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Guillaume, Gustave. Langage et science du langage – T19

Observation et explication
dans la science du langage 1

… Lorsque la division de nos pensées
n'est pas bien faite, elle brouille
plus qu'elle n'éclaire. Il faut qu'un
écuyer tranchant sache les jointures…

Leibniz,
Lettre à Gallois, 1677.

On explique selon qu'on a su comprendre. On comprend selon qu'on
a su observer. Compréhension et explication sont, en toute science où elles
sont recherchées, tributaires d'une observation qui devra pour susciter
pleinement l'une et l'autre être fine et complète. Elle tiendra sa finesse de
l'acuité de vision physique et mentale de l'observateur et sa complétude du
rigoureux souci qu'il aura de tenir sous son regard, sans en laisser échapper
aucune partie, l'entier de l'objet en cause. Dans la science très particulière
du langage, science d'une avant-science dont l'existence naturelle
est la condition d'existence de toutes les autres, l'observation doit, pour
atteindre à la complétude, avoir accès à tout le su naturel en l'absence
duquel la construction du langage n'aurait pas été entreprise et en la
défaillance duquel elle n'aurait pas été continuée. Ledit su n'est pas un su
de savoir, c'est, chose bien différente, un su de lucidité. De ce su de lucidité,
tout état construit du langage représente une mise en œuvre. Observatrice
d'un ou de plusieurs de ces états construits, la linguistique se
propose d'y reconnaître cette mise en œuvre. Produire sciemment en elle
une vue de ce qu'insciemment a été en eux la mise en œuvre de ce su
naturel de lucidité est son objectif et sa tâche. Aucune science d'observation
plus que la science du langage n'est serve de l'observé. Il est demandé
à la science du langage de nous introduire aussi avant que possible à une
connaissance de ce qui a lieu dans l'homme pensant lorsque, selon la brillante
aperception du regretté philosophe Delacroix, la pensée y « fait le
langage en se faisant par le langage ».

L'attitude du linguiste à l'endroit du langage, est une attitude de
272curiosité. Il s'en propose, par une. première tension de curiosité, une connaissance
de l'ordre du voir qui fait concevoir ; et par une seconde tension
de curiosité, une connaissance de l'ordre du concevoir faisant voir, le voir2,
second, racine au concevoir, étant d'une autre qualité que le voir1, premier,
racine à l'étiage du voir. En l'état présent des choses, la seconde tension
de curiosité n'est pas paritaire de la première et un mal dont, à son insu,
souffre la linguistique actuelle est d'être devenue un grand voir de ce qu'est
le langage et d'en être demeurée un concevoir, un comprendre petit.

Un premier pas, heureux, dans la voie d'une connaissance pénétrante
du mouvement et des formes de mouvement qui font la structure et, sous
la structure, l'architecture du langage, est la découverte en tout idiome —
le paramètre a valeur universelle — d'une partition selon laquelle, le long
et sous le dévidement péribolique 2 des formes de langue destinées à saisir
de la substance linguistique, passe le dévidement hypo-péribolique de substances
de langue offertes à la saisie des formes, afin que l'une de celles-ci,
opportunément, s'approprie une substance passante, ce dont la conséquence
est la constitution d'un vocable.

La caractéristique principale des formes périboliques est leur appartenance
à une série close de formes, dont le nombre ne peut, à aucun
moment, par volonté du locuteur, être augmenté. Le compte des formes
grammaticales d'une langue est, à date historique donnée, un compte virtuellement
fini. La caractéristique principale des substances hypo-périboliques
est leur appartenance à une suite non close de substances dont le
nombre peut, à tout moment, par volonté du locuteur, être augmenté. Le
compte des substances de langue est un compte, à date historique donnée,
virtuellement non fini. Qu'il soit besoin d'un mot nouveau, il est créé, et
pour le créer le chemin suivi est l'import à une forme de langue déjà existante
d'une substance de langue jusque-là, comme telle, non encore existante.
Tout chacun peut aisément s'assurer de l'exactitude de ce qui vient
d'être énoncé.

