâce à la parenté de l'i atone et
de l'e, de l'u et de l'o, on trouve les formes ae et ai, ao et au,
eo et eu, io et iu, ue et ui, ua et oa dans le même mot l'une à
côté de l'autre, par ex. pae pai, mao mau, pao pau, deo deu,
deos deus, vio viu, azues azuis, agua agoa, lingua lingoa ;
parmi lesquelles au, eu, iu passent pour être des formes orthographiques
moins élégantes. On ne trouve pas en portugais les
sons communs au roman ie et uo ou ue, que remplacent ici les
voyelles simples e et o. Faisons encore quelques remarques sur
les plus importantes diphthongues.

AI

naît par attraction, comme dans aipo (apium), caivo (capio),
gaivota (esp. gaviota), raiba (rabies) ; quelquefois par suite
352de la chute d'une consonne, comme dans vaidade (vanitas),
cantais (cantatis). Dans aplainar et esfaimar la diphthongue
paraît due à l'influence française (plain, faim).

EI

se forme de la même manière que ai, par ex. dans feira (feria),
canteis (cantetis). Elle provient aussi de la résolution d'une
consonne : direito (directus), inteiro (integrum), receitar
(receptare). Mais ce qui est particulier c'est sa provenance :
1) de ai, que conservait encore partiellement l'ancienne langue,
ex. Janeiro (ancienn. janairo), eira (aera), frei (esp. fray),
beijo (basium), feito (factus), cheirar (fragrare), feixe (fascis),
seixo (saxum), leigo (laïcus). — 2) De e long, par
euphonie : ideia, leio, feio, cheio, freio à côté de idêa, lêo,
fêo, chêo (plenus), frêo (frenum).

OI.

Cette combinaison naît aussi le plus souvent par suite d'une
attraction ou de la résolution d'une consonne, cf. coiro
(corium), goiva (esp. gubia), agoiro (augurium), noite
(noctem), oito (octo). C'est, en outre, une forme secondaire
et très-usitée de ou : ainsi dans coisa, coito, goivo, loiro,
oiro, mais on ne trouve pas oi (aut), oiso (ausus), poico etc.

UI

est le produit de l'attraction dans ruivo (rubeus). Mais cette
diphthongue a encore une origine particulière, et qui diffère de
celle des diphthongues précédentes : elle provient de la combinaison
ul dans buitre, escuitar, muito (p. 192).

OU

est : 1) la forme nationale de l'au latin, par exemple dans
cousa, ouro, pouco, roubar (allem. rauben), mais on trouve
aussi quelquefois oi. — 2) Souvent (dans les parfaits) il provient
par attraction de a-u : houve (habui), jouve (jacui) etc., et
aussi de o-i, u-i, auquel cas ou est pour oi, par ex. couro, mouro
(morior), Douro (Durius), agouro. — 3) Il provient de la résolution
d'une consonne ; dans ce cas, il correspond d'ordinaire à l'espagnol
au ou o : ainsi dans : doutor (doctor), frouxo (fluxus),
boutiçar arch. (bapt.), outro, poupar (palpare). — 4) Dans
quelques mots, comme chouvo (pōpulus), touca (esp. toca),
grou (lat. grus), poupa (upupa), dans les formes du présent
353dou, estou, sou, c'est un simple allongement euphonique de l'o
ou de l'u. — Des chartes galiciennes attestent que cette combinaison
s'est formée de bonne heure, par ex. escoupos Esp.
sagr
. XL, 375 (ann. 841), Mougani, Pousata, Ilioure ibid.,
p. 384 et suiv. (ann. 897).

Il existe aussi quelques vraies triphthongues, comme UAE,
UAI, UEI : iguaes, averiguais, averigueis.

Consonnes.

C'est surtout dans les consonnes que s'affirme le mieux la
différence de l'espagnol et du portugais. L'aversion du portugais
pour le système phonique espagnol, son inclination pour
le système phonique français se montrent dans les points les
plus importants. A la place des aspirées espagnoles, le portugais
a deux chuintantes, l'une plus forte, l'autre plus faible, toutes
les deux semblables aux chuintantes françaises. Mais ce qui rapproche
le plus le portugais et le français, ce sont les nasales.
Il est d'ailleurs facile de constater que nous n'avons plus sous les
yeux les consonnes portugaises dans leur pureté et leur primitive
symétrie. Toutes les palatales, par exemple, ont modifié
leur prononciation et sont devenues des sons simples ; elles se
sont, par suite, mêlées aux consonnes simples primitives, ont
troublé l'organisme de la langue et introduit l'uniformité. —
D'après une règle d'orthographe ch, ph, th, rh se conservent :
christão, philosophia, theologia, rhythmo. — A la finale, les
consonnes portugaises se comportent presque comme les espagnoles,
cependant n et d en sont exclus ; m est admise. Les
noms propres étrangers, Acteon, David, Madrid font exception.

Le portugais conserve d'ordinaire le redoublement sans
le faire entendre ; il écrit gibboso, abbade, bocca, accordar,
addição, differir, affligir, aggravar, allegar, flamma,
anno, oppresso, terra, crasso, metter, attender, mais aussi
giboso, boca, acordar, flama, meter, atender et de même
bola, cepo etc. Dans le cas d'assimilation, le redoublement est plus
rare : avesso (aversus), esse (ipse), gesso (gyps). La consonne
multiple s'écrit souvent aussi, même sans qu'elle se prononce :
par ex. affecto se prononce affegto ou affeto ; optimo, obtimo
ou otimo. Entre une muette et une liquide quelques personnes
croient entendre (ce qui est peut-être entendre trop subtilement)
un hiatus, par ex. brando se prononcerait comme b'rando,
354avec un e intercalé à peine sensible, et de même c'lemente,
p'resença, ag'radavel, ag'nação. Devant l's impure, comme
dans spirito, on croit de même saisir un léger e. Psalmo se
prononce ordinairement salmo.

L. M. N. R.

N provient dans dano etc. de mn, et dans les cas même où
cette combinaison s'écrit, m d'habitude ne s'entend pas, comme
dans calumnia, solemne. R se prononce, comme en espagnol,
tantôt dure, tantôt douce. La prononciation forte était souvent
indiquée autrefois par un redoublement, même à l'initiale :
rrecebam, rregnos, rrestidos, genrro, onrra, palrrar.

L'l et l'n mouillées sont écrites, comme en provençal, lh et
nh ; cette orthographe semble avoir été empruntée à cette
dernière langue, d'autant plus que si l'on en croit le témoignage
de S. Rosa, elle ne commence qu'au XIIIe siècle. En effet il est peu
probable que plusieurs peuples aient inventé séparément ces
notations ; et les textes prouvent que le provençal les a eues
avant les autres. Après d'autres consonnes aussi l'h rend chez les
anciens l'i palatal, ainsi dans sabha, escambhar, vindymha,
bestha, au lieu de sabia etc. Au lieu de lh et nh ils emploient
également ll et gn : alléo, muller, mellor, pegnorar, segnor.
A l'initiale, le mouillement a lieu seulement dans lhama (étoffe),
lhano, lhe (pronom), anc.portug. nho (pronom). — LHcorrespond
étymologiquement à l'esp. ll Il est pour ll dans belho,
grilha ; pour l avec i palatal dans batalha, même dans des
cas où l'espagnol met j : filho, alhêo ; enfin pour cl, tl, gl, pl
dans abelha, selha, telha, escolho.

NH provient de nn dans canhamo etc. ; souvent de n
simple : ordenhar, caminho, rainha ; de n avec i palatal
dans banho, vinha ; rarement de gn ou de ng, comme dans
desdenhar, renhir.

M a encore une autre fonction ; à la fin du mot elle rend nasale
la voyelle qui la précède immédiatement, en même temps qu'elle
perd sa prononciation de labiale, ce qui, toutefois, ne modifie
pas, comme en français, l'essence de la voyelle ; e ne se prononce
pas comme a, i comme e, u comme ö : tam, bem, ruim, bom,
algum. N prend part à cette fonction de m, en ce sens qu'elle en
fait partout l'office devant s finale, exemples : tem (lat. tenet),
tens (tenes). Au milieu de beaucoup de mots, à la fin d'une
syllabe, on entend également ce son nasal, ainsi que devant
m et devant n, par exemple dans tambem, emplastro,
355emfadoso, ainda, andar, doente, hontem, monte (Constancio
et autres) 1184. — Les syllabes finales méritent une attention particulière
en ce qui concerne l'écriture, la prononciation et l'étymologie.
D'après l'écriture moderne, m s'omet dans la plupart des cas
et la voyelle s'écrit avec un accent circonflexe (til = esp. tilde) ;
devant s on met d'habitude une n. On sait que ce petit trait, comme
en espagnol, n'est pas autre chose que le signe d'une n supprimée.
Ainsi on lit dans les anciens manuscrits gran et grã,
tan et , quen et quẽ, ben et bẽ, non et  ; mais aussi avec
une m, dont la valeur nasale devait être connue par le français,
bem, nom. L'incertitude dans l'orthographe persiste du reste jusqu'à
nos jours. Les uns placent le til sur la première voyelle, les
autres sur la seconde, quelques modernes (Sousa-Botelho dans son
édition des Lusiadas, Paris 1819, in-8°) sur les deux voyelles en
même temps : vão, vaõ, va˜o. — Etymologiquement, la nasale
portugaise renvoie toujours à l'n espagnole quelle qu'en soit
l'origine, par ex. quem = esp. quien (quem), desdem =
desden (dignus), nem anc.esp. nin (nec). Mais au pronom
mim ne correspond pas un min espagnol. — Les différentes
formes sont les suivantes : 1) am, ão dans l'orthographe
moderne (qu'on doit prononcer comme ao nasal ou au avec a
assourdi), est etymologiquement identique aux désinences espagnoles
ano, an, on, par ex. irmão (esp. hermano), volcão,
amão, coração, et de même não, são, condição, acção. En
outre ãos dans le pluriel irmãos etc. — 2) ãa, quelquefois écrit
an, qu'on doit prononcer de telle sorte que le second a résonne
356très-brièvement après le premier dans une seule syllabe : irmãa,
lãa (lana), vãas (vanas). — 3) aens, et maintenant plus ordinairement
ães, que l'on doit prononcer presque comme ãis : cães
(canes), pães (panes). — 4) ãi seulement dans mãi (mater).
C'est avec mim le seul exemple de prononciation nasale dans
lequel ni m ni n latines ne sont en jeu. Cependant on trouve
aussi, à côté de mui et muito, mũi et mũito (multum) ; le manuscrit
de Dom Diniz a mũy et mui. — 5) em à côté de ens ou ẽes :
homem, bem, vem, fiem ; homens homẽes, tens tẽes. —
6) im et ins, et non ĩ, ĩs : jardim, ruim, ruins. — 7) om et
ons : bom, plur. bons, com, som (sonus), tom (tonus). —
Du reste le om organiquement correct et qui répond aussi au
pluriel ões a été remplacé par am ou ão, et les formes condiçom,
companhom, tabelliom, colhérom, dissérom, ficárom (ficarum
SRos. I, 165) sont archaïques et n'existent plus que
dialectalement entre Minho et Douro. Déjà chez les anciens, am
s'employait fréquemment pour om, par exemple dans Garcia
de Resende nam, sam, coraçam, sojeiçam. — 8) oem, plus
ordinairement õe (õi), se trouve dans põe (esp. pon). Ajoutons
encore oens, ões = esp. ones, par ex. corações, limões,
leões, pões, et le nom Camões (disyllab.) latinisé Camonius.
9) um ou ũ, uns ou ũus, par ex. hum, plur. huns, fém.
huma, hũa et même hua, de même algum, algũus, alguma
algũa
(trisyllab.), lũa et lua (luna).

T. D.

La douce ne prend pas la prononciation espagnole ; d'ailleurs
elle ne se présente pas à la finale, excepté dans des mots étrangers
(où elle se fait suivre d'un e faible). L'insertion d'un d entre
l et r, n et r n'est pas usitée ici, mais elle se rencontre après l :
humilde, rebelde, toldo.

S

se prononce dure, seulement entre voyelles elle est plus douce,
comme le z portugais. A la fin d'une syllabe elle est accompagnée
d'un léger sifflement. Les anciens indiquent souvent la
prononciation forte par un redoublement, comme dans ssas,
ssaber, sse, ssem, cansso, conssolar.

Z

se prononce comme le z français, c'est-à-dire comme l's douce, et
s'emploie pour elle, comme dans cauza ; mais il est plus dur quand
357il termine le mot, ou quand une syllabe est venue s'ajouter a la
syllabe finale qu'il terminait, par ex. perdiz, perdizes ; fiz,
fizeste, fizemos. Le z portugais est d'un emploi plus restreint
que l'espagnol auquel il ne correspond pas en tout point. Il
s'emploie, il est vrai, également pour le z grec et étranger, mais
ne représente que rarement t avec i palatal (dureza, razão,
abestruz), car pour l'espagnol marzo, pozo, le portugais écrit
março, poço etc. La plus grande différence consiste en ce que
souvent il s'emploie pour c, surtout dans les verbes de la deuxième
et de la troisième conjugaison : adduzir, dizer, fazer, prazer,
luzir ; doze (duodecim), fazenda, juizo, azedo, vazio
(vacivus), donzella, animalzinho.

C. Q.

1. Le c guttural et le q se comportent comme en espagnol.

2. C devant e, i, aussi bien que ç devant a, o, u se prononcent
comme le ç français, c'est-à-dire comme une s dure.
Mais dans les dialectes cette sifflante a le son de , et il faut
reconnaître ici l'ancienne prononciation. Dans cce, cci le premier
c est tantôt prononcé guttural, tantôt supprimé, c'est-à-dire
qu'on dit en portugais tout aussi bien acção que ação, succeder
que suceder. — Étymologiquement, l'origine du c devant e ou
i est essentiellement la même que celle du ç espagnol, comme ç
devant a, o, u correspond au z espagnol. Exemples : cedilha
(mais zephyro, azeite, non cephyro, aceite), torcer, graça,
lenço, poço, presença, feitiço, laço, braço, arcipreste,
cerrar, cifra. Cette langue ne connaît pas le ci espagnol pour
gi (arcilla). — On aperçoit facilement que la distinction étymologique
entre ç et z n'est pas d'une pureté complète : graça
(gratia) et dureza (duritia), calça (calceus) et juizo (judicium)
se contredisent, mais les autres langues romanes aussi
confondent les groupes ti et ci. Du reste la distinction que fait
le portugais entre ç et z se fonde sur l'ancienne langue et
prouve une ancienne différence dans la prononciation, que ne
connaît pas l'espagnol. On lit par exemple dans le Cancioneiro
inedito
et dans Dom Diniz dizer, fazer, prazer, coraçon,
forçar, esperança, faça (faciat) ; il en est de même dans le
Cancioneiro de Resende.

CH.

Il a le son du ch français, mais dans le Tras-os-Montes il a
celui du ch espagnol, qui est certainement le son primitif. —
358Quant à son origine, elle est à peu près la même que celle du ch
espagnol. La différence la plus importante consiste en ce que,
à l'initiale, il correspond d'habitude à l'll espagnol, lorsque cet
ll provient de cl, pl, fl : chamar, chorar, chama = llamar,
llorar, llama. Dans les mots qui ne sont pas latins, comme
patriarcha, archanjo, cherubim, chimica, ch a la prononciation
du k et se confond pour beaucoup de personnes avec c
ou q. Dans charo (carus) et charidade il a aussi cette prononciation ;
il est possible que cette orthographe ait été empruntée
au français.

X

a un son multiple.

1. Dans les cas où en espagnol il a conservé sa prononciation
latine, x se prononce en portugais comme s, mais en faisant
habituellement précéder ce son de celui de l'i : explico (comme
eisplico), extremo, exordio ; mais aussi dans exemplo, exercer,
exercito. L'ancien portugais écrit souvent aussi eixete
(exceptus), eixeção (exceptio), voy. S. Rosa. Dans d'autres
mots, comme convexo, fluxo, nexo, praxe, reflexão, sexo,
on le prononce cs. A la fin des mots, on le prononce comme s ou
z, qui peuvent aussi le remplacer, par ex. calix calis caliz.

2. Comme le ch portugais moderne, il a un son chuintant
presque dans tous les cas où il correspond à l'x guttural espagnol
ou au j, avec lesquels il coïncide aussi étymologiquement,
par ex. coxa, peixe, baixo, oxalá, calexe (calèche). On entend
même le son chuintant : fluxo, nexo etc. (Constancio). La
confusion des deux lettres x et ch n'est pas rare : on écrit
xafariz et chafariz, xambre chambre, xarua charua,
xibança chibança, xofre chofre, xupar chupar.

G. J.

1. G guttural et gu se comportent, au point de vue de la
prononciation et de l'origine, comme en espagnol. Seulement le
renforcement du j (i) en g n'est pas usité ici : pour valga on
prononce valha. A côté de gua on trouve l'anc.portug. goa,
par ex. goarda pour guarda, ce qui rappelle agoa pour agua.
Les anciens écrivaient aussi avec un u muet amiguo, diguo,
loguo, paguar, comme en provençal. — Dans gn, g est
sensible, par ex. dig-no (mais aussi dino), mag-no (dans
Camoens manho à la rime), mag-nanimo.

2. G devant e et i, et j devant toutes les voyelles, se prononcent
comme les mêmes lettres françaises. En se référant à
359l'histoire du ch on pourrait voir dans dj le son primitif, mais
nous n'avons pas de preuves à l'appui de cette hypothèse. —
Étymologiquement, cette chuintante douce coïncide à peu près
avec l'aspirée espagnole, par ex. dans jamas, ligeiro, granja,
jardim, jarreta, jalde, selvagem, jarra, jaula. Mais la
chuintante portugaise ne sert pas, comme le j espagnol, à exprimer
les groupes latins cl, pl, tl.

H.

Elle est muette, mais on l'a conservée pour l'étymologie comme
en espagnol ; on l'a même préposée à quelques mots tels que he
(est), hir (ire), hum (unus), afin de leur donner pour l'œil un
peu plus d'ampleur.

P. B. F. V.

Le son du b est resté pur. Après m il se trouve quelquefois intercalé :
tambo (thalamus), tarimba (persan ˁtarîmah), tómboro
(tumulus). V est souvent échangé avec b dans les dialectes,
entre Minho et Douro : bento pour vento, binho pour vinho.
Il est intercalé pour annuler l'hiatus dans louvar, louvir, etc.
(p. 176). On trouve chez les anciens f redoublé à l'initiale :
ffago, ffalsas, ffillos, fforo, ce qui semble indiquer une prononciation
plus dure. Les labiales ne présentent d'ailleurs rien de
particulier dans la langue lusitanienne.

Lettres provençales.

Les moyens qui peuvent nous servir à fixer la prononciation
provençale, en dehors de ceux que nous offrent l'organisme même
de la langue et la comparaison avec d'autres dialectes, nous sont
fournis par les anciens travaux sur la grammaire et par les
dialectes modernes qui, précisément sur ce point, ont gardé, plus
fidèlement que dans la syntaxe et dans la flexion, l'héritage de
l'ancienne langue. Les deux grammaires (citées dans l'introduction,
p. 96) de Uc Faidit et Raimon Vidal ne traitent pas ce
sujet ; tout au plus dans Raimon est-il question de syllabes
brèves et longues ; en outre la prononciation provençale est
comparée une fois à la prononciation française. Mais la poétique
connue sous le titre de Leys d'amors a souvent égard à la
valeur des lettres et à leur orthographe. Il est vrai que cet
ouvrage fut composé quand la décadence de la langue avait
360commencé, vers le milieu du XIVe siècle, mais jusque là cette
décadence n'atteignait encore que quelques traits de la grammaire
et le style, mais non la prononciation. On ne doit pas s'attendre
à ce que les scribes du XIIIe siècle soient arrivés à une orthographe
fixe, bien que plusieurs d'entre eux ne manquent réellement
pas de principes ou de notions orthographiques. Cette
incertitude dans l'écriture ne présenterait pas de difficulté
particulière si l'on pouvait tracer partout avec sûreté la limite
entre l'orthographe et le dialecte. Quar, par exemple (lat.
quare), est-il seulement graphiquement différent de car, ou
s'en distingue-t-il phonétiquement comme une forme archaïque
ou dialectale ? La poésie admettait une grande quantité de
formes, c'est-à-dire des formes variées du même mot. Un seul et
même poète emploie à la rime, où l'on ne peut admettre une
falsification du copiste, fau et fatz, plai platz, faire far,
conques conquis, ditz di. Il ne faudrait pas se hâter d'en
conclure qu'on prononçait, par exemple, quar autrement que
car, altre autrement que autre ; les premières formes pouvaient
être une orthographe étymologique ou traditionnelle. On ne
réussira pas de sitôt à résoudre toutes les difficultés de cette
espèce ; il s'agit d'abord de bien les comprendre et de les
exposer 1185.

Voyelles simples.

A.

Les cas dans lesquels a provient de voyelles autres que l'a
primitif sont rares. Il provient de o par exemple dans dama,
emprunté peut-être au français, de même dans ara (hora) ; de
e dans vas pour ves vers (versus comme préposition) ; de ei
allemand dans gazanhar etc. — A la finale, a atone se prononçait
sans doute comme en italien. Les dialectes modernes l'échangent
presque tous pour un o, qui, d'après Sauvages, a une prononciation
intermédiaire entre l'o pur et l'e muet français, ou bien
361équivaut à l'o italien dans fatto : anc.prov. camba, prov.mod.
cambo, franç. jambe. Ou s'écrit aussi pour o, spécialement
dans la Provence (dont le nom se prononce maintenant Prouvençou).
Ce changement dommageable paraît être encore
inconnu aux documents du XVe siècle 1186 ; au XVIe, il est décidément
accompli. Le poète bien connu Brueys d'Aix (fin du
XVIe siècle) écrit déjà causo, gouto. — Remarquons la notation
adoptée par un manuscrit de Paris (7698), au pour a devant n
(faun, venraun), qui se présente spécialement dans le Rouergue
et qui rappelle la forme identique roumanche (aungel, braunca)
plutôt que l'au anglo-normand.

E.

Les deux espèces d'e en italien et en français, l'e ouvert et l'e
fermé, ne se laissent pas discerner dans l'ancienne langue, car les
rimes ne font aucune différence. Uc Faidit se sert, il est vrai, en
parlant de syllabes qui contiennent un e, des expressions larg et
estreit, mais non pas dans le sens de l'italien largo et stretto (voy.
ci-des. p. 311, 312) : il veut désigner par là les longues et les brèves
prosodiques, cf. Chx. II, CLIII. Les dialectes modernes du Languedoc
connaissent, comme en français, un e ouvert, un e moins
ouvert et un e fermé, enfin un e très-fermé (ë) qui, s'il est
tonique, correspond à l'e ouvert, s'il est atone correspond ordinairement
à l'e muet français, cf. boutëlio (bouteille), cabëstrë (chevêtre),
bounëto (bonnet), (bien), burë (beurre).
Le catalan distingue un e et un o ouvert et un e et un o fermé
(Fuchs, Zeitw. p. 76). L'e ouvert manque absolument au
dialecte limousin.

I.

Comparé à l'i français, son emploi est plus restreint puisqu'il
provient rarement d'un e long ou d'une diphthongue. Il est
souvent et presque arbitrairement remplacé dans l'écriture par
y : y (ibi), ylh, cylh, yssir, yvern. Cette notation est très-fréquente
dans les diphthongues ay, ey, oy, uy et à l'initiale
devant la voyelle tonique, comme dans yeu (ego), yest (es).
Plusieurs manuscrits emploient aussi pour y le caractère allongé
j : suj, clamaraj, baissiej etc. 2187.362

O.

Dans l'ancienne langue, cette voyelle restait intacte comme en
italien ; dans la langue moderne elle a suivi généralement la
même direction que l'o français et est même devenue plus souvent
ou qu'en français : on prononce bouco (bouche), counfrountá,
courtino, flouri (fleurir), fouliá (fouler), fourco (fourche),
lougis etc., déjà dans une charte de 1378 (HLang. IV, preuv.
354) amourousa, touts, poudisse. Il y a encore des exemples
plus anciens, ce qui ne doit pas étonner si l'on songe à l'ancienneté
de l'ou en français et au contact des deux langues 1188.

U.

En provençal moderne il a le même son qu'en français (en
conséquence, pour rendre le son de l'u pur on écrit comme en
363français ou, et par suite aou, pour au). Les anciens doivent lui
avoir donné le son pur de l'u méridional, puisqu'il alterne
souvent avec v : blau blava, estiu estiva. C'est donc le même
u que dans le catalan, dont le provençal se rapproche plus, pour
la phonétique, que du français 1189. Il se confond fréquemment avec
l'o : mon et mun (mundus), dunc donc, duptar doptar.

Diphthongues.

Elles sonnent pleinement et sont d'un emploi fréquent, ce
qui fait que le vocalisme provençal contraste vivement avec la
sécheresse du vocalisme français. Leur classification est facile,
car ici on n'a pas admis les diphthongues du latin classique (ital.
aereo, portug. equoreo) qui ne font que troubler la symétrie de
l'organisme de la langue. Les Leys indiquent ÁI, ÉI, ÓI, ÚI ;
ÁU
, ÉU, ÍU, ÓU comme diphthongues propres, (gloria),
(miels), (fuelh) comme diphthongues impropres. Ajoutons-y
encore . C'est une bonne note pour les dialectes modernes
d'avoir conservé avec l'ancienne prononciation la plupart de ces
diphthongues. — Les diphthongues donnent souvent naissance
à des triphthongues.

AI

La langue aime ce son, qu'elle présente surtout dans les
radicaux (tandis que l'espagnol l'offre plutôt dans les flexions).
Il provient : 1) d'une synérèse, comme dans gai (gâhi), ebray
(ebraïcus), lay (laïcus), aire (aër), traire (trahere). — 2) De
l'adoucissement d'une gutturale, rarement de celui d'une labiale ou
de la chute d'une dentale : ainsi dans aidar (adjutare ajtar),
bailar (bajulare), flairar (fragrare), verai (veracus*), fait,
laissar ; caitiu (captivus), caissa (capsa) ; caire (quadrum),
paire, maire, emperaire. Devant ss = sz on le trouve dans
naisser (nasci), paisser (pasci). — 3) D'une attraction ou
d'une syncope : vaire (varius), cais (quasi), palais, aigla,
repairar (repatriare), bai (badius), glai (gladius), chai
(cadit), vai (vadit) et autres mots analogues. — 4) Dans aigron,
faida, gaire, lait etc., la diphthongue allemande identique s'est
364perpétuée. — 5) Assez souvent ai, en sa qualité de son plus
plein, prend la place de ei ; qu'on considère plais pour
pleis (plexum), Saine (Sequana), sais (cæsius, voy. mon
Dict. étym.), Saisso (Suessiones, franç. Soissons). — Des
chartes du sud de la France montrent déjà très-souvent cet ai,
comme dans Falgairolas Mab. Dipl. p. 572, Aigua HLang.
II, n. 7, Aigo à côté de Agio n. 46. 51. Remarquons encore la
forme ae pour ai, paer pour paire, maer pour maire (major)
dans l'Ev. Joh. ed. Hofm.

EI

provient : 1) de l'allongement de e (rare) : mei (me), tei (nom de la
lettre t dans le Boèce), trei (tres), veir (verus). — 2) De l'adoucissement
ou de la chute d'une consonne, par ex. peitz (pejus),
leial, reial, freit (frig'dus), lei, rei, dreit (directus), estreit
(strictus) ; eis (ipse) ; mei (medius), creire (credere), meire
(metere) ; de là creisser (crescere) et autres semblables. —
3) Par attraction de e-i, a-i : feira (feria), primeira (primaria).
D'ailleurs on trouve ei remplaçant ai dans les dialectes,
par ex. fei, reizon déjà dans la Passion du Christ, tenrei,
tornarei dans d'anciennes chartes Chx. II, 51 et suiv. prov.
mod. eisso, feizou (fazon), fleirá, leyssá 1190. Lorsqu'e vient à se
diphthonguer, il donne naissance à la triphthongue IEI, comme
dans fieira, lieys, miei, manieira, perfieit, premieira. —
On a des exemples anciens de ei et iei dans Pomeirs =
Pomiers Mab. Ann. III, n. 333 (ann. 891), Asinieyras
Mab. Dipl. p. 572.

OI

provient de même : 1) d'un adoucissement ou d'une chute de
consonnes : noit, point, coissa, oisor (uxor) ; hoi (hodie),
foire (fodere), noirir (nutrire) ; conoisser, escoissendre
(ex-conscindere). — 2) D'une attraction : moira (moriar),
foison (fusio), poissas (postea). La diphthongaison de l'o
engendre ici aussi des triphthongues, tantôt UEI, tantôt UOI,
comme trueia truoia, huei huoi, pueia puoia, mueira
muoira
, cueissa cuoissa.

UI

est : 1) le latin ui dans cui, fui, lui (ill' huic ?). — 2) Il est le
365résultat, comme dans les précédentes diphthongues, de l'adoucissement
ou de la chute d'une consonne : destruit (-uctus), duis
(duxit), cuissa (coxa), cuillier (cochlear), cuiar (cogitare) ;
pui (podium), buire (bútyrum), pluia (pluvia). — 3) De
l'attraction : vuidar (viduare), cuirassa (coriacea). De
même que o et u se prennent l'un pour l'autre, de même oi et ui,
car, à côté des formes ci-dessus, on trouve coissa, coirassa,
ploia, voidar, ainsi que soi à côté de sui (sum). Devant s,
i se perd facilement dans l'u, cf. autrus ( : us G. Riq. p. 199).

AU,

qu'on doit prononcer avec a plenisonan (voy. Leys II, 380,
áuzi est donné comme exemple) est aussi une diphthongue
favorite, que le provençal a conservée presque partout et qu'il
s'est en outre procurée par des moyens propres. Il correspond :
1) au lat. au, par exemple dans aur, causa, paubre. — 2) à
l'au allemand dans aunir (haunjan), blau, causir (kausjan),
raubar et beaucoup d'autres mots. — 3) Il provient de
l'o atone à la première syllabe du mot : aucir (occidere),
aulens (olens) Geistl. Lieder p. 13a, auriera (ora), Aurion
(Orion), raumaria GOcc. (romaria LRom.) ; cela fait penser à
l'anc.ital. auccisa PPS. I, 3 ou aulente et au latin ausculari
dans Festus et Placidus. Cette diphthongue naît aussi de eo ou
io dans une syllabe non accentuée, comme dans laupart (leopardus),
Launart (Leonhardus), Daunis (Dionysius). —
Au provient encore : 4) De la réduction d'une labiale dans auca
(avica), aul (pour avol), aulana (avellana), cau (cavus),
pau (pavus), pauruc (pavor-), aurai, laurar (laborare),
paraula, trau (trabs), laudaçisme (labdacismus) Leys
d'am
. III, 50, malaut (male aptus), saurai. — 5) De la
résolution d'un g, voy. ci-dessus p. 246. — 6) De la résolution
d'une l, quand une seconde consonne suit, et parfois aussi à la
finale, comme dans aut, sautar, baut (anc.h.allem. balt), mau
(malum), Pau (Palum). — 7) Au naît par attraction dans
caup (capui pour cepi), saup (sapui). AO pour au semble se
rencontrer rarement. Laorar, par exemple, est trisyllab.,
laurar disyllab. ; ces deux mots sont dans le même rapport que
paoruc et pauruc, cf. Leys I, 46. Cependant R. Vidal écrit
paraula à côté de paraola, et le Gloss. occ. mentionne faoda
pour fauda, nao pour nau ; aonidamens est dans la GAlb.
8647. — Le dialecte provençal moderne dit souvent oou pour
aou, par ex. foou (franç. faut), oousí (anc.prov. auzir),
366ooutan (autan), oourillo ; mais aussi claou, paou (pauc).

EU

ne correspond étymologiquement qu'en quelques points au son
mixte de la diphth. française eu (que le provençal ne connaît pas
encore, même aujourd'hui ; aussi prononce-t-il monsieur comme
moussu). Il renvoie, en effet : 1) à un eu originaire dans
Europa, reuma, deu, meu, reu, Orpheu, Clodoveu ; à peu
près aussi dans feu (anc.h.allem. vehu). — 2) Il naît de la
résolution d'une labiale, par ex. dans neu (nivem), freul (frivolus),
beure (bibere), neus (ne ipsum). — 3) De la résolution
d'une l dans feutat (fidelitas), noveus (novellus), veuzir
(vilescere) etc. — 4) Par suite de syncope dans teule (tegulum,
cf. villa Teulamen ann. 888 HLang. II, n. 8), veuva
(vidua vi'ua). — 5) Par attraction dans teune (tenuis), ereup
(eripui). — On trouve eo pour eu dans les manuscrits vaudois :
beotá, breo, deorian, greo. La diphthongaison de l'e engendre la
triphthongue IEU : dieu, mieu, fieu, nieu, Juzieu (Judæus),
Mathieu ; mais aussi romieu (ital. romeo), Andrieu (Andreas),
Angieus (franç. Angers), Peitieus (Poitiers). Dans
ces noms de ville la forme française semble plus juste, voy. Quicherat,
Noms de lieu 44.

IU

est très-usité et d'origine multiple. Il provient : 1) de l'iu latin
dans quandíus, tandíus, piu (pius). — 2) Il naît de la résolution
d'une labiale dans viure, escriure etc. — 3) De la résolution
d'une l dans abriu (aprilis), viutat (vilitas). — 4) Par
suite de la chute d'un d dans niu (nidus). — 5) Par attraction
dans niu (nubis), niule (nubilum), piuze (pulicem), piuzela
(pullicella) 1191. La diphthongue iu s'allonge dans la triphthongue
367IEU, qui, comme nous l'avons vu, provient aussi de
eu : abrieu Chx. III, 206, cieutat, escrieure, nieu, pieuzela,
rieu (rivus) ; prov.mod. vieoure, escrieoure, pieoucelo.
On trouve un ancien exemple de cette triphthongue, qui ne se
rencontre ordinairement que plus tard dans seignorieu HLang.
III, p. 134 (ann. 1174).

OU.

Cette diphthongue peu usitée, qui se prononce comme l'ou
portugais ou moyen-haut-allemand 1192, et dans laquelle les deux
voyelles se font distinctement entendre, provient uniquement de
l'affaiblissement d'une consonne : jous (Jovis sc. dies), nou
(novus), roure (robur), dous (dulcis), mounier (molinarius*).
Seuls, des manuscrits mauvais ou postérieurs diphthonguent
ça et là l'o simple en ou, ex. boula, boutar, fouratge,
poutz(puteus), voutz ; prov.mod. troou (trop), dooumage.
Ou provençal se distingue de l'ou français, bien plus usité, par
sa prononciation nettement diphthonguée, que le dialecte moderne
même n'a pas encore échangée pour la prononciation française,
cf. mooure (molere), ploou (pluit), soou (solidus). Souvent cet
oou devient en provençal moderne, par la prothèse d'un i, la
triphthongue IOOU, comme dans bioou (bovem), ioou (ovum).
— Dans le Béarn on disait au pour ou (dialectalement on
368trouve à l'inverse ou pour au, p. 366) : nau (novem), dijaus
(dies Jovis), Fanjau (Fanum Jovis), voy. Marca, Hist. de
Béarn
339, 598.

IE.

Contrairement à l'usage italien, le provençal conserve le i-é
latin dans les adjectifs participiaux et dans beaucoup d'autres
mots : obedi-en, paci-en, sapi-en, esci-en, Ori-en, obedi-ensa
etc., ebri-etat, pi-etat, propri-etat. Considéré comme
diphthongue, ie a la même origine que l'italien ie : fier, quier,
primier ; il est d'ailleurs, sauf dans les triphthongues, peu
usité : le dialecte du poëme de Boèce, par exemple, ne le connaît
pas du tout ; celui de Girart de Ross, aime à le remplacer par i
surtout devant lh : Bavirs (Baviers), cluchire v. 228 (cluchier),
milhs (mielhs), et aussi brius (brieus), sius (sieus).
EI se rencontre fréquemment à sa place, par ex. feira fiera
(feria), geit giet (jactus), peitz piegz (pejus).

UE,

comme diphthongaison de o bref, correspond tout-à-fait à l'ue
espagnol et représente aussi, bien que moins fréquemment, l'o
latin en position : fuec, muer, vuelf etc. Le dialecte de Gir.
de Ross
, emploie volontiers u pour ue, de même qu'il
met i pour ie : fuc (fuec), fulh (fuelh), pusca (puesca).
Lorsque ue est suivi de i, il donne naissance à la triphthongue
UÉI, comme dans estueira (storea), muei (modius), pueis
(post), prueime (proximus), tueissec (toxicum). Ue, écrit
oue, est encore en usage : occit. joueno, gascon loueng, et
particulièrement en prov. : bouen, oueil, demouero (anc.prov.
demora), fouesso (forsa), repouendre, vouestre. Dans
d'autres patois il s'allonge encore en ioue, ainsi dans iouei
(hodie), iouel (oculus), kioueisso (coxa). En Provence, ue
devient même oua, et se rencontre ainsi presque absolument
avec l'oa valaque (ou ayant ici la même valeur que o) : couar
(lat. cor), gouarbo (corbis), souarbo (sorbum), mouarto,
pouarto.

UO,

correspondant à l'uo italien, est étymologiquement égal à ue, dont
il n'est qu'une variante dialectale : fuec et fuoc, muer et muor,
puesc et puosc. Les Leys ne mentionnent pas cette diphthongue.
Dans le dialecte de la Provence elle est tout-à-fait habituelle à
369côté de oué : Claude Brueys, par exemple, écrit couor à côté de
couer, cuol (collum), consouolo, fouol, fouort, mouort.

Consonnes.

Le consonantisme provençal est situé à peu près à égale
distance du système italien et du système français moderne. Les
palatales ch et j répondent aux ć et ģ italiens ; la chuintante
simple () manque ou n'existe que dans les dialectes. S et z se
comportent comme en français ; toutefois z paraît être de double
nature. Le j guttural manque comme son isolé, mais il existe
phonétiquement en qualité d'i palatal, c'est-à-dire appuyé à
d'autres consonnes, comme dans batalha, campanha. Les
nasales, telles qu'on les trouve en français, n'existent pas ici.

Le provençal distingue très-nettement la prononciation des
consonnes, suivant qu'elles sont médiales ou finales, et a réglé
son orthographe en conséquence. Voici la règle : toute consonne
douce médiale passe à la forte du même ordre à la fin du mot ou
devant une s ou un z de flexion : d devient t ; g, c ; b, p ;
v, f ; z, tz, par ex. cauda caut caut-z, gardar gart ; logal
loc loc-s
, segre sec ; loba lop lop-s, trobar trop ; servar
serf
, volver volf ; lezer letz, prezar pretz. En cas d'enclise,
comme dans oblid'om, cab hom, la douce peut être préservée par
l'enclise. On remarque aussi, dans les dialectes, un échange entre
les palatales j et ch, comme dans mieja et miech. Il est vrai que
cette règle, surtout dans les anciens monuments de la langue,
ne s'observe pas toujours très-exactement : des formes orthographiques
comme atend, ard, perd, ag, prezig, tolg,
amigs, remang, ab (presque partout), sab, volv etc. ne sont
pas rares, mais la douce possède ici (comme d'ailleurs les Leys le
rappellent souvent, par ex. I, 156) tout-à-fait la prononciation
de la forte 1193. Le moyen-haut-allemand obéit exactement à la
370même loi phonique, à l'exception de ce qui concerne z et tz ;
comparez avec les exemples ci-dessus gibe gap, balges balç,
hende hant, hoves hof ; en général la douce, à la fin des mots,
y est tout aussi peu tolérée qu'en provençal. D'autres langues
germaniques encore connaissent des règles analogues. Dans le
domaine slave, la langue bulgare nous offre une loi qui ne
correspond pas moins exactement à celle du provençal et d'après
laquelle b, g, d, v, s, ź se renforcent en p, k, t, f, ss, ś.
Un autre échange, au milieu et à la fin des mots, a lieu en
provençal entre v et la voyelle u ; v s'emploie à la médiale,
u à la finale, par ex. beves beu, brava brau. Comparez un
semblable échange de lettres en gothique : kniva kniu, qvivis
qvius
, mais il ne se produit qu'après une voyelle brève (Grimm
I2, 404). Dans les autres langues romanes cette règle provençale
ne se présente pas ou ne se présente qu'en partie. Le dialecte
picard renforce cependant toute consonne finale, c'est-à-dire qu'il
met t pour d, k pour g, p pour b, f pour v, ss pour s, ch pour
g : mote (franç. mode), lanque (langue), nope (noble), pofe
(pauvre), rosse (rose), rouche (rouge).

Le redoublement se produit pour l, m, n, r, s, t, c, p, f, peu ou
point pour d, g, b, z, j, v. Il ne s'est pas établi de règle absolument
constante sur ce point dans cette littérature manuscrite ; il
est facile de constater, cependant, que, dans les mots simples, la
consonne simple (à l'exception de l'r et de l's) est de beaucoup
préférée dans les cas où en latin, en italien et en français se
rencontre la consonne double ; cette orthographe était sans
doute conforme à la prononciation. Dans les mots composés, le
redoublement se trouve plus souvent déjà au commencement du
second mot, toutefois la consonne simple domine ici encore.
Il y a lieu de croire que l'orthographe latine n'est point
restée sur ce point sans influence. Voici quelques exemples
tirés seulement du lexique de Raynouard, et qui mettront ce fait
en lumière. L : ampola, appellar (aussi appelar), bala, bola,
bulla, collegi, estela, molet ; alleviar (l). M : flamma (m),
gemma (m), somma (m) ; commandar (m), immoble. N :
afanar, annal(n), cana, manna (n), penna (n), tona ;
annunciar (n). R : errar, guerra, ferrenc ; arreire (r),
arrestar (r), arribar (r). S : bassa, cessar, passar ; assatz,
371assemblar (s), assomar (s). T : batre (tt), cata, cota, crota,
flatar, gratar, metre, sageta ; attendre (t). C : bac, boca,
lecar, secar, mais peccar, et non pas pecar ; accusar,
acquirir, soccore (c). P : capa, copa, cropa, drapel, escapar,
estopa, frapar, lappa, lippos, envelopar (pp) ; apparer
(p), supplir (p). F : affan (f), afflamar (f), offendre
(f), sofflar, suffrir (f).

Le provençal traite les consonnes multiples à peu près comme
l'espagnol, bien qu'ici aussi la langue admette beaucoup de
groupes plus durs. Les plus remarquables sont à peu près
TL, TN, TFR, CM, PM, BN, PS, PCH ; TB, CT (fréquent),
CD, PT (également fréquent), PD, PC, BT, BID ;
SL, SM, SN, SR, SD, SG, SB, SF, SCH, SJ, STS,
SCS, SPS ; MS, MJ, MT, MPT, MD, MBB, MC, NCT,
NCTZ, NHD, NHDR, NB, NF ; LR, MN, MPN, MR,
NM, NR, par ex. crotlar, rotlar, Rotlan, putnais, Matfré,
Jacme, cap-malh, ab-negar, capse, nupsejar, traps,
apropchar, sapcha, Rotbert, Titbaut, dictar, maracde,
doptar, capdada, capdal, cap-casal, subtil, ab-dos,
bruslar, caslar, isla islha, azesmar, blasmar, asne, cisne,
es-raigar, cosdumna, domesgar, bisbe, blasfemar, cruschar,
es-chazer, domesgier, osts, boscs, cresps, somsir,
camjar, comte, semdatz, semdier, amb-dos, com-querir,
ancta, sanctz, lonhdan, cenhdre, bonba, canba, sanbuc,
Anfos, voira, domna, dampnatge, damri, prezenmen,
cenre, onrat. La prononciation pouvait effacer beaucoup de ces
duretés ; du moins, à côté des formes plus dures, comme sapcha,
Cristz, on trouve sacha, Critz, qui sont des formes adoucies.
On écrivait également bien setgle pour segle, domestgue
pour domesgue ; mais ni dans l'un ni dans l'autre cas on ne
devait entendre le t, introduit dans domestgue par l'étymologie,
dans setgle par l'habitude qu'on avait de le voir uni au g.

L. M. N. R.

Sur la prononciation des liquides, il faut faire les remarques
suivantes : m et n conservent, même à la fin des syllabes, leur
prononciation labiale et linguale. Il n'y aurait aucune vraisemblance
à leur attribuer le son nasal français, puisqu'il est inconnu
même aux patois modernes, voy. par ex. Sauvages p. XVIII et
314 (Ire édit.), Beronie, Dict. bas-limousin p. 354. Cela
constitue une différence essentielle entre les systèmes consonantiques
du provençal et du français. — R, d'après les Leys I, 38,
372se prononce de deux façons. Au commencement des mots elle
est dure : ramels, rius ; entre voyelles et à la fin des mots elle
est douce : amareza, amar, honor ; pour qu'elle soit dure
dans cette situation elle doit être redoublée, comme dans terra,
guerra, ferr, corr. Nous avons déjà rencontré en espagnol,
en basque et en portugais cette prononciation de l'r, déterminée
par sa position ; elle s'étend donc dans toute la Péninsule
ibérique et dans le sud de la France ; elle se retrouve dans
d'autres langues encore, par exemple en albanais (Hahn, II, 4).
Les grammairiens romains ne disent rien d'une double valeur de
cette lettre 1194.

L'échange des liquides entre elles se produit à peu près
comme dans les autres langues romanes. Remarquons que n
finale, devant des labiales, comme p ou b, peut passer à la
labiale m : em paradis, em pes, em plorans, som bon paire.
Sur l'r provenant de s, ainsi que sur la préposition de l et la
transposition de l et de r, voy. à la Ire section ; sur r provenant
de s, voy. encore Bartsch, Prov. Leseb. 238. L est intercalée
dans plasmar (spasmus) ; m dans lambrusca, sembelin (b.lat.
sabellinus), cf. catal. escambell (scabellum) ; n dans engual
(æqualis), minga (mica), nengun, penchenar (pectinare),
puncella LRom. I, 18, etc. ; r dans brostia (franç. boîte),
brufol (buffle), refreitor (refectorium*), tro (tonus),
seguentre, soentre (subinde) et autres semblables, Marselha
(toutefois aussi Masselha, en particulier dans la GAlb.), parpalho
(papilio).

L à la fin des syllabes alterne avec u : val vau (vallis,
valet), leyal leyau, altre autre. La plupart des manuscrits et
des chartes admettent à la fois les deux formes ; dans la langue
moderne, u a plus profondément pénétré. Les Leys II, 208,
condamnent seulement la désinence au pour al comme étant un
provincialisme gascon : nos dizem que en rima ni fora rima
no deu hom dire mas
leyals, quar liau es motz gasconils,
373quar leumen li Gasco viro e mudo
l, cant es en fi de dictio,
en
u, coma nadau per nadal, vidau per vidal, hostau per
hostal e leyau per leyal. Le gascon actuel fait encore de même.
N finale a une double nature. Tantôt elle est un élément
nécessaire, inséparable du mot, tantôt un élément accidentel,
séparable, bien qu'étymologiquement fondé. Elle est inséparable
lorsque, primitivement, elle était suivie d'une deuxième consonne,
comme dans dan (dan-num pour dam-num), sen
(sin-n), gran (gran-dem), man (man-do), dan (dan-t), len
(len-tum), ven (ven-tum). N est séparable ou, comme s'expriment
les Leys, indifférente (l'n provenant de m est traitée de même),
lorsque, primitivement, elle était suivie d'une voyelle ou qu'elle
était à la finale, par ex. gran (gran-um), len (len-em), man
(man-um), sen (sin-um), ven (ven-it), jóven (juven-em),
quon (quom-odo), en, non, ren (rem), son (sum), mon
(meum), pour lesquels on écrit également bien gra, le, ma,
se, ve, jóve, quo, e, no, re, so, mo, et avec une s de flexion
grans ou gras. Comme on était habitué à cet échange, on
ajouta aussi l'n séparable à quelques voyelles finales qui
n'avaient aucun droit à en être munies, comme dans fon pour fo
(fuit), pron pour pro. Si n se rencontre pour nt latin dans
une désinence verbale atone, elle est régulièrement inséparable,
ainsi cántan, cánten (lat. cantant, cantent), et non pas
canta, cante, qui auraient confondu le pluriel avec le singulier ;.
la seule désinence on, pour laquelle cette confusion
n'est pas à craindre, permet l'abréviation : ainsi cánton cánto
(cantant), ágron ágro (habuerunt), ainsi que son et so (sunt).
Cette n indifférente, chacun pouvait, suivant son dialecte, la
prononcer ou l'omettre ; elle ne comptait pour rien 1195. C'est à tort
que les Leys l. c. blâment les formes avec n, et n'admettent l'n
que devant une voyelle suivante : alqu dizon qu'om pot dire
en rima vilan per
vila, canson per canso, fin per fi. E nos dizem
qu'om no deu dir en rima ni fora rima mas
vila e canso,
374exceptât fi, que fora de rima pot far fin, majormen seguen
vocal, segon qu'es estat dig
. Cette remarque s'adresse à
Raimon Vidal, voy. le passage ci-dessus p. 97, note. La plupart,
peut-être la totalité, des manuscrits, et déjà celui du Boèce
ainsi que le manuscrit 7226 préconisé par Raynouard comme
le meilleur, présentent les deux formes. On les retrouve dans
les dialectes modernes : le Languedoc, le Rouergue, l'Auvergne,
par exemple, font de préférence tomber l'n : be, cansou, carbou,
sou, cami, efan, eflá, mais aussi pavoun, tignoun ;
en Provence la forme maintient son intégrité : ben, moutoun,
enfan. Mais quelques anciens manuscrits, comme l'Ev. Joh.
ed. Hofm
. n'emploient jamais l'n indifférente 1196. — NT se
trouve çà et là à la finale au lieu de n qui est bien plus usitée :
avant, fant pour avan, fan, cf. Leys I, 42, où la première
forme est mentionnée comme simplement tolérable.

