CTLF Corpus de textes linguistiques fondamentaux • IMPRIMER • RETOUR ÉCRAN
CTLF - Menu général - Textes

Meillet, Antoine. Linguistique historique et linguistique générale. Tome II – T14

Les langues romanes
et les
tendances des langues indo-européennes 1

Le romanisme et le comparatisme sont, dans la science linguistique
d'aujourd'hui, deux domaines distincts, et, s'il arrive
à un comparatiste d'observer le domaine roman ou à un romaniste
de s'informer de l'ensemble des langues indo-européennes, l'un
et l'autre ont l'impression d'aller sur un terrain étranger. Il va
sans dire que cette division tranchée est artificielle : le latin est
une langue indo-européenne, et les parlers romans en sont la
continuation.

En principe, les comparatistes se bornent à étudier la portion
d'histoire de la langue comprise entre la période de communauté
indo-européenne et la plus ancienne période historiquement
attestée de chacune des langues indo-européennes. La date de
cette plus ancienne période historique diffère beaucoup d'un cas
à l'autre : pour l'indo-iranien et le grec, c'est une époque qui
peut être antérieure au VIIe siècle avant Jésus-Christ ; pour le
latin, — à part quelques monuments très courts, peu instructifs
— c'est le IIIe siècle avant J.-C. ; ailleurs, pour le celtique,
l'arménien, le germanique, le slave, c'est l'époque de la christianisation ;
ailleurs encore, pour le baltique et l'albanais, c'est
l'époque moderne ; on ne connaît le lituanien et le lette qu'à
une date où les langues romanes avaient dès longtemps pris leur
forme actuelle et où leur période proprement moderne était
113commencée. La division du travail entre comparatistes et romanistes
n'est donc réglée ni par la date des faits étudiés ni par le
degré de développement des langues. Elle résulte seulement de
nécessités pratiques : même en négligeant la période historique
des développements linguistiques, la tâche du comparatiste est
écrasante, et il est impossible de dominer l'ensemble de l'indo-européen
« ancien » ; en général, un savant n'en étudie de près
que quelques parties. A plus forte raison, un même homme ne
saurait étudier l'histoire de l'ensemble des langues indo-européennes
dans toute leur période historique, alors que le développement
est varié, parfois à l'infini, et que les données deviennent
abondantes au point de ne pouvoir être embrassées par le savant
le plus laborieux.

Cette nécessité de fait ne va pas sans de graves inconvénients
pour les romanistes comme pour les comparatistes. On laissera
de côté ici les inconvénients d'ordre général : on ne peut apprécier
correctement l'histoire ancienne des langues si l'on n'a pas
examiné de près les changements qui peuvent être observés ou
suivis à l'aide de documents positifs, et qui seuls donnent le moyen
de voir clair dans les développements linguistiques. Les langues
romanes fournissent au comparatiste le meilleur des terrains
d'observation. Durant les dernières années, les faits observés par
les romanistes ont, par les enseignements généraux qu'ils fournissent,
éclairé bien des obscurités de la grammaire comparée des
langues indo-européennes.

Le principe sur lequel on voudrait attirer l'attention, c'est que
le développement roman continue le développement qui conduit
de l'indo-européen au latin. Il n'y a pas eu deux développements
successifs, mais un développement continu, tantôt lent et tantôt
rapide, qui va de l'indo-européen aux parlers romans actuels.

Si pour le latin on a l'illusion d'un moment d'arrêt dans le
développement, c'est qu'il s'est fixé au IIIe siècle avant J.-C. une
langue écrite qui, jusqu'à la fin de l'Empire romain, a gardé le
même aspect général et a obéi aux mêmes règles. Cette langue
écrite, qui a été parlée par tous les gens cultivés, a été la langue
114commune de tout l'Empire romain. Elle a conservé en gros la
même physionomie tant que s'est maintenue l'unité romaine et
que la civilisation antique ne s'est pas effondrée. Mais cette stabilité
des langues littéraires, là même où, comme il arrivait sans
doute dans le monde romain, l'usage de la langue parlée se conforme
largement à celui de la langue écrite, ne peut que masquer
les changements internes. Et ces changements sont souvent
d'autant plus profonds que la fixité de la langue commune en
dissimule l'étendue à la conscience des sujets parlants.

