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Guillaume, Gustave. Langage et science du langage – T17

Psycho-systématique et psycho-sémiologie
du langage 11

Peu nombreux sont dans le langage les faits de grammaire générale
satisfaisant pleinement à la condition d'universalité. Ceux que les linguistes
sont le plus enclins à considérer comme tels s'avèrent, dans le cadre d'une
information moins restreinte que l'information courante, être des faits de
grammaire particulière, largement représentés certes, mais non universels.
La discrimination du nom et du verbe, par exemple, est l'un des faits de
grammaire particulière souvent promus par défaut d'information ou par
abus d'interpétation — les faits linguistiques, disait Meillet, se laissent
interpréter — au rang de faits de grammaire générale. Tel n'est pas le
cas de la distinction qu'énonce le titre de cet article. Elle se rapporte au
fait absolument universel que le langage est intrinsèquement, sans qu'il
en puisse être autrement, la liaison d'une construction opérée en pensée,
et en pensée seulement, et de l'invention (de la trouvaille), parmi ce qui
se présente de moins disconvenant, d'un signe auquel il est demandé
d'assumer la saisie, le port et le transport de ce que la pensée a préalablement
édifié au-dedans d'elle-même — le transport ayant lieu de soi à soi
dans le cas du langage intérieur et de soi à un autre dans le cas où le langage
s'extériorise.

L'invention du signe préhensif, porteur et transporteur, est le temps
second du phénomène dont le langage est le résultat ; le temps premier
en est la création de ce dont le signe va devenir, quand l'invention en aura
été faite, le véhicule. Dans l'histoire du langage le phénomène est irréversible 1 bis2 :
241ce n'est pas le signe qui appelle l'idée, mais l'idée qui appelle
le signe.

Choisir en pensée un signe chargé de porter et de transporter ce qui
a été construit en pensée est l'ouvrage de la psycho-sémiologie, le terme
psycho- rappelant que le choix, si libre soit-il, n'est jamais absolument
immotivé et satisfait à des conditions peu rigoureuses, certes, mais néanmoins
existantes de non-disconvenance. Construire en pensée, et en pensée
seulement, ce qu'on attache ensuite à un signe — et ce qu'on n'aurait pas
à y attacher si la construction n'en avait point été opérée, — est l'ouvrage
de la psycho-systématique.

L'état de relation des deux ouvrages n'a pas fait jusqu'à présent
l'objet d'une étude suffisamment attentive, et l'on n'a pas su voir — il y a là
une défaillance regrettable de l'esprit d'observation — que les deux temps
du phénomène en question : le temps premier psycho-systématique et le
temps second psycho-sémiologique, ne relèvent pas de la même loi. La loi
régnante en psycho-systématique 23 est celle, rigoureuse, de la cohérence ; la
loi régnante en psycho-sémiologie celle, non rigoureuse, extrêmement souple
de la simple convenance expressive. De là en psycho-sémiologie la permission
d'incohérences interdites en psycho-systématique 34. L'une de ces incohérences
est la reddition par des moyens morphologiques d'espèces différentes
242de l'unique et constant psychisme du prétérit défini français dont la
sémiologie, dans la série des verbes à -r d'infinitif fermant, est athématique
aux personnes du singulier (chant-ai, chant-as, chant-a) et thématique,
avec thème en -a- aux première et deuxième personnes du pluriel
(chant-a-s-mes, chant-a-stes), et hybride, et très particulière (Vid. infra,
note 8), à la troisième personne du pluriel (chantèr-ent). Dans la conjugaison
des verbes à -r d'infinitif ouvrant, , bien moins nombreux, la sémiologie
de la même forme verbale est in extenso thématique, avec thème en
u ou en i (en i nasalisé dans des verbes tels que tenir, venir). Ex. : je
voul-us
, nous voul-u-s-mes ; je vend-i-s, nous vend-i-s-mes, etc., etc.

Considérée dans toute son étendue dans le français actuel, la psycho-sémiologie
du prétérit défini tolère des incohérences qu'elle n'a pas su
éliminer et, du même coup, la question se pose de savoir si ces incohérences
acceptées s'étendent à la psycho-systématique. Ma réponse est un
non formel. Le fait en présence duquel on se trouve est la reddition par
moyens sémiologiques non assujettis à la loi de cohérence d'une psycho-systématique
pleinement assujettie, elle, à cette loi.