LU, NH. L et n mouillées s'écrivent de bien des façons,
comme dans l'ancien français : belh bell beill beil beyl, tanh
taing tayn
, tagna taigna taingna 2197. Dans le Boèce on trouve
nuallos, filla, meler, velz, franer, fen, senor ; dans la
Passion orgolz, aurilia, lon, ensenna, senior, veggnet,
veng, seinhe. Les autres manuscrits emploient de préférence
tantôt l ou ll, tantôt lh, tantôt indifféremment ll et lh et de même
gn et nh 3.198 Ceux qui employaient lh auraient dû également
aussi employer nh, règle que n'observent cependant pas tous les
copistes ; on trouve souvent nh à côté de ll. La notation la plus
recommandable paraît être lh, nh, parce qu'elle est la forme
la plus précise ; c'est ce que sentirent très-bien les Portugais
lorsqu'ils empruntèrent cette orthographe aux Provençaux. Pour
375n mouillée la transcription la plus naturelle est, il est vrai, le ny
catalan (banya, bany) à côté duquel, au contraire, ly n'est
point devenu usuel, mais qu'emploie aussi une langue étrangère
à la famille romane, le hongrois. Mais l'h était devenue un signe
superflu auquel on pouvait d'autant mieux transporter cette
fonction qu'il y a une certaine parenté entre le j et elle ; ce sont
l'une et l'autre des spirantes gutturales. Quelques manuscrits,
par exemple celui de Gir. de Ross.., emploient aussi h comme
gutturale faible, même en dehors des groupes lh et nh. Ainsi
dans lah pour la i, cf. Fer. 4943, loh pour lo i, deh, duhl,
lplah, traihs pour dei, dui, plai, trais. De même dans les cas
où d'autres dialectes emploient ch : dih, dreh, fah, mah, mieh,
nuhs, tuh, à côté desquels on rencontre pourtant drei, mai,
miei. Enfin on trouve h pour t final, comme dans crevantah,
molah. Le vieux traducteur français de Job écrit de même
faihs, reboihs. — Le rapport étymologique des liquides mouillées
est à peu près le même qu'en italien ; on peut donc renvoyer
à l'étude de cette langue. La chute de l'élément consonantique
dans lh, telle qu'elle a lieu dans le provençal moderne, est
inconnue au provençal ancien (p. 98) ; cependant au lieu de
cavallier (= phonétiquement cavalher) on trouve aussi écrit
cavayer et même cavaer GAlb. 1656. 1199

T. D.

T, dans la désinence de la troisième personne du singulier du
parfait s'échange dialectalement avec c, par ex. parlet parlec,
bastit bastic. D provient du t à peu près dans les mêmes
circonstances qu'en espagnol ; comme en français, il s'intercale
entre l et r, n et r.

S.

Les Leys d'amors I, 40, III, 382, enseignent que s entre
voyelles a régulièrement le son de z, et les meilleurs manuscrits
emploient z à cette place concurremment avec s, ils écrivent
causa et cauza, rosa et roza. Pour avoir son véritable son,
remarque encore la poétique toulousaine, s doit être redoublée,
comme dans plassa, esser, fossa, cependant cela n'a pas lieu
dans proseguir, desus, lasus, desay, desobre. Ce son propre
376(propri so) est certainement le son dur que l's française connaît
aussi.

S (ss) provient souvent : 1) De t ou c (ch) avec i palatal :
poiso (potio), obediensa, erisson (ericius), menassa, brassa
(brachia) etc. — 2) De ce ci sans l'aide d'une voyelle suivante,
par ex. singla (cingulum), pansa (panticem), venser. De
même de sce sci : conoisser, peis (piscis). — 3) De x : aissela
(axilla), laissar, bois (buxus). C'est ici proprement iss qui
provient de x. — 4) De st : engoissa, pois. — Lorsque ss (s)
provient originairement de ns, les manuscrits emploient encore ns
concurremment, ainsi pessar pensar, cosselh conselh, essems
ensems
, ences encens. — S est intercalée devant m dans laucisme
(à côté de lauzemne), légisme (legitimus), leonisme (leoninus
leonimus
), regisme (regimen). La forme du superlatif (altisme,
santisme) peut avoir ici induit en erreur ; du moins les
suffixes amen et umen ne prennent-ils jamais cette forme 1200. —
Sur la chute dialectale de cette consonne, voy. ci-dessus p. 222.

S est sujette à bien des variations orthographiques : on rencontre
à sa place c, par ex. dans cebellitz (sepultus), cenes
(sine), cers (servus), cia (sit), cocelh (consilium). Sa forme
la plus indécise est ss, qu'on emploie pour indiquer la prononciation
dure, même après des consonnes, du moins après
n et r, comme dans balanssa, esperanssa, forssa, corssier.
L'orthographe sh (ssh) pour ss (d'ordinaire quand ss provient
de ps, x, sc, st) est très-remarquable ; on la trouve dans
plusieurs manuscrits, par exemple dans le manuscrit du poème
de la Guerre des Albigeois, dans celui des Leys d'amors,
dans un manuscrit du Breviari d'amor (7227), bien que cette
forme n'y soit pas constamment observée. Citons comme
exemples de ce genre : eysh (ipse), meteysh, neysh, ishamen,
ayshi, laisshar, dish (dixit), eisshir, creisher, desshendre,
paishon, conoish, faysh, peysh (piscis), pueish (post),
quaysh (quasi). Ce sh devait-il exprimer un son chuintant ?
Les Leys I, 62, disent que h ainsi placée est une consonne,
parce qu'elle a le son d'une consonne ; il est vrai qu'elles en
permettent aussi l'omission, cf. II, 186. Il est probable qu'on lui
attribuait la valeur d'une aspiration ou mieux encore d'un
377amollissement, comme dans lh, nh ; de même que ces derniers
équivalent à ly, ny, sh pouvait sans doute avoir la même valeur
que sy, c'est-à-dire celle d'une s écrasée, à peu près comme le
franç. ch. On trouve soit çà et là dans les manuscrits que nous
venons d'indiquer, soit dans d'autres (par exemple dans celui de
Fierabras), la notation sh remplacée par ch au milieu des mots :
aychamens, laichar, dichendre, ichir, creicher, poichas.
De même le dialecte gascon moderne emploie ch pour x, st, sc
latins : lachá = laxare, puch = post, counech = cognoscit,
catal. laixar, puix, conex.

Il ne saurait être question d'un assourdissement de l's comme
celui qui s'est produit en français. Au milieu des mots, les patois
modernes la prononcent même là où en français elle a disparu,
comme dans busco, crespo, espargno, testo = franç. bûche,
crêpe, épargne, tête. Du fait que cette s suffisait à constituer des
rimes spéciales, il résulte qu'elle était sensible aussi à la finale,
comme dans les entrelacements de rime : amors, onor, dolor,
folhors, ou pessamens, len, plazens, longamen. Une autre
preuve, c'est que les Leys I, 62, 64, admettent la position dans
des mots comme bels, sans. — Le groupe dur STZ est ordinairement
adouci par la chute d'une s : ainsi dans aquestz aquetz,
Cristz Critz ( : partitz Chx. IV, 96), justz jutz Joyas d. g.
s.
175, estz (lat. estis) etz, fostz (fuistis) fotz, fustz futz
GRoss
. v. 412 1201.

Z.

Cette lettre, que l'on trouve aussi représentée par ç, ne peut
se séparer nettement de s et de c dental, puisque la plupart du
temps, d'après les meilleurs manuscrits, ces deux lettres s'écrivent
indifféremment l'une pour l'autre ; ainsi on emploie z à la
médiale d'ordinaire devant a ou o aussi bien que s ou ss ; on
écrit par ex. balanza, dureza, vaneza, servizi, razo, poizo,
roazo, maizo, aizo, razina. Mais lorsque des consonnes précèdent,
s est plus usitée, c'est à peine si on trouve canzo, par
378exemple, pour canso. De même, après une voyelle tonique brève,
comme z ne se redouble pas, on écrit plus volontiers ss : ainsi
dans plassa, menassa. Enfin ss ne s'échange pas pour z quand
elle provient de sc, x, st ou bien qu'elle représente une forme secondaire
de ns, comme dans conoisser, laissar, eissam (examen),
angoissa, cosselh, et non conoizer etc., on trouve cependant
par ex. pezar fort souvent à côté de pessar et pensar. Mais pour
rendre ce ci originaires on préfère z à s : ainsi dans auzel (aussi
avec c), fazenda, jazer (c), lezer, plazer (s), vezin. Z est exclusivement
employé dans le petit nombre de cas suivants : 1) lorsqu'il
correspond à un z primitif, comme dans zefir, zona, azur.
2) Quand il tient lieu de d ou t, comme dans auzir, vezer,
gazardo (anc.h.allem. widarlôn), cazern (b.lat. quaternum),
palazi et beaucoup d'autres, même (ce qui arrive rarement)
quand il provient d'une intercalation, voy. ci-dessus p. 176.
Du moins les bons manuscrits le confondent rarement avec s,
ce que font d'ordinaire les patois modernes. — 3) Quand il tient
lieu de la palatale douce, comme dans borzes, leuzer, aleuzar
à côté de borges etc. : dans ce cas s serait contre les lois de la
langue, comme aussi dans ceinzer (ital. cingere) et autres
exemples analogues. — Si l'on considère maintenant l'échange
presque arbitraire du z avec l's, il faut admettre que la prononciation
du z a suivi celle de l's, qu'il y a eu certainement un z
dur et un z doux, le premier s'employant dans les mots où l'on
rencontre parallèlement ss ou ç et le second dans ceux où il
s'échange avec un s simple entre voyelles. Sur cette alternance
de s, ss et z, voy. aussi Leys II, 196.

TZ, qui n'est pour ainsi dire usité qu'à la finale, s'emploie :
1) pour ts primitif, par ex. dans cat-z, fat-z, let-z (lætus),
mot-z (dans lequel z est ajouté par la flexion), latz (latus),
sotz (subtus), amatz (amatis). — 2) Pour ce ci, te ti, comme
dans votz, fatz (facit), letz (licet), notz (nocet), lutz (lucet),
potz (puteus), pretz (pretium). — Pour ce qui est de sa
prononciation on peut voir dans tz, lorsque le z est un z de
flexion, un son complexe aussi bien que dans cs (amics). Or,
comme les différents tz riment entre eux (fat-z platz,
let-z pretz), il s'ensuit qu'ils se prononcent partout de même.
— On trouve pour tz plusieurs variantes dont quelques-unes
très-usitées. Plusieurs manuscrits, en place de ce groupe,
emploient simplement z ; les plus anciens, comme ceux de Boèce,
de la Passion du Christ (dans ses éléments provençaux), de
l'Évangile de St Jean ne connaissent même que la lettre simple,379

qui suffit aussi aux chartes des Xe et XIe siècles et qui ne
paraît avoir été abandonnée que vers l'an 1100. (Par une
coïncidence accidentelle cette orthographe se rencontre avec
l'ancien osque, car l'osque horz correspond tout aussi bien que
le provençal horz au lat. hortus.) Ts, comme dans tots, faits,
irats, est très-ancien aussi et n'a été supplanté par tz qu'au
XIIIe siècle, comme Bartsch le fait remarquer (Jahrbuch IV,
143). D'autres copistes écrivent aussi s pour tz, pas pour patz,
pres pour pretz. Cette s n'équivaut sûrement pas à la combinaison
tz, c'est donc une variante dialectale. Sur t au lieu de tz,
également dans les plus anciens textes, voy. Jahrhuch, I, 364 1202.

C. Q.

1. La gutturale est rendue comme en espagnol, ainsi également
par qu devant e et i. Les manuscrits emploient k
beaucoup plus rarement qu'en ancien français, l'exemple le
plus fréquent est kalenda. Étymologiquement, le c guttural
remonte toujours à la forte, et l'u suivant peut s'effacer : car
(quare), cassar (quassare). C correspond en outre, comme
dans les langues sœurs, à l'aspirée grecque et allemande. Sur la
question de savoir comment, dans certains mots, il dérive du
ch français, voy. mon Dict. étym. I, miccia. A la finale, outre
c, il représente également aussi l'i palatal, comme dans aloc
(allodi-um), fastic (fastidi-um), remanc (remane-o), venc
(veni-o), ou bien n mouillée, comme dans renc (regn-um),
enfin aussi t (voy. à cette lettre) 2203.

Ici se pose la question suivante : l'u qui suit le q s'efface-t-il
devant toutes les voyelles, comme en français, ou seulement
devant e et i, comme habituellement en espagnol ? Les Leys, I,
20, disent que u, ainsi placé, ne se prononce ni comme une
voyelle ni comme une consonne (c'est-à-dire pas du tout, voy.
à la lettre G), et elles donnent pour exemples qui, quier, quar.
Cette doctrine trouve sa confirmation dans ce fait, que les
380manuscrits emploient souvent q simple ou c, comme dans q'es
pour qu'es, c'ades pour quades, cal, can, cant, cart, pour
qual etc. ; et qu'ils intercalent non moins souvent après q un u
non fondé sur l'étymologie, preuve évidente qu'ils regardaient l'u
comme une lettre muette à cette place, comme dans Senequa,
quanorgue Chx. V, 302, quar quazer, pour Seneca, canorgue,
car (carus), cazer, ou bien, ainsi qu'on l'écrivait dans les
chartes latines de France quoactus, quoepiscopus ; elle est
encore confirmée par ce fait que qu remplace graphiquement
la gutturale simple k, comme dans pequi de pecar, fresqueira
de fresc, riqueza de ric ; et que, enfin, dans les patois encore
vivants, à l'exception peut-être du gascon (p. 102), l'u ne se
fait pas entendre. Mais on peut admettre que la voyelle se
prononçait dans les mots d'origine savante 1204.

2. C sifflant, usité devant e et i, se prononce comme ss
ou, d'après les Leys, encore un peu plus dur (mays sona c que
s
, I, 34 ; c sona un petit mays fort que s, II, 54), mais
non point assez pour ne pas pouvoir rimer avec ss, comme dans
abissi : cilici. De là la confusion avec ss, à laquelle ne s'oppose
pas la prononciation : dessebre pour decebre, grassia pour
gracia, vensser pour vencer ; ou bien avec s simple à l'initiale
comme dans sel pour cel, selar pour celar, sent pour cent,
silh pour cilh (cilium). Devant a, o, u cette même sifflante
(l'usage de la cédille n'étant pas admis d'ordinaire) ne peut être
rendue que par z, s ou ss et à la finale seulement par tz ou s.

CH

se prononce aujourd'hui en Provence comme le ch espagnol ou le c
italien ; dans le Bas-Limousin et une partie de l'Auvergne il se prononce
presque comme ts ou tz. C'est donc dans les deux cas un son
composé. L'ancienne lettre provençale se prononçait de même.
On peut déjà le conclure de cette observation générale que les
sons simples (spécialement les sifflantes et les palatales) deviennent
moins facilement des sons complexes que les sons complexes
ne deviennent des sons simples. Mais on ne manque pas d'indices
positifs de cette prononciation. En italien ancien le prov.
381chausir est constamment rendu par ciausire ; dans les manuscrits
de Pétrarque (Canz. 7) ciant = prov. chant ; Sancho et
Sanchitz (Chx. IV, 59) rendent l'esp. Sancho, Sanchez ;
la présence d'un t résonnant en premier est aussi constatée par
l'orthographe (assez rare, du reste) propre aux Catalans tx pour
ch, par ex. dans cotxos = cochos Jfr. 95a. Il faut admettre
cette même prononciation à la finale comme en provençal
moderne : fach, destrech, huech, nuech, ou comme dans l'anc.
esp. much, noch. Ch pour c, que l'on rencontre çà et là,
comme par ex. dans berichle pour bericle, doit paraître
d'autant moins surprenant que les chartes latines, qui, d'habitude,
écrivaient Alberichus, Francho, avaient consacré cet
emploi du ch.

Les sources de cette lettre sont beaucoup moins abondantes qu'en
espagnol ; elle dérive proprement : 1) Comme en français de c suivi
de a. Cependant dans presque tous les manuscrits et souvent
dans les mêmes mots la forte persiste à côté de ch ; ainsi déjà dans
Boèce l'on trouve cader à côté de chader, carcer à côté de charcer,
dans Gir. de Ross. comme dans Jaufre cavalier à côté de
chavalier, dans Fierabras cantar à côté de chanso etc. Plusieurs
manuscrits s'en tiennent, presque sans exception, à l'une de ces
lettres et restreignent l'autre à certains mots. Mais dans l'ensemble,
c est certainement prépondérant. Les dialectes modernes
conservent aussi les deux formes, mais d'une façon bien différente.
Le Languedoc, comme la Catalogne qui y confine, donne
la préférence au c : on dit cabestre, cabro, cadun, caitivous,
cambro, caminá, caneou (franç. chéneau), candelo, cansou,
cap, capel, car (chair), carbou, caro (chère), caou (chaud) ;
rarement ch, comme dans chaoumá (chômer), chi (chien),
chival. Il en est de même déjà dans les Leys d'amors rédigées
à Toulouse. La Provence a une préférence marquée pour le ch ;
à côté de cadun, caminá, camiso, can (chien), canta, capeou,
cargo, casteou, escapá, peccá, sercá (chercher), on y trouve
avec ch changeá, chascun, chassá, riche. En Limousin
ts se comporte déjà comme le ch français. — 2) Ch provient
souvent des combinaisons ct, pt : drecha, frach, escrich
(scriptus) ; rarement de ti, comme dans tuch à côté de tuit
(toti). Les premiers monuments écrits, comme le Boèce et la
Passion du Christ, ne connaissent point encore ce mode de
développement. — 3) Ch provient de i palatal précédé de p
dans apropchar, sapcha. Sur le remplacement de ss par ch
dans les dialectes, voy. à l'S.382

X.

Excepté dans les mots qui ne sont pas populaires ou qui sont mal
assimilés, comme flux, mixtura, complexió, exequias, exceptió,
cette lettre ne se présente que comme l'abréviation de c-s.
On écrit amix, mendix, donx, afix (de aficar). Mais les
meilleurs manuscrits font précéder ici l'x d'un c étymologique
ou renforçant, comme dans amicx, mendicx, doncx, aficx,
orthographe propre qu'on retrouve dans des inscriptions
romaines et dans des chartes latines du moyen âge. Quelquefois
x remplace une sifflante, comme dans jaxia (jazia) Boèce,
raixon, malvaix, dans des chartes Gauxbertus HLang. II,
n. 54, Saixag n. 170.

G. J.

1. G devant a, o, u et devant les consonnes, gu devant e et i
sont, comme en espagnol, l'expression de la gutturale douce. Très-rarement
gh s'écrit pour gu, comme cela a lieu en italien, par
exemple dans Jaufre : volghes, venghes. Par négligence on trouve
quelquefois g mis pour gu, par ex. dans des chartes de 1067
et 1139 Chx. II, 64, 69, tengess, tolges. D'après les Leys, I,
20, u, après g comme après q, est partout muet (aussi Dante
écrit-il ghida pour guida Purg. 26), alors même qu'il dérive du
w allemand : devetz saber que u, cant es ajustada aprop g o
aprop
p et aqui meteysh se sec vocals, adonx no sona coma
vocals ni consonans
. Mais il est certainement prononcé dans les
cas où, comme dans erguelh, ue remonte à o. Les formes
digua, liguar, preguar, qu'on trouve dans les manuscrits à
côté de diga, ligar, pregar, sont dépourvues d'intérêt. — Ce son
se comporte étymologiquement à peu près comme en italien et
identiquement comme en français. Ce qui est particulier au
provençal c'est de rendre la flexion verbale latine ui ou vi par g,
et à la finale par c, comme dans agues et ac (habuisset, habuit),
conogues et conoc (cognovisset, cognovit), phénomène que
nous aurons à expliquer au livre de la Flexion.

2. G devant e et i, et j devant toutes les voyelles se prononcent
doux comme le g palatal italien (giausen pour jauzen est
dans Dante ; engian pour enjan, dans un manuscrit italien, M.
137). Les dialectes modernes prononcent de la même façon ; le bas-limousin
et un patois auvergnat rendent g par dz, comme ils
rendent ch par ts (dzal, dzerm, gadze = prov. jal, germ,
gatge). On écrit en conséquence alonjar alonget, longinc
383lonjor. Plusieurs manuscrits emploient aussi, au lieu du g
simple, la combinaison tg ou tj, surtout (comme dans viatge,
metge, asetjar, Rotgier) pour indiquer un t ou d originaire.
Sur le z employé pour g, voy. au Z 1205. — Cette palatale dérive :
1) de j latin initial et médial : ja, jove, mager, trueja (troja).
2) De i palatal (mi, ni, di, bi, vi) : comjat, somjar, calonja
vergonja
, enveja, enojar (franç. ennuyer), mieja (media),
verger, rage, leugier ; et aussi cujar de cuiar (cogitare),
autrejar de autreiar (auctoricare *). — 3) De tc, dc :
viatge, verjan (viridicans). — 4) De la douce latine ou
étrangère : jauzir, jai, jardin, jarra à côté de gauzir, gai,
gardin, garra 2206.

G à la finale est, d'après une règle connue, remplacé par c.
Mais il y a encore un autre g final, qui, dans beaucoup de manuscrits,
s'emploie au lieu et à côté de ch et qui a une nature palatale :
ainsi cuich cuig (ms. 7614), nuoich nueg, gauch gaug (ms.
7225) ; le ras. 2701 fait rimer fach : maltrag. GRiq. p. 173.
Les Leys I, 38, écrivent avec un g lag, rag, freg, veg, parce
qu'on écrit à la médiale laia, raia, freia, veia, c'est-à-dire
384d'après leur prononciation laja, raja, freja, veja, car g et i
(c.-à-d. j) riment souvent ensemble. Dans ce cas, on pourrait
(font-elles encore remarquer) employer aussi ch, car ch fait avec
g à la fin des mots une bonne rime : c'est pour cela que plag,
deg, escrig, enveg, tug, cug, rog, cueg sont tout à fait
corrects. Le catalan, qui ne peut pas employer ch parce qu'il
le prononce comme k, rend cette finale par ig ou aussi par tj
ou tx, comme dans roig rotj rotx (rubeus), fém. roja, et de
même gotj, matj, mitj, ratj, ensatj 1207. Mais ch final semble
mieux convenir à l'orthographe provençale que g ; en effet
ch est à j médial comme c guttural final est à g médial ; il
suppose une prononciation plus dure 2208. Encore de nos jours on
écrit et on prononce en provençal miech à côté de miejou
(fém.). On trouve donc deux formes importantes, concurremment
employées dans beaucoup de mots, l'une avec i ou y, l'autre avec
ch ou même, d'après une autre orthographe, avec g : miei,
rai, fait, dreit, noit, tuit à côté de miech, rach, fach, drech,
nuech, tuich ou mieg, rag, fag, dreg, nueg, tug. Lorque g
est suivi d'un z (digz, fagz, gaugz), il est probable qu'on
entendait peu ou point le g ; du moins dans les manuscrits gz
rime très-bien avec tz.

H.

Nous avons vu ci-dessus, à l'occasion des liquides, qu'on a
transporté à ce signe muet la fonction d'exprimer le mouillement
(cf. aussi à l'S). Du reste, on l'écrit ou on l'omet presque
à volonté. On écrit d'habitude hom, honor, mais aussi avec
l'article l'om, l'onor, cf. Leys, I, 36.

P. B. F. V.

B naît de l'adoucissement d'un p ; v de celui d'un b ; en outre
b s'emploie fréquemment pour v ; tout cela est commun aux
différentes langues romanes. P s'intercale entre m et n dans
dampnatge, dompna, sompne etc. ; de même qu'on lit dans les
385manuscrits latins comptus, con-tempnere ; b s'intercale entre
m et l, m et n, m et r, comme en espagnol. L'ancien provençal
n'admet pas le VR français à l'initiale : on dit ici verai et non
pas vrai.

Lettres françaises.

L'histoire de ces lettres est une des tâches les plus difficiles
de la philologie romane, car dans leur valeur comme dans leur
transformation ce sont les lettres françaises qui s'écartent le
plus de la langue mère. De plus, le français a développé des
sons inconnus aux langues sœurs et dont il n'est facile de
déterminer ni l'origine ni l'ancienneté. Si nous avions pour
l'ancien français des grammaires comme celles que nous avons
pour le provençal, nous pourrions lever bien des doutes, nous
épargner bien des hypothèses. Au lieu de cela, nous ne possédons,
sur l'ancienne prononciation, que quelques indications
ou renseignements qui, tout rares et peu précis qu'ils sont,
méritent cependant d'appeler toute notre attention. Ces indications
consistent en quelques courts préceptes sur l'orthographe
française, écrits en latin, et que nous présente un document de
Londres (du XIIIe siècle) publié par Th. Wright (Altdeutsche
Blätter
II, 193-195) 1209. Lorsqu'enfin, au XVIe siècle, on étudia
la langue au point de vue grammatical, on n'oublia pas la prononciation,
car cette partie était indispensable pour les étrangers ;
elle fut même l'objet d'écrits spéciaux, comme celui de Théodore
de Bèze De francicæ linguæ recta pronuntiatione, Genevæ
1584 (Berolini 1868, édition purgée des nombreuses fautes
d'impression du texte primitif). Quoique la langue fût alors déjà
sur le point d'accomplir sa dernière évolution, on peut encore
tirer bon parti de ces travaux pour étudier l'histoire des sons.
Quant à l'état antérieur du français, la langue elle-même, par
les rimes et les assonances, fournit d'importants éclaircissements.
Les patois apportent aussi leur contingent, puisque quelques
sons perdus dans la langue écrite y persistent encore 2210. Parmi
386les autres langues romanes, la plus voisine, le provençal, est à
peu près la seule dont on puisse tirer pour le français des conséquences
ou des rapprochements. Mais l'étranger aussi peut nous
fournir des renseignements qui ne sont point à dédaigner. En
Angleterre, le français avait conquis un nouveau domaine : les
Anglo-Saxons, aujourd'hui devenus les Anglais, introduisirent
dans leur langue, par le commerce oral, une masse d'éléments
romans ; de quelque façon qu'ils s'y prissent pour les accommoder
à leurs organes, les sons étrangers durent essentiellement
rester les mêmes ou du moins ne purent être entièrement
obscurcis. Une autre langue qui a admis directement des
éléments français et cela, comme la forme l'indique, à une époque
ancienne, c'est le breton : il lui était impossible d'échapper
à l'influence dominatrice de sa voisine ; mais il est souvent
difficile de distinguer quels mots latins cette langue celtique
avait déjà reçus de la bouche des Romains et quels mots ont
trouvé accès chez elle en passant par le français. Dans le néerlandais
du moyen âge et dans le moyen-haut-allemand, nous
trouvons encore un grand nombre de mots français plutôt introduits
par la littérature que par la parole vivante. Ces mots,
transposés dans l'orthographe néerlandaise ou allemande, méritent
aussi notre attention. Il faut, il est vrai, traiter avec quelque
précaution ces témoins empruntés à des langues étrangères, car
il a pu arriver que les alphabets étrangers ne permissent pas
l'expression fidèle du son roman, et dans ce cas la notation a été
reproduite telle quelle (comme le ch dans le néerl. Perchevael,
picard Percheval) ou a été remplacée par l'expression d'un son
plus ou moins semblable. Mais qui pourrait douter que l'anglais
astonish prouve la sonorité de s dans estoner, et que le
m.néerl. fransois présuppose une diphthongue dans françois ? 1211
387— Il n'est pas possible d'aborder ici l'étude approfondie d'un sujet
aussi complexe, soumis à tant de règles et d'exceptions, mais il
n'est pas permis non plus d'en négliger les traits généraux. La
prononciation française a des nuances plus fines qu'aucune autre,
mais elle présente aussi beaucoup de caprices, de singularités et
d'inconstances, dont il serait souvent bien infructueux de vouloir
poursuivre toutes les causes.

Voyelles simples.

L'oreille les distingue en sons purs : a, e, i, o, ou, au,
eau ; et en sons mixtes : ai, ei, eu, oeu, u ; quant aux
nasales an, in, on, un, nous renvoyons aux consonnes m et
n, dont elles tirent leur existence, et dont les rapports avec elles
doivent être étudiés dans leur ensemble. Il ne serait pas sage de
ranger dans ce travail les groupes de voyelles d'après leur
valeur phonétique actuelle, comme nous venons de le faire
jusqu'ici : ils ont leur valeur historique, c'est-à-dire qu'ils peuvent
avoir été antérieurement de véritables diphthongues ; aussi vaut-il
mieux les séparer des voyelles simples 1212.

A.

Cette voyelle sonore est ici d'un emploi moins fréquent que
dans les autres langues romanes, au désavantage du français,
qui, pour le provençal amada, n'a qu'aimée. Le dialecte
bourguignon ancien et moderne a porté encore plus de préjudice
à l'a puisqu'il l'échange dans bien des cas avec ai, par ex.
ainge, baigue, brai (bras), caige, daime, dainger, bairon,
faiçon. A français dérive : 1) D'ordinaire d'un a primitif en
position latine ou romane, et parfois aussi, mais sans règles
définies, d'un a qui précède une consonne simple, voy. p. 138.
2) Quelquefois de e ou i, surtout devant n nasale : ouaille
pour oueille (ovicula, peut-être sous l'influence d'aumaille),
par (per), sarge (serica), banne (benna), lucarne (lucerna),
388glaner (b.lat glenare), faner (de fœnum), dans (de
intus
), sans (sine), sangle (cingulum), tanche (tinca), trancher
(prov. trinquar), revancher (revindicare *). — 3) Dans
plusieurs mots, de l'allem. ei, par exemple hameau (heim), race
(reiza). — Un cas isolé est dame (domna), ainsi que le v.fr.
damesche (domesticus) LRois 240. — Cette voyelle est
muette dans août, prononcez out, anc.franç. prov. aost (disyllabique) :
aoust plurimum, ac si esset oust a nobis effertur,
dit déjà' Ramus p. 19. De même pour saoul (déjà dans Bèze
p. 69), qui s'écrit maintenant soûl.

E.

Il y a trois espèces d'e : 1) Ouvert, e apertum, comme disent
les grammairiens qui écrivent en latin ; 2) fermé, e clausum ;
3) muet, e mutum. On distingue proprement trois sortes
d'e ouvert : l'e ouvert comme dans frère, appelle ; l'e plus
ouvert comme dans nèfle ; l'e très-ouvert comme dans accès.
A cause de sa signification grammaticale pour l'adjectif
(dans aimé etc.) on nomme aussi l'e fermé e masculin, et l'e
muet e féminin. Déjà le document de Londres cité plus haut
distingue plusieurs espèces d'e et en donne des exemples, savoir :
un e stricto ore pronunciatum (bien, trechier), un e acutum
(prenez, tenez), un e plene pronunciatum (amée) et un e
semiplene pronunciatum, l'e muet (meynte, bone). — La
distinction de l'e ouvert et fermé se fait en partie au moyen de
signes appelés accents.

1. L'e ouvert existe : 1) Dans toutes les syllabes accentuées 1213
devant une consonne sonore et même devant s muette ou t, par
ex. avec, aspect, direct, chef, autel, réel, sept, fer, enfer,
amer, ouest, procès, repète, regret, cachet ; aussi dans les
monosyllabes ces, des, les, mes, ses, tes, es (de être). L'e
muet à la finale, après la consonne, est un des principaux signes
qui indique que l'e qui précède est un e ouvert : ainsi dans
belle, guerre, messe, quelque, presque. Contrairement à ce
principe, la désinence ége ou iége exige toujours un e fermé :
cortége, manége, collége, sacrilége, abrége, protége, liége,
piége, siége. A peine peut-on admettre que les deux premiers
mots, empruntés à l'ital. cortéggio manéggio, ont influé sur la
389prononciation de la désinence française 1214. Quand la syllabe perd
l'accent, l'e ouvert devient facilement fermé ou même muet, par
ex. évènement (événement Acad.), préfèrerai, mènerai,
bellement, betterave, restera, légèreté, brièveté, fermeté,
achèvement, allèchement, chènevotte. — 2) Dans les syllabes
atones devant une consonnance multiple, alors même qu'elle
n'est pas suivie d'un e muet : serment, perdrez, clergé, certain,
dernier, contester, querelleur, cession. L'e surmonté
d'un accent circonflexe doit aussi être considéré comme en position,
puisque l'accent indique la chute d'une consonne ; on prononce
donc prête prêter, tête têtière avec e ouvert. — On doit
employer l'accent grave quand e (d'après la division ordinaire
des syllabes) se trouve à la fin d'une syllabe ou devant s finale :
mè-ne, rè-gne, rè-gle, dès, procès, mais sans accent terre,
appelle, coquette, aspect, secret, fer etc.

2. E fermé existe : 1) Dans toutes les syllabes finales accentuées,
r ou z muets n'empêchent pas l'e d'être considéré comme
final : bonté, parlé (et aussi parlée), pré (et aussi plur. prés),
chantez, assez, nez, manger, sanglier, de même blé, pied,
clef. — 2) Dans les syllabes atones devant une consonne simple,
lorsque l'e ne devient pas muet : métier, méteil, précieux,
séjour, régir, révolution, méridional, impérial, intérêt,
différent, littérature. Mais on le rencontre encore dans une
syllabe atone devant des consonnes complexes, excepté rr :
ainsi dans beffroi, blessure, lexique, belliqueux, testament,
spectacle, quelconque, effacer, esclave. — 3) E initial
devant une consonne simple ne se prononce jamais que fermé,
pourvu qu'il n'y ait pas d'e muet dans la syllabe suivante (èbe),
ainsi élément, époque, ou bien avec h muette héberger, héritier.
— L'accent aigu s'emploie seulement à la fin de la
syllabe, jamais devant deux consonnes.

Dans la double nature de l'e accentué italien s'expriment des
différences étymologiques ; cette distinction ne s'accuse que
très-imparfaitement dans la double nature de l'e français. L'e
ouvert représente ici tantôt e latin, tantôt i, tantôt a ; seul, l'e
fermé final répond avec plus de précision à l'a latin ou provençal.
Dans l'ancienne langue on remarque ie pour è et (en bourguignon)
ei pour é : chief, chier, mier, nief, quiel, piere (père) ;
390gardeir, chanteiz, doneit (donné), neie (née), preit (pré),
veriteit, leiz (lat latus), cleif.

3. L'e muet ne se présente qu'à la médiale et à la finale,
jamais à l'initiale. Il est à peine sensible ; en poésie, où il compte
pour une syllabe, il s'entend quelque peu davantage, mais ce
n'est ni un e ni une autre voyelle, de sorte que, par exemple,
pour demander on pourrait tout aussi bien écrire d'mander :
le son foible qui se fait à peine sentir entre le d et le m,
dit Dumarsais renvoyant à cet exemple, est précisément l'e
muet. A la fin des mots il sert à faire ressortir la voyelle précédente
ou à déterminer la prononciation de la consonne : rose,
fidèle, fable, perdre, loge, manche. Dans les monosyllabes,
comme je, me, te, se, le, ce, de, ne, que il a un son un peu plus
distinct, presque celui de eu bref. On ne le trouve pas devant
une voyelle ; on écrit boire et non beoire (cependant on écrit
asseoir) ; il ne se trouve pas non plus devant une consonne
multiple, excepté dans les mots cresson, besson, dessus, dessous ;
de même encore dans la syllabe de flexion ent, dans
laquelle n s'assourdit aussi (ce que déjà Palsgrave remarque
p. 4 et 33), en conséquence aiment se prononce aim' Il peut se
trouver plus d'une fois dans un mot, par ex. reniement, redevance.
Ce son effacé, exemple remarquable de la prépondérance
de la syllabe tonique, est, parmi les langues romanes, exclusivement
propre au français. On trouve quelque chose de semblable
en. anglais à la finale comme à la médiale, mais l'assourdissement
de l'e qui, dans Chaucer, est encore souvent prononcé,
paraît avoir été hâté par l'influence française (Mätzner, Gram.
angl. I, 9). Dans les dialectes de la haute Italie l'e médial
s'assourdit souvent et alors, d'ordinaire, ne s'écrit pas. Mais
dans ces dialectes d'autres voyelles ont le même sort : c'est
une véritable syncope qui ne laisse rien subsister de la voyelle.
Le genre le plus important de l'e muet, c'est-à-dire l'e final,
manque ici complètement.

Etymologiquement l'e muet correspond, à la médiale, à l'e et à
l'a provençal, rarement à l'i : recevoir, degré, cheveux,
commencement, draperie, pureté = receber, degrat, cabelh,
comensamen, draparia, puritat. Il correspond encore
aux mêmes lettres à la finale : frère, chose, aime, Virgile =
fraire, chauza, ami, Virgili. Mais on ne peut découvrir pour
l'emploi de ce son, au moins dans le premier cas, un principe
dirigeant. Entre l'e muet et l'e atone, ce n'est pas la quantité
primitive qui décide (denier de dēnarius, mesure de mēsura
391pour mensura), ni la syllabe radicale, ni l'euphonie, puisque le
rapprochement de consonnes qui ne vont pas bien ensemble
(ptit, r'pos, r'tenir), spécialement dans le cas d'une consonne
initiale complexe ou redoublée (br'bis, bredouiller, fr'don,
cr'ver, gr'nier', p'pin, t'tin), donne naissance a des duretés
incontestables. Pourquoi trouve-t-on avec la voyelle muette de
la première syllabe demander ou recevoir et avec la voyelle
sonore décevoir ou résoudre ? Tous ces quatre mots sont latins
et anciens en roman, et le préfixe n'exprime point ici de sens
plus particulièrement saillant. Pourquoi au contraire dans les
mots refuser et réjouir, qui ne sont latins ni l'un ni l'autre, un
e différent ? On ne trouve vraiment ici que des règles négatives ;
le reste est abandonné au sentiment de la langue, qui, en traçant
de justes limites au consonantisme, n'a dû ni faire tort à la clarté
ni détruire l'essence du mot. Dans des mots moins usités chez le
peuple ou dans des mots étrangers (régénération, émérite,
décédé, miséréré, rébus) la voyelle est moins exposée à
devenir muette ; la plupart du temps les noms propres ont dû
être traités avec des ménagements particuliers. On comprend
que les mots étrangers introduits depuis longtemps, par exemple
des mots allemands comme échevin, écrevisse, assourdissent
l'e absolument comme les mots populaires d'origine latine. Quelquefois
un e muet s'intercale aussi entre consonnes, comme dans
caleçon (ital. calzone), guenipe (allem. kneipe). — Il est
difficile de préciser l'époque à laquelle cet assourdissement a
commencé. Cependant l'orthographe incertaine encore des
voyelles finales dans les mots des serments fradre fradra,
Karle Karlo n'indique-t-elle pas déjà une prononciation
obscure ? On peut supposer que l'assourdissement proprement dit
n'eut lieu que plus tard. Le document de Londres, comme nous
l'avons vu, appelle encore l'e muet un e demi-plein. Même les
grammairiens du XVIe siècle ne connaissent point encore l'assourdissement
parfait. Palsgrave, par exemple, dit p. 4 : he (this
vowell
) shall be sounded almoste lyke an o and very moche
in the noose
, pour en exprimer le son obscur. E fœmineum
propter imbecillam et vix sonoram vocem appellant
, dit
Béze p. 13 ; e fœmineo non adeo vehemens autplenus est
sonus, sed subobscurus
, Pillot p. 30. Le souvenir de la sonorité
primitive de l'e muet nous est encore conservé par sa valeur
métrique 1215. — Les anciens connaissaient encore un e muet qui
392n'avait point cette valeur et qui était destiné à indiquer l'étymologie
ou la prononciation. Ils écrivaient aneme, ordene, angele,
virgene en trois syllabes, mais ils les prononçaient, ainsi que le
prouvent les vers, comme si ces mots n'avaient que deux syllabes,
ainsi an'me (ou comme à présent âme), ord'ne (la syllabe den
comme dans denier), anj'le (la syllabe gel comme dans geler),
aussi angre c'est-à-dire anj're, virj'ne. Ils écrivaient de même
hauene, jouene, ouere, auerai, liuerez (tous disyllab.),
deueriens (trisyllab.), afin que l'on reconnût l'u consonne et
que l'on prononçât havne, jovne, ovre, avrai, livrez, devriens,
et non pas haune etc., auquel cas l'e aurait été superflu. Comp.
Passion du Christ str. 99 (Altrom. Ged.).

Des poètes du moyen âge allemand font rimer avec raison l'e
ouvert français avec ë allemand : schapel vël ; tassel gël ;
tropel hël ; Lunete bëte ; et aussi l'e fermé avec ê : agrêde
(gré) bêde ; adê mê, voy. Grimm I3, 141, 175.

I

est un peu plus usité qu'en provençal et en italien. Il provient
d'i primitif ; en outre : 1) Fréquemment de e, comme dans cire,
merci. Ce développement se produit surtout lorsque, par suite
d'attraction ou d'affaiblissement, un i s'unit à e de manière à
faire naître la diphthongue ei, que le provençal conserve intacte
dans la plupart des mots. Corbie de Corbeia est un exemple de
i provenant de ei. Voici des exemples d'attraction : engin pour
engein (ingenium, prov. engenh), matire arch. (materia,
prov. madeira), mire de m. (mereat, le second e = i, prov.
meira), église (prov. gleisa), Alise (Alesia), Decise (Decetia)
Quicherat, Noms de lieu 28, épice (species), prix (pretium),
dix (decem) ; cependant quelques-uns de ces exemples sont
douteux ; ceux-là surtout sont convaincants dans lesquels l'i
français correspond à l'ei provençal. Exemples d'affaiblissement :
nier (prov. neyar), prier (preyar), scier (segar), tuile pour
tueile (lat. tegula), pis (peitz, lat. pejus), pis (peitz, pectus),
lit (leit, lectus), dépit (despectus), répit (respeit, respectus),
profit (profeit), parfit arch. (parfeit), eslit etc.
(esleit), six (seis), tistre arch. (teisser), ive etc. (egua), aussi
mi-di (mei-dia), nis arch. (neps neis). Le plus souvent, il est
vrai, ei reste fidèle à sa nature de diphthongue quand il repose
sur un affaiblissement. Les chartes mérovingiennes ont une
prédilection particulière pour i, quelle que soit la position de e :
misterium, mercidem, dibiant (debeant), plinius, possedire.
3932) Devant gn ou ll le v. franç. ai (= a lat.) se simplifie
quelquefois en i ; il en est de même en français moderne : barguigner
pour bargaigner, provigner pour provaigner,
chignon pour chaignon, grignon pour graignon, grille pour
graille.

Y se maintient en français dans les mots grecs, comme hydre,
style, gymnase, syllabe, Égypte. Il donne encore lieu à quelques
remarques : 1) Comme voyelle simple remplaçant i, il se
rencontre très-rarement dans les mots populaires (seulement dans
l'adverbe y et dans les substantifs yeux et yeuse ( = ilex). — 2) Il fait
l'office d'un i redoublé entre deux voyelles sonores. On prononce
en effet essayer, asseyez, employer, appuyer, comme essai-ier,
assei-iez, emploi-ier, appui-ier. Si l'appui de la seconde
voyelle vient à manquer à l'y, il retourne à l'i, d'après une
règle d'orthographe : essai, emploi, appui, avec e muet essaie,
emploie, appuie, et aussi payer paie paierai, ayons ait,
soyons sois, aboyer aboiement, royal roi. — Dans le disyllabe
pays, y = aussi ii, on prononce donc pa-is (la première syllabe
du lat. pag), cf. prov. pa-is, ital. pa-ese.

O.

Le sentiment délicat de la langue italienne distingue dans l'o
deux espèces de sons déterminés par l'étymologie. Le français
ne connaît rien de pareil : o dans chose (ital. còsa), note
(nòta), fosse (fòssa), et ordre (órdine), Roma (Róma) se
prononce de même et ne se distingue que quantitativement ; les
grammairiens anciens ne connaissent non plus qu'un o ; la
symétrie qui existe en italien entre o et e n'a donc pas lieu ici.
L'o roman a perdu ici encore plus que l'a, puisqu'il dégénère en
eu et en ou (au reste les dialectes anciens présentent encore
l'o en abondance). 0 dérive : 1) Ordinairement de o devant
m et n : pomme, don, raison, bon, école. — 2) De u
bref ou de y : trop (lat.moy. truppus), flot (fluctus), monde,
grotte (crypta), tombe (τύμβος). — 3) De au latin ou roman,
par ex. or, oser, clore (claudere), forger (fabricare faurcar),
parole (parabola paraula), tôle (tabula taula) ; déjà
dans les serments cosa, dans Eulalie kose, or. — Au lieu
de a on trouve o pour a dans fiole, prov fiola (phiala) ;
o pour i dans ordonner (ordinare). — Cette voyelle est
muette dans faon, paon, Laon, qu'il faut prononcer fan, pan,
Lan, voy. déjà Bèze p. 43. Même chose pour faonner, pron.
fanner, mais suivant Bèze fa-onner.394

Parmi les plus anciens monuments de la langue, plusieurs
confondent souvent o franç. ou ou (= lat. ō, ŏ, ŭ) avec u. Le glossaire
de Cassel écrit capriuns (chevrons), auciun (oison), mantun
(menton), talauun (talon), scruva (lat. scrofa), furn,
pulcins, purcelli, putil (ital. budello), tundi (fr. tonds) ; les
serments ont amur, dunat, nun, cum (fr. comme), returnar ;
le Fragm. de Val. cum, umbre, sun, dune, u (franç. ou),
mult ; Léger nun (nom), advuat (avoue), curt (lat. currit),
cumgiet (franç. congé) ; Eulalie n'en offre pas d'exemples.
Le plus ancien bas-latin de la Gaule connaît aussi cet usage,
par ex. nun Bréq. n. 197 (ann. 681), dinuscetur (dignoscetur)
Mar. p. 99 (653), auturetate p. 100 (657) ; nus,
nubis, meus (meos), cognuvi, funs dans les anciennes messes
publiées par Mone ; nus, vus Form. andeg. Les anciens monuments
romans emploient u au lieu de u français = lat. ū
(commun, cadhuna etc.). Cet usage prépondérant de l'u s'est
développé surtout dans l'ancien dialecte normand et appartient
à son essence. La prononciation de cet u était-elle uniforme ou
se distinguait-elle suivant son origine ? Fallot p. 27 présume
que l'u norm. = ou franç. ou o se prononçait souvent à peu près
comme ou, et ce même u = eu franç. (glorius = glorieux)
comme u franç. Ampère p. 385 admet aussi une différence dans
la prononciation. Mais il faut surtout considérer que u = lat. ō
n'assone pas avec u = lat. ū, que jamais barun, amur
n'assonent avec alcun, dur, tandis que u = eu franç. et u
= ou franç. assonent, parce que tous les deux remplacent ō
latin, en sorte que honur assone avec espus = franç. époux 1216.
Il est surtout difficile d'admettre que deux voyelles, comme ō
latin et ū latin, que le français actuel sépare avec soin, aient été
autrefois réunies dans un seul et même son. Le glossaire de
Cassel en particulier, sous peine d'induire ses lecteurs en erreur,
ne pouvait pas désigner par u, dans les mots romans, un autre
son que u dans les mots allemands. Il est étonnant, à la vérité,
mais ce n'est peut-être qu'un hasard, qu'il rende l'ō long toujours
par u dans les mots romans, et dans les mots latins toujours
par o : liones c.-à-d. ligones, mansione, pulmone, mais aussi
scruva pour scrofa. Comparez encore la manière dont se rend
l'u normand dans les langues voisines : angl.sax. prisun,
395randun, kymr. bacwn, botwm (bouton), rheswm (raison),
fwrwr (fourrure), maisavec wy (= anc. ui) gallwyn (galon) ;
moy.h.all. barûn, capûn, garzûn, pavilûn, poisûn, amûr,
Namûr.

U.

Le signe de l'u répond seul en français à l'u des langues sœurs,
le son est celui de l'u allemand, et est inconnu aux autres langues
romanes littéraires. Cet u dérive : 1) Principalement d'u long,
quelquefois aussi d'u bref : cuve, lune, plume, humble, juste.
Souvent des syllabes a-u, e-u, o-u, produites à la suite d'une
élision, comme dans mûr (anc.franç. maür meür), sûr (seür),
bu (beü), cru (creü), vu (veü), reçu (receü), mu (meü, prov.
mogut), pu (peü, pogut) : cf. aussi rhume de rheuma. —
2) D'un ui antérieur : rut (ruit, rugitus), ru (rui, rivus),
saumure (muire, muria), fut (anc.franç. fuit). — 3) II
remplace i et e dans affubler (fibula), fumier, jumeau, voy.
ci-dessus p. 163.

On ne doit pas s'étonner de cet affaiblissement de l'u latin : il
est conforme à tout le développement du français, qui a fait subir
le même sort à d'autres voyelles. Vouloir trouver un rapport
historique entre l'u français et la prononciation identique attribuée
à l'u latin par quelques philologues, serait une vue
grammaticale bornée. Cette prononciation ne concerne en latin
que l'u bref, tandis que l'u français est proprement le représentant
de l'u long. Dans le domaine roman cette même
prononciation s'est introduite en provençal moderne, dans le
dialecte roumanche de l'Engadine et dans le lombard. Dans
le dialecte roumanche du pays haut, ü a pris la prononciation
de i, comme dans glinna (lūna), plimma (plūma),
vartid (virtūtem), il en est de même aussi dans un des dialectes
lombards (Biondelli p. 12) ; c'est un amincissement du son
ü, qui s'est aussi développé dans des dialectes du haut-allemand
et qui a atteint l'ü islandais ainsi que l'u grec moderne. C'est,
il est vrai, d'une autre manière (par la périphonie ou umlaut)
qu'est né notre ü allemand ainsi que l'y norois : mais dans un
des idiomes norois modernes l'u pur a glissé à l'ü sans le secours
de l'umlaut (Grimm I3, 443). Dans la prononciation de l'u
néerlandais il est permis de soupçonner l'influence du français
(Gesch. d. deutsch. Spr. p. 281).

On ne peut douter que cette prononciation de l'u français ne
remonte à une époque fort ancienne. La valeur de cette voyelle
396doit coïncider avec l'introduction de la combinaison ou, pour
laquelle le signe u ne pouvait plus servir. Si on cherche ce qu'est
devenue cette voyelle dans les langues étrangères, on trouve
qu'en moyen-haut-allemand elle est fidèlement rendue par iu,
par ex. âventiur, covertiur, feitiure (faiture) ; on remarque
dans l'ancien français quelques traces de l'orthographe inverse :
fuirur (fureur), vertuit, avenuit (avenu), trebuicher, voy.
SBern. Au moyen-haut-allemand correspond à peu près l'u
anglais réservé exclusivement aux mots romans, en tant qu'il se
prononce ju, comme dans dure, plume ; Palsgrave p. 7
compare l'angl. ew dans mew. Dans le bas-grec u est représenté
par ου, ex. Σουλῆς = Sully, Οὕγγος = Hugues (Buchon,
Chron. étrang.), mais cette langue ne possédait pas de transcription
plus exacte. En breton, où ü ne manque pas, il est remplacé
quelquefois par le son voisin : krîz (cru, crudus), kîl
(cul), kilvers (culvert), kibel (cuvel).

Voyelles combinées.

Ce sont ou des sons simples ou des diphthongues. De toutes les
langues romanes, le français est la plus pauvre en diphthongues
et se comporte sur ce point, vis-à-vis du provençal, comme les
dialectes bas-allemands vis-à-vis du gothique et du haut-allemand,
en tant qu'en bas-allemand ai ou ei primitifs se sont condensés
en ê, au ou ou en ô qui correspond aussi à l'ou haut-allemand.
Le français ne manque pas, d'autre part, de combinaisons
vocaliques exprimant des sons simples et que nous étudierons
également ici. Séparons tout d'abord des diphthongues véritables
les combinaisons accidentelles nées par suite d'une synérèse.
Parmi ces dernières, citons les suivantes : IA, par ex. diable,
diacre, fiacre, liard, viande, piailler, familiarité, bestial,
opiniâtre (poét. opini-âtre), mendiant, négociant (tous deux
subst., mais part. négoci-ant). IE : piété, essentiel (mais
offici-el), négocier, serviette (mais mauvi-ette), ancien,
même lien à côté de li-en (Malvin Cazal, Prononc. franç.
p. 143) ; voy. sous IE. IO : piot, pioche, bestiole, légion,
union, scorpion, champion, lionne etc., ainsi que la flexion
verbale ions. IAI : biais, liais, niais, bestiaire. IAU : miauler,
piauler, bacaliau. OUI : couard, fouace, fouaille,
ouate, pouacre, bivouac. OUE : couenne, fouette, pirouette,
ouest. OUI : oui, Louis, fouine, drouine, gouine, babouin,
baragouin, marsouin. UE dans écuelle. Dans les cas où ou est issu
397de w, la diphthongue a sa raison d'être. — Il est presque inutile
de rappeler que i, lorsqu'il a pour fonction d'indiquer l'l mouillée
(bail, vermeille, fenouil), ne forme pas de combinaison avec
la voyelle précédente.