Configuré, ce mécanisme de dévidement de ce qui pour être formé
s'avance sous et au-dedans de ce qui se présente pour former serait quelque
chose comme ce qui suit :273

image formes saisissantes | substance passante

De x en et vice versa : de la substance passant pour être saisie.
De y en  : l'incidence (↓) d'une forme saisissante à de la substance saisie.

Les grammairiens et, plus tard, les linguistes — ceux-ci pas mieux que
ceux-là — ont reconnu empiriquement, de loin, ce mécanisme, mais faute
d'une approche suffisante qui les eût induits à le configurer, ils n'en ont
eu qu'une vue incertaine. Les linguistes ont nommé sémantique le défilé
peu ordonné, non systématisé, des substances et morphologie le défilé
ordonné, systématisé, des formes et, sous ces noms qui les intitulent et
les distinguent, ont fait de chacun des deux défilés une persévérante et
pénétrante étude ; mais sans arriver à reconnaître qu'il n'y a là que la
rencontre par le mouvement constructeur du langage d'un centre d'inversion
dans l'en-deçà duquel, alourdi en sa marche par trop de matière
portée, il se présente pour être agi ; d'où les substances inventées pour être
saisies
 ; et dans l'au-delà duquel, allégé de ce trop de matière à porter, il
se présente pour agir ; d'où les formes inventées pour saisir de la substance.
Il faut regretter qu'une investigation trop tôt tournée, par un faux
réalisme, du côté de la conséquence, et pas assez prolongée, par réalisme
vrai, du côté de la condition, qui autant et en un certain sens plus que
la conséquence fait partie de la réalité linguistique — il faut regretter
qu'une investigation ainsi conduite, ce qui en fut l'erreur, ait privé et les
grammairiens et les linguistes d'une vue assurée de ce mécanisme constructeur,
élégant et simple, substratum universel de l'ontogénie du langage.
L'observation linguistique des cent dernières années y a beaucoup perdu
en puissance explicative.

Ainsi que toute science, la science du langage a deux racines : une
racine au voir et une racine au concevoir (au comprendre) 3 qui sont pour
elle sources de deux éclairements simultanés et inégaux — de la diathèse
(de la combinaison arrangée) desquels elle tient sa puissance de pénétration
du réel observé. Cette diathèse prend dans la science du langage la forme
d'une dèse circonscrite, en dehors d'elle voyante, et d'une hypodèse inscrite,
non voyante en dehors d'elle, les clartés inhérentes au voir pouvant être
départies à la dèse et les clartés inhérentes au concevoir à l'hypodèse, ou,
inversement, les clartés inhérentes au concevoir départies à la dèse et les
274clartés inhérentes au voir à l'hypodèse 4. De là, différenciées dans la science
du langage par position et par composition, deux syndeses : une syndèse
autoptique
5, opérante en premier, inclusive d'un voir déféré à la dèse et
d'un concevoir déféré à l'hypodèse, et, complémentairement, l'usage en
étant moins obligé, une syndèse cryptologique, opérante en second, inclusive
d'un concevoir déféré à la dèse et d'un voir déféré à l'hypodèse, —
syndèses que devra toutes les deux comprendre une science du langage
complète, non déficiente en ses possibles moyens, et, de ce chef, capable
d'en appeler à la puissance d'éclairement de la seconde syndèse lorsque la
puissance d'éclairement de la première apparaît, relativement à la curiosité
linguistique en vigueur, insuffisante.

