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Grammont, Maurice. Dissimilation consonantique – T01

[La dissimilation consonantique]

Introduction

Il est d'usage dans certains pays que ceux qui présentent une
thèse la fassent précéder ou suivre du récit de leur vie. Ces autobiographies
ont presque toutes un trait commun : il n'en ressort
aucun fait saillant. Quelquefois pourtant on y lit avec intérêt comment
la vocation de tel savant s'est déclarée et comment depuis
cette époque il a fait ses études.

Les cinq noms qu'en témoignage de profonde reconnaissance
j'ai inscrit en tête de cet ouvrage représentent, par ordre chronologique,
les grandes lignes de mon éducation scientifique. Si j'en
avais ajouté cinq autres, j'aurais fait par le détail toute l'histoire
de mon initiation à la science des langues.

A une époque où les questions d'enseignement et de pédagogie
sont à la mode, certaines personnes seront peut-être curieuses de
savoir pourquoi l'auteur de cet ouvrage, au lieu de rester dans la
même ville et de suivre les mêmes professeurs, comme ceux que
l'on enferme dans une école ou que l'on rive à une faculté, a quitté
sans cesse, sans y être obligé, un maître pour un autre. C'est
qu'il fait une différence entre celui qui se destine à enseigner ce
qu'on lui aura appris à lui-même, sous une autre forme sans doute,
mais sans jamais rien changer au fond, et celui qui veut enseigner
du nouveau et en trouver lui-même. Ce dernier doit posséder une
méthode de travail, sans quoi il risque de perdre son temps à des
recherches vaines et de n'obtenir aucun résultat : c'est généralement
le défaut des autodidactes. Le moyen le plus simple d'avoir
une bonne méthode serait évidemment de s'approprier celle d'un
7maître. J'appelle maître en effet précisément celui qui a une bonne
méthode personnelle, et élève, que je distingue soigneusement
d'auditeur quelconque, celui qui est capable de saisir cette méthode
dans son commerce avec le maître et de s'en servir au besoin.
Mais comme chacun a sa personnalité, il est impossible de prendre
intégralement la méthode d'un autre : on risque d'en accentuer
les défauts et d'en atténuer les qualités. Pour se faire une méthode
personnelle, le meilleur paraît être dès lors de combiner par une
sorte d'éclectisme celles de différents maîtres.

Voilà les raisons qui m'ont déterminé à me diriger vers un nouveau
maître aussitôt que je croyais avoir saisi la méthode du précédent.

Entre temps j'avais entendu quelquefois MM. Victor Henry,
Louis Havet, Gaston Paris et Hermann Paul, que des occupations
trop nombreuses m'ont empêché à mon grand regret de suivre assidûment.
Qu'il me soit permis de leur témoigner ici ma gratitude,
car souvent une seule conférence ou une seule conversation peut
être un trait de lumière pour celui qui écoute un maître ou s'entretient
avec lui. Enfin j'ai suivi l'enseignement de M. Antoine
Meillet pendant qu'il suppléait M. de Saussure à l'École des hautes
études. Ce n'a pas été pour moi l'année la moins profitable.
Depuis cette époque M. Meillet s'est intéressé à mes travaux avec
une sollicitude toute fraternelle, dirigeant mes efforts, rognant les
ailes à mes hypothèses, et m'évitant autant qu'il est possible les
dangers de l'isolement scientifique. Mais étant de mon âge et de
mes plus intimes amis, il ne m'a jamais permis de le considérer
comme un de mes maîtres et ne veut pas que je voie en lui autre
chose qu'un camarade.

C'est après ces études que j'ai abordé ce sujet, l'un des plus délicats
de la linguistique. Pour un début c'était évidemment une
entreprise très hasardeuse. Si le travail est mauvais, cela prouvera
simplement que l'élève ne valait pas grand chose : il n'en saurait
8résulter, relativement à ce qui précède, aucune conclusion défavorable.

Le sujet n'est pas nouveau : tout le monde a parlé de la dissimilation ;
chacun en a rencontré des exemples et cité des cas, mais
personne n'a jamais établi ce que c'est que la dissimilation, dans
quelles conditions elle se produit et quelles en sont les lois. Il semble
qu'il y ait là une contradiction : si le phénomène de la dissimilation
n'est pas connu, comment peut-on en citer des exemples ?
C'est que sans savoir exactement ce qu'est la dissimilation, on en a
un vague sentiment : on sait par exemple que c'est le contraire de
l'assimilation. Quand on rencontre dans un mot deux phonèmes
qui présentent quelque caractère commun et que l'un d'eux
vient à subir une modification, on dit qu'il y a assimilation lorsque
le phonème modifié paraît être devenu semblable à l'autre, et quand
il est devenu (ou resté) différent on déclare qu'il y a eu dissimilation.
On possède ainsi, avec ces deux mots assimilation et dissimilation,
un moyen infaillible d'écarter quantité de faits dont ne
rend compte aucune loi connue. Mais un mot n'est qu'une étiquette,
ce n'est pas une explication. Il est d'ailleurs bien évident que si
l'on se détermine pour placer ces étiquettes par des caractères aussi
vagues que ceux que nous venons d'indiquer, on doit les mettre
souvent où elles ne devraient pas être. Aussi n'est-il pas rare de
trouver parmi les mots que l'on déclare dissimilés des exemples
qui se contredisent entre eux. Il est vrai que ces contradictions ne
paraissent avoir effrayé personne jusqu'à présent. C'est même pour
caractériser les cas de dissimilation qu'on a employé en phonétique
le nom « d'accidents ». Le mot est joli, mais il est bien peu scientifique ;
un accident au milieu d'une loi c'est une infraction et
seules les lois établies par les hommes peuvent en admettre.

Si les cas de dissimilation étaient extrêmement rares et absolument
isolés, on pourrait peut-être les considérer comme une quantité
négligeable ; malheureusement ils forment dans plusieurs langues
9un groupe assez considérable ; on pourrait donc être tenté de
les réunir pour nier la rigueur des lois et même leur existence, s'il
est vrai qu'eux du moins n'en reconnaissent aucune. Si l'on démontre
en effet qu'il y a dans la phonétique toute une catégorie de
faits n'ayant d'autre mesure que le caprice et le hasard, on sera
bien près d'avoir démontré que toutes les lois phonétiques qui font
l'orgueil de la linguistique moderne ne sont qu'une illusion et témoignent
plus de l'habileté de leurs auteurs que de la rigueur de
leur méthode, de leur science et de leur perspicacité. Mais si la
dissimilation elle aussi obéit à des lois, tout se tient dans l'édifice,
l'ensemble est complet et il ne reste plus qu'à parfaire les détails.

C'est pourquoi nous avons pensé qu'il valait la peine d'étudier
séparément le phénomène de la dissimilation, quel que dût être le
résultat de ces recherches.

Notre intention était primitivement d'étudier la dissimilation
seulement dans les anciennes langues indo-européennes. Nous
commençâmes par le grec, étant donné que la phonétique de cette
langue est particulièrement transparente. Mais nous reconnûmes
bien vite que le grec ne possédait guère de dissimilations qu'à la
basse époque et que les faits ne s'éclairaient pas mutuellement.
Nous passâmes au vieux slave qui ne nous apprit rien, si ce n'est
que la dissimilation lui est presque totalement étrangère. Le vieux
latin et le latin classique n'offrent que peu de faits et tous entachés
de l'obscurité qui règne généralement dans cette langue. Mais le
latin de la basse époque et surtout le latin vulgaire nous apportèrent
des cas de dissimilation absolument certains et dont plusieurs
s'accordaient entre eux. Ils s'accordaient aussi avec quelques-uns
des faits que nous avions rencontrés dans les autres langues indo-européennes.
Nous en tirâmes cette hypothèse que les conditions
dont dépend la dissimilation étaient peut-être les mêmes dans
plusieurs langues.

Mais dans quelques exemples du latin vulgaire la dissimilation
paraissait dépendre de l'accent d'intensité. Or l'accent d'intensité
10de plusieurs langues anciennes nous est inconnu ou mal
connu. Et pourquoi les langues romanes, qui sont sorties du latin vulgaire,
ne dissimileraient-elles pas de la même manière que
leur langue mère ? S'il en était ainsi notre étude pourrait être facilitée.
Non pas que le phénomène de la dissimilation fût expliqué
dans ces langues, mais au moins dans ce domaine nous ne rencontrerions
pas de difficultés telles que celles qui provenaient dans les
anciennes langues indo-européennes de notre ignorance fréquente
de la chronologie, de la place de l'accent d'intensité, ou de nos
doutes sur certaines étymologies.

Nous nous mîmes donc à l'étude des langues romanes avec l'intention
de nous en servir, si notre hypothèse se vérifiait, comme
d'un moyen pour mieux comprendre les langues indo-européennes.

Avons-nous été dupe d'une illusion et n'avons-nous fait que
transporter pendant plusieurs années notre erreur à travers nombre
de langues indo-européennes et romanes, c'est au lecteur à en
juger quand il aura parcouru les résultats de nos recherches que
nous allons lui soumettre immédiatement.11

Première partie
Les
lois de la dissimilation13

Nous conservons dans l'exposition des faits l'ordre dans lequel
nous avons été amené à faire nos recherches, c'est-à-dire que nous
commençons par les langues romanes ; mais nous avons tenu à garder
dans le titre de l'ouvrage un ordre qui rappelle notre but primitif.
Nous avons classé les faits d'après les positions relatives des
différents phonèmes qui entrent en jeu, et nous avons formulé une
loi pour chacune des positions différentes.

Pour bien comprendre ces lois il est nécessaire de se placer à
notre point de vue, c'est-à-dire de considérer la Dissimilation,
indépendamment de telle ou telle langue, en dehors et en quelque
sorte au-dessus des langues. Ce sont les lois de la dissimilation
dans les langues indo-européennes en ce sens que dans ces langues
la dissimilation ne se fait que conformément à ces lois. Leur formule
est la suivante : Quand deux phonèmes remplissant les conditions
voulues sont placés respectivement de telle manière, c'est
tel phonème qui est dissimilé.

Pour telle ou telle langue en particulier, ce qui n'est pas notre
point de vue, ces lois sont des possibilités ; elles sont la formule
suivant laquelle la dissimilation se fera, si elle se fait.

Les mots que nous citons comme dissimilés sont uniquement
des exemples de telle ou telle loi. Aussi n'avons-nous jamais cherché
à épuiser le trésor des mots dissimilés dans telle ou telle langue,
mais bien plutôt à citer des exemples semblables dans des
langues différentes. Notre mémoire n'a donc pas la prétention
d'exclure les monographies sur la dissimilation dans telle langue
ou tel dialecte ; au contraire nous espérons qu'il les suscitera et
15nous avons cherché à tracer la voie à ceux qui viendront après
nous.

Il y aura lieu de déterminer pour chaque langue quelles sont
les lois de la dissimilation qui y sont représentées ; quelles sont les
couples de phonèmes qui représentent telle loi ; quels sont les différents
produits de chaque couple de phonèmes. On devra distinguer
une loi phonétique pour chaque produit différent d'une même
couple dans la même loi, et chercher à déterminer, toutes les fois
que ce sera possible, à quelle époque cette loi phonétique est entrée
en vigueur et à quelle époque elle a cessé d'agir.

Avant de présenter les lois de la dissimilation nous croyons utile
d'indiquer quelques principes qui n'ont été pour nous que des
conclusions, mais qui pourront éclairer l'exposition du sujet :

Pour qu'un phonème puisse en dissimiler un autre, il faut
qu'ils possèdent tous deux un ou plusieurs éléments communs
.

Il y a dissimilation lorsque l'un des deux phonèmes fait
perdre à l'autre un ou plusieurs des éléments qu'ils possèdent
en commun
.

La dissimilation ne crée pas de phonèmes nouveaux, c'est-à-dire
inconnus à la langue dans laquelle elle se produit : si l'ensemble
des éléments qui restent du phonème attaqué, après la
dissimilation, ne constitue pas un phonème existant, il est remplacé
par le phonème le plus voisin que possède la langue ; si les
éléments qui subsistent ne sont pas suffisants pour constituer un
phonème, ils sont éliminés avec ou sans compensation.

La dissimilation est donc généralement partielle ; elle ne
peut être totale que si le phonème dissimilé appartient à un
groupe combiné ou est implosif
.

Il ne se produit pas de dissimilation quand l'étymologie
des différentes parties du mot est évidente pour le sujet parlant
.16

Définissons encore quelques termes qui reviendront fréquemment.
Nous appelons :

Groupe combiné tout groupe de consonnes qui précède ou qui
suit dans une même syllabe les éléments vocaliques. Quand un
groupe de consonnes n'est pas combiné, il est disjoint par la coupe
des syllabes.

Consonne combinée toute consonne qui fait partie d'un groupe
combiné.

Consonne implosive toute consonne, occlusive ou non, qui termine
une syllabe et précède la coupe. Un groupe combiné peut
être implosif.

Consonne explosive toute consonne, occlusive ou non (1)1 qui
commence une syllabe ; un groupe combiné peut être explosif.

Consonne appuyée toute consonne explosive qui suit immédiatement
une consonne implosive. Un groupe combiné peut être
appuyé, et alors chacun de ses éléments participe aux effets de
l'appui.

Régressif un phénomène qui a son point de départ vers la fin du
mot et son point d'arrivée vers le commencement.

Un phénomène progressif suit la marche inverse.17

I
Lois dépendant de l'accent d'intensité

(ces lois sont indifféremment régressives ou progressives)

Loi I
Implosive tonique dissimile implosive atone

Langues romanes

Latin vulgairealberga, albergo « auberge » de *arberg-,
cf. vha. heribërga (ital. albergo, prov. albercs, alberga, fr. auberge
= *alberge, v. esp. albergo, esp. albergue, port. albergue).

Italien — Frioul. mármul, árbul (Ascoli, Arch. glott. it., I,
516).

Milan. erbol « arbre ».

Pist. cortello « coltello » (d'Ovidio, Grœber's Gr., I, 535).

Campob., abruzz., v.vén. curtello (Meyer-Lübke, ital. gr., p.
163).

Milan. kortello (Meyer-Lübke, Gr. rom., trad. fr., I, 512).

Milan. porcinella « pulcinella » (Salvioni, Fonetica del dialetto
di Milano, p. 173).

Rhétorom. purscel « puceau », purscella « pucelle ».

Sopraselva buldonza, abuldonza = abondanza (Ascoli, Arch.
glottol. it., I, 66).

V. ital. vernullo de velnullo. L'ital. moderne veruno = *uel unu
paraît avoir pris à vernullo son r avec sa signification négative.18

Espagnol — mármol « marbre », árbol « arbre », carcel « prison »,
estiercol « fumier ».

V. esp. puncella, poncella « pucelle ».

Vieux catalan — punceyla « pucelle ».

Provençal — Alvernhe = Arvernicu (cité par Diez, Gramm.,
tr. fi., I, p. 206).

Pr. albir « avis », albir « je juge », albirar « juger ».

Portugais — arvol « arbre ».

Français — Auvergne = *Alvergne (cité par Diez, Gramm., tr.
fr., I, p. 206).,

V. fr. worpil' — *uulpiculu (cité par Diez, ibid., p. 189).

V. fr. sujurne de v. fr. surjurne « séjourne » (Suchier, le Français
et le Provençal
, tr. Monet, p. 56). Cet exemple est très contestable.

Fr. héberger de v. fr. herbergier, cf. vha. heribërga. Les formes
telles que héberge qui ont l'accent sur la syllabe ber tombent
seules sous le coup de la présente loi. C'est d'après elles que l'absence
d'r a été généralisée dans toute la conjugaison. D'ailleurs les
formes telles que herbergier, accentuées sur la finale pouvaient
perdre leur premier r par l'effet de la loi XX.

Fr. popul. carcul « calcul ». De carcul l'r a passé dans carculer.

Fr. popul. arcool « alcool ».

Fr. ( ?) Saardam, en holl. Zaandam. Le holl. ne connaît pas
la forme *Zaardam ; la dissimilation est due aux étrangers, particulièrement
aux Français, qui suppriment dans ce mot l'accent
d'intensité de la première syllabe pour ne garder que celui de la
dernière et le renforcer.

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Lemken (Galicie), marmun de *marmur
« marbre » (Werchratskij, Arch. f. sl. phil., XV, p. 55).19

Germanique — Vha. murmel de murmer, emprunté au lat.
murmur.

Vha. turtultûba et turtiltûba du lat. turtur (Bechtel, Ass. und.
diss., p. 40).

Vh. marmul, marmil du lat. marmor (Angermann, Diss. im
griech., p. 5).

Mha. mortel de morter = lat. mortarium (Bechtel, Ass. und
diss., p. 44).

Mha. kœrpel de kœrper = lat. corpor- (Bechtel, ibid., p. 43).

Mha. dœrpel de dœrper = isl.Þorpari « un habitant du village »
(Bechtel, ibid., p. 43).

Mha. martel de marter de vha. martira, martara = lat. martyrium
(Bechtel, ibid., p. 43.

All. balbíer « barbier ». Le mot a été emprunté par le n. h. all.
au français, mais la dissimilation est allemande.

Angl. marble, emprunté au fr. marbre, parait contredire la loi
XII si l'on ne considère que la forme écrite ; mais si l'on songe que
ce mot se prononce « marbel » on ne peut plus avoir de doute :
il tombe sous le coup de la loi I et lui obéit.

Arménien — M. Meillet me communique les exemples suivants :

eλbayr = lat. frāter ; -ayr représente phonétiquement -ātēr,
cf. hayr, mayr ; eλb- représente *bhr-. La métathèse est phonétique :
cf. khirtu « sueur », — artasowkh « larmes », all. thräne,
gr. δάχρυ.

aλbiwr « source », cf. φρέαρ.

Cette dissimilation ne se produit en arm. que devant b, cf. orkor
« gosier », erkir « terre », ardar « juste », etc. Mais c'est bien
un phénomène de dissimilation, car il n'y a pas de loi phonétique
d'après laquelle rb devienneλb, cf. sowrb « saint », orb « orphelin »,
arbi « je bus » (sorbeo), arbaneak « serviteur ».

Dans d'autres conditions nous trouvons en arménien un r dissimilé
devant une consonne autre que b et il disparaît totalement
par la dissimilation ; c'est20

1. Dans un mot emprunté : matowrn de μαρτύριον.

2. Dans un mot à redoublement : kokord = *korkord ( ?)
« gosier »

Commentaire I

r-r > l-r ou r-l | n-r ou r-n | 0-r ou r-0

Tels sont les traitements possibles de r-r. Nous ne donnons comme
traitements possibles que ceux pour lesquels nous avons des exemples.
C'est une remarque générale que nous faisons une fois pour
toutes. Dans le cas présent nos exemples épuisent la série des
traitements réellement possibles ; mais il est nombre de cas où
nous n'avons pas d'exemples représentant des traitements théoriquement
possibles. Ainsi nous signalons plus bas n-n devenant l-n
ou n-l ; il pourrait aussi bien devenir r-n ou n-r, et de même n-m
qui devient r-m pourrait aussi bien devenir l-m ou bien n-b ou
n-v. Nous n'avons pas rencontré d'exemples de ces traitements, ce
qui ne veut pas dire qu'ils ne puissent pas exister et même qu'ils
n'existent pas : nos dépouillements ont été fréquemment imparfaits.

r-r > l-r ou r-l. L'r tonique fait perdre à l'r atone la position
spéciale de la langue nécessaire pour prononcer un r, à savoir
l'extrémité vibrant contre un point de la ligne médiane du palais
tandis que le corps de la langue occlude tout le reste de l'orifice
buccal. Il reste une liquide qui n'a pas cette qualité, l'l, que l'on
prononce en faisant passer l'air sur les côtés de la langue par une
ouverture unilatérale ou bilatérale.

r-r > n-r ou r-n. Dans le traitement précédent il n'y a en somme
perte d'aucun élément ; l'ouverture par où l'air s'échappe est déplacée,
voilà tout. C'est de ce déplacement que naît la différence
de ces deux sons. Mais la liquide dentale peut sortir par une troisième
21place, par les fosses nasales. Dans ce cas elle prend une
qualité de plus, la nasalité. Le remplacement de l ou de r dissimilé
par n est assez fréquent, quoique plus rare que celui de l par
r ou de r par l.

r-r > 0-r ou r-0. Nous verrons au Commentaire II que la chute
totale par dissimilation d'une liquide combinée est un phénomène
tout naturel. La chute totale par dissimilation d'une liquide
implosive est un fait surprenant. Il est probable qu'en réalité la
dissimilation n'est jamais totale dans ce cas, mais qu'il reste à la
place du phonème dissimilé une sorte de souffle, qui disparaît peu
à peu avec ou sans allongement. Voir des preuves de l'existence
de ce souffle dans Rousselot, les modifications phonétiques du
langage
, p. 143-144, et Grammont, MSL, VIII, p. 344-345.

Le lat. vulgaire ne paraît connaître (1)2 pour r-r que le traitement
l-r ou r-l : alberga.

L'italien ne paraît connaître que ce même traitement : milan.
erbol, frioul. árbul.

Le milanais possède aussi la forme álbor qui doit son l à l'influence
de albus « blanc » (donc « le bois blanc ») et de albiùm
« aubier ». La même explication convient à albaròtt « bouleau »
(l'espèce principale de bouleau est la betula alba), et à àlbera
« populus tremula et populus alba ». La forme èlbor doit son l à
l'influence de àlbor, et èrbor n'est que le résultat du mélange de
èlbor avec èrbol.

L'ital ábero, álbaro est donné comme exemple de dissimilation
par M. Meyer-Lübke (ital. gr., p. 162). D'autres considérant la
forme et la signification du mot (il désigne surtout le « peuplier
noir » qui est un bois blanc) ont supposé un albulus qui lui aurait
donné naissance. Cette hypothèse n'est ni nécessaire ni vraisemblable :
ital. albero reçoit la même explication que milan. albor :
22il a été influencé par albo « blanc » et par alburno « aubier ».

Notre explication est confirmée par vha. albâri, mha. alber qui,
ne désignant pas d'autre espèce d'arbre que le « peuplier blanc »
a été évidemment emprunté, non pas à lat. arbore mais à une
forme romane, telle que ital. albero, qui possédait déjà l'l sous
l'influence de albus.

Disons encore en passant qu'en milanais la forme albiùmm
« aubier » doit son i à l'influence de biànch « blanc » ; cette
influence a même été assez forte pour lui faire perdre sa première
syllabe, d'où l'autre forme milanaise biùmm « aubier ».

Le mot milanais èrbol présente encore une particularité, c'est
son e initial : il est dû à l'influence de erba « l'herbe », erbol signifiant
autant « la plante » d'une manière générale que « l'arbre ».
Erbor et elbor doivent leur e à erbol. — Le mot milanais arboràri
« herboriste » (à côté de erboràri) présente le phénomème inverse
de èrbol provenant de *arbol. C'est au mot signifiant « arbre »
qu'il a pris son a initial, comme le fr. popul. arboriste « herboriste ».

Les mots italiens arbore, carcere, etc. sont demi-savants en ce
sens qu'ils ont été repris au latin ou refaits sur le latin.

Dans les mots italiens tels que marmo, sterco, Angermann croit
(Die Ersch. d. diss. im Griech., Leipzig, 1873, p. 5) que l'r final
est tombé par dissimilation. C'est une erreur ; comme l'a montré
d'Ovidio (Archivio glottol. ital., IV, 410) r et l finaux tombent régulièrement
en italien dans les polysyllabes : suora, cece, baccano,
tribùna, pepe, zolfo, etc.

L'espagnol ne paraît connaître pour r-r que le traitement l-r ou
r-l : árbol.

L'esp. mártir qui n'est pas dissimilé est un terme d'église refait
sur le mot latin.

Le provençal et le portugais ne paraissent connaître que le traitement r-r
> l-r ou r-l : prov. Alvernhe, port. arvol.

Les formes du verbe provençal albirar autres que l'infinitif et
23la première pers. sg. de l'ind. prés, doivent leur l à l'influence
précisément de albir et albirar.

Le français connaît pour r-r les deux traitements l-r ou r-l et
0-r ou r-0 : Auvergne, héberger. Ils tiennent à une différence de
dates : une loi phonétique ne peut pas être à double issue ; mais
elle peut, après avoir cessé d'agir, reparaître, les conditions qui
lui avaient une première fois donné naissance se représentant.
Rien ne l'oblige à produire les mêmes résultats la seconde fois que
la première. *Piātlom devient en ancien lat. piāclom, uetlum devient
enlat. vulg. ueclum : voilà deux lois, dont la période d'action
est séparée par un intervalle de plusieurs siècles, qui attaquent
un même groupe et lui font subir les mêmes modifications. Mais
piāclom devient en latin piāculum, tandis que ueclum devient
en italien vecchio : ce sont bien encore deux lois qui attaquent un
même groupe, mais elles lui font subir des traitements très différents.

Le dialecte de Lemken nous présente dans un mot. emprunté
le traitement r-r > r-n : marmun.

Les langues germaniques ne paraissent connaître pour r-r que
le traitement l-r ou r-l : vha. murmel, mha. mortel, all. balbier.

L'arménien connaît le traitement l-r ou r-l : elbayr.

l-l > r-l ou l-r | n-l ou l-n

l-l > r-l ou l-r : l'l tonique fait perdre à l'l atone la possibilité
d'une ouverture latérale. Le courant d'air s'échappe alors sur la
pointe de la langue, et la liquide qui résulte de ce changement
est un r.

l-l > n-l ou l-n : même commentaire que plus haut sous la
formule r-r > n-r ou r-n.

L'italien ne paraît connaître que le premier traitement : milan.
kortello, porcinella, v. ital. vernullo.24

L'ital. coltello est demi savant, c'est-à-dire refait sur le latin ou
repris au latin.

L'espagnol et le catalan ne paraissent connaître que le second
traitement l-l > n-l ou l-n : esp. poncella, v. cat. punceyla.

Le français ne connaît que le traitement l-l > r-l ou l-r : carcul.

n-n > l-n ou n-l

Sopras. buldonza. L'n tonique fait perdre à l'n atone la nasalité :
résultat l. On a dit que l'n est un d nasal ; dans ce cas nous devrions
attendre comme résultat d'un n dénasalisé un d. Mais cette
définition n'est pas exacte ; le d est une momentanée, l'n une
continue ; l'n possède deux éléments que n'a pas le d, la nasalité
et la continuité. S'il perd le premier de ces deux éléments, il
doit rester un phonème dental comme l'n et le d, sonore comme
l'n et le d, mais continu comme l'n et non momentané comme
le d : ce phonème c'est l'l. Si l'on tient à la définition que je
signalais tout à l'heure, on pourrait la corriger de la manière suivante :
l'n est un l nasal.

n-m > (l-m ou) r-m :

fr. Saardam. L'm tonique fait perdre à l'n atone la nasalité :
résultat l, comme dans le cas précédent. Nous verrons dans d'autres
lois de très nombreux exemples de n dénasalisé par m et
donnant l. Dans l'exemple qui nous occupe nous avons r. Ce produit
n'est pas exceptionnel, mais il n'est pas absolument normal ;
le seul que l'on doive attendre est l. Sans doute il n'y a pas une
très grande différence entre un l et un r, surtout entre certains
l et certains r ; la position de la langue est la même ; au
moment où l'on va prononcer un n, un d, un l, un r le centre de
pression se trouve contre la partie de la langue qui touche le palais,
c'est-à-dire contre la pointe de la langue. Or pour la prononciation
de l'r il faut que la pointe de la langue se détache du palais,
25tandis qu'elle y reste appliquée pour la prononciation de l'l comme
pour celle de l'n. Le changement d'état subi par la langue est
moins considérable s'il se forme une ouverture à côté de la langue
à un endroit où la pression est moindre, que si elle se forme à
l'endroit où la pression est la plus grande. Lorsque la liquide est
implosive, comme ici, un r peut souvent représenter un l : en sicilien
l implosif devant labiale devient r (Schneegans, Laute und
Lautentw. d. sic. dial., p. 124) ; à Damprichard almanach est
devenu èrmwònè ; dans le Bressan l implosif devient r devant
labiale et surtout devant m : Guillermo, armona « aumône »
(Philipon, Revue des patois, I, 23), parma « paume », charfô
« chauffer », marva « mauve », recourta « récolte », ôrmo
« orme », armana « almanach », sarvajo « sauvage » (Philipon,
Rev. d. pat., III, 46). — Il est inutile d'ailleurs d'insister
davantage à propos d'un mot qui n'appartient en propre à
aucune langue. Nous signalerons le fait quand nous le rencontrerons
dans des mots sur lesquels nous avons des données plus
précises, et nous reviendrons plus bas sur la question à un autre
point de vue (Obs.gén.).

Nous n'avons pas trouvé d'exemples de dissimilation dus à la
loi I en grec, ni en indo-iranien, ni en latin, ni en celtique.

Loi II
Le second élément d'un groupe combiné tonique dissimile le
second élément d'un groupe combiné atone.

Langues romanes

Latin vulgaire — Le mot fragrare « exhaler une odeur » est
fort intéressant à notre point de vue, car dans les formes du type
frágro, c'est le second groupe qui devait subir la dissimilation,
tandis que dans celles du type fragráre c'est le premier. Comme
26les formes de ces deux types appartiennent à une même conjugaison,
elles pouvaient réagir l'une sur l'autre de façon à supprimer
toute dissimilation, ou au contraire à combiner les deux dissimilations.
Cela fait pour ce mot quatre types dont nous pouvons espérer
de trouver des représentants dans les langues romanes :

α le second groupe est dissimilé : esp. fragante « odoriférant »,
qui est tiré directement du présent *frago.

β le premier groupe est dissimilé : prov. flairar, fr. flairer,
cat. flairar, port. cheirar, sard. flairare.

γ toute dissimilation est supprimée : sard. fragrare, ital. fragrante.

δ les deux dissimilations sont réunies : sard. fiagare.

Pourquoi le type β n'est-il pas *fagrare comme le premier est
*frago ? Cela pourrait tenir à une différence chronologique, qu'il
serait d'ailleurs impossible d'établir ; mais il est plus probable que
l'r sollicité par la dissimilation, au lieu de disparaître totalement
est devenu l sous l'influence de flare, l'odeur, l'émanation étant
considérée comme un souffle.

Italien — propio « propre », frate « moine » (Meyer-Lübke,
Gr.rom., I, 518).

It. drieto et dreto de de-retro (Caix, Studj di et. it. e rom.,
p. 189).

It. bravo de *brabrus (J. Cornu, Romania, 1884, p. 110 sqq.)

It. ghiado « couteau » de *ghiadio, chiesa « église » de *chiesia
(Caix, Rivista di fil. rom., II, p. 77, — Meyer-Lübke, Gr.rom., I,
513, — ital. gr., p. 143).

It. digiuno « ieiunium » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 353).

Espagnol — própio « propre » (et d'après própio :propiedád,
propietário).

Esp. criba, cribo, « crible » (et sur ce modèle :cribar, cribador).

Esp. madrasta « marâtre » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 518).

Esp. postrado « prostré » de *prostrado.27

Portugais — crivo « crible ».

Français — crible = cribru.

Dampr. crèl « crible ».

Fr. Brieulles (Meuse) = Briodurum. La dissimilation a dû se
produire à la phase *Brjodre.

Langues indo-européennes

Grec — θρέπτα à côté de θρέπτρα (F. de Saussure, MSL, VI, 78).
La forme θρέπτα nous est fournie par Quintus de Smyrne, Zénodote,
Hésychius, Eustathe ; c'est assez dire qu'elle est tardive et
que ses groupes sont combinés. Elle indique un accent d'intensité
sur l'initiale, coïncidant avec l'accent musical.

Attiq. δρύφαχτος « barrière en bois » = δρύφραχτος* (F. de Saussure,
MSL, VI, 78). Cette forme s'explique très bien avec un
accent d'intensité sur l'initiale, coïncidant avec l'accent musical.
Elle pourrait aussi s'expliquer au besoin par l'Observation générale
1°, cf. infra).

Grec mod. néolocr. χλιμετρίζω = χρηματίζω (Chalkiopulos, C.
St., V. 350).

Gr. βάτραχος ? Tout ce qu'on peut dire de ce mot et des mots
parents est tellement hypothétique qu'on voudra bien nous permettre
de n'en pas parler et de renvoyer aux articles de Bezzenberger
(Bezz. B., II, 190), — Roscher (C. St., IV, 189), — Fick
(Bezz. B., VI, 211), — Bury (Bezz, B., VII, 82), — De Saussure
(MSL, VI, 78).

Latin — præstigiæ de præstrigiæ (cf. Bréal, MSL, VIII, p.47).
On a encore præstrigiæ chez Cæcilius et præstrigiator chez
Plaute. La dissimilation s'est produite à une époque où l'accent
d'intensité était encore sur l'initiale, et elle a été possible parce
que le sujet parlant ne sentait pas la parenté du second terme de
ce composé.

Lat. crebui parfait de crebresco. On ne peut guère donner une
28date. Crebui a eu à toutes les périodes de la latinité l'accent sur
l'initiale. A l'époque ou crebresco l'avait sur la pénultième il n'est
pas devenu *cebresco à cause du voisinage de creber, crebui.
Mais à l'époque où crebresco était accentué sur l'initiale, s'il n'est
pas devenu *crebesco, c'est sans doute qu'on sentait le second r
de crebrem comme appartenant au thème ; ce sentiment a pu
changer : il est donc permis de supposer que crebui appartient à
la seconde période. Les formes crebesco et crebrui existent aussi,
mais sont extrêmement rares et dues selon toute vraisemblance à
l'analogie morphologique. Les formes livrées ont été rassemblées
par Bücheler dans Fleckeisen's Neue Jahrbücher, 1872, p. 114 sqq.
Quant à crebrem il ne pouvait perdre son second r à aucune
période : l'r final de creber le retenait, comme celui de frater le
retenait dans fratrem.

Lat. fragrare « exhaler une odeur » ; pour la double dissimilation
possible dans ce mot, voir plus haut le même mot en latin
vulgaire. Cette double dissimilation n'est possible qu'à l'époque où
l'accent d'intensité coïncide avec l'accent musical. On trouve déjà
flagrare dans Bœhrens, Catulle, II, 101, et fraglare dans Fronton,
V, 27, 34.

Lat. agrestis de *agrestris, cf. silvestris, terrestris, campestris,
rurestris (Schweizer-Sidler, Gr. lat., § 76). Cette dissimilation
paraît être de la même époque que celle qui a changé crebrui
en crebui ; l'accent d'intensité tombait sur la pénultième. Elle
n'a d'ailleurs été possible que grâce à l'existence d'adjectifs en -tis
en latin : fortis, potis, tristis, mitis.

Commentaire II

r-r > 0-r ou r-0. | l-r ou r-l.

Nous avons déjà explique au Commentaire I ces deux traitements.
Toutefois quelques explications supplémentaires sont nécessaires
29ici. Une liquide ou une semi-voyelle combinée a moins de
force et moins de durée qu'une liquide ou une semi-voyelle appuyée.
Prenons un exemple pour illustrer ce fait : on peut dire
d'une manière approximative que le ρ de πατ-ρός et le groupe tr de
pa-tris sont des quantités équivalentes, et en déduire, toujours
d'une manière approximative, que si l'on attribue au ρ de πατρός
la valeur 1, l'r depatris vaudra 1/2. Ces chiffres ne répondent
à rien dans la réalité, mais ce qui nous importe et qui est certain,
c'est que l'r de patris vaut moins que le ρ de πατρός. On comprend
dès lors très bien que lorsqu'un r combiné, c'est-à-dire incomplet,
subit une dissimilation, il puisse ne rien rester du tout à
sa place. Toutefois à priori cette chute totale de r combiné ne paraît
pas nécessaire. Nous avons vu (Commentaire I)
r-r devenir l-r ou r-l. Nous avons donc le droit d'attendre que
l'r combiné qui subit une dissimilation devienne l dans certaines
langues et à certaines époques. On pourrait même soutenir qu'une
consonne placée dans la position où est r ne disparaît jamais totalement
puisque la consonne qui précède ne vaut que 1/2 lorsque
l'r est combiné avec elle et vaut 1 aussitôt que l'r n'est plus là ;
mais il faudrait s'empresser d'ajouter que ladite consonne même
sans recevoir aucun appoint de l'r disparu ne saurait valoir moins
que 1 ; sa position l'y oblige.

L'italien, l'espagnol, le portugais, le grec ancien ne paraissent
connaître que le premier traitement : it. propio, esp. propio, postrado,
port. crivo, gr. θρέπτα.

Le français ne parait connaître que le second : fr. crible, Dampr.
crèl.

Le néolocrien de même : χλιμετρίζω.

Le latin les connaît tous deux, mais c'est à des époques différentes,
cf. supra : præstigiæ, flagrare, fraglare.

Les mots fr.prostrer, ital. prostrare, port., prov. prostrar n'ont
pas subi de dissimilation parce que le sujet parlant y sentait le préfixe
si fréquent pro-. Il est assez curieux que le même phénomène
30ne se soit pas produit en espagnol. Mais si l'on songe que postrado
signifie « humble, humilié », et qu'un mot signifiant « prosterné
derrière » ou « prosterné à côté » exprimerait à peu près aussi bien
l'idée demandée qu'un'mot signifiant « prosterné devant », on comprendra
que l'existence du préfixe post- ait pu permettre à la dissimilation
de se produire.

Les mots ital. proprio, fr. propre, esp. proprio, port. proprio
sont restés intacts grâce aux dérivés signifiant « propriété », « propriétaire »,
etc. dans lesquels c'est le second r qui était stable et le
premier chancelant, en vertu de la loi XIX. C'est pour les mêmes
raisons que le latin proprius n'avait pas été dissimilé.

Lat. praegredi a été retenu par ingredi, aggredi, etc.

On peut se demander pourquoi le latin possédant la loi II n'apas
fait *frātem de frātrem, comme l'italien par exemple. C'est que
l'italien ne possède que ce cas, tandis qu'en latin on avait frater,
fratris, fratri, fratre et le pluriel. L'r du nominatif ne retient
pas forcément un r aux autres cas ; mais il rend ce mot inséparable
pour la déclinaison de pater et de māter ; frātrem est donc retenu
par patrem et mātrem. Mais en italien le seul lien qui puisse réunir
ces trois mots est le lien sémantique, qui rend en effet padre
et madre inséparables, mais leur rattache d'autant moins frate
que ce mot signifie bien plutôt « moine » que « frère ».

Les mots grecs ἀχρόδρυα (Platon), ἀκρόπρωρον (Strabon), τρίχρανος
(Sophocle), etc. n'ont pu être dissimilés parce que chacun reconnaissait
leurs deux éléments. — Quant à κρέαγρα (Aristophane), le
second terme n'en était évidemment pas très clair, mais on le retrouvait
dant πυράγρα.

j-j > 0-j ou j-0

Même explication que plus haut pour r-r > 0-r ou r-0 : ital.
chiesa.

ž-ž > 0-ž ou ž-0

Même explication que pour 2 : ital. digiuno = *gigiuno,
c'est-à-dire *džidžuno.

Nous n'avons rencontré d'exemples de la loi II ni en indo-iranien,
ni en baltico-slave, ni en germanique, ni en celtique.

On a cité en vieux slave bratŭ « frère » à côté de bratrŭ et prostŭ
« allongé, droit, simple » de *prostrŭ (Miklosich, Et. Wœrt.,
p.321). Mais d'abord on ne comprendrait plus pourquoi bratrŭ aurait
subsisté ; d'autre part M. Hirt a montré (Idg. Forsch., II, 360)
que bratŭ représente vraisemblablement *bhrātōr. Bratrŭ devrait
alors son r aux anciens cas obliques de la déclinaison de ce
mot. Quant à bratĭja, bratrĭja leurs thèmes sont tirés respectivement
de bratŭ et bratrŭ. Enfin *prostrŭ repose sur une étymologie
fausse : c'est la racine de ἵστημι et non celle de στόρνυμι qui
entre en jeu dans ce mot (cf. J. Schmidt, Pluralbildungen, p. 346).

Loi III
Appuyée tonique dissimile appuyée atone

Nous n'avons pas rencontré de représentants certains de cette
loi. Cela n'a rien de surprenant : il y a très peu de mots où l'on
trouve deux fois la même liquide appuyée ; quand cela se rencontre,
c'est généralement dans un composé, comme gr. προπρηνής
(Hom.), τετράτρυφος (Hésiod.), et dans ce cas si chacun des membres
du composé reste reconnaissable pour le sujet parlant, aucune
dissimilation n'est possible.