AI

se prononce comme e ouvert ; dans la désinence verbale ai
comme e fermé (j'ai, je chantai, chanterai) 1217, de même aussi
dans quelques syllabes atones (aimer, vaisseau) ; comme e
muet dans faisant, faisons, faisais, ce que savait déjà, mais
blâmait Bèze ; comme a dans douairière. Étymologiquement,
cette combinaison provient : 1) D'un obscurcissement de a :
aigre, maigre, clair ; surtout suivi d'm ou n : aime, main,
romain. — 2) D'une synérèse, comme en provençal : air,
traire, gai. — 3) De la résolution vocalique d'une consonne,
comme dans aider (aj'tare), mai, plaie, plaindre (plagnere
pour plang.), haie (anc.h.all. hag), Cambrai (Camaracum),
payer (pacare), saint, fait, laisser. — 4) D'une attraction :
contraire, palais, raison, aigle, bain. — 5) De la chute d'une
consonne : chaîne, bai (badius), glaive (gladius), sais
(sapio). — 6) Ai représente souvent ei (oi) ou e : ainsi dans
contraindre à côté de étreindre, daigner, Sardaigne,
vaincre, aine (inguen), domaine (dominium), taie (theca),
craie (creta), dais (discus), frais (frisk), épais (spissus),
effrayer (prov. esfreidar) ; à l'inverse oi représente ai dans
carquois, émoi, pantois. — 7) Ai correspond à un ai primitif
seulement dans les mots d'origine étrangère, comme souhaiter,
laid, lai (cimb. llais). — Ai ne suppose pas toujours l'accentuation
de la première voyelle et l'atonie de la seconde ; le
contraire peut se présenter, ainsi dans maître (magister, ital.
maestro), traître (anc. traïtre, de tradire pour tradere), train
(anc. traïn pour trahin), faîne (anc faïne, faginea), chaîne
(chaïne, catena), sain-doux (sagina). Une forme usuelle pour
ai est ei, qu'emploie le dialecte normand du moyen âge, par ex.
mein, primerein, meinent (lat. manent), seint, eit, pleisir
LGuill.
 ; il arrive souvent aussi que l'e simple représente la
combinaison ai.

Hanc diphthongum, dit Bèze p. 41, majores nostri
sic efferebant ut a et i, raptim tamen et uno vocis tractu
prolatam, quomodo efferimus interjectionem incitantis
hai,
398hai, non dissyllabam, ut in participio haï (exosus), sed ut
monosyllabam, sicut Picardi interiores hodie quoque hanc
vocem
aimer pronuntiant. Il n'est pas douteux que le français
n'ait eu originairement ai comme diphthongue = prov. ai. La
prononciation è n'a pas dû sortir brusquement, par exemple,
de la syllabe ag ; l'i provenant de la résolution du g a dû se
maintenir assez longtemps avant de se perdre dans l'a en le
modifiant. On a rappelé à ce propos l'ê sanscrit venant de
ai : mais la comparaison est plus juste encore avec l'anglo-saxon
ä (ae) du goth. ai, et même avec le lat. æ, dont l'expression
la plus ancienne est ai et la valeur postérieure ä. Mais déjà
à la meilleure époque de l'ancienne littérature française ai doit
avoir perdu sa puissance, puisque partout dans les manuscrits il
rime avec e ouvert. C'est pour cela aussi qu'on trouve déjà en
moyen-haut-allemand l'orthographe vinaeger (vinaigre),
glaevîn (glaive), salvaesche (salvaige) Grimm I3, 173. En
anglais il est rendu par ai : air, aid, pay, plus souvent encore
par ea (qui correspond aussi à l'angl.sax. ae) : eagle, eager,
clear, ease, grease, peace, plead. Les plus anciens exemples
français sont dans les Serments : salvarai, prindrai, plaid,
dans Eulalie faire, laist, dans le Fragment de Valenciennes
aiet, faire, fait, haires, maisso. Sur la prononciation des
Serments il n'y a rien à remarquer. Le chant de Saint-Amand
écrit ae à côté de ai dans maent et aezo, c'est peut-être déjà
une manière de rendre le son mixte 1218. Mais il n'est pas possible
que haires (dans le Fragm. de Val.), qui provient de l'anc.
h.allem. hâra, fût prononcé avec une diphthongue. Esilos =
aisseau dans les glosses de Cassel, a moins de poids, puisque e
se trouve dans une syllabe atone. Le néerl. pais (paix) remonte
donc à une période plus ancienne, ou bien l'on y peut reconnaître,
ainsi que dans d'autres mots néerlandais (ghepayt =
payé Grimm l. c. 293), ce dialecte dont parle Bèze. Dans le
français moderne la diphthongue ne se trouve plus que dans les
interjections ai et haie (Malvin-Cazal 95) et dans quelques
noms propres, comme Bayard, Mayence.

EI

Cette combinaison, qui a déjà sa place dans les glosses de
399Cassel (seia, maneiras), avait une grande importance dans
l'ancien français. Nous avons vu qu'en bourguignon ei représente
le franc, e (preit = pré), et qu'en normand ei (tous deux
avec une prononciation différente) représente l'ai franç.mod.
(romein = romain). L'anc franç. ei, qui se rapproche davantage
de la lettre latine, dérive encore : 1) De l'allongement de
e : mei (lat. me), tei (te), treis (tres), plein (plenus), meis
(mensis mēsis), corteis (cortensis *), franceis (francensis *,
prov. frances), veile (velum), aveir (habere), aveie (habebam).
2) Dans quelques mots aussi de i : veie (via), beivre
(bibere), peivre (piper), meindre (minor) etc. — 3) Il provient
de la résolution d'une gutturale, cumme en provençal, par
ex. leial lei, reial rei, freid, neir (nigr'), seier (secare)
Rq., dreit (lat.moy. drictum), estreit ; devant sc dans creistre
(crescere), pareistre (parescere *) ; aussi dans ceindre in
ressemble à l'nh provençal = gn. — 4) Rarement il naît d'une
attraction, comme dans feire (feria). — L'ancienne prononciation
diphthonguée, presque comme dans le franç.mod. planchéier,
semble s'être conservée dans le breton, qui écrit feiz
(foi), sei (soie), afreiz (effroi). On écrivait de même en moy.
h.allem. turnei, eise (aise), kunreiz (kunterfeit, curteise
rimant avec l'allem. reise ; anc.nor. burgeys (bourgeois) ;
moy.néerl. keytîf, souvereyn, vileyn. Mais ce double son,
surtout là où il représente l'e fermé français, doit s'être simplifié
déjà au moyen âge, puisqu'on faisait rimer ei avec e sans
difficulté (greíz aler, doreiz tornez). Au reste on échangeait
aussi ei avec ai : çainst (cinxit), laigne (lignum), saigner
(signare).

L'ei du français moderne sonne comme e ouvert 1219 ; mais, sauf
devant l mouillée (oreille), ei n'existe plus que dans un petit
nombre de mots, car oi a pris sa place. Il provient : 1) Par
synérèse de e-i dans reine, de a-i dans seine pour saine
(sagéna). — 2) De e ou i : frein, plein, veine, baleine, seigle
(secăle d'après l'accentuation romane), seize, treize, sein,
seing. — 3) De l'affaiblissement d'une gutturale : Seine (Sequăna),
peintre (pinctor pour pictor), feindre, peindre etc.

OI.

Nous rencontrons dans cette combinaison une diphthongue
400très-usitée, que le français moderne traite encore comme telle.
L'ancien français la possédait avec la même fonction, mais les
dialectes restreignaient son domaine au profit d'autres sons.
Étymologiquement oi a une double nature.

1. Oi, venu de o (au) ou de u, se rencontre déjà dans les chartes
franques : cf. Goyla nom de femme Bréq., n. 336 (de Gudula ?),
Bonoilo villa Mab. Ann. III, n. 7, cf. Bonogili villa ibid.
n. 5, Nantoilo nom de lieu, ibid. n. 24, Goilis, nom de lieu
n. 25, Cristogilum Cristoilum etc. (Quicherat p. 51). On connaît
broilus à côté de brogilus. Les glosses de Cassel fournissent
l'exemple de moi = modius. Cet oi provient : 1) De l'affaiblissement
d'une gutturale : poing (pugnus), oindre (ungere),
moine (monachus), foyer (focarium), noyer (nucarius *),
point (punctum). Devant ç et on le rencontre dans croix,
noix, voix, connoître (maintenant connaître), voy. ci-dessus
p. 231. — 2) D'une attraction, comme d'ordinaire en provençal,
par ex. gloire, ivoire (eborea), ciboire, Antoine, coin
(cuneus), témoin, angoisse, poison (potio), boîte (prov.
bostia). — Au lieu de oi les textes normands emploient ui,
comme dans duinst (franç. donne), juindre ; dans d'autres on
rencontre oui : crouiz (croix), vouiz (voix) R. du S. Graal.

2. Oi, venu de e ou i = prov. ei, v. franç. ei, oi. Voyez sous
ei les différentes formes de cette diphthongue. Les exemples
sont : 1) Moi, toi, trois, croire, toile, voile, mois, courtois,
albigeois, proie, avoir, soir. — 2) Voie, convoi, poire, boire,
poil, poivre, moindre, moins. — 3) Loyal loi, de même royal
roi
, froid, noir, doigt, droit, étroit, toit (tectum), noyer
(necare), emploi employer. — L'anglo-normand employait
d'habitude pour cet oi la forme ai : rai, dait, quai Chron. de
Langtoft
, et aussi dans Alexis ed. Müller mai (moi) 93, 96.

La prononciation de cette diphthongue est d'ordinaire indiquée
chez les grammairiens français par oua, en appuyant sur la
dernière voyelle ; mais il faut sûrement regarder cette prononciation
comme relativement moderne. L'ancienne prononciation
était littéralement oi, en appuyant sur la première voyelle,
comme en provençal : de glória est né d'abord glóire. Ce son
primitif, qui faisait pleinement entendre les deux voyelles, est
encore conservé dans la combinaison oy, dans laquelle y = ii
(foyer = foi-ier), et aussi dans la combinaison oin (besoin),
dans laquelle l'i n'a pas été plus maltraité que dans vin,
mais où l'on n'appuie plus sur l'o. L'accentuation de l'o en
ancien français est confirmée par l'assonance, comparez dans
401Eulalie tost : coist : dans Léger str. 20 mors ; dans Alexis
str. 101 noise goie tolget ; elle est confirmée par la condensation
dialectale en ô : crô (crois), étô (étoit), srô (seroit),
voy. Servent, p. p. Hécart. Pour montrer que cette diphthongue
avait sa valeur naturelle, on peut encore citer quelques
exemples étrangers : en angl. adroit, devoir, noise, voice ;
moy.néerl. proi (proie), tornoi, vernoi (ennoi ennui), boi,
pointe, fransois etc. ; moy.h.allem. schoye, roys, franzoys,
poinder, boie, cf. Grimm I2 354, I3 197 ; bas-grec ῥόη, mais
aussi ῥοΐ (franç. roi), Μαφροί Μαφροή (Mainfroi), Αῤῥοῆσι (lis.
Ἀρτοῆσι, Artois), voy. Buchon, Chron. étrang. gloss. ; prov.
mod. rói, espóir. Dans le néerl. talioor Kil. (tailloir) ou
kantoor (comptoir), dans notre Franzose ou l'ital. Francioso
l'i s'est perdu tout entier dans la voyelle dominanteo. Si on interroge
les grammairiens du XVIe siècle, on trouve un changement
dans la prononciation. Palsgrave p. 13 donne à oi une double
valeur, celle de l'oy anglais dans boye, c'est-à-dire boy, dans lequel
on entend i atone, et celle d'oa dont l'a n'était sûrement pas
un ä (comp. p. 12) ; comme exemple de la première manière de
prononcer il donne oyndre, moytié, moyen, roy, moy, loy, et
de la seconde boys, soyt, voyx, ou Francoýs, disoýt, gloýre,
voílle, en accentuant la deuxième voyelle, ce qui ne fait aucune
différence. Les autres grammairiens indiquent le son oe en
appuyant sur e. Périon, par exemple, dit p. 53a : Cum (oi) est
extrema syllaba aut ejus pars, manet illa quidem tota, sed
tamen novum quendam sonum
i efficit, qui ad e accedere
videtur, ut
μοὶ moi, σοὶ toi ita pronunciamus, ut si moé, toé
esset ; de même p. 136 il prononce vouloir comme vouloér et
écrit droect pour droict. Bèze p. 47 recommande aussi de prononcer
moi, toi, loi comme moai, toai, loai, ai pro e aperto ; cf.
P. Ramus p. 19. De là, au XVIe siècle, des rimes comme pécheresse
paroisse
(pron. parouesse), damoyselles estoiles (étouéles),
voy. Génin, Variat. p. 302. A se rapporte le breton boest
(boîte) et l'esp. toésa (toise). Cet , ou exactement avec une
légère modification ouè, est encore maintenant la prononciation
à peu près générale des provinces 1220 ; oua est un développement
402plus avancé, et comme aucune raison physiologique n'explique
sa présence, on ne peut mieux le faire qu'en l'attribuant au
goût de la langue, qui trouvait plus commode un a à la finale
dans cette combinaison. C'est donc le déplacement de l'accent,
comme nous l'observerons pour ui, qui a préparé la prononciation
nouvelle de la diphthongue oi.

La dégénérescence en oi de l'ancien ei organique = prov. ei
est un phénomène qui a troublé et altéré les rapports phonétiques
de la langue. Dans les deux plus anciens monuments
français cette transformation n'a pas encore eu lieu : de pois
(possum) on distingue dans les Serments dreit (directum) ;
de coist (coxit) dans Eulalie raneiet (reneget), pleier (plicare),
preier (precari), creidre (credere) ; mais dans le
Fragment de Val. on trouve déjà noieds, qui correspond nécessairement
au franç.mod. noyés, cf. Génin 470. Remarquons que
la prononciation ei, quoique limitée à un petit nombre de mots
et de formes, se répandit de la Normandie, à ce qu'on croit, sur
l'Île-de-France, et fut établie comme classique, grâce à l'influence
des courtisans italiens, bien qu'autrefois la prononciation picarde
et bourguignonne oi y eût été dominante. Bèze dit déjà à ce
propos p. 48 : Hujus diphthongi pinguiorem et latiorem
sonum
(oai) nonnulli vitantes expungunt o, et solam diphthongum
ai, id est e apertum, retinuerunt, ut Normanni,
qui pro
foi (fides) scribunt et pronuntiant fai : et vulgus
Parisiensium
parlet (loquebatur), allet (ibat), venet (veniebat)
pro parloit, alloit, venoit, et Italo-Franci pro Anglois,
François, Escossois pronuntiant Angles, Frances, Ecosses
per e apertum, ab Italis nominibus Inglese, Francese,
Scozzese. Nam ab hac triphthongo sic abhorret Italica
lingua, ut
toi, moi et similia per dialysin producto etiam o
pronuntient fo-i et mo-i dissyllaba. Il ajoute : Corruptissime
vero Parisiensium vulgus Dores
πλατειάζοντας imitati pro
voirre (vitrum) sive, ut alii scribunt, verre, foirre (palea
farracea
) scribunt et pronuntiant voarre et foarre ; itidemque
pro
trois (tres) troas et tras. Les mots dans lesquels on
prononce (et depuis l'exemple de Voltaire et de quelques autres
on écrit) ai pour oi sont françois et d'autres noms de peuples
semblables, foible, roide, monnoie, harnois, paroître, connoître
et les flexions verbales ois, oit, oient. Boileau fait
403encore rimer françois avec lois ; mais déjà La Fontaine (7, 7)
fait rimer connoître avec maître. — Remarquons encore que
dans quelques mots, comme oignon, poireau, coignassier,
oi est prononcé o.

UI.

C'est une diphthongue dans laquelle la première voyelle conserve
le son ordinaire de l'u français et la seconde a la prépondérance ;
suis rime en conséquence avec débris, conduit avec
petit, construire avec dire. Chez les anciens on trouve déjà lui
ami Ignaur
. 76, NFC. II, 156, nuit lit I, 358, fuit vit Ren.
I, 142. Mais il ne manque pas non plus d'exemples d'accentuation
provençale, cf. à la rime lúi plus ChRol. p. 10, fúit vencuz
p. 41, lúist batud 62, lúi úi (hodie) vertud Charl. p. 28. Il
n'y a pas jusqu'à la forme de la basse latinité lue qui ne prouve
bien que l'accent portait sur u (et non sur i, autrement i n'aurait
pas été remplacé par e) ; voyez-en des exemples dans Marculfe
Form. app. 51 et ailleurs. Le néerlandais du moyen âge exprimait
ui par û : dedût (déduit), pertûs (pertuis) preuve que
c'était la première voyelle qu'on entendait davantage, cf. Grimm
I3, 288. L'étymologie justifie tantôt une prononciation, tantôt
l'autre.

UI provient : 1) De ui latin : anc. franç. fui, fuisse, franç.mod.
lui, de même circuit, fortuit, gratuit, ruine ; dans d'autres
mots, au contraire, comme casuiste, assiduité, ui se prononce
en deux syllabes (Malvin-Cazal, p. 194) ; il provient aussi du ui
allemand (wi) : suinter (suizan), Suisse ; de u-e : détruire.
2) De u ou o avec addition d'un i euphonique : suis (sum,
abrégé su), puis (post), puis (possum), et sans doute aussi
aiguille (acucla *). — 3) De l'affaiblissement d'une gutturale :
buie (boja), truie (troja), cuiller (cochlearium), essuyer
(exsucare), buis (buxus), cuisse (coxa), huit, fruit, nuit,
réduire, cuit, cuire. — 4) Il naît par suite de l'attraction de
u-i, o-i : cuivre (cupreum), aiguiser (acutiare *), pertuiser
(pertusiare *), puits (puteus), menuisier (minutiarius *)
juin, cuir, huile, muid, huître, anc.franç. fluive (fluvius),
LJob, pluisors (plusiores *), huis (ostium). — 5) Il provient
de la chute de consonnes dans juif (judius de judæus), pluie,
écuyer (scutarius), fuir, hui, ennui (in odio), pui (podium),
appuyer (appodiare *). — 6) Il y a des cas dans
lesquels ui ne peut s'expliquer que par la transposition de eu
ou de iu ; ainsi dans tuile (teula de tegula, cf. v.franç. reule,
404seule, de regula, sæculum), ruisseau (riucellus de rivicellus),
suif (siuv, seuv de sevum). — Ui a remplacé souvent oi ;
il peut y avoir là une raison euphonique ; ui était plus aisé à
prononcer que oi, surtout si on voit dans u l'u pur originaire
= ou : dans le prov. oi, accentué sur l'o, cette dégénérescence
en ui se présente moins souvent.

AU

a le son de o et provient : 1) De au latin : cause, pauvre, restaure,
aurore, automne, auteur, taureau. — 2) Il naît de la
résolution d'une labiale : autruche (avis struthio), aurone
(abrotanum), aurai (de habere), saurai (sapere). — 3) De la
résolution d'une l précédée de a : aube, baume (balsamum),
émeraude (ital. smeraldo, smaragdus), haut, jaune (galbinus),
aumailles (anc.franç. almailles, animalia), fauve
(allem. falb) 1221. Parfois après un e, c'est-à-dire qu'on a écrit au
pour eau, ce qui devait arriver quand le suffixe el s'ajoutait à
des radicaux terminés par une voyelle : glu-au pour glu-eau
(voy. p. 406) de même Guillaume pour Guilleaume. Mais au
ne peut naître des combinaisons ol et ul ; aussi chaume ne
vient-il point de culmus, pas plus que fauve de fulvus ou aune
immédiatement de ulna.

Cette combinaison aussi était primitivement diphthonguée,
comme en provençal, ce qui ressort déjà de ce qu'il a fallu passer
par au pour venir de al à o, mais il n'est pas facile de dire
combien de temps a duré cette prononciation. L'antique glossaire
de Reichenau écrit déjà ros = prov. raus, soma =
sauma, sora = saura, Eulalie a or et kose, mais aussi
auret (habuerat), auuisset (habuisset), diaule (diabolus),
Léger a auuret str. 2 ; il est probable que cet au était diphthongué
de manière à prononcer l'u comme le w anglais ; le
breton dit encore aujourd'hui diaoul. O pour au est remarquable
dans jholt qu'on trouve deux fois dans le Fragm.
de Val. (faciebat grant jholt, si vint gran ces jholt)
405et qui correspond visiblement au français moderne chaud.
Palsgrave p. 14 ne connaît d'au = o qu'à l'initiale (autre) ;
autrement il doit se prononcer comme l'aw anglais dans dawe
(c*est-à-dire daw). Bèze p. 43 attribue du reste au dialecte
normand la prononciation diphthonguée : Hæc quoque diphthongus
(au), dit-il, aliter pronuntiatur quam scribitur :
sic nimirum ut vel parum vel nihil admodum differat ab

o vocali, ut aux (allia), paux (pali), vaux (valles), quæ vix
aliter mihi videntur sonare quam in
os (ossa), vos (vestri),
propos (propositum). Normanni vero sic illa sonore pronuntiant
ut
a et o audiantur, ut qui dicant autant perinde
pene acsi scriptum esset
a-o-tant. En wallon il en est de
même encore aujourd'hui : ainsi dans fraw (franç. fraude),
clâ ou claû (clou), cawsion (caution). En Bretagne elle
persiste encore, cependant on dit ao au lieu de aou : faoz
(faux), raoz (roseau), brifaod (brifaud) etc. Les langues
étrangères reproduisent littéralement la diphthongue : moy.
néerland. scafaut (échafaud), yraut (héraut), assaut, voy.
Grimm I3 292 ; moy.h.allem. Laudîne, Mahaute, Libaut ;
bas grec Ναϊναῦτ (Hainaut), Μπαυτουῆς (Baudouin), voy.
Buchon, Chron. étrang.

Rapprochons de au la combinaison EAU qui a le même son.
Elle naît de la syllabe el ou il dans les consonnes suivantes :
beau, peau, sceau, veau, anneau, heaume (anc.h.allem.
helm), épeautre (spelz). Si une voyelle précède elle absorbe
l'e : joy-au pour joyeau (gaudiellum*, prov. joi-el), boy-au,
glu-au, gru-au, hoy-au, tuy-au, anc.franç. joy-el etc. ;
de même flé-au, pré-au, fé-aux (fideles) pour fié-eau, pré-eau,
fé-eaux. L'histoire de cette combinaison peut se faire
ainsi : de bel, par le phénomène si fréquent de la diphthongaison,
on fit biel, puis bial, biau, forme usitée encore en Picardie ;
de biau est né d'abord beau avec e sonore (monosyllab.) :
auditur e clausum, dit Bèze p. 52, cum diphthongo au,
quasi scribas eo. L'anc.franç. beau assone encore avec grant,
Charl. p. 11, et on dit encore en Bourgogne veá (veau), morseá
(morceau), bandeá (bandeau), voy. Fertiault s.v. novea. Gotfried
de Strasbourg dit bêâ disyllabique, Wolfram de même, mais
aussi en une syllabe beâ, comme en français. A cette prononciation
se rattache encore l'ital. Bordeà (Bordeaux), de même
qu'à correspond l'esp. Burdeós, Meós (Meaux). Le breton
rend bourreau par bourreô, le basque par baurreba. Sur le
mot eau de aqua voy. mon Dict. étym.406

EU.

D'après l'organisme général des langues romanes eu est proprement
l'ŏ diphthongué ; il répond au prov. ue, uo, à l'esp. ue, à
l'ital. uo, mais il a dépassé cette première destination. Il a le son de
l'all. ö, que connaissent également les dialectes de la haute Italie.
Eu provient : 1) De eu latin, par ex. neutre, Europe, neume
(pneuma), hébreu (eus pour aeus). — 2) De o bref ou long,
ainsi que de au : feu, jeu, meule, neuf, peuple, deuil,
feuille, cerfeuil, filleul ; fleur, heure, meuble, neveu,
pleure, seul, couleur, fameux, pieux (disyllab.), peu,
queue (cauda coda), bleu (blau). Dans tous ces cas l'ancienne
langue connaît aussi l'o simple. — 3) De la condensation de e-u
= a-u ou a-o : heur (augurium, prov. aür), peur (pavor,
prov. paor), empereur (ancienn. empereór), eût (ancienn.
eüst, habuisset). Dans ce dernier mot, comme dans toute la
conjugaison du verbe avoir, eu se prononce u : on a conservé
l'e devenu muet pour donner plus d'ampleur aux formes écrites,
ce qu'il ne parut pas nécessaire de faire pour sus (sapui) etc.
Dans jeûne (ancienn. jeüne, jejunium) e est aussi muet. — 3)
A l'inverse, eu dérive de u-e, u-i : ainsi du moins dans jeune
(juvenis), fleuve (fluvius), beurre (butyrum), veuve (vidua
viua viuva
). — 5) De ill, ell dans eux (illos), cheveux
(capillos), verveux (vertebellum *) etc.

Ce qui prouve que primitivement la combinaison eu était
diphthonguée, c'est qu'elle a été capable d'assoner avec e, par
exemple dans Léger 25 et 31 déu preier et de même aussi
plus tard. Le document de Londres met sur le même pied la
diphthongue dans diéu, miéuz et celle qui se trouve dans bién,
en tant que l'une et l'autre ont un e accentué : Dictio gallice
dictata, habens sillabam primam vel mediam in
e stricto
ore pronunciatam, requirit hanc litteram
i ante e pronunciari,
verbi gratia
bien, dieu, mieuz, trechier, mier, et sic de
consimilibus
. Palsgrave p. 14 lui attribue de même la nature
de diphthongue, puisqu'il la rapproche de l'ew anglais dans
fewe (few) et de l'eu italien. A côté de eu on trouve fréquemment
chez les anciens UE = prov. esp. ue : buefs, cuens (franç.
mod. comte), cuer, fuet (lat. fodit), fuer, duel (deuil),
nuef, prueve, puet, suet (lat. solet), vuelent ; de même en
moyen néerlandais eu = ue, ce que remarque déjà Grimm I3,
301. OE se rencontre aussi : foers (ital. fuori) dans le Fragm.
de Val. et aussi dans des manuscrits postérieurs, par ex.
407ChRol. coer, soer, poet, moet (franç. meut), oes (lat. opus).
Cette indécision dans l'orthographe semble indiquer le son mixte
qui apparaît de bonne heure ; de même de l'anc.h.allem. ui est
né le moy.h.allem. iu voisin du bas-allem. ü. La forme plus
éloignée UO = ital. uo ne se rencontre que dans les premiers
monuments linguistiques : dans Eulalie buona, ruovet, dans
Léger buon, duol, duos (franç. deux) ; à l'inverse ou dans le
Fragm. de Val. (douls) et dans des textes postérieurs. Au franç.
mod. eu correspond parfois en normand u : par ex. avugle,
puple, sul, culur, seniur. Voyez ci-dessus, à la lettre o, ce que
nous avons dit incidemment de cette orthographe.

A propos de cette combinaison, remarquons encore quelques
formes graphiques du français moderne : 1) On écrit UE pour la
prononciation quand c ou g précède : cercueil, cueillir, écueil,
orgueil. — 2) Par égard pour l'étymologie, on écrit ŒU
dans bœuf, chœur, cœur, mœurs, nœud, œuf, œuvre,
sœur, vœu. — 3) Œ seulement dans œil (oculus). Poêle
(b.lat. pisalis) et coeffe (b.lat. cofia) ne contiennent pas la
diphthongue qui nous occupe : on prononce poile, coiffe, et on
admet aussi cette orthographe.

La combinaison IEU, qu'on prononce eu avec le choc d'un
i précédent, est de même nature. Cet i provient tantôt déjà du
lat. i, curieux, sérieux (chez les poètes cur-i-eux, sér-i-eux
en trois syllabes, Malvin-Cazal 130), tantôt de la diphthongaison
d'un e, æ ou i, comme dans dieu, Mathieu, lieue (leuca),
deux (cæli), yeuse (ilex, prov. euze), mieux (prov. mielhs),
vieux (vielhs), épieu (anc. espieil, spic'lum), essieu (axic'lus).
Cette diphthongue ieu n'a pas pu naître de o d'une façon
normale, aussi doit-on s'étonner de la formation de lieu (locus)
(déjà dans le Fragm. de Val.), au lieu de l'archaïque leu,
qui correspond aux formes feu et jeu. L'alternance fréquente
en ancien français entre eu et ieu aurait-elle amené cette
confusion (deu dieu, Mattheu Matthieu) ? Un patois provençal
moderne dit également, en intercalant un i, lioc, mais il dit
aussi fioc (focus). Le pluriel yeux pour eux à côté du singulier
œil n'est pas moins surprenant. Doit-on admettre dans ce
pluriel la métathèse du mouillement, en sorte que yeux serait
pour euilx, phénomène dont le roman offre à peine quelques
exemples, et qui correspondrait peut-être alors à la metathesis
aspirationis
du grec (θρίξ τρίχος) ? voy. ci-dessus p. 274 1222.408

Une autre diphthongue d'une nature différente, qui ne se présente
qu'en ancien français et là même rarement, est IU, tantôt
correspondant au prov. iu, comme dans piu, bailliu, tantôt
née d'une l. vocalisée ou de toute autre manière, par ex. fius (fils)
Ch. d'Alex. str. 91, cius (ceux, ancienn. cils) S. Graal,
rechiut (reçu) dans une charte de Tournay.

OU.

Cette combinaison de voyelles, qui a une ressemblance frappante
avec l'ου grec et qui rend l'u simple des autres langues
romanes (Palsgrave p. 16 l'assimile à l'u italien), paraît
avoir pris naissance depuis que l'u français s'est perverti 1223.
On la rencontre déjà dans les plus anciens textes : Eulalie
a bellezour, fou (focus), pouret (potuerat) etc., le Fragm.
de Val. douls (doles), correcious. Voici des exemples tirés du
bas-latin : Bordouse villa et Malarouta Bréq. n. 194 (ann.
680), coustuma Carp. s. v. (ann. 705), loutrus = franç.
loutre Gloss. erf. p. 345, Loulmontem Mab. Ann. III, n. 13.
Lorsque cet ou représente des voyelles simples on peut lui
attribuer la même valeur qu'aujourd'hui : ainsi dans les anciens
poètes allemands, Gottfried de Strasbourg par exemple, on trouve
duze (douce), filus, rimant avec hûs ; autrement il a dû se
prononcer comme ou provençal. Il serait en effet difficile d'admettre
que la diphthongue ne se fût pas conservée par exemple
dans le mot pouretl'u est attiré par l'o. Aussi les poètes
font-ils assoner sans hésitation ou avec o : óut póut Anjóu
noz or ChRol
. p. 47, 62, 114.

Ou est : 1) La forme dominante de u bref latin = prov. o :
couver (cubare), joug, mouche (musca), sous (subtus), roux
(russus). — 2) On le rencontre aussi au lieu de o et au (av) :
amour, jaloux, prouver, roue, cour (chortem), louer (laudare),
Anjou (prov. Anjau), Poitou (Peitau), trou (trau),
joue (gauta), clou (clau) ; au lieu de a-u dans soûler (satullare).
4093) Souvent ou provient de la résolution de ol (aul),
ul, et coïncide parfois avec l'ou provençal : cou, moudre
(molere), chou (caulis), couteau, doux, genou (abrégé de
genouil) 1224.

IE.

Cette diphthongue, bien connue dans tout le domaine roman,
a trouvé aussi en français un emploi très-étendu. La seconde
voyelle est tantôt ouverte, tantôt fermée, et est essentiellement
soumise aux règles indiquées au chapitre de l'E (où des exemples
ont déjà été donnés) ; toutefois dans cette combinaison e ne
devient pas muet 2225. IE provient : 1) Du lat. i-e par synérèse,
comme en italien etc., piété, patience. — 2) On retrouve dans
beaucoup d'autres mots non latins cette tendance à contracter
deux syllabes en une seule, tels sont : hardiesse pour hardi-esse,
négocier pour négoc-ier, remercier pour remerci-er.
Remarquons surtout ici le suffixe verbal iez pour i-ez (aviez,
auriez, fussiez). — 3) Cette diphthongue provient surtout de
e bref, ainsi que de æ : brief (qui se prononce en deux syllabes
à cause de l'initiale complexe), hier (dans les poètes, par ex.
dans Boileau, hi-er), pied, siège, vieil, nièce, ciel, siècle. —
4) Par attraction de a-i : premier, collier, manière, régulier.
5) De ia : partiel, chrétien. — 6) De a dans le suffixe
as atis, par ex. amitié, moitié, pitié ; rarement dans l'intérieur
du mot, comme dans grief (chez les modernes disyllab.), chien.

Consonnes.

Il n'y a pas à proprement parler de palatales en français ; elles
sont remplacées par des chuintantes simples, le ch dur et le j
doux (g). La gutturale j (esp. y) n'existe, comme en provençal,
410qu'avec la valeur d'i palatal et est diversement exprimée (rayon,
file, signe). Aux gutturales s'adjoint encore ici h comme une
légère aspiration. Les groupes rh, th, ch, ph (Rhône, théologie,
chronologie, philosophie) persistent graphiquement.

En ce qui concerne la finale, toutes les consonnes, à l'exception
de la chuintante ch, de j et de v, sont admises à cette place
du mot ainsi qu'à la fin d'une syllabe. La substitution provençale
des consonnes à la finale n'existe point en français ou du moins
n'est exprimée par l'écriture qu'entre le v et l'f : vive, vif.
En vieux français on peut d'ailleurs saisir plus de traces du
système provençal : plusieurs manuscrits, par exemple, observent
une alternance entre d et t, g et c (tarde tart, longue
lonc
). La forme actuelle de gérondif ant pour and semble un
reste de cette méthode, tandis que marchand (ital. mercatante)
offre précisément l'inverse.

Il faut remarquer une particularité importante et propre au
français, c'est l'assourdissement des consonnes finales dans
certaines conditions, la langue s'étant réservé à cet égard une
grande liberté. En français, par la chute des voyelles après
la syllabe accentuée, les consonnes, surtout les muettes, s'accumulent
davantage et trouvent place à la fin du mot plus fréquemment
qu'en italien et en espagnol. Il a pu y avoir un temps où
ces lettres se prononçaient encore ; mais la tendance naturelle à
écrire étymologiquement dut introduire dès le commencement
bien des lettres mortes dans l'orthographe d'une langue qui a
toujours eu devant les yeux son origine et qui n'a jamais songé
à la renier. Il est peu croyable, par exemple, que dans Eulalie
le b de colomb ait été autre chose qu'un simple ornement
étymologique. Déjà les anciens prescrivaient d'assourdir certaines
consonnes finales dans le discours suivi. Quotiescunque,
dit le document de Londres, dictio incipiens cum consonante
sequitur immediate dictionem in consonantem terminantem,
dum tamen
sine pausa pronuncietur, consonans ultima
dictionis anterioris debet pronunciando prætermitti v. g.

mieuz vaut boyr après manger que devant, exceptis tribus ( ?)
consonantibus s, m, n, r quæ pronunciando non debent
prætermitti, v. g.
pur Dieu, sire Williaume, fetes talent 1226.
411Ce qui est très-digne d'attention dans ce passage, c'est la
remarque si nettement exprimée que les consonnes finales, suivies
d'une pose, par conséquent aussi à la fin des vers, ne deviennent
pas muettes. Cet usage persista, du moins chez ceux qui parlaient
purement, jusque vers la fin du XVIe siècle, comme l'a prouvé
un critique français d'après les grammairiens de cette époque
(Ch. Thurot, De la prononciation des consonnes finales dans
l'ancien français
, voy. Journ. gén. de l'instr. publ. 1854) ;
quant à l'avant-dernière consonne, à moins que ce ne fût une r,
elle devenait muette. On prononçait donc sait comme le franç.
mod. sept, dans parlent on entendait le t, passez rimait avec
tels, Turcs avec durs. Palsgrave p. 39 dit par exemple à ce
propos : every worde comynge next unto a poynt cet. shal
sounde theyr last letters distinctly or remissely
. Sylvius :
in fine…..dictionis [nec s] nec cæteras consonantes….. ad
plenum sonamus, scribimus tantum
 ; nisi aut vocalis
sequatur aut finis sit clausulæ
(Isag. p. 7). Du Guez,
Peletier, Rob. Estienne, Caucius, Pillot sont du même avis.
Mais ces consonnes finales avaient toujours quelque chose de sourd.
On ne trouve plus cette règle dans les grammaires du XVIIe siècle.
— Des scribes peu instruits de la période antérieure laissaient
souvent tomber les lettres étymologiques, par ex. cors, tems,
plom, doi, ni, nes pour corps, temps, plomb, doigt, nid,
nefs. Mais la langue moderne s'est efforcée de ne pas perdre de vue
la provenance des mots : elle a adopté une orthographe étymologique,
comme l'a fait aussi l'anglais. Il pouvait arriver, avec
ce système, qu'une consonne déjà contenue dans le mot, mais
devenue méconnaissable, y fût encore ajoutée une seconde fois,
comme par exemple g dans doigt ou poing, b dans debvez,
fiebvre (XVIe siècle). Les sons assourdis à la fin du mot (au
milieu ceci se présente plus rarement) sont surtout les dentales
t, d, s, x, z, puis p, par ex. plat, nid, vers, yeux, nez,
trop ; c, f, r et l s'assourdissent plus rarement, estomac, clef,
parler, fusil (sur m et n voy. ci-dessous). L'assourdissement peut
également atteindre deux consonnes qui se suivent, comme dans
respect, corps, legs. Ce fait se présente surtout dans le pluriel
des noms, car l's du pluriel ne protège pas la consonne qui précède :
complots, nids, remords, clefs etc. Dans les mots d'origine
étrangère on prononce d'habitude les consonnes finales : accessit,
déficit, vivat, zénith, sud, David, atlas, iris, chorus,
Bacchus, Pallas, Styx, Palafox, Metz, Cortez.

Mais ces consonnes finales n'ont pas complètement disparu de412

la conscience de la langue. Elles peuvent redevenir sensibles en
s'unissant par enclise à un mot suivant commençant par une
voyelle. Et comme, de cette façon, elles deviennent médiales,
elles prennent, quand c'est possible, une prononciation plus
douce ; ainsi s et x se prononcent comme z, et f parfois comme v.
N est aussi sujette à l'enclise et reprend alors le son lingual qui
lui est naturel ; il y a lieu de se demander si la nasalité disparaît
complètement ou s'il y a une nouvelle n pure après la première
n nasale comme dans le dialecte normand, s'il faut prononcer
ancien ami, vilain homme comme ancienami, vilainomme
ou comme ancien-ami, vilain-nomme. L'e nasal, de même
que l'i et l'u nasalisés, garde ici la valeur nasale (voy. à
l'N). Par exemple en Italie se prononce anitalie, sinon
an-nitalie, un ami, eun-nami (unami a aussi ses partisans).
Pour qu'il y ait enclise, il faut que les deux mots soient entre
eux dans un rapport syntactique étroit, comme sont l'article, le
pronom ou l'adjectif vis-à-vis du substantif qui suit, la préposition
vis-à-vis du nom, l'adverbe de gradation vis-à-vis de
l'adjectif, le pronom personnel (qui précède ou qui suit) vis-à-vis
du verbe, les verbes auxiliaires vis-à-vis du verbe principal,
ainsi que les négations pas et jamais. Exemples : les hommes
(pron. lezommes), mon habit, cet ami, six écus (sizécus) neuf
écus
(neuvécus), vain espoir, grandes actions, sans argent,
moins utile, trop heureux, bien ancien, il arrive, attend-il,
croit-on, allez-vous-en, vous êtes aimé, je veux aller, il
n'a pas eu
, il ne lui a jamais écrit. Quand l'adjectif suit son
substantif, l'enclise a lieu plus rarement : on dit par exemple
une action | infâme, un nom | illustre (Stædler, Gramm.
§ 19). Non n'est incliné que quand par le sens il forme un
composé avec un substantif : un non usage, non intéressé,
mais c'est une faiblesse et non | une vertu.

Palsgrave p. 23-25 pose en principe, sur la mutification des
consonnes, les règles suivantes qui, de nos jours, ne sont en
partie plus observées. Quand deux consonnes sont dans des
syllabes différentes la première dévient muette : souldain (soubdain),
luicter, adjuger, digne, multitude. Quand il y en a
trois, la première devient encore muette lorsqu'elle appartient à
la syllabe précédente, comme dans oultre, substance (mais p. 63
il prononce cependant obscurté en faisant entendre le b) ; ou
bien, dans les mêmes conditions, les deux premières deviennent
muettes, excepté m, n, r : scoulpture, moulcture, dompter,
prononç. scouture, mouture, domter. — Après la dernière
413voyelle d'un mot m, n, r, s, x, z conservent leur prononciation,
les trois premières (par conséquent r dans mener) toujours, et
les trois dernières quand le mot qui suit ne s'y oppose pas (c'est-à-dire
quand il ne commence pas par une consonne). Les autres
consonnes, après la dernière voyelle ou après m, n, r, ne se prononcent
que faiblement (remissely), ou elles sont tout-à-fait
muettes, par ex. avec, soyt, fil, beaucoup, mot, blanc, sourd,
champ, mort, prononcez avè, soy etc. ; excepté t et p après a et e,
comme dans chat, décret, hanap. De deux consonnes finales,
la première est toujours muette, excepté m, n, r : soubz, sacz,
serfz, filz, coupz, fist, metz, fault. Sur trois, avec la même
exception, les deux premières sont muettes : faictz, defaultz,
corps, champs, blancs, bastards, prononcez faiz, defauz,
cors etc. Devant des voyelles initiales, les consonnes finales
s'entendent toujours : c'est là pour Palsgrave une règle qui ne
souffre pas d'exceptions, voyez-en de nombreux exemples p. 56-63.

Le redoublement a pour l'oreille, dans la plupart des cas, la
valeur de la lettre simple, comme déjà l'enseignait Bèze p. 63. Cette
règle, lorsqu'il s'agit de muettes ou bien de la lettre s, est pour
ainsi dire sans exceptions : abbé, accuser, acquérir, addition,
échauffer, aggraver, appas, appendre, attendre, essieu
(avec s dure). Lorsqu'il s'agit de liquides, surtout dans les mots
plus récemment introduits, les exceptions se présentent plus
souvent ; on prononce par exemple ces lettres simples dans
collége, homme, anneau, guerre, doubles dans rebellion,
immense, annales, terreur. Les anciens employaient d'habitude
les lettres simples pour rendre les sons simples. Dans la
plupart des cas le redoublement introduit après la voyelle accentuée
se simplifie dans l'écriture quand l'accent se déplace, comparez
battre bataille, cotte cotillon, folle folâtre (mais follet),
salle salon, femme femelle, canne canon, barre baraque.

L.

L suppose toujours, sauf quelques exceptions dans lesquelles
elle provient d'une altération de r ou de n (autel, licorne,
orphelin), une l primitive ; seulement elle est parfois préposée,
comme dans lierre (hedera, anc.franç. yerre) ; ou intercalée,
comme dans enclume (incudem).

Il faut remarquer ici ce qu'on appelle l mouillée, c'est-à-dire
l suivie immédiatement du son du j allemand 1227. Le français n'a
414pas ici de signe aussi commode que l'lh provençal. On écrit à la
médiale ILL, à la finale IL : paillasse, oreille, travail,
orgueil ; mais l'i précédent s'absorbe dans l'i du groupe, il ;
on écrit p. ex. péril et non périil (prov. perilh), comme en ital.
chinare suffit pour chiinare. Anciennement l'orthographe variait.
Dans les glosses de Cassel on trouve cramailas et aussi dans des
textes postérieurs vailant, merveille, ou, en postposant l'i, filie :
dans le livre de Job et dans les Dialogues de Grégoire on rencontre
l'lh provençal : filhe, travailher, orguilhose, exilh,
mervilhier, turbilhons etc. Dans le Fragm. de Val. on trouve
le pronom cilg, mot dans lequel g a la même fonction que dans
le mot intrange des glosses de Cassel (voy. à l'N). Plus tard
encore on a écrit lg pour gl, Ramelgeis par ex. pour Ramillies
(Grandgagnage, Sur les anciens noms de lieux p. 71), auquel
correspond aussi l'orthographe néerlandaise lgh, faelghe =
franç. faille, maelghe = maille, voy. Grimm I2 501 1228. —
Étymologiquement, cet il provient : 1) De l latine avec i
palatal, comme dans mil (milium). — 2) De cl, gl, pl, tl :
oreille, étrille, écueil, vieil. — 3) Dans plusieurs cas il provient,
surtout à la finale, de ll ou l pure : faillir, avril, fenil
(fœnile). Mais d'ordinaire l ne se mouille pas, pourvu toutefois
qu'elle ne soit pas sous l'influence des lettres désignées aux
paragraphes 1 et 2 : ainsi dans illégal, fil, mil (mille), ville,
civil, subtil. — Dans certains dialectes, ainsi que dans le
langage courant, l s'est tout à fait fondue, comme cela arrive
aussi dans des dialectes italiens. On dit par ex. batayon pour
bataillon 2229.

L est muette dans baril, chenil, coutil, cul, fournil, fusil,
gril, nombril, outil, persil, soûl, sourcil ; en outre dans
fils qui, prononcé comme le prov. filh, ne se serait pas distingué
assez clairement de fille. On écrivait jadis sol (nom d'une pièce
de monnaie), mais on prononçait sou. Suivant Bèze p. 69 fol et
col se prononcent aussi fou, cou.

M.

Sur cette lettre, remarquons que, placée à la fin d'une
415syllabe ou suivie dans la même syllabe d'autres consonnes, elle a
le son nasal de l'n (voy. à l'N), par ex. dam-ner, com-bler,
faim, nom, parfum, prompt ; ceci se présente aussi pour
mm : em-mener. Excepté dans les mots commençant par imm
(immodeste), où m se prononce pure ou sonore. Dans la
désinence adverbiale emment (ardemment de ardent-ment)
le son nasal a disparu, mais en laissant à l'e le son de l'a, ce
qui est arrivé aussi dans femme.

M provient de n dans venimeux et dans quelques autres
mots. Dans charme (carmen), dame, homme etc. il représente
la combinaison mn, dans âme à l'inverse la combinaison nm ;
dans automne m devient muette. M est intercalée devant le b
dans Embrun (Eburodunum), lambruche (labrusca), devant
p dans tampon à côté de tapon.

N.

Cette liquide perd l'articulation qui lui est propre dans les
mêmes conditions que m, en développant dans la voyelle précédente
un son nasal, comme nous l'avons déjà indiqué dans la première
section. Les combinaisons qui se présentent dans les mots
vraiment français sont : AN, EN, IN, ON, UN, AIN, EIN,
OIN, UIN, IEN, de même AM, EM, IM, OM, UM, AIM,
par ex. dans, ange, gens, tendre, fin, mince, bon, montre,
brun, lundi, romain, vaincre, plein, ceindre, besoin,
moindre, juin, ancien, tiendrai ; champ, ambre, temps,
membre, simple, corromps, ombre, humble, faim. Il était
difficile d'échapper à la confusion des deux consonnes : c'est
ainsi que n est pour m dans on, rien etc. Il faut bien remarquer
à ce sujet que cette nasalisation modifiait la nature des voyelles
précédentes, sans que cette modification fût indiquée dans
l'écriture, parce qu'on avait égard à l'étymologie. — Dans ce
cas a et o restent intacts, mais e prend le son de l'a, i celui de
l'e, u celui de l'eu 1230. Les combinaisons ai et ei conservent leur
prononciation ; la diphthongue ie n'est pas non plus prononcée
comme ia (rien ne se prononce pas comme rian), mais dans
oin et uin i éprouve le sort de l'i simple. L'n double ne
prend pas le son nasal, excepté dans ennui et ennoblir ;
dans les mots enivrer et enorgueillir n simple se prononce
comme nn dans ennoblir. Les désinences am, em, en, im, um
416dans les mots étrangers se prononcent d'ordinaire sonores
(seulement u se prononce o), par ex. Roterdam, Jérusalem,
amen, éden, Sélim, album, pensum.

Cette fusion de l'm et de l'n, inconnue au provençal, a commencé
de très-bonne heure. C'est ce que montre dans les
textes poétiques l'identité des assonances an et en, qui ne
pouvaient se prononcer autrement que an nasal pour qu'on pût
les faire rimer ensemble. Nous en trouvons une autre preuve
dans l'échange, fréquent dans l'écriture, des deux formes an et en
(androit endroit) 1231. L'équivalence des rimes um et on remonte
bien plus haut dans les poésies latines du moyen âge, par
exemple dans une chanson du IXe siècle (Du Méril, Poés. pop.
1847, p. 93) Salomon ferculum Zabulon convivium, ce qui
s'explique le plus naturellement par la prononciation également
nasale de l'm et de l'n. Quant à l'élévation de la combinaison en
à an, elle n'a pas pénétré même aujourd'hui dans tout le domaine
français : en picard, par exemple, on prononce en, enfer,
entre, entrer comme in, infer, intre, intrer ; en wallon
bandeau, dent, vent, endroit, difficilement, différence se
prononcent comme beindai, daint, vaint, aindroit, difficilemaint,
diferainss ; dans le Berry langue comme lingue ;
de même l'i dans l'anc.franç. in n'a certainement pas tout-à-fait
perdu sa valeur propre, puisque, quelle que soit sa place, il peut
assoner avec n'importe quel i, pin par ex. avec finir ; il en est
de même pour un avec u, par ex. brun, venu 2232. Dans le dialecte
417lorrain la nasale disparaît dans certaines conditions : on prononce
par ex. mainogemot (ménagement), lentemot (lentement),
Chretiei (Chrétien), consciauce (conscience), daus
(dans), rau (rien), chei (chien), chemmi (chemin), reipâde
(répandre). On dit aussi en wallon, en supprimant la nasalité,
ebarassé (emb.), efan (enfant).

N se rencontre à la place d'autres liquides, par ex. dans
nappe, niveau (libella), marne (ancienn. marle). Elle est
préposée dans nombril, voy. mon Dict. étym. ; intercalée (le plus
souvent devant des gutturales) dans Angoulême (Iculisma),
concombre (cucumis), jongleur (joculator), langouste
(locusta), rendre (reddere), anc.franç. engrot (ægrotus),
ancone (εἰκών) Roq.