L'orthographe latine a peu varié durant l'époque républicaine
et n'a presque plus changé durant l'époque impériale. Mais le
type phonique de la langue parlée a été renouvelé. Au IIIe siècle
avant J.-C, et même au temps de Cicéron, le rythme de la
langue résultait de la succession de syllabes longues et de syllabes
brèves, suivant le vieux type indo-européen. Sans doute, il s'était
produit beaucoup d'abrègements, surtout en fin de mot. Sans
doute aussi, au lieu de l'égalité de valeur des syllabes en toute
position, l'initiale avait pris une importance plus grande que les
syllabes intérieures ou finales où se manifestaient beaucoup
d'altérations des voyelles brèves. Mais, en dépit de ces deux séries
d'innovations, le rythme demeurait quantitatif pour tout l'essentiel ;
et ceci est si vrai que, même en syllabe intérieure ou finale,
les voyelles longues échappent à presque toute altération. Or,
au cours de la période impériale, les voyelles ont perdu les
oppositions de quantité qui caractérisaient en propre chacune
d'elles ; et c'est l'ancienne syllabe tonique, caractérisée autrefois
par la hauteur, mais qui ne jouait aucun rôle dans le rythme,
qui est devenue le sommet rythmique du mot : le changement
était avancé, sinon achevé, au cours du IIIe siècle après J.-C. La
graphie n'en révèle rien. L'innovation était capitale ; on le voit
par ceci que le traitement des voyelles latines dans les langues
romanes diffère profondément suivant que ces voyelles sont ou
ne sont pas accentuées, et il n'est lié en rien à la quantité ancienne.
S'il y a trace de la quantité, c'est de manière indirecte, par ceci
que, en latin, les voyelles brèves et les voyelles longues avaient
115des timbres différents et que ces différences de timbres ont survécu
à la perte des distinctions quantitatives. Le changement de
type rythmique a eu au fond ses débuts au moment où la quantité
s'est altérée d'une manière partielle et où les diverses syllabes
du mot ont cessé d'être traitées d'une même manière. Et il s'est
développé en un temps où rien n'en laisse transparaître le progrès.
Une chose est sûre, c'est que ce trait essentiel des langues romanes
s'est réalisé durant la période latine classique et en continuation
de faits très anciens, remontant en partie jusqu'à l'époque italique
commune, époque où le latin et l'osco-ombrien n'étaient pas encore
différenciés ; car l'importance spéciale des syllabes initiales en
osco-ombrien se manifeste par des syncopes de brèves intérieures
et finales.

Un romaniste qui ne serait que romaniste pourrait être tenté
de voir dans la ruine du rythme quantitatif un fait propre au
roman. Or, une innovation toute semblable a eu lieu en grec,
à peu près à la même époque. Et, à des dates diverses, le rythme
quantitatif s'est détérioré largement ou a été tout à fait ruiné dans
toutes les langues indo-européennes, si bien qu'il ne subsiste nulle
part intégralement. Le fait roman, qui remonte aux premiers
siècles après le Christ, fait donc partie de ces développements
parallèles des langues indo-européennes qui s'observent partout
ou presque partout. Par là même il échappe à un romanisme étroit ;
il faut le considérer dans le grand ensemble dont il ne présente
qu'un cas particulier.

Le fait qui domine la structure de la phrase dans les parlers
romans est que la flexion casuelle s'est éliminée. Le changement
n'avait pas encore abouti en roman commun : les parlers gallo-romans
ont conservé la distinction d'un cas sujet et d'un cas
régime jusque très avant dans le moyen âge. Mais les débuts du
changement remontent bien plus haut que la période historique
du latin. Il appartient au romaniste de voir comment la flexion
casuelle a disparu, par quels procédés elle a été remplacée, quel type
nouveau de phrase est résulté de là. Mais, pour comprendre
l'innovation, il faut savoir qu'elle est seulement un des moments
116de la tendance universelle qu'ont les langues indo-européennes
à remplacer la flexion casuelle par des procédés tout différents.
Il y a des langues — la plupart des langues slaves, le lette et le
lituanien, l'arménien — où, aujourd'hui encore, la tendance est
loin d'être parvenue à son terme ; mais, même là, on en observe
des effets. C'est donc que des conditions communes ont déterminé
partout des innovations semblables. Vouloir expliquer le
fait spécialement en latin, par des conditions propres au latin, ce
serait n'en pas voir l'essentiel.