Nous citerons pourtant :

homér. βλωθρός « haut, en parlant d'une plante » = *βρωθρος (Johansson,
KZ, XXX, 449).

Pour que cet exemple figure ici il faut admettre que dans ce mot
l'accent d'intensité coïncidait avec l'accent musical. C'est précisément
la dissimilation qui nous fournit cette indication.32

Loi IV
combinée tonique dissimile intervocalique

Langues romanes

Latin vulgaire — proda de prora (Grœber, Arch. f. lat. Lex.,
IV, p. 449) ; it. proda, gén. prua (d intervocalique tombe en génois,
tout comme r intervocalique), prov. proa, cat., esp., port.
proa. — Le fr. proue paraît emprunté au génois (G. Paris, Rom.,
IX, 486 et X, 42).

Lat. vulg. prudere de prurire (Grœber, Arch. f. lat. Lex., IV,
450) : ital. prudere, port., cat. pruir, prov. pruzer, pruir.

Lat. vulg. pelegrinu de peregrinum, ital. pellegrino, fr. pèlerin,
esp. pelegrino, vha. piligrîm.

Lat. vulg. palafredu de parafredum : it. palafréno, esp. palafrén,
fr. palefroi.

Italien — calabrone « bourdon » de lat. crabro (cité par Caix,
Studj di et.it. e rom., p. 186).

Frioul. ledrós = retrorso (Ascoli, Arch. glott. it., I, 516).

Ital.contrádio « contraire » (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 162).

Ital. brado de *brarus = *bravrus ; cf. pour l'explication de
ces formes J. Cornu, Romania, 1884, p. 110 sqq.

Espagnolfreile, fraile à côté de freire.

Français — Dampr. alūdròt « hirondelle ».

Langues indo-européennes

Grec — φλαῦρος= *φλαῦλος (Pott, Et. Forsch., 2, 100). Cette
forme est ionienne, fréquente chez Hérodote et Hippocrate ; rare
chez les écrivains attiques elle ne paraît pas appartenir en propre
à leur dialecte ; l'attique dit ψαῦλος. Nous ne connaissons pas encore
la place de l'accent d'intensité en grec, mais comme toutes
33les langues ont à la fois un accent d'intensité et un accent musical,
il est évident que le grec ne faisait pas exception à la règle. Nous
ne voulons pas faire ici d'hypothèse générale sur la place de cet
accent d'intensité en grec, mais nous constaterons que si l'on supposait
que dans un mot comme *φλαῦλος il pouvait être tantôt sur la
première voyelle, tantôt sur une autre, suivant les différents cas
de la déclinaison par exemple, φλαῦρος s'expliquerait parfaitement
avec l'accent d'intensité sur la première voyelle (loi IV) et φαῦλος
avec l'accent sur une autre (loi XVI).

Germanique — Vha. sprahhali de sprahhari « sprecher »
(Bechtel, Ass. und. diss., p. 41).

Vha. treseler « trésorier » (Bechtel, ibid., p. 44).

Latin tardif — menetrix « meretrix » (Non., II, 4). Cette dissimilation
est née aux cas obliques.

Baltico-slave — Lit. Gry'galis « Gregorius » (Bechtel, Ass. und
diss., p. 28).

Lit. drikelis « drücker an der thüre » (Bechtel, ibid, p. 28).

Lit. skry'bėlė « schreiber » (Bechtel, ibid., p. 28).

Lett. skrõdelis « tailleur » de skrõderis (Brugmann, Grr., I, 226).

Moyen breton — empalazres « impératrice » (MSL, VII, 200).

Commentaire IV

r-r > l-r ou r-l | n-r ou r-n | (d-r ou) r-d

r-r > l-r ou r-l, cf. Commentaire I, même formule.

r-r > n-r ou r-n, cf. Commentaire I, même formule.

r-r > d-r ou r-d : l'r dissimulant fait perdre un élément à l'r
dissimilé, à savoir la continuité. Il reste une dentale momentanée
sonore, c'est-à-dire d. Ce résultat n'est possible que si l'r dissimilé
n'était pas prononcé plus en arrière que les alvéoles ; un r vélaire
donne un produit différent.34

Le lat. vulg. connaît le traitement l-r : pelegrinu, palafredu et
le traitementr-d : proda, prudere. Il y a sans doute là une différence
de dates ; néanmoins il est bon d'observer que l'r qui devient
l précède l'accent tandis que celui qui devient d le suit : ce n'est
peut-être pas un pur hasard.

L'italien connaît les deux mêmes traitements et dans les mêmes
conditions' : calabrone, ledrós et contrádio, brado.

Le mot ital.prora « proue » est repris au latin. — Quant à contráro,
contrario ils s'expliquent suffisamment par la fréquence du
suff. -aro, -ario ; il est même curieux que la forme contradio ait
pu naître. — Les formes petriero = petrariu, vetriera = vitraria,
levriere = leporariu, etc. s'expliquent par la fréquence de
ce même suffixe -ariu.

L'espagnol, le français, le germanique, le baltique connaissent
le traitement l-r ou r-l : esp. fraile, Dampr. alū̬dròt, vha.
sprahhali, lit. skry'bėlė, lett. skrõdelis.

Le traitement n-r n'étant représenté que par lat. menetrix, il
n'y a pas lieu d'insister.

l-l > r-l ou l-r,

Cf. Commentaire I, même formule : gr. φλαῦρος.

Loi V
Combinée tonique dissimile implosive atone

Langues romanes

Italienalbitrare, albitraro, albitrario

Espagnolalbedrio, albidrado.

FrançaisCoussegrey (Aube) = Coursegreye = curtis-secreta
(Communiqué par M. A. Thomas).35

Commentaire V

r-r > l-r ou r-l, cf. Commentaire I, même formule. On peut
comparer à cette loi une loi de dissimilation vocalique en latin vulgaire :
u implosif atone est dissimilé par u tonique de la syllabe
suivante : agustu = augustum, asculto = ausculto, aguriu =
augurium, acupo = aucupo
.

Les mots it. albitro, albitrio doivent leur l à l'influence de
ceux que nous avons cités plus haut. Quant à arbitrario, arbitrare,
etc. ils sont repris au latin ; il faut remarquer d'ailleurs que
arbitrio, arbitro, etc. ne tombaient pas sous le coup de la loi.

Esp. arbidrado a repris son r à arbitro, arbitrarqui sont refaits.

Les conditions nécessaires pour l'accomplissement de cette loi
sont très rarement réunies.

Loi VI
Implosive tonique dissimile appuyée tonique

Français. — Saint-Sorlin (Ain, Charente-Inférieure, Drôme,
Isère, Rhône, Saône-et-Loire, Savoie) = Saturninus (A. Thomas,
Annales de la Faculté de Bordeaux, 1886, p. 314).

Moyen breton — unvan « égal » = *unman (E. Ernault,
MSL, VII, 480).

Moy. bret. tabarlanc « dais » de tabernacle, paraît reposer sur
*tabarnanc, cf. loi XIV palanche de panache (Id., ibid., p. 502).

Cette loi est fort peu représentée ; mais il faut noter que
Sorlin apparaissant dans sept départements, équivaut à sept
exemples différents. Elle est d'ailleurs attendue après ce que nous
avons déjà vu, et montre une fois de plus que dans une syllabe
36accentuée l'intensité ne commence qu'avec la voyelle quand la
consonne initiale est unique.

On trouvera plus loin, loi XIV, un certain nombre d'exemples,
tels que : ital. vembro, pad. lombro, v. esp. lombre, port. lembra,
etc. qui devraient figurer ici si c'est après consonne qu'ils ont
été dissimilés. Nous les avons placés sous la loi XIV, parce que
nombre d'exemples particulièrement réunis sous la loi VIII montrent
que dans les langues romanes le traitement d'une consonne
initiale est beaucoup plus fréquemment celui d'une intervocalique
que celui d'une appuyée. En réalité, les mots que nous venons
de signaler réunissaient les conditions nécessaires pour subir
une dissimilation aussi bien après finale consonantique qu'après
finale vocalique.

Loi VII
Implosive tonique dissimile combinée tonique

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Lit. glìnda « lente » de *gninda (J. Schmidt,
KZ, XXVI, p. 10) ; slov., bulg., serb. gnida, čèq. hnida, pol.
gnida, pet. russ. hnyda, russ. gnida ; vha. niz, holl. neet, ags.
hnitu, angl. nit ; gr. κονίδες, lat. lendes.

Polon. księga « lettre », v. sl. kŭn'iga.

Polon. ksiądz « prêtre », v. sl. kŭnędzĭ « prince ».

Celtique — V. irl. glún « genou » est rapproché par M. Collitz
(Oriental stud., p. 194, Boston, 1894) de sk. jānu, gr. γόνυ, lat.
genu, got. kniu ; sans doute avec raison. Il sortirait alors de *gnūnos
(thème en s) ; mais la dissimilation ne pouvait se produire qu'aux
formes où l'n terminait le mot. Il faudrait en outre en écarter gaul.
Glūno-māros ; il est vrai que rien n'est plus hypothétique que la
signification « aux grands genoux » ou « grand par les genoux », attribuée
37à ce nom. Une autre hypothèse est possible : v. irl. glún et
gaul. glūno- sont le même mot ; alors la dissimilation remonterait
à la période de l'unité celtique et se serait produite dans des cas
où l'accent était sur la finale nos : c'est la loi XVI qui l'aurait produite.

Germanique — Vha. bior, ags. beór « bier » = *breura-, cf.
vha. briuwan « brauen » (Brugmann, Grr., I, 223).

Commentaire VII

r-r > 0-r, cf. Commentaire I, formule r-r > 0-r ou r-0.

n-n > l-n, cf. Commentaire I, formule n-n > l-n ou n-l.

n'-n > s'-n : pol. księga, ksiądz. Ces exemples m'ont été
proposés par M. A. Meillet. Voici l'explication à laquelle nous
nous sommes arrêtés d'un commun accord : księga et ksiądz sortent
respectivement de *kŭnjęga et kŭnędzĭ qui devaient donner
en polonais sans dissimilation *knięga et *kniądz. La nasale n'
s'est assourdie après k, cf. v qui devient de très bonne heure f
après t en polonais, par ex. tforzec (graphie attestée dès le
moyen âge), v. sl. tvorĭcĭ « auctor » ; cf. d'autre part sur l'assourdissement
d'une sonore faisant partie d'un groupe combiné dont
le premier élément est une occlusive sourde, les observations d'un
professeur aveugle (L. Havet, MSL, II, 218 sqq.) et celles de
M. l'abbé Rousselot (Les changements phonétiques du langage,
p. 57 sqq). Si l'on songe qu'aujourd'hui encore les voyelles nasales
du polonais ne sont pas identiques à celles du français, mais
se terminent par une légère consonne nasale, soit ęn, ąn, on
comprendra facilement que la nasale combinée n' ait pu perdre
sa nasalité par dissimilation. Or un n' sonore perdant sa nasalité
serait devenu j ; un n' sourd dans les mêmes conditions doit devenir j
sourd, c'est-à-dire à très peu de chose près le ch de l'all. ich ;
c'est précisément le s' polonais.38

Księga et ksiądz font inévitablement songer à giąc', v. sl. gŭnąti
« courber », qui en est d'ailleurs rapproché par Miklosich (Vergl.
gr. d. sl. spr., 1879, p. 540). La question est très différente ; giąc'
n'est pas le produit d'une dissimilation, comme le montrent gnębic'
« presser », mot absolument isolé, et wnętrz « l'intérieur » ;
giąc' a été formé analogiquement sur le présent gnę d'après piąc' :
pnę ? (v. sl. pęti : pĭną « j'étends »), ciąc' : tnę. (v. sl. tęti : tĭną
« je coupe »), począc' : pocznę (v. sl. počęti : počĭna « je commencerai »),
etc.

La loi VII est assez peu représentée parce que les conditions
qu'elle exige sont rarement réunies. Elle est toujours régressive,
mais cela ne tient qu'au hasard de la position respective des phonèmes
qui entrent en jeu et non à sa nature propre.39

II
Lois indifféremment régressives ou progressives
ne dépendant pas de l'accent d'intensité

Loi VIII
Explosive appuyée, combinée ou non, dissimile explosive
intervocalique

Langues romanes

Latin vulgaire — cinque « cinq » de quinque ;it. cinque, prov.
cinc, fr. cinq, cat. cinch, esp., port. cinco.

Lat. vulg. cinquaginta « cinquante » de quinquaginta : it.
cinquanta, prov. cinquanta, fr. cinquante, cat. chiquanta, esp.
cincuenta, port. cincoenta.

Lat. vulg. coliandru de coriandrum ; esp. culantro, milan.
colander (Salvioni, Fonetica del dialetto di Milano, p. 191), sic.
cughjandru de coliandrum (Schneegans, Laute und lautentw. d.
sic. dial., p. 141). Les formes avec r telles que fr. coriandre sont
savantes. — La dissimilation dans ce mot est probablement
grecque.

Lat. vulg. radu « rare » de rarum. C'est le traitement après
consonne ; après voyelle c'est le premier r qui devait être dissimilé,
en vertu de la loi XVII. Lat. vulg. radu est représenté par
ital. rado et v. esp. rado. Esp ralo, Val Soana ral (Nigra, Arch.
glott. it., III, 32) sont nés indépendamment dans les deux domaines
d'un raru repris au latin. Ralu est postérieur à radu mais ne
40peut pas sortir de radu. Quant aux formes qui présentent les deux
r elles sont reprises au latin : it. raro, fr. rare. L'a du français
suffirait à indiquer que cette forme est purement savante.

Italien — Palermo = Panormus (Diez, Gramm., I, 217).

It. licorno = *nicorno de unicornis. Le fr. licorne est emprunté
à l'italien.

It. megliaca « abricot » = armeniaca (Caix, Studj di et. it.
e rom., p. 188). C'est le traitement après consonne, que la dissimilation
se soit produite alors que la syllabe ar n'était pas encore
tombée, ou qu'elle se soit produite après des mots terminés par
consonne. On peut songer à une autre explication : l'n de armeniaca
serait devenu l sous l'influence du mot mela « pomme »,
et ce mot mela n'aurait pas peu contribué à la chute de la syllabe
initiale ar.

It. scarmigliare « écheveler » de carminare (Meyer-Lübke,
ital.gr., p. 163).

Napol.vammana = mammana (D'Ovidio, Grœber's Grr. I, 535).

Lucq. bignoro = mignoro « mignolo », bignatta = mign-.
Pieri, qui cite ces deux mots (Arch. glott. it., XII, p. 120), dit de
leur b « non ha importanza ».

It. novero « nombre ». M. Ascoli (Studj critici, II, 266) explique
novero par *nõvero < *nombero ; il prend pour modèle gámbaro
= cámero
. Cette explication tombe d'elle-même si l'on considère
que gambaro n'est pas devenu *gavero. M. Meyer-Lübke
voit avec raison une dissimilation dans novero (ital. gr., p. 163) :
le v est le résultat ordinaire de la dissimilation d'un m par n. Novero
est forcément le traitement après consonne (il novero), car
après voyelle le résultat eût été *lomero, conformément à la loi XVII.

Sopraselva nember « membrum » (Ascoli, Arch. glott. it., I,
p. 70).

Padou. *nimbri = membri ; *nimbri n'existe pas, la forme
padouane est limbri qui sort de *nimbri ; cf. limbri loi XIV.

Espagnol — alambre « cuivre » de v. esp. arambre.41

Esp. lirio « lis » (Baist, Grœber's Grr., I, 703) sorti de lilio
après consonne : el lirio.

Esp. nispero « nêfle ».

Esp. niembro « membrum » (Baist, Grœber's Grr., I, 702).

Esp. nembrar « memorare » (Baist, Grœber's Grr., I, 702).

Esp. mentira « mensonge » de mentida (cf. catal. mentida).
Cette dissimilation a pu être favorisée par le mot mentir.

Catalan, Provençal — Cat. vorm, prov. vorma. Ces deux
formes sont sorties par diss. d'un type *mormo, commun au cat.-prov.
et à l'esp.-port. (esp. muermo, port. mormo) et né par assimilation
du lat. vulg. morvus pour morbus (fr. morve, bergam.
morvà, sic. morvu). Cf. Grœber, Arch. f. lat. lex., IV, 121).

Portugais — mentira « mensonge ».

V. port. nembra « memorat » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p.512).

V. port. Lormanos « Normanni » (Diez).

Français — nappe = mappa.

Fr. nèfle = mespilu.

Fr. popul. lormal de normal.

Langues indo-européennes

Baltico-slave — pol. niedz'wiedz' — mied- (Miklosich, Vergl.
gr. d. sl. spr., 1879, p. 543), — čèq. nedvēd de medvēd (Miklosich,
ibid., p. 508).

Russ. busurmán « musulman », v. russ. besermeninŭ (Miklosich,
ibid., p. 478).

Russ. Bochmit « Mahmet ».

Pet. russ. skolozdryj de skorozdryj « qui mûrit vite ».

Pet. russ. kol'andra « coriandre ». La dissimilation dans ce
mot n'est probablement pas russe ; elle était sans doute déjà faite
quand il a été emprunté.

Bas sorab. nalpa « singe », polon. malpa.

Grec — φλαῦρος = *φλαυλος (Pott, Et. Forsch., 2, 100).42

Gr. λύθρον (F. de Saussure, MSL, VI, 77).

Gr. κμέλεθρα, μέλαθρον paraît bien être sorti de *χμερεθρα
quand on en rapproche χαμάρα, lat. camera, camurus. Ce n'est
pourtant pas certain : les suffixes peuvent n'avoir rien de commun.

Gr. μολοβρός (hom.) de *μοροβρός, cf. ἀμορβός (Fick, Bezz. B.,
II, 187).

Gr. κυβερνάω, cf. cypr. κυμερῆναι, lit. kumbryti « diriger un
navire ».

Gr. λάρναξ =νάρναξ κιβωτός Hés.

Gr. λίκνον « corbeille sacrée, van » de *νίκνον, cf. Hés. νεῖκλον, νίκλον
qui sont formés avec un autre suffixe (S. Bugge, C. St., IV, 335,
— G. Meyer, Gr. gr., § 169, — P. Kretschmer, KZ, XXIX, 442).

Gr. λικμητήρ « vanneur » qui glose chez Hés. νεικητήρ. Μεγαρεῖς.
— Εὐλίκμητον qui glose chez Hés. Εὐνίκμητον ; cette dernière forme
a pu être retenue par νίκλον, νεῖκλον, νίκειν, etc. — Λικμᾶν « vanner »
glosé chez Hés. par νίκειν (S. Bugge. C. St., IV, 335).

Gr. λίστρον = ῥίστρον·πτύον Hés. (F. de Saussure, MSL, VI, 78).

Gr. κολίανδρον = κορίανδρον (F. de Saussure, ibid.).

Gr. κροκόδειλος = *κροκόδειρος ( ?) (F. de Saussure, ibid.).

Eléen Χαλάδριοι de Χαράδρα (Brugmann, Hdb. d. klass. altertumswiss.,
I, 44).

Attiq. Ὀλυττεύς. Il semble résulter du travail de M. P. Kretschmer
sur les inscriptions des vases attiques (KZ, XXIX, 430-435)
que Ὀλυττεύς serait la seule forme vraiment attique et que Ὀδυσσεύς
appartiendrait en propre au dialecte épique.

Grec mod. : Bova (colonie grecque en Calabre) fermíka
« fourmi » (μερμήγκα). Morosi, qui croit y voir, à tort, une influence
du latin formica, note l'f aussi par ν (Arch. glott. it., IV, 24). À
Roccaforte (même région) on a, d'après lui, la forme vermici,
qui tranche nettement la question contre lui.

Latin — hībernus = gr. χειμερινός. L'ĕ de la seconde syllabe
disparaît parce qu'il est suivi d'au moins deux mores (A. Meillet,
43Rev. bourguignonne, V. p. 224) ; l'i de la troisième syllabe précédé
de r disparaît pour une autre raison (A. Meillet, ibid., p. 227), en
sorte qu'à une certaine époque nous avons *hīmṛnos qui devient
hīmernos comme *incritos est devenu incertus par l'intermédiaire
de *incṛtos. Puis *hīmernos devient hībernus par dissimilation.

Lat. formica « fourmi » de *mormīca, cf. gr. μύρμηξ.

Lat. formīdō de *mormīdō, cf. gr. μορμώ.

Lat. Lăra « la déesse bavarde » = *Lăla (L. Havet, MSL, VI,
113). Cette dissimilation n'est possible qu'à condition que l'l initial
soit appuyé, cas assez rare. Aussi une autre hypothèse est-elle
permise. Lăra serait un autre mot que *Lala et présenterait le suff.
ro, comme gr. λῆρος « bavard ».

Sindh. limmu, cf. sk. nimbas (Brandreth, The gaurian and the
romance languages, dans Journal of the royal asiatic society, XI,
303).

Gaulois — Cebennom « Cévennes » paraît être le même mot
que ligur. Κέμμενον. Il aurait fort bien pu sortir en effet d'une
forme *Cemennom.

Commentaire VIII

Qu-qu > c-qu

qu-qu > c-qu : le qu appuyé fait perdre au qu intervocalique
son élément vélo-labial : reste k ou c. Les nombreux exemples
cités sous cette loi VIII pour une consonne initiale dissimilée nous
montrent que dans les langues romanes le traitement après voyelle
est beaucoup plus fréquent pour une consonne initiale que le traitement
après consonne. Les mots tels que cinque nous montrent
en outre que l'intensité due à l'accent ne commençait pas avec la
consonne initiale de la syllabe tonique, et que le qu latin n'est pas
assimilable à un groupe combiné, car lorsqu'un groupe combiné
commence une syllabe tonique, l'intensité due à l'accent commence
44avec le second élément du groupe combiné ; cf. à ce sujet les
lois II, IV et V.

Mettant à part les mots à redoublement nous n'avons rencontré
la dissimilation qu-qu > c-qu qu'en latin vulgaire.

r-r > l-r ou r-l | d-r ou r-d

Pour le premier de ces deux traitements cf. Commentaire I,
pour le second cf. Commentaire II,

Nous n'avons rencontré le second qu'en latin vulgaire : radu.

Le premier existe-t-il en latin vulgaire ? C'est douteux, car coliandru
peut n'être autre chose que le mot gr. κολίανδρον. En tout
cas l'espagnol le connaît : alambre. Il n'y a pas lieu de s'arrêter
aux mots espagnols tels que sombréro « chapeau », carrera « carrière,
rue »qui n'ont pas été dissimilés, bien que se trouvant dans
les conditions requises par cette loi : l'extrême fréquence du suffixe
ero, era dans letmoms d'agent, d'instrument, etc., empêchait toute
dissimilation de se produire dans ce suffixe.

Le petit russe nous a fourni l'exemple skolozdryj, et le grec en
connaît plusieurs : λύθρον, μολοβρός, λίστρον, κολίανδρον etc. Les mots
tels que κ ἀκροπόρος (hom.), ἀνδροβόρος, ἀνδροβαρής, etc. ont échappé à
la loi parce que chacun reconnaissait aisément les deux termes
du composé. Πυράγρα a été retenu par πῦρ, κριτήριον par les autres
mots en -τηριον qui désignent un instrument ou un moyen :
βαπτήριον, ὀπτήριον, ἐργαστήριον, σημαντήριον, φυλακτήριον, etc.

l-l > r-l ou l-r

Cf. Commentaire I, même formule.

Nous n'en avons rencontré d'exemple qu'en espagnol, en grec et
en latin ; encore l'exemple Lara est-il très douteux (cf. supra).

Les mots tels quegr. ἀλίπλοος (hom.) ont été retenus par la clarté
de leur formation ; ceux tels que lat. malleolus de même, si toutefois
cette dissimilation existe en latin.45

n-n > l-n ou n-l

Cf. Commentaire I, même formule. Nous n'en avons rencontré
d'exemples qu'en italien : licorno et en grec : λάρναξ, λίκνον, etc. Les
mots grecs tels que ἀιένυπνος, ἄ ναγνος, ἀνάεδνος, ἀναπνέω, etc. n'ont
pas subi de dissimilation parce que les deux termes de ces composés
sont très clairs.

m-m > b-m (ou m-b) ou bien v-m (ou m-v)

L'm appuyé fait perdre la nasalité à l'm intervocalique ; il reste
un ν bilabial ou b continu. Ce nouveau phénomène ne peut rester
intact que dans les langues qui le possèdent ; les autres le remplacent
instantanément par ce qu'elles ont de plus voisin, à savoir
tantôt par ν labiodental, tantôt par b momentané.

En laissant de côté les formes à redoublement nous n'avons
rencontré d'exemples de ce traitement qu'en russe : busurmán,
en catalan vorm, prov. vorma. Encore ce dernier mot peut-il être
considéré comme un mot à redoublement. Il est bon que nous le
citions néanmoins ici et avec lui lat. formīdo pour pouvoir expliquer
dès maintenant le traitement de m dénasalisé.

m-n | n-m |> α m-l, β v-n ou b-n ; | α l-m, β n-v ou n-b

Ces deux traitements ont déjà été expliqués. Presque toutes les
langues présentent le traitement α : it. Palermo, scarmigliare,
v. port. Lormanos, fr. popul. lormal, gr. λικμητήρ, sindh. limmu ;
plusieurs connaissant aussi le traitement β : Lucq. bignoro, it. novero,
lat. hībernus, gr. κυβερνάω. Ce qui est important, c'est que la
dénasalisation de m ou de n parait être étrangère à certaines langues :esp.
limosna, lat. Panormus, Sulmona, carminare, nummus,
etc.

En latin hībernus ne fait aucune difficulté, mais formīca, formīdō
46nous ont longtemps arrêté. Pourquoi f et non v ou b ? (car
l'f de fermika à Bova paraît bien n'être qu'un v, cf. supra).
M. Osthoff (MU, V, 84) pense que hībernus est sorti de *hibrinos,
et tūber de *tubros = *tumros. C'est l'm qui serait devenu b devant
r. Mais le passage de m à b devant r est inconnu dans les langues
indo-européennes, et ce qu'on attend d'après les langues
romanes, le grec, le sanskrit, l'irlandais, etc., c'est que mr devienne
mbr. Tous, les br initiaux sortant de mr s'expliquent en
effet très bien dans n'importe quelle langue par mbr. Si *himro
est devenu *himbro on ne s'explique pas du tout (comme l'a fort
bien remarqué M. Johansson, KZ, XXX, 443 sqq.) pourquoi l'm
serait tombé ; cf. umbra, exemplum. On ne s'explique pas non
plus comment hĭmriserait devenu *hībri. Il ne reste qu'une explication
possible : hībernus < *heimernos dissimulé. Tūber à côté
de tŭmor n'est pas une objection ; ces deux mots ont des suffixes
différents, comme glŏbus à côté de glŏbus (Per Persson, Wurzelerweiterung,
p. 55). Mais comment se fait-il qu'un m dénasalisé
devienne f à l'initiale : formīca, formīdō. Cette difficulté a suggéré
à M. A. Meillet l'observation suivante : « On sait que les phonèmes
connus sous le nom, sans doute très impropre, de sonores
aspirées indo-européennes, sont devenus en italique f (bilabial),
Þ, χ ; l'intermédiaire pour aboutir à f, Þ, χ a été presque
nécessairement β, δ, γ (b, d, g continus) ; au moment où
la langue possède le b continu, la dissimilation de *mormi- en
*βormi- avec la spirante bilabiale β est parfaitement régulière
[cf. supra 5°], et ce β devient ensuite f comme celui de *βerō
qui est devenu ferō. — Dès lors on peut se demander si hībernus
ne repose pas sur *χeiβernos (avec b continu) ; ce β aurait
passé à f, puis serait redevenu b continu et enfin b momentané,
comme celui de lubet. — Par là est rendue probable l'existence
de b continu comme représentant italique de i.-e. bh,
et par suite l'indépendance de l'assourdissement italique en f
et de l'assourdissement hellénique en φ. »47

m-b, m-p, m-v > n-b, n-p, n-v :

La labiale appuyée, b, p, v, fait perdre à l'm intervocalique
l'élément labial ; il reste une nasale continue non labiale, c'est-à-dire
n : Sopras. nember, esp. nispero, niembro, nembrar, fr.
nappe, nèfle, pol. niedz' wiedz', čèq. nedvēd, bas sor. nalpa.

Nous n'avons pas rencontré ce traitement en dehors des langues
romanes et des langues slaves.

t-d > t-r.

le t appuyé fait perdre au d intervocalique la momentanéité, qui
est remplacée immédiatement par la continuité, d'où r : esp.,
port. mentira.

d-t > l-t.

Même phénomène que 8° ; le résultat est l au lieu de r ; tous
deux sont approximatifs : att. Ὀλυττεύς.

Loi IX
Combinée appuyée dissimile combinée non appuyée

Langues romanes

Espagnol — fiambre de frio (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 518).

Provençal — ganre « beaucoup » = granre (communiqué par
M. A. Thomas).

Français — est et ouest penre « prendre » (Meyer-Lübke, Gr.
rom., I, 518).

Dampr. pē̬r « prendre ».

Commentaire IX

r-r > 0-r ou r-0, cf. Commentaire I, même formule. Le mot
48penre est fort curieux à côté de prends, prenons, prenez ou
prentes, etc. ; il montre que la dissimilation peut être quelquefois
plus puissante que l'analogie morphologique ; néanmoins dans
le fr. prendre, c'est cette dernière qui l'a emporté.

Loi X
Appuyée non combinée dissimile appuyée combinée

Langues indo-européennes

Grec — ἔκπαγλος « étonnant, terrible » de *ἔκπλαγλος Le mot
est homérique ; il présente donc une coupe de syllabes entre le γ et
le λ. Et les deux consonnes πλ forment un groupe combiné. Il n'y
a en effet que deux cas où Homère connaisse les groupes combinés :
1° lorsque le mot ne pourrait pas entrer dans le vers si son
groupe était disjoint, ἁδροτῆτα, δράκων, προσαυδάω, etc. ; 2° lorsque
le groupe occl. + liq. est précédé de la coupe des syllabes : c'est
le cas de *ἔκπλαγλος.

Commentaire X

l-l > 0-l ou l-0, cf. Commentaire II, formule r-r> O-r ou r-0.
L'explication est la même.

Ces deux dernières lois (IX. et X) ne sont en somme que d'autres
formes de la précédente. Elles sont très peu représentées
parce qu'elles exigent des conditions assez rares. Quand ces conditions
sont réunies, c'est généralement dans un mot composé
dont les deux termes sont très clairs, comme hom. ἀνδράγρια.

Loi XI
De deux consonnes séparées par la coupe des syllabes,
l'explosive dissimile l'implosive

Langues romanes

Italien. — urlare = ululare (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 162).

It. zirlare à côté de zinzilulare (Caix, Studj di et. it. e rom.,
p. 187).

It. alma = anima (Ascoli, Arch. glott., it., I, 65).

Sopras. olma = anima (Ascoli, ibid).

Sic. arma = anima, armali = animali. Dans ces deux exemples
l'r peut représenter un l, car en sicilien l devant labiale devient
r ;cf. Schneegans, Laute und Lautentw. d. sic. dial., p.
124.

V. gén. merme, mermanza = minim- (Flechia, Arch. glott.
it., X, 152).

Milan. armella diminutif de anima (Flechia, Arch. glott.it.,
II, 376).

Rhétor. armal « bœuf ».

Espagnol — alma = anima.

Andal. cormigo = conmigo, ermienda (Meyer-Lübke, Gr.
rom., I, p. 438).

Esp. mermar, merma de minim-.

Portugais. — alma = anima.

Port. almalho « jeune bœuf ».

Provençal — arma = anima (Diez, Gramm., I, p 217).

Prov. mermar, mermaria de minim-.

Français — hurler =ululare.

V. fr. arme = anima (Diez, Gr., I, 217).

V. fr. aumaille = animalia (Diez, Et. Wœrt., 513).50

V. fr. merme = minimu (Diez, Gr., I, 217).

Dauphin, arme = anima, armaille = animalia, amerman
= *adminimante
(A.Devaux, Essai sur la langue vulg. du Dauphiné,
p. 346). Cet r peut représenter l, car dans le Dauphiné l
implosif devant labiale devient r, quelquefois se vocalise (Id. ibid.
p. 337-338).

Bourberain kėvnaw « communaux », šenwḗ « cheminée » sorti
de *ševné (Rabiet, Revue des patois gallo-romans, III, p. 47).

Dampr. č et ğ > š et ž devant toute dentale (Voir pour les détails
de la question notre étude sur le patois de la Franche-Montagne,
MSL, VII, 471 sq.). Cette dissimilation se produit même si la rencontre
n'a lieu que syntactiquement : mèšlò « petit marteau », rèštā
« racheter » mwòš te čē̬dal « mouche-toi », pèžnà « pardonner »
žnèl « poule », žnīvr « genièvre » žnū̬j « genou » cwòžlò « petit
cordeau », ṓždœ « aujourd'hui », pwò l èmwòž dǖ « pour l'amour
de Dieu », ǫ vwaci ž dǖ « en voilà déjà deux ».

Gasc. daune = domna (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, § 486).

Roumain — amn devient aun : daun = damnu, scaun =
scamnu
 ; mais omn reste intact : somn = somnu (Meyer-Lübke,
Gr. rom., 1, §486).

Langues indo-européennes

Baltico-slave — V. sl. krǔćǐbǐnǐkǔ « caupo » de krǔčǐma
« ivre » (Miklosich, Vergl. gr. d. sl. spr., 1re éd., I, p. 196). Le ĭ
dans cette position ne se prononçait déjà plus au Xe siècle.

Slov. mn > vn : s plavnom gorêti, lakovnik, vnogo, vnožina
(Miklosich, Vergl. gr. d. sl. spr., 1879, p. 348). Déjà au XVIe siècle
on trouve vnoge p. *mnoge (Jagic', Arch. f. sl. phil., IV, p. 487).

Slov. gubno à côté de gumno, v. sl. gumǐno (Miklosich, Et.
Wœrt., p. 81).

Slov. spobnati se de spomniti se (Miklosich, Vergl. gr. d. sl.
spr., 1879, p. 348).51

Bulg. stovnu, tevna mǔgla (Miklosich, Vergl. gr. d. sl. spr.,
1879, p. 380). Il faut noter qu'en bulgare vn devient quelquefois
mn : mnuk de vnuk, ramni dvorove, sǔmni « il fait jour » (Id.
ibid.).

Serb. gúvno à côté de gumno (Miklosich, Et. Wœrt., p. 81).

Serb. duvno de dumno, obravnica de obramnica, tavnik, golijevno
de golijemno (Miklosich, Vergl.gr.d. sl. spr., 1879, p.415).

Russ. dial. guvno= russ. gumno.

čèq. písebne de *pisemne, upr'íbny' de uprímny' qui existe dialectalement,
dial. darebny' de daremny' (Miklosich, Vergl. gr.d.
sl. spr., 1879, p. 508).

Lemken (Galicie) grivnica, pol. gromnica « cierge » (Werchratskij,
Arch. f. sl.phil., XV, p. 67).

Lemk. kuvnata de kumnata (Id. ibid.).

Serb. -čǐt->-št- : zamaštati « incantare » cf. mŭčĭta, poštenje
« honor » = -čĭt-, što = čǐto (Miklosich, Vergl. gr. d. sl. spr.,
1879, p. 421).

Slov. -čt- provenant de -čĭt-, devient -št- : štirje : četyrije,
štrti : četvrŭtyj, ništer : ničĭtože « nihil » (Miklosich, Vergl. gr.,
1879, p. 358).

Slov. -čĭst- > -št- ; vraštvo : vračĭstvo(Miklosich, Vergl. gr.,
1879, p. 358).

V. čèq. mlajši de mlazši, sejžen de sežžen, pójčiti de póžčiti,
zejspánie de *zez(e)spanie (Gebauer, Arch. f. sl. phil, IV, p. 558).

V. čèq. zajžen de *zažžen, slajši de *slazši, bojsky' de *božsky',
matijce de *matičce, pol. wiejski de wies'ski, génit. ojca de
*oc'ca, ojczyzna de *oc'czyzna, plajca de *plac'ca, zdrajca de
*zdradz'ca, wyjrzéc' de *wyz'rzéc', dojrzaly de *doz'rzaly, haut
sorab. bojski, kn'ejski, serbo-croat. nojca de noc'ca, Protivin
dojžáru de *do žğáru par l'intermédiaire de *dožžaru, zejžáru
de *ze žğára par l'intermédiaire de *zežžaru, vejžár'e de *ve žğ-,
pr'ejzimu de *pres-zimu, bejsebe de bez-sebe (Gebauer, Arch. f.
sl.phil., III, p. 77).52

čèq. (dial. de Pilsen) šnodlik de šnorlik, khédl de l'all. kerl,
vadle de varle (Prusik, Arch. f. sl. phil., II, p. 705).

Lemken (Galicie) vidničky de vinničky « groseille », de vinnyj
« amer », — nizil'nyj palec de *nizinnyj de *mizinnyj « le petit
doigt », v. sl. mēzinŭ « minor », — syl'nik de *synnik « paillasse »,
de sēnĭnŭ + ikŭ, — godil'nik de *godinnik « montre »,
de godinĭnŭ + ikŭ, — veretiurnica de *veretiunnica « orvet »
(Werchratskij, Arch. f. sl. phil., XV, p. 62).

Germanique — Après voyelle brève portant l'accent germanique
j et w intervocaliques se redoublent (Streitberg, PBB, XIV,
179 sqq ; voir la bibliographie dans Noreen, Abriss d. urgerm.
lautl., p. 160) et deviennent jj, ww. Ce jj devient en vieux norrois
ggj, en gotique ddj, en germanique occidental ij ; et ww
devient en v. norr. et en got. ggw, en germ. occ. uw : gén. got.
twaddjē « deux », v. isl. tueggia, vha. zweijo, cf. sk. dváyōs, —
got. daddjan « sucer », v. suéd. dœggia, cf. sk. dháyāmi, —
v. isl. hoggua « frapper à coups de hache », vha. houwan, ags.
héawan, cf. lat. cūdō « je frappe », v. sl. kovą, « je forge », —
got. triggws « fidèle », v. isl. acc. triggwan, vha. treuwa, triuwa
« fidélité », — got. glaggwus « clair », v. isl. gloggr, vha.
glouwēr, — got. skuggwa « miroir », v. isl. skuggsiá « id. »,
vha. scūwo « ombre ».

Germ. mn > bn avec b continu (b barré). Quelquefois mn > mm
par assimilation ; les conditions de ce double traitement ne sont
pas encore connues, cf. Noreen, Abriss d. urg. lautl., p. 140, 2 et
p. 157, 5. Voici quelques exemples du premier traitement, le seul
dont nous ayons à nous occuper ici : v. isl. dat. sg. hifne « ciel »,
ags.heofon, v. sax. heban (avec f, b barré généralisé d'après les
cas où il y avait primitivement contact de l'm avec l'n), — ags.
stefn « voix », v. fr. stifne, got. stibna, — v. isl. nafn « nom »,
v. suéd., run. nabn.

V. norr. erlendis « étranger » de *ellendis, vha. elilenti (Bechtel,
Ass. und diss., p. 44).53

V. isl. ll > ddl, nn > ddn (n. isl. dtl, dtn) : faddla « fallen »,
hoddn « horn » (Noreen, Paul's Grr., I, p. 471). Pour le n. isl.
cf. P. Passy, Etude sur les changements phonétiques, p. 200).

Le changement de germ. hs en ks dans les dialectes germaniques
où il se produit est dû à une dissimilation : ochs (oks),
fuchs (fuks), sechs (seks) à côté de recht dont le ch reste spirant.

Grec — Hés. κάμβαλε· κατέβαλεν, — Hés. καμβολίαι· κακολογίαι,
λοιδορίαί, — Hés. καμβατηθείς· καταπονηθείς (Les Delphiens disaient
βατεῖν pour πατεῖν, d'après Plutarque). — Hom. E, 343, M, 206,
ζ, 172, ρ, 302, etc. κάμβαλεν, παρακάμβαλον, etc. (Angermann, Die
Erscheinung der dissimilation im Griechischen, Leipzig, 1873, p.
11. — Voir sur cette question W. Schulze, KZ, XXXIII, p. 366 sqq).