L'n que l'on appelle mouillée a la même origine et la même
forme gn qu'en italien ; cependant le mouillement ne s'applique
en français qu'à l'n médiale, car le g initial reste guttural
même dans cette combinaison. Le franç. gnomon se prononce
donc autrement que l'ital. gnomone. Dans le vieux français
l'orthographe de ce son était très-variable. La première tentative
pour exprimer cette combinaison se trouve dans les glosses de
Cassel, intrange = anc.franç. entreigne, dont le g devait se
prononcer comme un g allemand doux. Mais déjà dans les
anciens Dialogues allemands (voy. ci-dess. p. 28) on remarque
gn dans compagn. Plus tard on écrivit ni ou in : sonious,
seniorie, plainons (plaignons), de même ngn et ign : compangnon,
sengneurie, espaignol, gaigner, montaigne. Dans
le livre de Job, on trouve aussi engengier, lingie (à côté de
lignie), gaangiet (gagné) 1233. Remarquez le rapport qui existe
entre gn médial et n finale : baigner bain, gagner gain,
éloigner loin, maligne malin, harpigne harpin, cligner
clin
, rechigner rechin, égratigner gratin etc.

R.

Cette liquide, pour faciliter la prononciation, prend souvent
418la place de l ou de n lorsque ces lettres, par la chute d'une
voyelle, se trouvent immédiatement en contact avec une muette
qui précède, comme dans apôtre, esclandre (scandalum),
diacre, ordre, havre (angl.sax. häffen), pampre (pampinus),
coffre. Elle représente s dans orfraie (ossifraga). Mais
souvent elle repose sur une simple intercalation, comme dans
fronde (funda), épeautre (spelt), feutre (filz), pupitre
(pulpitum), balestre arch. (ballista), celestre etc. (formé
d'après terrestre ?), registre (regestum), tristre arch. (tristis),
perdrix, encre, pimprenelle, fanfreluche (fanfaluca),
velours (villosus). Sur la transposition de r, voyez section I,
p. 207.

R s'assourdit dans la finale er ou ier des disyllabes et des
polysyllabes (lat. arius, arium, are), par ex. entier, léger
officier
, danger, aimer, mais non dans amer, enfer, hiver.
Dans l'ancien français, r ne s'assourdit pas dans les désinences
er, ier ou eir, puisque dans les poèmes à rimes exactes (et non
pas seulement à assonances) r finale s'entend toujours : par ex.
apeler rime très-bien avec ber, errer avec mer 1234.

T.

Sur la prononciation de t, remarquons que devant i suivi d'une
voyelle, elle se règle sur la prononciation du latin, c'est-à-dire
que t se prononce comme c devant i : partial, ration, vénitien,
balbutier, inertie. Il en est de même, contrairement à la règle,
devant le suffixe ia dans les mots grecs, p. ex. prophétie (prophetīa),
aristocratie, mais non dans les mots qui ne sont pas
grecs d'origine, comme partie, garantie etc. Bref, ce ti s'accorde
partout avec le zi italien. Du reste t correspond presque partout
au t latin ; dans vert, verte il remplace d, dans contrat,
acheter etc., ct et pt. Voici quelques cas particuliers où cette
lettre se produit : 1) A la finale t remplace c dans plusieurs
mots : abricot (ital. albercocco), palletot (ancienn. palletoc),
gerfaut, haubert (voy. p. 295), anc.franç. gort à côté de
419gorc (gurges) etc. — 2) Souvent t s'intercale, tantôt pour
adoucir le contact de consonnes qui ne s'accordent pas, comme
dans l'ancienne combinaison française str, franç.mod. tr (estre,
être), tantôt pour séparer des voyelles, comme dans cafetier,
voilà-t-il. Cette lettre est préposée dans tante et ajoutée en
vieux français à n finale particulièrement dans les noms propres :
Barrabant Pass. de J.-C. 57, Moïsant (Moïses, Moisen)
Gar. I, 23, Aufricant, Persant, Beauliant Beliant (Bethlehem),
Jerusalent, boquerant (prov. -ran), chambellant,
faisant (encore franç.mod. faisand-eau, faisand-erie, angl.
pheasant, moy.h.allem. phâsant), païsant (angl. peasant),
tirant (angl. tyrant), romant (d'où romantique), et aussi
dant (dominus), oriflant (auriflamma), franç.mod. arpent
(arepennis) ; l'allemand montre la même tendance dans dechant,
pergament. — T final est muet après une voyelle, excepté
dans les mots suivants pour la plupart récents : brut, chut,
dot, fat, granit, échec et mat, net, subit, transit, et, après une
consonne, dans abject, contract, correct, direct, exact, infect,
suspect, strict, lest, vent d'est, Christ (muet dans Jésus-Christ),
zist et zest, rapt, indult, malt. Les noms de nombre
sept, huit, vingt devant les consonnes ont un t muet ; les deux
premiers le font entendre à la fin d'une phrase : ils étaient
sept
, ils restèrent huit. La rime montre que t final pouvait être
muet dans l'ancien français, par ex. art geté : largeté G. de
Nev.
p. 5 ; art gent : argent NFabl. Jub. II, 317 ; court
ci
 : accourci Ruteb. II, 71 1235.

Le français a conservé TH dans les mots étrangers, et l'emploie
de plus dans luth (ital. liuto).

D.

A la médiale, il provient souvent du t italien ou du d espagnol,
comme dans cascade, estrade ; rarement du t latin. Il s'intercale
dans les combinaisons de l'anc.franç. sdr, ldr, ndr, franç.
420mod. udr, ndr, par ex. coudre (p. 223), moudre (p. 193),
ceindre (p. 204). Dans quelques noms de peuples et noms
propres il s'ajoute à l'n finale : allemand allemande, normand
Normandie
, flamand (jadis flamenc) flamande,
Bertrand, Foukerand (t), Hermand (t), cf. l'allem. jemand,
niemand, irgend, Mailand, dutzend. Le nom de Roland
n'appartient pas à cette série. — D final est partout muet, excepté
dans quelques mots étrangers comme sud. Quand un adjectif se
termine en d et qu'il est suivi d'un substantif qui commence par
une voyelle, d se prononce comme t : profond abîme, comme
profont abîme ; de même dans les combinaisons comme entend-il,
répond-on.

Dans les plus anciens monuments de la langue, d s'écrit très-souvent
là où plus tard il est tombé : ainsi dans les Serments
fradre, cadhuna, dans Eulalie presentede, spede, adunet,
dans le Fragm. de Val. podist (potuisset), odit (auditum),
dans Léger laudier (louer), fredre, nodrit ; et encore dans
quelques textes postérieurs. Les manuscrits écrits en Angleterre
emploient aussi th pour d, par exemple le poème d'Alexis vithe
(vie), canuthe (chenue), lothet (loue), cuntretha (contrée),
le psautier de Cambridge multiplieth, oth (prép.). Il faut sans
doute regarder ce d, partout où il peut tomber, comme un signe
muet purement étymologique.

S

initiale, aussi bien qu'avant ou après une consonne et dans le
redoublement ss, se prononce dure ; dans les combinaisons sce,
sci, sche, schi (scène, scie, scheling, schisme) elle ne se
prononce pas ; entre voyelles elle se prononce comme z. On
prononce cependant également avec s douce transiger et
transit (mais non transir) ; avec s dure les composés désuétude,
préséance, vraisemblance, parasol etc. Les grammairiens
du XVIe siècle attribuent déjà à l's la prononciation actuelle.
Dans sceau (sigillum) et scier (secare) s s'adjoint un c qui
n'est pas étymologiquement justifié.

S ne provient pas seulement d'une s primitive ; elle dérive
aussi de plusieurs consonnances très-usuelles et se dédommage
ainsi de sa chute fréquente. — 1) De t ou c (ch) avec i palatal :
raison, hérisson, bras. — 2) Du z allemand : blesser
(bletzen), saisir (sazjan). — 3) De ce ci (que qui) sous
l'influence d'une voyelle suivante, par ex. panse, cuisine
(coquina). De sc dans poisson (piscis). — 4) De x : laisser,
421buis etc. — 5) De st : angoisse, tesson (testa). — 6) Le
passage de r à s, bien que n'atteignant que peu de mots, est
remarquable : besicle, chaise, poussière pour bericle, chaire,
pourrière. Ces formes viennent probablement du dialecte parisien :
Parisienses, dit Bèze p. 37, ac multo etiam magis
Altissiodorenses et mei Vezelii simplicem
(r) etiam in s
vertunt, ut Masie, pese, mese, Theodose pro Marie, pere,
mere, Théodore. Palsgrave p. 34 attribue cette même prononciation
aux Parisiens, qui disent également Pazys pour Parys.
Dans une partie de la Champagne aussi on entend écuzie, pèze,
frèze pour écurie, père, frère (Tarbé I, 170, 171). — S est
préposée dans escarboucle (carbunculus), échafaut (ital.
catafalco), écrevisse (krebs) ; au contraire la syllabe entière
es ou é tombe dans pâmer pour épâmer, prêle à côté de
esprelle (ital. asperella), tain à côté de étain, tricot à côté de
étriquet, Tiennot pour Étiennot, tribord à côté de stribord.
D'anciens manuscrits français ont pouse pour espouse, pouiller
pour espouiller (Wackernagel p. 133).

Le français a pour cette lettre une aversion particulière, tant
à la médiale qu'à la finale. A la médiale devant des consonnes,
il s'en est la plupart du temps débarrassé, et ne l'écrit plus, sauf
comme lettre muette dans quelques noms communs comme isle,
registre à côté de île, regître, et dans plusieurs noms propres,
comme Aisne, Duchesne, Duguesclin, Ménestrier, Nismes.
Les grammairiens anciens ordonnent déjà de prononcer maistre
comme maître, descouvrir comme découvrir. Sylvius dit
Isagoge p. 7 : S ante t et alias quasdam consonantes in
média dictione raro ad plenum, sed tantum tenuiter
sonamus et pronunciando vel elidimus vel obscuramus
.
Mais peut-on admettre que dans les siècles antérieurs où l'on
accordait peu d'importance à l'écriture étymologique on se soit
embarrassé d'une lettre morte ? Assurément non. On ne doit
donc pas douter que l's fût réellement prononcée, surtout si on
considère que dans les plus anciens manuscrits, du IXe au XIe
siècle, elle ne manque jamais. Puis pourquoi aurait-on écrit fisdrent
ou plainstrent si l'intercalation du d ou du t n'avait pas
servi à faciliter l'émission de l's et de l'r ? Les patois du nord
présentent encore aujourd'hui quelque chose d'analogue dans la
combinaison st : wallon chestai (château), hèss (hêtre), fiess
(fête), picard sté (été) ; et ce fait est général en breton :
brousta (brouter), distak (détaché), hast (hâte), kostez
(côté), disk (dois). Lorsque les Normands de France s'emparèrent
422de l'Angleterre, cette s française devait certainement être
encore dans toute sa force, ainsi que le prouvent les mots
anglais astonish (estoner), tresle (trestel, tréteau), estate
(estat), eschewin (eschevin), espy (espier), squire (escuyer),
squirrel (escureuil) et beaucoup d'autres. A la finale, l'orthographe
moderne l'a conservée, mais elle n'est plus qu'une lettre
muette, même dans les syllabes de flexion, au contraire de l'espagnol
qui fait entendre distinctement l's de flexion. On excepte
d'ordinaire les mots ains (adv.), alors, blocus, cens, fils,
jadis, laps, lis, mars, mœurs, os, ours, plus (quand il n'est
pas comparatif : il y a plus), sas, tous (employé substantivement),
vindas, vis, où elle est restée sonore (Malvin-Cazal 349-358).
— La sonorité finale de l's en ancien français n'est pas
douteuse ; celle de l's de flexion l'est d'autant moins qu'elle
exerçait de l'influence sur la forme du nom. On disait, par ex.,
pis pour pics (déjà dans le Gloss. de Cassel), sas pour sacs,
fers pour ferms, tritz pour tristz, afin d'effacer la consonnance
multiple : s se prononçait donc ; au cas oblique où cette
consonne n'existait plus le thème reparaissait dans sa plénitude :
pic, sac, ferm (et non fer), trist. Une preuve meilleure
encore que jadis l's finale et d'autres consonnes aujourd'hui
muettes se faisaient entendre, nous est fournie par le mélange de
rimes latines et françaises, comme bonús jus (sauce), mensás
délicats
, laudabít dit. Mais de bonne heure déjà, à la médiale
et à la finale, s s'affaiblit et disparut ; sans cela on n'aurait pas
osé faire rimer, comme le font Marie de France, Benoît, Gautier
de Coinsi, Rutebeuf et d'autres, dame blasme, estre
mettre
, cisne mechine, ostel ot tel, puis taire pute aire,
papelars dirai papelardirai, borbeter ors beter. Dans les
rimes de ce genre (rimes équivoques), l'art du poète consistait à
faire remonter l'homophonie aussi loin que possible dans le vers :
aucun élément dissonant ne pouvait évidemment y trouver place.
On ne s'étonne donc pas de rencontrer déjà dans de bons manuscrits
de la plus ancienne époque meeme (meesme) Psaut. du Trin.
coll.
, mimes (ibid.), melleiz (mesl.), delloiez (desl.), ellist
(esl.) LJob, quaramme (quaresme carême) SBern., proime
(à côté de proisme) ib., dans un manuscrit du commencement du
XIIe siècle publié par G. Paris, Jahrb. IV, 311, cetui (cestui),
deputer (disp.), ecrierent (escr.), apotres, amité (amisté),
comp. sur ce point P. Meyer, Jahrb. V, 398. La perte de l's ne
demeura pas sans compensation ; elle détermina l'allongement
de la voyelle précédente, allongement que l'orthographe moderne
423indique par l'accent circonflexe. Quelques mots seulement se
sont refusés à cet allongement : bétail (bestia), cet (ecc'iste),
poterne (posterula), setier (sextarius), ajouter (adjuxtare*),
louche (luscus), ménage (de mansio), mouche (musca)
pour bêtail etc., spécialement les préfixes é, (dis), , tré.
— Au lieu de s les Livres des Rois mettent d, du moins devant
l et n : medler (mesler), adne (asne), maidnée (maisnée),
Thom. de Cant. suppl. almodnier, bedlei, certainement en
qualité de signe simplement muet, car le d en français n'aime
pas à être suivi d'une l ou d'une n : il semble qu'on ait voulu,
adroitement ou non, indiquer l'allongement en faisant précéder
du signe d'un léger choc lingual la voyelle originairement précédée
d'une s.

Une fois qu'on se fut habitué à regarder dans beaucoup
de cas l's muette comme un simple signe d'allongement, idque
non parvo abusu, quum literæ non sint inventæ, ut pronuntiationis
quantitatem significent
, comme dit Bèze p. 71,
il était naturel de l'intercaler pour indiquer de même l'existence
d'une longue quelconque. Toutefois on ne doit s'attendre ici ni
à la régularité ni à l'exactitude. Ainsi on écrit, par ex., fluste
(flûte), fuiste (fuite), loister (lutter), puste (ital. putta),
esguille (aiguille), Esgipte (Égypte), casnard (cagnard),
lasne (laine), mesne (mène), ramposgne (ital. rampogna),
resne resgne (rêne), Rosne (Rhône), sesne (seine), trosne
(trône), visne (vigne), cosme (lat. coma), nosme (nom),
cesmance (semence), esre (erre), pasle (pâle), paesle
(poêle), rosle (rôle), même esve (eau), Gar. I, 112 ; d au lieu
de s : throdnes, rampodner. Cette s prosodique est encore
inconnue aux plus anciens manuscrits parce qu'ils ignorent
aussi l's muette 1236 ; peu à peu elle apparaît : ainsi dans l'Alexis
str. 14 fraisle (frêle). Ce signe ajouté était déjà muet ; ce qui
le prouve c'est que pour esre (erre) on ne trouve jamais esdre
estre
(d'où il suit que s devant r n'avait ici aucun besoin d'une
dentale pour faciliter la prononciation ; ce qui le prouve encore
c'est que dans les langues qui avaient un commerce continuel
avec le français, cette s n'a point laissé de trace.

Sur cette lettre, remarquons encore un autre phénomène,
424qui ne se présente d'ailleurs que dans les dialectes. En lorrain
l's est souvent, sans égard à son origine, échangée pour h
aspirée, par ex. herpatte (serpette), hûre (sûr), aihe (aise),
aihheire (asseoir), aipâhi (apaiser), baihhi (baisser), bâhi
(baiser), bihe (bise), fehtin (festin), pihtolet (pistolet).
H peut aussi s'employer à la place du ç français, de l'sc et du
ch. Le patois wallon se comporte à peu près de même ; à l'h de
Liège correspond ici le j de Namur (ci-dessus p. 120).H pour s
se rencontre aussi en Italie dans le patois bergamasque, qui dit
hervo, hovrà, cahtel, cohta, pehtà, penhà, groh, ruh pour
servo, sovrano, castello, costa, pestare, pensare, grosso,
rosso (Biondelli p. 16). L'analogie des spirantes s et h se
retrouve, comme on sait, dans des langues plus anciennes, ainsi
que dans le domaine celtique (Zeuss I, 63). Les poètes haut-allemands
du moyen âge écrivent forêht et fôrest, le premier
rimant avec l'allem. sleht (Grimm I2, 416) ; mais par hasard on
ne trouve point en lorrain le mot foreht 1237

Z

a le son de s douce. Cette consonne est d'un emploi assez restreint :
1) = z dans les mots grecs, italiens et autres mots étrangers :
zèle, zéphir, zibeline (ital. zibellino), bronze, gazette, zéro,
alezan. — 2) = ç : douze, treize, quatorze, seize, dizain,
lézard(lacertus). — 3) = s et ts : chez (casa), nez, rez
(rasus), gazon (anc.h.allem. waso), assez. Dans zeste z
provient de sch (schistus). — Final, z est toujours muet,
excepté dans le mot Rodez et dans les mots étrangers, comme
Alvarez, Cortez, où il se prononce comme s. L'étude du rôle
important que z joue dans la déclinaison et la conjugaison de
français se trouvera mieux à sa place à propos de la flexion 2238.425

C. Q.

1. C guttural et qu, qui le remplace devant e et i (le vieux
français emploie souvent k, lettre dont l'usage avait été maintenu
par les Francs) 1239, proviennent toujours de c ou q latin
ou étranger, après lequel un o ou un u suivant peut tomber,
comme dans car (quare), cailler (coagulare), cacher (coactare),
queue (coda), quignon (cuneus), quitter (quietare*),
anc.fr. quens (comes). Lucarne (lucerna) suppose un changement
très-ancien de ce en ca (voy. ci-dessus 235). Craindre
(tremere) a échangé t contre c. On prononce second comme
segond. Sur q rappelons encore que l'u qui suit est muet :
quatre, acquérir, quotidien ; c'est seulement dans des mots
d'origine récente que qua se prononce coua, et que, cue : aquatile,
équateur, quadrupède, quaterne, équestre, quintuple,
questure. La sonorité primitive de l'u persiste dans le patois
wallon, qui dit cuârai (carreau), couâr (quart), couinz
(quinze), cuitter (quitter). Et de même le breton koal (caille),
kuit (quitte) ; l'angl. quarrel (querelle), question, quiet etc.
Dans les plus anciens textes les deux lettres qui servent à exprimer
la gutturale forte ne sont pas encore rigoureusement séparées ;
on lit concuise, cuite, vescui, nascui, et inversement quire,
quer (cœur), quider etc. — C final est muet dans broc,
clerc, croc, cric, donc (sauf au commencement d'une phrase),
estomac, jonc, marc, porc, tabac, tronc etc., de même dans
échecs, lacs. Bèze remarque au contraire : Finiens dictionem
hæc litera
(c) quæcunque vel vocalis vel consonans sequatur,
integra pronuntiatur, ut in his vocibus
broc, froc,
soc, sec, suc, et similibus. Q final ne se trouve que dans cinq
et dans le mot coq qui n'est pas latin ; le premier est muet devant
les consonnes, le second l'est dans coq d'Inde.

2. C sifflant, dans les combinaisons ce ci, a le son d'une
s dure 2240, le redoublement cc (accent, accident) a celui de ks.
La cédille lui donne le son de l's devant a, o, u ; on mit d'abord
un z après c (par ex. dans czo), puis on le souscrivit au c
426(ço). On écrivait anciennement z simple : Eulalie se sert de
cette lettre dans bellezour et aezo, plus tard on trouve anzois,
rezoivre etc. On employait tout aussi souvent ci ou ce, par ex.
cio (pron. ço) Passion de J.-C., ceo SBern., faceons
(façons) ibid., menceunge Libr. psalm. (mensonge), exalcead
ibid., cumencet (pron. cumençt) Rol. ed. M. Cependant
le L.psalm. à côté de adrecead écrit aussi déjà adreçad 1241.
Cf. Anc. gloss. romans, tr. Bauer, p. 61, 115. Le plus souvent
les copistes italiens de textes français ou provençaux emploient la
cédille même devant e et i. Mais ce signe était souvent négligé :
mencunge, effacas, douc (lat. dulcis), cauc (calx). Les poètes
haut-allemands du moyen âge ne pouvaient rendre ç que par z :
zinc, merzî, pûzele, garzun, fianze, et déjà les Serments
ont fazet (faciat), le Glossaire de Cassel vivaziu (vivacius,
prov. viatz) ; le néerlandais employait ts : fortseren, fatsoen.
Peut-être aussi la prononciation primitive se rapprochait-elle
davantage du z allemand, ce qui s'accorderait très-bien avec
la structure générale des langues romanes. Dans Eulalie on
rencontre une fois, avec préposition du t, manatce (menace),
mais partout ailleurs le c simple. — C sifflant ne règne d'ailleurs
pas dans tout le domaine français ; c'est ainsi que le picard dit
encore de nos jours ch pour ç : par ex. cheaus (ceux), rechiut
(reçu), serviche, rechevoir, Valenchiennes, ichi, chire,
fachon (voy. p. 116) ; ce qui est dû à une évolution postérieure
par laquelle le ç chercha à se séparer plus nettement de l's.

Étymologiquement, ce c dérive : 1) De ce ci, che chi : céder,
civil, vesce vece (vicia), bracelet. — 2) De que qui : lacet
(laqueus), cinq. — 3) De t avec i palatal : grâce, place,
noces. — 4) De s : sauce (salsa), foncer (subst. fonds),
forcené (anc.h.allem. sin), rincer (anc.nor. hreinsa).

CH

a, devant i, le son du sc italien ou du sch allemand ; dans les
mots grecs il a tantôt ce même son : chimère, chirurgien,
archevêque, Achille, tantôt celui du k : chaos, archiépiscopat.
A la fin des mots, où d'ailleurs on le trouve rarement,
il a le son du k (varech) ou bien il est muet (almanach). En
moyen-haut-allemand il est rendu par sch : schahtelân (châtelain),
schanze (chance), schanzûne, schapel, schalmîe
427(chalumeau), hâsche. Mais il faut aussi remarquer que cette
lettre, dans les mots introduits en anglais, sonne non pas comme
sch, son qu'on pouvait rendre par sh, et qu'elle avait déjà au
temps de Palsgrave, mais comme tsch, par ex. challenge,
chamber, chant, charge, charme. En moyen-haut-allemand
on rencontre aussi la forme tsch, par ex. tschapel, tschiere
(chiere), hâtsche, rotsche (roche), Ritschart ; en moyen-néerlandais
roche est rendu par roetsche (voy. Ferguut),
Charles par Tsarels, Chartreux par Tsartrosen (glossaire
sur Stoke) ; de même en bas-grec Ῥιτζάρδος. Le catalan Bernart
d'Esclot met dans la bouche des Français le cri : bons xivallers
avant
(Buchon p. 718b), mais x était alors égal à tsch. Cette
prononciation est encore maintenant propre au patois wallon qui
prononce chandel comme tchandel : dans une partie de la Lorraine
aussi ch se prononce tsch ou dsch : saitcha (sachet), vaitche
(vache), sadche (sèche), dchvâ (cheval), voy. Oberlin, Patois
lorr
. p. 88. Ce n'est donc pas sans raison qu'on pourrait
attribuer à l'ancien ch, ne fût-ce que dialectalement, la prononciation
du ch provençal. — Le français a pu emprunter le signe
ch aux mots grecs, ou plus près encore à l'anc.h.allem., comme
Charal, chamarling, ou encore au francique, comme Charibert,
Childebert, Chilperich qu'il a dû prononcer Scharl ou
Tscharl etc. Ce signe se présente pour la première fois dans
Eulalie (chielt, chief), plus souvent dans le Fragm. de Val.
qui, dans le mot jholt, dont il use deux fois, emploie jh pour ch.
Les manuscrits des lois de Guillaume, § 7, offrent le j simple
dans jose, comme le fragment florentin de l'Alexandre dans le
provençal jausir. Le picard ancien et moderne qui, comme
nous l'avons vu, a reporté sur ç ce son chuintant, a conservé au
ch le son guttural originaire : calenge, kevau (cheval), keux
(chaux), kien (chien), kène (chêne), cose, acater, mouke,
(mouche) ; le wallon fait quelquefois de même : cangî (changer),
boke (bouche), lâke (lâche). Quelques manuscrits, comme
celui de l'Alexis, présentent ç au lieu de ch et parfois aussi tous
les deux en même temps, par ex. pecet (péché), sacet (sache),
colcer (coucher), et même unces à côté de unches (unquam).

Ch, sans parler des mots grecs, provient de sources diverses :
1) Du c latin devant a, de qu, du k allemand : cheval, chaque
(quisque), choisir (kausjan), marche (marka). — 2) De x :
lâche (laxus) et quelques autres exemples. — 3) De ct : fléchir
(flectere), cacher (coactare). — 4) De ci : chiche (cicer),
chicorée (cichoreum), chiffre (b.lat. cifra). — 5) De c ou t
428avec i palatal : galoche, taloche, cartouche, doucher (ductiare*) ;
de ts (z) dans flèche (néerl. vlits). — 6) De si dans
quelques cas : chiffler (sibilare), anc.franç. chifonie (symphonia),
comp. chucre = sucre Roq. — 7) De p avec i palatal :
sèche (sepia), crèche (kripja). — 8) De l'allem. sch dans chinquer
(schenken), chopine (schoppen), chopper (schupfen).

X

a le son : 1) De cs, entre voyelles (à quelques exceptions près),
dans le préfixe ex devant les consonnes, et aussi à la fin des
noms propres et des mots savants : luxe, sexe, extrême,
excepter, Aix-la-Chapelle, lynx, sphynx, préfix 1242. 2) De
gz dans ex suivi d'une voyelle : examen, exercice. 3) De ss
dans soixante, Auxerre, dans six et dix à la fin d'une proposition
(j'en ai dix), de même dans Aix. 4) De z dans deuxième,
sixième. X final est muet, sauf dans les exemples cités.
L'ancien français écrivait aussi xort (sourd), poixans (puissant),
dexendre, conixsance, conoix, dans les chartes mérovingiennes
senodoxiolum à côté de senodociolum, ausiliante
pour auxiliante etc., ce qui fait voir que x et s furent de bonne
heure confondus. Là où le latin et les autres langues ne présentaient
pas cette lettre, x n'est qu'une simple forme orthographique
pour s (deux c'est-à-dire duos, glorieux) et peut comme s
dériver de ce (croix, noix, dix, doux). Sur son emploi dans la
déclinaison et la conjugaison, voyez au livre de la flexion.

G. J.

1. G guttural (ga, go, gu) devant e et i se rend par gu, comme
en espagnol, mais bon nombre d'anciens manuscrits, qu'il ne faudrait
pas croire pour cela écrits en Italie, le remplacent à l'italienne
par gh. L'u de la combinaison gu est sensible seulement
dans aiguille, aiguillon, aiguiser, arguer et dans quelques
noms propres, comme Guise. Dans le redoublement gg devant é,
comme dans suggérer, la première de ces consonnes est prononcée
gutturalement. G dérive d'abord régulièrement du g latin,
puis : 1) Du g allemand même devant e et i : Guérard, gueude
(gilde). — 2) De la forte c (q) : gobelet (cupa), figue, égal
(æqualis), guitran (arabe qaˁtrân), braguer (anc.nor.
braka). — 3) De l'h allemande médiale : agacer (hazjan).
4294) Très-souvent du w allemand ; quelquefois, comme dans
gaine, du v latin. Nous avons vu p. 302, 303 qu'on trouve
même w dialectalement en place de ce g = w (warder pour
garder) ou même v (vépe pour guêpe). Dans l'ancien français
on trouve gu devant a, par ex. guardeir, guasteir, guaige
(gage) LJob (bourguignon) : une étude plus exacte des patois
peut seule apprendre si u dans ce cas se prononçait ou non.
Sur ce point les témoignages des langues étrangères sont rares et
incertains. Wolfram d'Eschenbach écrit Gwi et Gwillams.
En bas grec (vers 1300) Guillaume Gui se rendent par Γουλιάμος,
Γγιών ou Γής, voy. Buchon, Chron. étrang. p. 769. En
anglais, u tombe ou devient muet : gage, garnish, guide,
guise. En breton il témoigne encore de sa valeur primitive :
le franç. gué s'y prononce gwé. — La gutturale est préposée
dans grenouille ; elle est intercalée dans épingle (spinula).
Finale, elle s'entend dans joug ; elle se prononce k dans bourg
et quand elle se trouve accolée à un mot commençant par une
voyelle : long espace. G est muet dans coing, étang, faubourg,
hareng, poing, seing, de même dans doigt, vingt
et legs.

2. Le g doux, son chuintant qui ressemble à un sch allemand
doux, se rend par les combinaisons gea, ge, gi, geo (mangea,
gens, gilet, forgeons), et aussi par, j devant toute voyelle, en
sorte que le français a deux signes pour la chuintante douce 1243. Ici
encore on peut admettre que la prononciation primitive (palatale)
comportait un d précédant, que nous connaissons déjà par le
provençal. En anglais cette chuintante se prononce dans les mots
français comme dsch (genteel, jealous, budget) et cette prononciation
ne peut être venue que de France, comme celle du son
voisin ch. Parmi les patois, le lorrain prononce également dg,
dj : dgens, djadin (jardin). Pour les étrangers, ce son assez
délicat était difficile à rendre. Le moyen-haut-allemand écrit
schent (gent), schoie et zhoie (joie), salvaesche (salvage),
loschieren (loger), mais aussi avec un j sarjant, avec ti
tjost
(joste), tjustieren (jouster), et le moy.néerl. jaloes
(jaloux), javeline, jent. En bas-grec on rend le son français
par τζ (qui maintenant se prononce à peu près tsch) : Τζάν
430(Jean), Τζεφρέ (Geoffroi). Le breton met aussi un z dans bizou
(bijou), mais ailleurs j : gaïole (geôle), gambe, garbe,
gardin, garet, goie, ce que remarque déjà Bouille De vulg.
ling
. p. 28. Dans l'ancien français on trouve aussi bourgois
qui se prononçait bourjois à ce que prétend P. Ramus, mais
qui peut invoquer en faveur de la prononciation dure le prov.
borgues et l'ital. borghese.

La chuintante douce dérive, en dehors de son origine normale,
qui est le gi, ge latin : 1) De j : janvier, jet (jactus), joli (nor.
jol). — 2) De i palatal initial : je pour (ego, eo, ieo), Jérome
(Hieronymus), jour, jusque ; médiale : cierge (cereus),
singe, linge, orge, rage, cage. — 3) De ca : jambe (camba*),
geôle (caveola*), girofle (caryophyllum) ; surtout de tc, dc :
voyage, venger. — 4) Souvent de ga : jardin, jaune (galbinus),
joie. — 5) De z : jaloux (zelosus). — 6) Dans l'ancien
français du w allemand, p. 302. — G peut donc remplacer j
et réciproquement j peut remplacer g, du moins devant a ;
on ne peut dans l'écriture employer j devant i, comme en
espagnol. Aussi écrit-on jet, mais gîte, quoique ces mots dérivent
tous deux du lat. j.

H

est tantôt muette tantôt sonore ; dans ce dernier cas c'est une
faible aspiration, plus faible surtout que l'h allemande, comme
déjà le fait remarquer Bèze : aspirationem Franci quantum
fieri potest, emolliunt, sic tamen ut omnino audiatur,
at non aspere ex imo gutture effiata, quod est magnopere
Germanis observandum
. Cependant l'aspiration doit avoir été
à l'origine plus fortement marquée, puisque l'espagnol et le
sicilien ont rendu h par f, voy. p. 255, 297. Entre voyelles
(ahan, cohue) h s'entend d'ordinaire, mais à cette place elle
sert aussi simplement à éviter l'hiatus, comme dans envahir,
trahison. C'est l'influence allemande qui a réveillé en français
ce son éteint en roman, et l'a même attribué à beaucoup
de mots latins. Tels sont : haleter, (cf. heus ; muet dans
hélas, moy.h.allem. elas, angl. alas), hem, hennir (pron.
hanir), hernie, héros (mais les dérivés, comme héroïne,
avec h muette), hiérarchie, herse. Au contraire h est tombée
dans on (homo), or (hora), orge (hordeum), ainsi que dans
l'ancien français ain (hamus), o (hoc), ord (horridus), ort
(hortus), ost (hostis) etc. Dans halener, haut et hausser
(muet dans exhausser), holà et huit, une h sensible a été préposée
431au mot ; dans huile, huis, huître c'est une h muette.
Quant aux autres mots aspirés il faut en chercher l'origine dans
les langues étrangères, spécialement dans l'allemand (p. 297
et suiv.) ; mais plus d'un est d'origine douteuse 1244. H naît de f
dans hors et quelques autres mots, de même que dans habler
(fabulari) qui a été emprunté à l'espagnol. — Les patois ne
sont pas partout favorables à l'aspiration. En picard elle tombe
fréquemment ; dans une partie de la Bourgogne elle disparaît
complètement. Sur cette lettre, cf. surtout les remarques bien
fondées de Paul Meyer, Bibliothèque de l'École des chartes
3e série, IV.

P. B. F.

Il y a peu de chose à dire sur ces trois labiales. Dans quelques
cas elles s'échangent entre elles ou avec v et réciproquement,
par ex. coup, abeille, fois (vicem), nèfle. Final, f remplace
p, b, v, par ex. chef, prof arch. (prope), tref (trabs),
bœuf, if (anc.h.allem. îwa) ; on a même des exemples de f
venant de u par l'intermédiaire de v, qui est la voyelle parente
de cette consonne : antif arch. (anti[q]uus), juif (ju[d]æus),
mœuf (mo[d]us) et quelques autres. B s'intercale dans la
combinaison mbl et mbr : trembler (tremulare *), chambre.
— Quant à sa prononciation, p s'assourdit fréquemment devant
t, par ex. dans sept (avec p sonore dans septembre, septénaire),
cheptel, baptême (avec la plupart de ses dérivés),
prompt, dompter, exempt (p sensible dans exemption),
compte ; de même il est muet à la finale dans coup, loup,
drap, camp, champ ; dans beaucoup et trop il ne s'entend
que devant les voyelles. Bèze p. 70 dit qu'il est sensible dans
coup et sep, muet au pluriel coups, seps. Il est muet aussi
dans corps et temps. B est muet dans plomb, sensible dans
radoub, romb et quelques noms propres, comme Jacob, Job.
F est à la finale toujours sonore, muet dans clef, éteuf, dans
le nom de nombre neuf (devant les consonnes) et dans
quelques combinaisons, comme œuf frais, œuf dur, nerf-de-bœuf,
cerf-volant, chef-d'œuvre, bœuf salé ; au pluriel
nerfs, œufs, bœufs il paraît qu'il est muet, cependant il s'entend
dans œufs à la fin d'une proposition.

PH s'est maintenu en français comme th ; toutefois on écrit
432faisan pour phaisan (phasianus), flegme pour phlegme etc.

V.

La distinction systématique des signes u et v (voyelle et
consonne) a été introduite pour là première fois au milieu du
XVIe siècle. On l'attribue, comme celle des signes i et j, à Pierre
Ramus, voy. Wey, Hist. du lang. en France p. 313. En
ancien français ils ont en général la même valeur, ce qui a
donné lieu à bien des méprises et préparé à la critique bien
des embarras 1245. Les anciens cherchèrent à suppléer à cette
lacune, quand cela était possible ou paraissait nécessaire, en
plaçant un e muet après u la consonne ; comme auril (aprilis)
pouvait être prononcé ôril, ils écrivirent aueril etc., voy.
ci-dessus p. 393 2246. V représente : 1) A la médiale, comme on
sait, le p et le b latins, et aussi le b allemand, par ex. dans
écrevisse. — 2) Dans quelques mots, c'est une consonification
de u : janvier, esquiver (anc.h.allem. skiuhan). —
3) A l'initiale et à la médiale il peut rendre le w allemand :
ainsi dans vague (wâc), épervier (sperwaere). Sur son intercalation,
par ex. dans pleuvoir, pouvoir, yoy. p. 166, 175 ;
un autre cas est ha-v-ir (anc.h.allem. heien). — Les patois
du nord, par exemple le picard et le wallon, emploient w
(prononcé comme w anglais) non-seulement pour w allemand,
mais même pour v latin : ainsi wanner = franç. vanner, déwisier
= deviser, woizin = voisin. Ils s'en servent aussi et
plus convenablement pour exprimer le groupe initial hui, comme
dans wite (huit), wiss (huître).

Lettres valaques.

Nous avons parlé dans l'introduction de la forte immixtion
d'éléments slaves qu'a subie le valaque. Mais une circonstance
particulière a contribué encore à donner à ce dialecte une physionomie
tout à fait slave. Lorsque les Valaques se mirent à écrire
leur langue nationale, devenue presque méconnaissable après tant
433d'influences perturbatrices, ils se servirent de l'alphabet cyrillique
qui était tout naturellement à leur portée, et ils y ajoutèrent, bien
qu'il fût déjà surabondant, des signes nouveaux, un pour la
syllabe in ou im initiale, et un pour ģ, en sorte qu'ils possédèrent
quarante-quatre signes alphabétiques, comme on le voit par
le premier ouvrage imprimé en 1580 (voy. cependant p. 129).
Un siècle plus tard on essaya, pour la première fois, d'appliquer
l'alphabet latin à cette langue romane ; cet essai fut, depuis,
plusieurs fois renouvelé et de bien des manières ; en 1829 Kopitar
ne comptait pas moins de treize espèces de transcriptions ayant
pour base soit le principe phonétique soit le principe étymologique,
et ces alphabets sont devenus encore plus nombreux
avec le temps. Concurremment l'écriture slave continue encore
à être employée ; elle l'a par exemple été récemment dans les
dictionnaires de Iszer (Kronstadt 1850), de Stamati (Jassi 1852)
et de Livaditu (Bucharest 1852). Cependant comme cette langue
appartient à la famille romane, le vêtement romain lui sied
mieux, la rend plus familière à nos yeux et la ramène dans la
famille de ses sœurs : la question est d'appliquer judicieusement
l'alphabet latin. Ce n'est pas la méthode rigoureusement étymologique
qui semble devoir atteindre le but, dans une langue où
l'altération des lettres latines est allée plus loin que dans aucune
autre. Les partisans de cette méthode, comme par ex. le dictionnaire
d'Ofen (1825), gardent par principe la lettre latine tant
qu'ils le peuvent, et quand elle a perdu le son primitif, pour
faire illusion au moins aux yeux, la munissent de cédilles, de
traits et de points, qui lui donnent une toute nouvelle valeur ;
ils écrivent en conséquence şẻpte, mỏrte et prononcent dans
ces mots l's pourvue d'une cédille comme un ch français, et ,
comme ea, oa ; dans blảndu, vẻntu, rẻdu, lỏnge, adủncu
les voyelles surmontées d'une cédille expriment toutes un seul
et même son que rend l'alphabet cyrillique au moyen d'un seul
et même signe ; de plus à la fin de ces mots u est muet. Comme
l'orthographe dépend, par suite, d'une étymologie douteuse, ce
procédé bizarre entraîne après lui des erreurs, des indécisions
et des difficultés de toute espèce : chaque découverte étymologique
nouvelle rendra nécessaire un changement d'orthographe.
Tandis que le dictionnaire écrit apảsare (abaisser),
en s'appuyant sur une dérivation inexacte de l'ital. abbassare,
la dérivation exacte de pensare imposerait la forme apẻsare.
Par ces raisons il convient, du moins pour le but que nous nous
proposons, de ne pas employer ce procédé de notation des sons.
434La meilleure solution paraît être de prendre pour base l'alphabet
italien en considérant la grande parenté de ces deux langues,
ainsi que plusieurs écrivains valaques sont d'ailleurs disposés à
le faire, sauf à le modifier, suivant le besoin, au moyen de signes
diacritiques. Dans les cas où, comme en français, une orthographe
étymologique s'est développée et formée historiquement,
le même son peut sans inconvénient se noter de diverses manières,
comme les voyelles dans faim, vain, plein, vin, je vins. L'autorité
de la tradition couvre, là comme ailleurs, des imperfections
et des contradictions réelles. Mais les Dacoromans, du moment
qu'ils ont admis l'écriture cyrillique, se sont réellement décidés
pour la méthode phonétique, et il ne leur reste plus qu'à traduire
les lettres slaves en latines.

Voyelles simples.

Outre a, e, i, o, u, le valaque emploie fort souvent encore
deux voyelles dont nous nous occuperons après avoir étudié les
précédentes. Y appartient seulement au dialecte du sud, et a,
d'après Thunmann, Geschichte der östlichen Vœlker p. 181,
le son de l'ü allemand. Un trait particulier à la langue valaque,
trait qui n'est pas roman et que présentent aussi l'albanais et le
bulgare, c'est le changement des voyelles au milieu du mot sous
l'influence de la flexion. La phonétique doit se borner à faire
bien voir ce phénomène ; c'est à la flexion à en étudier les causes.
Il a aussi exercé de l'influence sur la dérivation. Les langues voisines
ont agi d'une manière notable sur le vocalisme valaque 1247.

A.

Le domaine de l'a est très-restreint par suite de sa métamorphose
fréquente en d'autres sons ; il est bien plus rare encore
qu'il provienne d'autres sons : pradę (præda), masę (mensa),
másurę (mensurat), cęmase (camisia), tzarę (terra),
voy. à la diphthongue EA. A s'échange souvent avec ę,
435par exemple mare, plur. męri ; cęldáre, cęldéri ; zugráv,
zugręvi ; pare, part. pęrut ; plac, inf. plęceà ; dans les
dérivés barbę, bęrbát ; cald, cęldáre ; fag, fęgét ; mare,
męría ; même quand a provient de e : fatę, fętutzę ; masę,
męsariu. Quelquefois il fait échange avec e : źale, plur. źeli ;
piátrę, plur. piétri (anc.bulg. beal, plur. bẻli). De même avec
ea : fazę, plur. featze ; masę, plur. mease.

E

dérive, à peu près comme dans les autres langues romanes, tantôt
de e, tantôt de i. Sur sa prononciation les grammairiens ne font
aucune remarque. Il y a cependant un e ouvert et un e fermé
dont l'origine paraît être la même qu'en italien. Cette voyelle
s'échange avec ea : lemn, plur. leamne ; cerc, 3e pers.
cearcę ; merg, meargę ; negru, fém. neagrę.

I

dérive : 1) Souvent d'autres voyelles, surtout de e (et du grec ει),
quelquefois de a : bine (bene), diśmę (decima), ginere
(gener), ghinte (gens), lipsę (λεῖψις), minte (mens), prind
(prehendo), timp (tempus), tind (tendo), inimę (anima),
ghindę (glans). — 2) Il correspond à une l, comme dans chiae
(clavis), ochiu (oculus), voy. p. 197.

0.

La représentation de l'u par o est en valaque beaucoup plus
rare que dans les autres langues. En revanche, o n'est parfois
qu'un épaississement de a ou de e, comme dans lotru (latro,
-onis), vorbę (verbum). 0 de au n'est pas valaque, cependant
soc semble venir de sabucus saucus. Il s'emploie concurremment
avec u : norę, plur. nurori (nurus) ; dor (dolet), inf.
dureà ; joc, jucà ; port, purtà ; moriu, plur. murim.
De même avec oa : om, plur. oameni ; zęvỏr, zęvoarę ; port,
poartę (porto, portât) ; mort, moartę ; domn, doamnę.

U,

voyelle très-favorisée, est resté fidèle à l'u latin non-seulement
dans les radicaux, mais encore dans les désinences atones :
cruce, putz — ital. croce, pozzo, socru = suocero, mais u
représente aussi très-souvent l'o latin : capun, nu (non), bun,
súnet (sonitus), frund, voiu (ital. voglio), leu (lat. leo).
Final, il remplace souvent v : beu (bibit), bou (bovem), voy.
aux diphthongues.436

Ę.

Nous désignons par ce caractère une voyelle obscure, intermédiaire
entre e fermé et ö. On la compare d'ordinaire à l'e muet
français, bien qu'elle s'en distingue essentiellement en ce qu'elle
compte pour une syllabe et plus encore en ce qu'elle peut recevoir
l'accent et même, p. ex. dans cętrę (lat. contra), être longue. L'e
albanais souligné, où on croit entendre tantôt a, tantôt o, tantôt
i (Hahn II, 3), semble s'en rapprocher tout à fait, ainsi que l'a
demi-muet du bulgare, auquel on attribue un son voisin de l'u
anglais dans but et que les grammairiens de cette langue rendent
par ù. Pour le désigner on choisit le cyrillique ъ, qui avait pu
à l'origine avoir chez les Slaves le son d'u bref, mais qui plus
tard était devenu muet à la finale (Miklosich, Vergl. Gramm.
I, 71). Les grammairiens qui suivent une orthographe phonétique
ont essayé d'exprimer cette voyelle de diverses manières,
par a, à, â ä, e, même par i ; ceux qui adhèrent au système
étymologique mettent d'ordinaire une cédille ou le signe de la
brièveté sur la voyelle indiquée par l'étymologie. Si on considère
la parenté du son de cette voyelle avec celui de l'e, on ne la
trouvera pas mal notée par un e modifié. — Toutes les voyelles,
toniques ou atones, devant toutes les consonnes, peuvent aboutir
à ce son, mais les atones y sont plus exposées que les autres.
Il peut se trouver aussi bien au commencement du mot, par ex.
dans ęst = lat. iste. L'a tonique — en mettant à part les phénomènes
de flexion mentionnés plus haut — ne paraît pas lui
donner naissance. On trouve bien męr = mālus, mais ce mot
a dû de très-bonne heure dégénérer en melus, puisque l'ital.
melo est d'accord avec le valaque. Au contraire, il provient
souvent d'à atone : ainsi dans gęinę (gallina), męrità
(maritare), sęnętat (sanitas) ; il se développe même presque
sans exception quand l'a est devenu atone par un avancement
de l'accent (voy. des exemples à l'a), phénomène qui ne se
produit pas pour les autres voyelles, mais qui est très-connu
en bulgare. Une fonction importante de l'e, qui le rapproche de
l'e muet français, c'est de représenter l'a de flexion : doamnę
= dame, persicę = pêche, largę = large, laudę = loue et
louent. Il répond encore ici à l'e albanais, qui prend également
la place de la finale latine a, comme dans portę, rotę ; il en est
de même du ъ bulgare. Il provient fréquemment de e, par ex.
aręt (ad-recto ?), męsur (mensuro), vęrs (verso), pęcat
(peccatum), rępaos (repauso *). De i : dęcę (δίκη), pęr
437(pilus), sęc (siccus), vęd (video), vędúve (vidua), lacręme.
De o : cętrę (contra), fęrę (foras), rętund (aussi rotund).
Rarement de u, par ex. dans pępuśę (pupa). — Dans les
flexions ę alterne avec e, par ex. pęr, plur. péri (pilus,
pili) ; numęr, numeri (numero, -ras) ; cumpęr, cumperi
(comparo, -ras).

Ų.

Outre cet ę la langue a encore une voyelle obscure, qui
ressemble surtout à u ou ü et qui est nommé jus par les grammaires ;
les peuples voisins l'expriment positivement par u, p. ex
dans le nom Romun. Ce son se produit avec les dents à demi
fermées et avec une légère immixtion de nasalité, mais il ne
peut se comparer à la nasale française dans commun, parfum,
parce qu'il ne fait pas tort à la prononciation d'm ou n suivante.
Les grammairiens qui écrivent phonétiquement se servent pour
ce son de ü ou œ, récemment aussi de î. Le signe slave pour
cette voyelle (ѫ) répondait en ancien slovène, d'après Miklosich
I, 42, à un o nasal, franç. on ; en slave moderne il ne s'en est
conservé que peu de restes, il s'est tout à fait perdu en bulgare.
On n'en trouve en serbe, aux IXe et Xe siècles, que de faibles traces
(Schafarik, Lesekörner p. 34), et encore ne sont-elles pas absolument
sûres (Miklosich, p. 307). A cette ancienne nasale slave
répond en slovène moderne ô, en bulgare ordinairement l'ù dont il
a été parlé ci-dessus, en serbe u. Ou bien les Dacoromans, en
adoptant ce caractère cyrillique, en ont fait le signe d'un son
voisin de celui qu'il exprimait en slave et qu'ils ne savaient
comment rendre plus précisément, ou bien il avait pour eux la
valeur d'un vrai son nasal, et alors ce son a eu chez eux le
même sort que chez leurs voisins slaves, il a perdu sa pleine
nasalité. Il est remarquable que le valaque du sud ne le connaît
pas et le remplace par un ę qui embrasse également l'ę du
valaque du nord, ainsi męnę (manus), pęne (panis), sęnge
(sanguis), rędu (rideo). Faudrait-il alors attribuer au jus une
origine slave, parce que la langue du nord a plus fortement
subi cette influence que la langue du sud ? Peut-être l'u obscur
était-il à l'origine un o obscur, plus rapproché de la voyelle
slovène ; car l'u propre aussi s'est, dans beaucoup de cas, développé
d'un o primitif, frunte = ital. fronte, lat. frontem.
L'altération de la voyelle paraît s'être d'abord produite devant
l'n, où se présentent encore les cas de beaucoup les plus nombreux ;
comment expliquer autrement que la voyelle soit à peu
438près universellement obscurcie dans le gérondif nd tandis qu'elle
ne l'est pas dans les autres formes de la conjugaison ? On peut
hésiter sur la notation de cette voyelle. Faut-il introduire le
signe cyrillique dans l'écriture latino-valaque ? Mais on aurait
toujours besoin de lui trouver un représentant dans les autres
langues européennes. Le plus simple est donc d'introduire ce
représentant même dans l'alphabet valaque. On ne s'écartera
trop ni de la valeur primitive de cette voyelle, ni de sa prononciation
populaire actuelle, en l'exprimant par un u modifié, de
préférence par un u souscrit d'une cédille. Cet ų provient souvent
de a : c'est là assurément une permutation qui, si on se
représente la voyelle valaque comme un u pur, a quelque chose
d'extraordinaire dans le domaine roman, et on se sent tenté de
choisir plutôt, avec Molnar, la notation ae, mais alors il faut lui
donner une valeur qui ne répond pas du tout au signe. D'ailleurs,
si on admet ce signe, rāēd de rideo, sāēnt de sum ne sont pas
moins choquants que mųnę de manus, Romųn de Romanus
ou le goth. Rumoneis de Romani. — En ce qui touche la condition
étymologique de ce son, il provient de toutes les autres
voyelles, ainsi : 1) Surtout devant n. Exemples pour l'a : blųnd
(blandus), brųncę (ital. branca), cųnd (quando), cųĭne
(canis), cųntà (cantare), cųt originairement s. d. cųnt,
quantus), fųntųnę (ital. fontana), frųng (frango), lųnę
(lana), mųnc (manduco), mųne (mane), mųnę (manus),
mųnia (mania), plųng (plango), lųnced (languidus), prųnz
(prandium), pųĭne (panis), pųntece (pantex), remųiŭ
(remaneo), rųnce (rancidus), scųndurę (scandula), stųng
(ital. stanco), sųnge (sanguis). De e : cuvųnt (conventum),
fręmųntà (fermentare), frųn (frenum), vųn (venor), vųnd
(vendo), vųnę (vena), vųntur (ventilo). De i : dųnsu (de
ipse), mųn (mino), stųng (stingo), strųng (stringo), sųn
(sinus), sųngur (singulus), scųntee (scintilla). De o : gųnfà
(conflare), lųngę (longe), mųnestire (monasterium), plemųn
(pulmonem). De u : adųnc (aduncus), męnųnc (manduco),
mųndru (mundulus Lex. Bud.), rųndureà (hirundo),
sųnt (sunt), Brųndúsę (Brundusium). Aux séries a et e
appartiennent encore les gérondifs, comme arųnd (arandum),
avųnd (habendum), durųnd (dolendum). — 2) Devant d'autres
consonnes, même devant m, il est beaucoup moins usuel :
cųmp (campus), strųmb (strabus), hųrtie (charta), tųrziu
(tardivus*), tųmplę (tempora), tzųglę (tegula), rųd (rideo),
hųd ou hęd (fœdus adj.), rųs (risus), rųu (rivus), atųrn
439(torno ?), gųtu (guttur). Il se rencontre fréquemment, surtout
devant n, aussi dans des mots étrangers, où il répond également
aux voyelles les plus diverses. Au reste on n'écrit pas toujours
de même : ainsi on trouve vųrtute vęrtute virtute, sųmbętę
sęmbętę
(sabbat), ųmblà umblà (ambulare), rųdicà redicà,
stųng sting (stinguo), tųner tiner (tenere). Dans le valaque
du sud la voyelle pure est assez fréquente : arádę (val. du nord
rųnd), minu (mųn), vintu (vųnt), pęlmunę (plęmųn).

