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Meillet, Antoine. Linguistique historique et linguistique générale. Tome II – T22

Vilhelm Thomsen 1

La part que les nations civilisées prennent au développement
de la science n'est nullement en proportion du nombre des
hommes qui les composent. Il y a de petits peuples qui sont
particulièrement doués pour certaines sciences, et dont, à certains
moments, le rôle est décisif.

Le Danemark a en linguistique une place éminente.

Jusqu'au début du XIXe siècle, on avait à peine signalé les ressemblances
frappantes que présentent entre elles les principales
langues de l'Europe ; ou, quand on les avait remarquées, on n'y
avait guère vu plus qu'une curiosité sans portée, et personne
n'avait entrepris de fonder sur ces ressemblances toute une
science : la grammaire comparée des langues indo-européennes.

Or, au seuil de la création de cette science toute neuve, c'est
le nom d'un Danois qu'on rencontre. Dès avant Bopp, le Danois
Rask avait reconnu nettement, — et en publiant sa trouvaille,
— que toutes les grandes langues de l'Europe sont des
formes diverses prises au cours du temps par une même langue
commune, dont il ne subsiste aucun monument, qui ne s'est
sans doute jamais écrite, mais qu'il faut supposer pour expliquer
les ressemblances observées. Sans doute, il était réservé à l'Allemand
Bopp de fonder vraiment la science nouvelle et de lui
donner son premier développement ; il était réservé à un autre
Allemand, Pott, de compléter la découverte en reconnaissant la
plus large part de l'étymologie des langues indo-européennes.
184Les circonstances d'une vie peu tranquille et assez brève, l'absence
d'un protecteur tel que celui trouvé par Bopp en la personne
de Guillaume de Humboldt, et aussi le manque à utiliser
le sanscrit qu'on commençait seulement alors à étudier en Europe
n'ont pas permis à Rask de tirer parti de ses idées. Mais la netteté,
la sobriété, la précision de vues de Rask donnent lieu de
croire que si la grammaire comparée des langues indo-européennes
avait suivi son impulsion, et non celle de Bopp, bien
des constructions vaines n'auraient pas été élevées.

A ses rapprochements exacts, et, pour une large part, définitifs,
Bopp a eu le tort de mêler un nombre énorme d'hypothèses
sur la façon dont se seraient constituées, « à l'origine »,
les formes grammaticales des anciennes langues indo-européennes.
Ces spéculations sur des « formes primitives », qu'aucun
témoignage ne permet d'atteindre, ni même d'entrevoir,
ont plus fait sans doute au début pour le succès de la grammaire
comparée que la partie solide de l'œuvre de Bopp. Mais,
de 1870 à 1880, il en a fallu déblayer la science.

M. Vilhelm Thomsen, né à Copenhague en janvier 1842, et
dont on célèbre en ce moment le quatre-vingtième anniversaire,
a été, parmi les « comparatistes », l'un des premiers qui
ait renoncé aux théories imaginaires sur la constitution « primitive »
de la langue indo-européenne commune et qui se soit
attaché, non aux hypothèses sur les « origines » imaginées à
plaisir, mais à l'histoire des langues, fondée sur des faits positifs.

Tandis que, jusque là, des Allemands avaient été presque
seuls à cultiver la grammaire comparée, on commençait vers
1870 à étudier la nouvelle science hors de l'Allemagne. Le Français
Bréal, l'Italien Ascoli orientaient la recherche vers l'observation
de faits relativement modernes, et se souciaient plus
d'histoire que d'une préhistoire imaginaire. Un peu plus tard,
de jeunes maîtres tels que le Genevois Ferdinand de Saussure,
le Russe Fortunatov, devaient donner à la théorie des langues
indo-européennes des formules rigoureuses. Les savants allemands
contribuaient largement à développer la grammaire comparée ;
mais ils n'en avaient plus le monopole.185

C'est un Danois, K. Verner, qui, en 1877, a publié l'une des
découvertes qui ont donné un tour nouveau à la recherche.
Avec une pénétration singulière, il a expliqué par un rapprochement
avec l'accentuation des vieux textes de l'Inde, l'irrégularité
la plus surprenante qui subsistait dans l'histoire de la prononciation
du germanique ancien. Par là, il a contribué d'une
manière décisive à établir que la prononciation évolue suivant
des règles fixes et constantes et à bannir le caprice de l'histoire
des langues en général, de l'étymologie en particulier.