La causation du langage comprend trois moments successifs : a) Un
moment de causation obverse, causateur du causé construit non encore
existant ; b) Un moment d'existence du causé construit, non encore employé ;
c) Un moment de causation déverse, porteur de l'emploi du causé construit.
L'emploi du causé construit, c'est le discours : d'où l'équation :
causation déverse = discours ; le causé construit, antécédent dans la causation
du langage à la causation déverse, et donc au discours, c'est la
langue : d'où l'équation : causé construit = langue 6 ; la causation obverse,
c'est la causation mentale de la langue, c'est-à-dire du causé construit en
pensée, et pas encore en signe : d'où l'équation : causation obverse = causation
exclusivement mentale de la langue, c'est-à-dire du causé construit
mentalement mais non encore physiquement édifié.

Le causé construit, c'est par tempus primum la langue, ouvrage
275construit en pensée et en pensée seulement, et par tempus secundum 7,
la langue construite en pensée et en signes. On a ainsi pour l'entier de la
causation du langage :

tableau entière causation du langage | causé construit | causation obverse | tempus primum | tempus secundum | causation déverse | langue se construisant en pensée : non encore construite comme telle | langue construite en pensée (1er état) | langue construite en signes | langue employée, déjà construite en pensée et en signes | langue construite en pensée (2e état) | causation déverse = discours | positions d'observatrice permises à la science du langage | plan cryptique (2e champ d'observabilité) | plan acryptique (1er champ d'observabilité) | absence de physisme | présence de physisme | mentalisme observé à découvert | mentalisme observé à couvert sous signe physique | champ opératif de la syndèse cryptologique | champ opératif de la syndèse autoptique | mécanisme syndésique : concevoir/voir | mécanisme syndésique : voir/concevoir276

La ligne axiale yyʹ du diagramme ci-dessus partage le causé construit
en ses deux temps constitutifs : le tempus primum pendant lequel, édifié
en pensée seulement, il se mentalise, sans plus ; et le tempus secundum
pendant lequel, déjà mental, il se physifie. Cette partition vaut extensivement
pour la causation entière du langage qu'elle divise en deux plans,
un plan cryptique où s'opère la construction exclusivement mentale du
causé construit non encore physifié, et un plan acryptique (optique) où le
causé construit, mental seulement jusque-là, achève de s'édifier en se
physifiant.

La syndèse autoptique SA, où le voir siège à la dèse et le concevoir à
l'hypodèse, emporte avec elle un status d'entendement 8 dont la caractéristique
mécanique est que le voir et le concevoir s'y présentent antagonistes,
la dominance ne cessant pas d'appartenir au voir. Il est prescrit en
syndèse autoptique d'avoir sous un voir de dèse plein un concevoir d'hypodèse
non plein, et il y est permis au concevoir toute variance de puissance
entre plénitude et nullitude, l'une et l'autre en position de limites aussi
approchées que l'on voudra mais non atteintes 9. On peut donc avoir en
syndèse autoptique sous un très puissant voir un concevoir très peu puissant,
c'est-à-dire, en résultat, un grand « savoir » et un petit et même
très petit comprendre. C'est, d'une manière générale, ce à quoi est arrivée
dans ses travaux la linguistique traditionnelle. De là le reproche qui lui a
été récemment fait de ne nous avoir en un siècle et demi d'imposants travaux
que fort peu instruits de la nature du langage — laquelle est en lui
l'extrêmement caché à quoi peut accéder une linguistique dont les moyens
d'éclairement et de pénétration sont ceux très puissants de la syndèse cryptologique,
les moyens moins puissants de la syndèse autoptique n'y suffisant
pas.277

Il n'est pas exclu en syndèse autoptique que sous un voir maxime
— ce qu'il est toujours, siégeant en dèse 10 — se déclare un concevoir quasi
maxime, mais l'approche de cet état syndésique d'égalité du voir maxime
et d'un concevoir pareillement maxime est celui du moment où la syndèse
autoptique devra démissionner au bénéfice d'une syndèse jusque-là non
encore entrée en fonction, la syndèse cryptologique où, hors mérotropie,
la mérotropie désertée 11, s'instituera une relation du voir et du concevoir
jusque-là non existante.