Dans les flexions u alterne avec i, par ex. coperemųnt, plur.
copereminte (cooperimentum, -a). D'ailleurs ų ne varie pas.

Une variété de l'ų, que connaît aussi le valaque du sud, se
rencontre dans la particule in et dans les syllabes initiales in et
im, même suivies d'une voyelle. L'i a ici un son plus nasal que
l'ų, mais pourtant la liquide est toujours sensible : insuflà,
ingeresc (angelicus), imputà (aussi inp.), inaltzà, Indrea
(Andreas c'est-à-dire le mois de décembre). Dans quelques-uns,
comme inimę (anima), inel (annulus), on prononce cependant
i pur. Kavalliotis dans son vocabulaire écrit une n simple
(ncarcu), ce qui paraît être assez proche de la prononciation et
rappelle un cas correspondant dans des dialectes du sud de
l'Italie, voy. ci-dessus p. 76. Comme on l'a déjà remarqué plus
haut, on se sert pour cette syllabe d'une abréviation propre ;
nous renonçons, d'accord avec le Lex. Bud., à employer une
notation spéciale, le phénomène étant suffisamment clair sans
cela.

Il y a encore quelques remarques à faire sur la prononciation
des voyelles finales atones. 1) L'u atone, que quelques écrivains
munissent du signe de la brève, est muet : om omu omŭ
(homo), ou vęd vędu vędŭ (video), mots identiques pour la
prononciation. L'ancienne écriture cyrillique semble ne connaître
que la première orthographe, et elle est préférable, parce qu'elle
ne charge pas les mots de lettres muettes. Dans le dialecte du
sud cet u se fait encore entendre. — 2) L'i atone dans la déclinaison
et la conjugaison n'est pas complètement muet, mais s'entend
à peine : on écrit oameni et oamenĭ (homines), vęzi' et
vęzĭ (vides) : l'écriture cyrillique employait l'ĭ. Quelquefois l'i est
tout à fait muet et ne sert qu'à indiquer la prononciation palatale,
comme dans aicĭ, cincĭ, decĭ, nicĭ. Si un mot se termine par ii, le
premier i se prononce complètement, le second à demi seulement,
en sorte que oamenii (oameniĭ) sonne presque comme oamenij.
3) L'iu atone se comporte comme ii, c'est-à-dire que la
seconde voyelle s'entend à peine : ceriu se prononce presque
440comme ceriw avec un w faible. Et il en est de même partout où
une voyelle précède un u de flexion, comme dans taiu, puiu,
remųiu, rųu ; ce dernier mot se prononce presque comme ruw
avec un u à demi nasal et un w à demi éteint.

Diphthongues.

Les grammairiens valaques ne s'entendent pas mieux, sur les
diphthongues qu'ils doivent admettre que les Italiens sur les
leurs. Ici aussi celles qui commencent par i atone ne sont pas
des diphthongues propres, parce qu'i dans sa prononciation
incline vers le j, jare ou chiamę se prononcent comme jare
ou chjamę. En comptant ces combinaisons voici à peu près la
liste des diphthongues valaques : ÁI, ÉI, ÓI, ÚI, ĘI, ŲI ;
ÁU, ÉU, ÍU, ÓU, ĘU, ŲU ; IÁ, , ,  ; , ÓA.
Exemples : grai (vieux-slov. m. m.), mai (magis), tai (ital.
taglio), tzai (ital. t'hai), vai (vae), ei (illi), chei (claves),
trei (tres), femei (feminæ), coadei (caudæ), doi (duo),
coif (ital. cuffia), foi (folia), noi (nos), voi (volo), roibę
(rubia), fui, lui (ital. m. m.), cuib, pui (pulli), zęcúi
(jacui), pęrundui (ital. parendogli), tęi (tui), dęi (ital.
dagli), defęimà (diffamare), ręmųiŭ (remaneo) ; aur, beu
(bibo), greu (gravis), viu (vivus), scriu (scribo), bou (bovem),
nou (novus), rouę (ros), sęu (suus), ręu (reus),
lęudat (laudatus), frųu (frenum), grųu (granum), rųu
(rivus) ; iarę jarę (iterum), iam (ego habeo), chiamę (clamat),
iel (ille), bios, iubesc ; veade (videt), foarte. Quelques-unes
appellent certaines observations.

AU.

Cette diphthongue, qui se prononce comme en italien, a
diverses origines : taur (taurus), sau (seu), au (hab-ent),
faur (faber), cautà (captare), scaun (scamnun), dau (do),
stau (sto). On écrit aussi ao : adaog, repaos. Au alterne avec
ęu : laud, lęudam.

IE

est, comme dans les langues sœurs, la diphthongaison d'e : ieu
(ego), ieri (heri), ied (hædus), iederę (hedera) (on écrit
aussi jeu, jeri, jed, jederę), diede (dedit), piedecę, piept
(pectus).441

EA

provient : 1) De e, et se trouve alors souvent en concurrence
avec ie : aveà (habere), peadecę, peale (pellis). — 2) De i :
pearę (pirum) etc. — 3) De a : breasdę (serbe brazda),
smeag (allem. ge-schmack), steangę (stange). — Dans les
flexions et les dérivations ea alterne avec e : cheae, chei
(clavis, -es) ; mujare, mueri (mulier, -eres) ; treabę, trebi ;
peatrę, petrós. — Cette diphthongue n'a pas une valeur tout
à fait précise, elle flotte entre diverses notations. Comme elle
sonne proprement ia ou ja, on l'exprime souvent ainsi : on
écrit japę (equa), piatrę, val. du sud deriaptę (directa).
Assez souvent cet ia (comme il arrive aussi en bulgare et en
serbe) se contracte en a : ainsi dans fatę (feta), gianę (gena),
panę (penna), primęvarę (ital. primavera), śapte (septem),
śarpe (serpens), tzarę (terra), vargę (virga), val. du sud
viargę. Entre ea et e l'écriture hésite assez arbitrairement :
fealiu feliu, mujare mujere, peaśte peśte, seacer secer ;
on entend aussi bien leage que lêge, veade que vêde. Le signe
cyrillique est ѣ : le son qu'il exprime flottait déjà en ancien
slovène entre ia (ea) et e ; le premier de ces sons a prévalu en
bulgare, le second en slovène ; voy. Miklosich I, 91. 239.

OA,

qu'on remplace d'ordinaire par ó dans l'écriture, est, dans les
deux dialectes, la diphthongue de l'o long ou bref, par ex. oarę
(hōra), boalę (serbe bôl), coaźe (serbe kòźa), ścoalę (schŏla),
foarte (fortis), et alterne avec lui dans la flexion et la dérivation :
groapę, pl. gropi ; sfoarę, pl. sfori ; poartę, portariu ;
poamę, pomet 1248. En ce qui touche la prononciation, le Lex.
Bud
. dit (préf. p. 50) : In oa quasi unus sonus coalescit ita
ut et
o et a tantisper audiatur, magis tamen sonus a. Mais
442oa semble plus juste, car il ne rime qu'avec lui-même (toate
poate
), non avec a (citate).

Consonnes.

En valaque le consonantisme est plus complet qu'en italien.
Aux trois chuintantes (ć, ģ, ś) s'en ajoute ici une quatrième,
qui répond au j français. L'aspirée gutturale se présente aussi.
— La finale supporte toutes les consonnes, mais l'orthographe
leur adjoint souvent une voyelle muette.

Le redoublement est aussi inusité qu'en slave : on écrit
ghib, bucę, peanę, car, groslan, botezà (baptizare) etc. ;
dans les composés innecà, innotà, mais alors la première n a
un autre son.

Pour les consonnes multiples à l'initiale les conditions sont
à peu près les mêmes qu'en italien. Ici aussi on admet la sifflante
combinée avec d'autres sons : SL, SM, SN, SR, SD, SG,
SH, SB, SF, SV : slobod, smerd, snob, śrof, sdrob, śder,
sgardę, śghiab, shimę, sburà, sfredel, svórnic ; , SJ,
SZ manquent. On trouve en plus, également à l'initiale, ML
et MR ; voy. ci-dessous. — A la médiale les combinaisons de
consonnes, par l'immixtion d'éléments étrangers, se sont multipliées
à un si haut point, qu'en cela aussi cette langue se distingue
vivement de ses sœurs. Des groupes formés d'une muette,
qui ne sont pas connus à l'initiale, sont admis au milieu des
mots, comme TL, TN, DL, DM, DN, CM, CN, GM, GN :
butlan, sfetnic, podlog, podmol, logodnę, tocmę, ciocnì,
spegmę, bugnì. Les combinaisons d'une muette et d'une spirante
sont aussi nombreuses, comme , TV, DE, DV, CS, CF,
GS, PS, PSC, PTZ, BST : batźocurà, źertvì, molidf,
pridvor, bocśę, secfiju, bagsamę, ceapsę, stropśì, Lipsca,
suptzire, obśte. La pierre d'achoppement dans le domaine
roman, le groupe de deux muettes, n'apparaît ici que sous des
formes assez peu nombreuses : de ce nombre sont les groupes durs
TP et TC, de même DG, DB, GD, PT, BD : pitpęlacę,
cętcęun, prodgade, podbel, migdalę, śaptę, rębdà ; mais,
chose singulière, CT fait presque défaut (p. 240). HN, HV,
voy. à H. Les combinaisons d'une spirante avec d'autres sons
sont nombreuses, par ex. s, ś se comportent comme à l'initiale :
maslin, ismę, lesnì, baznę, mośneag, desrędęcinà, breazdę,
mośdeiu, męzgę, brosbę, cuśbe, ręsfętzare et autres. Ź dans
ŹL et autres, même ŹB : miźloc, sluźbe. De même f, nonseulement
443dans FT, maie encore dans FN : eftin, bufnì. Enfin
v dans VL, VN, VR : evlalie, slovnì, covrigà. Des combinaisons
formées d'une liquide avec une spirante ou une muette
sont entre autres LPN, MS, MTZ, , MT, MV, NSL,
, NF, par ex. stęlpnic, cimśer, sdramtzę, sęmceà, cimtì,
chimval, vęnslę, męnźì, śanfę ; aussi LH et RH ; voyez à H.
On rencontre entre liquide et liquide moins de combinaisons qu'on
ne s'y attendrait ; on n'en trouvera guère d'autres que celles qui
sont admises partout, comme LM, LN, puis ML (źemlucę),
MN (cumnat), et RL, RM, RN, qui se trouvent également
ailleurs.

L. M. N. R.

C'est un fait fréquent qu'une liquide procède d'une autre.
Ainsi l est issue de r dans tųmple (tempora) ; n de m dans
nalbe (malva) ; n de r dans cununę (corona) ; r de n dans
fereastrę (fenestra), et, plus fréquemment, r de l, comme dans
gurę (gula) etc.

M est intercalée dans octomvrie, sųmbętę (sabbat) et autres ;
n dans cęrunt (ital. canuto), męrunt (minutus), pętrunde
(pertrudere), męnunchiu (manicula) ; et fréquemment dans
des mots slaves pour exprimer la nasalité ; voy. Miklosich,
I, 44.

Ce sont des combinaisons slaves, à l'initiale, que ML et MR,
par ex. mlęditzę (serbe mlàditza), mreaźe (serbe mrèźa) ;
pourtant mreanę vient du lat. muræna.

Le valaque ne connaît pas les sons mouillés GL et GN, bien
que le hongrois et les langues slaves voisines (le bulgare à peine)
les connaissent. Dans les cas où ils proviennent ailleurs des
groupes li et ni, ceux-ci perdent la liquide et on dit aju
(allium), maju (malleus), meju (milium), saju (salio),
bojariu (serbe boljar), haïne (serbe chaljina), cęlcųju (calcaneum),
cf. ci-dessus p. 168. Là où gl provient de c'l, g'l etc.,
la muette reste intacte, comme dans ureche, genuche. Mais
dans le valaque du sud la liquide se maintient aussi, par ex.
aliu, maliu, meliu, tęlià (ital. tagliare), cęlcęniu, jinię
(vinea), genucliu, et l'inclination pour n mouillée est si grande
qu'elle naît même de mi initial, par ex. nji = val. du nord mi,
njerg = merg (mierg), nju = meu (miu), njare = miere,
njelu = miel.

T. D.

Il n'y a à parler, à propos de ces lettres, que des changements
444auxquels elles sont sujettes dans la flexion. Ainsi t devient tz :
lat, plur. latzi (latus, latera) ; butę, butzi (ital. botta) ;
cuget, cugetzi (cogito, -as). D devient z : ladę, plur. lazi
(lade) ; pradę, prezi (præda, ) ; laud, lauzi (laudo, -as).
TH se prononce avec une aspiration comme en grec moderne,
mais il ne se présente que dans des noms propres empruntés à
cette langue, comme Tharsis ; en valaque du sud il se trouve
aussi dans des noms communs. Il faut donc écrire t le th non
aspiré : temę, teologie, Atena.

TZ.

On ne sera pas surpris de voir ce signe (= all. z, franç. ti)
même à l'initiale, puisqu'il est aussi dans des langues voisines
comme le hongrois et le grec. Ce son très-fréquent provient :
1) De ci ce latin : atzę (acia), ghiatzę (glacies), otzet (acetum),
tzęmn (cygnus), tzitrę (citrus). — 2) De ti te : blundetzę
(blanditia), intzeles (intellectus), tzes (texo), tzie
(tibi), tzarę (terra). — 3) D'un z étranger, par ex. tziglan
(hongr. tzinege), hartz (hongr. de m.), tzitze (cf. all. zitze),
tzifrę (ziffer, ital. cifra), dantz (tanz, ital. danza). — Ceux
qui écrivent étymologiquement le remplacent par ç ou par ţ.

S. Z.

1. L's, qui en toute position a le son dur, provient parfois de
x : Alesandru, frásin. Devant i elle s'amollit d'ordinaire en ś
dans les flexions : ales, aleśi (electus, -ti) ; las, laśi (laxo, -as) ;
de m. dans les terminaisons st : oaste, ośti, et sc (voy. au C).

L's impure se présente surtout dans des mots étrangers,
comme slavę (serbe slava), slugę (sluga), smaltz (allem.),
smokín (serbe smokva), smulge (exmulgere*), snop (serbe
m. m.), sdrantzę (ital. straccio ?), sdrob, sbate (ital. sbattere),
sburà (svolare), svųntà (ital. sventare). Quelquefois
l's est seulement préposée, comme dans schilav (serbe chilav),
scurt (curtus), sgęrciu (hongr. görts), sturz (turdus).

Ś, qui a le son de l'ital. sci (combinaison qu'on ne pouvait
appliquer ici) 1249, est très-usité, et se trouve irrégulièrement en
place d's, surtout devant un i, mais souvent aussi devant
d'autres voyelles, par ex. śálie (salvia), śeà (sella), śed
(sedeo), śie (sibi), śi (sic), śoarece (sorex), cenuśe (cinis),
445miśel (misellus), tuśì (tussire) ; dans des mots étrangers :
śapcę (hongr. sapka), śantz (all. schanze), śurę (scheuer).
Même devant les consonnes : ścoalę (schola), Śpania, śterge
(abstergere), tześpetà (de cæspes), śneap (all. schnepfe),
śrof (all. schraube), śtiuc (stück), taścę (tasche). Dans cette
chuintante qui dépare la langue il faut reconnaître une influence
slave, albanaise, allemande ; mais quelque empire qu'ait pris
cette prononciation, elle n'est pourtant pas allée, il s'en faut,
devant les consonnes, aussi loin qu'en haut-allemand.

ŚT représente en outre le lat. sc devant e, i : ainsi dans
śtiintzę (sdentia), peśte (piscis), cunoaśte (cognoscere).
Il faut encore remarquer la combinaison , qui se prononce
stsch, par ex. dans scena, cęscioarę (de casa), et qu'on retrouve
en milanais. Enfin on a aussi ść (schtsch), par ex. dans deścinge
(discingere), uścioar (uśę = ostia).

2. Z est une s douce comme dans l'ital. rosa. Il provient :
1) D'un z grec ou étranger : zefir, zizanie, azim (ἄζυμος),
zalog (serbe m. m.), zid (id.), zębálę (hongr. zabola), zębun
(hongr. zubbony). — 2) Rarement d'une s latine, comme dans zar
(sera). — 3) D'un d latin : miez (medius), zeu (deus), frunzę
(frondem) ; plusieurs écrivent en ce cas d avec une cédille.

C.

1. Le c guttural se présente devant a, o, u, ę, ų, devant les
consonnes et à la finale ; devant e et i il se fait, comme en italien,
représenter par CH. Ce ch se trouve fréquemment dans des mots
grecs où les langues sœurs le remplacent par c : chedru (κέδρος),
chimval (χύμβαλον), chinovár (κιννάβαρις), chiparos (κυπάρισσος),
chivot (κιβωτός), voy. ci-dessus p. 235 ; de même dans des mots
slaves, par ex. chinui (serbe kinjba), chip (serbe m. m.). —
Dans les flexions c guttural alterne avec c palatal : arc, plur.
arce (arcus) ; nucę, nuci (nux, nuces) ; sc et śc avec śt :
cresc, creśti (cresco, crescis) ; usc, uśti ; puścę, puśti. —
Le signe q est inutile à cette langue.

2. Le c palatal, écrit et prononcé comme en italien (cia, ce,
ci, cio, ciu), provient : 1) Dans quelques mots de qui que :
coace (coquere), cincĭ (quinque). — 2) Rarement de ti, comme
dans tęciune (titio). — 3) Du ć slave identique fréquemment,
par ex. cigę (serbe ćiga), cinste (russe ćest), cioban (serbe
m. m.), ciot (id.). — 4) De z : cimpoe (ital. zampogna), ciubęr
(allem. zuber). — Le valaque du sud dit tz pour ć, ainsi
atzel pour acel, vitzinu pour vecin, tzintz pour cincĭ ; c'est de
446ce dernier mot que provient, dit-on, le surnom de zinzare qu'on
lui donne (Wuk, Serb, Wb., s. v. tzintzâr, p. 812b, éd. de
1852), proprement « cousin », ital. zenzara, mot formé par
onomatopée d'après le bruit que fait cet insecte.

G.

1. Le g guttural se produit dans les mêmes cas que le c
guttural, et ici aussi on écrit GH devant e et i. Dans gl, gn, g
conserve toujours le son guttural. Il n'y a rien à remarquer sur
sa provenance. Dans la flexion il alterne avec ģ : fugę, plur.
fugi (fuga, ) ; cigę, cigi ; plųng, plųngi (plango, -is).

2. Le g palatal, écrit et prononcé comme en italien (gia, ge,
gi, gio, giu), ne doit guère provenir que du g latin, parce que
ce son ne se présente pas chez les peuples voisins ou n'y existe
qu'à l'état composé : le serbe emploie même pour le rendre le
signe valaque. Il provient rarement du lat. c, comme dans vinge
(vincere).

Ź.

Nous désignons ainsi une chuintante qui répond au j français
et que la plupart des grammairiens notent aussi par cette lettre.
Mais comme on ne peut guère se passer de j, ainsi qu'on va le
voir, pour exprimer l'i consonne, et comme cette chuintante
paraît être d'origine slave (car on ne la trouve preque que dans
des mots empruntés au slave), on peut bien se permettre
d'adopter pour elle une notation slave fort bien choisie, le z avec
un signe diacritique (pol. ź, bulg. et boh. ž). Ce z ne déparera
pas plus les quelques mots latins où il se présente en place de j,
que ne le fait dans des conditions analogues le z vénitien. —
Il représente : 1) Le lat. j dans źoc (jocus) et plusieurs autres ;
aussi dans źos (b.lat. josum) et miź-loc (medio c'est-à-dire
medjo loco). Ź est l'expression propre de cette lettre latine
(en laissant de côté les cas d'i écrasé, comme aju de allium
aljum
), et la langue valaque est la seule des langues romanes
qui lui attribue un son spécial, auquel g ne participe jamais.
Il est donc certain qu'à l'époque où fut introduite la chuintante
étrangère, g avait devant e et i une autre prononciation que j,
sans quoi il aurait subi le même sort. — 2) Il prend très-souvent
naissance dans le ź slave, ainsi dans źar (serbe m. m.), źelì
(źáliti), źivinę (źivina), źidov (m. m.), coaźe (kòźa),
nędeaźde (russe nadeźda). — 3) Il remplacera s dans źale
(aussi śalie et cilvie, lat. salvia, serbe źalfija), źamlę
447(allem. semmel), glaźe (glas). — 4) Il est pour sch allemand,
par ex. dans źumaltz (schmalz). — A la différence du j français
il peut se trouver aussi à la fin d'une syllabe ou d'un mot,
comme dans quelques-uns des exemples cités et dans le nom de
ville Cluź.

J.

L'alphabet cyrillique ne fournissait pas de signe propre pour l'i
consonne, aussi la plupart des grammairiens s'en sont-ils tenus à la
voyelle ; ils écrivent Iacob, ianuarie, ieri. D'autres, comme
Körösi, Marki, Sulzer, Bojadschi ont au contraire admis le j dans
l'alphabet valaque. On pourrait à la rigueur se passer de ce
caractère, dont le son, comme celui de l'ital. j, est très-voisin
de la voyelle. Mais comme il peut contribuer à la clarté et que
plusieurs des langues où le valaque a puisé, comme le serbe, le
bulgare et l'albanais, ainsi que celles des langues romanes dont il se
rapproche le plus, se sont approprié cette lettre, il paraît indiqué
de l'introduire aussi ici. Mais ce qui décide surtout à le faire,
c'est qu'il est à peu près indispensable pour le valaque du sud,
où il faudrait sans cela écrire iin pour jin, iite pour jite
moins qu'on ne remplaçât j par y). Ainsi nous rendons habituellement,
par exemple, la combinaison cyrillique īā par ja, īō
de même par ju ; seulement après les consonnes (comme en
italien) et dans les flexions, i paraît préférable à j, parce qu'en
ce cas il devient muet. — Le j répond : 1) Au j ou l'i (y) atone
latin devant une voyelle, comme dans januarie, maju, jacint
(hyac.), jenę (hyæna). — 2) On le trouve à l'initiale pour un i
ou un e provenant d'une diphthongaison : jarnę, japę, jer,
jeram pour earnę, eapę, ier, ieram. — 3) Il représente la
syllabe li au commencement et au milieu des mots : ainsi dans
jépure pour ljepure liepure (lepus), bojariu (serbe boljâr),
meju (milium), inmoju (mollio) ; comp. val. du sud melju,
molju etc. — 4) De même il représente la syllabe ni ou ne,
comme dans cuju (cuneus). — Dans la prononciation un j
s'engendre aisément entre voyelles, sans que l'écriture le note
toujours : ainsi fiu, gęinę, gręesc se prononcent comme fiju,
gęjinę, gręjesc ; ainsi le serbe dit bèstija (lat. bestia), źálfija
(salvia). Comp., pour ce développement du j, ci-dessus p. 166.

H

sonne comme le ch allemand dans lachen, mais moins fortement
aspirée, de façon à se rapprocher de l'h. La notation ch (qui est
448aujourd'hui généralement abandonnée) serait plus appropriée,
si on considère haos (chaos), himerę (chimæra), hirurg
(chirurgus), Hristian (Christianus), shimę (schema), mais
ch est indispensable pour la gutturale forte ; au reste l'orthographe
espagnole quimera, quirurgico n'a pas meilleur air.
Mais dans les noms propres grecs on devrait laisser subsister
ch, malgré sa prononciation. — H a sa source : 1) Dans le χ grec,
p. ex. hęrac (χάραξ), horę (chorus). — 2) Dans le ch slave, par
ex. hainę (serbe chaljina), harnie (charan), hranę (chrana),
męhrama (màchrama), duh (dûch). — 3) Dans l'h latine ou
l'esprit rude grec ; voy. ci-dessus p. 255. — 4) Assez souvent
dans l'h hongroise ou allemande : hodę (hongr. hoda), harfę
(allem. harfe), heahele (hechel), pęhar (becher). — 5) Dans
l'f latin : hęd (fœdus) etc. — 6) Quelquefois elle semble même
représenter un v, au moins le Lex. Bud. connaît hioárę pour
vioárę (viola), hólburę pour vólburę (convolvulus) ; ce serait
un changement à comparer à celui de l'f. — Cette aspirée permet
à l'initiale les combinaisons HR (hranę etc.), à la médiale HN
(męhnì, odihnę), HV (pohvalę), LH (telhariu), RH (erhę,
tęrhitę).

P. B. F. V.

Il y a peu de chose à remarquer sur ces lettres.

PT provient souvent de ct, par ex. copt (coctus), pept
(pectus).

B naît aussi fréquemment de v, comme dans besicę, berbice,
sęrbà.

F est un renforcement du grec υ dans eftin (εὐτελής) et de v
slave précédé d's, par ex. sfintzì (serbe svètiti), sfredél (russe
sverdel'). Le serbe, à l'inverse, adoucit d'ordinaire l'f en v. Il
ne provient jamais du θ grec comme en russe, excepté par ex.
dans logofęt (λογοθέτης), mais l'allem. blech devient ici plef.
FT vient de ct dans lefticę (lectica) etc., en val. du sud il vient
aussi de pt, comme dans caftà (captare).

V médial vient d'un b adouci : aveà (habere), diavol etc.
Il représente l'υ grec dans evlávie (εὐλάβεια) et dans evangelie.
Le passage de v initial (seulement devant e ou i ?) à j est propre
au val. du sud, par ex. dans jermu (dace verme), jinu (vin),
jinie (vie, lat. vinea), jisu rêve (lat. visus), jite (vitze),
jitzę (vitzeà), jie (grec mod. βία), aussi jine (lat. bene), mais
avec v vedu (video), vintu (ventus). Au lieu d'être substitué,
j n'est-il pas ici adventice, et son intrusion n'aurait-elle pas
449amené la chute du j (vjinu, puis jinu) ? Le serbe aussi aime vj,
mais devant e, non devant i. On trouve ici, comme en français,
l'init. VR soit dans des mots latins, comme vreare (ital. volere),
vruh (bruchus Lex. Bud.), soit dans des mots slaves, comme
vrábie (serbe vrábatz), vrage (serbe vráć), vrednic (vriźedan),
vreame (vreme). V peut aussi être final, mais il se
prononce presque comme f : ainsi dans des mots slaves, comme
grozav, źilav, źidov et quelques mots latins, comme captiv.450

Section III.
Prosodie.

Nous avons jusqu'ici poursuivi l'histoire des lettres dans
l'ordre descendant et ascendant. Mais les lettres servent seulement
à composer le corps du mot ; il reste encore à examiner ce
qui donne à ce corps la vie et l'âme, la prosodie, la mesure de
temps et d'accent qui accompagne le son, afin de voir, ici aussi,
de quelle manière la nouvelle langue se comporte vis-à-vis de
l'ancienne. La théorie est simple : la quantité primitive a perdu
sa force, mais l'accent dans lequel réside proprement le centre
de gravité du mot se maintient à sa place et exerce sur la quantité
une influence jusqu'alors inconnue. La métrique du plus
ancien moyen âge trahit déjà cette transformation de la prosodie.
Il est à prévoir d'ailleurs que ce nouveau principe sera soumis
dans les diverses langues à toutes sortes de restrictions. Le
français surtout présente ici des divergences si importantes
qu'on est tenu d'établir pour lui des règles prosodiques toutes
spéciales. Nous allons traiter séparément de chacune des deux
modalités, la quantité et l'accent.

I. Quantité.

Il est facile d'observer que les langues néo-latines font une
différence entre longues et brèves : l'ital. quadro a un a plus
long que quattro, sole a un o plus long que molle, l'esp. beato
un a plus long que apto, mesa un e plus long que esta. On trouvera
cependant que la quantité, si on la suit d'une oreille attentive,
est moins sûre ici que dans d'autres langues, par exemple en
451allemand. On entend souvent un mot prononcé différemment,
car on attache moins d'importance à une durée plus ou moins
longue de la voyelle, pourvu qu'on ait fait correctement ressortir
l'accent. Voici cependant les règles générales qui ont cours pour
la quantité.

1. Est longue toute voyelle accentuée devant une consonne
simple suivie elle-même d'une nouvelle voyelle ; la quantité
primitive ne fait aucune différence. La cause de ce phénomène,
connu d'ailleurs par l'allemand et le grec moderne, consiste,
en partie du moins, dans la chute ou l'abréviation des syllabes
de dérivation et de flexion dont la quantité a dès lors été attirée
par les syllabes brèves accentuées afin d'assurer au mot une
certaine étendue ; de hommes par ex. est venu l'ital. uōmĭnĭ,
comme du v.h.all. tăgā l'all.mod. tāgĕ, du grec λγος le grec
mod. λγος. On prononce en conséquence avec la voyelle longue
ital. piano (plānus), mano (mănus), rena (arēna), dio
(dĕus), fede (fĭdes), solo (sōlus), rosa (rŏsa), fuoco (fŏcus),
giudice (jūdex), umile (hŭmilis) ; esp. llano, mano, arena,
solo, rosa, fuego, et de même en portugais et en provençal.
Nous autres Allemands, nous prononçons aussi comme les Romans
le subst. rŏsa et le part, rōsa avec un o également long. Aussi
la différence de quantité a-t-elle partout disparu dans păter,
māter ; en ital. par ex. on prononce pādre, mādre, comp. le
v.h.all. vătar et l'all.mod. vāter, de même pŏpulus devient
long dans pōpolo, au contraire pōpulus est abrégé dans
piŏppo.

2. La voyelle accentuée en position est brève même lorsqu'elle
répond à une voyelle latine longue par nature, comme dans
fōns, gēns, lārdum, mēns, mīlle, nārro, nūptiæ, vīxit
(Schneider I, 108) ; ital. fonte, gente, lardo, mente, mille,
narro, nozze, visse. Il n'est pas question ici de la quantité des
syllabes ; il est clair que dans gente la syllabe gen a plus
d'étendue que te, car la voix repose sur la consonne n, mais les
deux voyelles ont une quantité égale ou sont au moins toutes
deux brèves, car de légères différences de quantité ne peuvent
pas toujours être mesurées par l'oreille avec la dernière précision,
mais aucun Italien ne prononce gēnte de telle sorte que ē
équivaille à deux brèves. — Une muette avec r ne faisait déjà
pas position en latin, il en résulte qu'en roman aussi la voyelle
qui précède peut être prononcée longue, ainsi en ital. libro (liber),
pietra (petra), stupro (stuprum), vetro (vitrum). La brièveté
se perd lorsque, ce qui se présente souvent, l'une des consonnes
452est élidée ou résolue en une voyelle, comme en ital. narciso,
esp. auto, prov. laissa. — A côté de la position latine se
présente avec une action égale sur la quantité la position romane ;
elle est produite par la chute d'une voyelle ou par son durcissement
en une consonne, ital. caldo (calidus cal'dus), deggio
(debeo debjo), fibbia (fibula fib'la), figlio (filius filjus),
freddo (frigidus frig'dus), porre (ponere pon're), tengo
(teneo tenjo), veggo (video vidjo) ; esp. hombre (hominem
hom'nem
), liño (lineus linjus), sembro (semino sem'no),
escollo (scopulus scop'lus) ; prov. arma (anima an'ma),
dompna (domina dom'na), cilh (cilium ciljum). Le fait que
la quantité dépend de la position est rendu clair par des exemples
comme ital. nītido, vīsita à côté de nĕtto, vĭsta. En espagnol
la voyelle en position peut être élargie en diphthongue, ce qui
est à vrai dire un allongement, mais si l'on compare cette
diphthongue avec celle qui se produit devant une consonne simple,
on trouve que la première répond seulement à deux brèves
(fŭĕnt-e), la seconde à une brève et une longue, c'est-à-dire
trois brèves (fŭēg-o). Il y a lieu d'admettre aussi le même
rapport en valaque lorsque d'une voyelle se développe une diphthongue.

3. Les voyelles atones sont brèves sans égard à leur quantité
primitive : ital. infinito (infīnitus), ginepro (jūniperus),
naturale (nātūralis), regina (rēgina), maraviglia (mīrābilia).
Pour cette raison, des diphthongues se réduisent souvent
en voyelles simples : ital. ascoltare (auscultare), agosto
(augustus), orecchio (auricula), estate (æstas), cipolla
(cæpulla). Si les syllabes atones précèdent les accentuées il n'est
pas nécessaire que leurs voyelles aient toutes une brièveté égale.
En effet on tolère aussi dans cette situation des diphthongues,
celles-ci excèdent en longueur les autres voyelles atones et peuvent
tout aussi bien excéder les accentuées, comme dans autúnno,
suonò, mais elles sont plus brèves que des diphthongues accentuées ;
qu'on compare l'ital. aurora avec aura, poichè avec poi.
Si la voyelle atone est placée après une syllabe accentuée, elle
est la plus brève possible : ital. fórte, bellíssimo, desíderano.
Des diphthongues ou des voyelles en position ne peuvent pas se
trouver dans cette situation, et la longue latine est toujours
abrégée, contrā est maintenant prononcé contră. Il reste
encore beaucoup à observer pour chaque langue en particulier.

Italien. — Il faut rappeler ici les points suivants.453

1. Lorsqu'un paroxyton en raison de la chute de la voyelle
finale se termine par une consonne, la tonique, si elle est
brève, conserve sa quantité, comp. augello augel, stanno
stan
 ; mais la quantité de la longue devient douteuse, comme
dans cielo ciel, uomo uom, mano man, du moins les poètes
font rimer ciel avec augĕl, man avec stăn, quoiqu'ils ne fassent
jamais rimer cielo avec augello, mano avec stanno. Toute
voyelle finale accentuée est une brève décidée, bien que la même
voyelle soit longue dans le corps du mot : umanitade umanità,
mercede mercè, piede piè, puote può, virtude virtù, suso
, et ainsi amò, amerà, fal, Niccolò, fa, , , già, no
(lat. nōn). Des enclitiques ne rendent pas à la voyelle sa longueur,
bien que par leur présence elle redevienne médiale : amolla,
vantossi, non pas amōla, vantōsi.

2. A l'intérieur des mots aussi de nombreux cas se présentent
où la langue a préféré la brève à la longue, et l'a alors
indiquée par une consonne double. Des exemples de ce genre
sont : brutto (brūtus), femmina (fēmina), figgere (fīgere),
fummo et fumo (fūmus), legge subst. (lēgem), libbra
(lībra), Lucca (Lūca), pioppo (pōpulus), succo (sūcus),
tutto (tōtus), ruppi (rūpi), conobbi (cognōvi), viddi (vīdi),
galoppo (goth. hlaupan), ricco (v.h.all. rîhhi), riddare (v.h.
all. rîdan). La diphthongue latine au toutefois ne paraît nulle
part se prêter à cette abréviation, sauf dans des syllabes atones :
uccello (aucella), ottarda (pour autarda).

Espagnol. — La quantité dans cette langue, dit Rengifo
dans son Arte pœtica cap. 6 et 7, se reconnaît à l'accent.
Longue (larga) est la syllabe qui a l'accent principal (accento
predominante
), et toutes les autres syllabes sont brèves (breves).
La longueur de la syllabe ne détermine pas, il est vrai,
la longueur matérielle de la voyelle accentuée, elle est réglée
par les principes généraux. Il y a en outre à rappeler ce qui suit
sur les syllabes finales et médiales.

1. L'espagnol est conforme à l'italien en ce que la tonique
finale y est aiguisée et non étendue : dará, traspié, aquí,
resistió, Perú. Il en est de même pour la voyelle accentuée
placée devant une consonne finale, par ex. dans oficial, cruel,
abril, sol, español, azul, capitan, bien, jardin, leon, comun,
mar, amor, compas, frances, decis, diós, Jesus, rapaz,
altivez, feliz, feroz, cruz, verdad, salid, virtud. On voit
ici rimer avec une voyelle également longue, bien que primitivement
454inégale, cristal, métal avec caudal, ygual ; de même
aquel avec cruel ; mil avec gentil ; afan, dan avec pan,
Milan ; compas avec mas. Une syllabe vient-elle s'ajouter,
la voyelle accentuée regagne en longueur : sol soles, leon
leones
, diós dioses, cruz cruces, verdad verdades.

2. Les consonnes doubles latines se sont pour la plupart
simplifiées, ce qui a déterminé un allongement de la voyelle
précédente, voy. plus haut p. 334.

La langue portugaise se comporte comme l'espagnole. Cependant
une syncope procure quelquefois ici à la voyelle finale un
circonflexe, comme dans , , avô.

Provençal. — Nous possédons sur les rapports de quantité
de cette langue un travail spécial du grammairien Uc Faidit
(p. 96), c'est proprement un dictionnaire de rimes, intitulé
De las rimas, qui marque exactement la prononciation d'un
grand nombre de rimes masculines et féminines, mais non pas
à beaucoup près de toutes celles qui y sont contenues. Ce traité
de rimes est joint au Donatus provincialis, mais dans ce dernier
ouvrage aussi, l'auteur se prononce à l'occasion sur la
prosodie de différentes terminaisons d'accord avec ce qui est dit
au chapitre De las rimas. Ici comme là les syllabes finales sont
divisées, quand cela était praticable, en largas et estreitas,
c'est-à-dire, ainsi que Raynouard déjà l'a traduit, en longues
et brèves, espagnol : largas et breves. Nous nous en tenons
pour le moment à cette manière de voir. En revanche les Leys
d'amors
, qui ont aussi traité cette matière, ne distinguent pas
les vocals largas et estreitas, mais les plenisonans et les
semisonans ; les premiers se prononcent avec une bouche plus
ouverte et sont plus longues (I, 62) ; aux semisonans appartiennent
aussi les voyelles finales atones, comme dans peza,
grana, umple, ame. Entre les deux se trouvent les utrisonans
(ancipites), division dont les anciens poètes n'ont eu assurément
aucune notion. Cette division est restreinte aux voyelles
a, e, o. En outre, la longue est aussi nommée ici accen lonc,
comme chez les grammairiens latins accentus longus, la brève,
accen agut, quoiqu'en un passage (I, 92) ce dernier accent doive
être synonyme de longue, mais il y a ici peut-être une confusion
de l'accent avec la quantité, qu'on rencontre aussi chez d'autres
grammairiens romans. On trouve malheureusement dans Faidit
des contradictions palpables qui peuvent ébranler la confiance
à l'égard de la solidité de son savoir. On ne comprend pas, par
455exemple, pourquoi u serait long dans mesura, bref dans dreitura.
Pourtant il se présente à nous, à tout prendre, comme un
grammairien si judicieux, qu'on ne peut pas lui reprocher trop
sévèrement quelques inconséquences dans une matière aussi
délicate. Ajoutez à cela que les deux sources, autant qu'il est
possible de les comparer, sont toujours d'accord ; Molinier paraît
donc avoir eu Faidit sous les yeux et l'avoir reconnu comme
autorité. La terminaison As est d'après Faidit longue, c'est-à-dire
larga, dans les mots nas, pas (passus), vas (vas vasis),
ras, bas, cas (casus), gras, clas, las, mas (mansus) ; les
Leys II, 158 appellent plenisonans précisément les mots cités
cas, gras, pas, vas et de plus bras, qui manque dans Faidit.
Es est long dans pes (pes pedis), confes (confessus), pres
(prope), bref, c'est-à-dire estreit, dans mes (misit), pres
(prehensus), ques (quæsivit), frances, angles etc. ; d'après
les Leys, apres adv., pes sont plenisonans ; mes, repres, apres
part., pes (pensum), bres, estes sont semisonans. Os est long
dans fos (fuisset), appos (apposuit), bref dans excos (excussit),
ros (rosit) ; dans les Leys bros, ros, tros, gros sont plenisonans.
Ers est long dans ters (tersit), guers, dispers part.,
Bezers, bref dans ders (erexit, erectus), aers (adhæsit,
adhæsus) ; les Leys nomment plenisonans : guers, mers, pers,
vers. Ors est long dans tors (torsit), cors (cursus), ors (ursus) ;
les Leys aussi II, 158 mettent un mot cors au nombre des plenisonans.
Or est bref dans color-s, odor-s etc., senhor, Salvador
ont l'accen agut I, 90 (le fr. -eur aussi est bref). L'important
maintenant est que les troubadours (tant qu'un examen plus
attentif n'aura pas fourni d'autre résultat) ne connaissent pas cette
distinction entre les rimes longues et brèves. Il est vrai que
confēs, aprēs, pēs riment bien ensemble, mais aussi avec
amés, lequel à son tour rime avec aprĕs, mĕs, francĕs. On ne
fait pas davantage de différence entre fōs, apōs, grōs et escŏs,
rŏs, entre dispērs et adērs. Peu importe que la voyelle accentuée
primitive, c'est-à-dire latine, soit suivie ou non d'une
consonne double : val (vallis) rime avec mal (malum), aflam
(de flamma) avec fam (fames), bas (bassus) avec nas (nasus),
ros (russus) avec famos (-sus). Ce n'est qu'à propos des
voyelles qui précèdent immédiatement une n séparable (indifférente)
ou une n inséparable que les poètes font une différence
(p. 374) : plan ne rime pas bien avec tan, ben avec cen, bon
avec fon (fundit). Mais de là il ne résulte pas encore que les
deux sortes de voyelles aient eu une quantité différente et qu'on
456ait prononcé plān, bēn, bōn et tăn, cĕn, fŏn ; la division
pouvait très-bien avoir sa raison d'être dans le fait que l'n
finale des premiers avait une existence douteuse, puisqu'elle
n'était pas prononcée dans certaines provinces. Faidit a accompli
sa tâche de grammairien en séparant les longues et les brèves
d'après la prononciation générale. Si cette distinction n'a pas été
reconnue dans la métrique, c'est encore une suite de la grande
prépondérance acquise par l'accent sur la quantité ; c'est un
courant auquel se laissent aller les meilleurs poètes français
lorsqu'ils font rimer, malgré toute théorie, grâce avec face,
âme avec madame, âge avec courage. — Les points suivants
doivent être ici spécialement observés à l'égard de la prosodie
provençale.

1. On ne peut affirmer que toute voyelle accentuée précédant
une consonne elle-même suivie d'une voyelle soit longue absolument,
et il ne faut voir qu'un exemple isolé dans le fait que les
Leys attribuent l'accen lonc à la première syllabe dans vólo
(volunt) et dans ámo (-ant). D'après les exemples donnés par
Faidit la quantité n'est pas toujours la même dans ces finales
(comme en français). On doit par ex. prononcer avec u long :
cura, jura, dura ; avec u bref : dreitura falsura (il a déjà
été question de cela plus haut), conjura (malgré le simple jura),
agura, segura, pura ; avec o long : nora (nurus), fora
(foras), devora, avec o bref ora (hora), plora, fora
(fuerat), onora, adora. E est long par ex. dans bela, revela,
piuzela, bref dans cela pron., vela, estela, candela, donzela
(en contradiction avec piuzela). O est long dans fola (franç.
folle), vola, filhola, bref dans gola, sadola, escola. On
s'étonne de trouver l'ŏ dans le suffixe adjectival ŏs, fém. ŏsa =
franç. ēux, ēuse.

2. Quant à la voyelle accentuée finale, si l'on tient compte delà
pratique des langues sœurs, il y a lieu de la supposer plutôt
brève que longue. D'accord avec cette supposition les Leys
(II, 228 et ailleurs) désignent comme semisonans : bo, mo, so
ou avec l's de flexion pa-s, be-s (pour bon, mon, son, pans,
bens) et reconnaissent également dans la dernière syllabe de
cantó subst. contrició, bastó-s, Gastó-s l'accen agut (I, 210.
212 etc.). De même Faidit admet la brève dans ca-s (canis),
gra-s (granum), vila-s (villanus), pa-s (panis), ma-s
(manus), Tolza-s (Tolosanus), le-s (lenis), fre-s (frenum),
ence-s (incensum) etc. Cette doctrine mérite une sérieuse
attention. Chez les poètes les voyelles dépouillées de l'n indifférente
457riment avec toutes leurs semblables : pla (plan) avec a,
ja, fa, va, la, cantara ; be (ben) avec que, se, fe, cre ; camí
(camin) avec di, mi, aissi, qui, ami ; bo (bon) avec no, so,
pro, do.

3. La voyelle en position, lorsque le mot se termine par une
voyelle, n'a pas toujours la même quantité ; elle est cependant
plus susceptible de devenir longue qu'en italien. Faidit désigne
comme longs fossa, grossa ; comme brefs rossa, trossa,
escossa ; comme longs velha (vetula) ; comme brefs ovelha,
vermelha ; comme longs volha, tolha, orgolha, folha, comme
brefs solha (souille), verolha (verrouille). D'après les Leys
II, 380 par ex. fálhi, párti (prés.) ont un a plenisonan et un
accen lonc.

4. Il résulte clairement de ce que nous avons dit plus haut (p.
456), en comparant nos sources, que la voyelle devant une
consonne finale a, suivant la règle, c'est-à-dire suivant la
théorie des anciens grammairiens, différentes quantités. Beaucoup
de traits concordent ici avec le français, d'autres s'en
séparent. Faidit, de plus, prononce avec la voyelle longue
venquét (vicit), tolc (sustulit), volc (voluit), avec la brève
ois (unxit), jois (junxit), conoc (cognovit), sols (solvit),
vols (volvit), venc (venit), tenc (tenuit), tens (timuit), prens
(prehendit), temps, vertz, lobs. Les Leys nomment plenisonans
par ex. quar, cars, carcs, fals ; semisonans : leg
(legit), dotz, notz, votz, francs, ferms ; les mots suivants ont
l'accen agut : fon, pon, prion, son (sunt), de même que la
dernière syllabe dans guerriers, pausatz, vanetat etc. On ne
doit donc pas prononcer amāt part., mais amăt = franç. aimé,
au contraire fém. amāda 1250.

Français. — De bonne heure les grammairiens de cette langue
458ont porté leur attention sur la prosodie qui, en raison de la
structure plus resserrée des mots, a développé bien des particularités.
Déjà Bèze lui consacra un chapitre spécial (p. 73-80)
dans son écrit sur la prononciation, où, pour la première fois,
il chercha avec passablement de circonspection à ramener à des
principes ce sujet si complexe. Parmi les grammairiens d'une
époque plus récente d'Olivet, Remarques sur la langue françoise,
Genève 1755, a soumis la quantité à une analyse et a
notamment déterminé la quantité de toutes les terminaisons dans
l'ordre alphabétique, sans vouloir néanmoins se porter partout
garant de l'infaillibilité de ses données. Les règles acquises par
son examen ont été aussi reconnues et prises en considération
par les grammairiens modernes, souvent reproduites et rectifiées ;
d'autres ne les ont toutefois accueillies qu'avec méfiance,
comp. par ex. Quicherat, Versification française, 2e édit.
p. 518 ss. Dubroca et Malvin-Cazal ont traité avec grand
soin de la quantité en usage aujourd'hui, car à une langue si
peu stable, gouvernée même par la mode, un siècle peut apporter
des changements assez importants. Les grammairiens modernes
donnent les règles générales suivantes auxquelles nous comparons
celles de Bèze.

1. La voyelle est longue : 1) Dans les terminaisons masculines
en s, ou, ce qui revient au même, en z et en x, comme
héros, fracas, palais, aimas, diras, dis, avais, dois, vois,
nez, faix, voix etc. — 2) Dans les terminaisons masculines du
pluriel, même lorsque la sifflante est précédée d'une autre consonne :
sacs, chefs, pots, sels, autels, romans, détails. —
3) Devant n et m suivies d'une consonne commençant une
syllabe : chambre, jambe, trembler, tomber, humble, planche,
peindre, danser. Bèze dit : omnis syllaba desinens in
litteram
m vel n non geminatam, sed sequente alia consonante,
est natura longa
. — 4) Lorsque suit une consonne
devant laquelle s est tombée ou n'est plus prononcée (p. 422) :
âne, alêne, côte, faîte, forêt, maître, mâtin (à côté de
mătin), tâche (à côté de tăche), pêcher (à côté de pĕcher).
Omne s sequente consonante quiescens vocalem prœcedentem
producit
. L's tombée a ainsi laissé, dans l'allongement
de la voyelle antérieure, une trace de son existence. Ceci se
montre clairement par ex. dans la double forme du franç.mod.
registre avec i bref et regître avec i long. — 5) Devant s ou z,
presque toujours devant r à la pénultième, lorsque ces consonnes
sont suivies d'un e muet : base, bêtise, rose, muse, framboise,
459gaze, douze, avare, père, chimère, attire, délire,
encore, verdure, heure, bravoure, gloire. S inter duas
vocales deprehensa et vocalem singularem et diphthongum
antecedentem producit
. Bèze cite de plus : jāser, brāise,
sāison, plāisir, choīsira, causera, cuīsine, vīsage, et excepte
l'e muet : gĕsĭr, gĕsĭne, aussi vŏisin etc. — 6) Immédiatement
avant un e muet : armée, vie, prie, loue, joie, pluie. Omnes
dictiones terminatæ per
e fœmininum, proxime præcedente
vocali, producunt penultimam
.