LatinCarmen, germen. On a donné de ces deux mots différentes
explications ; M. Ceci revient dans ses Appunti glottologici,
p. 14 à *casmen qui est phonétiquement impossible comme
l'a montré M. Meyer-Lübke dans le compte-rendu des Appunti
qu'il a publié dans les Ind. forsch. M. L. Havet avait repris
(MSL, VI, 31) les anciennes étymologies *canmen, *genmen. Elles
s'expliquent en effet très bien par cette loi de dissimilation. On ne
saurait objecter sérieusement, gemma dont l'étymologie est inconnue ;
car s'il est certain que germen signifie uniquement « bourgeon,
rejeton, jeune pousse », ce qui s'explique fort bien avec une
étymologie *gen-men, gemma signifie aussi et surtout « pierre
précieuse, perle » et ce pourrait bien être son sens primitif.

Gallois — Colovn de columna (Loth, Annales de Bretagne,
VII, 108).

Commentaire XI

ll > rl | ddl

Pour le premier traitement cf. Commentaire I, formule l-l >
r-l (ou l-r). Ce traitement est très peu représenté parce qu'il ne
54se produit pas sur ll primitif ; il faut que les deux l aient été séparés
par une voyelle : it. urlare, fr. hurler de ul(u)lare ; mais
nullu devient it. nullo, fr. nul. C'est au moment où la voyelle
tombe que le phénomène se produit, en sorte qu'on pourrait à la
rigueur le classer dans la loi XVII. V. norr. erlendis se trouve dans
les mêmes conditions.

Le second traitement ll > ddl est limité à quelques dialectes
norrois. Celui-ci s'attaque à n'importe quel ll : v. isl. faddla. Le
second l fait perdre au premier la continuité, d'où d. La graphie
faddla indique une coupe des syllabes fad-dla ; le second d n'est
autre chose que l'explosion du d implosif retombant sur l'l, comme
le δ de ἀνδρός est l'explosion du ν retombant sur le ρ ; (sur l'élément
explosif des implosives, cf. A. Meillet, MSL, VIII, p. 303-304,
— sur le δ de ἀνδρός cf. V. Henry, Rev. crit., XXXVI, 332).
Ce qui indique nettement que notre interprétation est exacte, c'est
la graphie moderne dtl.

nn > ddn | dn | ln | rn

Le premier traitement s'explique comme le dernier que nous
venons d'étudier : l'n explosif fait perdre la continuité à l'n implosif ;
il doit rester une dentale sonore occlusive et nasale ; la langue
ne possédant pas de dentale occlusive et nasale, la nasalité tombe du
même coup, d'où d : v. isl. hoddn.

Le second traitement ne diffère du premier que par la graphie :
Lemk. vidničky.

Dans le troisième et le quatrième traitements c'est la nasalité
que perd l'n implosif ; on peut donc attendre comme résultat soit
l, soit r. Lemken nous montre ces deux produits : syl'nik, veretiurnica.55

rl > dl : Pils. šnodlik

L'l fait perdre à l'r la continuité, d'où d. Ce traitement est important,
parce qu'un l ne peut quelque chose sur un r (et vice
versa) que s'il est en contact immédiat avec lui ou n'en est séparé
que par une occlusive.

nm > lm | rm

Le premier produit est le plus normal et souvent le second peut
être considéré comme sortant du premier, cf. Commentaire I,
traitement de n-m. Néanmoins la simple dissimilation peut aussi
produire le second directement ; c'est surtout affaire de dates et de
dialectes. Ces deux traitements sont largement représentés dans
les langues romanes : it. alma, Sopras.olma, esp. alma, v. fr. aumaille,
sic. arma, v. gén. merme, andal. cormigo, esp. mermar,
prov. arma, v. fr. arme, dauphin, arme. Dans les langues indo-européennes
nous n'avons rencontré que lat. carmen et germen ;
encore notre interprétation de ces deux mots n'est-elle pas très
sûre.

mn > vn | bn

Cf. Commentaire VII, traitements de m-m et de m-n. L'n est
une dentale, l'm une labiale ; ces deux phonèmes ont un élément
commun, la nasalité. Ils en ont d'autres, la continuité, la sonorité,
qui leur sont également communs ; mais il n'y a pas chance que
ces éléments agissent l'un sur l'autre et nous n'avons dès lors pas
à les considérer. L'n fait perdre à l'm la nasalité : il reste un phonème
bilabial continu, c'est-à-dire v bilabial ou ce qui revient
au même b continu. Les langues qui ne possèdent pas le v bilabial
le remplacent par v labiodental ou par b momentané.

Ce traitement est largement représenté en slave et en germanique.
Le germanique qui possédait le v bilabial présente le traitement
56attendu théoriquement : v. isl. hifne, ags. stefn, got.
stibna, v. suéd. nabn. Les langues slaves ont remplacé le v bilabial
par v ou par b ; slov. vnogo, gubno, bulg. stovnu, serb. guvno,
russ. dial. guvno, čèq. písebne, Lemk. grivnica.

De même qu'en germanique il y a un autre traitement de mn,
à savoir mm, il y a en slave un traitement ml. Ce traitement apparaît
dans les mêmes dialectes que le précédent, mais postérieurement ;
ainsi en slovène vn est connu depuis le XVIe siècle et nous
avons un exemple de bn en vieux slave ; ml ne se montre que plus
tard. Ce second traitement n'est pas dû à une dissimilation, car une
consonne appuyée ne peut pas être dissimilée par celle qui lui
sert d'appui. Il repose sur un changement dans la coupe des syllabes ;
à l'initiale c'est le traitement après consonne : croat. mle,
mlae, cf. v. sl. mene, mĭnè, — croat. mlaeǔ, mlaela de mǐnêlǔ,
mǐnêla, — croat. mletci de benetci, bnetci, mnetci (Miklosich,
Vergl. gr. d. sl. spr., 1879, p. 348), — bas sorab. mlogi de *mnogi
(Miklosich, ibid., 1re éd., I, p. 508), — bulg. mlogo « beaucoup »
de mnogo (Miklosich, ibid., 1re éd., I, p. 288), — serb. mlogo,
mletak, mlim à côté de mnogo, mnetak de bnetak, mnim (Miklosich,
ibid., 1re éd., I, p. 325-326), — serb. mlêahu « putabant »,
mliti (Mikl. ibid., 1879, p. 415). A l'intérieur, c'est de même le traitement
après la coupe des syllabes, en groupe combiné : slov.
gümlo, sumljiti se (Mikl. ibid., 1879, p. 348), — serb. cümla de
cümna (Mikl. ibid., 1re éd., I, 326), — serb. pomlja, sumlja,
sumliv (Mikl. ibid., 1879, p. 415). Quant à russ. blín « beignet »,
lit. blynai, slov. mlinci, ils ne présentent aucune dissimilation :
le b est le développement naturel qui apparaît entre m et l et l'm
tombe à l'initiale, comme dans bladoj, bolodoj de mladoj, molodoj,
comme dans gr. βροτός.

Dans les autres langues indo-européennes et dans les langues
romanes ce traitement est assez rare : roum. daun, gasc. daune,
Bourberain kėvnaw. Il est facile de comprendre en effet que mn
ne puisse pas devenir bn dans une langue comme le latin par
57exemple où bn devient mn : scamnum = *scabnum. En gascon
et en roumain le v bilabial a été remplacé par w qui s'est vocalisé ;
à Bourberain il a été remplacé par v labiodental, qui n'est pas
vocalisable.

jj > ddj : got. twaddjē | ggj : v. isl. tueggia

On sait que lorsqu'une occlusive est intervocalique comme le p
dans apa la coupe des syllabes n'est pas à proprement parler devant
le p, mais dans le p : « bei Verschlusslauten fællt die Druckgrenze
in die Zeit zwischen Verschluss und Explosion » (Sievers,
Phonetik, 1893, p. 194). Le p est essentiellement explosif, mais
ses premiers éléments constitués par l'occlusion et précédant l'explosion
sont implosifs. La notation exacte de apa serait donc ap pa.
Il en est de même lorsque la consonne est une continue : le point
où le canal buccal est le plus resserré correspond à l'occlusion ;
aja est en réalité aj ja.

C'est ce qui nous explique les produits de j intervocalique considérés
ici. Sous l'influence de l'accent l'élément implosif du j
explosif devient une implosive complète, d'où jj. Le j implosif
devient i en vha, ce qui est le traitement le plus commun, cf. prov.
paire « père » sorti de patre par l'intermédiaire de *pajre (pour
le passage de patre à *pajre, cf. Nyrop, Zeitschrift f. rom. phil.,
III, p. 476). Ce traitement n'est pas nécessaire ; il peut se faire que
le j implosif reste une spirante, comme dans le fr. le soleil se
lève
(sòlèj se) ; èj n'est pas moins une diphtongue que ei, mais
c'est une diphtongue dont le second élément est une consonne
comme la diphtongue ατ de l'homérique πατρός. Ce second traitement
est celui du gotique et du vieux norrois pour une époque
préhistorique ; le groupe jj n'a pas subsisté dans ces langues : le
j explosif a fait perdre par dissirnilation au j implosif l'élément
continu ; il est resté une occlusive sonore se prononçant à la même
place que précédemment le j, à savoir en norrois un g palatal, et
58en gotique un d parce que sans doute dans cette dernière langue
le j s'était prononcé plus près des alvéoles qu'en norrois. Les graphies
ggj, ddj sont fort curieuses : elles nous indiquent la coupe
des syllabes après le premier g, d, et le second g, d n'est que l'élément
explosif de l'implosive, retombant sur la syllabe suivante ;
cf. supra les graphies ddl, ddn du vieil islandais.

ww > ggw : got. triggws, v. isl. triggwan

Même commentaire que pour jj devenant ggj, seulement g sortant
de w est, forcément vélaire et non palatal.

χs > ks : all. seks.

La spirante s fait perdre l'élément spirant au χ qui la précède,
d'où k.

ββ > μβ ; hom. κάμβαλεν < κάββαλε < *κάδβαλε
< *κατβαλε.

Angermann pense qu'il y a là une dissimilation. Le phénomène
est plus complexe : une fois la phase ββ obtenue par assimilation,
le β explosif fait perdre par dissimilation au β implosif l'occlusivité ;
il devient alors b barré. Cette phase intermédiaire est dépourvue
de durée ; il survient aussitôt le même phénomène de préparation
qui a produit φίντατος (voir à la table) : l'occlusion labiale
nécessaire pour la prononciation du β explosif se produit dès le moment
où le b continu va être prononcé ; ce dernier n'a plus qu'une
ressource pour rester continu, c'est de sortir par le nez, d'où μβ.

10° č et ğ > š et ž devant dentale à Damprichard : mèšlo,
pèžnà.

Le č et le ğ sont des phonèmes combinés composés d'un élément
dental et d'un élément chuintant. La dentale qui les suit fait tomber
l'élément dental.

En serbe et en Slovène č > š devant t : serb. što, slov. štirje.
Le phénomène est le même.59

11° zs > js, >  : v. boh. zejspánie, mlajši.

Nous avons montré dans les Mémoires de la Société de Linguistique
(VIII, p. 331, 337, 347) que le z comprend un élément palatal
en même temps qu'un élément dental. Suivi d'une dentale ou
d'une dento-palatale il perd son élément dental : il reste un phonème
palatal continu, c'est-à-dire j.

žž >  : v. boh. sejžen, — žč >  : v. boh. pójčiti, — žs >
js : v. boh. bojsky', — čc> jc : v. boh. matijce, — c'c > jc : pol.
ojca, — s's > js : pol. wiejski, etc., s'expliquent d'une manière
analogue.

Loi XII
De deux consonnes séparées par une occlusive
l'explosive dissimile l'implosive

Cette loi n'est qu'une autre forme de la précédente, mais il est
bon de les distinguer pour la clarté de l'exposition.

Langues romanes

Latin vulgaire — veltragus = gaul. vertragos. On a la forme
veltraus au VIe siècle dans Legis Burgundionum additamentum
primum
, c. 10, la forme veltris dans la Loi salique dont la rédaction
est attribuée à Charlemagne, Lex emendata, c. 6, § 2, la
forme veltrus dans la Loi des Alamans, t. 82, art. 4 (H. d'Arbois
de Jubainville, Les noms gaulois chez César et Hirtius, p. 161 sqq.) :
ital. veltro, fr. viautre.

Italien — V. mil., v. gén., v. vén. meltrix (Meyer-Lübke, ital.
gr., p. 162).

Alghero (Sardaigne) abra « arbre », mabra « marbre », dimecras
« mercredi » (Guarnerio, Arch. glott. ital., IX, p. 341).60

Espagnol — Beltran « Bertrand » (cité par Diez, Gramm., tr.
fr., I, p. 289).

Esp. medrar — meliorare. Melrar est devenu *meldrar, puis,
l'l étant dissimilé par l'r, medrar.

Esp. cacho (calculum), macho (*marculum) « mâle », macho
(marculum) « marteau », sacho (sarculum) sont cités avec raison
par M. Baist (Grœber's Grr., I, p. 706) pour avoir perdu l, r par
dissimilation. Cicercha (cicerculam) dont il parle au même endroit
a repris ou gardé son r d'après cicerico, cicercala, etc.

Catalan — dimecres « mercredi ».

Provençal — albre « arbre ».

Prov. esrabre, erabre « érable ».

Français — V. fr. aubre (Amis, 572) = albre = arbre (Meyer Lübke,
Gr. rom., I, 512).

V. fr. maubre — malbre = marbre.

Tarn daltre (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p. 512).

Ariège malbre (Meyer-Lübke, id. ibid.).

Dampr. malbr « marbre » mot savant, inconnu des paysans et
employé uniquement par les enfants pour désigner certaines billes
blanches.

V. fr. abre, mabre, mécredi étaient formes correctes aux XVIe et
XVIIe siècles.

Fr. la Bèbre, affluent de la Loire, s'appelait autrefois Berbera
(H. d'Arbois de Jubainville, Recherches sur l'origine de la propriété
foncière
, p. 258).

Fr. érable = *acr-arbore qui devait donner tout d'abord *érarbre,
puis par la dissimilation considérée ici *érabre. Comment
*érabre est-il devenu érable ? M. Fass (Rom. forsch., III,
492) pense qu'il y a eu influence du suffixe -able. Cette explication
est tout à fait admissible ; mais on peut songer à une autre :
érable sort régulièrement de *érabre par dissimilation
(loi XVI).

Dampr. œzrṑl « érable » a subi les mêmes transformations que
61fr. érable. Sa finale -able est très ancienne puisqu'elle a été traitée
de la même manière que celle de tabla > tṑl « table ».

Dampr. mūdr « mordre », pādr « perdre », ābr « arbre », tātr
« tarte », ūdr « ordre », mḗcği « mercredi » = mḗcėrdi = mḗcrėdi
= mèrcrėdi.

Lyonnais : dimecro, sotre (sortir), padre, modre ; mais 1re pers.
sorto, mordo, etc.

Pral. (vaudois de Piémont) dimēkre « mercredi » (Morosi, Arch.
glott.it., XI, p. 346).

Dauphin, ābro, mābro, mṑdre, chṑtre « sortir » pḕdre, pedrī,
Abrets = *Arborittum (A. Devaux, Essai sur la langue vulgaire
du Dauphiné, p. 333).

Bourberain ābr « arbre » ; r qui tombe devant br, persiste devant
b : ārb « herbe » (Rabiet, Rev. d. pat. gallorom., III, 44).

Fr. able « petit poisson » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 518) =
albulu (Hatzfeld, Darmesteter et Thomas, Dict. gén.de la langue fr.).

Fr. dial. chail « caillou » = calculu (Hatzfeld, D. et Th., Dict.
gén.).

Dampr. saš « cercle », cvḗš « couvercle ».

Langues indo-europeennes

Baltico-slave — Lit. bembrotas « soupe à la bière » = bas all.
beerbrot ou beeronbrot « hier und brot ».

Russ. verbljud « chameau » =v. sl. velĭblądŭ (Bechtel, p. 28).

Grec — βέθρον « gouffre » = *βερθρον= βέρεθρον (Prellwitz, Et.
Wœrt.).

Gr. δέτρον de δέρτρον « épiploon » (Hérodien, II, 491). La forme
δέρτρον aurait pu garder son ρ sous l'influence de δέρμα, etc. Mais
cette dissimilation ne paraît pas avoir été connue de tous les dialectes
grecs, cf. ἄρθρον, τέρθρον, et nous ne savons pas au juste
auxquels appartiennent les deux mots βέθρον et δέτρον.

Indo-européen ksk, psp.

En indo-européen ksk > sk et psp > sp. Nous plaçons ce phénomène
62ici bien que ce ne soit pas sa vraie place, puisque l'i.e.
coupait ks k ; nous ne voulons pas faire une classe uniquement pour
lui. Sk. pŗchāmi, lat. poscō = *pŗscō — *pŗescō — gr. διδάσκω =
*διδάκσκω, lat. discō = *di(d)cscō, — gr. ἴσκω = :*Ϝισκω, — lat Sescentī
= *secscenti
, — lat.misceō =*micsceō, — béot. ἑσκηδέκατος =
*ἑξκηδεκατος, — gr. λάσκω = *λακσκω, — gr. ἐίσχω = *ϜεϜισκω, — gr.
τιτύσκομαι = *τιτύκσκομαι (Brugmann, Grr. II, 1038), — δίσκος =
*δίκσκος, cf. δικεῖν « jeter », — gr. βλασφημεῖν = *βλαπσφημειν (J. Wackernagel,
KZ, XXXIII, p. 41), - lat. asportō = *apsportō, aspellō
= *apspellō (J. Wackernagel, KZ, XXXIII, p. 41). Comme
ce phénomène se présente à la fois en sanskrit, en grec et en latin, il
y a tout lieu de croire qu'il remonte à l'indo-européen, ce qui ne
veut pas dire que les exemples que nous avons cités et ceux qu'on
pourrait y ajouter remontent tous à l'indo-européen : la loi indo-européenne
a pu persister dans certaines langues longtemps après
leur séparation. On attend le même phénomène pour tst, mais ici
il est difficilement vérifiable.

C'est bien un phénomène de dissimilation, car si les deux occlusives
séparées par s ne sont pas la même occlusive, le traitement
est différent : gr. λύχνος, cf. i. e. *loucsnā, et, comme le fait très
justement remarquer M. J. Wackernagel (Zur lehre vom griechischen
akzent, p. 18) lat. ostendō = non pas *obstendō, mais
ōs + tendō « mettre devant la bouche », car *obstendō serait resté
intact, cf. obstō, obstinātus, abstineō, et d'autre part ob ne devient
jamais obs.

Commentaire XII

r-r > l-r | n-r | 0-r

Pour le premier traitement cf. Commentaire I, formule r-r >
l-r ou r-l.

Pour le second, cf. Commentaire I, formule r-r > n-r ou r-n.63

Pour le troisième, cf. Commentaire I, formule r-r > 0-r ou
r-0.

En latin vulgaire nous ne connaissons de représentant que pour
le premier : veltragus. Il en est de même en espagnol : Beltran.

L'italien, le provençal et le français présentent le premier et le
troisième ; cela tient à des différences dialectales et chronologiques :
dialectes italiens du nord meltrix ; Alghero abra. Provençal albre ;
prov. esrabre. V. français dialectal aubre, Tarn daltre, Ariège
malbre, Dampr. malbr (mot savant) ; v.fr. abre, Dampr. ābr, Lyon.
dimecro, Pral. dimēkre, Dauphin, ābro, Bourber. ābr.

Les formes du français moderne arbre, marbre, dartre, pourpre,
mercredi, etc., sont savantes ou refaites. Mordre, perdre,
etc. sont analogiques d'après mordons, perdons, etc.

Le grec possède au moins dans certains dialectes le troisième
traitement : δέτρον.

Le second est largement représenté dans diverses langues par les
mots à redoublement ; nous le verrons dans la troisième partie.
Dans les mots ordinaires il est beaucoup plus rare, parce qu'il y
a peu de mots ordinaires qui présentent les conditions nécessaires
à sa production. Dans lit. bembrotas l'm est en somme un n qui
est devenu m grâce à sa position devant b.

l-l > r-l | 0-l

Pour le premier traitement, cf. Commentaire I, formule l-l >
r-l ou l-r.

Pour le second, cf. Commentaire X, formule l-l > 0-l ou l-0.

Nous avons des représentants du premier traitement en russe :
verbliud, et des représentants du second en français : able et en
espagnol : cacho.

r-l > 0-l : esp. sacho, Dampr. saš, cvḗš.

L'l et l'r n'étant pas des quantités rigoureusement équivalentes
ne peuvent pas normalement être dissimilés totalement l'un par
64l'autre. Il doit rester quelque chose, mais ce quelque chose n'est
plus suffisant pour former un son et finit par disparaître. Il peut se
faire qu'il subsiste quelque temps sous forme d'un souffle ou d'une
aspiration. Ce souffle s'éteint peu à peu, mais il arrive qu'il exerce
avant de disparaître une action sur l'évolution phonétique des
phonèmes qui l'entourent. C'est ce que nous avons montré pour
le patois de Damprichard dans les Mémoires de la Société de linguistique,
tome VIII, p. 344-345.

l-r > 0-r : esp. medrar.

Même explication que pour la formule précédente.

Loi XIII
Appuyée dissimile implosive non tonique

Langues indo-européennes

Germanique — Mha. reigel de reiger « reiher », ruodel de
ruoder « ruder » (Bechtel, Ass. und diss., p. 36).

Angl. riddle « crible » de ags. hridder = lat. crībrum, v. irl.
criathar.

Commentaire XIII

r-r > l-r ou rl, cf. Commentaire I. En mha. les formes reiger,
ruoder existent aussi et sont même seules représentées en allemand
moderne. C'est que ces formes ne tombaient sous le coup de
la loi qu'après consonne, et que même dans ce cas la fréquence de
la finale -er dans les noms d'agents pouvait contrarier son action.

Cette loi, aussi peu représentée dans les mots ordinaires qu'elle
l'est largement dans les formes à redoublement (cf. infra, 3e partie),
n'est qu'une variante des deux précédentes ; elle montre que
si celles-ci sont toujours régressives, ce n'est pas par nature, mais
65grâce au hasard de la position respective des phonèmes dissimilant
et dissimilé.

Loi XIV
Implosive dissimile intervocalique

Langues romanes

Latin vulgaire — *armolacia « raifort ». L'ital. ramolaccio
(cité comme dissimilation par Caix, Studj di et. it. e rom., p. 186)
et l'esp. remolacha « betterave » supposent pour le latin vulgaire
une forme *armolacia sortant de gr. ἁρμορακία, Diosc., 2, 138. V.
fr. ramorache (Godefroy), traduit de l'italien, n'est pas une autorité
suffisante pour permettre d'attribuer à l'italien une forme
*ramoraccio.

Lat. vulg. porfidu « porphyre », it., esp. pórfido. Les formes
des autres langues sont savantes.

Italien — píllora « pilule ».

Gén. bellua = *bellura (r intervocalique tombe en génois) de
bellula (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 162).

Mil. navèll de labella, — nivèll « libello » (Salvioni, Fonetica
del dialetto di Milano.p. 176).

V. sic. purvuli de pulvere (auj. pruvuli). L'r de la première
syllabe est régulier, car en silicien l devient r devant labiale, cf.
Schneegans, Laute und lautentw. d. sic. (Ital., p. 124. La dissimilation
que nous considérons est postérieure à cette loi.

Sic. arvulu de arbore (Schneegans, ibid., p. 141).

Ital. tórtola « tourterelle ».

Campobasso Belardine de *Berardine (D'Ovidio, Arch. glott.
it., IV, p. 164).

Ital. mercoledì « mercredi ».

Sic., lomb., molimento « avertissement » (D'Ovidio, Grœber's
Grr., I, p. 535).66

Padou. legun = negun de nec-unus (Ascoli, Arch. glott. it.,
I, p. 433).

Chiogg. zelución « ginocchioni » (Aseoli, ibid., p. 433).

V. vén. molimentu = *monimentu (Mussafia, Beitr., 81).

Ital. vembro « membre » (Caix, Rivista di fil. rom., II, 74, —
Meyer-Lübke, ital. gr., p. 163), et d'après vembro, svembrare
« démembrer ».

Piém. linsola = ninsola de nuceola (Meyer-Lübke, ital. gr.,
p. 163).

Emil. linza = initiare (D'Ovidio, Grœber's Grr., I, 535).

Padou. lombro, lombra (Ascoli, Arch. glott. it., I, 433, — Meyer Lübke,
it. gr., p. 163).

V. gén. nomeranza « célébrité » (ital. nominanza), — noranta
= nonaginta
(Flechia, Arch. glott. it., X, 152).

V. gén. morimento de monumento (Flechia, Arch. glott. it.,
X, 152).

Val-Soana linÞóla, piém. linçóla « noisette » de nin- (Nigra,
Arch. glott. it., III, p. 37).

Padou. pilion « opinione » (Ascoli, Arch. glott. it., I, 433).

Sopraselva dumbrar « numerare », diember « numerum »
(Ascoli, Arch. glott. it., I, 65).

Lad. dumbrar « numerare ».

Roumanche diember « numerum ».

Ital. scheranzia de squinanzia (Caix, Studj di et. it.e rom.,
p. 187).

Padou. limbri de *nimbri sorti de membri sous l'action de la
loi VIII.

Espagnol — píldora « pilule ».

Esp. caramillo « chalumeau » (Baist, Grœber's Grr., I, p.703).

Esp. nivel de libellu.

Esp. miércoles « mercredi »

Esp. tórtola « tourterelle », tortolo, tortolico.

V. esp. lombre = nombre (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p. 512).67

Esp. empelle de et à côtè de empeñe(Meyer-Lübke, ibid., I, p.513).

Andal., astur. dengun (Meyer-Lübke, ibid., I, 512).

Portugais — martidio de martirio.

Port. nivel de libellu.

Port. lembra de membra = memorat, dit M. Meyer-Lübke,
Gr. rom., I, p. 512. Pour être tout à fait exact il aurait dû dire :
port. lembra de v. port. nembra (cf. loi VIII) = membra =
memorat
.

Provençal — caramels de calamellu. L'ital. ceramella est sans
doute emprunté au provençal ou à un dialecte français.

Prov. nivels de libellu.

Prov. degun (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 512).

Catalan — dingu = ningu(Romania, IV, p. 289).

Français — Château-Landon = Castellum-Nantonis.

Fr. Amelécourt (Meurthe) de Amerécourt (Communiqué par
M. A. Thomas).

Fr. Saint-Blin (Haute-Marne) = S. Benignus (A. Thomas,
Annales de la Fac. de Bordeaux, 1886, 314).

Fr. Sauxillanges (Puy-de-Dôme) = Celsinianicas (A. Thomas,
ibid.).

Fr. sanglant provient non pas de *sanguilentus qui n'est qu'un
barbarisme, mais de sanguinante devenu par dissimilation sanguilante,
puis par chute de la prétonique *sanglante. Si la dissimilation
est postérieure à la chute de la prétonique, ce que nous
ne saurions établir, c'est sous la loi VII que devrait figurer ce mot.

Fr. Saint-Berain (Haute-Loire, Saône-et-Loire), Saint-Broin
(Côte-d'Or, Haute-Saône, Haute-Marne), Saint-Branchs (Indre-et-Loire)
= S. Benignus (A. Thomas, Annales de la Fac. de
Bordeaux, 1886, 314).

Fr. popul. colidor « corridor ».

Fr. ensorceler de *ensorcerer, écarteler « mettre en quartiers ».
La finale des nombreux verbes en -eler a pu faciliter telle dissimilation68

Saint-Hubert (wallon) bolom « bonhomme » (Marchot, Rev. des
patois, IV, 200).

Saint-Genis ramèla « mauvais couteau » = lamella (Philipon,
Revue des patois, III, p. 43).

V. lyon. charamela « chanter » = *calamellare (Philipon, id.
ibid.).

La Hague cherenchoun « seneçon, plante » (Eggert, Zeitschr.
f. rom. phil., XIII, p. 393). La dissimilation est antérieure à l'époque
à laquelle n implosif s'est uni à voyelle précédente pour donner
voyelle nasale.

Fr. niveau.

Dauphin, charamelle = *calamellat (A. Devaux, Essai sur la
langue vulg. du Dauphiné, p. 337).

Fr. popul. porichinelle « polichinelle ».

Schevelingen. Cette forme est bien connue, citée même dans
Bædeker (Belgique et Hollande, p. 305). La forme courante en
hollandais est Scheveningen et nous n'en avons jamais entendu
d'autre à Scheveningen même. Il en résulte que cette dissimilation
nous parait appartenir aux étrangers.

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Lit. érkelis « erker », ùrdelis « ordre », burgelis
« bürger », cités par M. Bechtel (Ass. und diss., p. 28) ne
sont pas des exemples de dissimilation absolument purs. Ils se
sont adapté le suffixe si fréquent -elis à la faveur de l'action dissimilante.

Lit. bárkszteliu (Brugmann, Grr., I, p. 225) de bárkszteriu.
Même observation que pour érkelis, à savoir influence du suffixe
-elis dont le sens diminutif est encore très net dans bárkszteliu « je
frappe légèrement ». Il s'est introduit sans cause dissimilante dans
les exemples tels questùkteliu « je heurte légèrement ».69

Lit. purpulìnis « purpurin » de purpurìnis (Brugmann, Grr.,
I, p. 126).

Lett. Barbule « Barbara » (Bechtel, Ass. und diss., p. 31).

Lett. kōrtelis « quartier » (Bechtel, ibid.).

Pet. russ. alár « orár' ».

Pet. russ. palamar « παραμονάριος » (Miklosich, Et. wœrt..
p. 232).

Pet. russ. lycar' « chevalier » = ry'car' = ritter.

Polon. mularz « maurer », — folarz, fularz « führer », —
sularz « schürer » (Malinowski, Kuhn's Beitræge, VI, p.300).

Pilsen lundvár' de nunvár' « châtreur de cochons » (Prusík,
Arch. f. sl. phil., II, p. 705).

Lemken mular, gén. mulara « maurer » (Werchratskij, Arch.
f. sl. phil., XV, p. 55).

Germanique — Vha. morsali de morsari « mœrser » (Bechtel,
Ass. und diss., p. 41).

Vha. martolôn (Otfrid) à côté de martorôn « martyriser ».

Mha. samelen = vha. samanôn, all. sammlung — vha. samanunga.

Grec. — τερέβινθος de *τερέμινθος ; cf. τέρμινθος, τρέμινθος,
τρίμινθος ; τέρβινθος doit son β à τερέβινθος, tandis que τρέμινθος et
τρίμινθος doivent leur μ à τέρμινθος.

Gr. Βενδῖς = Μενδῖς « déesse Thrace de la lune ».

Gr. Ἀβαντίς de Ἀμαντίς, nom propre.

Gr. Ἀβίαντος de Ἀμίαντος, nom propre.

Gr. de Palestine olomargalitis = ὁλομαργαρίτης (J. Fürst, Glossarium
græco-hebræum).

Gr. mod ἀλισαντίρι = ἀνισαντίρι (Hatzidakis, KZ, XXXIII,
p. 122).

Gr. mod. Κέρβελος = Κέρβερος (Id., ibid., p. 123).

Pâli — Milinda = Μένανδρος, — elaṃ de *enam, sk. enas, —
vīmaṃs, sk. mīmāṃs (Kuhn, Beitræge zur pâli-sprache, p. 38) ; cf.70

skr. çravaṇa- = çramaṇa- « bouddhiste ») (Bloomfield, dans Proc.
of Am. Or. soc. mai 1886).

Hindi — nāp de māpanam « mesure » (Brandreth, The gaurian
and the romance languages, dans Journal of the royal asiatic
society, XI, 303).

Arménien — hiwand de *himand, harawownkh de *(h)aramownkh
(KZ ? XXXIII, 14 et 15).

Arm. eλowngn « ongle » de *enowngn ( ?) ; le g de ce mot représente
gh comme le g de v. sl. nogŭtĭ (communiqué par M. A.
Meillet).

V. arm. xaλoλ « raisin » se prononce xawoλ dans beaucoup
de dialectes modernes ; cette dissimilation doit remonter au temps
où λ était l vélaire, prononciation qui est encore attestée au XIe siècle
(communiqué par M. A. Meillet).

Celtique — V. irl. ilar « aigle » = *eruros, cf. gall. eryr, corn.,
bret. er, got. ara, vha. aro, gr. ὄρνις, ags. earn, vha. arn, lit.
erẽlis, lett. érglis, v. sl. orĭlŭ (W. Stokes, Fick's wœrt.). Ce mot
peut appartenir à la loi XVII si la dissimilation s'est produite antérieurement
à la chute de la voyelle finale.

Vannetais palanchênn « panache », palanche « caparaçon »,
palanchein « empanacher » (MSL, VII, 502).

Moy. bret. boulom de bonhomme (Id., ibid.).

Commentaire XIV

r-r > l-r ou r-l | r-d (ou d-r)

Voir la première formule au Commentaire I, la seconde au
Commentaire IV.

Le premier traitement est largement représenté dans les langues
romanes et dans les langues baltico-slaves et germaniques : lat.
vulg. *armolacia, sic. arvulu, it. tortola, esp. miercoles, fr. popul.
71colidor ; — lit. érkelis, lett. kõrtelis, pet. russ. alár, pol. mularz,
vha. martolôn.

Ital. pórpora « pourpre », mércore « mercredi », tórtora, tórtore
« tourterelle », sont formes demi-savantes et refaites.

Ital. lucerniere = lucernariu, quartiere — quartariu, terziere
= tertiariu, arciere = arcariu, argentiere = argentariu,
armentiere = armentariu, carboniere = carbonariu, carniere
= carnariu, cartolario — chartulariu, formichiere = formicariu,
erbario = herbariu
, etc. ont été retenus par la fréquence
des produits du suffixe -ariu.

Le grec parait ignorer ce traitement dans les mots ordinaires :
ἄργυρος, μάργαρον, μαργαρίτης ; mais il le connaît dans les
mots à redoublement, comme nous le verrons plus loin. Le grec
de Palestine le possède dans les mots ordinaires : olomargalitis

Le second est beaucoup plus rare : lat. vulg. porfidu, port.
martidio.

l-l > r-l ou l-r | n-l ou l-n | w-l

Pour les deux premières formules cf. Commentaire I. Ces deux
traitements, fréquents dans les langues romanes, paraissent manquer
dans les langues indo-européennes : it. pillora, esp. caramillo,
prov. caramels, gén. bellua, Saint-Genis ramèla, fr. popul.
porichinelle ; — mil. nivèll, esp., port. nivel, prov. nivels, fr.
niveau.

Ital. pillola comme fr. pilule est un mot savant.

Ital. libello « balance » a été conservé par libbra « poids ».

Fr. chalumeau a pu être retenu par chalme « chaume » jusqu'à
l'époque de la vocalisation de l implosif. Après cette vocalisation
il n'y avait plus lieu à dissimilation.

La troisième formule, représentée par arm. xawoλ, s'explique
d'elle-même : le premier l vélaire a perdu par l'effet du second
l'élément qui distingue un l vélaire d'un w.72

n-n > l-n ou n-l | r-n ou n-r | d-n ou n-d

Pour la première formule, cf. Commentaire I ; pour la seconde
et la troisième, cf. Commentaire XI, formules nn > rn et nn >
dn.

Le premier traitement est généralement représenté dans les langues
romanes et dans quelques langues indo-européennes : sic.
molimento, piém. linsola, pad. legun, fr. Saint-Blin ; — Pils.
lundvár', pâli Milinda, arm. eλowngn.

Piémont, ninsola est refait : il a repris son n initial à nos
« noix ».

On ne peut pas attribuer au latin la connaissance de cette
loi sur le témoignage de lendes « lentes » = *(c)nendes,
gr. κονίδες ; (Bersu, Die gutturalen, p. 164). Il faudrait être
certain que lendes sert de *nendes ; il est beaucoup plus probable
que lorsque l'n est devenu l, le c n'était pas encore tombé.
Dès lors deux explications sont possibles : ou bien *cnendes est
devenu *clendes comme *gninda est devenu glinda en vertu de la
7e loi de dissimilation, ou plulôt cn est devenu cl indépendamment
de l'n implosif parce que le latin ne connaissait pas le groupe combiné
cn, cf. crūs, κνήμη, — crepusculum, κνέφας. Voir le même
phénomène dans plusieurs autres langues, infra, 2e partie, Lois
phonétiques
. On ne trouve en latin le groupe cn initial que dans des
mots grecs empruntés tardivement : cnidinus, « d'ortie » κνίδη
(Plin.), cnemis κνημίς, cneoron « garou » κνέωρον (Plin.), cnicus
« plante d'Egypte » κνίκος (Plin.), cnissa « fumée » κνίσσα (Arnob.),
cnodax « boulon de fer » χνώδαξ (Vitr.).

Le second et le troisième traitements se rencontrent dans quelques
langues romanes : v. gén. noranta, ital. scheranzia, fr.
Saint-Berain ; — andal. dengun, prov. degun, catal. dingu.73

m-m > v-m ou m-v.

Cf. Commentaire VIII, formule m-m > b-m ou m-b, v-m ou
m-v : ital. vembro. L'ital. membro est refait.

n-m > l-m ou d-mm-n > b-n.

Dans les deux cas c'est le second phonème qui est implosif.
Pour n-m > l-m cf. Commentaire I ; pour m-n > b-n, cf. Commentaire
VIII
 ; pour n-m > d-m, cf. Commentaire XI, formule
nn > dn : l'explication est la même, l'm implosif fait perdre la
continuité à l'n inlervocalique, d'où d : Sopras. dumbrar.

Le traitement n-m > l-m n'est pas rare dans les langues romanes :
pad. lombro, v. esp. (ombre, port. lembra, Saint-Hubert
bolom. Mais elles ne paraissent pas connaître le traitement contraire
m-n > b-n, tandis que le grec qui connaît le second :
τερέβινθος ignore le premier : ν ύμφη.

m-p > n-p :

Hindi nāp cf. Commentaire VIII.

Loi XV
Implosive dissimile combinée atone

Langues romanes

Français — Verdouble, nom d'une rivière des départements de
l'Aube et des Pyrénées-Orientales, — Verno-dubrum (D'Arbois
de Jubainville, Les premiers habitants de l'Europe, II, p. 5 et
280).

Fr. Flobert de *Frobert = Frōdbert (Diez, Gramm., tr. fr., 1,
p. 289).

Fr. flamberge, anciennement floberge, cf. Hatzfeld, D. et Th.,
Dict. gén.).74

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Serb. poklicar de ἀποκρισιάριος (Miklosich, Vergl.
gr. d. sl. spr., 1re éd., I, p. 326).

Grec d'Italie — φρήταρχος = *φρήτραρχος (J. Schmidt, KZ,
XXXIII, p. 457).

Latin tardif — fragellum = flagellum. Le gr. tardif φραγέλλιον
n'est autre chose que fragellum emprunté. L'ital. fragello pourrait
être sorti de cette forme, mais l'existence d'un représentant de
flagellum dans presque tontes les langues romanes et en particulier
dans l'ital. flagello rend cette hypothèse peu vraisemblable. Ou
bien flagello est devenu fragello par une dissimilation italienne,
ou bien il doit son r à l'influence de frusta. Fragore, frangere
peuvent avoir aussi secondé cette influence. — V. irl. sraigell a
été emprunté au latin après la dissimilation : il représente fragellum
et non flagellum.

Commentaire XV

r-r > l-r ou r-l, cf. Commentaire I, même formule.
r-r > 0-r ou r-0, cf. Commentaire I, même formule.
Cette loi est très peu représentée parce que les conditions qu'elle
exige sont rarement réunies.

Loi XVI
Intervocalique dissimile combinée atone

Langues romanes

Italien — aráto « charrue » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 518).

Ital. Federico « Frédéric ».

Ital. dereto et direto de deretro et diretro.75

Milan. spiüri = *plurire = prurire (Salvioni, Fonetica del
dialetto di Milano, p. 190).

Espagnol — plegaria de precaria (Diez, Gramm., tr. fr., I,
p. 206).