Déserter la mérotropie, c'est en fermer l'aire et ouvrir l'aire de la plérotropie 12.
Le finalisme de l'opération est à ce moment de porter le concevoir
à la parfaite plénitude et le voir à la parfaite nullitude. L'opération
met en cause le fait de composition de la syndèse et celui de position en
celle-ci de ses composants. Par composition la syndèse s'accuse inclusive
d'un concevoir porté à la parfaite plénitude et d'un voir porté à la parfaite
278nullitude, et par position en elle de ses composants d'un concevoir siégeant
à la dèse et d'un voir siégeant à l'hypodèse. On a en syndèse cryptologique
par premier état :

Dèse = concevoir au parfait de plénitude. Hypodèse = voir au parfait
de nullitude.

Conservé tel, cet état apertural de la syndèse cryptologique en susciterait
l'extinction, aucune syndèse — la condition est impliquée dans le
terme même de syndèse — ne pouvant comprendre moins de deux termes.
Condition non positivement satisfaite, si l'un des deux termes s'y présente
porté à la nullitude 13 sous un concevoir porté à la plénitude. La difficulté
initialement rencontrée — qui sera finalement levée — c'est de faire positivement
existante la syndèse cryptologique nonobstant que le second de
ses deux termes, l'hypodèse siégeant au voir, y doive affronter, obligé d'y
satisfaire, la condition de nullitude. Le mécanisme de levée de cette difficulté
va être examiné.

Pour qu'une syndèse cryptologique devienne un status d'entendement,
il lui faut, toutes autres conditions de forme satisfaites par ailleurs, s'accuser
efficiente. Et pour qu'elle s'accuse efficiente, que le voir, si puissant
qu'y soit devenu le concevoir, n'y soit point un non-voir, un voir négativé.
La positivité recouvrée du voir est dans une syndèse cryptologique une
condition sine qua non de son existence comme status d'entendement 14.

De disposer d'une syndèse cryptologique parfaite mais inefficiente en
son état apertural parfait n'apporterait à la science du langage aucune possibilité
de tirer parti de cet état et, née de cette carence, l'obligation s'ensuivrait
d'un retour pour efficience syndésique à la syndèse autoptique.
C'est ce que fait la linguistique traditionnelle — à tort — faute d'avoir
reconnu, latente dans le parfait inefficient de la syndèse cryptologique, la
possibilité d'une mutation de ce parfait en un plus-que-parfait efficient —
transcendant et le parfait et son inefficience.

L'état de parfait de la syndèse cryptologique en représente l'intégrale
immanence, l'état de plus-que-parfait la transcendance de cet entier d'immanence.
La résolution opérée de la syndèse cryptologique parfaite et
inefficiente en syndèse cryptologique plus-que-parfaite efficiente, les possibilités
(théoriques) de la science du langage sont fort exactement :279

tableau imparfait | parfait (transcendant l'imparfait) | plus-que-parfait (transcendant le parfait) | syndèse autoptique, unique état de définition | syndèse cryptologique, état apertural de définition | syndèse cryptologique, état transapertural de définition | dispositif mécanique : voir/concevoir | dispositif mécanique : concevoir/voir | dispositif mécanique : concevoir/voir 2 | notation | efficience dans les limites imposées par le dispositif mécanique | inefficience par nullitude du voir siégeant à l'hypodèse | efficience recouvrée par transnullitude du voir siégeant à l'hypodèse

et, conséquemment, en éliminant du diagramme ci-dessus le parfait inefficient
et, par là, comme inexistant de la syndèse cryptologique :

image syndèse en élimination | syndèse autoptique | syndèse cryptologique efficiente 15

La linguistique traditionnelle a jusqu'ici opéré en syndèse autoptique
et s'est désintéressée de toute opération en syndèse cryptologique, — source
d'éclairement et de pénétration pour elle inexistante. C'a été là sa grande
erreur, qui en a empêché le développement dans le sens de sa véritable
vocation : parvenir à une connaissance du dedans et de la nature de son
objet.