2. La voyelle est brève : 1) Devant une consonne finale
simple (sauf les sifflantes s, z et x), à condition qu'elle soit elle-même
simple et, bien entendu, sans circonflexe : sac, datif,
chef, sel, autel, fil, nectar, cher, mur, aimer, verger,
venir, soldat, foret, habit, pot. Il en est de même devant n
et m : roman, crin, fin, divin, bon, don, nation, maison,
nom, importun, parfum. — 2) L mouillée finale est aussi
considérée comme une consonne simple, bien qu'elle renvoie en
général à une combinaison de consonnes : avril, fauteuil,
détail, vermeil. La règle est vraie aussi pour l'avant-dernière
syllabe dans le cas où elle est suivie d'un e muet, comme dans
quenouille ; il faut cependant excepter la finale aille, ainsi
canaille etc. avec un a long. A cum i quiescente ante duplex
ll molle cum e fœminino dictionem finiente est longum,
dit Bèze, tout-à-fait d'accord avec la règle actuelle. — 3) Devant
r ou s sonore, lorsque suit une seconde consonne commençant
une syllabe : barbe, herbe, berceau, ordre, infirme, masque,
burlesque, astre, funeste. Cependant dans quelques mots, tels
que horde, lourde, la voyelle devant r est marquée comme
longue. Elle a la même quantité dans les terminaisons masculines
arc, ard, art, erd, ert, ort, ourt, eurt, ors, comme parc,
étendard, part, perd, vert (d'après d'autres vērt), effort,
court, meurt, mors, corps (avec un p étymologique). —
4) Immédiatement devant une seconde voyelle sonore : haïr,
féal, créé, prier, action, douer, tuer.

3. Mais la quantité de la voyelle n'est pas fixe ni immuable
dans tous les cas. Cette indécision affecte aussi bien des classes
de syllabes ou de suffixes de dérivation que des mots isolés. On
prononce par ex. avec la voyelle longue fable, diable, sable,
mais avec une douteuse aimable, table, étable. De même avec
la longue les adjectifs franc, grand, puissant, mais avec la
brève les substantifs banc, sang, gland. I est long dans les
adjectifs vive, active etc., bref dans les substantifs et les verbes
460lessive, solive, dérive. Ai est long dans plaine, douteux dans
fontaine. La place du mot, son importance oratoire peuvent
même en déterminer la quantité ; on prononce avec la voyelle
brève une hĕure entière, avec la longue dans une hēure ;
un brăve homme et un homme brāve ; nŏtre ami, il est le
nōtre
 ; pĕse-t-il, il pēse ; célébrĕr, mais célébrēr avec vous,
lorsqu'on fait entendre l'r (Levizac p. 130). Les monosyllabes
les, ces, mes, tes, ses sont longs devant une syllabes brève,
brefs devant une longue : mēs ămis, lĕs īmpôts, sĕs ēnfants.
On peut s'attendre en outre à ce que la langue, qui aime à distinguer
la signification des mots par de petites modifications de forme,
ait cherché aussi à atteindre ce but par la différence de la quantité.
En voici des exemples vŏler à côté de vōler, tous deux de
volare ; vĭvre et vīvre subst. ; pĕuple subst., pēuple verbe
(Levizac p. 65) ; boĭter, boīte, tous deux de la même provenance ;
avĕnt, avānt prép. ; jĕune (juvenis), jēune (jejunium) ;
je vēux (volo), vĕu (votum). Une heureuse distinction
produite par la longueur de la voyelle est celle du singulier et du
pluriel dans un grand nombre de mots, comme ăir āirs, chāir
chāirs
, fĕu fēux, garçŏn garçōns, ărt ārts, lĕnt lēnts,
pĕur pēurs, bĕuf bēufs, neuf nēufs (les deux derniers ont été
relevés par Bèze), roĭ roīs. De même celle du masculin et du
féminin de beaucoup d'adjectifs, comme vĭf vīve, chĕr chēre.

Il est clair que les principes reconnus plus haut comme communs
à tout le domaine roman ne sont pas toujours appliqués
ici. Les observations suivantes rendront ce fait encore plus
évident. 1) La voyelle accentuée suivant l'usage roman devant
une consonne primitivement simple (ou une muette avec r),
lorsqu'une seconde voyelle suit, peut être soit longue soit brève.
Elle est longue par ex. dans empire, surprise, grave, cadre ;
brève dans finale, mortelle, je fume, Rome, personne,
fortune, robe, poëte, bette, lèpre, livre, mitre, battre. En
tant que la consonne simple cache un i palatal, l'italien aussi
abrège, comp. caprĭce (capriccio), chăsse (caccia), făce
(faccia), glăce (ghiaccia), lŏge (loggia). La longueur latine
n'a gardé en français que juste assez d'action pour conserver
dans la plupart des cas la qualité, mais non la quantité de la
voyelle qu'elle affecte. La chute d'une consonne entre deux
voyelles a d'ordinaire pour conséquence d'allonger la seconde
voyelle presque partout où le vieux français présente encore
deux voyelles syllabiquement séparées, par ex. meür mûr, seür
sûr
, roole roule, chaïne chaîne, gaïne gaine, traïne traîne,
461geene gêne, gaagne gagne (bien que -agne ait d'ailleurs la
voyelle brève), roogne rogne, baaille bâille, aage âge.
Il faut excepter par ex. joëne jeune, paür peur avec eu bref.
On a déjà dit plus haut que la chute de l's allonge la voyelle ;
la chute d'autres consonnes peut aussi avoir ce résultat, comme
dans âme (anima), rêne (de retinere), Rhône (Rhodanus),
prêche (prædico). La langue française concorde avec les
autres en ce qu'elle rend brève la voyelle finale, même dans le
cas de la contraction : aima, aimera, Cinna, Attila, aimé,
vérité, Thisbé, thé, fini, envi, merci, concetti, colibri,
écho, numéro, Jéricho, vertu, bu (anc beü), jeu, feu.
Cette règle est toutefois plus exacte pour les voyelles simples
que pour les composées. — 2) Les diphthongues et les combinaisons
de voyelles, de quelque manière qu'elles aient été produites,
ne sont pas du tout nécessairement longues. Elles sont
brèves par ex. dans faite, je sais, j'ai, Paul, sein, haleine,
pleine, veine, jeu, jeudi, aveu, tilleul, gueule, seule,
flatteur, vainqueur, honneur, pleurer, aveugle, tombeau,
hièble, nièce, siècle, tiède, moite, œuf, bœuf, tout, courte ;
douteuses dans faim, pain, vrai, air, audace, restaurer,
roi, devoir, besoin ; longues dans aime, plaine, naît, plaît,
chaud, neige, bleu, meule (mola), heureux, meurt, eau,
lièvre. Si la combinaison a été produite par la résolution d'une
l, la longue prédomine : aube, auge, autre, haut, vautrer,
beau, beauté, meunier, feutre, coutre, douce, poudre,
pousser, souder, absoudre ; la brève, par ex. dans outre
(ultra), chou. Dans les polysyllabes la finale est brève, comme
dans tombeau, ou douteuse, comme dans joyau. Bèze remarque
par contre : diphthongus au semper producitur. — 3) Il ne
peut être question de la brièveté absolue de la voyelle en position,
car les nasales constituent ici une forte exception. Souvent la
quantité de la syllabe paraît se régler plutôt d'après le sentiment
de l'euphonie que d'après des lois, comp. fable, miracle, lourde
avec la voyelle longue, table, hièble, règle, seigle avec la
brève. Une consonne double ne rend pas nécessairement brève
la voyelle précédente. On la prononce, il est vrai, brève devant
les muettes, ainsi devant tt, dd, cc, cq, gg, pp, bb, ff : patte,
mettre, tette, goutte, hotte, agraffe (attirer, accabler et
d'autres exemples aux syllabes non radicales, voy. p. 414),
longue par ex. dans affres, greffe. Lorsque ch répond à un cc
originaire, il abrège également la voyelle, ainsi hache, tache
(all. zacke), vache, peche (pecco), seche (sicca), broche,
462poche, roche, bouche, souche, je touche, peluche, j'épluche.
Les liquides ll, mm, nn rendent aussi la voyelle brève : halle,
malle, aller, comme, homme, pomme, epigramme (mais
flamme), panne, tanne, personne (mais mānne). Rr,
au contraire, lorsque ce groupe représente un son indivisible,
rend longue la voyelle, omnis syllaba ante geminatam
rr producitur, comme l'observe Bèze, par exemple barre,
bizarre, carre, jarre, je narre, arrêt, j'erre, guerre,
terre, tonnerre, verrons, beurre, leurre, mais ĕrreur,
tĕrreur. Devant ss, lorsque le redoublement existe déjà dans la
langue mère, la voyelle s'allonge ordinairement, ainsi casse
(cassia), classe, lasse, nasse, passe, cesse, confesse, presse,
fosse, grosse, rousse, je tousse, abbesse, j'aimasse, je
fisse
, j'abaisse, graisse, aussi je laisse, châsse (capsa).
Mais elle est brève dans promesse, ânesse, altesse, princesse
et d'autres semblables, mais surtout quand ss provient d'autres
consonnes, comme dans agasse, brasse, cuirasse, chasse,
masse (ital. mazza), détresse, écrevisse, lisse, je glisse,
bosse (ital. bozza), cresse, rosse (ital. rozza), housse,
mousse ; cependant échasse (néerl. schaats) a la voyelle longue.
4) Comme dans les langues sœurs, la longue de la voyelle
radicale et accentuée s'abrège quand un suffixe ou une flexion
fait avancer l'accent, par ex. entrāves entrăver, j'ērre
ĕrreur
, j'afflīge afflĭger, je fōule fŏuler, pōudre pŏudrer,
rōuille rŏuiller, būche bŭcher, excūse excŭser, āise ăiser,
joīe joyeux, poīvre poĭvrer. Mais cela n'est en aucune façon
devenu une loi : loin de là ; la voyelle en de nombreuses circonstances
conserve sa quantité surtout lorsqu'elle est nasale ou a été
rendue longue par la chute d'une s, ainsi dans beauté, bâiller,
encadré, châssis, grosseur, terrein, carrosse, trembler,
abondance, hôtesse, bâtir.

La chute et la résolution des consonnes ont introduit dans la
langue française un grand nombre de longues qui ne se produisent
pas dans les autres langues. Mais la brève, qui l'emporte
surtout dans les syllabes finales, prédomine en général. Aussi
Bèze dit-il déjà (p. 75) : Sunt autem hoc loco mihi admonendi
peregreni, paucissimas esse longas syllabas in francica
lingua præ innumerali brevium multitudine ; ac proinde
verendum illis esse potius, ne breves producant quam ne
longas corripiant, præsertim ubi falli possunt latinæ
linguæ quantitate. Sic e. g
. natura, vectura, fortuna, persona
et similia latine penultimam producunt, at francicæ
463voces
nature, voiture, fortune, personne eandem corripiunt.
Ainsi il blâme les Italiens qui prononcent en français părōlĕ
au lieu de părŏlĕ comme leur propre părōlă. On ne peut plus,
il est vrai, déterminer quand la langue est entrée dans cette
voie 1251.

Valaque. — S'il est exact, comme les grammairiens le
remarquent, que le signe de l'aigu indique la brièveté syllabique,
celui du grave la longueur (voy. Molnar), la prosodie de cette
langue est presqu'en opposition absolue avec celle de l'italien,
car les mots italiens amaro, lodato, bene, dopo, buono sont
ici amăr, lęudăt, bĭne, dŭpę, bŭn et à l'inverse ambulò se
prononce ici umblā. Il est bien vrai que le valaque paraît avoir
pour les voyelles brèves un goût plus décidé qu'aucune des
langues sœurs.

II. Accent.

Nous avons déjà dit plus haut qu'il conserve en général sa
place primitive. Par accent, il faut entendre l'aigu ; le grave n'a
aucun droit spécial à revendiquer, il va se perdre dans le domaine
de l'atonie. L'accent est le pivot autour duquel tourne la formation
464des mots dans les langues romanes. Avec la perte de la
quantité se sont modifiées, il est vrai, les dimensions des syllabes,
établies dans les fondements de l'édifice du langage et qui protègent
les racines comme les suffixes ; avec celle de l'accent le
mot serait devenu autre, la langue aurait perdu son empreinte
romaine. En latin l'aigu repose, dans les polysyllabes, sur l'avant-dernière
syllabe ou sur la troisième avant la fin, il n'est jamais sur
la dernière. Il ne faut pas considérer comme une anomalie le fait
qu'il peut aussi dans les langues dérivées, par apocope, affecter
la dernière, comme dans l'ital. maestà, virtù et dans d'autres
exemples innombrables de tous les dialectes. Il n'est pas non
plus étonnant que la première de ces langues le porte aussi par
paragoge sur la quatrième avant-dernière, ce qui toutefois
n'a lieu que dans la conjugaison : récitano pour récitan de
récitant (voci bisdrucciole) ; le principe proparoxytonique du
latin s'est donc montré impuissant ici. En vertu de l'enclise, car
les mots inclinés sont atones, l'accent peut, il est vrai, prendre
une place encore plus reculée, comme en ital. portándomivelo,
mándamivisene. Les composés, au contraire, ont l'accent
principal sur le dernier mot ; ce n'est que dans les adverbes en
ment que les grammairiens l'adjugent au premier, ainsi ital.
cándidamente, esp. fácilmente, pacificamente, franç. admiráblement 1252.

On peut s'attendre toutefois à voir se produire dans un aussi vaste
ensemble de formes quelques déplacements de l'accent. Si cet accident
n'est pas sans exemple, même dans une langue comme l'allemand,
qui relègue l'aigu dans la syllabe radicale, c'est-à-dire prescrit
une règle d'une simplicité évidente, combien n'était-il pas plus
facile qu'il se produisît dans des langues à accent mobile. La langue
italienne, fille aînée du latin, est la plus fidèle ; plus d'exceptions
sont présentées par les langues valaque, espagnole et portugaise,
encore plus par le provençal ; le français va sans aucun doute plus
loin que toutes ces langues, surtout si l'on ne fait pas de
différence entre l'époque ancienne et moderne, et cela nous
oblige encore à lui consacrer en terminant un examen à part.
Il faut relever les points suivants comme plus ou moins communs
au domaine roman.

1. Le verbe, entre toutes les parties du discours, présente les
465plus fréquents déplacements de l'accent, ce dont il sera rendu
compte à propos de la flexion. Beaucoup de verbes de la deuxième
conjugaison appliquent, en vertu d'une fausse analogie, l'accent
du présent à l'infinitif, ainsi cólligo collígere, ital. cólgo
cógliere
 ; pórrigo porrígere, ital. pórgo, pórgere ; bátuo
batúere
, ital. bátto báttere ; cónsuo consúere, franç. cóuds
cóudre
 ; val. cós cóse. Dans le même sentiment un petit nombre
ramène au présent l'accent de la deuxième ou troisième syllabe
sur la première : coopério, it. cuópro, esp. cúbro, fr. cóuvre,
car on traita coprire comme sentire, prés. sento et d'autres
analogues ; de plusapíscor, esp. ásgo ; in-delégo, esp. endílgo ;
l'ital. pérmuto rentre dans la même classe. Dans une forme romane
spéciale du suffixe ĭco l'accent a été avancé sur l'avant-dernière
syllabe, comme en ital. amaréggio de amárico, et cette accentuation
est devenue de règle dans les langues de l'ouest en
général, de même qu'en valaque, comme dans esp. détermíno
(detérmino), prov. proféri (prófero), franç. j'imagíne
(imágino), val. apléc (ápplico), et peu de mots, en vertu d'un
changement de forme, ont pu s'y soustraire ; mais ce point aussi
sera mieux traité dans un autre chapitre de la grammaire.

2. Le suffixe diminutif íolus prend l'accent sur la seconde
voyelle : filíolus, ital. figliuólo, esp. hijuélo, prov. filhól ;
capréolus, val. capriór. La cause en est que se prêtait mieux
à la diphthongue que io 1253. Le suffixe ĭnus de même attire à lui
l'accent : cédrinus, ital. esp. cedrino ; láurinus, pr. laurin.
Pour ĭlis et ĭcus, ĭca on trouve aussi presque partout des
exemples du déplacement de l'accent, comp. ital. umíle (chez
des poètes), esp. humilde, prov. umíl, mais franç. humble ;
val. catolíc, favrícę ; prov. fezíca (phýsica), Choix IV, 451
et d'autres encore. En italien quelques noms dérivés avec ius,
466ia, ium témoignent d'un recul de l'accent de la deuxième sur la
première syllabe : bronzo (brunítius *), verza (virídia), filza
(filícia* Ferrari), mancia (b.lat. mancia), ce qui fait penser
au lat. balíneum bálneum.

3. Devant les muettes accompagnées de r l'accent se trouve
quelquefois là où en latin on reconnaît comme brève la voyelle,
par ex. ital. allégro, esp. alégre, v.fr. halaigre (álacrem) ;
ital. colúbro (poétique), esp. culébra, franç. couleuvre (cólubra) ;
ital. intéro, esp. entéro etc. (íntegrum) ; ital. penétro
à côté depénetro ; esp. tiniéblas, ital. ténebre, à peine ténébre
(ténebræ) ; prov. tonédre (tónitru, sinon tonítruum) ; le nom
de Cleopátra ital. esp. (Cleópatra) doit aussi être rappelé ici.

4. Mais même sans cette condition l'accent peut être déplacé
dans divers mots. Les plus importants sont à peu près les
suivants. Esp. acébo (aquifolium) ; albedrio (arbitrium) ;
ital. Bríndisi (Brundusium, Βρενδέσιον, val. Brųndúsę) ; esp.
Cartagéna (Carthaginem) ; dádiva (dativa) ; diós (deus),
aussi port. dans G. Vicente I, 256 ; ital. dópo, val. dúpę (de
post, franç. depuis) ; esp. , mais ital. ío (ego) ; ital. fégato,
esp. hígado (ficatum) ; Port. fúncho (fœniculum fœn'c'lum) ;
esp. héroe, mais ital. eróe (heróem) mot savant ; esp. impío,
ital. émpio (ímpius) ; esp. impúdico (impudícus) ; ital.
mogliére à côté du plus usuel moglie, aussi esp. mugér, prov.
molhér, v.franç. muiller (mulier, le gén. muliēris fréquent
dans le latin du moyen âge, comp. J. Grimm, Lat. Ged. p. XX) ;
ital. Pádova (Patavium) ; ital. esp. paténa et patéra (patina,
patera) ; esp. pelícano (pelicanus) ; esp. péro, ital.
però (per hoc) ; ital. piéta (pietas) ; prov. penhóra (pignora)
GRiq. 203 ; esp. réyna (regina) ; rúbrica (rubrica) ; ital.
ségola, franç. seigle, mais val. secárę (secale) ; esp. Séquana
et Sequána, tous deux dans Rengifo (Séquana) ; esp. síno
(si non, Port. senão) ; prov. esperít (spiritus) ; esp. tábano
(tabānus d'après la notation des dictionnaires) ; esp. trébol,
Port. trévo, franç. trèfle, mais ital. trifóglio (trifolium) ;
ital. varíce, esp. várice (váricem). Voy. d'autres exemples
italiens dans Blanc p. 136, note.

5. L'accent se porte-t-il sur une autre voyelle, elle est
soumise aux accidents phoniques des voyelles accentuées, par
ex. ital. cuópro (cŏŏperio), fégato (fĭcatum), esp. ordéno
(ordĭno), tiniéblas (tenĕbræ), prov. portégue (portĭcus),
franç. couleuvre (colŭbra) ; cela a lieu généralement pour le
suffixe iolus. Cependant dans les cas de beaucoup les plus
467nombreux la voyelle reste intacte. On dit par ex. ital. dimóro,
non pas dimuóro (démŏror) ; esp. imagíno non pas imagéno
(imagĭno) ; franç. commode non pas commeude (commŏdus).
Dans les mots de ce genre le déplacement de l'accent ne paraît
donc s'être accompli que plus tard.

6. Les mots grecs employés par les Romains conservent en
général leur accentuation latine soumise à la quantité. En voici
des preuves : ital. abísso (ἄβυσσος), amatista (ἀμέθυστος), bíbbia
(βιβλία), chiésa (ἐκκλησία), cóllera (χολέρα), elógio (ἐλογίον),
limósina (ἐλεημοσύνη), paróla (παραβολή), piazza (πλατεῖα,
lat. plátea à côté de platéa : à la première de ces formes
répondrait d'après Schneider Gramm. I, 72, 98 une forme
grecque πλατέα), préte (πρεσβύτερος lat. présbyter), sátrapa
(σατράπης), spásimo (σπασμός), tállo (θαλλός), talénto (τάλαντον) ;
de même le plus souvent dans les langues sœurs. Un grand
nombre de mots rejettent le principe déterminant de la prosodie
latine pour suivre l'accentuation grecque, et ce n'est pas là une
aberration fortuite, le nombre des exemples est pour cela trop considérable :
il faut sans doute y reconnaître une influence du grec
du moyen âge. De ce nombre sont : ital. acónito (ἀκόνιτον, lat. aconítum) ;
ital biásimo, fr. blâme (βλάσφημος) ; val.cęmárę (καμάρα) ;
ital. ermo (ἔρημος) ; ital. esp. idéa, fr. idée (ἰδέα) ; ital. esp. ídolo,
v.fr. ídele (εἴδωλον) ; ital. sédano (σέλινον, lat. selínum) ; ital.
tisána (πτισάνη ptísana) 1254. Prudence disait déjà blasphĕmus,
erĕmus, idŏlum, et Loup de Ferrières, s'autorisant de la prononciation
de contemporains grecs, déclarait blasphĕmus plus
correct que blasphēmus (Vossius, Aristarch. 2, 33 ; comp. au
sujet d'idŏlum aussi Sanchez, Colecc. III, XXXVIII). Butyrum
dans Æmil. Macer, butyrum dans Sidoine, grec βούτυρον, est
en italien burro et butíro, en prov. búire. L'accent grec
persiste aussi dans quelques noms géographiques, ainsi en esp.
Ebro (Ἴβηρος) ; en ital. Épiro (Ἔπειρος), mais en esp. Epíro ;
ital. Lépanto (Ναύπακτος), esp. Lepánto ; ital. Táranto (Τάρας
Τάραντος), esp. Taránto ; Ótranto (Ὑδροῦς Ὑδροῦντος, Hydruntum)
a suivi l'accentuation de ces mots. De même Álbizzi a reçu
l'accent non sur la deuxième, mais sur la précédente, tout à
fait contre l'usage latin 2255. — D'autres mots tirés directement
468du grec ont subi au contraire un déplacement de l'accent ;
les oxytons naturellement, de même qu'en latin (σπασμός,
spásmus), durent le reculer : ital. baléno (βέλεμνον), éndica
(ἐνθήκη), grascia (ἀγορασία), paggio etc. (παιδίον), esp. taléga
(θύλακος), ital. pitócco (πτωχός), schéletro (σκελετός), tapíno
(ταπεινός), ital. troglio (τραυλός), esp. cama (χαμαί). — L'influence
la plus féconde de l'accent grec se manifesta dans le
suffixe, ĭa dont l'i, conformément au grec ία, reçut souvent
l'accent : ital. filosofía (φιλοσοφία, sophīa dans Prudence, voy.
Cellarius à l'index), monarchía (μοναρχία), et ainsi Soría,
Lombardía, Ungría, Tartaría, esp. de même Lombardía,
Normandía, Esclavonía, Ungría. Toutes les langues cependant
ne sont pas d'accord, puisque l'espagnol, par ex., prononce
Súria, Tartária. Parmi les noms communs, académia, comóedia
conservent en italien et en espagnol l'accent sur la troisième
avant-dernière, quoique Dante ait dit aussi à la manière française
commedía. Quelques noms géographiques en īa (εια)
reçurent également une accentuation différente. L'italien prononce
avec l'accent grec : Alessándria (Ἀλεξάνδρεια), Antióchia
(Ἀντιόχεια), l'espagnol avec l'accent latin : Alexandría, Antioquía,
mais tous deux : Nicomédia (Νικομήδεια). Le nom commun
politīa (πολιτεία) est régulièrement en ital. polizía, esp.policía,
port. dans Camoens 7, 72 polícia, franç.police. Voyez pour plus
de détails la formation des mots.

7. Les noms de personnes offrent dans leur accentuation de
nombreuses particularités dépendantes du caprice des langues ; ces
mots sont toutefois généralement étrangers à l'élément populaire.
Darīus (Δαρεῖος) ρ. ex. est en ital. et en v.esp. Dário (de même
aussi Lus. 3, 41), val. Dárie, pr. Dáire ; Gautier de Châtillon
aussi scandait Darĭus (Sanchez, Colecc. III, XXXVIII), ainsi que
d'autres écrivains du moyen âge (voy. p. ex. Leyser 468), la même
accentuation déjà dans Sidoine (Vossius, Arist. 2, 39). On accentue
aussi en général Jacōbus (Ἰάκωβος) sur la première syllabe : it.
Jácopo Giácomo, esp. Jágo, prov. Jácme, cat. Jáyme, franç.
Jacques. Basilīus (Βασίλειος) a dans l'it. esp. Basílio l'accent sur
la troisième avant-dernière. L'espagnol prononce également Isidorus
avec l'accent grec Isídro (Ἰσίδωρος), dont se rapprochent
aussi le prov. et b.lat. Isidorús (LRom. I, 524. Mur. Scriptt.
II, 2. p. 1095 : ut docet Isidorús). Les noms propres grecs
en eus ont un e accentué, par ex. ital. esp. Orféo, Peléo,
Teséo, Tidéo, cependant Rengifo p. 380, 381 accentue aussi
Pérseo, Téseo, Téreo et en italien aussi Pérseo (constellation)
469est une prononciation usuelle ; prov. Orphéus (disyllabique),
Peléus, Tidéus (Tideús Galvani, Osserv. 231) ; franç.
Orphée, Pelée, Persée, Thésée, Tidée. Pour le reste, c'est l'italien
qui se tient le plus près des langues classiques. L'espagnol
aussi s'écarte rarement de l'accentuation régulière, il prononce par
ex. Empédocles, Péricles, Polícrates, Diomédes, Aquíles,
Céres, Témis, Mídas, Mínos, Hélena, Ifigénia, Euménidas,
Melpómene, Etíope, Sármata, Ciclópe, Demócrito,
Heródoto, Hipólito, Teócrito ; mais Anibál (d'après Rengifo,
d'ailleurs aussi Aníbal, ital. Anníbale et chez les poètes Annibále),
Cecrópe, Eufrosína, Omfále, Polixéna, Arquímedes,
Heráclito, Sérapis. On prononce aussi Ilíada et de là
le port. Lusíadas. Dans les mots en -on la dernière syllabe reçoit
l'accent, ainsi Agamenón, Gerión, Jasón, Licaón, Orión et
de même dans le nom géographique Helicón. L'usage provençal
sera traité plus bas avec le français. — Les noms bibliques, sauf
les féminins en a, comme Eva, ont l'accent sur la dernière. En
voici des exemples : esp. Jepté, José, Josué, Noé, Leví, Jericó,
Esaú, Caléb, Horéb, Aquitób, Jacób, Amaléc, Barúc,
Davíd, Tubál, Jezabél, Manuél, Miguél, Raquél, Saúl,
Adán, Jerusalén, Caín, Moysén, Rubén, Aarón, Sansón,
Baltasár, Eliazér, Estér, Assúr, Cayfás, Joás, Jonás,
Tomás, Amós, Jesús, Nabót, Nembrót, mais Júdas,
Lúcas. Prov. Enóc, Davíd, Moïsén, Samsón, Sathán,
Josép, Judás, Yzaïás, Tobiás (Tobías LRom. 528a) et d'autres
semblables. En italien l'accent est le même qu'en esp., bien que
l'introduction du principe de la finale vocalique rende la forme
différente 1256.470

8. Les mots d'origine allemande, lorsqu'ils sont accentués sur
l'avant-dernière syllabe et se terminent par une voyelle atone,
conservent aussi leur accent primitif dans leur reproduction
romane, par ex. hósa, ital. uósa, esp. huésa. Au contraire,
s'ils ont l'accent sur l'une des syllabes précédentes ou s'ils se terminent
par une consonne, l'accent avance d'ordinaire sur l'avant-dernière ;
on tient compte en quelque sorte pour cette accentuation
de l'accent grave de la syllabe qui suit la racine : álànsa,
ital. lésina, franç. alène ; félìsa, franç. faláise ; krébìz,
franç. écrevísse ; hérìnc, ital. aringa, franç. haréng ; fládo,
acc. fládun fládon, ital. fiadóne, franç. flan de flaón. Il va
de soi que les composés prennent l'accent sur la dernière syllabe :
hériberga, ital. albérgo, franç. auberge ; Réinwalt, ital.
Rináldo, franç. Renáud.

Accent français. — Rien n'est plus simple que d'indiquer sa
place dans cette langue. Les mots avec terminaison masculine
(comme plaisant) l'ont sur la dernière syllabe, ceux avec terminaison
féminine (plaisante) sur l'avant-dernière. Cela est
incontestable, car nous voyons les poètes bâtir leurs vers sur ce
principe ; la rime et la césure, qui ne peuvent dans tout le
domaine roman porter que sur des syllabes accentuées, ne
donnent à reconnaître aucune autre position de l'accent. Il ne
peut y avoir de versi sdruccioli, mais il y a des versi piani.
Cet accent est, à part certaines restrictions, non sans importance
il est vrai, l'accent primitif, latin, roman. Comme l'e féminin est
devenu peu à peu muet (voy. ci-dessus p. 391), la règle peut
être exprimée plus simplement encore : en français chaque mot
de deux ou plusieurs syllabes a l'accent sur la dernière, le
fameux système trisyllabique du latin a été réduit ici à une loi
monosyllabique. Dans toutes les langues dérivées du latin, ainsi
que nous l'avons observé plus haut p. 164, la syncope de la
voyelle de l'avant-dernière syllabe, en général de la voyelle de
dérivation, est dans les proparoxytons un accident qui n'est pas
d'une faible importance. Mais ce qui dans les langues sœurs
n'apparaît que comme un phénomène fréquent s'est élevé en
471français, de même qu'en provençal (où cependant l'e muet n'est
pas arrivé à s'emparer de la dernière syllabe), au rang du plus
important principe de formation. La langue française tend partout
à faire des deux dernières syllabes, par la syncope de la dite
voyelle et par un traitement libre des consonnes avoisinantes,
une seule syllabe, ce qui en général a facilement réussi, comme
dans linge (lineus), roide (rigidus), frêle (fragilis), humble
(humilis), v.fr. utle (utilis), porche (porticus), image (imaginem),
vierge (virginem), veuve (vidua), mais a souvent
aussi été difficile, comme par ex. dans forge (fabrica faur'ga),
charme (carpinus), provin, c'est-à-dire provain (propaginem),
coutume (consuetudinem), evêque (episcopus) ;
dans beaucoup de mots, comme lai (laïcus), ruste (rusticus),
on sacrifia au nom du principe un suffixe entier. Toutefois il
existe un bon nombre de proparoxytons primitifs dans lesquels
l'accent apparaît placé sur la syllabe immédiatement suivante.
De beaucoup le plus grand nombre de ces mots ont été tirés du
latin à une époque tardive depuis que la connaissance de cette
langue se fut de plus en plus répandue en France. Les mots de
ce genre créés par les savants ou les hommes cultivés ont
conservé leur forme littérale, non pas leur accent auquel l'organisme
de la langue française se serait en ce cas opposé, aussi
prononça-t-on avíde, aríde, timíde, docíle, facíle, fertíle,
frivóle, incredúle, pilúle, machíne, maxíme, crystallín,
meríte, visíte, concáve, hostíe, modestíe, ambigú, contigú ;
j'estíme
, je dissípe, j'indíque (voy. au sujet des derniers le
tome II, à la conjugaison). Beaucoup de mots même régulièrement
formés par le peuple ont repris les lettres latines avec un accent
anti-latin et subsistent, en partie, bien qu'ils n'aient pas
toujours gardé la même signification, à côté des mots vraiment
français : roide rigide, frêle fragile, utle (voy. plus haut)
utile, porche portique, forge fabrique, orgue organe.
C'est donc avec grande raison que les grammairiens français
d'aujourd'hui, auxquels nous renvoyons encore ici (comp. plus
haut p. 134), distinguent deux couches différentes de mots, toutes
deux dérivées du latin, l'une de mots populaires, l'autre de mots
savants, celle-ci non sans importance au XIVe siècle déjà et qui s'est
développée sur une grande échelle depuis le XVI. Il faut cependant
reconnaître que quelques cas de déplacement de l'accent se
sont produits déjà dans la première période de la langue, notamment
dans la langue de l'église. La cantilène d'Eulalie a ranéiet
(ré-neget), la Chanson de Roland senefíet (signíficat), argúe
472(árguit), le Livre des Rois mortifíe, vivifíe, le Ps. d'Oxford
enlumíne, calíce, espirít, d'autres anciennes sources ont
catholíque, publíque, physíque, Afríque, pour lesquels on
n'a jamais essayé les formes abrégées cathole, puble ou pule,
Afre ; les anciennes épopées ont même nobíle. A-t-on jamais
prononcé autrement le mot estomác ? Dans beaucoup de circonstances
on s'aida, afin de sauver la loi de l'accent, de nouveaux
suffixes : pour gallique on a dit gaulois, pour grammatique
grammaire
, le provençal a créé les adjectifs catolical, publical,
fisical, musical 1257-.

La tendance à avancer l'accent atteint sa dernière limite dans
la prononciation des mots latins et des nouveaux mots étrangers,
car ici la syllabe finale attire partout l'accent, de telle façon
que ces mots ne conviennent qu'aux rimes masculines, jamais
aux féminines. Et cet usage apparaît déjà dans la plus ancienne
poésie, où la rime atteste l'accentuation stellá, nostrí, cœló,
meás, tuís, deús, quoniám, adjutoriúm, laudabít, cantánt,
accentuation qui s'étend aussi aux expressions introduites plus
tard dans la langue, comme errata, opéra, récépissé, alibi,
concetti, lazzi, solo, imbroglio, impromptu, débet, placet,
quolibet. Il est clair que les noms propres étrangers aussi ont
dû se soumettre à cette loi : Britannicús, Claudiús, Mariús,
Silanús, Turnús, Lesbós, Minós, Agrippá, Cinná, Lédá,
Circé, Danaé, Daphné etc. Cependant un grand nombre
d'entre eux y ont échappé par un changement de terminaison,
comme dans Auguste, Homère, Lépide, Octave, Virgile,
Cassie, Antoine, Pompée, Zachée, Hymenée, Borée,
Enée, Sénèque, Hélène, Fulvie, Livie, Marie, Octavie,
tandis que l'ancienne langue garde souvent la forme telle
quelle : Mercuriús, Saturnús, Porsená, Dianá, Mariá,
Evandér, Eneás, Herculés. En provençal, cette tendance à
accentuer la syllabe finale n'a pas été poussée aussi loin. On trouve
par ex. célis (c'est-a-dire cœlis, rimant avec evangélis)
Choix III, 342, mortuórum (à la césure) LRom, I, 236 ;
et l'on prononce encore aujourd'hui, ou du moins l'on prononçait
encore au siècle dernier : crédo, distínguo, cáusa etc. (Sauvages,
Dict. langued. p. XXIX). Et de même María, Sibílla,
Éva. Les polysyllabes prennent néanmoins volontiers l'accent
473sur la dernière, comme l'lsidorús déjà cité, par ex. dominús
Chx
. III, 191, quoniám LRom. I, 24, zodiacús, capricornús,
Dédalús, Priamús, Nazarenúm Pass. de J.-C,
histrionés GRiq. p. 185, joculatorés, aghatés (achates),
sardoynés (sardonix), Achillés, Ulixés, Eneás. Des noms de
personnes dissyllabiques aussi terminés par une consonne,
comme Tornús, Pirús, Biblís, se comportent de même.

Un point essentiel dans la prononciation française est, autant
qu'il est possible, de ne faire sentir l'accent que faiblement et de
réprimer le chant par lequel d'autres nations accompagnent le
leur. Aussi a-t-on prétendu que pour bien parler il ne fallait
faire entendre aucun accent. Il est clair que si l'on voulait
observer la loi de l'accent avec toute rigueur, le discours deviendrait
d'une monotonie insupportable. Aussi, par considération
pour l'euphonie, concède-t-on l'emploi d'accents secondaires aux
dépens de l'accent principal 1258. La concession d'un accent secondaire
peut le plus facilement avoir lieu dans les mots où l'une
des premières syllabes a plus de poids que la syllabe légitimement
accentuée, comme par ex. dans beauté, trembler ; et il
peut même se faire (ce que le Français sent peut-être moins que
l'étranger) que l'accent principal ressort alors moins fortement
que l'accent secondaire. Mais si l'on ne reconnaît pas comme
seule loi celle de la dernière syllabe, on ne peut ramener l'accentuation
à des règles, sans rencontrer de tous côtés des contradictions.
Même la simple thèse de Bèze, d'après laquelle aucune
syllabe n'est longue qui n'ait en même temps l'aigu (illud autem
certe dixerim, sic concurrere in francica lingua tonum
acutum cum tempore longo, ut nulla syllaba producatur,
quæ itidem non attollatur, nec attollatur ulla, quæ non
itidem acuatur
p. 74), pourrait être réfutée par de nombreux
exemples. Longtemps après lui Batteux († 1780), dans son
Traité sur l'accent prosodique, a tenté d'ériger en doctrine
l'accentuation, et cette doctrine a été reproduite essentiellement
par des modernes, comme Levizac et Dubroca, sans arriver
toutefois à être reconnue par la nation. Ces grammairiens
repoussent la limitation de l'accent à la syllabe finale et l'attribuent
aussi, d'après des règles déterminées, à la pénultième ou à
l'antépénultième ; ils accentuent par ex. árdeur, nátion, máison,
sómmet, brúler, attírer, ádroite, insénsible. Des préceptes
474analogues avaient déjà été donnés par le contemporain de
Bèze, Périon, qui accentuait par ex. cóurroux, dócteur, sérviteur,
héritier. Un grammairien moderne assigne l'accent secondaire
ci-dessus admis, qu'il nomme accent d'appui, à la
syllabe radicale du mot ; il répondrait au grave, comme l'accent
principal à l'aigu (Ackermann, Traité de l'accent, Paris 1843,
p. 18).

Ces opinions contraires, en tant que fait grammatical remontant
jusqu'au XVIe siècle, devaient être mentionnées en peu de
mots, car ce fait est caractéristique pour la nature de l'accentuation
française. Une pareille controverse aurait été impossible dans
la grammaire des langues sœurs.

Notation prosodique.

Elle est presque uniquement employée pour l'accent, à peine
pour la quantité, mais elle est différente dans les diverses
langues.

En italien on ne marque que la dernière voyelle accentuée, et
l'on se sert à cette fin du grave : amò, amerò, amerà, beltà,
virtù, però. Cela a lieu aussi dans les monosyllabes, afin de les
distinguer des homonymes ou des analogues : (dat), da
(de ad), (dies), di (de), è (est), e (et), (sic), si (se) ;
ou afin de marquer leur monosyllabisme quand ils se terminent
par deux voyelles : già, piè, più, può. Il est peu en usage de
noter les syllabes intérieures.

Les Espagnols ont adopté récemment un système plus complet
pour la notation de l'accent. 1) Aucun monosyllabe n'est accentué,
sauf les homonymes : él (ille pron.), el (art.), (me), mi
(meus), (sapio, scio), se (se), (sic), si (se), qué (quid),
que (qui). 2) Les voyelles finales accentuées sont toujours
notées : podrá, llegué, baharí, falleció. 3) Si l'accent repose
sur la dernière syllabe terminée par une consonne, on ne met
aucun signe : ciudad, azul, primer, horror, feroz. 4) Il en
est de même si l'accent est sur l'avant-dernière syllabe d'un mot
terminé par une voyelle ou une diphthongue : amo, na-o, se-a,
ti-o, lo-a, du-o, agua, imperio. Cependant les mots de trois
ou de plus de trois syllabes, qui se terminent par deux voyelles
dont la première est accentuée, reçoivent le signe : bizarría,
envíe, dont se séparent toutefois à nouveau ceux en ae, ea, eo,
oe etc. 5) L'accent repose-t-il sur l'avant-dernière et le mot
finit-il par une consonne, le signe est employé : frágil, imágen,
475árbol, Flándes ; seuls les noms propres en ez font ici exception :
Perez, Rodriguéz. 6) Enfin si l'accent affecte la troisième
avant-dernière ou une plus reculée encore, il est toujours
marqué : mármoles, imágenes, rápido, línea, fádlmente,
habiéndonos. 7) Il existe encore pour le verbe des prescriptions
spéciales ; on écrit par exemple, en contradiction avec les règles
données : amarás, amarán, amában, hácen, temia, amaria,
halléle, daréte. — C'est toujours l'aigu qui est employé, jamais
le grave ni le circonflexe.

Les Portugais ne sont pas encore arrivés à s'entendre sur
l'emploi des signes d'accentuation. On les emploie en général
pour distinguer les homonymes et sur les voyelles finales ; cependant
beaucoup d'écrivains usent du circonflexe pour faire ressortir
une voyelle devant une autre, surtout là où sont tombées
des lettres primitives : aldêa, senhorêa, arêa, fêo, leôa, cas
dans lesquels d'autres se contentent de l'aigu. Beaucoup, à la façon
espagnole, dotent plus richement d'accents l'intérieur des mots.

Les anciens Provençaux, comme on peut s'y attendre, ne
connaissaient encore aucun signe grammatical d'accentuation.
Dans le manuscrit de Boèce l'aigu est employé souvent et à
différentes fins, mais sans la moindre régularité ; il en est de
même, par exemple, dans une charte de la seconde moitié du
XIIe siècle, voy. Paul Meyer, Sur deux chartes valentinoises
p. 6. Cet emploi même disparut plus tard de nouveau.

En français on emploie le circonflexe, l'aigu et le grave. Le
circonflexe est ici la marque de la longueur et repose ainsi sur des
voyelles atones. L'e muet donna lieu à l'emploi des deux autres
signes pour faire ressortir en général l'e sonore accentué ou atone,
et il leur fut en outre confié la tâche de distinguer avec plus de
précision cette voyelle douteuse, comme dans fièvre fiévreux.
Le circonflexe seul a le droit d'être mis sur toutes les voyelles,
l'aigu et le grave se bornent à l'e, sauf que ce dernier se place
aussi sur d'autres voyelles dans les monosyllabes à, , .
Il a été question dans la deuxième section de l's comme signe de
longueur.

Tant que les Daco-Romans se sont servis de l'alphabet slave
imité du grec, ils ont accentué chaque mot ; leurs nouveaux
grammairiens se bornent, de même que les Italiens, presque
absolument à marquer la dernière voyelle accentuée, ce qu'ils
font au moyen du grave : lęudà, auzì, amù, tęcù.476

11. L'origine des langues romanes a été déjà dans les siècles précédents
l'objet de beaucoup de recherches, parfois savantes et ingénieuses, mais
souvent aussi ennuyeuses et stériles. Ce n'est pas ici le lieu de m'étendre
encore une fois sur cette matière. Je suis même contraint dans ce
livre, dont le sujet est proprement l'étude des lettres, des formes et des
constructions, de laisser de côté tout ce qu'ont dit là-dessus de vrai et
d'instructif, depuis Raynouard qui fait époque : en France, Ampère,
Fauriel, du Méril, Chevallet ; en Allemagne Blanc, Fuchs, Delius, Ebert
(Jahrb. VI, 249), Schuchardt ; en Angleterre, Lewis ; en Italie, Perticari,
Galvani ; en Espagne, Pidal, Amador de los Rios ; et d'autres philologues
encore.

21. Voyez là-dessus spécialement Bernhardy, Geschichte der römischen
Litteratur
2e éd., p. 290 et suiv., 295 et suiv. Auguste Fuchs, , dans son
consciencieux ouvrage : Die romanischen Sprachen in ihrem Verhältnisse
zum Lateinischen
, donne une Esquisse de l'histoire de la langue populaire
latine
, p. 35-50. Dans son Vokalismus des Vulgärlateins (I, 40), Schuchardt
discute la valeur des différents travaux consacrés à l'étude de l'ancien
dialecte populaire romain.

32. Sordidus veut dire ici commun, populaire ; cf. Noct. att. I. IX, c. 13.

43. Sur l'époque de Pétrone, voyez le Museum für Philologie, nouvelle
suite, t. II, p. 50 et suiv. L'auteur range au nombre des expressions populaires
lacte (pour lac), striga (pour strix), sanguen, nutricare, molestare,
nesapius, Jovis (pour Jupiter), pauperorum, adjutare alicui, persuadere aliquem,
maledicere aliquem.

51. Cf. la dissertation de Galvani : Della utilità, che si può ricavare del
latino arcaico e popolare per l'historia degli odierni volgari d'Italia
dans l'Archivio
stor. ital.
XIV, 340, sqq. (1849).

61. Voy. Funccius, De vegeta latinæ linguæ senectute, cap. XI, p. 10 et
suiv.

71. C'est certainement un des plus intéressants problèmes de la philologie
romane que de reconstruire les primitifs latins par le moyen des
mots romans, et de rendre ainsi à la mère ce que ses filles ont reçu
d'elle ; aussi les tentatives n'ont-elles point manqué dans cette direction ;
nous en trouvons une preuve nouvelle dans les ingénieuses Observations
sur un procédé de dérivation dans la langue française
, par E. Egger (Acad.
des Inscript.
XXIV. Paris, 1864). Malheureusement l'auteur ne s'est jamais
élevé au dessus de l'horizon français, et sans l'application de la méthode
comparative on ne peut arriver à des résultats satisfaisants. « Siège,
par exemple, doit répondre à une forme perdue sedica, comme piège répond
à
pedica. » Cela pourrait être, s'il n'existait l'italien sedia, qui est à siège
comme assediare est à assiéger : or, on ne peut pas invoquer pour sedia
un type sedica, le c latin n'étant point élidé en italien. — Épier viendrait,
selon M. Egger, d'un latin spicare ; nous accordons facilement
qu'un verbe de ce genre ait pu exister, mais non qu'il survive dans
épier. Épier se rapporte à l'ital. spiare (vieil haut-all, spëhôn), comme le
v.-fr. espie répond à l'ital. spia (vieil haut-all, spëha). — De même le mot
vaisseau ne prouve point l'existence d'une forme perdue vas-illum, le
type régulier étant vas-cellum, qu'on rencontre d'ailleurs dans une inscription.
Déduire nettoyer d'un nitigare disparu, c'est méconnaître la
spontanéité et la force plastique des langues romanes. Les langues ne
cessent jamais de créer.

81. Pott, dans son travail sur le bas latin et le roman (Plattlateinisch und
Romanisch
, dans le Journal de Kuhn et Aufrecht, I, p. 309), a traité cette
question récemment avec beaucoup de soin. Ruhnken avait déjà souhaité
la publication des plus anciens glossaires : « Ut qui (juniorum
litteratorum) linguam latinam, de cujus inopia vetus querela est, aliquot
mille vocabulis ac formis nondum cognitis locupletet. » Voy. Bernhardy,
Geschichte der römischen Litteratur, 2e édit., p. 302. Buhnken parle ici des
mss. de Leyde. Récemment M. Hildebrand (Gloss. lat. sæc. IX, præf.) a
rappelé l'attention sur ces manuscrits ; ce sont des glossaires où, comme
dans les glosses de Reichenau, des mots latins rares sont expliqués par
des mots d'usage courant.

91. Ce n'est point faire une hypothèse par trop téméraire que de supposer
qu'on réunit (pour la première rédaction écrite de la loi) un certain
nombre de Gallo-Romains plus ou moins lettrés. En tout cas, la
naissance et le développement de la loi salique remontent certainement
à cette période pendant laquelle la forme romane se dégagea du
latin sur le sol de la Gaule.

101. Un connaisseur a dit avec une grande justesse : Il faut bien distinguer
deux basses latinités : celle de laquelle le roman a été fait, et celle qui a
été faite sur le roman
(Littré, Hist. de la langue française, II, 380. Paris,
1863).

111. Les mots de la première classe trahissent souvent à la première
vue leur origine savante ; tels sont, pour rester dans le domaine italien,
les adj. altisonante, almo, divo, etereo, fervido, fulgido, igneo, imbelle, imo,
inclito, inerme, labile, longevo, pavido, perenne, presago, prisco, superno,
tartareo, tremendo, turgido. D'autres sont au moins suspects d'une introduction
de fraîche date dans la langue poétique, par le seul fait qu'on
ne les rencontre pas dans le provençal et l'ancien français ; tels sont
adunco, angue, antro, ara, atro, aula, cacume, dumo, face, fasto, fausto,
gelido, irco, labe, libare, nume, parco, prece, prole, speco, speme, suggere,
telo, vate. Dante tirait déjà beaucoup de mots immédiatement du latin.
On peut admettre dans la dernière classe, bien qu'en certains cas isolés
on s'expose à se tromper, les mots de cette nature qui existent dans les
anciennes langues de la France. Tels sont ancella, calere, cherere, crine,
egro (v. fr. heingre), fido, folgore, frangere, germe, gladio, ira, licere, mescere,
piaga, plorare, propaggine, quadrello.

121. Lat. pensare, rom. pensare et pesare dans deux sens différents.

131. Cependant perna a déjà le sens roman dans Ennuis.

141. Je m'abstiens ici de parler des déplacements du sens, parce que ce
travail a été fait par d'autres d'une manière satisfaisante, par exemple
récemment par Fuchs (Langues romanes, p. 191 et suiv.) et du Méril (Formation
de la langue française
, p. 318-340). D'ailleurs on en a vu plusieurs
exemples dans ce que j'ai dit ci-dessus.

152. Voy. le chapitre de la Formation des mots.

161. W. Wackernagel conteste cette parenté plus étroite du bourguignon
et du gothique. Voy. son étude Sur la langue des Burgundes.

171. A propos de ce témoignage qui n'est pas sans importance, ou tout
au moins sans intérêt, c'est ici le lieu de remarquer que J. Grimm
(Gramm. all. III, 779) met en doute le germanisme du mot et est disposé
à rapporter huz au roman ; il cite à ce propos le fr. hucher et huis : cependant
Franz Pfeiffer (Mémoires de l'Acad. de Vienne, 1866) a rencontré
le mot dans une poésie en vieil allemand.

182. « Au temps de la conquête de Charlemagne, la fusion intime des
Lombards et des Italiens était ou déjà accomplie, ou complètement préparée, »
dit Lœbell (Grég. de Tours, p. 531).

193. D'après l'Histoire littéraire de la France, t. XVII, p. 412, Sidoine Apollinaire
(lin du Ve siècle) se plaint qu'à Lyon on ne parle qu'allemand,
mais la citation manque. Le même écrivain (Epist. V, 2) admire la facilité
avec laquelle Syagrius avait appris l'allemand (voy. le Grégoire de
Tours
de Lœbell, p. 104). Loup de Ferrières (v. 850) allait encore en Allemagne
pour apprendre la langue, dont la connaissance est, dit-il, indispensable
(Epist. 70).

201. Voy. ci-dessous, livre I, chap. I, des exemples de mots des deux
classes.

211. Le mot roman mis entre parenthèses renvoie au Dictionnaire étymologique,
où on en trouve l'explication détaillée. Les mots italiens ou
communs aux divers dialectes romans ne sont pas spécialement marqués,
non plus que les verbes, dont la terminaison suffit pour indiquer
à quelle langue ils appartiennent. Les mots germaniques dont le dialecte
n'est pas signalé sont du haut-allemand.