La visée de la psycho-sémiologie est partout et toujours de rendre la
psycho-systématique par des moyens qui soient propres à en dénoncer la
cohérence intrinsèque 45. Mais si c'est là un but visé à la continue, il s'en
faut de beaucoup qu'il soit régulièrement atteint. Ce but représente l'idéal
du mieux, mais la réalité suffisante du bien tolère des en-deçà. La raison
en est que, s'il est historiquement pressant que ce qui a été construit en
pensée soit accroché à une sémiologie, il est moins pressant que cette
sémiologie soit parfaite. Aussi, pratiquement, ne lui est-il demandé que
d'être suffisante.

La psycho-sémiologie n'atteint pas à la cohérence dans le cas du prétérit
défini français dont la psycho-systématique une est rendue par une
sémiologie à laquelle l'unité fait défaut. Or du côté du futur, forme verbale
non pas historiquement conservée mais historiquement refaite, la psycho-sémiologie
exclusivement athématique 56, et par là exempte de tout manque
d'unité, satisfait à la condition de cohérence et constitue une dénonciation
tout à fait réussie de l'unité psycho-systématique.

La conjugaison athématique, de laquelle en français ne sort pas le
futur, et qui a pris pied largement dans le passé, suppose acquise l'individuation
endo-psychique : des morphèmes -ons et -ions signifiant
respectivement le présent et le passé ; du radical primaire chant- habile
à porter dans le cas du prétérit défini une psycho-sémiologie en partie
athématique (chant-ai), en partie thématique (chant-a-s-tes) et en partie
hybride (chantèr-ent) ; et dans le cas de l'imparfait une psycho-sémiologie
intégralement athématique (chant-ais, chant-ions) ; du radical secondaire
243innové chanter- (infinitif en position de radical) contenant l'indice
de virtualisation -r et habile, en conséquence à porter une psycho-sémiologie
innovée aussi et exclusivement athématique. Cette explication de la
construction du futur français par assemblage d'éléments formateurs préalablement
individués est la vraie. L'explication traditionnelle 67 ne tient pas
compte du grand fait historique qu'est dans la construction de la langue
(du langage institué) l'individuation in abstracto (croissante dans le sens
du permanent) des éléments formateurs intervenants, les possibilités
d'assemblage étant tributaires et, pourrait-on dire, fonction de cette individuation
dont l'insuffisance fait les langues agglutinantes, l'excès, les
langues isolantes, et l'état moyen très varié, les langues dites flexionnelles.

L'antienne de mes contradicteurs est le reproche absolument injustifié
qu'ils m'adressent de ne pas tenir compte de certains faits historiques
« indubitables » qu'ils ont la complaisance de me rappeler avec la vigilante
conviction du devoir accompli. Qu'ils veuillent bien se persuader que
de ces faits indubitables il n'est aucun dont je n'aie mesuré la portée, ma
formation première de comparatiste m'inclinant à une remontée dans le
temps que ne doit pas dépasser sensiblement celle de mes savants juges
historiens 78. Mais la leçon que je tire de ces faits indubitables qu'ils constatent
et que je constate — en cela nos mérites sont égaux — n'est pas
244celle qu'ils en reçoivent. Ce que je vois dans la perspective historique est
ce qu'ils y voient, plus autre chose qu'ils n'y voient pas.

Dans l'explication que l'on vient de produire de ce qu'est historiquement
la construction psycho-sémiologique du futur français on s'est, pour
la clarté de la démonstration, tenu autant que possible en dehors du champ
d'interférence de la phonétique et de la morphologie et, aux fins d'y réussir
plus aisément, on a limité l'observation aux personnes doubles (1re et 2e du
pluriel) dont une caractéristique est leur résistance à la contraction phonétique.

Un trait de l'histoire psycho-sémiologique du futur est de substituer
à un moment donné à la variation historique de simple héritage une variation
historique de reconstruction faisant appel à une sémiologie analysable.
L'aperception qu'avait Meillet d'un « aiguillage » de la morphologie dans
une direction nouvelle lorsqu'il s'agit de conférer au futur une représentation
autonome est ce qui lui a fait mainte fois dans son enseignement
marquer le désir que soit écrite par un comparatiste l'histoire du futur
dans les langues indo-européennes.