Esp. roble « rouvre » (Baist, Grœber's Grr., I, p. 703).

Portugais — roble « rouvre »

Français — érable, cf. Loi XII.

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Lit. inglasiroti « ingrossiren » (Bechtel, Ass.
und diss., p. 28).

Lit. klum̃bėris « pomme de terre » de all. dial. krumbier
(Bechtel, ibid.).

Lit. glaumas, gliaũmas de gn- (J. Schmidt, KZ, XXVI, p. 10).
Greĩmas appartient à la même souche, et c'est précisément la
dissimilation qui explique à la fois l'l et l'r.

Grec — Att. φαῦλος ; cf. φλαῦρος loi IV.

Att. μάραθον « fenouil » de μάραθρον (Poil, Bezz. B., VIII, 46).
Att. ὀλοφυκτίς « pustule » (schol. d'Aristoph., Gren. 236) et grec

tardif ὀλοφυκδών « pustule » = ὀλοφλυκτις. Hippocrate dit ὀλοφλυκτίς

parce qu'il comprend l'étymologie du mot ; plus tard ce sentiment
s'effaça.

Gr. mod. κλιθάρι = κριθάριον de κρίθή, κλιάρι. = κριάριον de -κριος
(Hatzidakis, Neugr. gr., p. 86).

Commentaire XVI

r-r > l-r ou r-l | 0-r ou r-0

Voir ces deux formules au Commentaire I. Elles n'apparaissent
nulle part dans la même langue. L'italien littéraire ne connaît
que la seconde : arato, Federico, dereto ; le grec ancien de
76même : μάραθον. Mais l'espagnol, le portugais, le français, le milanais,
le grec moderne, le lituanien ont seulement la première :
esp. roble, plegaria, port. roble, fr. érable, mil. spiüri, gr.
mod. κλιθάρι, lit. inglasiroti, klum̃bėris.

Le mil. spiüri prouve que le latin vulgaire à côté des formes
prudere, prudire possédait encore la forme pruire ; c'est que le
latin vulgaire comprenait plusieurs dialectes, comme on le sait.
Il ne serait d'ailleurs pas impossible que plurire remontât au
latin vulgaire et s'y fût trouvé dans les mêmes dialectes que prudit ;
car si prudit, prudere sont réguliers en vertu de la loi IV,
prudire ne peut être qu'une forme analogique d'après prudit et
la forme régulière serait plurire.

Nous avons vu plus haut, loi XII. que fr. érable peut s'expliquer
autrement que nous ne le faisons ici. En effet rouvre n'est pas
devenu *rouble, mais ce mot est si peu populaire (nous ne l'avons
trouvé connu du peuple dans aucune des régions où nous
avons pu faire des observations personnelles), qu'il nous paraîtrait
trop hardi de fonder sur lui seul l'absence de cette loi en français.

Gr. mod. πλώρη de πλῷρα n'est pas une dissimilation, mais doit
son λ à la famille de πλέω.

Gr. mod. φλούραρχος de φρούραρχος. M. Hatzidakis ne nous dit pas
(Neugr. gr., p. 86) si le simple φλουρά existe. S'il existe il est régulier
en vertu de cette loi et φλούραρχος n'est pas dû à une dissimilation
mais à une recomposition. Si φλουρά n'existe pas la première
partie du composé ne peut pas être comprise du sujet parlant
et dès lors la dissimilation est renversée, cf. les phénomènes que
nous exposons plus bas sous le titre Observation générale.,

Ital., aratro est une forme refaite, it. cerebro est un mot demi-savant ;
esp. primavera a une étymologie trop claire pour avoir
pu être dissimilé.

Att. ἀκρέσπερον, ἀθηρόβροτον, ἀερομετρέω, ἀκροθώραξ, αἰμυλοπλόκος,
ἁλιπλεύμων, etc. n'ont pas été non plus dissimilés à cause de leur
étymologie évidente77

Ital. primiero, frumentiere, granatiere, etc. ont également
une formation très claire pour tout le monde.

l-l > 0-l ou l-0

Cf. Commentaire X, même formule.

C'est le grec ancien qui nous fournit des exemples de ce traitement :
ὀλοφυκτίς, φαῦλος. Il est bon de remarquer que les traitements
de l-l et de r-r se correspondent. ; dans les deux cas le phonème
dissimilé devient 0 et non pas l ou r.

n-m > l-m | r-m

Cf. Commentaire I, même formule. Le lituanien présente les
deux produits : gliaũmas, greĩmas.78

III
Lois toujours régressives ne dépendant
pas de l'accent d'intensité

Loi XVII
De deux phonèmes intervocaliques c'est le premier
qui est dissimilé

Langues romanes

Latin vulgaire — jolju « ivraie ». La forme lolju est représentée
par ital. loglio, sard. luzzu, Dampr , etc. Lolju était devenu
dans certaines régions *ljolju par une assimilation due au sentiment
du redoublement ; c'est de *ljolju qu'est sorti jolju par dissimilation :
ital. gioglio, prov. juelhs, cat. jull, esp. joyo, port.
joio.

Latin vulg. jilju « lis ». La forme lilju est représentée par sard.
lillu, prov. lilis, fr. lis, esp., port. lirio. Lilju était devenu dans
certaines régions *ljilju, d'où par dissimilation jilju : ital. giglio,
sicil. gigghiu, rhétor. gilgia.

Il est frappant que le domaine de jolju et celui de jilju ne se
correspondent pas. C'est que le lis et l'ivraie ne viennent pas également bien
et en égale abondance dans les mêmes régions. En
maints endroits le lis est inconnu du peuple ; partout il connaît
l'ivraie, aussi jolju est-il beaucoup plus répandu que jilju.

Italien — Vén. pirola (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 162).

Piém. pinola « pilule ».

Vén., piém. perola (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 162). Il y a en
outre dans ce mot l'influence de perla.79

V. it. astrolomia = astronomia (Caix, Studj di et. it. e rom.,
p. 188).

Ital. storlomia — *strolomia (Caix, Rivista di fil. rom., II, 74).
La dissimilation a eu lieu avant la métathèse de l'r.

Sard. urulare = ululare.

Leccesulúri « sorores » (Morosi, Arch. glott. it., IV, p. 130, —
Meyer-Lübke, ital. gr, p. 162).

Lecce lerénzia = re(v)er- (Morosi, Arch. glott. it., IV, 138).

Ital. Girolamo (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p. 512).

Frioul. lumar « numerus ». (Meyer-Lübke, ibid.).

Sic. luminari « nominare » (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 163).

Mil. do ma ~nomà=- non ma gis (Meyer-Lübke, ibid.).

Mil. lüminà (Meyer-Lübke, ibid.).

Ital. filosomia = *fisolomia = fisonomia (Caix, Studj di et. it.
e rom., p. 188).

Romg. lominér (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 163.

Pad. lomè « non magis » (Meyer-Lübke, ibid.).

Pad. lóme — nome (Ascoli, Arch. glott. it., I, p. 433).

Pad. álema — *anema (Ascoli, ibid.).

Pad. ilamorò = *inamoro (Ascoli, ibid.).

Nord du lac Majeur colomía « économie » (Salvioni, Arch. glott.
it., IX, 223).

Piacenza culumía « économie » (Gorra, Zeitschr. f. rom. phil.,
XIV, p. 149).

Lucques columia « économie », — lumero « nombre », — stralomare =
stranomare
« dare un nomignolo » (Pieri, Arch. glott.
it., XII, p. 124).

Ital. gonfalone « bannière ».

Ital. Bologna(Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p. 512).

It. calónaco « chanoine » (Meyer-Lübke, ibid.).

It. veleno « poison ».

Mil. veri « poison » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 512).

Vén. calónigo « chanoine » (D'Ovidio, Grœbers, Grr., I, 535).80

Sic. vilenu « poison ».

It. Ugolino de *Ugonino (Caix, Studj di et. it. e rom., p. 187).

It. Azzolino, Ezzelino de *Azzonino (Caix, ibid.).

Chiogg. Velissiani (Ascoli, Arch. glott. it., I, p. 433).

It. pusigno « réveillon » = poscinium. Sans dissimilation, on
aurait eu *pušigno (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 164).

EspagnolAntolin, Barcelona (Meyer-Lübke, Gr. rom., I,
p. 512).

Esp. beleño « poison ».

Esp. confalon.

Esp. Garitana de Gaditana.

Esp. quijarudo « qui a de fortes mâchoires » de quijada « mâchoire »,
dissimilation favorisée par le mot rudo.

Portugais — V. port. icolimo « æconomus » (Diez.Gramm., I,
217).

V. port. lomear « nommer » (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 512).

Port. alimal « animal ».

Catalan — udolar = ululare.

Provençal — udolar = ululare.

Français — Boulogne, — orphelin (Meyer-Lübke, Gr. rom., I,
512).

Fr. Roussillon — Ruscinione.

V. fr. velin (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 512).

Fr. enverimer « empoisonner », dans le Bestiaire de Gervaise,
602, publié par M. P. Meyer (Romania, I, p. 420 sqq.).

Bourberain vėrę « venin » (Rabiet, Rev. d. pat. gallorom., III,
p. 45).

Norm. velį (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, p. 512).

Dampr. vrī̬ « poison ».

Fr. Chasselines (Creuse) = Cassaninas (À. Thomas, Annales
de la Fac. de Bordeaux, 1886, p. 314).

Fr. Fresselines (Creuse) = Fraxininas (Id., ibid.).

Fr. Vilaine, rivière = Vicinonia (Id., ibid.).81

Fr. Vendelogne, rivière = Vixinonia (Id., ibid.).

Fr. gonfalon est emprunté à l'italien ; v. fr. gonfanon et confanon
sont également empruntés comme le prouve leur a. La vraie
forme française est conferon (Roquefort), Dampr. cū̬fru « bannière » ;
L'r de cette forme est dû à l'n final. La dissimilation s'est
produite à une époque où ce dernier se prononçait encore comme
consonne.

Fr. popul. calonier = canonnier, cf. calonnière, dans le Dict.
gén. de Hatzfeld, Darmesteter et Thomas.

Saint-Hubert (Wallon) kalonè « jeter des pierres » = canonner
(Marchot, Revue des patois, IV, 200).

La Hague erselin « arsenic », velyn « venin », chalouegne
« canonicus » (Eggert, Zeitschr. f. rom. phil., 13, 393). Dans ce
patois les nasales forment voyelle nasale avec la voyelle précédente ;
la dissimilation remonte à une époque où la nasale était encore
consonne.

Gasc. beregnaa « vendange » = *venenia = *vennen'a, cf. sic.
vinnin'a, Cola di Rienzi 459 vennegnie.

Fr. popul. et dial. luméro et liméro « numéro ».

Fr. de l'Est et de l'Ouest lome « nommer » (Meyer-Lübke, Gr.
rom., I, p. 512).

Fr. popul. alimer « animer ».

Fr. popul. écolomie « économie ».

Fr. Xaintraille = Sainte-Araille = Eulália (communiqué
par M. A. Thomas).

Fr. Chénérailles = Canaliculas (A. Thomas, Rom., 1877,
p. 264).

Fr. Vareilles = Valliculas (Id., ibid.).

Pral (vaudois de Piémont) ejsurelā de ejsulelā) « esporre al
sole », — ejkurilā (de ejkulā) « scolature » (Morosi, Arch. glott.
it., XI, p. 344).

Dampr. sėčòt « clochette ».82

Langues indo-européennes

Baltico-slave — Lett. levĩseris « revisor » (Bechtel, Ass. und
diss., p. 31).

Lemken studelina de *studenina « gélatine, gelée » (Werchratskij,
Arch. f. sl. phil., XV, p. 62).

Lemk. poŭovin, gén. poŭovena de poŭomin, gén. poŭomena,
v. sl. plamy, gén. plamene (Werchratskij, Arch. f. sl. phil., XV,
p. 67).

Germanique — Mha. enelende de vha. elilendi (Angermann,
Diss. im griech., p. 41).

Celtique — V. irl. araile de alaile = *alaljos, gall. arall.

Grec - θηλητήρ·*κυνηγός Hés. = θηρητήρ (F. de Saussure, MSL,
VI, 78). Cette dissimilation est née aux cas obliques ; si elle était
née au nominatif singulier, elle serait due à la loi XIV que le grec
ne parait pas connaître pour r-r, cf. supra.

Gr. Λαβύνητος (Hérodote, I, 74) = Nabunita des inscriptions
perses.

Gr. de Palestine ebelinos = ἐβένινος (J. Fürst, Glossarium græco-hebræum).

Moy. et néogr. βυζάνω qui remplace gr. ancien μυζάω « sucer ».

Néogr. πελιστέρι = περιστέριον de περιστερά (Hatzidakis, Neugr.
gr., p. 86), ἀλίστερά = ἀριστερά (Id., KZ, XXXIII, p. 122).

Néolocr. πελιστέρι, παλεθύρι de παράθυροι (Chalkiopulos, C. St.,

V, 350).

Néogr. ἀλαμένω de ἀναμένω, λημόρια de νημόρια (Hatzidakis, KZ,
XXXIII, p. 122, 123).

Bova (Calabre)limómulo « moulin à vent » = *ἀνεμόμυλος (Morosi,
Arch. glott. it., IV, 24).

Latin — Parīlia de Palīlia dérivé de Palēs (Corssen, KZ, II,
p. 18).

Lat. cæruleus dérivé de cælum (Corssen, ibid).83

Moyen-breton — vanier « manière » (MSL, VII, 480), vani
« mouentur » (p. 482) doivent sans doute figurer ici.

Prākrit — ņāhalō, sk. lahalas, — nãgalã « charrue », —
ņãgūlã « queue », sk. lāngalam (R. Hœrnle, Grammar of the
Gaudian languages, p. 92).

Commentaire XVII

r-r > l-r, cf. Commentaire I.

Les exemples sont assez rares : Lecc. sulúri, lett. levīseris, gr.
θηλητήρ, gr. mod. πελιστέρι.

Nous n'avons rien rencontré concernant cette formule dans les
autres domaines.

l-l > r-l, cf. Commentaire I. | n-l, cf. Commentaire I. | d-l, cf. Commentaire XI, ll > ddl. | 0-l, cf. Commentaire X.

ll > rl : vén. pirola, sard. urulare, Pral. ejsurelā, fr. Chénérailles,
lat. Parilia.

Il faut noter que dans les mots français tels que Araille (Xaintraille),
Chénérailles, Vareilles le premier l n'a été dissimilé
qu'après le changement de li, cl en l'. Il est à peine utile d'ajouter
que dans Valliculas le ll s'était déjà réduit à l ; on a les formes
Valilias au XIe siècle et Valeilhes en 1477 ; elles sont rapportées
par M. A. Thomas, Rom., 1877, p. 264.

ll > nl : piém. pinola, mha. enelende, prākr. ņāhalō.

ll > dl : cat., prov. udolar.

ll > 0l : lat. vulg. jolju, jilju. Il faut noter qu'ici l'l fait partie
d'un groupe combiné lj et en est le premier élément.

n-n > l-n, cf. Commentaire I. | r-n, cf. Commentaire XI.

n-n > l-n : it. gonfalone, vén. calonigo, sic. vilenu, esp. Barcelona,
84fr. orphelin, fr. popul. calonier, Saint-Hubert calonè, La
Hague velyn, norm. velį, Lemk. studelina, gr. Λαβύνητος.

n-n > r-n : mil. veri, Bourber. vėrę, v. fr. conferon, Dampr.
Vrī̬.

La première formule, largement représentée dans les langues
romanes, l'est fort peu dans les autres. La seconde ne l'est que
dans quelques langues romanes.

Esp. veneno, ital. canonico sont formes refaites.

Le latin ne paraît pas connaître de dissimilation pour deux n intervocaliques
uenēnum, Bonōnia. On cite partout sterquilīnium
et uespertīliō ; mais *sterquininium est une pure hypothèse sans
appui (voir pour la bibliographie Bersu, Die gutturalen, p. 120).
*Uespertinionem (Bugge, KZ, XIX, p. 445) aurait à côté de lui
uespertīnus, mais on ne voit pas comment l'addition à uespertinus
du suffixe -iōn- aurait eu le don de faire signifier à ce mot « chauve-souris ».
M. Kretschmer (KZ, XXXI, p. 424) a proposé de uespertīliō
une autre étymologie : le second terme serait le même mot
que gr. πτίλον « plume légère, duvet » ; cela ne parait pas encore
satisfaisant pour le sens.

La dissimilation que présente le mot Λαβύνητος pourrait bien être
antérieure à l'emprunt grec, car ἀνένοθε, ἐπενήνοθε, κατενήνοθε sont
restés intacts. Le grec de Palestine connaît ce traitement : ebelinos.

n-m > l-m, cf. Commentaire I. | r-m, cf. Commentaire I. | d-m, cf. Commentaire XI.

n-m > l-m : v. it. astrolomia, it. Girolamo, frioul. lumar,
sic. luminari, mil. lümina, romg. lominèr, pad. lomè, Piacenz.
culumia, Lucq. columia, v. port. icolimo, fr. popul. luméro,
Bova limómulo.

n-m > r-m : v. fr. enverimer.

n-m > d-m : mil. domà.85

La première formule est très abondamment représentée en italien
et dans les dialectes italiens ; elle l'est peu ailleurs.

Le latin ne dissimile pas n-m intervocaliques : nōmen, nemus,
anima, numerus, etc.

Le grec fait de même : νέμω, ἄναιμος, νέμεσις, ἄνεμος, etc.

m-n > v-n ou b-n, cf. Commentaire VIII :

Lemk. poŭovena, gr. mod. βυζάνω.

Cette formule est inconnue au latin : monet, manet, femina,
munus, etc. et au grec : μένω, μόνος, μένος, μῆνις, μινύθω, etc.

š-ń > s-ń, š-č > s-č :

It. pusigno, Dampr. sėčòt. La seconde dento-palatale fait perdre
à la première son élément palatal. A Damprichard la dissimilation
n'a lieu que pour š-č ; ğ-ğ restent intacts : ğüğī, ğṑğī ;
č-č restent intacts : čėčijī, čṑčī ; č-ğ restent intacts : čèğū̬, čē̬ğī,
čèğėnrò ; pour l'explication détaillée de sėčòt, cf. MSL, VII, 462.

d-t > r-t, d-d> r-d :

esp. Garitana, quijarudo ; cf. Commentaire VIII.

Loi XVIII
De deux appuyées atones c'est la première
qui est dissimilée

Nous n'avons pas rencontré d'exemple certain de cette loi
dans les mots ordinaires. Les deux suivantes sont aussi très mal
représentées. C'est que les conditions nécessaires pour qu'elles se
produisent sont très rarement réunies ; quand elles le sont, c'est
généralement dans des mots composés dont tous les termes sont
très clairs. Il est bon néanmoins de les citer à leur place ; d'autres
trouveront sans doute les exemples qui nous ont échappé.86

Loi XIX
de deux combinées atones c'est la première
qui est dissimilée

Grec — θιπόβρωτος « vermoulu » de θριπόβρωτος (F. de Saussure,
MSL, VI, 78). La première forme n'est citée que par Hésychius ;
nous pouvons donc la considérer comme tardive, et les
groupes θρ et βρ comme combinés.

Gr.φύγεθλον « tumeur à l'aine » = *φλύγεθλον (Pott). Ce mot.
n'appartenant qu'à la basse grécité, nous devons considérer ses
groupes φλ et θλ comme combinés. M. Per Persson (Wurzelerweiterung,
p. 23) en donne une autre étymologie.

Commentaire XIX

r-r > 0-r, cf. Commentaire I.

l-l > 0-l, cf. Commentaire X.

Ces exemples ne sont pas démonstratifs, puisque nous ignorons
pour tous deux sur quelle syllabe tombait l'accent d'intensité.

Loi XX
De deux implosives atones c'est la première
qui est dissimilée

Français — héberger de herbergier, hébergement, etc.

Provençal — albergar.

Ces exemples n'ont qu'une valeur très secondaire puisque dans
les formes considérées à la loi I la seconde liquide est tonique.87

IV
Observation générale

Nous avons vu dans les Commentaires qu'un certain nombre
de mots ont échappé aux lois de la dissimilation parce que l'étymologie
de leurs différents éléments était claire pour le sujet
parlant. Il peut se faire qu'un seul des éléments constitutifs d'un
composé ou d'un dérivé soit resté intelligible ; c'est un thème,
un suffixe ou un préfixe qui existe dans plusieurs autres mots et
ne se trouve nulle part ailleurs dans les conditions requises pour
subir une dissimilation. Si c'est précisément dans cet élément
qu'est placé le phonème à dissimiler, les rapports de parenté que
tout le monde saisit lui donnent une force particulière et le maintiennent
intact. Dans ce cas la dissimilation est renversée : le phonème
qui devait exercer une dissimilation la subit.

L'élément resté clair est un thème :

Italien giogaja de *gioghiaja (Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 513).
Si la dissimilation a pu être renversée c'est grâce au mot giogo
(Caix, Rivista, II, p. 80-81).

Français Christofle, Christophe, espagnol Cristobal, italien
Cristofano = Christophoru. Le premier r qui devait être dissimilé
a été retenu par Christ, Cristo. L'italien Cristofano a en
outre subi pour sa finale l'influence de Stefano ; quant à l'autre
forme italienne Cristoforo, ce n'est que le mot latin réintroduit
par l'église.

Espagnol español : le premier n a été retenu par España, si ce
mot sort bien, comme on l'admet généralement, de hispanione.

Espagnol Madrileño ; c'est le d qui précède l'r qui devait être
dissimilé. Il a été retenu par le mot simple Madrid. Madrideño
est refait sur la forme écrite, car on prononce Madri.

A propos de Madrileño il est bon de faire une remarque sur
88l'échange de d avec r et surtout de d avec l. C'est un phénomène inexplicable
avec les documents que l'on possède aujourd'hui et on ne
l'éclaircira que par une étude approfondie de chacun des patois où
il se produit. Parmi les mots qui présentent ce phénomène nous
en avons expliqué quelques-uns par dissimilation et il y en a en
effet pour lesquels cette interprétation est certaine. Quelques autres
peuvent avoir subi une étymologie populaire ou avoir été mélangés
avec un autre mot, par exemple ital. vedetta de veletta d'après
vedere. D'autres enfin peuvent avoir éprouvé l'action d'une autre
loi phonétique ; l'espagnol possède les deux formes dintel et lintel
« linteau » ; M. Cornu (Romania, IX, 133) explique dintel par
el lintel qui serait devenu el dintel comme bulla est devenu bulda.
Ce serait un phénomène syntactique et en somme il n'y a rien
à cela d'impossible. Dintel pourrait d'ailleurs être après voyelle le
produit d'une dissimilation (loi XIV) ; dans l'Ariège on dit dentil'o,
dans le Béarn dendel'e qui pourraient être après voyelle une
application de la loi XVII. Mais quand bien même on aurait écarté
plusieurs de ces mots au moyen des doublets syntactiques, de l'étymologie
populaire, des croisements et de la dissimilation, il en restera
toujours un nombre considérable qui demanderont une autre
explication. Que dire en effet de esp. melecina, — esp. caluco à
côté de caduco, — esp. cigarra, fr. cigale, it. cicala à côté de
lat. cicada, — esp. mielga de medica, — esp. nalga de natica, —
esp. almul et almud, — port. malga de madiga = magidem,
— esp. ardil et ardid, — esp. escada et escala, — esp. sendos = sin(gu)los,
— port. padejar de palejar, — esp. sacaliña et sacadiña,
— esp. socaliña et socadiña, — esp. sur, port. sul, fr. sud,
— v. esp. sedano, — esp. amidon, fr. amidon, ital. amido,
— padouan envilia de invidia, — esp. adalid de adalil, — esp.
panadizo de panarizo, etc. ? On sait qu'en latin nombre de
mots où l'on attend un d présentent un l, et que si quelques-uns
comme lingua peuvent s'expliquer par étymologie populaire, d'autres
comme lacrima ont résisté jusqu'à présent à tous les efforts.89

En dernier lieu M. R. Seymour Conway a voulu y voir des emprunts
sabins (Idg. forsch., II, 157 sqq.). Les mots italiens tels que
tralce, caluco, cicala, ellera seraient aussi d'origine sabine (ibid.,
p. 162). La thèse est spécieuse ; mais est-il bien vrai que d devenait
régulièrement l en sabin ? Si l'on examine les exemples sabins
réunis par M. Conway, la seule conclusion que l'on soit strictement
en droit d'en tirer, c'est que le sabin paraît avoir eu dans
un certain nombre de cas comme le latin un l là où l'on attend un
d. Il faut rappeler après M. Baist (Grœber's Grr., I, p. 702) que
d'après Columelle et Varron le paysan disait melicus pour medicus.
Il y a des régions où la forme avec l et celle avec d existent
côte à côte : dans le Gard on dit demito ou lemito « limite », lentilha
ou dentilha « lentille », beligàs et bedigàs « agneau d'un
an », oulour et oudour « odeur », lensoù et densoù « linceul »,
deissà et leissà « laisser », paraudoet paraulo, Lundres et Dundres
« nom d'une ville de l'Hérault », etc. (Roque-Ferrier, Revue
des Langues Romanes, 1883, X, p. 187 sqq.). Sans doute, comme
nous l'avons vu plus haut dans les Commentaires, il n'y a pas une
très grande différence entre un l et un d ; mais la différence est
cependant trop considérable pour qu'il puisse y avoir confusion
dans les mots indigènes du moins. Si dans le même département
on emploie beligàs et bedigàs, il faut voir si on les emploie dans
le même village ; et si on les emploie en effet dans le même village,
et si la même personne se sert de ces deux formes, il faut
examiner dans quelles conditions elle emploie l'une et dans quelles
conditions l'autre ; car l'emploi indifférent d'une forme pour une
autre n'existe pas. Tant que cette étude n'aura pas été faite, la
question restera pendante et les renseignements que nous avons
sur elle ne permettront aucune conclusion.

Lituanien katrùl (Bechtel, Ass. und diss., p. 28) « dans quelle
direction ? » doit sa dissimilation, contraire à la loi VII, à l'influence
de katràs « lequel ? ». Il est d'ailleurs surprenant que ce mot ait
subi une dissimilation quelconque ; il semble que le premier r
90aurait dû être retenu par katràs et le second par kur̃ « où ? »
kitur̃ « ailleurs ».

Vieux haut allemand mûlberi de et à côté de mûrberi, môrberi,
emprunté à lat. mōrum. Sous l'action du mot bien connu beri
« beere », c'est le second r qui aurait été dissimilé en vertu de la
loi XIV. Même observation pour moy. angl. mulberie de et à côté
de murberie.

Moyen haut allemand knobelouch « ail » de et à côté de klobelouch,
vha. klobolouch, klofolouch, klovolouch (Angermann, Diss.
im griech., p. 41). Sans l'influence du mot bien connu louch
« lauch » c'est le second l qui aurait été dissimilé en vertu de la
loi IV.

Gr. θερμαστίς « chaudière », forme tardive, de θερμαστρίς. Influence de θερμός.

Grec κεφαλαργία de κεφαλαλγία. Le mot κεφαλή était trop connu et
trop nettement senti dans ce mot pour devenir *κεφαρ-. Le mot ἄλγος
pouvait dès lors s'effacer et devenir une sorte de suffixe déterminant
quelque chose qui concerne la tête. C'est le même cas que
plus haut pour katrùl, où l'influence de katràs a été plus forte
que celle de kur̃.

Grec Πολυδεύκης serait encore un cas analogue si l'étymologie
*Πολυ-λεύκης (Baunack, MSL, V, 3) est exacte. Mais ce fait que nous
n'avons pas rencontré jusqu'à présent en grec la formule l-l > d-l
ou l-d lui ôte beaucoup de sa vraisemblance. M. H. Lewy, qui répète
cette étymologie (Idg. forsch., II, p. 446) l'appuie par δοῦλος
= *λοῦλος et Δευκαλίων = *Λευκαλιων. Mais Cette étymologie de δοῦλος
n'est nullement satisfaisante ; celle de M. Johansson (Idg. forsch.,
III, 224 sqq.) paraît au contraire définitive et suppose un d primitif.
Quant à Δευκαλίων, s'il représente réellement *Λευκαλίων, il peut
devoir son δ à l'influence de δεύω « je mouille » par étymologie populaire.
Enfin il ne faut pas oublier que le grec possédait une racine
deuc- : δαιδύσσεσθαι· ἕλκεσθαι Hés., lat. dūcō, got. tiuhan, et, sans vouloir
faire d'hypothèse sur l'origine et le sens de Πολυδεύκης et de
91Δευκαλίων, il est bon de signaler la présence possible de cette racine
dans ces deux mots, dont le δ serait alors primitif.

Latin floralis de vieux latin flusaris (0. Keller, Lat. volks.,
p. 90). Le premier r étant retenu par florem, le suffixe -aris a été
remplacé par le suffixe -alis ; ce n'est pas une dissimilation à proprement
parler (cf. infra 2e partie, Suffixes et préfixes).

L'élément resté clair est un suffixe ou un préfixe très usité :

Suff. -ulu, -culu ; ce suffixe diminutif si fréquent en latin et dans
les langues romanes a joué un rôle considérable dans la question
qui nous occupe. C'est déjà lui qui avait déterminé la dissimilation
du mot latin fistula, s'il représente bien *flistula, comme le veut
M. Bugge (Bezz. B. III, 98). Dans les langues romanes il y a particulièrement
trois mots dont il a renversé la dissimilation : colucula,
umbiliculu, soliculu. Le premier est devenu conucla dès en
latin vulgaire. La forme *umbriclu ou *umbriculu remonte-t-elle
aussi au latin vulgaire ? Il est difficile de le déterminer. Elle est
représentée par Dampr. brėj, émil. umbrigolo, prov. umbrilhs, fr.
nombril. Quant à soriculu il ne remonte sûrement pas au latin
vulgaire, comme le montrent fr. soleil, prov. solelhs, rhétor. solaigl ;
il est représenté par Dampr. sraj, Val-Soana sorólj, Saint-Genis se
sorilyi
« se chauffer au soleil » (Philipon, Rev. des pat.,
III, p. 43), Dauph., se sorelyī « s'exposer au soleil » (À. Devaux,
Essai sur la langue vulgaire du Dauph., p. 337), etc.

Port. negalho = *ligaculum.

Campob. pinnula « pilule » (D'Ovidio, Arch. gl. it., IV, 162).

Fr. faible de v. fr. flaible ; influence des nombreux mots se terminant
en -ble, comme aimable, secourable, coupable, risible,
horrible, terrible, ensemble, humble, noble.

Esp., prov. feble ; même explication que fr. faible.

Ital. pilatro « pyrèthre », prov. pelitres, esp., port. pelitre. Le
dernier r a été soutenu par la fréquence du suffixe -tro, -tre.

Ital. dietro cité comme dissimilation par Caix (Studj di et. it. e
rom., p. 189) doit figurer ici : le suffixe -tro a pris une résistance particulière
92dans ce mot à cause de destro, sinistro, contro.

Esp. almendra (lat. vulg. amendola, cf. port. amendoa) doit
l'l de sa première syllabe à l'article arabe, et cet article est si fréquent
qu'il ne peut pas être modifié.

Dampr. òlḗtr « arête ».L'r du suffixe n'est pas plus primitif ici que
l'l du mot précédent ; mais il n'est pas moins fort une fois introduit.

Fr. orme de ulmu. D'après M. Mœhl (Bull. Soc. Ling. VII, p.
CCXVII) c'est après l'article l' que serait née cette forme. Les raisons
qu'il apporte à l'appui de cette hypothèse sont très plausibles.
On aurait dit l'orme et les olmes, l'arme et une alme de anima.
Il a trouvé en effet dans un manuscrit l'urcere et les ulceres. Il
est facile de comprendre que l'olme ne pouvait pas devenir r'olme ;
l'article l' est trop clair et trop fréquemment employé pour pouvoir
être modifié ainsi. Il a renversé la dissimilation. Si olmes reste intact
au pluriel, c'est que les olmes forme beaucoup moins une
unité que l'olme et d'autre part tandis qu'on disait au singulier
de l'olme, à l'olme, qui étaient susceptibles de dissimilation, au
pluriel des olmes, aux olmes ne l'étaient pas.

Ital. remolare « tarder » (Florence) et rembolare (Pistoja) =
remorare sont donnés comme dissimilation par Caix (Studj di et.
it. e rom., p. 186). Avec raison ; mais l'agent n'est pas comme il le
croit l'r de l'infinitif ; les formes qui ne possèdent pas cet r sont
trop nombreuses et trop fréquemment employées pour qu'il
puisse avoir cette puissance (cf. conquidere, etc. infra, 2e partie) ;
c'est l'r initial qui appartient à un préfixe bien connu et qui quelquefois
est appuyé.

V. fr. almaire, aumaire de armariu par influence du suff. -ariu.
La forme *almariu remonte peut-être au latin vulgaire (cf. roum.
almar, all. almer) ; elle aurait été dialectale à côté de armariu.
Quoi qu'il en soit la dissimilation représentée par all. almer n'est
sûrement pas germanique, et c'est à l'all. almer qu'ont été empruntées
les formes slaves : čèq. almara, pol. almaryja, olmaryja,
slov. almara, almarica.93

Lit. alkė̃rius « erker », cité par M. Bechtel (Ass. und diss., p.
28) ne peut pas être donné avec assurance comme exemple de dissimilation.
La fréquence de la finale -rius était-elle suffisante pour
déterminer le renversement de la dissimilation ? Il est beaucoup
plus probable qu'il y a eu influence de alkas « bosse » par étymologie
populaire ; l'a initial est en faveur de cette explication.

All. silber « argent », vha. silbar, silabar, got. silubr, ags. seolubr,
seolfor, angl. silver, holl. zilver, v. sax. silubar, à côté
de v. sl. sĭrebro, lit. sidabras, etc. sont rapportés par M. Kluge
(Et. wœrt.) à une forme primitive *silobro. On a deux r dans v. sl.
sĭrebro « argent », slov. srebro, bulg. srebro, strebro, serb. srebro,
čèq. str'ibro, pol. srebro, polab. srėbrü. Ces deux r sont primitifs.
Le premier a été dissimilé en germanique grâce à la force
particulière du suffixe. Le second l'a été dans v. pruss. sirablan
en vertu de la loi XVI. — Quant à lit. sidabras il aurait pu sortir
de *sirabras par l'effet de la loi VIII à une époque où le b et l'r
suivant ne formaient pas encore un groupe combiné ; mais ce
serait faire remonter bien haut un d qui n'est peut-être pas très
ancien. Le suffixe -ra n'a pas pu renverser la dissimilation parce
que le suffixe -la existe aussi ; la finale blas existe tout comme
la finale bras. Enfin un d sorti de r par dissimilation est un produit
assez rare. Il est donc probable qu'il faut voir dans ce d l'influence
d'un autre mot, qui paraît être svidus « brillant », svidėti
« briller ».

Franciq. du IXe siècle sliumo « rapide » = vha. sniumo(Braune,
Ahd. gr., p. 94). Il y a eu influence du suffixe -mo, -umo, cf.
mëtumo « médius », rëhtumo « rectus », duërhumo « obliquus »,
etc. Il n'y a pas de suffixe -bo, -ubo, -vo, -uvo dans les adjectifs.
Vha.slûnîg, all. schleunig « rapide » reçoit une explication analogue.

Vha. knüpfel « gourdin » de *klüppel, cf. angl. club « massue,
gourdin », v. norr. klubba. Influence du suffixe diminutif (1)3.94

Mha. kniuwel « pelote » de kliuwel, diminutif de kliuwe « boule »,
vha. kliuwa.

Serbe zlàmenje, cf. v. sl. znamenĭje « signe », parce que ce mot
a un sens particulier qui le sépare de znati et qu'on y reconnaît
le suffixe -men-.95

V
Tableau des traitements

Nous rassemblons ici les divers produits de la dissimilation que
nous avons rencontrés ; il pourra être commode pour les recherches
ultérieures de voir d'un coup d'œil, sans être obligé de recourir
aux lois particulières, que la dissimilation de tel phonème par
tel autre existe dans telle et telle langue et quels sont ses produits.
Ce tableau n'est forcément qu'une ébauche ; il ne pourra être à
peu près complet que le jour où nombre de monographies auront
approfondi la question dans chaque langue.

Produits de r.

r dissimilé par r devient l.

v. h. allemand (lois I, IV, XIV)
m. h. allemand (lois I, XIII)
v. arménien (loi I)
Damprichard (lois II, IV)
espagnol (lois I, IV, V, VIII, XII, XIV, XVI)
français (lois I, II, XII, XIV, XV, XVI)
grec (lois III, VIII, XVII)
grec de palestine (loi XIV)
grec moderne (lois II, XIV, XVI, XVII)
italien (lois I, IV, V, XII, XIX)
latin (loi II)
latin vulgaire (lois I, IV, XII, XIX)
lette (lois IV, XIV, XVII)
lituanien (lois IV, XIV, XVI)
milanais (lois I, XII, XVI)
polonais (loi XIV)
portugais (lois I, XVI)
96provençal (lois I, XII)
petit russien (lois VIII, XIV)
serbe (loi XV)

r dissimilé par r devient n :

latin (loi IV)
Lemken (loi I)
lituanien (loi XII)

r dissimilé par r devient d :

italien (loi IV)
lat. vulg. (lois IV, VIII, XIV)
portugais (loi XIV)

r dissimilé par r devient 0 :

v.h. all. (loi VII)
italien (lois II, XVI)
Damprichard (lois IX, XII)
latin (loi II)
espagnol (lois II, IX)
portugais (loi II)
français (lois I, IX, XII)
provençal (loi XII)
grec (lois II, XII, XVI, XIX)

r dissimilé par l devient d :

pilsen (loi XI)

6e r dissimilé par l devient 0 :

Damprichard (loi XII)
espagnol (loi XII)

Produits de l.

l dissimilé par l devient r :

espagnol (lois VIII, XIV)
lituanien (loi XII)
français (lois I, XI, XIV)
v. norrois (loi XI)
grec (lois IV, VIII)
milanais (loi I)
irlandais (loi XVII)
provençal (loi XIV)
italien (lois I, XI, XIV)
russe (loi XII)
latin (loi XVII)
sarde (loi XVII)
vénitien (loi XVII)97

l dissimilé par l devient n :

m.h.all. (loi (XVII)
milanais (loi XIV)
catalan (loi I)
piémontais (loi XVII)
espagnol (lois I, XIV)
portugais (loi XIV)
français (loi XIV)
prâkrit (loi XVII)
provençal (loi XIV)

l vélaire dissimilé par l devient d :

catalan (loi XVII) v.
islandais (loi XI)
provençal (loi XVII)

l vélaire dissimilé par l devient w :

arménien moderne (loi XIV)

l dissimilé par l devient 0 :

espagnol (loi XII)
grec (lois X, XVI, XIX)
français (loi XII)
latin vulgaire (loi XVII)

l dissimilé par r devient 0 :

espagnol (loi XII)

Produits de n.

n dissimilé par n devient l :

v. arménien (loi XV)
irlandais (loi VII)
m. breton (lot VI)
italien (lois VIII, XVII)
espagnol (loi XVII)
Lemken (lois XI, XVII)
français (lois XIV, XVII)
lituanien (loi VII)
germanique (loi XIV)
pâli (loi XIV)
grec (loi VIII)
piémontais (loi XIV)
grec de palestine (loi XVII)
pilsen (loi XIV)
grec moderne (loi XIV)
sicilien (lois XIV, XVII)
Sopraselva (loi I)98

n dissimilé par n devient r :

ν. français (loi XVII)
Lemken (loi XI)
italien (loi XIV)
milanais (loi XVII)

n dissimilé par n devient d :

andalous (loi XIV)
v. islandais (loi XI)
catalan (loi XIV)
Lemken (loi XI)
provençal (loi XIV)

n dissimilé par m devient l :

m. breton (loi XIV)
milanais (loi XVII)
espagnol (lois XI, XIV)
padouan (lois XIV, XVII)
français (lois VIII, XI, XVII)
portugais (lois VIII, XI, XIV, XVII)
grec (loi VIII)
grec moderne (loi XVII)
sicilien (loi XVII)
italien (lois VIII, XI, XVII)
sindhi (loi VIII)
lituanien (loi XVI)
Sopraselva (loi XI)

n dissimilé par m devient r :

espagnol (loi XI)
lituanien (loi XVI)
français (lois XI, XVII)
milanais (loi XI)
latin (loi XI)
provençal (loi XI)
sicilien (loi XI)

n dissimilé par m devient d :

milanais (loi XVII)
Sopraselva (loi XIV)

Produits de m.

m dissimilé par m devient v :

catalan (loi VIII)
italien (loi XIV)
provençal (loi VIII)99

m dissimilé par m devient b :

russe (loi VIII)

m dissimilé par n devient v bilabial.

germanique (loi XI)
latin (loi VIII)

m dissimilé par n devient v ;

arménien (loi XIV)
italien (loi VIII)
Bourberain (loi XI)
Lemken (lois XI, XVII)
m. breton (lois VI, XIV, XVII)
russe (loi XI)
bulgare (loi XI)
serbe (loi XI)
slovène (loi XI)

m dissimilé par n devient b :

čèque (loi XI)
grec moderne (loi XVII)
grec (lois VIII, XIV)
Lucques (loi VIII)
slovène (loi XI)

m dissimilé par p, b, v devient n :

čèque (loi VIII)
hindi (loi XIV)
espagnol (loi VIII) |polonais (loi VIII)
français (loi VIII)
Sopraselva (loi VIII)
b. sorabe (loi VIII)

Produit de b.

b dissimilé par b devient m :

grec (loi XI)

Produit de d.

d dissimilé par t, d, devient r :

espagnol (lois VIII, XVII)
portugais (loi VIII)100

d dissimilé par t devient l :

attique (loi VIII)

Produit de χ.