D'une part, il faut tenir compte d'un fait linguistique général,
qui est le rôle tout différent du nom et du verbe. Le verbe désigne
des procès ; il est l'instrument qui exprime ce qui se produit, ce
qui comporte un agent ou un patient ou tous les deux. De par
son rôle même, il appelle une variété infinie de formes. On n'est
donc pas surpris de voir qu'une flexion verbale se maintienne,
et, s'il arrive que des formes s'éliminent, répare ses pertes. Au
contraire, le nom exprime des notions considérées en dehors du
changement ; ces notions fixes appellent une expression également
fixe, et l'on ne peut tenir pour satisfaisant le type indo-européen
où une notion nominale n'a pas de forme principale,
où elle est rendue par des formes diverses ne se commandant
pas les unes les autres, où il n'y a pas un mot « loup », mais un
ensemble de formes telles que latin lupus, lupum, lupe, lupī, lupō,
lupōs, lupōrum, lupīs. Aussi, là même où une flexion casuelle s'est
maintenue ou restaurée, il y a eu tendance à instituer une forme
principale dont les autres apparaissent comme dérivées. L'arménien
moderne a des formes casuelles variées et pourvues de
valeurs nettes ; mais ces formes se présentent comme reposant sur
une forme principale qui est celle du nom même et qui sert à la
fois de cas sujet, de complément direct et de « latif » (accusatif de
la question quo) ; et les autres cas sont obtenus par addition de
désinences à cette forme principale. Pareil type diffère absolument
du type indo-européen, mais répond à la nature du nom, tandis
que le type indo-européen n'y satisfait pas.

Chose plus grave encore, la déclinaison indo-européenne ne
présentait un système cohérent ni pour la forme ni pour le
117sens. Tel cas avait une même désinence dans tous les noms, ainsi
l'accusatif singulier ou l'accusatif pluriel des noms de genre
animé ; tel autre avait des caractéristiques diverses, ainsi le génitif
singulier. Tel cas avait une forme spéciale dans un type et ne
s'en distinguait pas dans d'autres types : ainsi l'ablatif singulier
qui a une forme propre dans les thèmes en -o- et qui se confond
avec le génitif singulier dans les autres thèmes. Les démonstratifs
masculins ou féminins se fléchissaient comme les substantifs correspondants
à certains cas et avaient une flexion particulière à
d'autres cas. On ne finirait pas si l'on devait énumérer toutes les
singularités, toutes les étrangetés imprévues de la déclinaison
indo-européenne. On a l'impression non d'un système arrivé à
sa perfection, mais de l'agrégat d'un certain nombre de formations
fortuites, indépendantes les unes des autres. Quant aux
valeurs des cas, elles sont moins encore réductibles à un système.
Il y a, d'une part, des formes qui marquent seulement la relation
grammaticale, ainsi le nominatif, cas sujet ; il y en a qui servent
seulement à indiquer le lieu, comme le locatif et l'ablatif ; et il
y en a, comme l'accusatif, qui servent à la fois à indiquer le
complément direct et une relation locale. Dans ces conditions,
la flexion casuelle n'était pas en état de se maintenir : la tradition
ne suffit pas à maintenir des formes grammaticales que ne défend
pas l'harmonie d'un système bien organisé.