A suivre cette histoire, on eût dans le français le plus évolué rencontré
la paire prétérit défini/futur thétique et, complémentairement, la
paire imparfait/futur hypothétique, différente de la première en ce qu'elle
nous met en présence d'une sémiologie qui a réussi à se pourvoir d'une
cohérence en vertu de laquelle elle est le miroir, fidèle cette fois, de la
psycho-systématique. Cette réussite remarquable de la psycho-sémiologie
consiste en ceci que, la séparation des époques restant confiée à l'indice de
virtualisation -r- dont la présence signifie en fin de chronogénèse le futur,
et l'absence le passé, il suffit de retirer, ou si l'on préfère de ne pas introduire
le -r- morphologique en question pour avoir, en regard du futur,
un passé symétrique, satisfaisant, nonobstant la contradiction des deux
époques, à une condition psychique de non-différence que dénonce l'identité
matérielle des terminaisons d'imparfait et du futur hypothétique
(chant-ais, chanter-ais). L'identité sémiologique est apparente : l'identité
psychique qu'elle dénonce reste secrète aussi longtemps qu'on n'a pas su
par les voies de l'analyse, les seules dont on dispose en l'occurrence, en
reconnaître la nature.

Le problème posé au linguiste est, dès lors, de s'introduire à la connaissance
de l'identité psychique dénoncée par les communes terminaisons
d'imparfait et de futur hypothétique ; et il s'y ajoute celui de savoir si
l'identité de terminaison du prétérit et du futur thétique restreinte aux
personnes du singulier des verbes à -r d'infinitif fermant 89 n'est pas,
dans une sémiologie moins cohérente, la marque d'une semblable identité
245psychique des deux époques sous un certain rapport étranger à leur différence
spécifique.

Ma réponse à ces deux questions est ce qui suit : nonobstant la différence
d'époque signifiée dans les deux paires par le -r- de virtualisation,
la paire prétérit défini/futur thétique et la paire imparfait/futur hypothétique
satisfont à une condition de niveau temporel qui varie d'une paire
à l'autre, chaque paire ayant son niveau propre, mais se présente invariante
d'un terme à l'autre dans chacune des deux paires (v. fig. p. 249).

La psycho-systématique, qu'elle soit ou non recouverte par une psycho-sémiologie
qui en dénonce l'unité, reste en soi une, et le principe
constructif, que n'a pas aperçu la linguistique traditionnelle, est la composition
uniformément binaire, en français, de toutes les formes verbales
d'indicatif, à savoir : époque + niveau temporel.

La condition binaire psycho-systématique à laquelle satisfait la paire
imparfait/futur hypothétique est : inéquation d'époque (passé ≠ futur) ;
équation de niveau temporel (niveau temporel 2 pour l'imparfait et pour
le futur hypothétique) ; la condition binaire psycho-systématique à laquelle
satisfait la paire prétérit défini/futur thétique est pareillement : inéquation
d'époque (passé ≠ futur) équation de niveau temporel (niveau temporel
1 pour le prétérit défini et pour le futur thétique)  ; avec celte différence,
non pas psycho-systématique, mais psycho-sémiologique (sur quoi
se fondent uniquement et hors de toute vraie raison les arguments avancés
inconsidérément par certains à rencontre de ma théorie) que, conformément
à la loi régnante en elle, qui est celle de la simple et suffisante
convenance expressive, la psycho-sémiologie tolère dans la représentation
par signes de la paire prétérit défini/futur thétique une certaine incohérence
qu'elle a éliminée de la représentation par signes sous laquelle se
présente la paire imparfait/futur hypothétique.

La leçon littérale des faits, reçue en toute simplicité, conduit à la
perception de la binarité constitutive des temps français du mode indicatif,
et c'est incontestablement une défaillance de l'esprit d'observation que de
ne pas avoir reconnu cette binarité. La faute commise au départ a été de
ne pas se demander — c'était la question scientifique à poser — pourquoi
le français a dans le mode indicatif deux passés et deux futurs. La question
n'ayant pas été posée, l'explication de ce dualisme de représentation n'a
pas été produite, n'a même pas été cherchée.

Une distinction non moins importante, et restée comme la précédente
inaperçue, est celle du signifié de puissance attaché en permanence dans
la langue au signe (qui en devient un signifiant) et du signifié d'effet dont
le signe se charge momentanément, par l'emploi qui en est fait, dans le
discours.