χ dissimilé par s devient k :

allemand (loi XI)

Produit de qu.

qu dissimilé par qu devient c :

latin vulgaire (loi VIII)

Produit de w :

w dissimilé par w devient g :

gotique (loi XI)
norrois (loi XI)

Produits de j :

j dissimilé par j devient g :

vieux norrois (loi XI)

j dissimilé par j devient d :

gotique (loi XI)

j dissimilé par j devient 0 :

italien (loi II)

Produits de ž.

ž dissimilé par ž devient 0 :

italien (loi II)

ž dissimilé par ž, č, s devient j :

vieux čèque (loi XI)

Produits de č :

č dissimilé par dentale devient š ;

Damprichard (loi XI)
serbe (loi XI)
101slovène (loi XI)

č dissimilé par c devient j :

vieux čèque (loi XI)

Produit de ğ.

ğ dissimilé par dentale devient ž :

Damprichard (loi XI)

Produit de š.

š dissimilé par n' devient s :

italien (loi XVII)

š dissimilé par č devient s ;

Damprichard (loi XVII)

Produit de z.

z dissimilé par s, š devient j :

vieux čèque (loi XI)

Produit de c', s'.

c', s' dissimilés respectivement par c, s, deviennent j :

polonais (loi XI)102

VI
Dissimilation d'aspiration

La dissimilation d'aspiration existe en grec et en sanskrit : elle
est établie indépendamment dans chacune de ces langues, et
dans chacune elle est, en règle générale, régressive.

A priori on ne voit pas pourquoi la dissimilation d'aspiration ne
serait pas soumise aux mêmes lois que celle des autres phonèmes.
Il est donc naturel de rechercher s'il est bien vrai qu'elle objéit
à une loi qui lui est propre.

Examinons d'abord la question en grec où elle paraît plus variée.

Voici les principales situations dans lesquelles peuvent se trouver
les deux aspirations :

Elles sont toutes deux intervocaliques ; dissimilation toujours
régressive
(loi XVII) :

τίθημι, ἐτέθην, ἐπύθετο, ἔχω, ἄλοχος, τωθάζω, ἐκεχειρία dans lequel
on ne sentait plus ἔχω, τευθίς (cf. 6° θευτίς), etc.

La première est intervocalique, la seconde est appuyée ; en
vertu de la loi VIII la dissimilation sera toujours régressive :

κάρχαρος, παμφαλάω, πομφόλυξ, πενθερός, τονθορύζω, inscr. att.
κάλχη, Καλχηδόνιοι, Hérod. Καλχηδόνιοι, etc.

Elles sont toutes deux appuyées : la dissimilation sera toujours
régressive
(loi XVIII). Mêmes exemples que sous 2°, après
consonne :

πενθερός, etc.

La première est combinée, la deuxième intervocalique : dissimilation
régressive (loi XVI) :

att. τριχός, βάτραχος (cf. infra βύρθακος), etc.

La première est intervocalique, la seconde implosive : dissimilation
régressive (loi XIII) :103

ion. κύθρη, κύθρος, cf. att. κύτρα, κύτρος sous 7°.

La première est appuyée, la deuxième intervocalique : dissimilation
progressive (loi VIII) :

Hérodot. ἐνθαῦτα, Hérodot. ἐνθεῦτεν, Hés. θωτάζω, Hippon. θευτίς
Hés. βύρθακος.

La première est intervocalique, la deuxième combinée : dissimilation
progressive (loi XVI) :

att. φάτνη (cf. infra πάθνη, p. 105), χύτρα, χύτρος, cf. ion, κύθρη,
κύθρος sous 5°.

Nous avons vu plus haut dans les Commentaires que lorsque
les deux phonèmes à considérer se trouvent chacun dans un élément
différent d'un composé ou d'un dérivé et que chacun de ces
deux éléments est très clair pour le sujet parlant, il ne se produit
aucune dissimilation. C'est le cas de :

σχέσθαι, ἐσχέθην, σχέθω, ἐθρέφθην, γροσφοφόρος, καφηφόρος, λοφοφόρος,
φωσφόρος, ὀσχοφόρος, πολφοφάχη, βραχυχρόνιος, παχύχυμος, παχύθριξ
βαθύθριξ, ἀρχεθέωρος, ἀμφιχέω, ὀρνιθοθήρας, ἐχύθην, θωμιχθείς, θωχθείς
ἀμφίφαλος, θλιφθείς, ὀρθωθείς, ἐθάλφθην, ἐθέλχθης, ἐχέφρων, φοβηθείς, etc.

Nous avons montré d'autre part (Observation générale) que si
un seul des deux éléments est resté très clair pour le sujet parlant,
et que cet élément soit précisément celui dans lequel se trouve
le phonème qui devait être dissimulé, la dissimilation peut être
renversée. C'est ce qui explique :

λύθητι, φιλήθητι, τιμήθητι, δηλώθητι, τεθήτι, στάθητι, δόθητι,
δείκθητι, etc., Hés. ἀμφίσκω, etc.

Le θ de θη était retenu par toutes les personnes de tous les modes
du futur et de l'aoriste passifs, tandis que la désinence -θι était
isolée à la 2e pers. du sing. de l'impératif aor. passif.

Il y a lieu de remarquer d'ailleurs que la dissimilation progressive
était régulière dans δείχθητι, διαλέχθητι, πείσθητι, etc., ce qui
a pu contribuer à dissimiler progressivement λύθητι, etc.

Il faut noter pourtant que l'on a φάθι (ou φαθί). C'est qu'ici c'est
à un impératif actif qu'apparaît la désinence θι Dans cette situation
104elle a été retenue par les autres impératifs actifs en θι qui ne prêtaient
pas à dissimilation. Si *φατι a jamais existé, ce qui est probable,
son θ ne pouvait manquer d'être rétabli d'après :

ἴθι, χλῦθι, les deux ἴσθι, γνῶθι, ὄρνυθι, δείδιθι, πῖθι, ἵλαθι, δίδωθι
τλῆθι, βῆθι, φάνηθι, στῆθι, etc.

Cet aperçu montre nettement que la dissimilation d'aspiration se
fait conformément aux mêmes lois que celle des autres phonèmes.

Il est notoire pourtant que la dissimilation d'aspiration en grec
est surtout régressive et qu'à la basse époque elle est même
uniquement régressive, si l'on fait abstraction de la finale θητι.

Différentes considérations rendent parfaitement compte de ces
faits.

Si l'Iliade et l'Odyssée connaissaient la dissimilation des aspirées,
le type *θριχος devait y être *θρικος, en vertu de la coupe des syllabes
homérique ; mais nous n'avons aucune indication sur la dissimilation
d'aspiration chez Homère,

En attique la dissimilation d'aspiration ne se produit qu'au Ve siècle
av. J.-C. (cf. Meisterhans, Gr., 78), c'est-à-dire à une époque
où les groupes sont combinés. Dans ces conditions τριχός est seul
possible.

Si l'on veut bien constater en outre que sur les sept positions que
nous avons notées plus haut, cinq donnent lieu à des dissimilations
régressives et que les deux premières, qui sont toujours régressives,
sont représentées dans la proportion de 9 cas sur 10, enfin que la
dissimilation d'aspiration est la seule dont les Grecs aient eu conscience,
on comprendra aisément que le sentiment de la régressivité
constante de la dissimilation d'aspiration se soit établi et généralisé.
C'est ce qui explique :

ἀμπίσκω, σκεθρός dans lequel on ne sentait plus σχεῖν, att. ἐνταῦθα,
ἐντεῦθεν, gr. tardif πάθνη, etc.

Quelques mots ont subi des influences analogiques :105

ταράσσειν d'après ταραχή, cf. θράσσειν.
πεύσομαι d'après πυνθάνομαι, ἐπυθόμην.
πίστις d'après πείθω, ἔπιθον, πιθανός.
etc., etc.

Reste la question examinée par M. Osthoff (Perf., p. 305 sqq.) :
qu'est-ce qui se produit lorsqu'un mot contient trois aspirées ou davantage ?
La question n'existe pas, parce qu'il n'y a pas de mot
simple qui se trouve dans ces conditions. Dans un mot composé ou
dérivé si tous les termes sont étymologiquement clairs il n'y a pas
de dissimilation ; chaque élément est traité comme lorsqu'il est
isolé ; ἐχέφρων. Si l'un des termes n'est pus clair, c'est chez lui
que se produit la dissimilation : ἐκεχειρία, λύθητι. Si le mot est à
redoublement, le redoublement perd son aspiration en vertu d'une
des lois examinées plus haut, et le reste du mot est traité de différentes
manières suivant les cas : πέποιθα, τέθητι, τέθραφθαι. On a
-ποιθα d'après πείθω, -θητι en vertu de l'Observation générale,
τέ-θραφθαι d'après τέ-θραμμαι, τέ-θραψαι, etc. Supposons d'ailleurs
une forme *φεφοιθα, et qu'elle devienne tout d'abord *πεφοιθα : le
φ n'étant retenu par aucune forme de la conjugaison deviendra π
par une nouvelle dissimilation. Supposons qu'elle devienne *φε-ποιθα ;
le φ sera encore dissimilé par le θ comme il l'aurait été dans
un *φεποιθα primitif ; et si par impossible *φεποιθα résistait à la dissimilation
il deviendrait πέποιθα grâce au sentiment du redoublement.
Ce sentiment, comme nous le verrons à la 3e partie, tend
d'une part à assimiler les initiales de deux syllabes consécutives
dont l'une est le redoublement de l'autre, et d'autre part il ne
permet pas que la consonne initiale de la syllabe redoublante contienne
plus d'éléments que la consonne initiale de la syllabe redoublée :
elle peut en contenir autant ou moins.

Le sanskrit a généralisé encore plus que le grec la dissimilation
d'aspiration régressive : drṓghas, cf. v. isl. draugr « spectre »,
comme dádhāti « il place » de racine dhē-, cf. gr. θήσω, kumbhás
« pot » = *khumbhas = zd. xumba-, etc.106

Il n'est pas démontable que le sanskrit ait possédé la dissimilation
d'aspiration variée que nous avons trouvée en grec ; mais il
y a tout lieu de le croire. Pour le reste en effet le sanskrit se
comporte comme le grec : quand les deux éléments d'un composé
ou d'un dérivé sont très clairs, il ne dissimile généralement pas :
dat. pl. khēbhyas « bouches, oreilles », instr. pl.pathibhis « chemins »
doivent la conservation de leur première aspiration aux
cas de la déclinaison où il n'y avait pas lieu à dissimilation. Les
deux aspirations de abhi-bhūtis « force supérieure », garbha-dhís
« nid », ahi-hán- « tueur de serpents » ont été retenues par chacun
des deux termes (Brugmann, Grr., I, 352, 356). La dissimiation
progressive de la désinence d'impératif -dhi en vertu de
l'Observation générale, n'existe pas en sanskrit, parce que cette
langue n'a pas l'équivalent de la finale *-θηθι, et que -dhi se
trouve toujours chez elle dans les mêmes conditions qu'en grec
dans φάθι, ἴσθι.107

Deuxième partie
Mêmes effets, causes différentes109

On a trouvé dans la partie précédente avec un certain nombre
d'exemples nouveaux la plupart de ceux qui sont cités un peu partout.
Mais on a pu remarquer aussi l'absence de certains autres
qui sont également signalés çà et là. C'est que, sans parler de ceux
qui ont pu nous échapper, ils doivent à notre sens recevoir une
autre explication.

Les lois de la dissimilation sont, comme nous l'avons vu, pour
chaque langue dans laquelle elles existent des lois phonétiques,
c'est-à-dire des lois qui président à l'évolution des sons, leur imposant
telle modification d'une manière constante et absolue, toutes
les fois qu'une circonstance particulière ne vient pas les empêcher
d'agir. Mais les lois phonétiques ne sont pas le seul agent de l'évolution
des langues ; il y a d'autres causes qui produisent des changements
dans les mots : à côté de l'évolution du son qui est l'objet
de la phonétique, il y a l'évolution du-mot qui en est dans une
certaine mesure indépendante. Lorsqu'un mot présente quelque
ressemblance phonique ou sémantique avec un autre ou un groupe
d'autres, il peut subir l'influence de cet autre de différentes manières.
Il peut lui emprunter un ou plusieurs phonèmes isolés et
les introduire dans son corps, sans rien perdre de ceux qu'il possédait
déjà ou en échange de quelques-uns des phonèmes qui lui
appartenaient primitivement. Il peut lui emprunter un préfixe, un
suffixe, plusieurs syllabes consécutives ; il peut même se mêler
avec lui de façon que les deux mots n'en font plus qu'un. Ces différents
phénomènes sont connus sous les noms d'étymologie populaire,
croisement, analogie, etc.

Quelques exemples rendront plus nette la différence qu'il y a
entre l'évolution du son et l'évolution du mot.111

Si nous disons : e ouvert tonique libre du latin vulgaire devient
ie en français, — ou bien : ttr intervocalique devient str en latin,
— ou bien encore : i germanique devient e en vieux haut allemand
quand il y a un a, un e ou un o dans la syllabe suivante, —
dans ces trois cas nous énonçons une loi relative à l'évolution du
son. La première ne considère qu'un seul phonème, la seconde
trois phonèmes contigus et la troisième montre un phonème sous
la dépendance d'un autre avec lequel il n'est pas en contact immédiat.
Quand nous énonçons ces lois nous ne prenons pas plus en
considération les mots pied, claustrum, wehsal que tous autres,
parce qu'elles sont indépendantes des mots sur lesquels elles agissent
et rentrent dans la formule générale des lois : toutes les fois
que tel cas se présente, tel phénomène se produit.

D'autre part si nous disons : le mot italien palafreno doit son
n au lieu de d à l'influence de freno, nous n'énonçons pas une
loi, mais un fait particulier. C'est parce qu'une association d'idées
est possible entre le mors et le cheval et parce qu'en outre aucun
élément du mot *palafredo n'était clair pour un Italien, que freno
a pu prendre la place do -fredo. Mais il ne résulte nullement de
ce fait qu'un autre -fredo doive devenir aussi -freno en italien.112

Étymologie populaire, croisements, jeux de mots, etc.

Les changements produits dans les mots par l'étymologie populaire,
les rapprochements savants, les calembours, l'analogie, les
croisements de mots sont souvent comparables à ceux qui sont
dus à la dissimilation. C'est ce qui explique que l'on ait pu se
tromper quelquefois sur la cause réelle de la modification.

Nous allons passer en revue les mots qui ont été cités à tort, à
notre jugement, pour des exemples de dissimilation et quelques
autres que nous n'avons pas vu signaler mais qui auraient pu l'être.
Nous les classerons d'après les modifications qu'ils ont subies, et
dans chaque catégorie nous citerons également quelques exemples,
connus ou nouveaux, de mots qui ont éprouvé le même phénomène
mais dans lesquels il est absolument impossible de songer à une
dissimilation. Le lecteur aura ainsi sous la main quelques mots
montrant que l'explication du phénomène considéré n'a pas été inventée
tout exprès pour écarter des exemples gênants.

l est remplacé par r ou vice versa :

Fr. pourpier de pulli-pede doit son premier r à l'influence
de pourpre, car l'espèce la plus répandue du pourpier des jardins,
dit « grandiflore », donne des fleurs d'un violet purpurin. Quant
à la finale -ier elle est due à un de ces rapprochements « savants »
qui modifient l'orthographe d'un mot sans en changer la prononciation,
comme celle qui a introduit un d dans le mot poids =
pesu, d'après pondus. Cette finale -ier a été empruntée à pommier,
poirier, sorbier, prunier, olivier, etc.

Lat. lemuria devient remoria sous la double influence de
113Remus et de remora. Voir l'explication dans 0. Keller, Lat.
volks., p. 40-41.

Esp. tinieblas « ténèbres » doit son l pour r à nieblas « brouillard ».

Ital. veruno « personne » = vel + uno doit son r à vernullo qui
n'existe plus en italien moderne, mais existait en vieil italien à
côté de veruno.

Esp. taladro « tarière » — taratrum + talar.

Gr. λείριον, lat. līlium. Si λείριον est pour *λείλιον comme le
pense Prellwilz (Et. wœrt.), ce qui n'est nullement démontré,
il doit son ρ à l'influence de λειρός. Mais il ne faut pas oublier que
d'un primitif λείριον le latin aurait pu faire lilium soit parce qu'il
ne connaît pas le suffixe-rio, soit par le sentiment d'un redoublement
(cf. infra les effets du redoublement).

Gr. ἀργαλέος = *ἀλγαλέος, donné comme dissimilation par M. F. de
Saussure (MSL, VI, 78), doit son ρ à l'influence de ἀργός, combinée
avec le fait que le suffixe *-ρεος n'existe pas. Voir sur ce dernier
point Bechtel, Ass. und diss., p. 16.

Mha. armuosen pour almuosen d'après arm « pauvre » (Andresen,
Deutsche volkset., p. 85).

Fr. courte-pointe de culcita puncta « couverture piquée »
(H. Gaidoz., R. Crit., XVI, p. 131). Il n'y a dans ce cas aucun rapport
de sens mais simplement analogie phonique.

Fr. armet « casque », diminutif de v. fr. healme, helme,
halme, fr. mod. heaume, d'après arme (Fass, Rom. forsch.,
p. 495).

Gr. Ἀλερία. M. L. Havet après Angermann et Corssen cite le
lat. Aleria comme exemple de dissimilation (MSL, VI, 27). La
forme latine Aleria n'est autre chose que le mot grec Ἀλερία,
forme tardive ayant remplacé Ἀλαλία, Ἀλαλίη par étymologie populaire ;
cf. ἀλέρον·κόπρον Hés. Ce qui nous garantit absolument
l'étymologie populaire c'est la loi XVII et la présence de l'ε.

Gr. Θρινακίη. M. Bréal (MSL, VII, 188) pense que Θρινακίη est
114postérieur à Τριναχρία et en est sorti par dissimilation. Voir en
dernier lieu sur la question K. Brugmann, Idg. forsch., III,
p. 261 sqq. En réalité Τριναχρία est bien postérieur à Θρινακίη et dû
simplement à une étymologie populaire « savante ».

Dampr. mṓtar « belette » à côté de mṓtal. La seconde forme =
mustela est la plus usitée. La première doit son r à l'influence de
lar « loutre ». Le seul trait commun qu'il y ait entre ces deux
mots, c'est qu'ils désignent tous deux des animaux non domestiques
ayant des noms qui ne ressemblent pas aux mots français ; un
rapport aussi faible suffit pour déterminer une étymologie populaire.
L'existence côte à côte de la forme phonétique et de la forme
altérée est une marque bien nette d'étymologie populaire : lorsqu'une
forme sort d'une autre par évolution phonétique la première
ne peut pas subsister puisqu'elle devient la seconde. Mais l'altération
que tel ou tel groupe de personnes fait subir à un mot par
étymologie populaire est un hasard, non pas une loi, et il n'y a
souvent aucune raison pour qu'elle devienne générale.

Polon. welbrąd, forme rare à côté de welbląd, doit sans doute
son r à l'influence d'un autre mot, peut-être brunatny, brunak
« braunschimmel » ; nous signalons ce mot aux spécialistes. Il
ne peut pas devoir sa forme à une dissimilation : 1° parce que
welbląd existe ; 2e parce qu'il est en contradiction formelle avec la
loi XII.

Gr. Ἀλίαρτος passe pour être sorti de Ἀρίαρτος par dissimilation.
Mais la forme Ἀλίαρτος se trouve un peu partout, déjà même dans
l'Iliade, tandis que Ἀρίαρτος ne parait que chez Etienne de Byzance
d'après Arménidas ; Ἀρίαρτος semble donc postérieur.

Esp. nispero « nèfle ». Les Espagnols ont une pomme qui a la
forme d'une poire et qu'ils appellent pero. Comme la nèfle n'est ni
une pomme ni une poire et ressemble à toutes deux, ils ont tout
naturellement remplacé la finale *-pelo qui n'avait pas de sens pour
eux par le mot pero qui en offrait un très clair. La première syllabe
nis-, qui ne présente pas de sens par elle-même, est alors en
115quelque sorte l'épithète déterminative, la caractéristique de l'espèce :
ce n'est pas el bueno pero ni el grande pero, c'est el nispero.

Esp. coronel, v. fr. coronel, angl. colonel qui se prononce curnel
désignent celui qui commande une colonne d'armée et peuvent
être dus à une dissimilation en vertu de la loi XIV. Mais il est certain
qu'on a senti dans ces mots le mot couronne ; le v. fr. couronel,
couronnel l'indique nettement par son vocalisme. La question
est de savoir si le changement du premier l en r est dû à l'influence
du mot couronne, ou si ce n'est qu'après ce changement, dû alors
à la dissimilation, qu'on a senti un rapport entre coronel et couronne,
corona.

Esp. recluta « recrue » doit son l à recluir et non à une dissimilation.
Sans doute les recrues ne sont pas mises en « réclusion » ;
mais le fait qu'un jeune soldat est arraché à la vie civile, caserné
et enfermé dans les cadres de l'armée suffit à justifier cette étymologie
populaire.

Fr. popul. célébral « cérébral », ital., esp. celebro « cerveau »
ne sont pas des dissimilations. Ils ont été influencés par célèbre,
celebre, bien qu'ils n'aient aucun rapport de sens avec ces mots :
il y a eu simplement analogie phonique, ces mots n'étant pas compris
du peuple parce qu'ils sont savants. Il est bon de noter qu'en
italien et en espagnol la forme cerebrale, cerebral où une dissimilation
serait régulière n'en présente pas, précisément parce que
ce mot est savant.

Fr. popul. créantèle « clientèle » est le résultat du mélange de
créance avec clientèle. La phrase suivante, entendue en Franche-Comté,
explique bien cette étymologie populaire. Il s'agissait d'un
marchand de vins : « Oh ! disait-on, il avait bien la confiance dans
le pays ; c'est lui qui avait toute la bonne créantèle. »

Gr. λήθαργος signifie-t-il primitivement « celui qui n'a plus le sentiment
de la douleur, qui est en état d'anesthésie ? » Dans ce cas il
représenterait *ληθαλγος ; et comme à l'époque historique ce mot signifie
116simplement « oublieux, lent, paresseux », c'est évidemment
au mot ἀργός « inactif, lent, paresseux » qu'il devrait son ρ.

Milan. linghéra à côté de ringhéra (ital. ringhiera « galerie,
balcon ») est cité comme exemple de dissimilation par Salvioni
(Fonetica del dialetto di Milano, p. 190). Il doit son l à l'influence
de lingér « léger ».

Ital. albatro, cité comme dissimilation par M. Meyer-Lübke
(ital. gr., p. 162), signifie « alisier blanc, arbousier » et est dérivé
de arbor avec l'influence de albo ; cf. sur les représentants de arbore
le Commentaire I

V.fr. contralier, cité comme dissimilation par M. Meyer-Lübke,
Gr. rom. I, 513, n'est pas le même mot que contrarier et ne présente
pas de dissimilation. Voir sur ce mot MSL, VIII, p. 340-341.

Esp.Bernaldo pourBernardo n'est pas une dissimilation, mais
doit son l à l'influence d'autres noms propres, tels que Arnaldo,
Reinaldo, etc.

V. gén. Catalina (Flechia, Arch. glott. it., X, 152) doit son l à
Carolina.

Gr. γλώσσαλγος « bavard » est un jeu de mots ; nous disons de
même de quelqu'un qu'il a ou qu'il n'a pas mal à la langue ; la
phrase négative et la phrase positive ont exactement le même sens.
Γλωσσαργία n'est pas une dissimilation, mais un autre jeu de mots :
nous disons de même d'un bavard qu'il a ou qu'il n'a pas la langue
fatiguée
.

Gr. λαίμαργος « glouton » est de même « celui qui n'a pas mal au
gosier », puis « celui qui n'a pas le gosier fatigué ». L'étymologie
*λαιμο-μαργος que l'on a proposée ne convient pas pour le sens, car
μάργος signifie « fou, insensé, orgueilleux ».

Gr. στόμαργος « bavard » n'est pas non plus sorti de *στομα-μαργος
comme le veut M. Brugmann, Grr. I, 484. Στομαλγής, στομαλγία
στόμαλγος existent avec l'idée de « mal à la bouche » au sens propre,
et avec le sens dérivé de « bavardage ».

Ital. valicare, à coté de varicare, varcare est donné comme
117dissimilation par Caix (Studj di et. it. e rom., p. 186). Varcare
signifie « passare » tandis que valicare veut dire « passare alti
monti, aller par monts et par vaux ». Ce dernier mot a subi l'influence
de valle.

Lat. vulg. lusciniolu est représenté en v. ital. par lusignuolo,
ital. usignuolo qui est la même forme l'l initial ayant été confondu
avec l'article, v. fr. lousignol. A côté de ces formes les langues
romanes présentent les suivantes qui commencent par r : ital.
rosignuolo, prov. rossignol, fr. rossignol, cat. rossinyol, v. esp.
roseñol, esp. ruiseñor, port. rouxinhol. On explique cet r par une
dissimilation, et nous ne saurions prouver que ce soit à tort ; l'ital.
rosignuolo serait une application de la loi XVII et les autres formes
une application de la loi XIV. Mais nous serions plutôt porté
à voir dans l'r de ces formes l'influence d'un autre mot.
Les mots signifiant « hirondelle » auraient influé sur celui qui
désigne le « rossignol ». Cette étymologie populaire se serait produite
indépendamment dans les diverses langues romanes. Toutefois
il ne serait pas impossible qu'une forme avec r remontât à
l'unité hispano-portugaise et provenço-catalane ; mais rien ne nous
permet de le démontrer. Le fait qu'en espagnol « hirondelle » se
dit golondrina ne serait même pas un argument en faveur de cette
hypothèse puisque l'l de cette forme est relativement récent, tandis
que l'r de roseñol est très ancien. Cette étymologie populaire
provient de ce que l'hirondelle et le rossignol sont souvent associés
dans l'esprit de tout le monde, poètes, paysans et citadins.
Pour ce qui concerne la littérature grecque il suffira de rappeler la
fable de Philomèle et Progné. Pour la littérature française nous
nous bornerons à citer la phrase suivante de Bernardin de Sain-Pierre
qui nous tombe sous la main : « Nous attendons chaque hiver
que l'hirondelle et le rossignol nous annoncent le retour des beaux
jours ». Qui voudrait dépouiller les littératures à ce point de vue
ferait une ample moisson. Tout le monde sait que le « rossignol
de muraille » (rubiette rouge-queue) fait partie de la demeure du
118paysan, comme de celle du citadin, au même titre que l'hirondelle.
Notons enfin que les naturalistes distinguent aujourd'hui le
« rossignol philomèle » et le « rossignol progné ». Voilà pour ce
qui concerne l'r initial ; mais les Espagnols ne se sont pas tenus à
leur vieille forme roseñol : ils l'ont transformée en ruiseñor par
une nouvelle étymologie populaire très complexe.

l est remplacé par n ou vice versa :

Gr. πνεύμων pour πλεύμων « poumon » doit son premier ν à l'influence
de πνέω, πνεῦμα (Curtius). Cf. lat. pulmo, lit. plaũcziai,
« poumons », v. pruss. plauti, v. sl. plušta.

Esp. domellar « amollir, fléchir » à côté de domeñar, n'est pas
le résultat d'une dissimilation, comme le veut M. Meyer-Lübke
(Gr. rom., I, 513), mais a subi l'influence de muelle « mou, tendre,
délicat ».

Fr. popul. linas pour lilas, d'après le nom propreLina. On voit
volontiers des noms propres de personnes dans les noms de fleurs
ou de plantes à cause de Marguerite, Rose, etc., qui sont à la fois
noms de personnes et noms de plantes.

Esp. mortandad pour *mortaldad, doit son n non à une dissimilation,
mais à l'influence de mots tels que cristiandad.

Esp. comulgar « communier » cité comme dissimilation par
M. Meyer-Lübke (Gr. rom., I, 513) doit son l au lieu de n à l'influence
de promulgar « promulguer, donner au public ».

Ital. montone « bélier » doit son premier n à l'influence de
montare « saillir, couvrir ». On a songé à y voir le même phénomène
que dans gr. φίντατος, βέντιστος, ἐνθεῖν, etc., phénomène qui
est surtout fréquent dans certains dialectes de Sicile, et que quelques-uns
considèrent comme une dissimilation. Mais en grec nous
avons affaire à une loi phonétique, tandis que montone est un cas
isolé, ce qui est la caractéristique indubitable d'une étymologie populaire.
La loi grecque s'explique, non par une dissimilation, mais
par un phénomène de préparation : l'occlusion nécessaire pour la
prononciation du t est déjà faite au moment de prononcer l'l, cf.
119Commentaire XI, ββ > μβ. — Ce phénomène de préparation se
retrouve dans plusieurs autres langues, par exemple en breton moderne,
dialecte de Léon : « kontel « couteau » de cultellum ; kentr
« éperon » = *cal[ci]tron » (H. d'Arbois de Jubainville, MSL, IV,
p. 267). — Il est possible que la même loi ait existé dans quelque
dialecte du latin vulgaire, car la forme muntum est livrée plusieurs
fois (Schuchardt, Vocalismus) et l'appendice de Probus enseigne
qu'il faut prononcer cultellum et non cuntellum (K., IV, 197, 24).

Lat. vulg. mŭlgere qui donne régulièrement en sarde mulliri,
en prov. molser, etc. est représenté en port. par mungir, en cat.
par munyir, en ital. par mungere, en piém. par monse. Ce n'est
pas une dissimilation. Les formes présentant un n ont subi l'influence
des verbes en -ngere tels que port. ungir, jungir, esp.
ungir, pungir, ital. ungere, pungere, etc. = lat. ungere, pungere,
iungere (Grœber, Archiv. f. lat. lex., IV, p. 124).

l est remplacé par d ou vice versa :

Lat. mālus « le mât » pour *mādus d'après pālus « le poteau ».

Lit. lëžùwis d'après lëžiù (Bechtel, Ass. und diss., p. 21).

Esp. olor « odeur » doit son l à l'influence de oler « sentir ».

Esp. cola « queue » paraît devoir son l à l'influence de culo, cf.
Revue Bourguignonne, V, p. 183. Phonétiquement le d intervocalique
devait tomber sans laisser de trace, v. esp. coa.

Ital. vedetta = v. it. veletta (de l'esp. vela) + vedere (Caix,
Studj di et. it. e rom., p. 192).

Campob. velleñia « vindemia » cité comme dissimilation par
d'Ovidio (Arch. glott. it., IV, 161 et 414) doit son ll à l'influence
de vellere, svellere.

Voir d'ailleurs pour l'échange de d et de l l'Observation générale,
s. v. Madrileño.

r est remplacé par d ou vice-versa :

Ital. armadio « armoire » à côté de armario paraît devoir son
d à madia « huche, armoire à pain ».

Lat. meridies de *medidies. Le premier d avait une tendance à
120être dissimilé par le second en vertu de la loi XVII. Cette tendance
a été favorisée par le mot merus (Wœlfflin, Arch. f. lat. lex.,
VII, 606).

Lat. vulg. maredus = madidus. Même tendance à dissimilation
que dans *medidies, favorisée par le mot mare (0. Keller,
Zur lat. sprachgesch., I, 72).

Ital. chiedere « demander » est cité comme dissimilatiori par
M. Meyer-Lübke (ital. gr., p. 162). Chiedere qui a pour part. passé
chiesto a été refait sur le modèle de vedere : visto. Cette explication
m'est suggérée par M. A. Meillet. Elle s'applique de même à
conquidere, conquisto. Intridere dont le p. p. est intriso a été
refait sur le modèle de chiudere : chiuso, decidere : deciso,
deludere : deluso, intrudere : intruso, ledere : leso, radere :raso,
recidere : reciso, ridere : riso, rodere : roso, etc. Quant à fiedere
« frapper » que M. Meyer-Lübke cite au même endroit comme
dissimilation, la conjugaison m'en est inconnue ; mais c'est évidemment
une formation analogique.

d est remplacé par n ou vice versa :

Ital.pernice « perdrix » pour perdice, d'après cotornice « caille ».

Ital. benenetto = benedetto, cité comme assimilation par Caix,
Rivista di fil. rom., II, 73, doit son second n à netto.

Ital. rendere, fr. rendre, esp. rendir = reddere + prendere
(Meyer-Lübke, ital. gr., p. 171).

n est remplacé par m ou vice versa :

Fr. popul. pantomine = pantomime + mine.

Fr. popul. chamoine = chanoine + moine.

Esp. La forme populaire mos « nous » pour nos doit son m à
l'influence de me « moi » et aussi à la finale de la première personne
du pluriel : tenia usted = « aviez — vous », tenia-mos =
« avions — nous » ; de pareils rapprochements naît bien vite le sentiment
que usted signifie « vous » et -mos « nous ». Ce rapprochement
se produit d'ailleurs à plusieurs temps de la conjugaison :
compra usted : compramos, compraba usted : comprabamos,
121compre V. : compremos, comprase V. : comprasemos,
compraria V. : comprariamos
, etc. Même lorsqu'il y a une légère
différence entre ce qui précède usted et ce qui précède -mos, le
rapport ne reste pas moins sensible : comprará usted : compraremos.

Ital. nicchio = mytilus + nido (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 98).

Lat. vulg. matta « natte » et natta. Cette dernière forme est
sortie de la première sous la double influence de nappa et de
nexus ; de là fr. natte, prov. natta « couverture ». Le mot qui
signifie « crème, lait caillé, mauvais fromage » est peut-être le
même (cf. Kœrting) : esp., port., cat. nata, lomb. natta. A côté
de la forme avec n il y a la forme avec m pour ce second sens :
fr. mate, matte, maton « lait caillé », comme pour le premier :
ital. matta « natte ».

m est remplacé par v, b ou vice versa :

Ital. moventaneo « momentané » à côté de la forme plus fréquente
momentaneo est généralement cité comme un exemple de
dissimilation (cf. p. ex. Meyer-Lübke, ital. gr., p. 163). En réalité
ce mot doit son v à movenza « mouvement, » ce qui est momentané
étant compris comme ce qui se fait en un mouvement,
en un tour de main.

Esp. vagamundo = vagabundus + mundo (Caix, Studj di et.
it. e rom., p. 193).

Ags. heofon « ciel », angl. heaven, v. sax. hëban, à côté de
got. himins, v. norr. himenn, ne doivent par leur f, v, b à une
dissimilation, mais aux cas où l'm était en contact avec l'n, cf.
loi XI, p. 53.

Lat. dubenus « dominus » (Fest.). On a longtemps considéré
ce mot comme sorti de dominus par dissimilation (Corssen, KZ,
II, 17) ; mais le vocalisme fait difficulté, le latin ne connaît pas
la formule : m-n intervocaliques deviennent b-n, et il existe une
autre glose : dubius « δεσπότης ». Corssen lui-même changea d'opinion
au sujet de ce mot et finit par croire qu'il était d'origine celtique
122(Kritische nachtræge, p. 185) et que c'était le même mot
qui constitue le premier terme de Dubno-rīx, etc. Avec raison.
Cet emprunt a été fait aux Celtes par les Latins à une époque où
il n'y avait plus d'aspirées en celtique. C'est le même mot que lit.
dubùs, got. diups, all. tief qui signifient « profond » et par extension
« haut, grand » ; cf. à ce sujet H. d'Arbois de Jubainville,
Les Noms gaulois, p. 51. Qu'un adjectif signifiant « haut, grand »
puisse devenir un substantif signifiant « maître », l'allemand herr
qui est le comparatif de hehr « élevé » nous le montre nettement.

Un phonème ou un groupe de phonèmes est supprimé ou
ajouté :

Gr. φαιδυντής sur des inscriptions tardives pour φαιδρυντής.
Φαιδρυντήρ, φαιδρύντρια donnaient régulièrement par dissimilation
*φαιδυντηρ, *φαιδυντρια ; c'est d'après ces formes qu'on a fait un
φαιδυντής sans ρ (G. Meyer, Gr. gr., p. 292).

Gr. φατρία de φρατρία (F. de Saussure, MSL, VI, 78) est une
forme tardive (Héliod.) qui parait avoir perdu son premier ρ sous
l'influence du mot πατρία, avec lequel les grammairiens le comparent
continuellement.

Gr. ὀρθαγορίσκος de ὀρθραγορίσκος, ὀρθογόν de ὀρθρογόν, ὀρθολάλος de
ὀρθρολάλος, ὀρθιάζειν· μαντεύεσθαι Hés. de ὀρθριάζειν, Ὄρθος « le chien
de Géryon » de Ὄρθρος (J. Schmidt, KZ, XXXIII, 456-457) ont
tous perdu leur second ρ sous l'influence du mot beaucoup plus
employé ὀρθός.

Ital. artetico = artritico cité comme dissimilation par Caix
(Studj di et. it. e rom., p. 189) est un mot savant et non compris
du peuple. Il suffit donc pour qu'on l'altère qu'il rappelle phoniquement
un autre mot plus connu. Il doit la chute de son second r
à l'influence de arteria, autre mot médical, qui n'a aucun rapport
de sens avec lui, mais lui ressemble phoniquement et est plus
connu.

Esp. temblar « trembler », temblor « tremblement » cités
comme dissimilations par M. Meyer-Lübke, Gr. rom., I, 518, ont
123perdu, leur r sous l'influence du mot temer « craindre » (Ascoli,
Arch. glott. it., XI, p. 447).

Fr. Ch. Nisard dans son Etude sur le langage populaire cite un
certain nombre de mots à finale en occl. + re, occl. + le qui perdent
dans ce langage l'r ou l'l de cette finale : arbe, chambe, vive, libe,
prope, vende, pende, maîte, traîte, théâte (p. 253), — cerque,
couverque, bésiques, artique, ostaque, onque (oncle), oraque,
pinaque, spectaque (p. 199), — giffe, morniffe, giroffe, marouffe
(p. 201), — tringue (tringle), épingue (p. 203), — trèfe, nèfe,
peupe, aimabe, capabe, risibe, horribe, ensembe, humbe, simpe,
nobe (p. 252). E. Agnel, De l'influence du langage populaire
sur la forme de certains mots de la langue française, Paris,
1870, explique (p. 51) contrôler (= contre rôler) par les mots
populaires tels que conte-rivure « plaque de fer qu'on met entre
le bois et une rivure », conte-riposte (terme d'escrime), conte-révolution.
Dans toutes ces formes il n'y a lieu de chercher ni un
changement de suffixe ou de finale ni une dissimilation ; elles sont
toutes dues à un phénomène que nous avons expliqué en détail
dans notre « loi des trois consonnes » (MSL, VIII, p. 75 sqq.).