Erreur dont la cause est une prémonition insuffisante de ce que peut
être une transnullitude de nullitude lorsque la nullitude outrepassée est
280celle d'un voir siégeant en syndèse cryptologique à l'hypodèse. La transnullitude
est, il va de soi, un plus de nullitude, c'est-à-dire, sous régime
d'addition, de la nullitude ajoutée à de la nullitude ; en formule : nullitude
+ nullitude. La transnullitude est aussi, en outre, un plus que du
plus de nullitude lorsqu'elle devient, sous régime de multiplication, de la
nullitude multipliée par de la nullitude ; en formule : nullitude × nullitude.
On a alors au résultat — au produit — de la nullitude de nullitude, c'est-à-dire
un contraire de nullitude, issu de ce qu'à l'état de parfait (S) de
la syndèse cryptologique a été substitué, par une transcendance qui est
celle de l'immanence de la syndèse, l'état de plus-que-parfait (S).

Le transitus de la nullitude à la transnullitude que l'on vient théoriquement,
mécaniquement, par mouvement et forme de mouvement,
d'identifier se présente en premier sous un régime d'addition et en second
sous un régime de multiplication qui, au résultat, s'équipollent, le situs
endopsychique de l'opération étant, hors l'arithmétique, celui que représente,
dans l'arithmétique, le nombre 2, duquel une propriété est l'égalité
de son addition à lui-même (2 + 2 = 4) et de la multiplication de lui-même
par lui-même (2 × 2 = 4). Le nombre 2 tient cette propriété de ce
qu'il est en nomographie philosophique, si l'on ose s'exprimer ainsi, le
nombre nécessaire et suffisant de relation. Pour qu'il y ait relation, il faut
et il suffit que deux soient l'un à l'autre rapportés.

Inefficiente en son état parfait apertural (S) la syndèse cryptologique
s'accuse efficiente en son état plus-que-parfait (S) transapertural.
La question se trouve par là implicitement posée de savoir ce qu'ont de
spécifiquement limitatif le parfait et le plus-que-parfait, habiles l'un et
l'autre à dire l'intégrité de l'objet, à en dire non mêmement une mêmeté
(le mot est de Voltaire). Cette question est celle de l'essentielle différence
du parfait et du plus-que-parfait, c'est-à-dire celle de leur différence au
plus près de la non-différence. Il peut être, en bref, répondu à la question
en ces termes : le parfait consiste à déterminer l'intégrité de l'objet par
position prise en lui au plus près de la plus proche position pouvant être
prise en dehors de ce dont il dit l'intégrité. Déterminée sur limite interne,
cette limitation parfaite immanente, non transcendante de l'intégrité considérée,
sera, en la figure explicative qui suit, notée l. Le plus-que-parfait,
lui, consiste à délimiter l'intégrité de l'objet par position prise hors lui au
plus près de la plus proche position pouvant être prise en lui. Déterminée
sur limite externe 16, cette limitation plus-que-parfaite, non immanente,
transcendant l'intégrité considérée, sera notée L. En figure explicative, on
281aura pour le parfait : l | intégrité en délimitation et pour le plus-que-parfait :
L | intégrité en délimitation

L'originalité de la linguistique augmentée, doublée par le retournement
du mécanisme de syndèse autoptique voir/concevoir en un mécanisme
de syndèse cryptologique concevoir/voir est d'en appeler aux moyens
d'éclairement et de pénétration de la syndèse cryptologique plus-que-parfaite
(S) L'originalité de la linguistique traditionnelle est de n'en
appeler qu'aux seuls moyens d'éclairement de la syndèse autoptique, pour
des raisons qui peuvent avoir été une aperception obscure de l'inefficience
du parfait de syndèse cryptologique, mais ont été et sont surtout un refus
de considérer le mentalisme de signifiance d'une forme de langue indépendamment
du physisme de représentation qui en permet l'emploi.