Le signe est dans le langage médiateur entre le signifié de puissance
et le signifié d'effet, le mécanisme de la relation en cause étant ce qui suit :

signifié de puissance → signe → signifié d'effet.246

Le signifié de puissance est l'amont du phénomène ; le signifié d'effet
en est l'aval.

Le terme de signifiant ne figure pas dans ce mécanisme de transition
de l'amont à l'aval du phénomène, et la raison en est que ce terme correspond
non pas à l'idée de signe, mais à celle d'une symphyse du signifie
de puissance et du signe ; en conséquence de quoi la relation mécanique
ci-dessus figurée prend dans la réalité linguistique — que c'est le rôle du
linguiste de faire connaître — la forme :

image signifié de puissance | signe | symphyse | signifiant | signifié d'effet

Le principe acquis que le signifiant totalise en lui, à l'état de symphyse,
un signifié de puissance et un signe, lequel autrement serait in-signifiant,
une question se pose qui requiert une réponse sans équivoque.
Auquel des deux signifiés : celui de puissance et celui d'effet, la linguistique
traditionnelle s'est-elle jusqu'ici intéressée ?

Nul ne disconviendra que jusqu'à présent — abstraction faite de mes
travaux dont l'audience, étouffée par la vaste audience de l'explication
historique (au sens courant du mot), fut des plus restreintes — la linguistique,
historique et non historique, ne se soit, en morphologie, intéressée
exclusivement au signifié d'effet, dont elle ne sort pas.

Il y a dans ce regard porté sur un seul côté des choses, le côté d'aval
— le côté d'amont étant négligé — une faute de méthode. Une forme de
langue pose au grammairien deux problèmes : Qu'est-elle, compte tenu
de sa nature, dans le plan de la conséquence, du côté du signifié d'effet ?
Qu'est-elle dans le plan de la condition, du côté du signifié de puissance ?

La réponse diffère considérablement, on va le voir, d'une question à
l'autre. Dans le cas d'une forme verbale elle est ceci : comme signifié de
puissance une forme verbale est, dans la potentialité permanente de la
langue, un cas de spatialisation du temps ; comme signifié d'effet, l'emploi
de ce cas permanent de spatialisation du temps à signifier, dans le discours
momentané, l'un des cas particuliers de situation dans le temps que, si
divers et contradictoires soient-ils, le cas de spatialisation du temps
emporte avec soi la permission de produire, selon qu'il est besoin pour une
expression juste de la pensée.

Dans mon enseignement à l'Ecole des Hautes-Etudes touchant les
formes verbales, j'ai constamment pris la précaution de référer l'acte
d'expression, déterminant dans la momentanéité réelle du discours un cas
de situation dans le temps, à l'acte de représentation, déterminant dans
la potentialité permanente de la langue un cas de spatialisation du temps.
Il en est résulté une explication des faits linguistiques passant de beaucoup
en rigueur, simplicité et élégance l'explication accoutumée.

Cette explication supérieure rend raison de l'aval (les signifiés d'effet)
par l'amont (le signifié de puissance) ; l'explication traditionnelle essaie,
sans jamais y vraiment réussir, de rendre raison de l'aval par ce qui est
de l'aval. On ne saurait trop le redire, l'explication accoutumée est en
contradiction avec la notion même de signifiant : un signe non chargé
avant l'emploi d'un signifié de puissance étant un signe sans signification
247utilisable. Je m'excuse de ces truismes auprès du lecteur : la nécessité
de les rappeler ne vient pas de moi.

Le principe affirmé que les formes verbales, prises dans la potentialité
de la langue, sont, sans plus, les cas d'une certaine spatialisation du temps,
historiquement déterminée dans un idiome donné, le lecteur est en droit
de demander qu'on lui fasse voir ce qu'est l'opération spatialisatrice. Il
en trouvera un ample exposé dans mes travaux et un exposé succinct dans
un article des Mélanges Dauzat intitulé : De la double action séparative du
présent dans la représentation française du temps
. Une chose que l'article
ne dit pas, parce que la place pour le dire manquait, est que cette action
séparative a une histoire, tout étant historique dans le langage, le visible
qui frappe les yeux et le non visible caché sous l'apparent. Cette histoire
consiste, pour une grande part, en ce que le présent, avant de recevoir la
disposition verticale α | ω qu'il a en français 910 et plus généralement
dans les langues romanes, eut antérieurement en latin, en grec et plus
anciennement, la disposition horizontale : | ω | α |.