Lat. Cerealia = *Cereralia (Wœlffiin, Arch. f. lat. lex., IV,
p. 10). Cette explication est impossible parce qu'une liquide intervocalique
dissimilée ne disparaît pas complètement. Cerealia est
une formation analogique. A côté de mots tels que naualis, uolgarius,
ordinarius, panarium, mensarius, il y en avait en latin
d'autres tels que tumultuarius, auiarius, retiarius, pegmaris, etc.
qui donnaient naissance au sentiment que les suffixes -aris,
-alis, -arius s'ajoutaient au nominatif moins l's, caractéristique
de ce cas.

Lat. laterna = lanterna + lateo (0. Keller, Lat. volks.,
p. 98).

Ital. avello, usignuolo, cités comme dissimilations par M. Meyer-Lübke
(ital. gr., p. 114, § 195), n'en sont pas plus que les autres
exemples qu'il cite au même §.124

Lat. tardif circellio provenant de circumcellio d'après circellus
(0. Keller, Lat. volks., p. 45).

Fr. ombrelle = umbella + ombre (0. Roll, Ueber den einfluss
der volksetymologie, p. 22).

Fr. cheville, ital. cavicchia = *cavicla sorti de clavicula sous
l'influence de capicla d'où M. G. Paris voulait tirer cheville
(Rom., V. p. 382). — C'est le mélange de ces deux mots qui
explique aussi en espagnol les doublets cabilla : clavija, cabillero :
clavigero
.

Esp. alondra « alouette » pour *alodra doit son n à golondrina
« hirondelle ».

Fr. anormal = anomal + normal (H. Gaidoz, Rev. Crit.,
XVI, p. 431).

Romg. piantofla = pantofla + planta (Meyer-Lübke, ital.gr.,
p.171).

Fr. popul. généralogie pour généalogie, d'après génération,
générique.

Fr. popul. sabottière = sorbettière + sabot. Il n'y a aucun rapport
de sens entre ces deux mots ; mais sorbettière n'était pas
compris parce que les sorbets sont très peu connus en France où on
les remplace par des glaces ; c'est pourquoi l'analogie phonique a
suffi.

Fr. choucroute est sorti du bas allemand sûrkrût, devenu *sûkrût
en vertu de la loi XII, sous l'influence du mot chou.

Ital. comignolo « faite » où l'on voit généralement une dissimilation
(Meyer-Lübke, ital. gr., p. 164), doit la perte de son premier
l à la confusion, commune à presque toutes les langues
romanes, entre colmo et cumulo.

Fr. popul. fil « verrue pensile » pour fic (ficus). On prononce fi
avec le sens de « verrue » en Bourgogne, en Franche-Comté, dans
la Bresse, l'Yonne, le Morvan, l'Aunis, la Saintonge. Le nom de
la maladie des bœufs et des vaches appelée fi ou fil est le même
mot. Godefroy cite des exemples où il est écrit fi, fy et fil ; de
125même Lacurne de Sainte-Palaye.Littré au mot fic indique comme
prononciation fik. Tel est en effet l'usage des médecins comme j'ai été
à même de le vérifier dans les hôpitaux de Paris ; mais c'est une
prononciation « savante », calquée sur l'orthographe. Dans tous
les patois et dans le fr. popul. d'une manière générale on dit fi.
Seulement dans les mêmes patois fil (filum) a aussi la forme fi ;
comme le peuple sait bien que fi « filum » est fil en français,
il prononce aussi fil le mot fi « ficus » toutes les fois qu'il veut
parler français. Il y est invité par le fait que la verrue pensile
présente à l'endroit où elle est attachée à la peau une sorte d'étranglement
que l'on peut comparer à un fil.126

Suffixes et préfixes

Il arrive souvent qu'un suffixe ou un préfixe fréquent vienne
prendre la place d'un suffixe ou d'un préfixe plus rare, ou même
d'une finale ou d'une initiale incomprise. La modification introduite
par là dans le mot est très souvent analogue à celles que produit
la dissimilation.

Esp. L'article arabe al s'est introduit à l'initiale d'un grand nombre
de mots : almario « armoire » à côté de armario, almuerzo de
*admorsu, almendra « amande », etc. Dans ce dernier la
finale a en outre subi l'influence des mots en -ndra, -ndre comme
golondra, liendre, landre.

Esp. estrameña à côté de estameña sous l'influence des nombreux
mots commençant par estra-.

Esp. reclarar = declarar, resertor = desertor (préfixe re-).

Ital. inverno, esp. invierno d'après l'initiale fréquente in-.

Vha., v. sax. himil à côté de got. himins, vha. kumil à côté de
vha. kumin de lat. cuminum ne présentent pas de dissimilation ;
il y a eu changement de suffixe, comme dans got. asilus de lat.
asinus, got. katils de lat. catinus, vha. orgela a côté de organa,
mha. orgel à côté de orgene de lat. organa, mha. kuchel à côté
de vha. kuhhina de lat. coquina, vha. lagila de lat. lagena, vha.
wirtil à côté de v. sl. vrēteno (cf. Noreen, Abriss d. urgerm.
lautl, p. 142 et Paul's Grr., I, p. 333, 15).

Lat. tard, senexterau lieu de sinister d'après dexter (Brugmann,
Grr., II, 129).

Lat. meridionalis d'après septentrionalis, all. dial. morgend
127d'après abend, gr. κάπραινα, λύκαινα d'après λέαινα, sk. gén. pátyur
d'après pitúr, gr. tard, φάρυγξ, pour φάρυξ d'après λάρυγξ (Brugmann,
Grr., II, 99, 100, 360, 386).

Lit. raítelis « reiter », ródėlis, rúdėlis « ruder » cités comme
dissimilations par M. Bechtel (Ass.und diss., p. 28) se sont adapté
le suffixe fréquent -elis.

Lit. pardelis, cité comme dissimilation par M. Bechtel (ibid.),
paraît provenir de all. pardel et non de parder. Quant à l'all.
parder il doit son r à un changement de suffixe, car l'l se trouvait
déjà dans le lat. pardalis.

Lit. balbërius et lett. balbėris cités comme dissimilation par
M. Bechtel (Ass. und diss., p. 28, 31) sont empruntés à all. balbier.

Esp. lámpara de lampada doit son r à cándara, címbara, etc.
(Grœber, Archiv f. lat. lex., III, p. 507).

Esp. alguandre = aliquando (Cornu, Rom., X, p. 75) d'après
siempre.

Esp. añafil « trompette mauresque » de an-nafîr doit son l aux
nombreux noms d'instruments se terminant en -il : badil « pelle
à feu », barril « baril », buril « burin », dedil « dé », fonil « entonnoir »,
pretil « balustrade », etc.

Lat. ūlīgō « humidité du sol » de *ūdīgō qui était le seul mot
finissant en -dīgō. Il a été contaminé par calīgō « brouillard », de
sens voisin. Le contraire ne pouvait pas avoir lieu, parce que les
mots en -līgō étaient nombreux : fuligo, bolligo, melligo, uitiligo,
etc. (R. S. Conway, Idg. forsch., II, p. 157 sqq.).

Esp. barreda « glaisière » et polvareda « nuage, tourbillon de
poussière » ne sortent pas de barrera, polvorera par dissimilation,
mais présentent simplement le suffixe collectif -eto, -eta, cf. esp.
olivedo « olivaie », viñedo « vignoble », arboleda « lieu planté
d'arbres », salceda « saussaie », peñedo « rochers », etc.

Fr. sommelier n'est pas sorti de *sommerier par dissimilation,
mais a été tiré directement de somme au moyen de la finale -elier
128de tonnelier, bourrelier, etc., comme en v.fr. on avait tiré du
même mot sommetier au moyen de la finale -etier de muletier,
bonnetier, papetier, etc.

Ital. asinile, feminile seraient sortis par dissimilation de asinino,
feminino, selon M. Meyer-Lübke (ital. gr., p. 296-297). Ils
ont simplement subi pour leur finale l'influence du suffixe de servile,
febrile, virile, etc.

Lat. larix ; M. L. Havet (MSL, VI, 113) veut voir une dissimilation
dans ce mot ; il pense qu'il représente *lalix parce qu'on a
salix, ilex, filix. Mais dans ces mots l, r n'appartiennent pas au
suffixe, cf. gr. ἀδίκη « ortie » à côté de ἑλίκη « saule ». Λάριξ a un r
aussi en grec.

Lyon. Les canuts disent celure pour cellule (Philipon, Rev. d.
pat., III, p. 43). Ce n'est pas une dissimilation, mais un changement
de suffixe d'après les nombreux mots en -ure, comme torture,
blessure, etc.

Ital. deretano cité comme dissimilation par M. Meyer-Lübke
(ital. gr., p. 164) et diretano sont dérivés de dereto et direto.

Ital. vetrice doit son r au suffixe -trice.

Lat. vulg. perdrix à côté de perdix d'après victrix, nutrix, altrix,
etc. (0. Keller, Lat. volks., p. 53).

Lat. lanterna = λαμπτῆρα + lucerna (0. Keller, Lat. volks.,
p. 98).

Ital. garofano « girofle » degarofulum (Grœber, Arch. f. lat.
lex., II, 433) doit sa finale -ano à la fréquence de ce suffixe dans les
noms de plantes : balano « balane », ladano « ciste », platano
« platane », etc.

Fr. popul. et v. Ir. verrure pour verrue. « Pour guérir des verrures,
faut touchera la robe d'un cocu ou d'un mouton » (Noel du
Fail, Propos rustiques, p. 79). Le changement de finale de ce mot
provient de l'influence des mots tels que égratignure, écorchure,
bavure, piqûre, pourriture, foulure, couture, etc.

Lang. rom. Le suffixe diminutif -ulu, -culu était très répandu
129en latin. Son influence s'est exercée dans les formes suivantes :
esp. ancla « ancre », anclar « mouiller » (le suff. -cula devient régulièrement
-cla après consonne, cf. carbunclo, mezclar, etc.), —
ital. arátolo « charrue » de aratrum, — sic. ruvulu « rouvre »,
rasolu « rasorium », paraspola« παρασπορά », — romg. anemul, ital.
anemolo à côté de anemone, — frioul. žimul « gemino- », róndul
« hirundo urbica », — prov. citola « cithara », — ital. témolo de
thymallus, cf. esp. timalo, — ital. trespolo « trépied » à côté de
trespide, etc. Presque tous ces exemples ont été cités comme des
dissimilations.

Lang. rom. La fréquence du suffixe -tre, -tro, -tra a influé sur
les formes suivantes : ital. celestro, — esp., port. celestre, — ital.
ginestra « genêt », bissestro « bissexte, jour intercalaire », — port.
mastro « mât », — esp. ristre (germ. wrist), cómitre (ital. comito),
lastre, v. esp. delantre, hiniestra, la finale -mientre pour
-miente, etc. Cf. terrestre, finestra, pilastra, astro, destro, pedestre,
maestro, teatro, incontro, encuentro, etc.

Par contre on trouve en italien terresto d'après celesto, celeste.

Ce phénomène est largement représenté en français ; on peut
lui donner dans cette langue une formule générale : occl. + e final
et occl. + le final sont remplacés sporadiquement par occl. + re
final. Cette substitution est due simplement à la fréquence de la finale
occl + re ; qu'il suffise de rappeler propre, arbre, chambre, libre,
livre, marbre, ténèbres, lièvre, vivres, foudre :, poudre, maître,
traître, théâtre, rencontre, terrestre, astre, pilastre, fenêtre,
marâtre, monstre, lucre, acre, simulacre, sacre, ancre. Voici
quelques-uns des mots qui ont été contaminés de cette façon ; les
uns appartiennent au vieux français, les autres au français moderne,
les uns n'ont jamais existé que dans le fr. popul., les autres ont pénétré
dans la langue littéraire ; il n'y a pas lieu de les distinguer ici :

chanvre (et chanve) | arabre (et arabe)
mulâtre (esp. mulato) | nuitantre
chartre (et charte) | soventre
130yaspre | maintre
pupitre | tristre (et triste)
épeautre | rustre
gouffre | apôtre
registre | épître
pelagre | glandre (et glande)
chapitre | amandre (et amande)
esclandre | martre
escolastre (scolasticu) | célestre (et céleste)
honestre (et honnête) | tempestre (et tempête)
*arbalestre (dans arbalétrier) | tourtre (et tourte)
tartre (et tarte) | sabre (pour sable)

La finale occl. + le si elle est moins fréquente que occl. + re
n'est pas rare non plus : épingle, tringle, girofle, maroufle, gifle,
simple, peuple, mornifle, trèfle, nèfle, cercle, couvercle, article,
obstacle, oncle, oracle, pinacle, spectacle, réceptacle, aimable,
capable, coupable, inconcevable, sortable, retable, risible, horrible,
terrible, ensemble, humble, noble, ouvrable, secourable.
On peut donc s'attendre à la trouver aussi quelquefois à la place
de occl. + e final.

triomphle | bouticle
authenticle | musicle
maniacle | arable « arabe ».

Lat. Le latin possède les deux suffixes -āli- et -āri- qui ne
sont pas indo-européens ; mais les deux mots tālis, quālis sont
anciens, cf.>v. sl. tolĭ, kolĭ. Sur le modèle de talis, qualis l'italique
fit de nombreux adjectifs tels que æqualis, liberalis, natalis,
uenalis, uitalis, dotalis (Brugmann, Grr., II, § 98). Certains
des mots simples dont on tira des dérivés au moyen de ce suffixe
-ālis contenaient un l, d'où dissimilation de -ālis en -āris : palmaris
(loi XIV), alaris, militaris (Obs. gén.). Cette dissimilation
paraît s'être produite dès en italique, car les deux formes du suffixe
131existent aussi en ombrien. — Dès lors le latin se trouvait en
possession des deux suffixes -ālis et -āris qui avaient le même
sens et pouvaient s'adapter aisément à n'importe quel thème nominal.
Dans les mots nouveaux qu'il créa au moyen de ces deux
suffixes il les répartit comme la dissimilation l'avait fait en italique,
c'est-à-dire qu'il mit -āris dans les mots dont le thème contenait
un l et -ālis dans les autres (Pott, Et. forsch., II, 96, —
V. Henry, Gr. comp. du gr. et du lat., p. 59-60). Ce n'est plus de
la dissimilation, car pour qu'il y ait dissimilation il faut que la
forme non dissimilée ait existé. Ici elle n'a jamais existé ; c'est instantanément,
dès en créant le mot, qu'on lui a adapté tel suffixe
selon la forme du thème. Ce phénomène appartient à la grande
classe de l'analogie morphologique. A l'époque classique on trouve
généralement -ālis quand il y a un r dans le simple et -āris quand
il y a un l. Si le simple contient un l et un r c'est celui de ces
deux phonèmes qui est le plus rapproché du suffixe qui en détermine
la forme. Si le simple ne contient ni l ni r, -ālis est plus fréquent,
mais -āris se rencontre aussi. Ce sentiment d'euphonie ne
dura d'ailleurs pas jusqu'à la fin de la latinité : il s'obscurcit à
l'époque impériale et il n'est pas rare de trouver dans la basse
latinité -ālis après un l et -āris après un r (voir Paucker, KZ,
XXVII, 113 sqq. où les exemples sont réunis). Un fait qui tendrait
à prouver, s'il en était besoin, que ce n'est pas en latin que
s'est faite la dissimilation, c'est que le suffixe -ārius qui est propre
au latin n'est jamais devenu *-ālius.

Lang. rom. Les langues romanes continuent à échanger sans
cesse ces deux suffixes. La présence d'un l ou d'un r dans le simple
n'est pas indifférente à cet échange, mais elle ne le règle pas d'une
manière absolue : ital. acciale, aciero, acciaro, accialino, acciarino,
corsale, corsare, corsaro, — mortaletto, mortaretto, —
usciere, usciale, — dattilo (dactylus), dattero, — fr. forteresse,
prov. fortaressa, esp. fortaleza, catal. fortalesa, — esp. elemental
« élémentaire », frutal « fruitier », oficial « officier », visal
132« visière », manzanal « pommeraie » et manzanar, fosal « cimetière »
et fosar, fosario, albañal « égout » et albañar, nogal
« noyer » et noguera, cabial « caviar » et cabiar, gamonal,
« champ d'asphodèles » et gamonera, castañal « châtaigneraie »
et castañar, castañero, centenal « champ de seigle » et centenar,
centenario, levrel « lévrier », laurel « laurier », corcel « coursier »,
broquel « bouclier », cuartel « quartier », esparavel « épervier »,
vergel « verger », furriel « fourrier », plantel « pépinière » et
plantario, timonel « timonier » et timonero, etc. Un grand nombre
de ces exemples sont attribués à la dissimilation.

On cite de même très souvent comme exemples de dissimilation
des mots ayant le suffixe i.-e. lo à côté d'autres qui ont ro, — tlo
à côté de tro (lat. clo : cro). La question est la même en ce qu'il y
a eu presque partout des échanges analogiques entre ces deux
formes de suffixes ; elle est différente en ce que toutes deux remontent
à l'indo-européen, cf. Brugmann, Grr., II, p. 169 et 186,
— 112 sqq., — 115 ; — V. Henry, Gr. comp.de l'all. et de l'angl.,
p. 143, 148, etc. Il est possible qu'en indo-européen une forme
soit sortie de l'autre par dissimilation ; mais il ne nous incombe
point d'échafauder des hypothèses dans les ténèbres de cette période.133

Lois phonétiques

Noue réunissons sous ce titre un certain nombre de faits que
l'on cite généralement comme étant des dissimilations et qui en
réalité reposent sur des lois phonétiques toutes différentes ou sur
des étymologies fausses.

En sicilien, où les groupes pl, cl, ont disparu par évolution phonétique,
lorsqu'on emprunte des mots qui les présentent, l'l devient
r : obbrikari, praya, praneta, krimenti, etc. (Schneegans, Laute
und lautentw. d. sic. dial., p. 188 sqq.). En italien, en espagnol,
en portugais le résultat n'est pas régulièrement r ; il y a hésitation
entre l et r : ital. bramangiere emprunté au fr. blanc-manger,
— ital. frenella « flanelle », esp. franela, — esp. girofre et girofle
« girofle », — esp. fletar « fréter », flete « fret », — esp. frasco
et flasco « flacon », — esp. flecha et frecha « flèche », — esp.
bledo et bredo « blette », — esp. blandir « brandir », blandon
« brandon », port. blandir et brandir « brandir ».

D'après la loi de la coupe des syllabes en indo-européen, une
syllabe ne pouvait pas commencer par un groupe de consonnes.
Si deux consonnes initiales d'un mot se trouvaient être après la
coupe des syllabes, l'une d'elles devenait voyelle ou était éliminée.
(Cf. Revue Bourguignonne, IV, 123 sqq.). C'est ce qui explique
ind.-eur. *tisres = *trisres, sk. tisrás (Bugge, Bezz. B., XIV,
75, Brugmann, Grr., II, 470). Le zd tišarō, le v. irl. teoir, v.
gall. teir reposent sur un autre degré vacalique du suffixe, *trisores,
ce qui indique que ce mot possédait en indo-eur. une déclinaison
à apophonie. Quant à sk. cátasras, zd catan, m. gall.
pedeir, v. irl. cetheoira, cetheora, ce sont des formes faites par
analogie sur les précédentes, comme le montre l'absence du w.
134Enfin *trisres peut être interprété de deux manières différentes,
ce qui n'a d'ailleurs pas d'importance pour la question qui nous
occupe : ou bien il représente tri- + le suff. -ser- (Brugmann, Grr.,
II, 470), ou bien tris- + le suff. -r-, -er-, cf. v. irl. tress- = *tristo-,
lat. trīnī = *tris-no-, vha. driski « ternus ». — Homér.
πύελος = *πλυελος « bassin à laver les pieds », cf. πλύνω « je lave »
(Leo Meyer, Vergl. gr., I, 526). — Gr. πτύω, lat. spuō = *spjūjō,
gr. πυτίζω = *πτυτιζω (Osthoff, MU, IV, 19 et 33). M. Osthoff
voit là des dissimilations.

Gr. δενδρύδιον pour *δενδρύδριον, cf. ξιφύδριον, τειχύδριον (Leo Meyer,
Vergl. gr., I, 526) est une mauvaise leçon pour δενδρύφιον.

Polon. Jagmin pour Jagnin, Wolamin pour Wolanin, minog
pour ninog emprunté à all. neunauge sont donnés comme dissimilations
par Karlowicz (Archiv f. sl. phil., V, p. 113). Les autres
exemples de m < n qu'il cite au même endroit : zolmirz = z'olnierz
< all. sœldner, Mikolaj « Nicolaus », s'miadanie = s'niadanie
« déjeuner » prouvent que les causes de ces changements
sont à chercher ailleurs.

Fr. Sainte-Aulaire = Eulália ne présente pas plus de dissimilation
que navire = nauiliu, concire = conciliu, evangire =
euangeliu
, mire = milia, nobire, Basire, etc. ; cf. G. Paris,
Rom., 1877, p. 132 et L. Havet, ibid., p. 255.

Corssen pensait (Kritische nachtræge, p. 191) que muliebris est
sorti de *mulierbris et consobrinus de *consor(or)brinos par dissimilation.
Mais sobrinus =*suesrīnos (Brugmann, Grr., I, 430)
et muliebris ne peut pas contenir le suffixe -bris qui sert à former
des dérivés verbaux ayant le sens instrumental : anclabris
« (vase) servant à puiser » de anclo « je puise », alebris « (aliment)
nourrissant » de alo « je nourris ». Muliebris signifie
« féminin, qui a rapport à la femme » et contient le suffixe -ri- qui
a le même sens que le suffixe -āri = ā + ri : militaris « qui a
rapport au soldat ». Muliebris = *mulies-ris (Bréal et Bailly, Dict.
et. lat.).135

Lat. rusum, retrosum n'ont pas plus subi de dissimilation que
susum ;cf. E. Seelmann, Aussprache, p. 330.

On rapproche lat. largus de gr. δολιχός, sk. dīrghás, v. sl.
dlĭgŭ, etc. (de Saussure, Mémoire, p. 263, L. Havet, MSL, VI,
p. 113, 233, Prellwitz, Et. wœrt.). L'intermédiaire serait *lalgus
et la forme primitive *dḹghos. Mais le χ du grec et le g du latin
font une première difficulté à côté du gh sanskrit et du g slave ;
elle pourrait à la rigueur être écartée. Nous ne savons pas exactement
dans quelles conditions d est devenu l en latin ; mais il y a
toute probabilité pour qu'il ne le soit pas devenu quand il y avait
un autre l dans la même syllabe. Enfin *lalgus aurait dû devenir
*ralgus et non largus d'après la loi XIV.

Il n'y a pas de diss. dans les mots comme esp. pendon (pennone),
bulda, celda, pildora, apeldar, car c'est le premier n, le
premier l qui auraient subi la diss. Il n'y a pas non plus de métathèse
dans le cas de rienda (*retinam), candado (catenatum),
bandulho (de l'arabe batn), v. esp. dandos (de dadnos), etc. ;
le d s'est assimilé à l'n qui le suivait, d'où *cannado qui est
devenu candado comme pennone est devenu pendon. Il en est de
même des mots espalda (spatulam), cabildo (capitulum), tilde
(titulum), molde (modulum), rolde (rotulum), etc. ; comme l'a
déjà noté M. Baist (Grœber's Grr. I, p. 706 et 703) le groupe dl est
devenu ll par assimil. et ce groupe ll est devenu ld comme dans
pildora provenant de pillula. — Comment s'explique ce phénomène ?
M. Meyer-Lübke (Gr. rom. I, p. 480) après M. Cornu (Romania,
IX, p. 95) croit avoir trouvé la solution du problème dans
le mot andado = antenatus par l'intermédiaire de andnado. Cela
revient à dire que *cadnado serait devenu *candnado, et par
conséquent que *espadla serait devenu *espaldla, ce qui est absolument
incompréhensible. Il resterait d'ailleurs à expliquer comment
et pourquoi ndn, ldl seraient devenus nd, ld. Nous avons
montré que tout ce qui précède se ramène au cas de pendon, pildora.
Ceux qui admettent l'explication de M. Meyer-Lübke pour
136candado sont obligés de supposer entre pennone et pendon une
forme *pendnone, entre pillula et pildora une forme *pildlora ;
c'est une conséquence inévitable et nous ne pensons pas qu'elle ait
échappé à M. Meyer-Lübke. Mais pour que nn devînt ndn et ll
ldl
, il faudrait que les groupes nn, ll fussent dans les mêmes conditions
que les groupes mr, ml, nr, qui deviennent dans nombre
de langues mbr, mbl, ndr. Ce dernier phénomène est très bien
connu aujourd'hui : aussitôt l'm implosif prononcé, il faut, pour
passer à l'r, l, que le voile du palais ferme les fosses nasales et en
même temps que les lèvres se desserrent ; ce desserrement des lèvres
est un b. La même explication convient au groupe ndr, mutatis
mutandis
. Mais dans les groupes nn, ll, pour passer du premier
n/l au second, il n'y a pas lieu de fermer les fosses nasales
ou le canal ouvert sur les côtés de la langue, puisqu'il faudrait les
rouvrir immédiatement, ni de détacher la pointe de la langue de
l'endroit où elle est appuyée. Un d ne peut donc pas se produire.
En réalité le d de pendon, pildora, n'est autre chose que le second
n/l : en même temps que cesse avec le premier n/l le courant implosif,
se ferment les fosses nasales qui ne devraient se fermer qu'avec
l'n, l suivant pour la prononciation de la voyelle orale ; c'est le plus
simple des phénomènes de préparation. L'n/l explosif, prononcé
avec les fosses nasales (resp. les côtés de la langue) occludées, est un
d. Dans les mêmes conditions où nn, ll deviennent nd, ld, le groupe
mm doit devenir mb ; plusieurs dialectes italiens peuvent illustrer
cette induction : sard. mérid. lumburu = *lummuru, simbilai
= *simmilai = *similare
, calabr. kambera = *kammera,
vuombiku = *vuommiku, etc. (Meyer-Lübke, ital. gr., p. 172),
Milan. vendembia = vendemmia, šimbia = scimmia, gamber
= cammaro-
(Salvioni, Fonetica del dialetto di Milano, p. 199).
Autant que nn nous engageait à considérer mm, ll nous invite à
examiner les produits de rr. Malheureusement ici il est presque
impossible de poser un résultat à priori. L'avons-nous dans esp.
viernes (Veneris), yerno (generum), tierno (tenerum), cernada
137(de cinis), v. esp. verná (de *venrá) ? Ce n'est pas impossible, et
cette hypothèse trouverait un appui dans les formes assimilées
comme v. esp. verrá, Ferrando ; néanmoins la question reste douteuse.
Revenons à andado = *andnado ; comme l'espagnol ne
possède pas le groupe combiné dn, le d a été éliminé purement et
simplement entre les deux n, tout comme le t de pectinem dans
peine et comme beaucoup plus anciennement le c de sancto, uncto,
iuncta, quinctu, dans santo, unto, yunta, quinto. Dès lors la
forme *annado ne différait en rien de pennone et devait subir le
même traitement. — Nous avons dit au commencement de cette
discussion que s'il y avait eu une diss., c'est le premier n/l qui
l'aurait subie ; ce phénomène s'est en effet produit dans certains
dialectes qui présentent des formes telles que alnado, calnado.

V. esp. todolos, esp. amamolos, cités comme dissimilations par
M. Meyer-Lübke (Gr. rom., I, p. 518), sont dus à une autre loi phonétique :
dans un grand nombre de dialectes espagnols s implosif
tombe purement et simplement devant liquide : do reales « deux
réaux », jamais dos reales.

Fr. marbre. Corssen (KZ, II, 18) voit dans le b de ce mot un m
dissimilé. Ce b n'est que le développement de l'explosion de m devant
r, comme dans chambre ; la forme *marmbre étant imprononçable
en français, il y a eu élimination instantanée de l'm qui
se trouvait entre l'r et le b.

Esp. Les nombreuses finales en -mbre, -ndre, -ngre : costumbre
« habitude », servidumbre « servitude », herrumbre
« rouille », hombre « homme », hembra « femme », pelambre
« poil », nombre « nom », cumbre « culmen » (l'l a disparu par mélange
avec cumulus), landre « glandinem », sangre « sang »,
liendre « *lendinem », golondra « hirondelle », etc. qui passent
généralement pour être dues à une dissimilation (Baist, Grœber's
Grr., I, p. 706-707) ne sauraient être considérées ainsi. C'est l'm,
ou le premier n qui aurait été dissimilé. En réalité l'espagnol, ne
138possédant pas le groupe combiné occl. + n, l'a remplacé par ce qu'il
avait de plus voisin, à savoir occl. + r ; il aurait pu le remplacer
aussi par occl. + l, et en effet il l'a fait quelquefois (ingle « inguen »).
— Dans grama (gramina) le second r serait tombé par diss. s'il
faut en croire M. Baist (Grœber's Grr. I, p. 707). Ce serait le cas
de notre loi II ; mais nous ne saunons nous ranger à cette opinion
parce que pour nous le b et l'r sont contemporains : le résultat
aurait donc été *gramba.

Fr. pampre, timbre, ordre, diacre, encre, coffre ne sont pas
non plus des diss. Quel serait en effet l'agent dans diacre ou
coffre ? L'explication est la même que pour la finale esp. -mbre.
Quand ces mots ont perdu leur voyelle pénultième atone la langue
ne possédait pas le groupe combiné occl. + ne ; elle l'a donc remplacé
par le groupe occl. + re qui en était voisin et très usité. —
Ce phénomène n'est pas exclusivement propre au fr. et l'esp. ;
beaucoup de langues le présentent, par exemple le breton moderne,
dialecte de Léon : « kreac'h, montée, au XVe siècle quenech,
knech, en gallois cnwc, en vieil irlandais cnocc, dérivés du thème
cuna- ; kreon, toison, au XVe siècle kneau, en gallois cneifion ;
krevia, tondre, en gallois cneifio ; kraoun, noix, plus anciennement
knoenn, en gallois cneuen ; — traonien, vallée, dérivé de
tnou, encore seul usité au commencement du XVIe siècle ; gri,
couture, en gallois gwni ; — sapr, du français sapin » (H. d'Arbois
de Jubainville, MSL, IV, p. 260). — Dampr. alū̬dròt « hirondelle »
= *arundinettam. — Grec mod. Cardeto (Calabre) prigaljážu
« étouffer » de πνιγουριάζω, — primúni « poumon » de
πνευμόνι, — láfri de δάφνι-, — et avec l : íplu = ὕπνον (Morosi,
Arch. glott. it. IV, 103). — Bova (Calabre) sklípra « ortie » =
κνίδη, — plemóni « poumon » de πνευμ-, — íplo = ὕπνον, — plónno
« je dors » de ὕπνόνω (Morosi, Arch. gl. it., IV., 23). — Tsaconien
γροῦσσα « γλῶσσα », — κρᾷκα « κλᾷξ », — κρᾶμα « κλῆμα », —
κράνδου « κλάω », — κρέφτα « κλέπτης », — πρατάνα « platane », —
ἁπρούκκου « άπλώσκω », — κρῖπε « κνῖπες », — λαφρία « λάφνη, δάφνη »,
139— ὕπρε « sommeil » — πρίγγου « πνίγω » (Moriz Schmidt,
C. St., III, 355). On a remarqué qu'en tsaconien occl. + l devient
aussi occl. + r ; il est intéressant de rapprocher ces deux
phénomènes. — Nous avons signalé plus haut lat. crus, crepusculum.

Fr. popul. nentilles pour lentilles ne renferme pas une dissimilation,
mais une assimilation avec la voyelle nasale suivante.
C'est un phénomène de préparation. A Bourberain il y en a d'autres
exemples, qu'on trouvera dans Rabiet, Rev. d. pat. gallorom.,
III, 46.

Fr. Tout le monde connaît le phénomène du rhotacisme, c'est-à-dire
le changement de z (s) en r et le phénomène inverse qu'il
n'y a pas lieu d'en distinguer : Chambezon devient Chamberon,
Aubeyrat devient Aubezat (1)4. Il y a lieu de se demander si la
dissimilation n'a pas joué un rôle dans le changement de oratorium
en ouzouer, de Lauriere en Loziere, de Vergerat en Vergezat,
etc. Pour résoudre cette question nous pouvons profiter des
résultats dès maintenant acquis par la première partie de notre
étude. Azerat (Haute-Loire) en 1445, 1478 est écrit Arerat en
1440, 1468 et Arezat en 1438, 1441. Cette dernière forme est en
contradiction absolue avec la loi XVII ; d'autre part en 1438 et en
1441, dans la même région, Berbezy est écrit Berbery, forme qui
est en contradiction avec Arezat pour qui considère la loi XIV.
Ces deux observations suffisent pour écarter la dissimilation. Si
l'on considère les dates auxquelles apparaissent les différentes
formes on voit que dans la région étudiée par M. Thomas il y a
pendant une période de quarante années une confusion entre z (s)
et r : Nozerolles (Haute-Loire) est écrit Noreyrolles en 1437,
Norezolles en 1438, Nozeyrolles en 1440, de nouveau Noreyrolles
en 1441, puis Nozeyrolles en 1445, etc. La conclusion apparaît
140nettement : pendant cette période il n'y a pas de différence entre
Azerat, Arerat et Arezat, Nozerolles, Norerolles et Norezolles.
L'r et le z (s) sont évidemment des graphies approximatives ; le
son prononcé devait être intermédiaire entre z et. r et n'avait pas
de signe particulier dans l'écriture. À la fin de cette période, ce
son lui-même a disparu devenant soit r soit plus souvent z.

Lat. ferundus. La théorie de M. L. Havet (MSL, VI, 233) d'après
laquelle ferundus = φερόμενος par *feromedos, *feromdos,
*ferondos est inacceptable parce que m-n intervocaliques ne se
dissimilent pas en latin (cf. Commentaire XVII). M. Bréal, qui a
repris cette théorie (MSL, VI, 412), la modifie ainsi : « ferundus
correspond à une forme grecque φερόμενος, ancien latin *feromnos ».
Sous cette nouvelle forme elle n'est pas plus convaincante, car
Vertumnus, Volumnus, alumnus, etc., sont restés intacts, cf.
Commentaire XI — De toutes les explications proposées jusqu'à
présent pour le participe en -endus, la plus acceptable est celle
qu'ont indiquée séparément MM. Bartholomae (Idg. forsch.,
IV, 127) et Meillet (Bull. Soc. ling., I. VIII, CIV).

Gr. ναύκληρος, souvent cité comme dissimilation à côté de
ναύκραρος, paraît être la forme primitive. Cf. Brugmann, Grr., II,
1050, — Prellwitz, Et. wœrt.

Lat. luculentus, que M. Stoltz (I. Müller's Hdb., II, 283) cite
après d'autres comme exemple de dissimilation et qu'il tire pour
cette raison de lucrum, appartient à la même racine que luceo
« luire, briller » ; quel rapport peut-il y avoir en effet entre luculentus
qui signifie « clair, brillant, beau » et lucrum qui signifie
« gain, profit » ?

Gr. M. J. Schmidt (KZ, XXXII, 363) admet la possibilité d'une
dissimilation dans Σαπφώ à côté de Ψαπψώ et dans ἄμαθος à côté de
ψάμαθος. Pour le second la dissimilation remonterait à l'indo-européen.
M. J. Schmidt ne présente cette explication que comme
une hypothèse, car il s'empresse d'ajouter : « Zu beweisen ist dies
natürlich nicht ». Mais un m ne peut pas faire tomber un bh par
141dissimilation, et, s'il n'est pas impossible théoriquement qu'un φ
fasse tomber un π par dissimilation, il est bon de noter que nous
n'en connaissons aucun exemple. Quoi qu'il en soit il faut une
autre explication pour ψάμαθος, ἄμαθος. Voyons comment la coupe
des syllabes répartissait les phonèmes de ces mots en indo-européen :
*bhsamadhos après voyelle brève était *bh-samadhos, forme
qui ne pouvait que rester intacte ; mais après finale autre que
voyelle brève on avait -bhsa- qui se réduisait soit à bha-, soit à sa-.
Ἄμαθος= *σαμαθος est donc le doublet syntactique remontant à
l'indo-européen, de ψάμαθος. — Quant à Σαπφώ à côté de Ψαπψώ,
cette forme ne peut remonter à l'ind. eur., car elle serait devenue
*ἀπφώ en grec. On a essayé de montrer qu'un s initial ind. eur.
pouvait être représenté en grec par σ (Kretschmer, KZ, XXXI,
p. 422), mais il n'y a en faveur de cette hypothèse aucun exemple
ayant sûrement commencé par s simple en ind.-eur. Dès lors
Σαπφώ a dû sortir de Ψαπψώ comme σύν de ξύν, σώχειν de ψώχειν,
σίττα de ψίττα, σάγδας de ψάγδας, σίττακος de ψίτταχος en grec même,
postérieurement à l'époque où σ initial avait commencé son évolution
vers c. Pour cela il faut que le panhellène ait gardé un
certain temps après sa séparation la coupe des syllabes indo-européenne
et ses effets. Or nous savons précisément que le panhellène
ne l'avait pas encore perdue à l'époque où s'est développée
la résonnance vocalique des liquides sonantes. Cette résonnance
était déjà développée quand le σ intervocalique a disparu, mais :
1° le σ intervocalique pouvait avoir déjà commencé son évolution
vers c quand la résonnance vocalique des liquides sonantes s'est
développée ; 2° si nous savons que le panhellène possédait encore
la coupe indo-eur. quand la résonnance vocalique des liquides
sonantes s'est développée, rien ne nous apprend à quelle époque
elle s'est perdue (cf. notre étude sur les Liquides sonantes, passim).

V. esp. bierven « ver » n'a subi aucune dissimilation. M. Ascoli
explique ce mot par l'intermédiaire de *viernvne, *viermbne et
142compare nombre = nomine. Mais d'une part *viernvne et *viermbne
sont des formes impossibles, de l'autre la comparaison de
bierven avec nombre est inacceptable. En effet nombre repose
sur nomne tandis que bierven sort directement de *uermen ;
dans nomne l'm n'est séparé de l'n que par la coupe des
syllabes, dans *uermen il en est séparé par un e qui persiste jusque
dans bierven ; enfin dans nomne l'm est implosif, dans *uermen
l'm est explosif. En réalité il y a eu assimilation de l'm de
*uermen à l'u consonne initial, la première syllabe étant sentie
comme un redoublement ; cf. esp. muermo = lat. vulg. moruus,
lat. class. morbus.143

Troisième partie
La réduplication145

La superposition syllabique

Il y a toute une catégorie de phénomènes que l'on désigne sous
le nom de dissimilation syllabique, par exemple κελαινεφής pour
*κελαινο-νεφης. Cette expression est très impropre. Pour que l'on
puisse parler de dissimilation il faut que la forme non dissimilée
ait existé : *κελαινο-νεφης n'a jamais existé ; dès le moment où le
mot a été créé, il a eu la forme κελαινεφής. Il n'y a donc pas lieu
de rechercher si c'est la première des deux syllabes qui tombe :
*κελαι(νο)-νεφης, ou si c'est la voyelle qui termine cette syllabe et
la consonne qui commence la suivante, comme le veut M. Brugmann
(Grr., I, 483 sqq.) : *κελαιν(ον)εφης.

La prétendue dissimilation syllabique ne se produit que dans
la composition et la dérivation
. Lorsqu'à un thème vient s'ajouter
un mot ou un suffixe dont la syllabe initiale commence ou finit
par la même consonne que la syllabe finale du thème, l'une des
deux syllabes est éliminée, et celle qui subsiste présente le vocalisme
de la seconde. Cette remarque montre qu'il ne s'agit pas là
de dissimilation : s'il existait une dissimilation de ce genre il ne
nous serait parvenu aucun mot du type uenenum et aucun mot à
redoublement sauf ceux qui font onomatopée. Ce qui se produit
est une superposition syllabique au moment de la jonction :

κελαινο-
-νεφης

Cette superposition est possible parce que dans κελαινεφής le sujet
parlant sent le thème κελαινο- jusqu'à κελαιν- ou κελαινε- inclusivement
et le mot -νεφης à partir de κελαι- ; le ν ou plutôt même la syllabe νε
147fait double fonction (1)5. Il y a là sans doute une négligence d'attention
de la part du sujet parlant, mais on la comprendra si l'on
songe que lorsqu'on parle il est extrêmement rare que l'on
maintienne son attention sur toute l'étendue d'un long mot ; on ne
la fait porter que sur le commencement ou sur la fin : c'est ce qui
explique les lapsus de toute espèce.