Le travail de M. Vilhelm Thomsen est d'un caractère plus
historique encore, et plus proche de la réalité positive. Il n'a pas
seulement apporté des faits nouveaux à la linguistique, il lui a
donné une orientation nouvelle dont les travaux les plus récents
montrent de plus en plus l'excellence.

A côté des langues indo-européennes, il se parle, dans l'Est
de l'Europe, des langues d'un autre groupe qui est représenté
aussi par quelques parlers sibériens. Les deux langues de ce
groupe qui ont fait la plus grande fortune sont le magyar, d'une
part, le finnois de Finlande, de l'autre. Mais il y en a toute une
série d'autres, notamment le lappon à l'extrémité septentrionale
de l'Europe et divers parlers qui subsistent en Russie dans l'Oural
et dans le bassin du Volga. C'est le groupe connu sous le
nom de finno-ougrien.

Au lieu de borner son attention au groupe indo-européen
seul ou au groupe finno-ougrien seul, M. V. Thomsen a étudié
les rapports que les deux groupes ont entretenus au cours
de leur histoire. Les groupes sociaux les moins civilisés
« empruntent, » comme disent les linguistes, beaucoup de
mots aux groupes de civilisation plus avancée : les Romains ont
beaucoup reçu des Grecs, les Germains des Romains, et ainsi
toujours. Les populations de langue finno-ougrienne, dont un
habitat peu favorable a longtemps retardé le développement,
n'ont cessé de recevoir des mots de leurs voisins de langue indo-européenne.
186Le magyar, par exemple, est plein de mots slaves.
Durant une période beaucoup plus ancienne, en un temps où
l'ensemble du finno-ougrien formait encore une unité, le groupe
tout entier a emprunté des mots à un parler de type indien ou
iranien : le nom de nombre « cent », en finno-ougrien, est indo-iranien.
M. V. Thomsen a décrit en 1869 les emprunts du
finnois au germanique, et en 1890 les emprunts du finnois au
groupe que l'on appelle baltique, celui auquel appartiennent le
lithuanien et le letton parlés aujourd'hui encore.

La portée de ces travaux a été grande. La maîtrise de l'auteur
était telle, les données sur lesquelles il s'appuyait étaient si sûres,
les conclusions qu'il en tirait si évidemment solides, que dès
l'abord les résultats en ont été acquis à la science. Paru en 1869,
le travail sur les emprunts du finnois au germanique était traduit
en allemand dès 1870 par les soins d'un linguiste, jeune
alors, M. Sievers, qui était destiné à devenir l'un des principaux
germanistes de sa génération. Ce mémoire apportait, en effet,
à l'histoire des langues germaniques comme à l'histoire du finnois,
des faits qui éclairaient à la fois l'une et l'autre. Empruntés
à une date très ancienne, antérieurement à l'existence de
toute littérature écrite en germanique, les mots que le finnois
a reçus des Germains ont une forme qui égale ou dépasse en
archaïsme ce que l'on trouve même dans les plus anciens monuments
gothiques ou Scandinaves.

Mais, pour précieux qu'il soit, le profit que les techniciens
ont retiré du grand travail de début de M. V. Thomsen est peu
de chose auprès de l'intérêt qu'offrait d'une manière générale ce
type de recherches.

Jusque-là, les linguistes observaient le développement pour
ainsi dire linéaire d'une langue considérée en elle-même, sans
attacher grande importance aux actions exercées du dehors. Et
même on cherchait plus à deviner la forme initiale, « primitive »,
des langues considérées qu'à en suivre de près le développement
au cours des siècles. C'était en 1869 une nouveauté
singulière que de concentrer toute l'attention sur des emprunts
d'un groupe de langues à un autre, que de montrer le parti
187qu'on en pouvait tirer pour observer le développement des deux
groupes considérés, et que d'éclairer par là, non seulement l'histoire
des faits linguistiques, mais l'histoire des nations elles-mêmes,
que de mettre en évidence les actions exercées par une
civilisation sur une autre.