Or, dans un présent horizontal, le partage des chronotypes composants :
ω a est vertical et ce partage vertical des deux chronotypes dans le
présent étroit donne, en se prolongeant en dehors du présent dans le sens
vertical descendant, la ligne verticale de partage du temps. Il s'ensuit,
compte tenu des complémentarités de symétrie, une spatialisation qui est
celle instituée en latin dans le mode indicatif :

image amabam | amo | amabo | ω | α | amaueram | amaui | amauero

Un événement historique important, secret en ce sens que pour le
découvrir il faut plus que l'observation des faits apparents, — lesquels, au
surplus, finement observés le révèlent, — est la conversion du présent
horizontal ancien en un présent vertical innové. Le motif profond de la
conversion est que le présent est un être sténonome allant à la plus grande
étroitesse, condition mieux remplie par un présent vertical dont la largeur
dans l'infinitude horizontale du temps est celle d'un chronotype que par
un présent horizontal dont la largeur dans l'infinitude du temps est celle
de deux chronotypes.248

Dans un présent vertical, le partage des chronotypes composants | α | ω |
se présente horizontal et c'est ce partage du présent dans le sens horizontal
qui, en se prolongeant des deux côtés du présent, donne la ligne horizontale
de partage du temps et, du même coup, un schéma de spatialisation
du temps qui est ce qui suit et représente la spatialisation française
(et romane) du temps dans le mode indicatif, dont la caractéristique, en
tout idiome, est de signifier une spatialisation temporelle achevée.

image futur | niveau 1 d'incidence | passé | niveau 2 de décadence | présent | ω | α | imparfait | prétérit défini | futur thétique | futur hypothétique

Le diagramme ci-dessus analyse en ses moments successifs caractéristiques :
incidence (niveau 1) et décadence (niveau 2), le mouvement (porté
en ordonnée sur l'axe des y) d'échéance de l'événement (du verbe) au
temps ; il n'analyse pas le mouvement (porté en abscisse sur l'axe des x)
d'échéance du temps à l'échéance de l'événement. Des deux mouvements
réciproquement transversaux, progression verticale de l'événement et progression
horizontale du temps auquel l'événement échoit, l'analyse du premier
est seule accomplie ; le second, insuffisamment analysé, est représenté
par une ligne unidimensionnelle (longueur seule) horizontalement
extensive, redevable de sa division en époques au présent séparateur introduit
en elle et non pas à son propre mouvement d'extension. La division
du temps en époques se présente ainsi sous les traits d'une division quantitative,
suscitée du dehors, et non pas sous les traits d'une division qualitative
suscitée du dedans.249

11. Français moderne, avril 1953. A la suite de critiques — lassantes par leur incompréhension
— publiées dans des numéros antérieurs, M. Guillaume avait, sous le même
titre, proposé au directeur de l'époque, M. Dauzat, une réponse, beaucoup plus substantielle
que celle qu'on va lire, mais dont le ton fut jugé trop « polémique ». Les coupures
et remaniements qu'on imposa alors au savant eurent pour résultat qu'il mit
fin à sa collaboration. On trouvera un complément au présent article dans
Epoques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison française, étude parue
dans la collection Cahiers de Linguistique Structurale (n° 4), Presses de l'Université
Laval, Québec, 1955, et reproduite, avec la bienveillante autorisation des éditeurs, dans
le présent recueil (voir plus loin, pp. 250-271).

21 bis. Dans le discours momentané, il se présente, an contraire, réversible. Le locuteur
trouve les signes convenant à la pensée qu'il entend exprimer et l'auditeur retrouve
sous les signes portés jusqu'à lui la pensée qu'ils véhiculent.

32. La psycho-systématique ne sort pas du plan de la morphologie : celui de l'idéation
de structure. Dans le plan de la sémantèse : celui de l'idéation notionnelle, la
production des idées est libre, et conséquemment asystématique (V. La langue est-elle
ou n'est-elle pas un système ?
Cf. supra, pp. 220-240).