Pourquoi le vocalisme est-il celui du second terme ? C'est qu'on
n'aurait pas reconnu νέφος dans *-νοφης tandis qu'on sent le thème
de κελαινός aussi bien dans κελαινε- que dans κελαινο-.

C'est une loi, comme les lois phonétiques, et, de même que celles-ci,
elle n'agit pas lorsqu'elle en est empêchée.

Nous citerons nos exemples non pas sous la forme

κελαινεφής = *κελαινο-νεφης

qui représente une erreur, mais sous la forme

κελαινεφής = κελαινο + νεφης.

Grec

ἄποινα ntr. pl. « rançon » = ἀπο + ποινα, cf. απότισις (Prellwitz,
Et. Avœrt.). L'ancienne étymologie ἀ privatif + ποινή fait un contresens ;
ἄποινα n'est pas le rachat de la peine, mais le rachat de
la faute : c'est la peine même.

Ἑτοίμαχος = ἑτοιμο + μαχος (Fick, Bezz. B., III, 279). Ἑτοιμαρίδας
= έτοιμο + μαριδας (Fick, Gr. personennamen, 1894, p. 115).
τέτραχμον = τετρα + δραχμον (Brugmaun, Grr., I, 483). Au moment
de la superposition qui se produit toujours, il ne faut pas
l'oublier, dans un moment d'inattention, -δραχμον devient en quelque
sorte *τραχμον ; le contraire, à savoir le changement de τετρα en
*τεδρα-, n'est pas possible parce que τετρα- est l'élément essentiel.
148Voilà pourquoi le résultat est τέτραχμον et non *τέδραχμον. La
forme τετράδραχμον est refaite ; elle pouvait l'être continuellement
sous l'influence des nombreux composés commençant par τετρα-.

Ἑλλάνικος = έλλανο + νικος (Schulze, Quaestiones epicae, 427).

ἀλιτρός « criminel » = ἀλιτη + τρος (Fick, KZ, XXII, 99). Les
adjectifs en -τρος sont en effet tirés du thème verbal, comme les
substantifs en -τωρ et en -τρον ; cf. ἀλιτήσω, ἀλίτημα.

ζητρός = ζητη + τρος de ζητέω (Fick, KZ, XXII, 99) ; ζητητής,
ζητητήριος sont des formes refaites.

δατήριος = δατη + τηριος (Fick, KZ, XXII, 99).

M. Fick pense (KZ, XXII, 99) que ἀλιτήριος « coupable » = ἀλιτη,
+ τηριος de ἀλιταίνω « je commets une faute ». Evidemment ce n'est
pas impossible, mais cette hypothèse n'est pas nécessaire. Ἀλιτήριος
peut être dérivé de *ἀλιτηρος comme καθάριος de καθαρός, ἐλευθέριος de
ἐλεύθερος, φίλιος de φίλος, ἡσύχιος de ἥσυχος, et *ἀλιτηρος de *ἀλιτη-,
comme ὀλισθηρός « glissant, qui fait glisser ou qui glisse » de ὀλισθαίνω
« je glisse », ὀκνηρός « lent » de ὀκνέω « je suis lent ».

ποιμάνωρ= ποιμαν + ανωρ (Pott. Et. forsch., II, 110).

hom. οἰέτης « d'un seul âge, du même âge » =οἰϜο + Ϝετης
(Wackernagel, KZ, XXV, 280).

κέντωρ, κέντρον = χεντη + τωρ, τρον (G. Meyer, Gr. gr., p. 293).

Les suffixes -τωρ et-τρον s'ajoutent au thème verbal, cf. θηράτωρ de
θηράω, κοσμήτωρ de κοσμέω, μισθώτρια de μισθόω.

καλαμίνθη « calament » = χαλαμο + μινθη (G. Meyer, Gr. gr., p.
293). La superposition syllabique a souvent pour effet d'éviter la
succession de trois brèves ; elle s'accorde en cela avec la loi rythmique
exposée par M. F. de Saussure (Mélanges Graux).

ἀμφορεύς « vase à deux anses » = ἀμφι + φορεύς (Brugmann, Grr.,
I, 484). Ἀμφίφορεύς a été refait, peut-être parce que ἀμφορεύς ne
pouvait pas entrer dans un vers dactylique.

ἀρνακίς « toison d'agneau » = ἀρνο + νακις (G. Meyer, Gr. gr.,
p. 293.

πινυτής « sagesse » = πινυτο + της (Ebel, KZ, I, 303), Cf. φιλότης
149de φίλος ; πινυτότης qui se trouve dans Eustathe est une forme refaite.

γλάμυξος « chassieux » = γλαμο + μυξος (G. Meyer, Gr. gr., p.
293).

ἐπίβδαι « lendemain d'une noce, d'une fête » était expliqué par
ἐπί + ped « pied », cf. πεδὰ « après » (Brugmann, Grr. I, 266 et
346). C'est évidemment une étymologie à écarter. M. J. Bury qui
songe au lat. repotia « repas du lendemain des noces » paraît avoir
trouvé juste en indiquant ἐπί + πιβδαι de *pibō « je bois » (Bezz.
Β, XVIII, 292).

θάρσυνος ne représente pas θαρσο + συνος (Aufrecht, KZ, I, 482),
mais est tiré directement de θαρσυ- (θαρσύς), cf. sk. arjunas de
*arju-, gr. ἄργυρος.

ἡμέδιμνον = ἡμι + μεδιμνον (Brugmann, Grr., I, 484). Ἡμιμέδιμνον
est beaucoup plus employé ; c'est que le premier terme ἡμι-, très
clair et très usité, est l'élément essentiel du composé ; c'est du
reste un mot si court qu'il lui était difficile de perdre un seul
phonème : il est même surprenant que ἡμέδιμνον ait pu naître.

καρδάμωμον « cardamome » = καρδαμ(ο) + ἀμωμον (G. Meyer, Gr.
gr., p. 293).

ὀπισθέναρ « le dos de la main » = ὀπισθο ou ὀπισθε + θεναρ (G.
Meyer, Gr. gr., p. 293).

πυγμάχος « qui combat à coups de poing » = πυγμο + μαχος. L'étymologie
*πυξ-μαχος, proposée par M. Fick, aurait donné *πυχ-μαχος.

κωμῳδιδάσκαλος, τραγῳδιδάσκαλος = κωμῳδο, τραγῳδο + διδασκαλος
(G. Meyer, Gr. gr., p. 293).

Βλέπυρος = βλεπε + πυρος (G. Meyer, Gr. gr., p. 293).
Βενδίδωρος = βενδιδο + δωρος (Fick, Die gr. eigennamen, 1874,
p. 18).

Παλαμήδης = παλαμο + μηδης(0. Meyer, Gr. gr., p. 293).

Δαμήνης = δαμο + μηνης (G. Meyer, Gr. gr., p. 293).

Μέλανθος = μελαν + ἀνθος (Fick, Die gr. eig., 1874, p. 54).150

Πλεισθένης =  : πλειστο + σθένης (G. Meyer, Gr. gr., p. 293).

Ποίμανδρος = ποιμεν + ἀνδρος (Fick, Die gr. eig., p. 206) ou
plutôt ποιμαν + ἀνδρος, cf. supra ποιμάνωρ.

Τιμαχίδας = τιμο + μαχιδας (Baunack, C. St., X, 136).

Φιλάων = φιλο + λαων (Baunack, C. St., X, 136).

Ποσίδικος = ποσιδο + δικος, cf. Ποσίδ-ιππος (Baunack, G. St., X,
122).

Φιλυρίδας = φιλο + λυριδας (Baunack, C. St., X, 122).

Nous avons dit que la syllabe subsistante faisait double fonction ;
c'est ce qui explique Δαφνη- φόρος, Λυχο- κτόνος, Πισθ- έταιρος, ἀκρό- κομος,
καρπο- φόροι, μαχρο- κέφαλοι, εὐθύ- τονος, etc. Dans une forme *δαφορος
la syllabe φο aurait convenu pour -φορος, mais point pour δαφνη-,
dans une forme *δαφνηρος la syllabe φνη ne pouvait pas rappeler le
φο de φορος-. Dans Πλεισθένης vu plus haut la syllable σθε peut fonctionner
pour πλειστο- jusqu'à l'aspiration exclusivement ; mais
Κλειτο- σθένης n'est pas susceptible de superposition. M. Baunack
qui cite Κλείτό- δημος, Κλειτό- δικος, Κλεινό- δημος, Κλειτο- σθένης, Κλιενό- μαχος
(Ο. St., Χ, 122-123) pense que le premier terme de Κλεί- δημος,
Κλεί- δικος, Κλει- σθένης, Κλει- γένης, Κλει- θεμις, Κλει-τέλης, Κλει- μήδης,
ΚΧεί- σοφος est aussi Κλειτο- ou Κλεινο-, C'est une erreur évidente :
ces mots ont été formés par analogie sur le modèle de Κλειτέλης =
Κλειτο + τελης.

Δημο- μέλης, Φιλιππό- πολις, Καλλι- λαμπέτης, ὀρνίθο- θήρας, φιλό- λογος
sont des formes faites artificiellement ou savantes. De même
γροσφοφόρος, λοφοφόρος, ἀμφίφαλος.

ἄπολις et ἀπόπολις ; sont deux mots différents et il était nécessaire
de ne pas les confondre.

Δαμανικίων ne représente pas Δαρασι + νικιων comme le veut
M. Baunack (Rheinisches museum, 37, p. 476), mais le thème
verbal δαμα + νικιων, comme Ἀγέ-λαος.

Grec moderne — Ἀστροπελέκι = ἀστραπο + πελεκι, (Hatzidakis, KZ,
XXXIII, 118 ; pour l'ο cf. cet article), Μαυράχι.= Μαύρη + ῥαχι (p.
119), αὐτίκοντα = αὐτίκα + κοντα (p. 121).151

σαράκοντα a perdu sa syllabe initiale dans τὰ τεσσαράκοντα ; μέ =
μετὰ, κά = κατά sont nés devant l'article : μὲ τὰ πρόβατα de μετὰ τὰ
πρόβατα, κὰ τὸν τόπον de κατὰ τὸν τόπον (Hatzidakis, Neugr. gr., p.
150, 153). Ici la voyelle indispensable est évidemment celle de
l'article.

Latin

En latin l'interprétation est rendue douteuse dans un certain
nombre de cas par l'existence de la loi de syncope. Ainsi
antenna peut représenter ante + tenna (Zeyss, KZ, XIV, 415) par
superposition syllabique. Mais une forme *antetenna pouvait être
refaite comme ἡμι-μέδιμνον. Il pouvait aussi ne pas y avoir superposition
dans les cas où la composition n'était pas strictement populaire,
comme en grec dans φιλό-λογος, λοφο-φόρος. Quoiqu'il en soit
*antetenna serait devenu *anttenna par la loi de syncope, et dans
cette position le double t ne pouvait que se réduire. Il y a donc
plusieurs exemples pour lesquels on peut hésiter entre deux explications.
Il est néanmoins probable que dans la plupart des cas
c'est la superposition qui est la bonne, 1° parce que les reformations
qui rentrent dans ce chapitre ne paraissent pas être d'origine
populaire ; 2° parce que les composés demi-savants comme φιλό-λογος
auraient sans doute échappé à la loi de syncope. Il est inutile que
nous répartissions nos exemples en différentes classes : ceux pour
lesquels les deux explications sont possibles se dénonceront d'eux-mêmes :

Nutrīx — nutrī + trīx (Brugmann, Grr., I, 484), cf. nutritor.

Sambucina = sanbuci + cina (Fick, KZ, XXII, p. 371), cf.
belliger.

Luscinia = lusci + cinia (Schweizer-Sidler und Surber, Gr.
d.lat. spr., Halle, 1888, § 46).

Vīcennium = uīcen + ennium (Fick, KZ, XXII, p. 372).

Fastīdium= :fasti + tīdium (Bréal, KZ, XX, 80).152

Domūsio = domūs + ūsio.

Stĭpendium (Plaute) = stĭpi + pendium, cf. mortifer. Stīpendium
est beaucoup plus usité. Si cette seconde forme ne doit
pas la longueur de son i à une étymologie populaire, elle repose
sur *stippendium comme le propose M. V. Henry, Gr. comp. du
gr. et du lat., p. 94. *Stippendium serait sorti régulièrement d'un
*stipipendium refait à l'époque de la syncope latine.

Scrūpeda = scrūpi + peda (Bersu, Die gutturalen, p. 172).

Sēmodius = sēmi + modius (Brugmann, Grr., I, 484). Sēmimodius
est refait d'après sēmi-dens, etc.

Sēmēstris = sēmi + mēstris (Brugmann, Grr., I, 484).

Antestari = ante + testari (Zeyss, KZ, XIV, 415). On trouve
beaucoup plus tard, p. ex. dans Sid. Apoll., la forme antetestari ;
elle a été refaite artificiellement.

Lūculentātem=lūculenti + tātem (Brugmann, Grr., 1, 484).
Lūculentitātem est une forme refaite.

Arcubii « qui excubabant in arce » (Fest.) = arci + cubii (Brugmann,
Grr., II, 58).

Portorium « péage » = porti + torium (Fick, KZ, XXII, p. 101).
Portitorium, forme très tardive, est refait.

Cruenter = cruenti + ter, luculenter = luculenti + ter, uiolenter
= uiolenti + ter
, ignoranter = ignoranti + ter, et tous
les adverbes en enter, anter tirés d'adjectifs ou de participes en
ens ou ans = enti + ter, anti + ter. De rapports tels que congruus :
congruenter
(tiré de congruens) naquit le sentiment d'un
suffixe -enter, d'où rarenter de rarus, magnificenter de magnificus,
etc.

Equīria sort de *equi-quirria d'après Bersu, Die guttur., p.
151, de *equi-cirria d'après Solmsen, Stud. zur lat. lautgesch.,
p. 30. Quoi qu'il en soit la forme historique paraît être due à une
étymologie populaire d'après Equīrīne = Ε Romule (0. Keller,
Lat. volsket., p. 42).

Barbarum, gén. plur. dans Nepos, Milt. 2, 1, Alcib. 7, 4, n'est
153sorti ni de barbarorum ni de barbararum ; c'est simplement le
mot grec.

Voluntas ne sort pas de *uolunti-tas, ni potestas de *potenti-tas,
ni honestas de *honesti-tas, etc. Comme l'a montré Weisweiler,
Neue jahrbücher f. philologie, 1889, p. 796, les substantifs
dérivés de participes se font en ia : uolentia, beneuolentia, indigentia,
potentia. Les substantifs en -tās reposent sur des
thèmes nominaux : facul-tas, uenus-tas, tempes-tas, senec-tas,
iuuen-tas (et iuuen-tus), uolup-tas, uolun-tas (de uolo, -onis,
Bréal, MSL, II, 49), hones-tas (thème honos, hones, comme tempes-tas
thème tempos, tempes), eges-tas (thème egos, eges, cf.
egēnus, Schweizer-Sidler, Gr., p. 65, 202, Meyer-Lübke, Archiv
f. lat. lex., VIII, 329), māies-tas (thème māios, māies, cf.maior,
maius). Pour potestas nous ne pouvons accepter ni l'explication
de M. Meyer-Lübke (Archiv f. lat. lex., VIII, 329) ni celle de
M. Solmsen, Zur lat. lautgesch., p. 57) ; potestas est fait surpotens
d'après le faux rapport egestas : egens.

Mansuētudo n'est pas plus pour *mansuēti-tudo (Ebel, KZ, I,
303) que mansuēfacio pour *mansuēti-facio. Ils sont tous deux
formés directement sur mausuē- pris dans mansuēs. Une fois
mansuētudo ainsi formé, il naît forcément un rapport mansuētudo :
mansuētus
 ; d'où inquietudo surinquietus (et non pas *inquietitudo,
Ebel, ibid.), ualĭtudo sur ualitus, etc. Le rapport est bien
vite saisi comme une substitution des suffixes -tus : -tudo, -tis :
tudo
, c'est-à-dire de suffixes commençant par t, d'où habitudo sur
habitus (et non pas *habititudo), hebĕtudo sur hebĕtis (et non
*hebetitudo), sollicitudo sur sollicitus (et non pas *sollicititudo,
Ebel, ibid.). D'autre part d'après mansuētudo : mansuesco on crée
alētudo sur alesco (et non pas *aletitudo, Fick, KZ, XXII, 101),
ualētudo sur ualesco. — Enfin altitudo et multitudo sont modelés
sur magnitudo ; il eu est de même de beatitudo et sanctitudo
qui ne remontent pas au delà de l'époque chrétienne.

Obliuiosus est sorti de obliuium comme imperiosus de imperium
154(et non pas *obliuion-onsus, Fick, KZ, XXII, 372). Des
rapports gloria : gloriosus, imperium : imperiosus, obliuium :
obliuiosus
, obliuio : obliuiosus (ce dernier existe aussitôt que le
précédent) naissent tout naturellement factiosus sur factio (et
non pas *faction-onsus, Fick, ibid.), seditiosus sur seditio (et non
pas *sēditiononsus, Fick, ibid.), suspiciosus sur suspicio (et non
pas *suspiciononsus). Lusciosus n'est pas d'une authenticité bien
certaine ; en tout cas s'il a existé il est sorti non pas de*lusciciosus
(Fick, ibid.) mais de *luscio, comme suspiciosus de suspicio. Ce
*luscio ne nous a pas été livré, mais il n'en résulte nullement qu'il
n'ait pas existé. Il aurait été formé sur luscus aussi, régulièrement
que unio sur unus, duplio sur duplus, ternio sur ternus, rubellio
sur rubellus, ludio sur ludus, mulio sur mulus. Lusciciosus
n'est qu'un barbarisme ; mais luscitiosus existe et n'a rien à voir
pour la dérivation avec lusciosus ou *luscio ; il est formé sur luscītio
comme suspiciosus sur suspicio, et luscītio est tiré de luscus
d'après un rapport tel que largus : largītio (bien que largitio soit
dérivé de largītus). Ambitiosus repose sur ambitio (et non pas
*ambitionosus) Kühner, Ausf. gr. d. lat. spr., I, 674).

De suspicio : suspiciosus, gloria : gloriosus, imperium : imperiosus
naît le sentiment que les dérivés en -osus se tirent non
pas du thème, mais du nominatif en élidant la dernière voyelle de
ce cas devant l'o de osus. De là calamitōsus de calamitās (et non
pas *calamitat-osus, Brugmann, Grr., I, 484), egestosus de egestas,
dignitosus de dignitas (et non pas *egestatosus, *dignitatosus,
Fick, KZ, XXII, 372), et de même labosus de labor, fragosus
de fragor, ou de labos, fragos (et non pas *labososus, *fragososus
(Fick, ibid.).

Voluptarius est tiré de la même manière de uoluptas (et
non pas uoluptat-arius, Fick, KZ, XXII, 371), uoluntarius
de uoluntas (et non pas *voluntitatarius, Brugmann, Grr.,
I, 485). De l'existence d'un mot de ce genre naît le sentiment de
l'échange d'un suffixe -tarius avec le suffixe -tas : proprietarius :
155proprietas
, hereditarius : hereditas. Et même une fois le rapport
heredis : hereditarius établi, on peut faire solitarius, siccitarium
directement sur solus, siccus, sans l'intermédiaire de
solitas, siccitas.

Debilitare et nobilitare ne sont pas sortis de *débilitat-are,
*nobilitat-are, comme le croit M. Brugmann, Grr., I, 484. Ils signifient
« rendre debilem, nobilem », tandis que *debilitatare, *nobilitatare
signifieraient « rendre debilitatem, nobilitatem »,
comme captare signifie « rendre captum », uolutare « rendre
uolutum », etc. Ces mots sont formés directement sur l'adjectif
au moyen d'un suffixe secondaire -tare qu'on a isolé précisément
dans des verbes tels que captare comparé à capio. De même uilitare,
fecunditare, felicitare que M. Fick (KZ, XXII, 371) fait
venir de *uilitat-are, *fecunditat-are, *felicitat-are sont formés
directement sur l'adjectif comme uisitare sur uisus, haesitare
sur haesus, mansitare sur mansus, etc.

Paupertinus ne représente pas *paupertatinus (Fick) mais est
dérivé de pauper au moyen du faux suffixe -tinus que l'on avait
isolé dansrepentinus, libertinus, latinus, Plautinus, etc.

Tempestiuos ne sort pas de *tempestatiuos ni aestiuos de *aestatiuos
(Fick). Tempestiuos a été tiré de tempes- au moyen du
faux suffixe tiuos trouvé dans actiuos, satiuos, natiuos, uotiuos,
laudatiuos, festiuos, captiuos, etc. Le faux rapport tempestiuos :
tempestas
a fait naître aestiuos sur aestas.

Splendificare, qui n'apparaît que tardivement, n'est pas sorti
de *spendidi-ficare (Fick, KZ, XXII, 372), mais a été formé de
splendor comme uolnificus de uolnus, foedifragus de foedus,
opifex de opus, munifex de munus.

Venēficus ne représente pas *uenēni-ficus, comme l'a fort bien
montré M. F. Skutsch (De nominibus latinis suffixi no ope formatis,
Breslau, 1890). Que uenēnum représente *uenes-nom, comme
il le dit, c'est évident ; mais que uenēficus soit sorti de *uenes-ficus,
c'est indémontrable, du moins dans l'état actuel de la phonétique
156latine. Une autre explication est donc permise, sinon nécessaire :
uenēficus a été formé sur uenēnum d'après le faux rapport : mansuē-factus :
mansuētus
.

Selibra est fait d'après semestris, semodius,

Cordolium est dans les mêmes conditions que solstitium, solsequium,
muscipula, etc.

Palatua ne représente pas *palatitua (Fick, KZ, XXII, 101),
mais est à Palatium comme ingenuos à ingenium, reliquos (*relic-uos)
à reliquiae, etc.

Horrifer « effrayant » serait *horrori-fer d'après M. Wœlfflin
(Arch. f. lat. lex., IV, 11). C'est bien en effet le mot horror qu'y
sentaient les Latins ; mais en réalité horrifer est fait sur le modèle
de horrificus, dans lequel les Latins arrivèrent à sentir aussi
le mot horror, bien qu'il n'y eût que horri-, le même horri- que
dans horridus, horribilis ; horrificus en effet signifie primitivement
« qui rend hérissé » et horreo « je suis hérissé » ; cf. candificus
« qui rend blanc » à côté de candidus « blanc », candor
« blancheur », candeo « je suis blanc ».

Ministrix (tardif) et ministratrix (Fick, KZ, XXII, 372). Le
second est le féminin de ministrator ; le premier est fait au moyen
du faux suffixe -trix que l'on trouvait dans tonstrix à côté de tonsor,
defenstrix : defensor, possestrix : possessor, assestrix :
assessor
, à moins qu'il ne soit simplement le féminin de *ministor
qui paraît attesté par le gén. plur. ministorum (IRN, 2225,
40 apr. J.-C).

Gratulor = *grati-tulor (0. Keller, Rhein. mus., 1879, 499). Il
n'y a pas plus de tulo dans gratulor que dans grator qui a le
même sens ; cf. iaculari à côté de iacere, ambulare : ambire, etc.

Trucīdare ne représente ni *truci-cidare (Brugmann, Grr., I,
p. 484) ni *trudi-cidare (0. Keller, Rhein. mus., 1879, 499),
mais*dru-cidare (Thurneysen, KZ, XXXII, 563-564).

Sanguĭsuga est fait sur le nominatif d'après claui-ger, igni-fer,
igni-uomus où l'on croyait trouver les nominatifs clauis, ignis,
157moins l's désinentiel. Il en est de même de lapicida que l'on tire
quelquefois de *lapidicida (0. Keller, Rhein, Mus., 1879, 499).
Homicida a été fait sur hominis d'après le rapport sanguisuga :
sanguinis
.

Vīpera = *uīuo-para a perdu sa seconde syllabe par la loi de
syncope latine. Il en est de même de quotus s'il correspond à sk.
katithas et de totus s'il correspond à sk. tatithas ; pour ces deux
derniers mots la syncope ne pouvait se produire qu'aux cas où la
finale est longue.

Autres langues indo-européennes

Les autres langues indo-européennes ne présentant rien de particulier
sur cette question, nous nous bornerons à quelques exemples.

sk. irádhyāi « chercher à gagner » = iradha + dhyāi (Brugmann,
Grr., I, 484), peut représenter iradh-yāi, cf. Brugmann,
Grr., II, p. 1416, 12.

ved. suvapatyāi et autres peuvent sortir de suvapatyāi + yāi
(Brugmann, Grr., II, 600) ; c'est toutefois incertain puisque suvapatyāipeut
représenter le type indo-européen. — Le type zend
gaeÞyāi donne lieu aux mêmes observations.

véd. Le gén. duel yṑs ne sort pas plus de yáyōs que ēnōs de
ēnayōs, et il est probable que niniyōs, pastíyōs, pāšiyōs ne sont
pas non plus des formes raccourcies ; cf. Brugmann, Grr., II, 654).

zd mazdāÞa- = *mazda + dāÞa ; ameretāt- « immortalité »
= amereta + tāt- ; amereta-tāt- est une forme refaite ; maiδyāirya
« nom d'une fête » — maiδya + yāirja « milieu de l'année »
(Brugmann, Grr., I, 484).

zd hunaretāt- « vertu » = hunareta + tāt-, cf. sk. sūnṛtas
« beau, noble » (Brugmann, Grr., II, 291).

lit. aků́tas « qui a de la barbe » à côté de akůtů́tas qui est une
forme refaite, de aků́tas « barbe ».
158baltico-sl. Les formes telles que lit. loc. sg. fém. gerõjoje, v. sl.
gén. fém. dobryję, etc. sont généralement citées comme exemples
de « dissimilation syllabique ». M. A. Meillet me communique à
ce sujet la note suivante qu'il avait rédigée avant de savoir
que je m'occupais de la question et que je l'envisageais sous
un aspect nouveau. « M. Leskien (Die declination im slavisch-litauischen,
p. 134) et après lui M. Brugmann (Grundriss, I, § 643)
attribuent les formes slaves génit. novy-jç, Adl. loc. novê-ji, gén.
loc. duel novu-juau lieu de *novy-jeję, *novē-jeji, *novu-jeju à
des dissimilations syllabiques. Mais mojeję, mojeji, mojeju ;
kojeję, kojeji, etc. ont subsisté et l'on ne cite d'ailleurs en slave
aucun autre exemple de ce type de dissimilation. Ces altérations
s'expliquent aisément par analogie. Les formes de l'adjectif composé
où l'addition régulière du second terme provoquerait un
allongement de la forme simple de plus d'une syllabe n'ont pas persisté
pour la plupart ; au masculin c'est le premier terme qui a été
mutilé ; le locatif pluriel novyjichŭ est imité du génitif régulier novyjichŭ,
l'instrumental singulier novyjimĭ de l'instrumental pluriel
novyjimi ; d'une manière générale le premier terme a pris au
masculin la forme novy-, qui est phonétique dans plusieurs cas,
presque partout où le thème je- a une forme dissyllabique. Au
féminin singulier au contraire c'est le second terme qui perd une
syllabe ; l'identité, régulière dans les noms féminins en -a, du nominatif-accusatif
pluriel et du génitif singulier a pu conduire à
remplacer le génitif *novy-jeję par une forme pareille à celle du
nominatif-accusatif pluriel novy-ję ; de là le datif novē-ji au lieu
de *novē-jeji et l'instrumental novą-ją au lieu de *novą-jeją, et
enfin le duel novu-ju au lieu de *novu-jeju. Il n'est donc pas
nécessaire d'admettre ici une dissimilation syllabique ; on doit
ajouter que la conservation d'un ancien datif *ji dans novē-ji est
improbable, mais non tout à fait impossible. »

Gaul. Leucamulus = Leuco + camulus, Clutamus = Cluto
+ tamus
(Brugmann, Grr., I, 484).159

got. awistr = awi + wistr, vha. ewist, awista = ewi + wist
awi + wista
(cf. vha. wist), got. ga-nawistrōn = ga-nawi + wistrōn
(Brugmann, Grr., I, 485).

Langues romanes

esp. ligamba = liga + gamba (C. Michaelis, Rom. wortsch.,
p. 18).

ital. sotterra = sotto + terra (Caix, Rivista, II, 77-78).

ital. calen di maggio = calendi + di maggio (Caix, ibid.).

ital. domattina = doma(n) + mattina (Caix, ibid.).

lat. tardif olibanum « oliban » (it., esp. olibano) = ole + libanum
(Lassen).

esp. malvisco, fr. mauvisque = malva + visco (Meyer-Lübke,
Gr. rom., I, 294).

esp. cejunto = ceja + junto, à côté de cejijunto, v. ital. filogo
= filologo
. Ces deux formes sont citées par Mme C. Michaelis,
Rom. wortsch., p. 18. Je n'ai pas ici les moyens d'en vérifier
l'authenticité et la valeur. Les éléments filo- et -logo étant assez
fréquents en italien et par conséquent compris, il a pu y avoir
recomposition d'où filogo = filo + logo. En tout cas esp. mogato
et mojigato, martilogio et martirologio, fesomía et fisonomía
qu'elle cite au même endroit n'ont pas à figurer ici.

fr. neté, chasté cités comme exemples de « dissimilation syllabique »
par Mme C. Michaelis, Rom. wortsch., p. 18, sont en réalité
netté, chastté et sont le produit de la « loi des trois consonnes ».

esp. edecan « aide de camp » (C. Michaelis, ibid.) sort en réalité
de fr. aid de camp qui est dans les mêmes conditions.

ital. convente « condition, convention », à côté de convenente
(Caix, Rivista, II, 78), a été influencé par convento qui a le même
sens et n'est pas une forme raccourcie.

fr. fête-Dieu, vertudieu, cordieu, que Mme C. Michaelis (Rom.
wortsch., p. 18) tire de fête de Dieu, etc., n'ont jamais possédé
le de non plus que Hôtel-Dieu, rue Saint-Jacque, etc.160

lat. vulg. idolatria = εἰδωλατρεία = εἰδωλο + λατρεία. La réduction
est forcément grecque, car c'est seulement en grec que les
deux termes étaient compris.

ital. fostu=. fosti + tu, vedestu = vedesti + tu, etc. (Caix,
Rivista, II, 77).

lat. vulg. mattinum = matutinum est dû à un phénomène
très différent qu'il ne faut pas confondre avec celui qui nous
occupe en ce moment ; c'est la chute d'une voyelle atone entre
deux consonnes semblables qui subsistent, cf. Meyer-Lübke, ital.
gr., § 143. Si les deux consonnes se trouvent après une autre
elles se réduisent à une seule : ital. cando de candido (cité comme
« dissimilation syllabique » par Caix, Rivista, II, 77). Les deux
consonnes paraissent pouvoir se réduire même entre voyelles si
elles ne sont pas des occlusives ; mais la question demande encore
des recherches particulières. Quelle est l'explication qui convient
à ital. avamo, avate, etc. au lieu de avevamo, etc. ? est-ce avvamo
par réduction des deux v ; ou bien est-ce ave + vamo par recomposition ?

fr. onze, esp. once sont tirés par M. Meyer-Lübke, Gr. rom., I,
521 de ū[n]ŭmdecim ; il faut en effet un ŭ ; mais qu'est-ce que
ūnŭmdecim ? Le latin ne connaît que undecim. Admettons d'ailleurs
l'existence de *unum-decim ; les deux syllabes ne pouvaient
être superposées puisqu'elles appartiennent au même terme.
Une autre explication est nécessaire : M. Thurneysen me fait observer
qu'au moins à la basse époque voyelle longue s'était abrégée
en latin devant nd : undecim comme uĭndemia de uīnum (cf.
fr. vendange, prov. vendanha).161

La dissimilation dans les mots à redoublement

Maintenant que les lois de la dissimilation nous sont connues
dans les mots ordinaires, nous devons jeter un coup d'œil sur les
mots à redoublement. Il est facile de comprendre a priori que,
reproduisant deux fois les mêmes éléments, ces mots ont toutes
chances de se trouver dans les conditions nécessaires pour une
dissimilation. Il semble donc qu'au lieu de terminer notre étude
avec eux, c'est par eux que nous aurions dû la commencer.

Nous n'aurions obtenu aucun résultat. La question est une des
plus compliquées qui existent. On en peut voir les raisons avant
même d'avoir rien approfondi :

Pour ce qui est des langues indo-européennes, nombre des
modifications survenues dans les mots à redoublement du fait de
la dissimilation remontent à la période de leur vie commune, et
les théories que l'on fera sur elles risquent de rester trop souvent
de pures hypothèses.

La psychologie joue un très grand rôle dans le traitement des
formes à redoublement. Si la réduplication est sentie comme telle
dans tous ses éléments par le sujet parlant et cette réduplication
comme utile au sens, le mot reste intact, parce qu'on éprouve le
besoin, inconscient comme tous les phénomènes naturels du langage,
de conserver tous ces éléments deux fois avec une identité
absolue ; ce type se rencontre surtout dans les mots faisant onomatopée :
esp. murmúrio « murmure ». Si au contraire le redoublement
ne fait pas onomatopée, n'ajoute rien au sens du mot pour
le sujet parlant, il n'est pas soustrait aux lois phonétiques ordinaires
et peut même tomber entièrement : esp. ceño « virole »
de lat. cincinnus, — port. paver, fr. pavot, v. ital. pavero de lat.
162papauer, — ital. vaccio de vivaccio, — tosc. tavia de tuttavia,
— tosc. baco de bombaco, — v. fr. falue à côté de fanfelue de
l'ital. fanfaluca, — ital. gozzo de gorgozzo de gurges, — ital.
zirlare de zinzilulare, — ital. bozzolo de bombozzolo, — gr. mod.
δάσκαλος de διδάσκαλος, δασκάλισσα de διδασκάλισσα. — fr. colimaçon que
Mmc C. Michaelis (Rom. wortsch., 18) tire de *cochlolimax, et qui
paraît sortir de *chlocolimax, cf. ital. chiocciola, chian. chiocquelo,
etc., par chute de la syllabe de redoublement (1)6.

Si le redoublement n'est pas senti comme utile dans tous ses
éléments, le mot peut laisser tomber ou altérer tous ceux qui ne
sont pas sentis comme tels, ou subir le traitement ordinaire :
esp. marmol comme arbol.

Enfin il se forme des types de réduplication, c'est-à-dire
qu'une forme de réduplication, sortie régulièrement de quelques
cas, s'étend à d'autres dans lesquels elle n'aurait jamais pu naître ;
exemples : redoublement en e du parfait indo-européen, en i du
présent, en n des intensifs sanskrits, etc. Cf. Brugmann, C. St.,
VII, 357-358.

Ces considérations générales suffisent à faire comprendre pourquoi
il était nécessaire de commencer l'étude de la dissimilation
par les mots ordinaires présentant des formes isolées.

Ayant déterminé par ailleurs les lois de la dissimilation, nous
163pouvons les reporter maintenant dans le domaine de la réduplication
et voir quel jour elles jettent sur ces formations et sur leur
évolution.

Pas plus ici que dans la première partie nous ne chercherons à
citer tous les exemples ; cela ne serait d'aucune utilité ; nous essayerons
simplement d'examiner les principaux types au moyen de
quelques mots et familles de mots qui paraissent caractéristiques.

Avant d'entrer dans le détail, disons que s'il nous arrive souvent
dans cette partie de dire : voici ce qui s'est passé, il faut entendre
par là : voici ce qui a dû se passer ou voici ce qui a pu se passer.
Nous ne nous faisons aucune illusion à ce sujet et nous regretterions
qu'on nous en attribuât. Presque toute cette partie n'est qu'un
échafaudage d'hypothèses et il n'en saurait être autrement puisque
les phénomènes que nous y étudions se perdent d'un côté par
leur origine dans la nuit des temps et se mêlent de l'autre avec les
productions les plus secrètes et les plus obscures de la psychologie
inconsciente qui agit sur l'évolution du langage.

Nous commencerons par une famille assez nombreuse de mots
qui font onomatopée.

Le sanskrit brávīti = *mravīti, zend mraoiti signifie « parler ».
En négligeant les éléments suffixaux nous pouvons en extraire
une racine mer- « parler ».

Si cette racine est redoublée, le mot formé par là devra désigner
un bruit répété et continu, bruit de voix ou bruit analogue.
C'est un phénomène dont nous pouvons nous rendre compte en
examinant certains effets produits en poésie au moyen de la
répétition d'un mot. Nous verrons plusieurs fois dans cette étude
combien les vers des poètes éclairent les réduplications onomatopéiques.

« Le flot sur le flot se replie »

a dit Victor Hugo dans le Napoléon II. Ce vers ne veut pas dire
qu'un flot se replie sur un autre une fois pour toutes, mais il fait
164sentir très nettement que les flots se succèdent et se replient les
uns sur les autres continuellement et d'une manière indéfinie.

Une idée analogue est exprimée au moyen de notre racine par
le sk. marmaras « bruyant », le gr. μορμύρειν « murmurer, gronder,
surtout en parlant d'un liquide qui bout ou qui déborde », le
lat. murmur « murmure, bruit de l'eau qui coule, bruit de la mer,
bruit sourd », murmurare « murmurer, surtout en parlant de l'eau,
faire entendre un bruit sourd et continu ». Les formes du vha.
murmer « murmure », murmurôn « murmurer » paraissent avoir
été empruntées au lat. murmur, murmurare, mais cette question
n'a pas d'intérêt pour l'objet qui nous occupe.

Nous avons ici un type parfait de réduplication : la syllabe constituant
la racine et composée de une consonne + un élément
vocalique + une consonne est redoublée intégralement ; le mot qui
en résulte fait onomatopée ; les deux éléments qui constituent l'onomatopée
par leur répétition sont l'm qui ouvre la syllabe et l'r qui
la ferme : ils restent tous deux intacts. Les éléments vocaliques
qui les séparent ne jouent qu'un rôle secondaire et ne peuvent pas
rester identiques dans les deux syllabes là où il existe une loi phonétique
tendant à modifier l'un d'eux :gr. μορμύρω (cf. J. Schmidt,
KZ, XXXII, 321 sqq.), vha. murmer. La voyelle peut servir à
nuancer l'onomatopée : dans la racine qui nous occupe une voyelle
claire contribuerait à l'expression d'un doux murmure et une
voyelle sombre à l'expression d'un grondement ; c'est ce qui explique
souvent dans les formes à réduplication des modifications
vocaliques qui sont en dehors de toutes les lois présidant à l'évolution
vocalique des mots ordinaires. Il n'y a pas lieu d'insister
davantage sur ce point à propos de cette première forme que nous
désignerons par mermero.

Ce type intact est relativement peu représenté. La répétition dans
le même ordre et avec une identité parfaite de l'm et de l'r contribue
puissamment à l'intensité de la réduplication et de l'onomatopée.
Si l'un de ces deux éléments subissait une légère modification
165dans l'une des deux syllabes, le redoublement accusé par la répétition
de l'autre sans changement resterait sensible et l'onomatopée
aussi. L'impression faite sur l'esprit par le mot nouveau ne serait
plus la même que celle que produisait le mot précédent. La variété
introduite dans les deux syllabes se répercuterait dans l'impression
qu'elles éveillent. Pour la racine qui nous occupe il en résulterait
quelque chose de plus délicat peut-être, le sentiment d'une modulation
dans le murmure au lieu de la répétition d'un bruit continuellement
identique. C'est un effet que fait très bien comprendre
l'étude des deux vers suivants de Victor Hugo (Booz) :

« Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle,
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala ».

Le poète veut peindre dans ces deux vers les effluves parfumés
qui s'exhalent comme un vent léger et couvrent tout enfin comme
une nappe liquide. Il y est arrivé en utilisant les sons que lui fournissait
la langue et en les disposant instinctivement d'une manière
convenable. Le consonantisme seul nous intéresse ici : il y a deux
phonèmes, l'f et l'l, qui, par leur répétition, expriment admirablement
l'un le souffle, l'autre la fluidité. Le poète commence
par une répétition d'f sans aucun l :

« Un frais parfum sortait des touffes d'asfodèle » ;

ce sont des souffles embaumés qui s'envolent. Puis il combine
l'f avec l'l, c'est-à-dire le souffle avec la fluidité, combinaison
qu'il annonce par l'l d'asphodèle, et dont il relève l'l un peu
étouffé par l'f au moyen de l'l de la nuit :

« Les souffles de la nuit flottaient ».

