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Brøndal, Viggo. Essais de linguistique générale – T18

Préface

Le présent recueil, dont la plupart des articles ont déjà paru ailleurs,
porte pour titre Essais de linguistique générale. C'est pourquoi
nous avons supprimé tous les articles de caractère moins général, comme
ceux traitant d'étymologie ou de toponymie, et même les essais de phonologie :
Les systèmes vocaliques (Travaux du Cercle linguistique de
Prague, VI), Sound and phoneme (conférence faite au Congrès
phonétique de Londres 1935), The variable nature of umlaut (conférence
faite au Congrès phonétique de Gand 1938). Enfin nous avons
supprimé Le Français langue abstraite, conférence faite à Bucarest en
1936, qui formera — ainsi qu'une conférence à l'Institut français de
Prague (1937) — un chapitre d'un volume spécial sur les caractères
du français. On trouvera, à la fin du volume, dans une Bibliographie
complémentaire
, de brefs résumés de tous ces opuscules supprimés.

Les essais parus ailleurs sont les douze premiers. Nous y ajoutons
trois autres que nous faisons imprimer ici pour la première fois. Tous
les trois se rattachent, en y apportant des corrections, à nos « Parties du
Discours » (1928, en danois) dont nous préparons une édition française.
Le premier, Constitution du Mot, fait entrer le problème des
parties du discours dans l'ensemble de la morphologie. Le deuxième,
Théorie de la Dérivation, souligne le caractère secondaire des mots
dérivés par rapport aux mots simples. Le troisième, Formes fondamentales
du Verbe
, a pour but de montrer que des formes telles que l'infinitif,
le participe, le gérondif etc. ne représentent pas des sous-classes
du verbe, mais des formes flexionnelles de celui-ci.

Le recueil présent aura pour résultat, espérons-nous, de faire mieux
comprendre notre doctrine linguistique. Cette doctrine, dont on pourra
suivre ici-même l'évolution, nous l'avons appliquée tout d'abord à des
questions particulières, à des points spéciaux, plus tard nous l'avons
développée par une généralisation toujours croissante. Par conséquent
elle a été caractérisée au début par une confusion relative qui peu à peu
a cédé la place à une plus grande harmonie.i

Les caractères de cette doctrine sont aussi simples que généraux 1.
Elle consiste à retrouver dans le langage les concepts de la logique, tels
qu'ils ont été élaborés par la philosophie depuis Aristote jusqu'aux
logiciens modernes. Il s'agit de deux séries de concepts : les concepts
relationnels (symétrie, transitivité, connexité, variabilité, pluralité, généralité,
continuité, totalité, extension, intégrité, universalité) et les concepts
génériques (relation et objet, qualité et quantité). Il faut nécessairement
distinguer ces deux séries de concepts, les derniers formant le
plus souvent le cadre des premiers dans le langage, mais d'autre part
il existe une connexion profonde entre eux, les derniers étant en quelque
sorte la cristallisation des premiers. La constitution du langage au moyen
de ces concepts est d'ailleurs soumise à certaines règles de corrélation,
d'opposition et de solidarité. Ces concepts sont valables dans toute la
grammaire, aussi bien en morphologie et en syntaxe qu'en phonologie
et en prosodie, comme ils le sont, paraît-il, dans toutes les sciences.

Ces idées ne sont pas très éloignées de celles du prince Troubetzkoy.
Cette convergence, entrevue par tous les deux dès la fin du Congrès
de La Haye (avril 1928), et manifeste depuis, a été discutée à
Rome (1931), à Londres (1935), à Copenhague (1936), enfin à
Brno (1937) où Troubetzkoy est venu chez des amis communs m'offrir
amicalement la présidence de la section linguistique du Congrès psychologique
de Paris, sa maladie l'empêchant d'entreprendre lui-même le
voyage.

Ma doctrine se distingue, certes, par quelques différences de détail de
la phonologie de Troubetzkoy, mais les deux sont caractérisées par une
direction commune, née à la fois de la méditation constante des principes
du langage et de la grande tradition philosophique. C'est pourquoi
je dédie ces pages à la chère mémoire de mon ami génial.

Viggo Brøndalii

(1) cf. l'importance d'une inspiration unique, idée profonde exprimée par
Henri Bergson au Congrès philosophique de Bologne en 1900.