43. La méconnaissance de ce principe est à l'origine du réquisitoire tout à fait
injuste, si injuste qu'il en est à peine concevable, produit contre moi dans l'article du
Français moderne d'avril 1952, où il est question uniquement de l'état apparent du
prétérit défini, du signe qui en recouvre le psychisme et aucunement de son psychisme
un
sous des signes divers, et dont la diversité pourrait sans inconvénient être plus
grande qu'elle n'est. Or, c'est de ce psychisme un sous les signes (les formes apparentes)
qui en sont la vêture, qu'il est exclusivement question dans mes écrits, et qu'il n'est
nulle part question dans l'article de mon contradicteur
, lequel n'a d'yeux que pour ce
qui se voit avec les yeux du visage, pour ce qui est, dans l'immédiat, apparent, et point
d'yeux du tout (du moins dans cet article tendancieux) pour ce que l'apparent recouvre.
Ce parti pris de ne pas parler, de ne pas dire un mot de ce qui est en cause, et seul en
cause dans mes écrits, et de réfuter prétendument, en parlant d'autre chose que de ce
dont il est question surprend. Il n'existe pas chez Damourette et Pichon : ils voient
dans le prétérit défini une forme qui apparemment n'a pas de rapport obligé avec le
futur, mais qui, nonobstant les apparences, ressortit au même répartitoire, celui d'énarration,
que le futur ; pour la raison, venue des théories de G. Guillaume, d'un identique
rapport des deux formes avec le chronotype α. Aux meilleurs jours, Damourette et
Pichon, influencés par mon maléfique enseignement, sont des linguistes complets, tenant
compte et de la psycho-systématique, une et constante, dans une langue donnée à une
époque donnée, et de la psycho-sémiologie non assujettie à être le miroir fidèle de la
psycho-systématique. Il faut regretter que le Français moderne, lorsqu'il ouvre un débat
de théorie, ne s'enquière pas de savoir si la contradiction se rapporte effectivement à
ce qu'elle prétend infirmer.

La thèse explicitement soutenue dans le numéro du Français moderne d'avril 1952
est que le linguiste est fondé à ne connaître que l'apparent. C'est là un ne ultra
inadmissible, contraire à l'esprit même de la science, dont la visée est essentiellement
de découvrir sous les apparences sensibles la réalité qu'elles masquent. L'univers parle
incessamment à l'homme de choses qui ne ressemblent pas. « Il n'est de science que de
ce qui est caché ». Cette pensée d'A. Bachelard est mon credo.

Au lieu de rechercher la quiétude que lui procurerait une investigation limitée à
l'apparent, la linguistique doit résolument prendre son parti de l'inquiétude qui fait
le tourment des autres grandes sciences, au regard desquelles l'apparent est incessamment
une invitation à découvrir la réalité — secrète jusqu'à ce qu'on l'ait découverte
— que les apparences recouvrent.

54. La 3e personne du pluriel du prétérit défini, dans la conjugaison des verbes à r
d'infinitif fermant surtout, est un exemple remarquable de réussite de la psycho-sémiologie.
La place nous manque pour le faire voir (voir note 8, p. 245).

65. La conjugaison athématique est celle résultant de l'addition au radical primaire
(chant-) ou au radical secondaire (chanter- : infinitif en position de radical) des terminaisons
de présent ou d'imparfait de l'auxiliaire avoir. La conjugaison thématique, celle
qui ne doit rien aux terminaisons de cet auxiliaire.