C'est par cette combinaison qu'il donne une idée du flottement
des parfums amassés comme des nuages. Enfin ces nuages se fondent
en une nappe uniforme et fluide ; c'est ce calme d'une eau
tranquille qu'il exprime par les deux liquides de « Galgala ».166

Si dans notre racine signifiant « murmurer » on abandonne le phonème
final de la syllabe répétée aux lois qui président à l'évolution
du mot, on obtient quelque chose d'analogue, bien qu'avec moins
de nuances et de perfection. C'est le lit. murmuliů́ti « murmurer,
parler en bredouillant » (loi XIV) elle vha. murmel « murmure »
(loi I), murmulôn, « murmurer » (loi XIV) qui nous en
fournissent les premiers exemples. Peu importe ici que ces deux
mots vha. soient ou non empruntés, puisque la dissimilation s'est
sûrement accomplie dans le domaine germanique. Il n'importe
pas davantage de savoir si le lit. murmuliů́ti est emprunté au
germanique. Nous désignerons cette deuxième forme par mermelo.

Ce que l'onomatopée gagne en variété par cette dissimilation,
le redoublement risque de le perdre en netteté. Les éléments
qui ne sont plus identiques ne sont plus nécessairement saisis
comme faisant partie du redoublement. Dans notre exemple murmuliů́ti l'l peut être compris comme faisant partie d'un suffixe et
n'appartenant pas au thème. Le thème reste redoublé et senti
comme tel puisqu'il suffit pour produire l'effet d'une réduplication
de répéter une seule consonne au commencement de deux syllabes.
C'est un effet dont il est facile de se rendre compte en
considérant cet hémistiche de La Fontaine dans Le coche et la
mouche
 :

« Va, vient, fait l'empressée ».

L'allitération du v qui commence les deux premiers mots rend
en quelque sorte matériellement sensible l'idée exprimée, c'est-à-dire
l'agitation et les allées et venues continuelles de la mouche.

Si l'l ne fait pas partie du thème, la voyelle qui le précède
tombe sans difficulté pour peu que quelque chose l'y invite et nous
obtenons ainsi une troisième forme mermlo : lit. murmlénti
« murmurer ».

Ou bien ce faux suffixe contenant un l est remplacé par un suffixe
167qui n'en contient pas, d'où la quatrième forme mermo : lit.
murmė́ti « murmurer ». Cette quatrième forme est ce qu'on appelle
la réduplication brisée. Bien que les premiers représentants
de ce type appartiennent à la période indo-européenne, leur formation
et la manière dont ils ont pris naissance n'est nullement obscure.
Puisque nous en avons donné un exemple lituanien, c'est
par des faits pris dans la même langue que nous allons montrer
ce qui s'est passé en indo-européen. A côté de áugalůti « grandir
rapidement » le lit. possède augī̬ti « faire croître, élever », à
côté de sargaliů́ti « être maladif » il a sárgī̬ti « soigner un malade »,
sargíti « rendre malade », à côté de reikaláuti « avoir besoin
de quelque chose » il a reikė́ti « être nécessaire », à côté de
krũtulioti ou krutuliůti « se remuer un peu » il a krutė́ti « se
remuer ». Dès lors quand l'l de murmuliů́ti paraît appartenir à
un suffixe, ce suffixe peut être remplacé par un autre et sur le modèle
de krutuliůti, krũtulioti : krutė́ti on peut faire à côté de
murmuliů́ti, murmulóti un murmė́ti. Cf. une explication analogue
de M. Brugmann (C. St., VII, 198).

Voilà une première série de formes que nous pouvons rassembler
ici :

1re forme mermero
2e forme mermelo ou mermeno
3e forme mermlo
4e forme mermo

Dans cette série les modifications portent sur la consonne qui
termine la syllabe redoublée. La consonne initiale peut aussi être
dissimilée. C'est ce que nous trouvons dans βάρμος, éol. βάρμιτος
« la lyre », provenant de μαρμ- par l'effet de la loi VIII. Nous
désignerons cette 5e forme par le mot *bermeros qui n'existe pas
et ne peut pas exister. Il représente une phase dépourvue de
durée ; elle ne pourrait persister que si le redoublement était mal
168senti, ce qui est souvent le cas lorsque cette modification arrive
après celle de la 4e forme, comme dans βάρμος.

Quand dans un mot comme βάρμος deux syllabes consécutives
commencent par deux consonnes différentes mais présentant un
certain nombre de caractères communs, le sujet parlant peut avoir
le sentiment d'un redoublement. Il arrive souvent alors qu'il
affirme le sentiment qu'il éprouve en rendant ces deux consonnes
complètement identiques. C'est ainsi que *pibō (cf. sk. pibati, v.
irl. ibim) est devenu en lat. bibo, — qu'au lieu de *farba (cf. vha.
bart, v. sl. brada) on a en lat. barba, — que *peqō est devenu en
lat. *quequō, coquo (A. Meillet, Revue Bourguignonne, V, 222),
— que *penqe est devenu en lat. quinque, en v. irl. cóic, —
que uerbena est devenu en ital. berbena et en fr. verveine, —
que *vombero sorti de vomerem comme cambera de camera,
cocombero de cucumerem est devenu ital. bombero, — que
coquina est devenu cocina d'où fr. cuisine, — que uerminem
est devenu en v. esp. bierven, — que Dornonia (Grég. de Tours)
est devenu fr. Dordogne, — que lat. vulg. morvu est devenu
cat., prov., esp., port. *mormu, — que lat. loljum, liljum, sont
devenus lat. vulg. *ljoljum, ljiljum, d'où *jolju, *jilju, — que
Sicilia, glandola sont devenus v. ital. Ciciglia, gangola, — que
querquedula devenu *cerquedula en vertu de la loi VIII est en
lai. vulg. cercedula (esp. cerceta, port. zarzeta, prov. serseta,
fr. sarcelle). Pour revenir à notre racine, c'est ainsi que βάρμιτος
est devenu βάρβιτος.

L'évolution qui a présidé à la formation de βάρμος, βάρβιτος est
riche en enseignements, en particulier pour ce qui concerne notre
racine. Elle nous montre tout d'abord pourquoi le type *bermeros
ne peut pas subsister : du moment que les deux syllabes sont identiques
sauf une nuance dans les consonnes initiales, le redoublement
est forcément saisi et l'assimilation de ces deux consonnes
s'impose ; elle jette d'autre part un trait de lumière sur la
parenté de βάρβιτος avec μορμύρω. Mais n'y a-t-il pas une difficulté
169de vocalisme ? le second mot ne contient-il pas un υ qui n'est représenté
par rien dans le premier ? Il faut rappeler tout d'abord qu'il
y a en grec un certain nombre d'υ encore inexpliqués, cf. Brugmann,
Grr., II, 1072 ; mais d'autre part et surtout que les mots
rédupliqués en général et ceux qui font onomatopée en particulier
ont un vocalisme spécial. Ainsi en français et en allemand les onomatopées
formées par la répétition d'un monosyllabe commencent
généralement par une voyelle claire et finissent par une voyelle
sombre : all. flick-flack, — all. et fr. pif-paf, — pif-paf-pouf,
— all. pim-pam-poum, — fr. bim-boum, bim-bam-boum ;
on connaît le refrain sur le bi, sur le bout, sur le bi du bout
du banc
. Si l'on veut bien considérer qu'une pendule fait
toujours tik-tak, jamais tak-tik, quel que soit le moment
auquel on commence à l'écouter, on comprendra qu'il y a là un
fait psychologique qui rend ces formations dans une certaine mesure
indépendantes des sons imités. Qu'il nous suffise, pour écarter
la difficulté, de noter que sk. marmaras = *marmaros,
*mermeros ou *mormoros tandis que gr. μορμύρω = *μυρμύρω et
qu'il n'est pas possible de séparer ces deux mots.

Il n'y a donc pas trop de hardiesse à considérer βάρβιτος comme
appartenant à la même souche que marmaras. Cette indication
nous fait voir immédiatement qu'un grand nombre d'autres mots
sortent de la même racine. A la première forme appartient μόρμορος, « l'épouvante
causée par un grondement terrible ». C'est le
vocalisme plus sombre des syllabes redoublées qui donne la
nuance nécessaire à l'expression d'un grondement. Comparez ce
vers de Victor Hugo qui exprime le doux gazouillement des
oiseaux :

« … les nids
Murmuraient l'hymne obscur de ceux qui sont bénis »
(Petit Paul)

à cet autre qui peint le sourd rugissement du lion :170

« Le lion qui jadis au bord des flots rôdant,
Rugissait aussi haut que l'Océan grondant ».
(Les Lions).

Dans le premier vers toutes les voyelles qui portent un accent
rythmique et plusieurs autres sont des voyelles claires ; dans le
dernier les trois dernières voyelles qui portent les accents rythmiques
et quelques autres sont des voyelles sombres.

A cette première forme appartiennent encore : μορμορύττω
« j'épouvante », μορμυρωπός « à l'aspect effrayant » qui rappellent
le vocalisme de μορμύρω.

À la deuxième, μορμολύττω « j'effraye », μορμύνω « j'effraye ». Ce
dernier exemple est un de ceux qui auraient pu servir à montrer
comment s'est formée la réduplication brisée ; son ν appartient-il
en effet à la racine ou à un suffixe ? Ce mot rentre-t-il
dans la 2e forme ou dans la 4e ?

A la quatrième, gr. μορμύσσομαι « j'effraye », μορμώ « image
effrayante », μόρμος « effrayant ».

La 6e forme berbero est représentée par βάρβαρος « qui parle une
langue incompréhensible, qui bredouille », d'où « étranger, barbare ».
D'autres exemples sont sk. balbalākar- « bégayer », gr.
βαρβαρίζω « je parle, ou j'agis, ou je me vêts comme un barbare »,
βορβορυγή, βορβορυγμός « bruit des intestins ».

Nous n'avons pas épuisé en présentant les six formes qui précèdent
l'énorme variété qu'offrent les mots redoublés. Un mot,
après avoir subi telle modification qui le place dans une forme,
peut en subir de nouvelles qui en caractérisent d'autres. La forme
berbero est un point de départ possible pour les mêmes évolutions
que nous avons vues transformer mermero. D'où deuxième
série
 :

1 berbero
2 berbelo
3 berblo
4 berbo171

2e forme : lit. burbulóti « bégayer ». Il est impossible de séparer
burbulóti de murmulóti, ce qui prouve une fois de plus que
les mots signifiant « bégayer » et ceux qui signifient « murmurer »
appartiennent à la même racine, quel que soit leur vocalisme.

3e forme : lit. burblénti « grommeler, murmurer ».

4e forme : lit. burbė́ti « bégayer », lit. bir̃pti « bourdonner ».

A la 5e forme qui est isolée après la première série en correspond
une autre ici qui est également hors série et provient d'une
combinaison de cette 5e avec la 4e de la 1re série : gr. βάρμος, βάρμιτος
« lyre », lat. formido « effroi » (S.Bugge, KZ, XX, 17), russ. bormotát'
« marmotter ».

De même que le sentiment du redoublement a fait sortir par
assimilation la 6e forme berbero de la 5e bermero, il peut faire sortir
par assimilation melmelo ou belbelo de mermelo ou berbelo.
Comparez des assimilations analogues dans fr. concombre de cucumere,
lat. cincinnus de gr. κίκιννος, fr. bonbon pour *bombon ;
dans ce dernier mot le phénomène est purement orthographique ;
il a pourtant son importance puisqu'il viole une des règles les plus
fermes de l'orthographe française.

Cette assimilation est le point de départ d'une nouvelle série :

1 melmelo | belbelo
2 melmeno | belbeno
3 melmno | belbno
4 melmo | belbo
5 (hors série) belmo

La 1re forme est représentée par bulg. blabolja « bavarder ».

La 4e par lat. balbus « bègue », balbutio « bégayer, balbutier »,
pol. bołbotac' « murmurer ».

La même assimilation produit ici une nouvelle série. De melmeno,
belbeno sortent :

1 menmeno | benbeno
2 menmelo | benbelo
1723 menmlo | benblo
4 menmo | benbo
5 (hors série) benmo

1re forme : gr. βαμβαίνειν « bégayer ».

2e forme :gr. βομβύλη « espèce d'abeille », Hés. βαμβαλύζει·τρέμει,
τοὺς ὀδόντας συγκρούει, ῥιγοῖ σφόδρα.

4e forme : Hés. μομμώ·ἡ μορμώ, gr. βαμβακύζω « je claque des
dents », βομβέω « je fais un bruit sourd, tel que bourdonner, murmurer,
ronfler, gronder », βόμβος « bourdonnement », βομβύκια,
« insectes bourdonnants », lit. bambė́ti « grommeler ».

Cette 4e série par une assimilation semblable reproduirait la 3e.
5e série. — De la même manière que la 2e forme de chacune de
ces 4 séries est devenue la 3e, mermelo : mermlo, berbelo : berblo,
melmeno : melmno, etc., de même la 1re mermero peut devenir
mermro, berbero : berbro, melmelo : melmlo, belbelo : belblo,
menmeno : menmno, benbeno : benbno
. Cette nouvelle forme
tombe sous le coup de la loi XII en vertu de laquelle mermro,
berbro peuvent devenir melmro, belbro ou menmro, benbro ou
memro, bebro ou memo, bebo ; melmlo, belblo peuvent devenir
menmlo, benblo ou memlo, beblo ou memo, bebo ; menmno,
benbno peuvent devenir melmno, belbno ou memno, bebno ou
mono, bebo :

memro est représenté par gr. μέμβραξ « cigale » = *με-μραξ, Hés.
μομβρώ·ἡ μορμώ, καὶ φόβητρον = *μο-μρω ;

beblo par v. sl. bŭblivŭ « bègue », lat. babulus « bavard » ;

bebo par v. sl. bŭbati « bégayer », gr. βαβάζω, βαβύζω, βαβίζω
« je balbutie », slov. bobotati « bavarder ».

6e série. — Le déplacement, quelle qu'en soit la cause, de la consonne
finale de la syllabe de redoublement met cette consonne en
contact avec la consonne initiale. Dès lors dans les langues à
groupes combinés elle tombe sous le coup de la loi XVI ; mremero,
brebero, mlemelo, blebelo, etc. deviennent mlemero, blebero,
mlemo, blebo, mnemelo, bnebelo, mnemo, bnebo, memero, bemero,
173etc. : lit. bleberis « bavard », Hés. βλαβυρίαν·εἰκαιλογιαν, lit.
blebénti « bredouiller, criailler », lit. blabūris « bavard ».

Nous n'avons fait qu'indiquer les dernières séries ; il serait
facile mais oiseux de les développer. Il était nécessaire de
signaler les principaux points de départ des évolutions ; mais, cela
fait, il faut reconnaître que les différentes séries finissent par rentrer
l'une dans l'autre et que plus d'une forme peut appartenir
théoriquement aussi bien à telle série qu'à telle autre. Il convient
d'ajouter que nous n'avons étudié que des séries de redoublement
devant suffixe vocalique. En prenant pour point de départ un type
mermerto nous trouverions tout autant de nouvelles séries parallèles.
Les différentes séries peuvent se mêler par analogie et le résultat
obtenu dans l'une peut être transporté dans l'autre ; enfin
il se forme de véritables types de redoublement qui s'introduisent
dans des formes où ils n'auraient pu naître régulièrement. En
somme dans les formes à redoublement le nombre des possibilités
n'est pas déterminable. Les recherches ultérieures auront à déterminer
quelles sont celles que chaque langue a réalisées.

Ce n'est pas tout. Nous avons montré au commencement de ce
chapitre que la syllabe de redoublement peut tomber tout entière
lorsqu'elle n'est pas sentie comme utile. D'autre part dans les types
bermo, belmo, benmo, etc. mo peut être compris comme un suffixe.
Ces deux causes contribuent à donner naissance à de fausses
racines telles que mel, ber, bel, men, ben, etc. Nous n'avons pas
d'exemple certain de ce phénomène pour la racine mer, mais nous
allons en trouver dans d'autres.

Après un groupe de mots faisant onomatopée, il convient en effet
d'en étudier un qui ne fait pas onomatopée.

Il est inutile que nous entrions dorénavant dans le détail des séries
et des formes. Nous avons vu que mermero peut devenir
berbero, que mermero peut devenir bermo et que la racine merpeut
devenir mel, men ou ber, bel, ben. Ces points de repère
nous suffiront.174

Nous prendrons comme type des mots à redoublement ne faisant
pas onomatopée ceux que nous rattachons à la racine qer« tourner »,
cf. κυρτός « courbe ».

1er type mermero, mermelo, etc., la consonne initiale de la racine
ne subissant aucune modification ;

gr. κύκλος « cercle », sk. cakrám « roue », ags. hveohl « roue »,
lit. kãklas.

v. norr. hverfa, ags. hveorfan, vha. hwërban « se tourner »,
all. wirbel « tournoiement », déjà, rattachés à cette racine par
M. Per Persson (Wurzelerweiterung, p. 50). L'f, b représente la
vélaire q.

lit. kinky'ti « ceindre », sk. kāñcī « ceinture ».

sk. cikuras « boucle de cheveux frisés ».

lett. kinkelét « nouer ».

lit. kukulys, kuklys « miche de pain », lat. cochlea « colimaçon »,
cochlear « cuiller à remuer ».

gr. κύβρις « colonne triangulaire et tournante sur laquelle étaient
gravées les lois » = *qṛgis, cf A Meillet, MSL, VIII, p. 300. Le
β de ce mot est au π de καρπός comme le b de lat. scabo, lit. skabùs
au p de gr. σκαπάνη, comme le g de lat. cingere, clingere
« ceindre » au c de sk. kāñcī ; il suggère une hypothèse : s'il est
vrai que rg devient ru en latin comme parait l'indiquer gr. τάρβος :
lat. toruos, il y a tout lieu de considérer le u de curuos « courbé »
comme représentant g.

2e type bermo. Une vélaire dissimilée par une autre vélaire
perd son appendice labial et se confond avec une palatale primitive.

gr. κόλπος « golfe, baie », c'est-à-dire « sinuosité du rivage ».

gr. καρπός « poignet », καρπαία « nom d'une danse ». Ces deux
mots ont déjà été rattachés à notre racine par M. Per Persson (ibid.) ;
mais il ne s'est pas demandé pourquoi καρπός n'est pas *κυρπος.

3e type berbero, berbelo, etc.

gr. κίρκος, κρίκος, « cercle », lat. circus, circulus « cercle ».175

gr. κάκαλα « murs d'enceinte ».

lat. cancelli « balustrade », gr. κιγλίς « barreaux de porte ».

gr. κερκίς « bobine », κρόκη « fil de trame », κίκιννος « boucle de
cheveux frisés ».

Remarque. — La phonétique latine ne permet pas de distinguer
si curculio « charançon » (cf. L. Havet, MSL, VII, 56) appartient
au premier ou au troisième type.

4e type, fausse racine mel :

gr. κυλίω « je roule ».

gr. πόλος « axe, pôle, extrémité de l'essieu ».

Peut-être faut-il citer ici gr. πέλομαι, sk. cárāmi, lat. colo dont
le sens primitif parait être « aller et venir ».

5e type, fausse racine ber, bel :

gr. κορωνός, κορωνίς ; « recourbé à l'extrémité ».

lat. corōna « couronne ».

lat. crātēs « treillis », gr. κάρταλος « panier tressé », κάλαθος « panier
tressé », κάλος, κάλως « corde », κλώθω « je file », lat. colus « quenouille ».

lat. cirrus « boucle de cheveux ».

Remarque. — La phonétique latine ne permet pas de déterminer
si corona « couronne », crātēs « treillis », coluber « serpent » (pour
ce dernier cf. P. Persson, Wurzelerweiterung, p. 30) appartiennent
au type avec q ou au type avec c. Nous avons néanmoins placé
corona dans les c à cause de κορωνός, crātēs à cause de κάρταλος. Κλώθω
« je file » peut avoir perdu son appendice labial dès en indo-européen,
par suite du contact de la vélaire avec l'l (A. Meillet, MSL,
VIII, 300) ; néanmoins κάλως invite à le placer ici.

Les renseignements fournis par la racine qer et la racine mer
s'accordent et se complètent. Il s'agit maintenant pour les confirmer
d'étudier d'autres groupes de mots à redoublement. Nous en ferons
trois classes. Dans la 1re nous mettrons ceux dont la racine commence
par m, dans la 2e ceux dont elle commence par une vélaire
176et dans la 3e ceux dont elle commence par un autre phonème généralement
peu susceptible d'être dissimilé.

1re classe

α 1er type : gr. μύρμος, μύρμηξ « fourmi »

type : Hés, βύρμακας·μύρμηκας, Hés. βόρμαξ μύρμηξ, sk. valmīkas
« tas de fourmis », lat. formīca, sk. vamrī « petite fourmi »
de *ma-mrī.

Rem. — Sk. vamrī est le traitement après voyelle (loi XIV).
Après consonne on aurait *mavr- (loi XIII) ; c'est probablement ce
produit qui a donné naissance à v. norr. maurr, à zend maoiri et
à russe muravéj.

De même que vamrī, lat. formica est le traitement après
voyelle ; après consonne et l'accent d'intensité étant sur l'initiale
on aurait *morv- (loi III).Ce type est représenté par le v. irl.moirb
= *morvi et les langues slaves : v. sl. mravija, slov. mrav, mravec
(cf. μύρμηξ), bulg. mravka, serb. mrav, čèq. mravenec, polon.
mrówka, polab. morvi, etc.
3° type : čèq. brabenec.

β 1er type : μεμβράς « espèce de sardine »,

2e type : βεμβράς, βεμβραδών,

3e type : Hés. βεβράς.

γ Ier type : *μεμλωκα, μέμβλωκα,
2e type : *βέμλωκα, *βέμβλωκα,

3e type : βέβλωκα.

δ Ier type : μέμβλεται·* μέλλει, μέμβλεσθαι·φροντίζειν.

2e type : βεμόλετοε· φρόνιτσε (Hés.) corrigé avec raison par
Schow en βέμβλετο.

3e type : Hés. βέβλειν·μέλλειν, Hés. βέβλεσθαι·μέλλειν, βαλβίς
« point d'où s'élancent au départ les coureurs dans la carrière ».

5e type : Hés. βέλλειν·μέλλειν.177

Remarque. — M. Bréal (MSL, VIO, 249) pense que βέλλειν est
antérieur à μέλειν. Le μ do ce dernier nous paraît inexplicable
dans cette hypothèse.

2e classe

ε Racine ger- « avaler » : lat. uorare « dévorer », gr. βορά
« nourriture », βρόγχος « gorge », lit. geriù « je bois », gr.
βάραθρον, hom. βέρεθρον, arc. ζέρεθρον « gouffre », lit. prãgaras
« gouffre, enfers ».

1er type : lit. gargaliů́ti « gargariser, râler », sk. jigartis « glouton »,
lit. gogilóti « manger avidement », lit. goglys « glouton »,
sk. jarguraṇas, avajalgul-, nigalgal-, v. norr. kverk « gosier »,
vha. quërechela « gorge », lat. gurgulio « gorge » (cf. pour ce dernier
mot L. Havet, MSL, VII, 56), gr. γοργύρη « égout, cloaque »,
βόρβορος « bourbier », sk. gargaras « tournant d'eau, gorge ».

3e type : gr. ἀναγαργαρίζω et ἀναγαργαλίζω « je gargarise », Hés.
γέργερος·βρόγχος, gr. γαργαρεών et γαργαλεών « luette », lat. gurges
« gouffre ».

5e type : lat. gula « gorge ».

ζ racine qer- « produire un bruit ». Cette racine redoublée
sert surtout à désigner les cris des animaux.

1er type : lat. querquēdula « sarcelle », lit. kur̃kti « coasser »,
kurklélis « tourterelle », kirklys « grillon », sk. krakaras « perdrix »,
karkutas « coq », kankorus « corbeau », kinkiras « coucou »,
karkati « il rit », v. sl. krakati « crier », krikŭ « cri », lit.
krõkti « grogner », kùrka « dindon », v. sl. klakolŭ « cloche », lit.
kánkalas « cloche ».

2e type : peut-être gr. κόμπος « bruit, retentissement, jactance »,
gr. κομπέω « je fais du bruit », κομπάζω « je parle avec jactance ».

3e type : gr. κέρκος « coq », κέρκαξ·ἱέρραξ, καρκαίρω « je gronde »,
κρέκελος·θρῆνος, Hés. κορκορυγή·κραυγή, βοή, Hés.

5e tvpe : gr. κόραξ « corbeau », κορώνη « corneille ».
Remarque. — Il n'est pas possible de déterminer si l'on a affaire
178à q ou à c dans lat. coruos « corbeau », cornix « corneille » (cf.
sk. kāravas « corneille », mais gr. κόραξ « corbeau »), ni dans lat.
crōciō, gr. κράζω, κρώζω (ces deux derniers ont une sonore comme
κύρβις).

η 1er type : sk. carcarikā « gesticulation », cañcalas « mobile »,
cañcati « il se meut », lat. querquera « fièvre avec frisson ».

3e type : gr. κέρχος « tremble (arbre) », κίγκαλος, κίγκλος « hoche-queue »,
κιγκλίζειν « remuer la queue ».

θ sk. grāmas « troupe », lat. grex « troupeau ».

3e type : gr.γάργαρα « tas, foule », γαργαίρειν « grouiller, être
plein de ».

ι Ier type : sk. karkatas « écrevisse ».

3e type : gr. καρκίνος « écrevisse ». lat. cancer « écrevisse »
sorti de cancro-, cacendix « genus conchae » Festus.

4e type : καρίς « homard ».

κ 1er type : v. sl. gągnati « murmurer », sk. gañjanas « méprisant ».

3e type : gr. γαγγανεύω « je me moque de… »

3e classe

Cette 3e classe ne possédant pas les types 2, 3 et 5 est beaucoup
moins intéressante.

λ lat. calones « calcei ex ligno facti » Festus.

1er type : lat. calx « talon », calceus « soulier », calcitrare
« ruer », calcar « éperon » = *calcale.

Remarque. — La dissimilation de *calcale en calcare, calcar
est latine.

μ lat. hordeum, all. gerste, arm. gari « orge ».

Ier type : κέγχρος, κέρχνος « millet », κάχρυς « orge grillée ».

ν gr. φαλός, φαληρός « brillant », φάλιος « marqué d'une tache
blanche », bret. bal « chanfrein blanc », lit. bálti « devenir blanc ».
báltas « blanc », sk. bhālam « éclat », v. norr. bāl « flamme »,
179ags. bael « flamme », v. sl. bēlŭ « blanc », lat. fulgeo « je brille »,
fulgur « éclair », gr. φλόξ « flamme », φλέγω « je brûle, je brille »,
lat. flamma « flamme », sk. bhrājatē « il brille », zend barāz« briller »,
sk. bhárgas « rayon lumineux », all. blank « brillant »,
v. norr. blakkr « cheval blanc », all. blick « éclat, éclair, regard »,
all. bleichen « blanchir », all. blitz « éclair ».

1er type : gr. παμφαίνειν « briller », παμφαλάω « je jette autour
de moi des yeux effarés ».

4e type : gr. φανερός « clair », φανή « torche », v. irl. bán « brillant,
blanc », bánaim « je blanchis », sk. bhānús « lueur, lumière »,
gr. φαίνω « je montre », φαίνομαι « je parais ».
ξ θάλπος « chaleur », θαλύνω « je chauffe ».

1er type : τινθός « chaud, brûlant », κτινθαλέος = *τινθλο-.
ο gr. δρῦς « chêne, arbre », δόρυ « bois, lance », sk. dru-
« bois », v. sl. drŭva « bois », got. triu « arbre ».

1er type : δένδρον « arbre », δένδρεον « arbre ».
π gr. θόρυβος « tumulte », θρῆνος « chant des morts », sk. dhraṇati
(dhatup.) « il retentit », got. drunjus « bruit », all. drœhnen
« gronder », drohne « bourdon », gr. θρέομαι « je crie », θρύλλος,
θρῦλος « bruit », ags. dream « bruit ».

1er type :gr. τονθρύς « murmure », τονθορύζω « je murmure »,
lett. dunduris « bourdon », denderis « enfant pleurnicheur », gr.
τενθρήνη « guêpe ».

Remarque. — τενθρηδών « espèce de bourdon » parait être le
résultat d'un mélange de τενθρήνη avec πεμφρηδών qui appartient à
une autre racine et que nous retrouverons plus loin.
ρ ν. sl. drŭgati « trembler », lit. drugys « fièvre ».
1er type : gr. τανθαρύζω, τανθαλύζω « je tremble ».
σ gr. πρήθω « j'allume », lit. pir̃ksznys « cendre brûlante »,
pol. przec' « devenir chaud, devenir rouge », v. sl. para « vapeur »,
slov. spar « chaleur ».

1er type : gr. πίμπρημι « j'embrase », v. sl. popelŭ « cendre »,
plapolati « brûler ».180

4e type : v. sl. paliti « brûler », polēti « brûler », planąti sę
« s'enflammer », plamy « flamme ».

τ racine pel- « emplir », gr. πληρής « plein », πολύς « nombreux »,
πλῆθος « foule, tas », lat. plēnus « plein », plēbēs, v. sl.
plŭnŭ « plein », plemę « tribu », lit. pilti « emplir », all. voll
« plein », volk « peuple ».

1er type : sk. píparmi « je remplis », lat. populus « peuple »,
gr. πίππλημι « je remplis ».

De tous les faits étudiés dans ce chapitre résultent un certain
nombre de conclusions qui paraissent désormais assurées.

Lorsque le redoublement est senti comme tel il peut ne se produire
aucune dissimilation : lat. murmur, purpura, carcer, turtur,
gr. μορμύρω, βάρβαρος, γαργαρεών, esp. murmurio, runrún, etc.
Il faut noter en particulier sk. bhambharali, bhambhas « mouche »,
bhambharālikā « taon » qui ont échappé à la loi de dissimilation
d'aspiration et appartiennent à la même famille que lit. bim̃balas
« taon », lett. bimbals « bourdon », gr. πεμφρηδών « espèce de
guêpe ».

Si l'on parcourt les exemples de dissimilation qui sont anciens
dans les mots à redoublement, non seulement ceux que
nous avons cités, mais encore ceux que nous avons laissés de
côté, on verra que l'indo-européen ne connaît pas la dissimilation
de l en r : r dissimilé par r devient l ou n, l dissimilé par l devient
n. C'est le seul fait qui nous permette de décider dans les racines
représentées par des mots à redoublement si la sonante finale
était l ou r.

Un m dissimilé en indo-européen par une autre nasale devient
b, tandis qu'en sanskrit il devient v, en latin f, etc.

Les formes redoublées des types mermero, qerqero peuvent devenir
bermo, cerqo et berbero, cercero, ce qui explique et complète
l'indication de M. Meillet, MSL, VIII, 279.

Les formes mermero, qerqero, berbero, cercero peuvent devenir
181melmelo, qelqelo, menmeno, qenqeno, belbelo, celcelo, benbeno,
cenceno.

Enfin une racine mer, qer qui produit des mots à redoublement
peut devenir une fausse racine mel, men, ber, bel, ben, — qel,
qen, cer, cel, cen.182

Conclusions

Nous pouvons résumer en quelques mots les deux dernières
parties de noire étude :

Les formes redoublées obéissent sensiblement aux mêmes
lois de dissimilation que les mots sans redoublement.

Une racine qui commençait primitivement par un m ou par
une vélaire peut devenir une racine commençant par un b ou par
une palatale ; une racine qui finissait primitivement par un r peut
devenir une racine finissant par l, etc.

Il n'y a pas de dissimilations syllabiques.

Des effets analogues à ceux que produit la dissimilation sont
dus parfois à l'influence d'un autre mot ou d'un groupe d'autres
mots.

Quant à la dissimilation proprement dite, elle obéit à des lois que
nous avons divisées en trois classes.

Dans la première classe une consonne placée dans une syllabe
qui porte l'accent d'intensité dissimile une consonne en syllabe
atone, c'est-à-dire que la première est renforcée par l'accent et
qu'elle dissimile l'autre parce qu'elle est plus forte qu'elle. Nous
avons signalé ailleurs la même loi de dissimilation dans les voyelles :
voyelle tonique dissimile voyelle atone : lat. dīvīnum > fr. devin
(MSL, VIII, 320), — voyelle nasale tonique dissimile voyelle
nasale atone
: Dampr. cū̬fru (MSL, VIII 332, 327-328, 321,
VII, 477), pnī *ē̬čī̬ > pnī è čī̬ (Revue bourguignonne, IV, 633).

Dans la deuxième classe une consonne appuyée dissimile une
consonne non appuyée, etc., c'est-à-dire qu'une consonne plus forte
183par sa position dans la syllabe dissimile une consonne moins forte.

Dans la troisième classe les deux consonnes considérées sont
placées de la même manière dans la syllabe et sont toutes deux
en dehors de l'accent : c'est toujours la première qui est dissimilée.
Nous pourrions en conclure a priori d'après les deux
classes précédentes que la seconde est toujours plus forte que la
première. Cette conclusion est confirmée par nombre de faits. En
italien après l'accent, c'est-à-dire vers la fin du mot, une occlusive
reste intacte : amico, greco, fuoco, stato, prato, capo, ape,
piaga, vado, nudo, etc. ; avant l'accent, c'est-à-dire vers le commencement
du mot, une sourde devient sonore : padella, podestà,
mudare, pregare, un g disparaît : reale, fraore, maestro, etc.,
ce qui montre que vers la fin du mot une consonne est plus résistante
que vers le commencement. La même opposition est marquée
par vecchio : vegliardo, etc. Nous nous bornerons à l'exemple
de l'italien : c'est le plus net.

On peut se demander à quoi tient cette force progressive des
consonnes à mesure que l'on approche de la fin du mot, même
dans les syllabes atones qui suivent l'accent. C'est un phénomène
psychologique : la parole va moins vite que la pensée ; l'attention
est en avance sur les organes vocaux. Tous les phonènes ont
été préparés par l'esprit avant d'être prononcés, mais pendant
que les organes vocaux expriment le commencement d'un mot
l'attention est déjà portée sur la fin, souvent sur le mot suivant ;
il en résulte une négligence dans la prononciation de la première
partie des mots et par suite une faiblesse inhérente aux phonèmes
qui s'y trouvent.

Ainsi s'expliquent les lapsus qui consistent à faire passer au
commencement d'un mot à la place d'un phonème un autre
phonème qui se trouve vers la fin ou même qui se trouve dans le
mot suivant ; le phonème exproprié avait été préparé en esprit et
doit être prononcé : il apparaît alors à la place de celui qui a pris
la sienne. Au moment où les organes vocaux arrivent à cet endroit
184l'attention est en avant ; c'est ce qui permet au phonème déplacé
d'être émis à cette place. Pourtant sa présence à cette place
produisant un effet bizarre sur l'oreille, l'attention est généralement
réveillée au moment où il est ou au moment où il va être
émis : c'est alors qu'on se reprend. Ce phénomène est beaucoup
plus fréquent qu'on ne pense. Voici les exemples que j'ai entendus
en trois jours : « Je vais taire du fé » pour « je vais faire du thé »,
— « Il n'y a rien qui vous soûle comme de l'absinthe après une
bière » pour « il n'y a rien qui vous soûle comme une absinthe
après de la bière », — « Je ne sais pas la telle c'est qui est combée »
pour « je ne sais pas laquelle c'est qui est tombée ». Voici un
exemple plus complexe et peut-être plus intéressant : « Tu n'as
pas de turbichon ? » pour « tu n'as pas de tire-bouchon ? » ; l'ou
a pris la place de l'i et vice versa, mais dans la première syllabe
les organes avaient été préparés pour prononcer une voyelle palatale,
et le t et l'r préparés étaient un t et un r devant entourer une
voyelle palatale ; c'est pourquoi l'ou a été remplacé par son correspondant
palatal u. Dans ces quatre exemples tout a été prononcé ;
dans les deux suivants l'attention a été réveillée à l'arrivée du
phonème exproprié : « Cent soixante-quinze et v… » pour « cent
vingt et soixante-quinze », — « J'ai la bousse chè… » pour « j'ai
la bouche sèche ». Au cours d'une lecture faite par un de mes amis
dans l'intervalle des trois mêmes jours et qui a duré une demi-heure
environ, j'ai remarqué les trois cas suivants : « Il fut tout
reconnu t'a coup » pour « il fut reconnu tout à coup », — « qui s'en
va devançant devant nous » pour « qui s'en va dansant devant nous »,
— « cette petite maison défendue par ses montagnes » pour « cette
petite région défendue par ses montagnes ». Notons que dans les
exemples lus les phonèmes expropriés ne reparaissent pas plus
loin : est-ce un hasard, ou y a-t-il là quelque chose de particulier ?
La question demande des recherches plus approfondies.

Il résulte de ces faits que l'attention se porte plutôt surune consonne
voisine de la fin du mot que sur une consonne voisine du
185commencement. Dans cette troisième classe c'est donc encore la
consonne la plus forte qui dissimile la plus faible.

Les trois classes peuvent être ramenées à une seule formule : la
dissimilation c'est la loi du plus fort
.

La meilleure preuve que l'on en puisse trouver, ce sont les
faits que nous avons rapportés dans l'observation générale et qui
nous montrent la dissimilation renversée parce que la force normale
des phonèmes a été modifiée par des causes spéciales.

Les lois de la dissimilation ont ceci de particulier qu'elles ne
sont pas propres à tel ou tel idiome : elles sont générales, en ce
sens qu'elles sont les mêmes partout où elles apparaissent. Une
langue peut posséder telle formule et ignorer telle autre : c'est la
seule différence qu'il y ait entre les langues au point de vue de la
dissimilation ; on ne conçoit donc pas que dans celles que nous
avons négligées les lois de la dissimilation puissent obéir à d'autres
principes que ceux qui ressortent de l'étude des langues indo-européennes
et des langues romanes.186

1(1) Il n'y a pas d'inconvénient à appliquer les termes implosif et explosif
même aux consonnes continues. Les phénomènes sont en somme les mêmes
que pour les momentanées : aux occlusions de ces dernières correspond
un resserrement buccal lorsqu'il s'agit des premières.

2(1) Quand nous disons qu'une langue ne paraît connaître que tel ou tel
traitement, nous indiquons par là que nous n'en avons pas rencontré d'autre,
mais il est évident que d'autres peuvent souvent exister.

3(1) M. V. Henry me communique qu'il voit plutôt dans knüpfel l'influence
de knopf, « le sens imaginaire étant bâton noueux ».

4(1) Nous empruntons les exemples concernant cette question à l'article de
M. A. Thomas, Rom., 1877, 261 sqq.

5(1) La même illusion se produit pour la vue lorsqu'on lit un mot contenant
la syllabe fi : l'extrémité supérieure de l'f termine l'f et constitue le point de
l'i ; elle fait double fonction sans que personne s'aperçoive qu'il manque
quelque chose.

6(1) Nous avons montré dans le chapitre précédent que la dissimilation syllabique
n'existe pas. Comme on pourrait être tenté de nous opposer les faits
cités ici, il est bon de prévenir cette objection. Ce n'est pas parce que ces
syllabes commençaient par la même consonne que la suivante qu'elles sont
tombées, c'est parce qu'elles étaient initiales et n'étaient pas senties comme
utiles ou même comme faisant corps avec le mot. S'il en est ainsi une syllabe
initiale quelconque doit pouvoir tomber. En voici en effet quelques
exemples : Garges (Soine-et-Oise) de Bigargium, Bayne (Seine-et-Oise) de
Nirbanium (Quicherat, Formation des noms de lieux), v. ital. domada
de hehdomada, ital. testesso de antistipsum, giglia de argiglia, meliaca de
armeniaca, lance de bilancem, ciulla de fanciulla, gramanzia de necromantia,
grotto de onocrotalus, tondo de rotundus, cesso de secessus, fogna de
siphonia, cimento de specimentum, bilico de umbilico, gogna de uerecundia,
fante de infante, beccare de lambiccare, scernere de discernere, esp. saña de
insania, soso de insulsus, groto de onocrotalus, mellizo de gemellicius, port.
seneca de arsenico, mano de germanus, crotalo de onocrotalus, etc.