La simplification de la flexion nominale était déjà très avancée
quand s'est fixée la langue littéraire latine. Déjà le locatif n'avait
de formes propres que dans certains cas particuliers : formes
quasi adverbiales comme humī ou noms de villes comme Rōmae,
Karthaginī. Déjà l'ablatif et l'instrumental n'avaient plus en
commun qu'une seule forme qui sert aussi normalement pour
indiquer le lieu où l'on est. Au pluriel une même forme, en -īs
ou en -bus suivant les types, sert à la fois pour l'ancien instrumental
et l'ancien ablatif, pour l'ancien instrumental et pour le
datif. Ainsi le nombre des formes est de beaucoup réduit par
rapport à l'état indo-européen. Et, plus encore que le nombre, la
variété des formes est diminuée. En indo-européen le vocalisme
de l'élément prédésinentiel était sujet à de larges variations ; le
118grec, qui n'en a gardé que des traces, offre cependant des faits
comme l'opposition de l'accusatif πατέρα, avec le vocalisme prédésinentiel
e, et du génitif πατρός, du datif πατρί, avec le vocalisme
prédésinentiel zéro ; or, le latin a également patrem, patris, patrī
et patre ; seul, le nominatif demeure à part. On aperçoit ici, dans
ce contraste entre pater et patrem, patris, patre, etc., entre homō
et hominem, hominis, homine, etc., comme une première esquisse
de la réduction gallo-romaine à deux cas de la flexion nominale,
réduction qui a été seulement une dernière étape sur la voie de
l'élimination de toute flexion casuelle.

Du reste, malgré le rôle de premier plan que joue la flexion
des noms en latin ancien, les formes casuelles y sont déjà vidées
de leur contenu sémantique en une large mesure. Alors que, en
indo-européen, les cas locaux : locatif, ablatif, accusatif (avec
valeur de « latif ») suffisaient à indiquer le lieu, l'usage s'est
établi, au cours du développement de presque toutes les langues,
de marquer les relations locales par des prépositions. Pour exprimer
le lieu où l'on est, où l'on va, d'où l'on vient, il faut dire :
in urbe, in urbem, ex urbe, etc. Il a suffi aux langues romanes
d'étendre un peu l'emploi de avec l'ablatif pour rendre superflu
l'ancien génitif. Déjà Cicéron a normalement le type unus ex illis
hominibus
, et, chez lui, unus eorum n'est qu'une survivance limitée
à certains cas particuliers.

Derrière la façade, à peine altérée, de la langue commune telle
qu'elle est écrite et même parlée, le procès de l'affaiblissement de
la flexion casuelle se poursuivait. Tout en ayant maintenu l'usage
ancien, les gens qui parlaient latin laissaient malgré eux s'échapper
la substance de la déclinaison. Le procès continu de destruction
progressive de la flexion casuelle qui s'observe sur tout le domaine
indo-européen n'a pas cessé en latin par le fait que la fixité de la
langue écrite et parlée par les gens cultivés en dissimulait les effets.

Quant au verbe, les traits qui caractérisent les langues romanes
ont commencé de se dessiner dès avant la période historique du
latin.

Le plus frappant est la création de formes composées d'un participe
119et d'un auxiliaire. Or l'adjectif en -to- du type de datus,
factus, monitus, amātus, etc., a passé au rôle de participe, sans
doute dès l'époque italo-celtique. La forme composée avec le type
datus a, en celtique, des correspondants exacts.