Si le second travail de M. V. Thomsen, celui sur le contact
entre les langues baltiques et les langues finnoises, paru
environ vingt ans plus tard, en 1890, a fait moins de bruit,
ce n'est pas qu'il soit de valeur moindre. La maîtrise de l'auteur
est la même, les données sont tout aussi sûres, — et moins
connues encore, — les conclusions tout aussi certaines. La portée
pour l'étude du finnois en est même plus grande, parce que
les emprunts au baltique sont plus anciens que ceux qui ont
été faits au germanique et s'étendent à un nombre plus grand
de parlers finnois. Et l'intérêt pour les langues baltiques n'en
est pas inférieur à celui que présentait le premier travail pour le
germanique. Mais les langues « baltiques » intéressent peu de
gens. Il a fallu la grande guerre pour donner leur indépendance
aux deux petits peuples qui les emploient encore : les
Lithuaniens et les Lettons ; parlées presque uniquement par des
paysans, les deux langues qui subsistent, le lithuanien et le letton,
n'étaient guère étudiées jusqu'ici que par quelques linguistes
curieux. La plus grande part de leur domaine est passée
à d'autres langues à l'époque historique ; la troisième des
langues baltiques connues, le vieux prussien, qui au XVIe siècle
se parlait encore couramment dans la province de Prusse orientale,
a été remplacée par l'allemand, si bien qu'aucun pays n'est
aujourd'hui plus allemand que ce territoire dont la langue était
tout autre il y a trois siècles, et l'on n'a une idée du vieux prussien
que par quelques vieux documents, très misérables ; à l'Est
et au Sud, c'est le slave qui a entamé le domaine baltique : la
ville de Vilna, dont le nom est si manifestement lithuanien,
n'est plus aujourd'hui en territoire linguistique lithuanien, et la
limite du parler lithuanien passe un peu à l'ouest de Vilna.
Mais les populations de langue baltique ont eu autrefois une
grande puissance. On sait que les princes lithuaniens avaient
188étendu leur empire jusque par delà Kiev, et c'est d'eux que la
dynastie des Jagellons et, après l'union définitive de la Pologne
et de la Lithuanie, la Pologne, ont hérité leur domination sur
les populations russes occidentales. En montrant comment les
populations finnoises ont, à une date ancienne, subi fortement
l'influence de populations de langue baltique, apparentées aux
Lithuaniens et au Lettons d'aujourd'hui, et qu'elles n'ont subi
de la part des Slaves aucune action ancienne, M. V. Thomsen a
mis en évidence un grand fait sur lequel les historiens n'enseignent
presque rien : le rôle immense qu'ont joué les populations
de langue baltique durant les siècles qui ont immédiatement
précédé et suivi le début de l'ère chrétienne.

En dépit de leur intérêt et pour la linguistique et pour l'histoire,
ces conséquences qui résultent des travaux de M. V.
Thomsen n'ont cependant qu'une valeur particulière. Il y a une
conséquence théorique beaucoup plus importante, et que le tour
pris par la linguistique, dans les dernières années, a fait ressortir
mieux qu'elle ne pouvait apparaître en 1869 ou même en
1890. Plus on a étudié de près le développement des langues,
et plus le rôle des influences de civilisation, qui se traduisent
par des emprunts d'une langue à une autre, s'est révélé grand.
Sans doute le français est une forme prise par le latin dans des
conditions historiques particulières, et le fond principal du
vocabulaire français usuel se compose de mots latins qui se
sont transmis d'âge en âge, en subissant au cours de cette transmission
des changements de forme et de sens. Mais on ne peut
presque pas écrire une phrase française sans y mettre des mots
empruntés au latin écrit ; s'il est vrai que entendre est un vieux
mot, l'abstrait correspondant audition ou le nom d'agent auditeur
sont de purs emprunts au latin écrit. Avant d'avoir étudié
de près les parlers populaires, on s'imaginait qu'on y trouverait
dans leur pureté les résultats de l'évolution du latin sur le
sol français ; le jour où on les a examinés dans le détail et où,
d'autre part, l'Atlas linguistique de la France de M. Gilliéron a
permis de restituer, grâce à la comparaison, l'histoire d'un bon
nombre de mots locaux, on s'est aperçu que le vocabulaire des
189patois se compose dans une large mesure d'emprunts, et que les
patois sont beaucoup plus nourris de français littéraire que le
français ne l'est de patois.