221. La Zeitschrift für die Wissenschaft der Sprache de Hœfer (III, 397) a
donné une collection de ces cas d'apophonie romane.

232. M. du Méril a tenté récemment de démontrer l'influence de la syntaxe
de l'allemand sur celle du français (Formation de la langue française,
p. 235 et suiv.)

241. Pour les détails et la délimitation précise, voy. Fuchs, les Langues
romanes
.

251. L'it. romanzo s'emploie aussi adjectivement, et il en est de même
en v.-fr. ; mais cet emploi est rare (lainge romance dans un psautier du
XIVe siècle, Livre des Rois, p. XLII). On fit facilement un adjectif de l'adverbe.
Ou bien faut-il admettre un dérivé en icius (romanicius), qui paraît
inusité pour les noms de peuples et suppose en outre un déplacement
de l'accent ? L'étymologie donnée ci-dessus est certainement la plus
simple et la plus naturelle.

261. On trouve une critique des éléments orientaux dans Monti, Correzioni
al Vocabolario della Crusca
, II, 1, p. 306.

271. Il existe encore en Italie comme des îlots de langue grecque et de
langue allemande, dont nous ne connaissons point clairement l'histoire.
C'est ainsi que se conserve aujourd'hui dans plusieurs parties de la
Basse-Italie, notamment dans la région d'Otrante et de Reggio, un rejeton
de la langue grecque, rejeton qui porte le cachet non du grec ancien,
mais du grec du moyen-âge ou du grec moderne. Comparetti en a publié
des spécimens dans son travail Dei Dialetti greci dell' Italia, Pisa, 1866. La
plupart des poésies sont dans la forme des stances siciliennes.

Les îlots de langue allemande sont formés, comme on sait, dans le
Vénitien, par les Sept-Communes et les Treize-Communes. Dans quelques
cantons de l'Apulie, on parle aussi l'albanais, qui a été apporté par
des Arnautes émigrés.

282. Voy. le catalogue de Nannucci, Voci italiane derivate dalla lingua
provenzale
. Firenze, 1846.

291. On range ordinairement parmi les poésies populaires ces chansons
politiques, telles que les complaintes sur Aquilée, sur la mort de Charlemagne,
sur l'emprisonnement de Louis II. On ne trouve pas de trace de
l'influence cléricale, au moins dans la chanson sur la défense de Modène.
On a prêché en latin jusqu'à François d'Assise et à Antoine de Padoue,
qui employèrent l'italien. Parmi les écrivains modernes qui ont traité
cette question, voy. Ozanam, Documents inédits pour servir à l'histoire littéraire
de l'Italie
. Paris, 1850, p. 75.

301. Voy. Lanzi, Saggio di lingua etrusca, I, 423 et suiv. ; Muratori, De origine
linguæ italicæ
dans les Antiq. ital. t. II ; Ciampi, De usu linguæ italicæ
saltem a sæculo V
.

312. De nos jours, Fauriel s'est déclaré pour l'authenticité de ces deux
documents. Voy. son ouvrage, Dante et les origines de la langue et de la
littérature italienne
. Paris, 1854, II, 396.

321. Dans sa caractéristique de cet écrit (Halle, 1867), Bœhmer a montré
que le plan primitif de cet ouvrage comportait cinq livres, dont le second
n'a pas même été achevé.

331. Il faut renvoyer aux remarquables travaux qu'ont publiés sur cette
matière Fernow, Fuchs, Blanc et Lemckc (Herrig's Archiv. VI, VII, IX).

342. Saggio sui dialetti gallo-italici di B. Biondelli, Milano, 1853.

351. Il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'une inscription napolitaine
antique présente déjà la forme benemerienti inconnue à la langue
écrite. Cf. Corssen, I, 297, 298, Ire édit.

361. Nous devons une très-bonne étude de ce dialecte à F. Wentrup.
Beitrage zur Kenntniss der neapolitanischen Mundart. Wittemberg, 1855. Le
même auteur a aussi publié une monographie du dialecte sicilien dans
l'Archiv für neuere Sprachen, p. XXV.

371. Giovanni Spano a joint à son Ortographia sarda nazionale (Cagliari,
1840) une carte linguistique de l'île.

381. Par cette apocope, des consonnes palatales se trouvent même à la
fin des mots, et les éditeurs les écrivent comme si les voyelles finales
existaient encore, nocc, lusc, legg, qui se prononcent comme dans nocc-e,
lusc-io, legg-e, seulement sans faire sentir la voyelle finale. Pour marquer
les sons gutturaux, on ajoute un h, comme dans cuch, loeugh. Biondelli
a adopté pour les palatales les signes slaves č, ģ, ś (fr. ch), ž (fr.j).
Cette orthographe était excellente dans un traité spécial sur ces dialectes ;
mais les cas d'application sont trop rares dans un ouvrage
comme celui-ci pour que nous ayons pu l'adopter.

391. Sur un n nasal propre à ce dialecte, voy la Grammaire, livre I, chapitre 2.

401. Voy. Il sirventese di Ciulo d'Alcamo, del dottore Grion (Padova, 1858).

412. Voy. sur ce point : Délius, Der Sardinische Dialect des dreizehnten
Jahrhunderts
. Bonn, 1868. La grammaire de ce dialecte (de Logodoro)
s'écarte en plus d'un point important du dialecte moderne ; pour ne citer
que la phonétique, ll n'y sont point encore devenus dd. Mais on y rencontre
déjà l'i prothétique devant s initial suivi d'une consonne.

423. Mussafia a fait une étude spéciale de l'ancien milanais d'après Bonvesin
(Mém. de l'Acad. de Vienne. LIX, 1868). Remarquons seulement
sur l'écriture, que x est employé pour s doux et dur, sc pour ss, ç pour
z dur et doux.

431. D'après le compte de Sarmiento (Obras postumas, p. 107), six dixièmes
des mots espagnols sont latins, un dixième liturgique et grec, un
dixième norois (germanique), un dixième oriental, un dixième américain,
allemand moderne, français ou italien. Ce calcul peut bien être à
peu près juste, si l'on entend par mots les radicaux. Mais il ne faut pas
oublier que les diverses parties constitutives d'une langue ont une
valeur très-inégale.

441. Voy. Hammer. Ueber die Lænderverwaltung unter dem Chalifate. Berlin,
1835.

451. Sarmiento, p. 94, nomme comme la patrie de l'espagnol les provinces
de Castille, Léon, Estremadoure, Andalousie, Aragon, Navarre,
Rioja, et exclut l'Asturie. La Murcie doit encore être ajoutée à ces provinces
(voy. Mayans, II, 31). Quant au dialecte des Asturies, il est encore
aujourd'hui plus voisin du portugais que de l'espagnol. Ainsi le j est une
sifflante en asturien, non une aspirée. Il y répond au portugais lh, à
l'espagnol j, exemple : migaja, migalha, migaya. Voy. sur ce point Varnhagen,
sur les Trovas, p. XXX. La Coleccion de poesias en dialecto asturiano,
1839 (où a-t-elle paru ?) contient une étude sur ce dialecte, accompagnée
de spécimens suffisants.

462. D'après Mayans, I, 8, c'est la vieille Castille qui a l'avantage en ce
point, et dans cette province Burgos passe pour la ville où on a la
meilleure prononciation.

473. Comment les Espagnols ont-ils formé le mot Españ-ol avec un suffixe
originairement diminutif qu'ils n'appliquent jamais aux noms de
peuples ? Si l'on voulait désigner les descendants des anciens Espagnols
Hispaniscus (pr. Espanesc, Choix, II, 144 ; v.-fr. Espanois) convenait mieux
qu'Hispaniolus. Une forme plus belle est Españ-on (comme Borgoñ-on,
Fris-on, Bret-on) dans Fern. Gonz. 10 : est-ce la dissimilation qui a
modifié ce mot en Español ? Le basque dit avec un autre suffixe Españarra,
et l'angl. Spaniard. Les Arabes d'Espagne appelaient les chrétiens
de la péninsule Rumies (Romains) ou Kuties (Goths), et leur langue
aljamia (la barbare).

481. Gessner a publié à Berlin, en 1868, une étude approfondie de l'ancien
dialecte de Léon. Il regarde le castillan comme formant la base de ce
dialecte qui a subi une influence très-prononcée du portugais, en sorte
qu'on peut considérer l'idiome de Léon, comme le chaînon intermédiaire
de ces deux dialectes. Citons quelques traits caractéristiques : e
pour l'esp. ie ; o et aussi oi et ou pour ue (coyro, ousar), j ou i pour ll
(maravija, bataia), ll pour j (consello, fillo). Mais la phonétique de ce
dialecte est en somme assez peu stable. Il est à remarquer qu'on y
trouve l pour le latin b dans coldo (cubitus, v.-esp. cobdo), delda (debita,
esp. deuda), et de même pour le latin d ou t dans julgar (judicare, esp.
juzgar) vilva (vidua), selmana (septimana).

492. Delius (Romanische Sprachfamilie, p. 31) fait la remarque digne
d'attention que le portugais dans son ensemble s'est conservé avec une
forme plus archaïque que l'espagnol.

503. Voy. le Dict. étymologique, p. XVIII.

511. Portuguez est syncopé de portugalez, comme esquentar d'excalentare.
Les langues voisines conservèrent quelque temps la forme pleine : v.esp.
portogales (Poema del Cid, v. 2989), de même en provençal ; fr. portugalois
dans Montaigne, b.-lat. portugalensis (par exemple dans Yepes, IV,
10, année 922).

522. Parmi les chartes latines, celle d'Alboacem de l'an 734, à laquelle
on a attaché une grande importance linguistique (voy. Hervas, Catalogo
delle lingue
, p. 195 ; Raynouard, Choix, I, p. XI ; A. W. Schlegel, Observations),
est supposée. Voy. Lembke, Geschichte von Spanien, I, 314.

531. L'éditeur de ces poésies les avait attribuées au comte Pierre de
Barcelone, fils naturel de Denys. Dans un appendice récemment publié
(Vienne, 1868), il donne des éclaircissements décisifs sur le rapport des
deux manuscrits cités en dernier lieu, desquels il résulte que la collection
ms. de Lisbonne se compose de chansons qui se retrouvent pour
la plupart dans le manuscrit de la Vaticane, et que cette collection est
l'œuvre non d'un seul poète, mais d'un grand nombre. Suivent d'excellentes
remarques sur les textes imprimés. Pour ce qui est de l'attribution
d'auteur à Don Pedro, Grüzmacher (Jahrbuch, VI, 351), l'avait déjà
soumise à un examen minutieux, dont le résultat était qu'on ne devait
point attribuer ces poésies au comte seul, mais aussi à son entourage.

542. Dans les Foros de Gravão (Colecç. t. V, p. 367-397) on trouve cette
remarque Eu Jhoõ ffernandiz Tabellion dalcaçar, trasladei este foro... en
era
1305 (c'est-à-dire 1267).

551. Voy. Diez, Poésie des troubadours, p. 322.

562. C'est pour cela que Pierre Cardinal dit (Choix, V, 304) :

Mas ieu non ai lengua friza ni breta,
Ni non parli norman ni peitavi.

571. Le nom de langue d'oc pour désigner le pays, ne devint usuel qu'après
la conquête du midi par les Français sous le comte de Montfort.
Voy. Petrus de Marca, Hist. de Béarn, p. 684.

582. Une épitaphe d'un comte Bernard en six vers de huit syllabes (Aissi
j'ai lo comte Bernard
, etc..) est apocryphe (Cf. Choix, II. CXXV).

593. Avec un fac-simile de 10 vers.

601. Bartsch, Monuments de la littérature provençale, p. XIX), le fait vivre, en
s'appuyant sur des arguments positifs, depuis le commencement du
XIII siècle jusqu'après le milieu du même siècle. Quant à l'identité de
ce grammairien avec le troubadour Raimond Vidal de Bezaudun, Guessard
l'a démontrée dans sa nouvelle édition, à l'aide de ce même passage
des Leys d'Amors, que j'avais déjà cité dans la 2e édition de ma
grammaire.

611. « Paraulas i a don hom pot far doas rimas aisi con leal, talen, vilan,
chanson, fin
Et pot hom ben dir, qui si vol, liau, talan, vila, chanso, fi
(R. Vidal, p. 85). » La partie dialectale d'une poésie lyrique n'était pas
fixe ; chaque écrivain ou lecteur pouvait lui donner la forme d'un autre
dialecte. Aussi les poètes distinguent-ils, pour la rime, cette partie
variable et la partie fixe de la langue ; ils ne se permettent guère
d'employer pour les rimes différentes les formes dialectales de mots
qui donneraient les mêmes rimes dans la langue écrite ; dans quatre
vers, par exemple, où le premier et le quatrième, le deuxième et le
troisième, devraient rimer ensemble, ils ne diront pas : tal, vau, chivau,
ostal, parce qu'on pourrait lire val, chival. Il en est un peu autrement
quand une forme variable s'appuyait sur une forme fixée par la rime,
vau, par exemple, sur suau.

621. Sur l'ancien dialecte limousin et son orthographe (telle qu'elle
existe dans le célèbre ms. de l'abbaye de Saint-Martial de Limoges) voy.
Paul Meyer dans le Jahrbuch, VII, 74. Ce savant, qui ne croit pas que
les textes qu'on y trouve soient antérieurs au XII siècle, reconnaît
cependant dans Boèce, les traits distinctifs de ce dialecte ou du dialecte
auvergnat.

631. Voy. les recherches de Herzog, p. 25-46, et l'examen critique par
Paul Meyer, des recherches sur les monuments vaudois dans la Revue
critique d'Histoire et de Littérature
, I, 36, et, sur La nobla leyczon, spécialement
Dieckhoff, les Vaudois au moyen âge, p. 114 et suiv. Grüzmacher
a donné une étude consciencieuse de la langue (Archiv de Herrig,
XVI) à laquelle il faut joindre une étude du même auteur (tout aussi
féconde en résultats) sur la Bible des Vaudois qu'a partiellement éditée
Gilly à Londres, en 1848 (voy. Jahrbuch für roman. Lit. IV). — La patrie
originaire de ce dialecte doit être le Lyonnais, où vécut Pierre Valdo :
le dialecte ne devint proprement le vaudois que par l'émigration des
partisans de Valdo dans le Piémont, dont le dialecte influa sur leur
langue, c'est-à-dire sur le provençal. Aussi cette traduction de la
Bible (comprenant le nouveau Testament et une partie de l'ancien) ne
remonte en aucune façon à la fin du XIIe siècle, quoique Pierre Valdo
semble bien avoir composé une traduction analogue vers cette époque.
La dégradation de la langue nous oblige à croire que cette traduction
fut écrite bien postérieurement à l'âge d'or de la langue provençale, et
à une date aussi proche que possible de la composition des traités vaudois.

641. Biondelli, Saggio p. 481, le rattache sans hésiter au piémontais.

651. On connaît un Descort de Rambaut de Vaqueiras en cinq strophes,
chacune dans une langue différente ; la quatrième, comme l'avait déjà
admis Crescimbeni, est en gascon. Raynouard (Choix, II, 227) la donne
ainsi :

Dauna, yo me rent à bos,
Quar eras m'es bon' e bera.
Ancse es guallard' e pros
Ab que nom fossetz tan fera.
Mout abetz beras faissos
Ab coror fresqu' e novera.
Bos m'abetz e s'ieubs aguos,
Nom sofranhera fiera.

Et deux vers dans l'envoi :

Ma dauna, fe que dey bos,
Ni peu cap sanhta Quitera.

Rochegude lit un peu autrement. Dauna est dona, encore usité à
Bayonne ; yo est you, mais plus bas ieu ; bos = vos ; bera = bela, on dit
encore bera à Agen ; abetz = avetz ; coror = color ; novera = novela ; s'ieubs
= s'ieu vos
 ; aguos = agues (Rochegude lit sibs ag vos) : peu =pel, aujourd'hui
pou ; sanhta Quiteria est une sainte honorée en Gascogne (22 mai).
Ce poète, on le voit, regarde aussi le gascon comme étranger au provençal.

661. Milà cite par exemple eu pour jo, aycel pour aquel, ley pour ella,
dieu pour deu, mayre pour mare, Peyre pour Pere, mi dons pour ma dona,
razo pour raho, crotz pour creu, seser pour seure (lat. sedere), layre pour
ladre, amech pour amá, em pour som (sumus). Voy. Jarhbuch, V, 145,
note. Milà analyse en détail ce qui distingue le catalan du provençal.
(Trov. 453, 481).

672. Cette complainte débute ainsi :

Augats, seyós, qui credets Deu lo paire,
Augats, si us plau, de lhu lo salvayre.
Per nos pres mort, et no lo preset gayre,
Sus en la creu, on lo preyget lo layre
E l'ach mercé axi com o det fayre.
Oy bels fils cars,
Molt m'es lo jorn doloros e amars.

683. Mes sources pour le valencien, toutes les fois que je parle de ce
dialecte, sont principalement le poème héraldique de Jaum Febrer, et
le recueil de chansons d'Ausias March. (Obres, Barcelone, 1560). Le
premier de ces documents dont l'authenticité a été combattue notamment
par Sanchez (Collecc. I, 81 et suiv.) est d'après Fuster (Bibl. valenc.
I, p. 3), authentique, mais un peu rajeuni pour en faciliter la lecture ;
il remonte jusqu'en 1276. On trouve des remarques sur la prononciation
dans l'édition d'A. March par Joan de Resa (1555) ; depuis ce temps
on l'a plusieurs fois décrite.

691. Mone (Messes grecques el latines du IIe au VIe siècle, Francfort, 1850),
croit avoir découvert la. lingua rustica gauloise, autrement dit le latin
populaire de la Gaule. Mais ce n'est point autre chose que le latin habituel
avec une coloration et une orthographe provinciales, que nous connaissions
déjà par les chartes mérovingiennes, par exemple : præce
(prece), selva, habit (habet), volontas, lurica, nus (nos), Accus. absolu vertentem
te faciem
.

701. On en trouve encore d'autres dans du Méril, Formation de la langue
française
, p. 119. Cf. aussi Chevallet, Orig. I, 219 et suiv.

711. La petite dissertation de Boucherie (Fragment de Valenciennes, etc.,
Mézières, 1867) est une habile tentative pour retrouver la cause de ce
mélange de formes latines et de formes romanes, de notes tironiennes
et d'écriture ordinaire. S'appuyant sur l'époque où les notes tironiennes
furent en usage, l'auteur en conclut que le fragment de Valenciennes
est même antérieur aux Serments.

722. L'épitaphe de l'annaliste Flodoard (mort en 976, dans Ducange, éd.
Bénéd. v. Alba), est fausse et c'est aussi l'opinion de Paul Meyer. En
voici le début : Si tu veu de Rein savoir ly eveque ; ly comme accusatif est
une lourde bévue de l'auteur.

733. C'est aussi l'avis de Bartsch (Germania de Pfeiffer, II, 460). Paul Meyer
regarde le texte comme français mais écrit par un provençal (Ecole des
chartes
, 5e série, V, 53).

741. Quelle est la plus ancienne charte en langue vulgaire ? Fallot (p.
361) désigne comme le plus ancien texte français le fragment d'un
acte de 1135 dans Le Carpentier (il ne faut point oublier qu'à cette
époque on regardait les Serments comme provençaux et que les monuments
que nous venons de citer, étaient encore inconnus) mais la
pénétrante critique de Paul Meyer (voy. l'Ecole des chartes) a montré
que cette charte et plusieurs autres étaient en partie fausses, en partie
suspectes. Boucherie a publié (Niort, 1867) une très-courte et fort ancienne
charte de l'Angoumois, qui porte les caractères du provençal et du
français, mais qui n'est malheureusement pas datée.

751. Un ancien poëme épique mentionne déjà le dialecte du Hainaut ;
un député du roi Marsile comprend « normant, breton, hainuier et tiois »
(voy. l'Eraclius de Massmann, p. 552). Son nom moderne est rouchi.
qu'on a eu tort de tirer de rusticum.

761. On trouve çà et là de ces poésies dans les manuscrits, et on en a
imprimé quelques-unes (voy. Livre des Rois, p. LXIII et suiv. ; Wackernagel,
p. 32 ; Gérard de Nevers, p. 20) ; cf. Aubery le Bourgoing, p. 50 :

Violer font un cortois jougleor,
Sons poitevins lor chante cil d'amor.

Une charte du Bas-Poitou de 1238 (Bibl. de l'Ecole des Chartes, 3e série,
t. V, p 87) est presque en pur français.

771. Les Wallons reçurent ce nom des Allemands leurs voisins, ou
plutôt le nom générique de Walah pour Gaulois leur resta à eux seuls,
et ils l'adoptèrent eux-mêmes, à la différence des Valaques et des
Welches. On le trouve employé à côté de roman pour désigner la
langue dès le XIIe siècle. Rudolph, abbé de Saint-Trond, écrivait en 1136 :
« Adelardus...nativam linguam non habuit teutonicam, sed quam
corrupte nominant romanam, teutonice wallonicam (voy. Grandgagnage,
De l'origine des Wallons, Liège, 1852). » Nous attendons toujours
de ce maître une analyse scientifique de l'idiome wallon, qui sera d'un
grand secours à la philologie romane.

781. C'est ce. que remarque Aug. Fuchs, qui en a très-soigneusement
analyse la structure.

791. Les autres caractères de cet idiome seront étudiés dans la Grammaire.

801. Steub donne des exemples de ces mots (Ethnologie, p. 46-49). Bien
qu'ils soient choisis avec beaucoup de précaution, il s'en est glissé
dans le nombre quelques-uns que des langues connues peuvent revendiquer.
Tarna, par exemple, ver, est l'it. tarma = lat. tarmes ; tegia,
cabane, est attegia ; chamaula, teigne, semble un composé de maula,
chenille, qui rappelle le goth. malô. Ce serait un travail utile de trier
avec soin tout ce qui est allemand ou latin, pour arriver à bien toucher
le pur noyau rhètique.

811. Adelung, dans le second volume du Mithridates, donne encore au
valaque une place à part sous la rubrique de langue romano-slave. Vater,
dans le quatrième volume, le rattache aux langues romanes, ce qui
est aussi l'opinion de Raynouard (Choix, VI, 68). Rapp (Grammaire, II, 157)
cherche au contraire à le détacher de la famille romane. Mais quel est
son motif ? « Nous ne comprenons sous le nom de langues romanes, dit-il,
que celles qui offrent un mélange d'éléments romains et germaniques. »
Qu'on retire de l'espagnol, par exemple, l'élément germanique,
ce n'en sera pas moins une langue romane.

822. Voy. Schmeller, Baier. Wb. IV, 70 ; J. Grimm, dans la Zeitschrifl für
Geschichte
(III, 257) de Schmidt ; Pott, Allgem. Monatschrift für Litter. 1852,
p. 943 ; mais aussi Diefenbach, Zeitschrifl für vergleich. Sprachf. XI, 283.

831. En outre, il existe au nord-est de l'Istrie, dans la vallée de l'Arsa,
une peuplade de race valaque, qui se réclame de son origine. — Miklosich
a étudié l'histoire et la langue de cette peuplade dans un appendice à
son livre sur les Éléments slaves du valaque.

842. Sur les causes de ce fait, voy. Albert Schott, Wal. Mæhrchen, p. 48.

853. Le séjour des armées romaines a laissé en valaque quelques traces
curieuses ; ainsi l'idée de vieux a été rendue par veteranus (bętrųn) ;
compagnon se dit fartat, qui vient, à ce que je crois, de fœderatus.

861. Dans un récent et profond travail sur ce point si délicat, R. Rœsler
(Dacier und Romænen, Vienne, 1866) révoque en doute la parenté des Illyriens
et des Thraces, et par suite aussi celle des Daces et des Albanais ;
il explique l'identité de certaines particularités linguistiques par des
emprunts d'un peuple a l'autre.

871. Pour l'élément slave, voir le livre précité de Miklosich ; Rosler a
réuni (Vienne, 1865) les éléments grecs et turcs.

881. Il serait à désirer que nous eussions pour chaque langue romane
une liste aussi complète de ces mots à double forme que celle que
nous possédons pour le français dans le Dictionnaire des Doublets ou
doubles formes de la langue française
, par Auguste Brachet. Paris, 1868.
Cette excellente monographie peut apprendre combien un tel sujet est
fécond pour l'étymologie et pour la grammaire. Il est vrai que le
français était plus propre que toute autre langue romane à fournir de
pareils résultats.

891. A. W. Schlegel avait déjà employé, au moins pour les doubles
formes, l'expression de mots populaires et de mots savants. Les Espagnols
distinguent aussi les voces populares des voces eruditas. Je les ai moi-même
caractérisées autrefois par le nom d'élément ancien ou populaire,
et par celui d'élément moderne.

901. Nous pourrions (remarque Delius, Jahrbuch, I, 354), rétablir plus
exactement la série de permutation, en disant que a est d'abord
devenu e, et que dans certains cas (par exemple devant m, n, et même
devant r), cet e s'est alourdi dans la diphthongue ai, — ou aussi bien, que
cette voyelle s'est étayèe d'un i bref, et s'est diphthonguée avec lui.

911. Je conserve cette expression que les grammairiens romans eux-mêmes,
et déjà dans les Leys d'Amors, emploient pour désigner le
rapport en question : ce mot me paraît d'autant plus approprié à la
chose, qu'il se borne à exprimer le phénomène, et qu'il ne contient
pas en même temps une explication, comme les mots allemands
Steigerung ou Brechung.

921. Dius pour deus (d'où me dius fidius), mius pour meus, existent
dans le latin archaïque (Schneider, I, 15), mais les mots italiens dio et
mio peuvent aussi bien venir de deus, meus : cette langue favorise i à
cette place, et ne le change jamais en e ; cf. ci-dessous, p. 143.

931. Oi dans étoile de stella est une grave dérogation à cette règle ; peut-être
a-t-on d'abord prononcé stela, cf. pr. estela (jamais estella estelha),
piem. steila.

941. Sédulius prononçait tínea : Non mordax ærugo vorat, non tinea
sulcat
(Voss. Arist. 2, 39).

952. On trouve, il est vrai, avec la voyelle longue, le lat. seinesine,
mais (selon Ritschl) la leçon est douteuse. L'espagnol, en général,
affectionne un peu plus la voyelle i, cf. ni avec le pg. nem, it. ,
avec le pg. it. se.

961. Le même document écrit aussi avelo pour abuelo, vestro pour
vuestro : mais on doit prononcer a-uelo, uestro.

971. L'africain Corippus (VIe siècle), grammairien et poète, prononce
Lūtum = ital. luto, voy. Voss. Arist.. 2, 39.

981. L'u est-il long ou bref dans lutra ? D'après l'ital. loutra et le franç.
loutre il est bref ; d'après l'esp. lutra il est long.

991. Déjà dans les chartes mérovingiennes marcadus Bréq. num. 271
cinq fois, marcado Mabill. Dipl. p. 496. Dalfinus pour Delphinus (Dauphin)
dans la première charte et num. 272.

1001. La tendance à changer i en u (et non en o) devant ces labiales, se
trouve aussi en latin, mais sur une plus grande échelle ; cet u latin
s'explique par l'existence antérieure d'un son intermédiaire entre ŭ et
ĭ. Voici des exemples, tirés en partie des inscriptions : maxumus, lacrumas,
monumentum, aucupium, recuperare (pour recip.), lubido, aurufex
pontufex
. Voy. Corssen, I, 331-340, 2e édit. On ne peut établir de lien
historique entre les exemples latins et romans. On voit du reste que u
peut aussi en latin être tonique : dans les langues romanes la tonique
est trop solidement établie pour se laisser si facilement détourner de
sa voie.

1011. « En sanscrit y (c'est-à-dire j) est inséré quelquefois comme liaison
euphonique entre deux voyelles, sans que pourtant ce fait se produise
dans tous les cas qui pourraient y donner lieu. En zend on trouve
presque toujours un y inséré entre un u ou un û et un ê final. » Bopp,
Gr. comp. tr. Bréal, I, § 43.

1021. Ebel s'exprime autrement sur ce point : le pr. sapcha, l'ital. saccia
supposent un type antérieur sap-tya de sap-dia à quoi l'on peut comparer
l'it. giacere de diacere = jacere. Voyez le travail d'Ebel, intéressant
aussi pour la famille romane : Zur Lautgeschichte (Ztschr. für vergleich.
Sprachf.
XIII. XIV).

1031. L'espagnol n'emploie pas le d pour annuler l'hiatus, aussi est-il
douteux que l'antique forme Didacus (par ex. Esp. sagr. XXVI. 444,
ann. 804), à laquelle correspond le moderne Biago, Diego (disyllab.), soit
venue de Yago = Iácobus, en faisant de Sant-Yago San Diugo, puis de
Diago le latin Didacus. Schmeller (Abh. der bair. Akad.) conjecture une
composition gothique Thiud-dag ; mais ce mot donnerait en bas latin
Tidagus ou Tudagus et non pas Didacus, car au goth. th correspond un
t roman et non pas un d.

1041. Bopp n'aurait pas dû appliquer son importante remarque sur l'influence
de la terminaison sur la voyelle radicale (Jahrb. für wiss.
Kritik
, 1827, p. 260) à la conjugaison romane, ni expliquer l'absence
de diphthongue dans tenons, tenez par la pesanteur de la finale ; car que
dira-t-on de l'esp. sientan, dont la terminaison, malgré la perte du t de
sentiant, est assez lourde, aussi lourde au moins que celle de δίδομεν, et
qui garde cependant une syllabe radicale longue ? Le futur tiendrai contredit
sa théorie aussi bien que la nôtre. Toutefois cette contradiction
qui ne se présente qu'en français s'explique facilement : tendrai aurait
donné la prononciation tandrai, ce que la langue devait éviter si elle ne
voulait pas accumuler les formes outre mesure. (Plus tard Mussafia,
Beitræge zur Gesch. der rom. Spr., p. 1, s'est rangé à mon opinion. La
proposition qu'il soutient et démontre est celle-ci : toutes les formes du
présent ont leur unique raison d'être dans les lois phoniques générales.)
— J. Grimm, Gramm. I3, 119, compare à la loi du brisement de l'ancien
haut-allemand dans piru, piris, pïrit, peram, perat, perant, le changement
roman de la voyelle dans niego, nieghi, niega, neghiamo, negate, niegano,
et trouve surprenant que ce changement n'ait lieu qu'au présent dans
les langues romanes. Les deux phénomènes peuvent, si l'on veut, être
rapprochés l'un de l'autre, pourvu qu'on se garde d'établir entre eux
un rapport historique de quelque nature qu'il soit ; c'est la tonicité
de la voyelle radicale qui introduisit la diphthongue, et mit sur le
même pied la 3e pers. plur. d'un côté, la Ire et la 2e de l'autre, s'écartant
en cela de l'allemand. C'est encore la tonicité qui a restreint le changement
de la voyelle au présent.

1051. Une autre explication de ce changement de voyelle est donnée par
Delius dans le Jahrb. I, 355.

1061. Auguste Brachet a récemment publie une étude très-soigneuse
(Jahrbuch, VII, 301 suiv.) sur le rôle que jouent les voyelles latines
atones dans la formation des langues romanes. Ce travail est tout-à-fait
de nature à compléter dans tous les sens l'esquisse rapidement tracée
ci-dessus.

1071. Dans la formation des diphthongues il faut encore constater un
phénomène qui n'est pas sans importance pour la caractéristique des
langues modernes, bien qu'il ne les pénètre pas profondément : il est
évident d'ailleurs qu'il ne repose pas sur des principes bien clairs, mais
plutôt sur des tendances particulières. Il s'agit de la collision des deux
voyelles i et u. Quand elles forment une diphthongue avec la voyelle
radicale précédente, il peut arriver qu'on les échange l'une pour l'autre ;
même cette anomalie ne se présente pas seulement entre plusieurs
langues, mais encore au sein de la même langue. Les ex. de la première
espèce sont : esp. cautivo, mais en prov. caitiu (capt.) ; esp. autan,
prov. aitan (al-tantus) ; prov. mout, port. muito, esp. muy (multum) ; prov.
traire, franc, traire, plaire, cat. traure, plaure (trahere, placere) ; esp.
Jayme, cat. Jaume (Jacobus). Exemples de la deuxième espèce : prov.
neus à côté de neis (ne ipsum) ; v.fr. fleume à côté de fleime ou flieme
(phlegma) ; prov. deime à côté de deume (decimus) : prov. roure à côté
de roire (robur) ; prov. autre à côté de la forme plus rare aitre (alter) ;
portug. oytubro (arch.) à côté de outubro (oct.).

1081. Doit-on aussi y ranger llevar (lat. levare) ? Ou le prés. llevo est-il une
manière vicieuse d'écrire pour lievo, qu'on transporta ensuite aux autres
formes du verbe accentuées sur la terminaison ? Un pareil procédé
serait contre toutes les règles ; les verbes où il semble se présenter
l'ont emprunté à leur racine espagnole, adiestrar au lieu de adestrar,
cf. adj. diestro. Mais l'extrême rareté de l'initiale ll pour l en espagnol
assure à la dernière hypothèse quelque supériorité sur la première.

1092. J'ai volontiers rectifié ma première manière d'exposer cette règle
sur une objection de Delius, Jahrbuch, I, 356.

1103. Il y a un mot dans lequel l devant une seconde l se résout en u,
tandis que l'autre persiste, Gaule de Gallia, tandis qu'on devait s'attendre
a Gaille. Ajoutez encore les mots étrangers gaule de valus (goth.) et
saule de salaha, pron. vallus, sallaha. En bourguignon on trouve souvent
aul venant de all ou de al (avec a bref), cf. aulemain (allemand), aulegresse
(all.), vaulô (valet), évaulai (avaler de vallis), maulaidroi (maladroit).

1111. Plus précisément l (même à l'état pur) contient un accessoire analogue
à u, comme dans vinclum pour vinculum. En français cet élément
vocalique a tellement pris le dessus sur la consonne primitive,
que le son tout entier s'est réduit à u. Cf. Schuchardt II, 492, Corssen, I2,
220.

1121. Cf. l'usage serbe de réunir en un seul deux o contigus dont le
second est né de l

1132. Pott, Jahrb. f. wiss. Krit. 1837, II, 86, 87, et Delius, Rom. Sprächfam.,
p. 25, ont de bonne heure reconnu ce procédé qu'on peut maintenant
établir par la comparaison des dialectes. Hœfer, au contraire, dans sa
Lautlehre, p. 407, appelle l'attention sur la possibilité de tirer fiamma de
filamma pour flamma ; il reconnaît dans l'i le son vocalique adhérent
à la liquide, qui aurait pris corps jusqu'à s'en détacher. Avec un tel
moyen terme entre flamma et fiamma, la disparition de i ne s'expliquerait
aucunement. Il est remarquable que l'italien, partout où il veut
séparer l de l'initiale, comme dans calappio (klappe), ne se sert jamais de
i mais de a : ce phénomène ne se remarque d'ailleurs que dans des
mots allemands. L'i pouvait sembler trop faible.

1141. Le provençal aussi dit ascla au lieu de l'incommode astla, usclar
pour ustlar, et (ce qui se rapporte encore mieux au fait signalé) le
roumanche dit inclegier pour inttegier (intelligere), clavau pour tlavau
(tabulatum). Voy. Steub, Rhæt. Ethnologie, p. 42. Cf. aussi grec ἀντλῶ,
lat. anclo. Cl est en général favorisé ; ainsi de Flavius est née la forme
populaire Clavie (Voc. hag.).

1151. Le lorrain diaice pour franç.,glace, diore pour gloire est plus remarquable
encore. Cf. it. diaccio pour ghiaccio. Par analogie ti pour cl, par
ex. tiô pour clou, tiore pour clore.

1161. D'après l'édition de Putsch, ici comme ailleurs.

1171. Corssen, I, 271, 2e édit., résume comme il suit l'histoire de ce son :
« De la recherche qui précède, il résulte que m initiale avait, à l'origine,
un son si étouffé et si sourd qu'on hésitait à le désigner encore par une
lettre, mais que depuis l'époque des guerres macédoniennes et syriennes,
c'est-à-dire depuis les rapports suivis avec la Grèce, l'm, dans la bouche
des gens instruits, reprit un peu de vigueur. Toutefois, dans la langue
populaire, de Cicéron à Titus, c'est-à-dire même à la belle époque de la
littérature romaine, m n'était qu'un son bien effacé, qui se faisait à
peine entendre après la voyelle, comme le montrent les inscriptions
murales griffonnées ou barbouillées à la hâte où se répandait l'esprit
du peuple de Pompéi. L'm finale de l'accusatif manque souvent
dans ces inscriptions : ainsi dans multu, aliu, lucru, puella, salute, etc.
Depuis la fin du IIIe siècle après J.-C. se montre fréquemment dans les
inscriptions la chute de l'm finale dans les formes nominales, parce
que, dans la langue populaire de cette époque, m n'était plus ni entendue
ni prononcée. » Ainsi dans habituru, vinu, annu, sexto, meo, olta,
uestra, uxore, Tebere, pane, fronte, arcu, etc.

1181. C'est un trait de la langue sarde de perdre aussi l'n dans rn même
au milieu des mots : corru (cornu), furru (furnus).

1191. Il ne faut pas négliger la riche collection de semblables cas de
métathèse et d'hyperthèse de l'r dans Ritschl, Opuscula, II, 529-541, qui
est tout aussi bien venue pour la philologie romane qu'elle l'est pour
la philologie latine et grecque.

1201. Pour ce qui regarde les consonnes, un exemple correspondant est
cobbola de copula, deux douces pour une forte.

1211. Voyez sur ce point, qui n'est pas sans importance, Delius, Jahrbuch,
I, 356.

1221. En catalan, le d, tombé dans une syllabe atone, est représenté par
u. Ainsi dans caure (cadere), hereu (heredem), occiure (occidere), riure
(rídere pour ridére), seure (sédere), veure (vídere) ; plus fréquemment à la
finale, où l'u correspond au prov. i : alou (alodium), cau (cadit), hereu,
niu (nidus), peu (pedem), seu (sedet, subst. sedes), veu (videt). Cet u doit
sans doute être apprécié comme dans le cas où il remplace une sifflante,
voy. sous la lettre C, II, § 4.

1231. Dans le premier de ses travaux mentionnés p. 76, Wentrup
ramène cette assimilation familière aussi au napolitain à l'osque opsannam
= lat. operandam, ce qui mérite d'autant plus qu'on s'y arrête
que dans ce dialecte l'assimilation est une loi, et que dans les autres ce
n'est guère qu'un accident. En ombrien, même chose se présente, et
de là vient qu'on la trouve dans Plaute ; voy. Aufrecht dans la Zeitschrift
de Kuhn et Schleicher, I, 104.

1241. On pourrait tout aussi bien que glieia lire glieja ; voy. Delius,
Jahrbuch, I, 357 : j serait alors né de si. Cette leçon a été déjà choisie
par Dom Vaissette (par exemple dans gleja, majo, III, 219, etc.), mais le
gleia, tiré de Flamenca, est décisif pour la voyelle i, car on ne prononçait
sûrement pas edja l'interjection eia, qui rime avec gleia ; les Leys
n'écrivent aussi que eya. Le véritable état des choses semble se retrouver
en provençal moderne, où gleja et gleya, baigear et bayar sont également
admis. Dans une partie du Nord de la France, aussi, on remarque
j pour si. Bouille, De vulg. ling., p. 37 : dicunt Morini (et Bolonii), littera s
in i (c'est-à-dire j) labente, maion, ouion (=fr. oison), priion (prison), toiion
(toison).

1251. Corssen a donné depuis un riche recueil d'exemples de ce genre.

1261. Que l'n naisse du c, c'est là un procédé tout à fait inusité. Peut-être
pourrait-on expliquer les formes ci-dessus par l'intercalation d'une n
devant c et la chute (postérieure) de la gutturale : nec nenc nen. Dans
ninguno (nec unus) l'intercalation nasale saute aux yeux ; ici la gutturale
est restée parce qu'une voyelle suivait. De même dans enxambre et
autres exemples, si l'on admet la série intermédiaire ecsamen, encsamen,
enxamen.

1272. Une étude très-solide, parue postérieurement, de ces noms de lieu
(Quicherat, Formation franc. des anciens noms de lieu, Paris, 1867, p. 34
suiv.) cite encore d'autres représentations de ce suffixe celtique : par ex.
ac donne aussi a, as, at, et iac donne ec, e, ey, eu, eux. L'auteur explique
la désinence franc. y par i tonique dans íacum,

1281. Delius a donné de ce phénomène dans le Jahrbuch, I, 357, une autre
explication digne d'attention.

1291. Contre cette chronologie on peut objecter ceci : comment se fait-il
que si c a commencé à s'assibiler au VIIe siècle, les éléments allemands
dans le roman n'aient pas été modifiés aussi dans ce sens, eux qui du
moins en majeure partie étaient certainement incorporés à cette
époque ? car on dit par ex. it. chiglia, de kiel, non ciglia. Ne s'ensuit-il
pas évidemment que ce mémorable changement de son, qui a fait dégénérer
Kikero en Zizero, est antérieur à l'invasion germanique ? Mais
cette objection a peu de force. On a pu ne pas soumettre la lettre
allemande aux mêmes lois que la lettre latine, parce que, précisément
grâce au mélange des peuples, la prononciation allemande était toujours
présente à l'oreille des Romans. Par la même raison, l'h allemande dans
le français, le k arabe dans l'espagnol, le k grec dans le valaque n'éprouvèrent
pas le sort des lettres latines correspondantes.

1301. Corssen, Lat. Ausp. 2e éd. I, 48, termine ainsi son étude de cet important
chapitre de l'histoire des sons, basée sur de nombreux témoignages
authentiques : « Il résulte de ce qui a été dit jusqu'à présont
que c devant e et i jusqu'au VIe et VIIe siècle, jusqu'à l'époque qui a
suivi l'invasion des Lombards en Italie, a eu le son de k. Il est vrai
qu'il ne faut pas en conclure que c ait conservé aussi longtemps ce
son partout et dans tous les mots… Jamais dans les chartes de Ravenne
(du VIe et VIIe siècle) c devant e et i n'est rendu par z, tz, σ ou σσ. D'où
il suit donc que jusqu'au VIIe siècle après J.-C. l'assibilation de ce son
ne peut avoir pénétré qu'isolement dans la langue populaire ou les
dialectes provinciaux, et qu'en conséquence les Romains cultivés,
encore au temps de l'exarchat et des Lombards prononçaient les noms
de leurs glorieux ancêtres Kæsar, Kikero. » Une note, p. 49, discute l'opinion
de Schuchardt (I, 164) sur ce point.

1311. Remarquons dans une charte sisterna pour cisterna, déjà à l'année
528, Bréq. num. 13. Mais l'exemple est trop isolé pour en induire pour
la France un développement plus ancien du phénomène. Scitam pour
sitam, où c ne pouvait être guttural, se voit pour la première fois à
l'année 587, ib. n. 46. Requiiset pour requiescit beaucoup plus tard, année
658, id. num. 140. Voy. dans Corssen, 2e éd. I, 59, d'autres ex. de si pour ti.

1321. Un exemple sûr semble être fourni par le verbe français vaincre, de
vinkere, et pourtant il y a doute sur ce point. En effet, d'après Delius,
Jahrbuch I, 358, k est seulement intercalé pour soutenir la nasale n.
D'après cela, il devrait y avoir eu un temps où, en France, on disait
vin're jusqu'à ce qu'on ait comblé la lacune avec un c euphonique = k.
C'est admissible, surtout si on compare fingere fin're fein-d-re, dans
lequel d rend le même service ; il est toutefois surprenant qu'on ait
repris un k déjà laissé de côté. Ne serait-il pas préférable de donner à ce
k une signification étymologique, puisqu'il apparaît plusieurs fois dans le
provençal qui ne connaît que l'infinitif véncer dans le cours de la conjugaison ?
Il est vrai que le très-ancien franc. veintre paraît confirmer
l'intercalation d'un son de liaison, mais le t qui se présente ici ne se
trouve qu'à l'infinitif, c.-à-d. devant r, et en dehors de l'infinitif est
resté sans influence : il est à k dans le rapport où fau-t-re est à fulcrum.

1331. Le nom propre Sancho = lat. Sanctus, qui se trouve par ex. dans
Tacite Hist. 4, 62. Dans la basse latinité il semble qu'on en ait formé par
humilité Sanctius, it. Sanzio. Encore, plus ancien est un mot semblable
Sancius ; par ex. voy. une inscription lusitanienne d'av. J.-G. TI.
CLADIVS SANCIVS
, voy. SRos. II, 175, et déjà dans Tacite Ann. 6, 18
Sancia, cf. Pott, Personennamen p. 563. Astarloa, p. 262, tient Sancho pour
un mot basque et lui donne la signification de nerbudito.

1341. Le phénomène par lequel qu et gu deviennent b, comme dans le
dialecte sarde de Logudoro, est quelque chose de différent : battor
(quatuor), abba (aqua), ebba (equa), quimbe (quinque), limba (lingua), sámbene
(sanguis). B est né ou bien de u = v, et la gutturale est tombée,
ou encore de la gutturale elle-même, ce qui n'est pas rare dans ce
dialecte.

1351. Schuchardt, II, 499, cite aussi des exemples b.lat., peuma (πῆγμα) et
fraumentis (fragm.), ce dernier exemple du VIIe siècle. Mais d'après
Corssen, I, 95, u ne serait pas une dégénérescence de g ; ce serait bien
plutôt au qui serait une mauvaise transcription pour a. Toutefois, les
exemples romans cités ci-dessus démontrent que les diphthongues au
et eu se sont souvent formées des syllabes ag et eg.

1361. De même Corssen, Lat. Ausspr. I, 91 : « Dans le latin vulgaire des
bas temps, le g doux devant i et e est devenu j palatal fricatif avant de
dégénérer dans les langues romanes en sifflante palatale ; ce qui se
déduit de la manière d'écrire employée par les inscriptions et les
manuscrits qui mettent j pour g et réciproquement. »

1372. On peut ajouter aussi que, d'après un passage connu d'un manuscrit
de Vienne du IXe-Xe siècle sur l'orthographe gothique, le g gothique
(prononc. j) = g latin dans genuit, c'est-à-dire devant e : ubi dicitur
genuit, G ponitur, ubi Gabriel, Γ ponunt
. Cf. Massmann dans Haupt
Ztschr. I, 298, Lœbe-Gabelentz, Goth. Gramm. p. 15, Kirchhoff, Goth.
Alphabet
, p. 12 (Berlin, 1851). D'après Wackernagel, Litt. Gesch. p. 22,
note, les Romains auraient déjà, au temps d'Ulfilas, prononcé g devant
e comme j, cf. au contraire Zacher, Goth. Alphab. p. 55.

1381. Le signe j, pour exprimer l'i consonne des mots latins, est plus
commode pour la grammaire romane que l'i qui est redevenu habituel.
C'est pourquoi je l'écris de préférence.

1391. On peut, soit dit en passant, comparer le rapport du ζ grec â l'y
sanscrit et au j latin, comme dans ζύγος, yuģ, jungere (Bopp, Vergleich.
Gramm.
I, 31, 2e édit., trad. Bréal, I, 43).

1401. « Ce qui est sûr, c'est que déjà au temps d'Auguste et même avant,
h était un son très-peu saisissable que tantôt on émettait et entendait, et
qui tantôt passait inaperçu, et pour l'orthographe duquel les plus
habiles grammairiens de l'époque d'Auguste, comme Verrius Flaccus,
Varron et Nigidius, ne trouvaient plus, dans cette hésitation, de règle
fixe. » Corssen, 2e édit., I, 107. Cette incertitude se transmit aux grammairiens
postérieurs et aux copistes des manuscrits, depuis la fin du IVe
siècle après J .-G., ainsi qu'on le voit par les exemples qu'a réunis Corssen.

1411. Dans le nom propre Lope (pg. Lobo), la forte s'est maintenue. Il est
vrai qu'Astarloa (Apologia, p. 259, 262) tire ce mot du basque et lui donne
le sens de gros, épais : mais au moins le dérivé Lupatus, Lopatus (louveteau,
Vulfila) conduit à lupus.

1421. Suivant Delius (Jahrb. I, 358) la distinction entre ph et f n'aurait
point aussi complètement disparu en roman : « L'esp. Cristoval, Esteban,
l'ital. Giuseppe, le prov. solpre, et les dérivés en p de colaphus
communs à tout le domaine roman, prouvent clairement que Josephus,
Stephanus, sulphur, colaphus ne sonnaient pas tout à fait comme Stefanus,
etc, mais qu'on faisait encore entendre distinctement le p à côté de
l'h. »

1431. L's pour f dans le catal. sinigrec (fœnum græc.) et sivella (fibula)
est singulière. Pour le premier exemple, qui est aussi français (senegré),
on pourrait penser à une immixtion de siliqua ; pour le second, on ne
peut s'aider d'aucune explication de ce genre.

1441. « On ne doit pas cependant perdre de vue que l'ancienne et exacte
orthographe du v et du b domine toujours dans les inscriptions latines
des bas temps, et qu'elle se conserve aussi, à très-peu d'exceptions près,
dans les documents publics qui se rédigeaient à Rome même. » Corssen,
2e édit., I, 133.

1451. Donnons encore place ici à une petite remarque étymologique.
Il est souvent difficile de distinguer en roman dans quels cas a eu lieu
la chute, et dans quels cas la résolution d'une consonne latine. Prenons
seulement trois exemples de ce genre. Dans le prov. fau (venu du lat.
fagus), on peut douter si l'u de ce mot représente le g du radical
(comme cela a lieu dans d'autres mots ; voy. p. 246) ou bien s'il représente
l'u de flexion (proprement de dérivation), comme dans niu de
nidus ? — Dans frigidus, le g a pu tomber pour donner le prov. freid,
par l'intermédiaire de friid, euphoniquement devenu freid, et d'autre
part, l'i atone a pu aussi tomber, ce qui aurait donné frigd, d'où aussi
freid par résolution du g en i ; mais l'existence du b.lat. frigdus assure
cette dernière dérivation. Ordinairement, il est vrai, on ne peut déterminer
les degrés intermédiaires de ces transformations, parce qu'il peut
arriver que la langue ait réuni, dans un mouvement rapide, deux
phases de son évolution. — Un troisième exemple, cogitare, admet
encore plus d'explications. Le provençal avait à sa disposition trois
procédés : il pouvait ou résoudre le g en i, ou sacrifier le g ou le t, ou
même tous les deux ensemble, ce qui donnait coidar ou coiar ; en fait
on trouve cuidar et cuiar (cujar).

1461. Pott (Forsch. 1re édit. II, 65-112, cf. Jahrb. f. wiss. Critik, 1837, II,
90) a complètement étudié ce procédé linguistique dans toutes ses
ramifications.