Durant toute la latinité ancienne, le type dixī, amāuī a servi à
exprimer le « perfectum », c'est-à-dire le procès achevé par opposition
au type dīcō, amō exprimant le procès qui se développe,
l'« infectum ». L'infectum et leperfectum n'exprimaient pas par eux
mêmes le temps. Infectum et perfectum avaient, à l'indicatif, chacun
un présent : dīcō, dīxī ; un prétérit : dīcēbam, dīxeram, et un futur
dīcam (dīcēs), dīxerō. Mais c'est le sort commun des formes ayant
valeur de parfait que de passer au sens de prétérit ; et, quand
cantāuī, cantauissem ont été réduits à la valeur de prétérits, l'un
de l'indicatif, l'autre du subjonctif — et c'est la valeur qu'ont ces
formes dans toutes les langues romanes, ainsi p. ex. fr.je chantai,
[que] je chantasse — , le parfait s'est trouvé n'avoir plus de forme
pour l'exprimer. C'est alors que le type perspectum habeo, courant
en latin classique, mais où le participe et le verbe habeō avaient
chacun leur autonomie, s'est trouvé prêt à remplacer l'ancien
perfectum, privé de son sens de parfait. Ce qui a rendu possible
l'emploi de dictum habeo au sens de parfait, avec le rôle d'une
forme une, c'est que habeo, s'étant affaibli, avait pris le caractère
d'un verbe « avoir », à sens assez faible, et recevait en conséquence
un traitement phonétique de mot accessoire : fr. j'ai, tu
as
, il a, ne sont pas les représentants de mots à sens fort, habeo,
habes, habet. — Le type dictum-habeo se retrouve, hors des langues
romanes, dans les dialectes germaniques et dans un dialecte iranien,
le sogdien. Comme en germanique il n'est pas ancien, que le
gotique l'ignore, il est permis de supposer, avec quelque vraisemblance,
que les dialectes germaniques ont, à l'origine, imité le
tour roman. Mais le sogdien, évidemment indépendant du latin,
atteste que le procédé a pu se développer indépendamment dans
des langues distinctes. Faite pour exprimer « l'aspect parfait », la
formation du type dictum habeo, fr. j'ai dit, a, à son tour, passé
de bonne heure à l'expression du temps. Et j'ai dit est dans le
français d'aujourd'hui un simple prétérit.120

La prédominance toujours croissante de la notion de temps
dans les verbes n'est pas une nouveauté qui se serait introduite
à l'époque romaine. Dans le groupe occidental des langues indo-européennes,
le celtique la manifeste comme l'italique, et le germanique
aussi, à un moindre degré. C'est un trait qui distingue
fortement les langues italiques, celtiques et même germaniques,
que l'usage d'exprimer le temps par des thèmes verbaux : au lieu
que les thèmes verbaux de l'indo-européen exprimaient l'aspect
(perfectif ou imperfectif, achevé ou inachevé, déterminé ou indéterminé),
ou le factitif, le désidératif, l'intensif, des deux thèmes
de chaque verbe germanique, l'un exprime le présent, l'autre le
prétérit, au subjonctif aussi bien qu'à l'indicatif. Dans les langues
italiques et celtiques, le prétérit et le futur ont reçu chacun une
expression propre. Les formes du prétérit et du futur sont ou
des formes anciennes adaptées à cet usage ou des formes créées
tout exprès. La façon dont a évolué le système latin, quand l'opposition
de l'ancien infectum (dīcō, dīcam, dīcēbam) et de l'ancien
perfectum (dīxī, dixerō, dixeram), s'est éliminée et que le temps a
prévalu, manifeste la persistance à l'époque romane d'une tendance
ancienne de l'indo-européen occidental.

Les trois cas qui viennent d'être cités ne sont que des exemples.
Ils ont une grande portée par eux-mêmes. Mais il serait aisé de
les appuyer de beaucoup d'autres faits pareils. Une forte partie
des innovations romanes prennent place dans de grandes séries de
faits indo-européens, et on ne les comprend bien que si on les
situe dans les ensembles dont ils sont des cas particuliers. A lire
les manuels de romanisme, on a parfois l'impression que le latin
aurait été une sorte de langue cristallisée qui, avec la ruine de
la civilisation antique, aurait pour ainsi dire repris vie et capacité
de se transformer. Si l'on veut donner aux transformations qui
se sont produites leur signification, il faut les replacer dans le
mouvement continu de transformation qui emporte les langues
indo-européennes. Durant les six à huit siècles de durée de
l'Empire romain, du IIIe siècle avant J.-C. au IIIe et même au
Ve siècle après J. -C., la langue a gardé une fixité apparente ; mais
121parfois dissimulée et parfois à demi visible, l'évolution s'est poursuivie ;
l'immobilité de la forme visible cachait un changement
radical de la structure interne, et lorsqu'est venue la ruine de l'Empire
et de sa civilisation, les résultats du changement se sont
manifestés rapidement.122

1. Revue de linguistique romane, I, p. 1 sq.