En prenant pour objet de ses recherches les problèmes que
pose l'emprunt d'un vocabulaire à un autre, M. V. Thomsen
avait donc reconnu dès ses premiers travaux l'une des directions
où la linguistique devait, durant les années suivantes, trouver
une de ses principales voies.

Une découverte plus personnelle, et qui devait le placer au
nombre des grands déchiffreurs, a mis dans un jour plus éclatant
encore la rigueur de méthode de M. V. Thomsen et la
pénétration de son esprit.

On avait relevé en Sibérie, sur les bords de l'Orkhon et de
l'Iénisséi, des inscriptions écrites en un alphabet inconnu. Ces
inscriptions avaient été publiées ; mais on n'avait jamais réussi
à les lire ni par suite à les interpréter. En 1893, M. V. Thomsen
publiait le principe du déchiffrement de cet alphabet, et, peu
après, il donnait une transcription avec traduction complète de
l'ensemble des textes connus. Il avait à lui seul réussi à déterminer
la valeur de tous les signes de l'alphabet. Bien que non
turcisant, il avait reconnu du turc dans ces textes. Et, comme
tous les parlers turcs sont semblables les uns aux autres et qu'ils
ont peu changé durant les huit ou dix siècles pendant lesquels
des textes permettent d'en suivre l'histoire, la traduction donnée
par M. V. Thomsen était quasi définitive du premier coup.

Le procédé employé par M. V. Thomsen pour déchiffrer cet
alphabet inconnu est celui grâce auquel l'Allemand Grotefend
a commencé, en 1802, le déchiffrement des inscriptions cunéiformes
de Darius et de Xerxès, posant ainsi la première pierre
de tout le déchiffrement des textes cunéiformes, et grâce auquel,
en 1822, Champollion a trouvé la clé des hiéroglyphes de
l'Égypte. Ce procédé consiste à déterminer des mots qui ont
chance d'être des noms propres connus : Grotefend a deviné
190Darius et Xerxès, Champollion a deviné Ptolémée et Cléopâtre,
M. V. Thomsen a deviné un roi turc connu par des textes chinois.
Une fois quelques caractères déterminés, si le texte à
déchiffrer se trouve être composé en une langue connue, on a
chance d'identifier quelques mots qui fournissent de nouveaux
caractères, et, de proche en proche, tout l'alphabet finit par être
déterminé, chaque trouvaille rendant beaucoup plus facile la
découverte d'autres mots intelligibles et par suite la détermination
de caractères non encore déchiffrés.

La condition, pour qu'une découverte de ce genre soit possible,
c'est que la langue qui se cache sous l'écriture inconnue
soit une langue connue au moins en partie. Si l'on a pu déterminer
la valeur de tous les caractères des inscriptions cunéiformes
des rois perses, c'est que le perse en lequel elles sont
composées se laisse interpréter, pour la plus grande part, d'un
côté par le persan qui en est la forme moderne, de l'autre, par
des langues anciennes de type très voisin, la langue de l'Avesta,
et, d'un peu plus loin, par le sanscrit. Mais, comme néanmoins
le perse diffère sensiblement de toutes ces langues, il a fallu les
efforts de toute une série de savants, — et entre autres, du
Danois Rask, — et quarante-cinq ans de travail pour achever
la lecture complète des inscriptions des rois perses achéménides.
Si la langue que M. V. Thomsen a rencontrée n'avait été aussi
voisine de parlers turcs déjà bien connus, le déchiffrement n'aurait
été ni aussi prompt ni aussi parfait du premier coup. Mais
ç'a été un triomphe de la méthode et de la pénétration de
M. V. Thomsen que d'avoir, sans être turcisant, ajouté à la
turcologie tout un domaine nouveau et, en interprétant les
vieux textes, fourni des données fondamentales pour l'histoire
du turc durant la période la plus ancienne qu'on connaisse.