76. L'opérateur de la construction du futur est selon l'explication traditionnelle la
contraction en discours, dans la chaîne parlée (Saussure), d'une périphrase formée de
l'infinitif et de certaines formes temporelles du verbe habeo. Selon l'explication ici
produite l'opérateur est hors discours, dans la potentialité de la langue (l'observable
n° 2, dont l'histoire est tout entière à écrire ; l'observable n° 1 est le discours
parlé ou écrit), l'assemblage d'éléments formateurs préalablement individués dans
l'esprit, à savoir : l'infinitif, habile à tenir la position de radical ; les terminaisons
de présent et d'imparfait de l'auxiliaire avoir passées à l'état d'éléments flexionnels,
à la suite d'une dématérialisation de l'auxiliaire avoir devenue totale (V. BSL, n° 115,
1938). Dans l'auxiliaire-mot, la dématérialisation du verbe est déjà considérable et,
de plus, en français croissante. A la limite de l'accroissement, elle se présente telle que
la partie radicale du verbe n'a plus de raison d'exister, ce dont elle est le signe (la
matière = idéation notionnelle) n'existant plus. Il reste une flexion (= idéation de
structure) utilisable à la condition de lui trouver un support, qui est l'infinitif. Telle
est l'opération psycho-sémiologique. A une construction de futur déjà opérée en pensée
(psycho - systématique) elle apporte une sémiologie satisfaisante. La périphrase :
infinitif + présent ou imparfait de l'auxiliaire avoir apparaît en tout ceci n'être qu'un
catalyseur. Aussi bien, pour ce qui est de sa signification propre, la périphrase a-t-elle
été conservée, le moyen employé à cet effet ayant été l'addition au verbe avoir de la
préposition à, qui en consolide le sens premier d'obligation : j'ai à dire…

La linguistique historique, jusqu'à présent, ne s'est intéressée qu'aux faits relevant
de l'observable n° 1, qui est le discours et la momentanéité de ses effets ; il lui faudrait,
pour devenir une science complète, s'intéresser, en outre, aux faits, moins visibles mais
non moins réels
, relevant de l'observable n° 2, qui est la langue et sa potentialité
permanente. La variation historique est une chose, dans le champ variationnel de
l'observable n° 2, dont il n'a pas été expressément tenu compte jusqu'ici. Au cas où
la linguistique historique étendrait son observation à l'observable n° 2 (la potentialité
de la langue) la distinction saussurienne de la diachronie et de la synchronie perdrait
sa raison d'être. L'explication historique suffirait à tout. Cette extension est, à mes
yeux, l'avenir de la linguistique historique — un avenir immense qui en changera
l'aspect. Ainsi que me le disait Meillet, les faits observés resteront les mêmes, mais ils
se « masseront » autrement.

87. Il .m'a été reproché de divers côtés de ne pas tenir compte de l'ancienneté différente
du prétérit défini et du futur. C'est là un reproche dénué de pertinence. Le locuteur,
en effet, ne parle pas avec l'histoire de la langue, mais avec le résultat de cette
histoire qui est, en l'espèce, la coexistence (et l'égalité sous le rapport de l'existence)
de ces deux formes verbales.

98. Aux verbes à -r d'infinitif fermant (chanter), le français oppose les verbes à -r
d'infinitif ouvrant (rendre, recevoir, sortir, finir). Cette classification basiale, en liaison
plus étroite avec la morphologie du français que la classification accoutumée, est celle
adoptée dans mon enseignement. Dans la série des verbes à -r d'infinitif ouvrant, le
prétérit défini athématique est inexistant, et le thème-voyelle, employé à toutes les
personnes, est en -u- ou en -i- et non pas en -a-. Le thème en -a- est en français réservé
à la série des verbes à -r d'infinitif fermant. Il est concurrencé dans le mode indicatif
de ces verbes (prétérit défini) par la conjugaison athématique utilisant aux trois personnes
du singulier les mêmes terminaisons que le futur (chant-ai, chanter-ai). Au mode
subjonctif, la conjugaison de l'imparfait de ce mode est exclusivement thématique, avec
thème en -a- (verbes à -r d'infinitif fermant), en u et en i (verbes à -r d'infinitif
ouvrant) à toutes les personnes. Ex. : que je chant-a-sse, qui je voul-u-sse, que je
sort-i-sse, que je v-in-sse (thème en -i- nasalisé). La place me manque pour une description
complète du mécanisme de la conjugaison thématique. Un premier article portant
le même intitulé contenait cette étude. Il a été jugé trop long et j'ai dû en retirer
des choses d'un haut intérêt, parmi lesquelles une étude de la 3e pers. plur. du prétérit
défini qui n'est expressément ni thématique ni athématique, et constitue une remarquable
réussite de la psycho-sémiologie.

109. Le présent se recompose de deux parcelles de temps soustraites l'une au futur et
l'autre au passé. Ces deux parcelles ont reçu dans mes écrits le nom de chronotypes
et y sont respectivement notées par les lettres grecques α et ω. Le chronotype α désigne
la parcelle soustraite par le présent au futur ; le chronotype ω, la parcelle soustraite
par le présent au passé.