1471. Édelestand du Méril (Formation de la langue française, p. 298) cite
cette remarque d'après ma première édition, et il ajoute : « Malheureusement
cette règle est loin d'avoir la généralité qu'il lui attribue »
 ; et il donne
alors comme preuves église de ecclesia, orfraie de ossifraga, varlet de
vassalettus, havet de happa, maçon de mezzo. De ces exemples, le seul
qu'on puisse admettre est église, et encore on ne peut l'admettre qu'à
moitié, ce mot étant grec et postérieurement introduit dans la langue.
Ossifraga et vassallettus, la consonne double ne pouvant empêcher la
chute d'une voyelle suivante, devinrent ossfraga et vasslettus, ce qui est
phonétiquement équivalent à osfraga et à vaslettus, en sorte que r est
bien née ici d'une s simple. Havet et maçon ne prouvent rien, car il n'était
question que du sort des lettres latines. Je répète ici ma proposition
que les muettes latines redoublées se maintiennent intactes en roman
dans leur qualité, sans aucune exception, du moins lorsqu'elles sont
placées entre deux voyelles, position où elles sonnent le plus fortement.

1481. Il n'était pas d'ailleurs régulièrement observé non plus en latin ;
aussi Quintilien remarque (I, 7) : quæri solet in scribendo præpositiones
sonum quem junctæ efficiunt an quem separatæ ohservare conveniat, ut
cum dico
obtinuit, secundam enim b literam ratio poscit, aures magis
audiunt
p.

1491. Sur l'influence d'une labiale précédente (p ou b), sur la forme de
j palatal dans des langues étrangères au domaine roman, par exemple
en tibétain, voy. Pott, Forsch. II, 10, 11.

1502. On en trouvera de nombreuses preuves dans l'étude approfondie
de Schwenck, Deutsches Wœrterbuch, p. XV ss.

1511. Sur les voyelles préposées ou insérées par euphonie, il faut encore
ici voir avant tout Pott, II, l. c. 84, 170, 224.

1521. Pour abréger, j'ai omis d'ordinaire la signification aussi bien des
mots romans que des mots allemands ; on les trouvera d'ailleurs, avec
d'amples détails, dans mon Dict. étym. J'ai aussi négligé de marquer
les signes prosodiques des désinences de l'ancien haut-allemand : car
les étrangers confondent facilement ces signes avec ceux de l'accent
tonique. Les exemples cités sans qu'il soit fait mention de la langue
appartiennent au haut-allemand.

1531. En francique également, la diphthongue domine, depuis le temps
d'Ammien Marcellin jusqu'à Irminon (Dietrich, Goth. Ausspr. 68).

1541. Le v.franç. hialme offre une ressemblance frappante avec le v.norois
hiâlmr, mais on peut tout aussi bien le rapporter au h.allem. helm
que le v.franç. bial à bellus ; il en est de même aussi de Guillalme,
v-norois Vilhiâlmr.

1551. Il faut noter le franç. biez, b.lat. biezium = anglo-saxon bed ; v.franç.
miez, b.lat. mezium = anglo-saxon medo, angl. mead.

1562. Dans les temps postérieurs, il est même rendu par z ; ainsi l'angl.
th dans zon = thorn R. de Rou II, 105, Arzurs = Arthur, voy. Wolf, Lais
p. 327. Même en anglo-saxon, dh est déjà également rendu par z, et l'on
trouve bæzere écrit pour bædhere (Grimm I3 253).

1571. Dans les noms propres, le ch francique est naturellement traité
comme le χ grec, Chilperic est prononcé comme Schilperic ; on trouve
déjà dans Saint Léger Chielperic (mais à côté Baldequi = Balthild), et l'on
connaît la forme populaire Chivert (Childebertus) Voc. hag.

1582. Dans une charte de Pavie de l'année 840 (Ughell. II, p. 151) on
trouve deux fois Alotharius ; cet a n'aurait-il point sa raison d'être dans
le h allemand de Hlothar ?

1591. En outre, quelques exemples de f romans paraissent reposer sur la
prononciation haut-allemande d'un p latin : lat. cupa, v.h.all. kuppha,
ital. cuffia ; lat.caput, ital. caffo ; ital. cata-palco, par l'influence allemande
cata-falco ?

1601. Des formes anciennes sont Fredenandiz (gén.) de l'an 922 Esp. sagr.
XIV, 384, Fernandus de l'an 937 id. XVI, 438, Fredenandus de l'an 975
XIV, 413, Ferdinandus de l'an 1000. Fœrstemann regarde comme plus
simple la dérivation de fart (iter), mais elle suppose l'umlaut accompli.

1611. On en trouve un autre exemple dans une charte du Haut-Rhin
(726) : in loco, qui dicitur Gwillesteti (Willstædt) Bréq. n. 323.

1622. Ailleurs gu est à l'inverse résolu en w : wallon lanwî (fr. languir),
aweie (aiguille), v.franç. ewal (ital. eguale), b.lat. anwilla (anguilla) Polypt.
lrm.
p. 76.

1631. L'esp. Gonsalvo, ital. Consalvo, prov. Guossalbo Chx. IV 300, dans les
chartes Gonsalvus Esp. sagr. XXVI, 447 (de l'an 844), Gondesalvius HLang.
I, 99 (de l'an 852) rentre dans ce cas. Mais que signifie ici salvus ? Fœrstemann
y reconnaît le v.h.allem. sataw (noir), mais le sens paraît
convenir bien peu à ce composé (gund signifie combat). Gundsalvus
serait-il pour Gundsarvus qui aurait alors le sens d'armement guerrier,
d'armé en guerre ? il existe un anglo-saxon gûdh-searo. Sarvus a pu facilement
être rapproché du nom propre Salvus, Salvius : ce genre d'étymologie
populaire est fréquent dans les mots allemands romanisés.

1641. De même dans l'anc.h.allem., suivant la remarque de Grimm, la
consonne suivie d'un i dérivatif se redouble et l'i tombe, p. ex. : sippa de
sibja, brunna de brunja, sellan de saljan, wetti de vadi, wrehho de vrakja,
Gramm. I, 123, 148, 167, 192. Mais ici la brièveté de la voyelle, qui amène
le redoublement, est originaire et n'est pas occasionnée par l'i. L'ancien
saxon se rapproche ici davantage de l'italien, en ce qu'il conserve d'ordinaire
le j dérivé (i, e) : selljan, frummjan, minnja, merrjan, hebbjan,
sittjan, settean, biddjan, beddi, cussjan, wrekkjo, huggjan. Comparez encore
le redoublement osque devant i suivi d'une voyelle, pour faire ressortir
la brièveté de la voyelle qui précède, comme dans akudunniad, tribarakkiuf.

1651. Chez les anciens écrivains italiens aussi lli, lgli (millior, milgliori) ;
de même ngn pour gn (ongni, bangnata).

1662. Quelques langues étrangères élident aussi l devant j. Ainsi l'albanais
dans biję (fille), goję (bouche), femiję (famille) à côté de bilję, golję,
femilję, voy. Hahn, II. 14.

1671. Des traces de cette combinaison se trouvent dans les chartes
italiennes depuis le VIe siècle, toutefois, à ce qu'il semble, seulement
dans des mots allemands, comme par ex. Ghiveric (Marin, p. 197), Reghinhard
(Mur. Ant. III, 1015), plus fréquemment dans les chartes franques.
Mais il est peu probable que l'italien l'ait tiré de l'allemand, puisque
le signe allemand représente un son qui n'est point du tout roman,
voyez ci-dessus, p. 248.

1681. Une esquisse de l'histoire de l'orthographe espagnole se trouve
dans la grammaire de Franceson, 4e édit. p. 25 et suiv.

1692. Voyez encore sur ce même sujet Pronunciacion de la lengua castellana,
Madr. 1587, de Bened. Ruiz. — Nic. Antonio, l. c. p. 467, nomme
encore un autre ouvrage de Francisco de Nobles (vers 1572) sans l'avoir
vu. Un troisième ouvrage plus ancien d'un âge d'homme, Tractado de
ortographia y accentos en las tres lenguas principales
(grec, latin, castillan),
Toledo 1531, de Alejo Vanegas, que mentionne aussi Nic. Antonio, l. c.
p. 9, traite sans doute aussi de la prononciation espagnole.

1701. Dans le glossaire du Fuero juzgo on trouve une fois nuovo ; c'est
probablement une faute de copiste pour nuevo.

1711. Dans le Pœma de Alex, l est à l'inverse intercalée devant d : duldar
(dubitare, dudar), embeldar (imbibitare*, embeodar), recaldar (recapitare*,
recaudar). Cette l remplacerait-elle un u provenant de b ou p, comme
dans galterasl est pour u ?

1722. D'après Velasco, p. 195, elle devient muette devant r : cortas ramas
= cortarramas.

1731. On a rattaché ce son (que possède aussi le basque) à l'arabe, soit à
thse = th anglais (Fuchs, Zeitwœrter, p. 76), soit à zâd (Rapp, Gramm. I,
22), dont la véritable prononciation n'est même pas certaine. Il faut en
juger comme du j, voy. p. 345.

1741. Ch palatal se trouve déjà au moins au XIe siècle, par ex. Sanchez,
Sanchiz Yep. I, n. 23 (de l'an. 1022). Il est remarquable qu'à la place de
ce groupe on emploie aussi g, qui ne peut avoir également que la valeur
provençale ou catalane : Sangez Yep. I, n. 24 (de l'an. 1077). Sangiz
n. 25 (1092). On trouve ch, il est vrai, dans des chartes beaucoup plus
anciennes, par ex. rivolum Chave Yep. IV, n. 29 (de l'an. 791), Chayroga
ibid., mais la prononciation en est ici moins sûre.

1751. Mais cette prononciation ne se maintient pas toujours : suivant
Velasco g ne s'entend pas du tout dans maligno, magnifico, signo, significar,
Magdalena, dans digno il s'entend à peine. Mayans dit II, 72 :
siempre quito la g y digo sinificar y no significar, dino y no digno. A la
rime aussi, ce g est souvent muet.

1761. Delius montre aussi très-bien (Roman. Sprachfam. p. 29), en ce qui
concerne les Arabes, combien il est peu probable que les conquérants
aient pu introduire une telle particularité organique précisément en
Espagne, et non dans aucun des autres pays où ils s'établirent, par
exemple en Portugal.

1771. Ferd. Wolf, Jahrb. V, 107, a extrait le passage relatif à cette question
de l'écrit de Monlau (qui m'est inconnu) et a donné encore comme
preuve, que l'x espagnol se rend en basque par la chuintante. Mais
lorsque Monlau remarque, à cette occasion, que Cervantes prononçait
le mot Quixote à la française, il admet par là même que la chuintante a
persisté bien plus longtemps qu'il n'est dit ci-dessus. Et de fait, d'après
son Diccionario etimologico p. 58, 168, 169, ouvrage un peu antérieur, le son
palatal aurait persisté jusque vers le règne de Philippe IV (1621), c'est-à-dire
jusque dans les vingt premières années du XVIIe siècle, et les
modifications seraient devenues générales entre 1640-1660 ; Gaspar
Scioppius († 1649), qui a séjourné eu Espagne, parlerait de ces modifications
et les désignerait comme récentes. Comment accorder ces renseignements
avec ce que dit Velasco ? En tout cas, la période de transition
doit avoir été de très-longue durée. On pourrait demander enfin si le
son chuintant appartenait aussi au j qui correspondait à lh portugais,
comme dans oreja, fijo, aguja = portug. orelha, filho, agulha, ou bien
s'il y avait deux espèces de j ? Théoriquement, on doit admettre cette
seconde solution. — Remarquons encore que Monlau admet aussi un changement
de son qui se serait produit dans les sifflantes espagnoles vers
la fin du XVIe siècle. D'après lui, le z aurait à cette époque laissé de côté
sa prononciation répondant au a français pour prendre le son particulier
qu'il possède aujourd'hui ; et l's, qui jadis se prononçait douce,
se serait durcie.

1781. Il a été admis jusqu'ici avec une certaine assurance que l'f qui occupe
en vieil espagnol la place d'une h moderne n'exprime que le son de
cette dernière lettre. Rien ne parle en faveur de cette hypothèse. Comment
serait-on arrivé à donner à cette labiale, outre sa valeur propre,
une seconde signification pour l'expression de laquelle un autre signe
(h) était si naturellement indiqué ? L'étymologie, il est vrai, aurait pu
y conduire. Mais est-il croyable que cette orthographe ait été appliquée
avec tant de constance que pas une seule h n'ait échappé au copiste,
ce qui est le cas pour le Poema del Cid ? Pour les Espagnols eux-mêmes,
la valeur décidée de l'ancien f comme labiale n'a jamais été douteuse.
On sait que don Quichotte emploie f pour h quand il veut parler dans
le ton des livres de chevalerie. Villena dit (Mayans II, 338) que les
anciens mettaient f pour h, parce que ce dernier son était pour eux trop
dur ; d'après cela ils ne prononçaient pas l'f comme h. Mais au temps de
Villena cette deuxième prononciation devait déjà avoir prévalu. Si les
habitants primitifs de l'Espagne avaient de l'aversion pour l'f (voy.
ci-dessus p. 262), cette répulsion disparut avec la destruction de
leur langue. Mais elle put, bien qu'à un degré moindre, redescendre
plus tard des montagnes basques, où persiste l'idiome primitif de l'Espagne,
pour s'étendre encore sur une partie de la péninsule. Pourquoi
ce fait n'aurait-il pas commencé à se produire au XIIIe siècle ? On pourrait
encore, par surcroît, invoquer un témoignage étranger. Le troubadour
Rambaut de Vaqueiras a écrit dix vers en espagnol dans lesquels
il y a deux mots avec f à l'initiale = h espagnol moderne, faulan et
furtado = hablan et hurtado (Chx. II, 229) ; or il ne pouvait avoir appris
l'espagnol que par la langue parlée. — « Peut-être (dit Delius, Jahrbuch
I, 360) doit-on seulement admettre que dans l'ancienne prononciation
cet f et cette h se rapprochaient bien plus l'un de l'autre que dans la
langue moderne, etc. »

1791. Il remarque aussi que l'aspiration disparaît quand une n précède :
quieren hablar, mandan hazer.

1802. Cette h ainsi préposée se faisait anciennement entendre, puisqu'elle
pouvait être remplacée par f, cf. fenchir pour henchir, finojo
pour hinojo (gen.). Les anciens faisaient aussi précéder certains petits
mots d'une h muette, comme le font les Portugais, par ex. ha (pour
á), hi (y), ho (o), hir (ir), huno (uno) dans le ms. d'Apollonius.

1811. D'après Velasco (p. 138) cette h n'est là que pour empêcher qu'on
prononce l'initiale ue comme ve. En français, on pourrait plutôt
admettre cette fonction de l'h devant ui, car l'h est ici presque partout
muette comme dans huile, huis, huître.

1821. De o dans Ybañez, c'est-à-dire Ioannes, dont l'i se présente ici
comme voyelle (russe Ivan) et dans Juanez comme consonne.

1831. Nunez de Lião, Origem da l. pg., en compte seize, parmi lesquelles
il comprend les voyelles répétées et rendant un son nasal, c'est-à-dire
ãa, ãe, ai, ão, au, ẽe (bẽes de bem), ei, eu, ii (roĩis de roim), oa, oi, oe,
õo (sõos de som), oi, ui, ũu (vaccũus de vaccum).

1841. On a émis l'opinion que cette prononciation avait passé du français
dans le portugais, comme si une évolution identique ne pouvait avoir
eu lieu indépendamment dans des endroits différents ; on peut bien
admettre que la suite d'Henri de Bourgogne se soit permis de prononcer
à la manière française l'n portugaise, en supposant qu'elle
fût encore pure en portugais ; mais il est contre toute vraisemblance
que la nation entière, jusqu'aux paysans, , se soit ralliée à une prononciation
qui changeait le caractère phonétique de la langue. Le dialecte de
la Sicile, pays qui reçut une immigration française bien plus considérable,
ne contient aucune trace de phonétique française. D'autre part, cette
nasalité ne se présente pas seulement en Portugal, mais aussi dans la
Galice qui est politiquement séparée de ce dernier pays, en un mot
dans tout l'ouest de la péninsule. Au reste, les voyelles nasales portugaises,
comme on a l'habitude de les nommer, ne sont pas, à proprement
parler, des voyelles ; elles contiennent un élément consonantique ;
la preuve en est que métriquement elles ne forment pas une
syllabe avec la voyelle initiale d'un mot suivant. Les poètes scandent
chegão|as esquadras, et non che|gão as|esq.

1851. Parmi les écrivains modernes, Bastero, Crusca provenzale 119 et suiv.,
s'occupe avec assez de détails de la prononciation, mais il se place
exclusivement au point de vue d'un Catalan, car il faisait naître la poésie
des troubadours en Catalogne. Rochegude, Gloss. occitanien p. XLVIII, se
débarrasse de la question en quelques lignes. Raynouard l'a complètement
omise. A une question qu'on lui adressait à ce sujet, il répondit
catégoriquement : « Il n'y a pas de prononciation provençale », et cette
réponse n'était pas sans quelque vérité.

1861. Dans des lettres de franchise données à la ville de Saint-Affrique
(Gaujal I, 316), on lit, il est vrai, aureilho, mesuro ; mais la charte est
sans doute une copie d'une écriture postérieure.

1872. Remarquons ici en passant que quelques manuscrits devant l
emploient ia au lieu de l'i généralement usité et aussi ea au lieu de l'e,
ainsi mial pour mil (lat. mille), fial pour fil (filum), umial pour umil, peal
pour pel (pilus) ; voy. par ex. une pièce attribuée à P.Vidal LRom. I, 405,
ainsi que la partie toulousaine du poème sur la Guerre des Albigeois.
Au lieu de ia les Joyas également toulousaines emploient ie :
miel, umiel, abriel (ailleurs abrieu, c'est-à-dire aprilis). On peut comparer
la succession des formes françaises bel, biel, bial, biau. Ce développement
de e ou i en ia se rencontre encore dans d'autres dialectes
et aussi devant d'autres consonnes. Un dial. auvergnat, par exemple,
fait riau de rivus, liau de levis (cf. p. 99) ; un dial. prov. fait premiar de
primarius, deniar de denarius (Laplane, Hist. de Sisteron I, 555) ; un dial.
roumanche fait tiara de terra, fiasta de festa (p. 143), le valaque peanę
de penna, śease de sex (ibid.).

1881. Dans un récent mémoire, Paul Meyer a épuisé complètement
l'étude de l'o provençal (Phonétique provençale, o). Dans ce travail il a
eu principalement égard aux patois modernes, qui présentent diverses
particularités dans le traitement de l'o et de l'u latins et confirment
de nouveau, par exemple, l'influence de l'accent sur la forme des mots :
l'o tonique venant de ŏ latin (ou de o en position) persiste en ancien
provençal, même dans les dérivés où l'accent se déplace : jóga jogár,
óli olíva, gros grossét, porc porquét ; en provençal moderne, dans le second
cas, il devient ou : jógo jougá, óli oulívo, gros groussét, porc pourquét.
Mais ce qui a un intérêt tout particulier dans ce travail, c'est la remarque
que, dans le dictionnaire de rimes de Faidit (voy. ci-dessous à la
troisième section la théorie de la quantité en provençal), l'o larc des
mots qui y sont enregistrés correspond à l'o provençal ancien et
moderne, et l'o estreit à l'ou provençal moderne ; cet ou devait donc
être déjà usité au moyen âge, bien qu'alors les deux sons fussent représentés
par le même signe (o). Ainsi l'o larc dans jocs, brocs, focs répond
à l'o pur du prov.mod. joc, broc, foc, mais l'o estreit dans bocs, mocs
répond au prov.mod. ou dans bouc, mouc ou bou, mou.

1891. Rochegude, Gloss. occ. p. XLIX, accorde que l'u provençal avait le
son de l'ou français après une autre voyelle ; il lui donne en conséquence,
dans les autres cas, la valeur de l'u français, sans perdre un mot à
expliquer cette contradiction.

1901. Cet ei peut lui-même se condenser en e, cf. Adalez de Adaleiz,
prendré de prendrei, dans une charte de Foix (ann. 1034) HLang. II, n. 171.

1911. Mentionnons ici encore un cas rare. Le grammairien Raimon Vidal
blâme (d'après un des manuscrits GProv. 86) les formes amiu pour amic,
chastiu pour chastic, et de fait on trouve dans Guillem Ademar amiu
à côté de enemiu Chx. III, 192, dans Peire de Valeria chastiu (verbe).
On ne peut admettre que iu provienne de ic, c'est-à-dire u de c : on
pourrait plutôt voir dans amiu la chute du c et l'attraction de l'u de
flexion vers le radical, cf. Grieu de Græcus. Cependant on trouve iu
pour i simple (ami pour amic est connu) dans d'autres cas où ni c, ni
peut-être même v, ni aucune autre consonne ne sont en jeu. Ça et là on
trouve des formes du présent de la première conjugaison telles que
umiliu de umiliar, aiziu de aiziar ? (franç. aiser, aisier), obliu de obliar ?
(au lieu de l'habituel oblidar) ; chastiu de chastiar, galiu de galiar, pour
lesquels on peut imaginer très-bien des verbes comme umilivar, aizivar,
oblivar, chastivar, galivar, mais on ne les rencontre pas : le singulier
umiliu se trouve, mais non pas le pluriel umilivam. Cet iu restreint
à la finale paraît donc être un développement anomal euphonique,
quelque chose comme l'au catalan correspondant à l'ai provençal
(trahit trai trau). R. Vidal appelle des mots comme amiu, chastiu,
paraulas biaisas, et pense qu'on ne les trouve point dans le monde
entier ailleurs que dans le comté de Foix. Le même Ademar dit avec
une paragoge semblable forfiu et diu pour forfi et di. Cf. Bartsch Jahrbuch
VII, 190.

1921. Dans la deuxième édition j'avais identifié le son de cet ou provençal
à celui de l'ou néerlandais, ce qui a donné lieu de croire que, suivant
moi, l'ou provençal se prononçait comme notre au haut-allemand,
puisque ce dernier est identique à l'ou néerlandais. Mais les grammairiens
néerlandais n'admettent entre ces deux diphthongues qu'une
analogie. Kramer, par exemple, dit que l'ou hollandais a presque le
son de l'au allemand ou bien celui de o-u. Je ne pensais qu'à o-u, qui
est certainement la prononciation primitive ; et j'avais fait ce rapprochement
parce que la diphthongue provençale et la diphthongue
néerlandaise présentent quelque analogie dans l'histoire de leur développement :
dous de dulcis, goud de guld.

1931. Quant à ab, Delius (Jahrbuch, I, 360) suppose pour ce mot une prononciation
plus douce du b. Le latin ab n'aurait-il pas induit le provençal
à cette orthographe ? L'ancien français commettait la même
erreur lorsqu'il écrivait cum pour comme, quand ce mot se rapprochait
par le sens de la conjonction latine. — Les copistes des œuvres poétiques
s'appliquaient à observer une meilleure orthographe (la rime, il est
vrai, contribuait à en fixer les règles) que les scribes des chartes
qui traitaient fort arbitrairement la loi des finales en particulier.
Les exemples suivants vont du XIe au XIIIe siècle : Aiarigs, Amuliag,
Garag, Alarig, Neirag, Oronzag, Ug, recognog, borg, enamigs ; deved, comprobad,
pod, Ermengoud, reguard, medietad, Beliard, Bernard, Monteserrad,
Faidid, Montagud, intrad, grad, ciutad, jurads. Les formes latines,
comme Bernardus, ont pu quelquefois conduire à cette orthographe.

1941. On remarque chez les poètes, à la rime, un affaiblissement de l'r
devant s, spécialement dans la désinence ors : ainsi seros (serors) rimant
avec glorios Chx. II, 142, traidos (-ors) avec enoios LR. 1, 72 a, pluzors
(lisez pluzos) avec sazos dans la chanson « Ai s'ieu pogues » (ms. 7698)
attribuée à B. de Ventadour. On en trouve encore de nombreux
exemples dans Bartsch, Leseb. 238, qui conclut à une très-faible prononciation
de l'r (bien entendu seulement devant s). Cette absorption de l'r
se rencontrait aussi dans la poésie catalane ; Ausias March faisait rimer
repos avec flos (c'est-à-dire flors).

1951. C'est ce qu'on observe clairement dans la métrique. Cette n ne produit
aucune différence entre les rimes : revé, plen, reten, be sont impossibles
comme rimes croisées. Les finales privées de n ne permettent pas non plus
l'élision ou la permettent à peine : puesco aver, prendo armas comptent
pour quatre syllabes, car il fallait laisser le champ libre pour l'insertion
de n ; tandis que puesca aver, prenda armas peuvent être comptés
pour trois syllabes. Il n'y a que dans les groupes enclitiques que n soit
exclue : be-m, be-us, quo-us, re-us, foro-l (on trouve aussi foro-ill), prendo-ls,
laisso-s, et rarement laisson-s.

1961. L'étude des chartes datées de temps et de lieu a montré que n se
perd dans le centre et l'ouest, et persiste dans l'est, surtout en Provence.
Voy. Paul Meyer, Flamenca p. XXX.

1972. On peut remarquer aussi th, au lieu de ht qui serait plus exact :
drethz pour drehtz c'est-à-dire dreitz, lieths pour liehts c'est-à-dire lieits,
junthas pour junhtas, mantha pour manhta. Voy. d'autres exemples relatifs
à l'emploi de l'h. dans le Donat prov. 44 b., 45 b.

1983. On remarque déjà lh et nh dans le testament si connu de Raymond
de Toulouse (ann. 961), où on lit : Anahnensis, lisez Anhanensis - Anianensis,
Ginhalio, Grenolhedo ; cf. ce document dans Mab. Dipl. p. 572,
HLang. II, n. 97. D'autres anciens exemples (outre les exemples ci-dessus
de la Passion) sont : Ginhago HLang. II, n. 165 (ann. 1029), Guilhermi voy.
Marca, Hist. de Béarn p. 247 (avant 1032), Wilherma HLang. II, 268 (1069),
nulh, castelh, vulh Chx. II, 67 (1080), Guilhem, filhs (charte de 1201), voy.
Gaujal, Études historiques sur le Rouergue I, 295, Penhora HLang. III, 216
(1208).

1991. On a tenté de donner de ce fait une autre explication purement
paléographique, voy. Altportugiesische Kunst- und Hofpoesie p. 36, sur
laquelle Paul Meyer a émis des doutes.

2001. Il ne s'agit pas ici d'une s muette comme dans l'ancien français.
J. de Mena, Coron, str. 7, emploie, par exemple, le prov. regisme sous la
forme reismo rimant avec mismo, donc avec une s sonore. Sanchez de las
Brozas fait à ce propos la remarque suivante : el Troyano reismo son los
reyes de Troya
. Les lexiques n'ont pas ce mot.

2011. Le provençal a eu, dans ce cas, le juste instinct de sacrifier une s
médiale de préférence à l's finale de flexion, puisqu'on peut facilement
suppléer la première, contrairement à notre manière d'écrire, « du muszt »
au lieu de « must ». Mais l'existence de duretés en ces langues n'est pas
contestable, et il n'y a pas besoin de les accumuler exprès pour en
faire un épouvantail, comme font les Leys d'Amors I, 64, Philips es bels
reys blanx frescz nautz
. Ces duretés se présentent parfois d'elles-mêmes,
comme dans le vers Masmutz Maurs Gotz e Barbaris Chx. IV, 85.

2021. Stz dans Gir. de Ross. (Tiberstz, siastz, morstz), ainsi que dans les
manuscrits du Brev. d'amor (pastz, sostz pour patz, sotz) est une mauvaise
accumulation de consonnes qu'il faut rejeter. Il en est de même
de sz à la médiale (diszen, faszia, gaszanhar). Cf. l'ancien franç. st pour
z dans le Fragm. de Val. Remarquez encore dz pour z (adzesmar, adzorar,
Adzemars), voy. Paul Meyer sur Guill. de la Barre, 34.

2032. Le provençal ne se résigne guère à la perte du c final. Sur amic-s
Raimon Vidal dit : et tug aquill que dizon amis per amics, an fallit, que
paraula es franzeza
.

2041. Ch pour q se trouve dans des chartes : achela Ch. II, 52 (1025) ; ab
achel ni ab aqueles
p. 71 (1158) ; achest p. 69 (1137) ; dans une charte de
Béarn, Marca p. 607 (vers 1260), che pour que (comme l'anc.franç. chi),
achel, ainsi que chom pour com, marches, Armagnach.

2051. On trouve dans Arnaut Vidal la substitution tout à fait inusitée de
d à ģ dans les mots ditar pour gitar, denolh pour genolh, mais on ne la
rencontre point dans les autres mots commençant par un ģ initial (voy.
Guill. de la Barre, notice p. p. Paul Meyer, Paris 1868, p. 34). Le ģ provençal
se prononçait dg : et Meyer, s'appuyant sur cet argument, est disposé
à expliquer ce d singulier par l'élision d'un g, second élément formatif
du groupe dg. Il est bien rare cependant que des sons composés
(qui n'ont pour la conscience de la langue que la valeur d'un son
simple) laissent précisément tomber, en se dissolvant, leur élément le
plus essentiel. Il est aisé, en ce qui touche ditar, de renvoyer au portug.
deitar, mais cela n'aide en rien à expliquer denolh.

2062. Comme les manuscrits emploient pour la voyelle et la consonne i
le même signe (i), on se demande souvent si on a affaire à un i ou à un
j, si on doit prononcer veia comme veya ou comme veja. Il en est de
même pour u et pour v. Les éditeurs de ces manuscrits, quand ils s'en
tiennent à une reproduction diplomatique, écrivent tantôt veia, cambiar,
greviar, tantôt veja, cambjar, greujar ; les patois connaissent aussi l'une et
l'autre orthographe. Le provençal écrit par exemple baia (fr. baie), rayá,
apuyá ennuyá, pluio, truio, mais assajá, (essayer), envejo (envie), plaidejá,
miejo (lat. media), sujo et sua (franç. suie), rajo et rabi (rage) ; le languedocien
écrit de préférence j : rajá, apujá, plejo, truejo, envejo, fadejá,
miejo, sujo, cujá (lat. cogitare), enrabiá. Ce point doit être laissé à la
grammaire spéciale, d'autant plus que Bartsch, pour lequel tout i atone,
dans les manuscrits, entre deux voyelles est un j (opinion que je ne puis
jusqu'à présent partager, du moins aussi absolument), a l'intention de
s'occuper en détail des questions importantes qui se posent ici.

2071. Même hésitation en roumanche, où l'on écrit strech stretg streig
streg
(strictus) pour désigner à la vérité un autre son que le son
provençal.

2082. Bastero dit du g provençal : Dopo delle vocali e, i, u o del t ha doppio
suono, cioè parte aspro e parte soave, come
goig e gaug, desig desitg,
ensaig ensatg, le quali parole si pronunziano como se fossero scritte gotx,
desitx, ensatx. Le suono soave peut se présenter aussi à la médiale, du
moins Bastero prescrit de prononcer envetja comme l'italien envegia.

2091. On ne peut méconnaître l'accord parfait de ces préceptes avec
d'autres contenus dans un manuscrit d'Oxford, dont Génin (dans son
Introduction à Palsgrave) a donné quelques extraits.

2102. Il n'y a rien à tirer pour l'histoire de la prononciation française
de ce que Hickes (Gramm. anglosax. p. 146) a publié sous le nom de
Poème grammatical sur l'anglo-normand. Rien non plus à apprendre dans
l'ouvrage du rabbin Salomon Jarchi († 1170), Commentaire sur le Pentateuque,
dans lequel se trouvent beaucoup de mots français transcrits
avec des lettres hébraïques, puisqu'on ne sait pas quelle était exactement
la prononciation de l'hébreu en France à cette époque. Il n'y a non
plus presque rien d'instructif dans un Symbole de la foi chrétienne, écrit
en langue grecque avec une traduction latine ou romane transcrite en
caractères grecs, qu'a publié Egger, Acad. des Inscript, tome XXI, 1re
p. 1857. En voici des exemples : βόετ (anc.fr. voet, fr.mod. veut), ἀβάουντε
(avaunt, avant), ναῖστέ (nait, ), τζίουρ (jour), ἀγκλόερα (a gloire), ἀντρέ (entre
prép.). Ces mots semblent avoir été recueillis par un Grec de la bouche
d'un Franc.

2111. Il en est un peu autrement lorsque des lettres étymologiques sont
intercalées, comme dans advance, advoutry, adjust : cela n'a rien changé
du reste à la prononciation du v ou du j.

2121. « Sur la prononciation des diphthongues (dit Grimm I3, 38), je pose
en général le principe suivant : chacune des voyelles qui y est contenue
a été à l'origine prononcée séparément, et c'est toujours postérieurement
que s'est produite la condensation des deux voyelles en un
seul son. » L'histoire de la prononciation française n'est pas faite pour
ébranler ce principe.

2131. Par accent tonique français il faut entendre partout ici l'accentuation
primitive, c'est-à-dire l'accent latin ou roman, ainsi aimér
amare, raisón = ratiónem.

2141. D'après Delius, Jarhb. I, 361, ce fait trouve plutôt son explication
dans la nature semi-vocalique du g palatal, qui s'unit plus aisément à
un e fermé qu'à un e ouvert, comparez puissé-je.

2151. Voyez sur l'e muet chez les anciens surtout Littré, Hist.de la l.fr. I, 197.

2161. Il faut donc se garder de confondre l'u normand avec l'u français,
comme le fait Génin, qui prend amure ChRol., qui assone avec ultre,
pour le franç.mod. armure, Variat, p. 24.

2171. Dans Palsgrave p. 13 seulement au futur : deray -= direy.

2181. Au moins est-il très-douteux que cet ae d'Eulalie corresponde à la
diphthongue ae pour ai dans les chartes mérovingiennes, c'est-à-dire
à une orthographe bien plus ancienne, par ex. Chaeno pour Haino Bréq.,
n. 209 et 223, Vulfolaecus pour Vulfolaicus dans la première de ces deux
chartes.

2191. Il a le son de l'e fermé dans les mêmes cas où ê a reçu également
ce son : troizième, beignet etc., voy. Malvin-Cazal p. 222.

2201. Remarque d'Ampère, Form. de la l. fr. 383. Mais quand il tient oué
pour la vraie prononciation française ancienne, et s'appuie pour l'affirmer
sur des rimes comme adoise ; aise ; avaines ; moines, on peut objecter
que le poète aurait tout aussi bien pu écrire adaise, avoines. De même
fouere rimant avec fere ne prouve rien, puisqu'il est trisyllabique et
que dès lors il n'est pas identique avec foire. Seul, dortouer pour dortoir
mérite qu'on s'y arrête.

2211. On sait qu'on écrivait également en ancien français avec une l
étymologique aultre, hault, Thiebault ; et l'on doit avoir souvent prononcé
al vocaliquement, par ex. lorsque chevals rime avec beaus. Sur
l = u ce que nous apprend le document de Londres est décisif, du
moins pour le normand : primæ aut mediæ sillabæ habenles l post a
vel e vel o sillabatam, dum tamen alia consonans post b (leg. post l) sequitur
immediate, ipsa
l debet quasi u pronunciari, v. g. altrement, malveis,
tresmaltalent. Si altre peut assoner avec sage, c'est qu'il se prononçait
altre ou áutre, mais non pas ótre.

2221. Comp. sur ces deux mots français Delius, Jahrb. I, 361.

2231. « Pour le latin archaïque, ou n'était de même qu'un signe graphique
(pour u) employé peut-être à l'époque où les prononciations effacées de
l'u et de l'i commencèrent à disparaître et où l'on éprouva le besoin de
distinguer rigoureusement les deux sons. » Bénary, Rœm. Lautlehre
p. 82. Gomme l'ou français, ou servit aussi à rendre la voyelle brève :
navebous = navibus. Mommsen, Unterit. Dialecte 217 et Ritschl, De milliario
Popilliano
p. 34, sont d'un autre avis. Ils inclinent à regarder, dans les
inscriptions réellement anciennes, ou comme équivalent non point à ū,
mais à ov.

2241. Dans quelques manuscrits on trouve des exemples du rapport
inverse : ol représente l'ou français, par ex. dans olblier pour oublier
Parton., olvrer pour ouvrer Brut. On pourrait penser à rapprocher ici le
florentin aldace pour audace, mais en français cette l a dû être muette,
puisque rescols rime dans Brut avec nos et rescolsse avec escosse.

2252. Nos poètes allemands du moyen âge l'ont traitée comme leur
propre diphthongue ie, c'est-à-dire qu'ils ont accentué la première
voyelle (fíer, zimíer, revíer, turníeren), ce qui est inconnu à l'ancien
français. Ils auraient agi de même à l'égard de l' italien s'ils en
avaient eu l'occasion. Le roman oppose à ce déplacement de l'accent
un procédé correspondant en prononçant spuóla ranc.h.allem. spúola.

2261. Le manuscrit d'Oxford dit à ce propos : Item, quandocumque aliqua
diccio incipiens a consonante sequitur aliquam diccionem terminantem in
consonante, in rationibus pendentibus, consonans interioris diccionis potest
scribi, sed in pronunciatione non proferri, ut
apres manger debet sonari
aprè manger (c'est-à-dire avec s muette).

2271. Bèze se sert déjà de l'expression ll molle.

2281. Sur cette notation (comme sur d'autres) de l et n mouillées on peut
voir Altrom. Glossare 67, 68, 124.

2292. On a de même en prov. cavayer pour cavallier. — Dans le Berry, d'après
la remarque de Bèze (p. 29), gl initial aussi est susceptible d'être
mouillé, gloire se prononce comme lioire. Mais ce gl se résout aussi en y :
yener = fr. glaner, yotton = glouton, voy. Voc. du Berry p. 56.

2301. Palsgrave remarque également cette prononciation de l'e nasal ;
mais il ne dit absolument rien de l'i ni de l'u nasal.

2311. L'ancienne orthographe ng dans ung, crieng, Meung pour un, crien,
Meun est moins probante. Le premier de ces mots reçut en effet cette
forme, au jugement des anciens grammairiens, parce qu'on craignait que
un pût être lu VII (vn). On retrouve cette distinction même dans des
chartes provençales du XVe siècle, par ex. HLang. IV, preuv. 423. — Un
troubadour se permet de comparer le français au grognement des
porcs :

A pauc Achiers no fo'n Fransa,
on parlon aissi com porcs rutz. GOcc
. 272.

Veut-il désigner par là le son nasal, ce qui nous rappellerait le vers
de Gœthe relatif à ces animaux : « Ils parlent tous du nez » ? Le napolitain
dit : « Il porco parla francese, » ce qu'on entend de la particule
affirmative oui (v. Vocab. napol. de Galiani, v. guitto) ; c'est là un joli
contraste avec le vers de Dante Nel bel paese là dove'l si suona. Il est
possible que le troubadour ait pensé lui aussi au oui français.

2322. On connaît l'orthographe anglo-normande aun pour an, oun pour
on, par ex. dans aunz, maunder, vaunter, count, noun (franç. nom). Il est
probable que dans ce dialecte on faisait entendre un léger u après a et o.
Palsgrave p. 3 et 9 veut qu'on prononce an et on avec diphthongaison
comme aun et oun, bien qu'il ne les écrive pas avec u. Le ms. d'Oxford
cité p. 415 dit de même : Item istæ sillabæ seu dicciones quant, grant,
demandant, sachant et hujusmodi debent scribi cum simplici n, sed pronunciatione
u debet proferri.

2331. Dans les mots qui ne sont pas romans, comme agnat, stagnation,
ignée, g a le son guttural ; dans signet il est muet. En vieux français
on trouve aussi digne avec un g muet, par ex. dans brigans dignes rimant
avec brigandines : DC. v. briga.

2341. Gachet 397 admet aussi que l'r de l'ancien français était sensible
dans la désinence er, mais se refuse à l'admettre dans ier, parce que
ier ne rime pas avec er. La raison de cette incompatibilité des deux
finales n'est point dans r, mais en ce que la diphthongue ie, en général,
ne rime point avec la voyelle e, quelle que soit la consonne qui suive.
Repairier rime donc avec avancier et même avec chasti-er, ubli-er, mais
non avec doner.

2351. Déjà dans les plus anciens manuscrits le t disparaît quelquefois,
par exemple mul pour mult dans Léger (ainsi que dans le fragment
d'Alexandre etc.), et dans Gottfried de Strasbourg , qui est une forme
encore plus raccourcie, et de tu le munde (Trist. 12564) ; de même ces
pour cest dans le Fragm. de Val. Ici se place une règle donnée par le
document de Londres : Quædam sillabæ pronunciatæ quasi cum aspiratione
possunt scribi cum
s et t, verbi gratia est, plest, cest etc. Le sens est
sans doute celui-ci : on entend seulement une sorte d'aspiration (un
allongement de la voyelle), mais on écrit étymologiquement st.

2361. Alsmos[nes] dans le Fragm. de Val. doit être une faute de copiste
pour almosnes, puisque l'intercalation d'une s entre l et m ne peut avoir
de raison d'être ni au point de vue grammatical ni au point de vue
prosodique.

2371. Dans le Livre de Job on trouve également une h là où on rencontre
ordinairement une s, ainsi dans maihnie, raihnable, ahnesse, blahme ;
mais comme ici elle ne se présente pas entre voyelles, l'h paraît être
un simple signe d'allongement, comme en allemand ou en ombrien
(Corssen I, 46), bien que le phénomène soit ici d'une tout autre nature.
Maihnie est d'ailleurs conservé par Gottfried de Strasbourg : deus sal le
roi et sa mehnîe
3257.

2382. Au lieu du z final le Fragm. de Val. écrit st : ireist = prov. iratz,
aveist = avetz, sost = sotz, tost = totz, et aussi seietst = siatz. De même
on lit dans les Poés. relig. p. p. P. Meyer crost pour crotz et beaucoup
d'autres exemples. C'est une transposition qui se présente pour d'autres
groupes dans les manuscrits, par exemple pour ht (voy. ci-dessus 375).

2391. Ce k était déjà suranné pour le document de Londres : item que
vel qui consuevit olim scribi cum k secundum usum veterem, sed secundum
modernos commutatur
k in q, exceptis propriis nominibus et cognominibus
v. g.
Kateryne de Kyrkeby.

2402. Mollissimum sonum habet pene consimilem sono litteræ s, d'après
l'opinion de Bouille p. 38. D'après Palsgrave il se prononçait précisément
comme s.

2411. Pass. de J.-C. 127 faça est un exemple plus ancien, si la leçon est
sûre.

2421. Palsgrave p. 38 recommande une prononciation plus douce -= uz,
excellent = euzellent, ce qui rappelle l'eis portugais.

2431. « Il est remarquable que le ş zend (prononcé comme le j français)
soit sorti quelquefois de la semi-voyelle y (prononcé comme le lat. j),
absolument comme le j français, dans beaucoup de mots, est sorti de la
semi-voyelle latine j. » Bopp, Gramm. comp. trad. Bréal, I, 109.

2441. La plus ancienne liste de ces mots est donnée par Palsgrave, qui
y place aussi hardillon, hélas, hober.

2451. Par exemple lorsque Bourdillon résout guiure, c'est-à-dire guivre,
en gujure. Comp. aussi l'ouvrage de Fallot p. 278, 574.

2462. De ce genre est aussi loverianz Dial. S. Grég. (Du Méril, Form.
p. 430), prononcez lovrianz = lat. lubricans. Suivant Du Méril ce serait
un mot celtique ou allemand.

2471. L'essence et les lois complexes du vocalisme valaque nous ont été
tout récemment (1868) exposées dans un travail approfondi de Mussafia
auquel j'aime mieux renvoyer une fois pour toutes que d'en citer des
extraits ou que de le dépouiller, ce qui serait difficile à faire. La
conclusion en est que, dans cette langue, la forme de la voyelle dépend
tout particulièrement de l'influence d'une consonne ou d'une voyelle
qui la précède ou qui la suit. Les flexions aussi sont soumises à ces
lois phoniques. Les exceptions ne sont pas rares.

2481. De même que ie apparaît à côté de ea, on s'attend à trouver uo près
de oa. Sulzer (Gesch. der transalpinischen Daciens II) écrit effectivement
duomnus, duomna, duomnischuora, duorm, puote, skuote, tuotzi (lat. toti),
uoll (olla), uopt (octo), uorb (orbus), wuorbe. Les deux diphthongues sont
en réalité plus voisines que ne le faisait supposer leur expression graphique :
un a prononcé obscurément dans oa mène facilement à uo, un
o prononcé clairement dans uo mène facilement à oa. On a quelque
chose de semblable en anc.-h.-all., où môd donne aussi bien muot que
muat et même moat. Mais cet uo valaque, qui est sans doute tout-à-fait
provincial, n'a pas pénétré dans la langue écrite.

2491. J'ai employé autrefois, avec d'autres, s pour rendre ce son, mais la
cédille mise au-dessous de l's est gênante pour ę et ų.

2501. Cette exposition (répétée ici) de la quantité provençale ne tend en
aucune façon à attaquer ou à affaiblir l'opinion exprimée par un philologue
pénétrant (voy. p. 363) d'après laquelle les expressions larc et estreit
se rapportent proprement à la qualité des voyelles et non à leur quantité.
Mais eu égard à l'importance du problème, il a semblé qu'il valait
la peine de réunir sous certains points de vue les exemples donnés par
les anciens grammairiens. Peut-être cette opinion se trouvera-t-elle par
là plutôt soutenue qu'ébranlée. — Milà y Fontanals aussi s'est prononcé
sur l'incertitude de la terminologie du Donatus prov. et desLeys (Trovadores
en Esp.
p. 460) et a notamment admis pour e et o que la distinction
entre la vocal larga et breve (estreita) exprime le rapport qui existe entre
abierta et cerrada.

2511. Parmi les grammairiens, Dubroca (Traité de prosodie franç., contenu
dans son Traité de la prononciation, etc. Paris 1824 p. 206 ss.) a cherché,
ainsi qu'on l'a observé plus haut, à approfondir les principes de la quantité
française, mais, à ce qu'il semble, sans succès. La longueur de la
syllabe devant s finale, par exemple, est pour lui la conséquence d'une
contraction antérieure, mais par contraction il entend ici la chute d'une
voyelle non point dans la syllabe longue mais dans la suivante, comme
dans lās de lass(u)s, corps de cōrp(u)s, ārts de art(e)s. Un pareil procédé est
contraire à toute expérience et est contredit aussi dans le domaine français
par le fait que la syllabe est longue aussi bien quand la voyelle n'a
pas été syncopée comme dans tu cēsses ou dans herōs et beaucoup d'autres
de ce genre. C'est de même par contraction (par chute de consonnes)
que la syllabe est longue pour lui dans dīre, boīre, faīre, rīre, plāire et
l'on accorderait cela encore plus volontiers que l'explication de la
voyelle longue dans barbāre, satīre par l'analogie de declāre, soupīre.
Mais il est facile de voir que le français tend à allonger la voyelle
devant un r suivi d'un e muet, de telle sorte que même le double r
n'est pas un obstacle à la longue. La plus faible de ses explications est
celle de la longue de la terminaison aille par l'it. āglia, paille, par ex.
par pāglia. Ce sont peut-être moins des principes qui ont contribué au
développement et au perfectionnement de la prosodie française que
des influences euphoniques déterminées par le temps et le hasard.

2521. Les voyelles intercalées ne sont pas susceptibles d'avoir l'accent.
Le provençal dit Lerída, mais ce n'est pas lui qui a introduit l'i, c'est
l'espagnol qui de Ilerda a fait Lérida.

2531. Des philologues français d'aujourd'hui sont sur ce point d'un avis
différent. Afin de sauver d'une exception la loi de l'accent, ils soutiennent
le passage immédiat du lat. ío (ou éo) au son composé fr. ieu, ce
dont il serait d'ailleurs difficile de citer un exemple. Mais il faut craindre
aussi d'être trop dogmatique. Les exemples français laissent encore
clairement reconnaître l'i latin devenu atone : gla-i-éul de glad-i-ólus, fil-i-éul
(écrit filleul) de fil-i-ólus. Seul un « atone est susceptible de produire,
comme dans le dernier exemple, un i palatal. Dans toutes les autres
langues sœurs le déplacement de l'accent est évident : or ce doit être
une maxime de maintenir, autant qu'il est possible, l'accord de la
famille tout entière, même à propos de faits d'une importance secondaire.
Le mieux sera donc d'admettre dans le latin d'une époque avancée
une forme filiólus, qui n'est pas plus étonnante que ariétem, pariétem.

2541. It. fiala (φιάλη) pour fíala doit peut-être se juger comme figluólo§ 2.

2552. Fazio, Dittam. 3, 3, emploie Verna pour Verona ; il est vrai que c'est
à la rime, mais ce n'est sûrement pas pour la rime, car ce mot aurait
été à peine compréhensible. Il faut bien plutôt voir ici une forme
populaire correspondant au grec Οὐήρωνα, comp. v.-h.-all. Berna.

2561. Voici encore une liste de noms propres dont l'accentuation pourrait
paraître douteuse à un étranger. Noms géographiques : it. 'Adige, Bérgamo,
Bórmida
(rivière), Cágliari (Calaris), Fríuli (dans Rosasco et d'autres,
ailleurs Friúli), Génova, 'lmola, Lípari, Mirándola, Módena, Mónaco,
Pésaro, Pontrémoli, Prócida, Résina. Rímini, Spálatro, Strómboli, Tamígi,
Tánaro, Tévere, Tívoli (Tibur), Túnisi, Trápani, 'Udine, Vigévano ; Alcámo,
Assísi, Basiléa, Céneda, Ceséna, Gaéta(Cajēta), Gargáno (montagne),
Mascáli, Nocéra, Novára, Terámo ; Corfù, Forlì. Esp. 'Agueda, 'Agreda,
'Alava, Alcántara, 'Avila, Cáceres, Córdoba, Écija, Évora, Guipúzcoa, 'Ibiza,
Lérida, Málaga, Mérida, México, Sepúlveda, Támaga (rivière), Támara (id.).
'Ubeda, Xátiva, Xérica ; Almería, Fuenterrabía, Cádiz, Florída, Guadalaxára,
Lisbóa, S.Lúcar, Setúval, Tánger ; Alcalá, Almenár, Aranjuéz (trisyllabique),
Argél, Avilés, Badajóz, Escuriál, Gibraltár, Guadíx, Guadalquivír,
Jaén, Palamós, Perpinán, Perú, Potosí, Teruél, Urgél, Xeníl, Xerés. —
Noms de personnes : it. Arístide, Brígida, Dávide et Davídde, Fóscari,
Gásparo, Dávila, Fóscolo, Tríssino ; Beccaría, Lucía, Rosalía, Gámbara, Leméne,
Straparóla. Esp. 'Alvaro, Brígida, 'Iñigo, 'Arias, 'Avalos, Góngora,
Zúñiga, Cristóval (Christophorus), Gonzálo, Argensóla, Lucía, Mencía, Rosalía,
Faría, García, Gambóa, Ullóa, Gonzága ; Boscán, Calderón, Cortés,
Ginés, Inés, Valdés, Luís, Guzmán, Mayáns, Solís. Les patronymiques,
comme Pérez, Narváez, Martínez ont l'e de leur finale atone.

2571. Cependant il dit aussi católic à côté de catolíc, de même gramática
(Jahrbuch
V, 408), et assurément aussi dialética, arismética (Tobler, Gœtt.
Anz.
1866 p. 1782).

2581. Voyez à ce sujet l'écrit de Gaston Paris, qui fait époque dans la
philologie française. De l'accent latin etc. p. 17.