Il y a bien des preuves de la difficulté, de la quasi-impossibilité
même où l'on est de comprendre un texte en écriture connue,
mais en langue inconnue. On a trouvé à Cypre des textes
écrits en une écriture inconnue ; bien que le principe de cette
écriture diffère tout à fait de l'alphabet grec classique, on a
déchiffré ceux de ces textes qui sont composés en grec, et ils
191ont apporté aux hellénistes des données curieuses. Mais ce même
alphabet a servi aussi à noter une autre langue ; or, si l'on a pu,
à l'aide des valeurs fournies par les textes grecs cypriotes, lire
ces textes en langue inconnue, il a été jusqu'ici impossible de
les interpréter et de leur arracher aucun sens. On lit complètement
les inscriptions lyciennes trouvées en Asie-Mineure, les
inscriptions étrusques que le sol italien a livrées en grand
nombre. Mais, comme l'étrusque et le lycien ne ressemblent à
rien de connu, on n'est parvenu jusqu'ici à interpréter ces inscriptions
que dans une mesure très restreinte. M. V. Thomsen
lui-même s'est essayé sur ces textes, et, si intéressants que soient
les résultats obtenus par son ingéniosité, par la pénétration de
son esprit et la sûreté de son jugement, ils sont bien minces,
quand on les compare à ce que le même auteur a obtenu en
matière de turc.

Ces grands travaux ne sont pas les seuls qu'ait publiés
l'illustre maître de Copenhague ; ce sont ceux qui ont fait sa
gloire. Les mémoires qu'il a donnés sur diverses questions ne
montrent pas moins la puissance de son esprit à la fois fin et
hardi. Il n'en est aucun qui n'ait une portée. Ainsi l'article où
il a proposé pour le verbe français aller la seule explication plausible
qui ait été avancée repose sur l'hypothèse que, dans certaines
circonstances spéciales, un mot peut avoir une prononciation
spéciale et peut dès lors évoluer d'une manière non normale ;
et ce principe s'est montré fécond. Toute la linguistique
actuelle porte ainsi la marque des idées de M. V. Thomsen.

Et cette grande figure scientifique n'est pas isolée à Copenhague.
Pour ne rien dire du scandinaviste Wimmer, de l'illustre
romaniste M. Nyrop, l'un des hommes qui connaissent le
mieux l'histoire du français, M. V. Thomsen compte parmi ses
disciples immédiats deux des linguistes les plus originaux du
temps présent : M. Jespersen et M. H. Pedersen.

M. Jespersen s'est surtout occupé de l'histoire de l'anglais. Il
192a montré comment le développement des langues indo-européennes
a conduit à l'anglais, la langue dont le type diffère le
plus de l'indo-européen commun, et comment, au contraire de
ce qu'imaginaient bizarrement les romantiques, le langage
devient plus clair, plus maniable, plus utile au fur et à mesure
qu'il se dégage plus de l'inextricable complication des anciennes
formes grammaticales, telles qu'elles apparaissent encore dans
les Védas et chez Homère.

M. Pedersen a une ampleur de connaissances singulière. Du
slave au celtique, en passant par l'albanais, il s'est attaqué aux
sujets les plus difficiles, semant partout les idées personnelles.
Il est le premier qui ait osé écrire une grammaire comparée de
ces parlers celtiques dont l'obscurité décourage tant de linguistes.

M. V. Thomsen est, aujourd'hui, le plus grand nom de la
linguistique. Mais on le comprendrait mal, si l'on ne voyait en
lui un successeur du grand découvreur qu'a été Rask, l'émule
de Verner, le maître de MM. Jespersen et Pedersen. Tous ces
savants unissent l'entière indépendance de l'esprit à l'absolue
rigueur de la méthode, le sens de la réalité à une imagination
puissante. Si leur œuvre avait manqué, on se représente mal ce
que serait la linguistique d'aujourd'hui.193

1. Revue des Deux Mondes, 1er février 1922, p. 688 sq.