Mus par une curiosité plus grande que celle de la grande majorité des
linguistes, les guillaumiens — c'est ainsi qu'ils se dénomment maintenant
eux-mêmes — ne se contentent pas, en présence d'un fait ou d'un système
de faits qui se présentent à la science du langage pour y être expliqués,
d'en produire, pour explication, une observation suivant laquelle le mentalisme
est perçu à couvert sous son physisme de représentation, ils en
veulent produire et en produisent, une observation — rendue possible par
an progrès de technique et de méthode — suivant laquelle le mentalisme
de signifiance est perçu à découvert, non couvert par le physisme de
représentation, qui, pour autant qu'il se fait voir masque la vue du mentalisme
de signifiance qu'il recouvre 17.282

Est autoptique, et en son entier efficiente, la linguistique qui en appelle
à la puissance d'éclairement de la syndèse SA : à cette linguistique n'est
ouvert que le plan acryptique où rien n'est qui n'ait une apparence sensible.
Est cryptologique et efficiente in fine, en S, la linguistique qui en appelle
à la puissance d'éclairement et de pénétration de la syndèse SB : à cette
linguistique est ouvert le plan cryptique où rien n'est qui ne soit privé
d'apparence sensible.

Les deux linguistiques livrent chacune une dyade qui leur est propre.
La dyade livrée par la linguistique autoptique, c'est : physisme de représentation/mentalisme
de signifiance.

La dyade livrée par la linguistique cryptologique c'est : mentalisme
de signifiance décroché de son physisme de représentation/mentalisme de
sub-signifiance (mentalisme de soubassement) éclairant par en-dessous le
mentalisme de signifiance superposé 18.

Le mentalisme de signifiance « décroché », dans une science qui veut
s'en procurer une vue à découvert, de son physisme de représentation peut
y être, si la conduite de l'observation le requiert, accroché de nouveau,
puis de nouveau décroché. La liberté de mouvement de l'observateur est,
à cet égard, entière. Il est permis dans une linguistique dont la formule
puissancielle est SA + S de transiter autant de fois que ce peut être
utile du plan cryptique au plan acryptique et vice versa.

A la racine du doublement de mentalisme, mentalisme de signifiance/
mentalisme de sub-signifiance, il y a le principe qu'il n'est rien de dicible
dans le langage, qui n'ait été préalablement, avant qu'il ne soit question
d'en inventer un dire possible, du vu en pensée. A ce vu en pensée préexistant
au dicible, on a donné dans notre enseignement le nom de vu hypobasique.
Le mentalisme de sub-signifiance assure, transitionnellement, la
transformation du vu hypobasique en dicible. On relèvera, comme un fait
important, intéressant la nature du langage, que le vu en pensée traduit
dans le langage en dicible n'est connu du locuteur que sous le second
283aspect 19. Une tâche de la linguistique, son ultime et plus haute tâche, déjà
avancée chez les guillaumiens, pour l'accomplissement de laquelle le
concours d'une philosophie ajustée à ses besoins lui sera précieux 20, est
284de retrouver sous ce qui est dans le langage du dicible formel — de structure
et d'architecture — ce qui en fut, au profond de la pensée, le vu de
départ.

Dans la dyade livrée in fine (en S) par la linguistique cryptologique,
le mentalisme de sub-signifiance siège à l'hypodèse sous le mentalisme de
simple signifiance siégeant à la dèse, et décroché pour examen à découvert
de son physisme de représentation. Il apparaît ainsi que dans la dyade
cryptologique, in toto mentale, le mentalisme de signifiance est au mentalisme
de sub-signifiance ce qu'est le physisme de représentation au mentalisme
de signifiance à lui accroché. Remarquable est l'homographie 21
architecturale des deux dyades, l'autoptique et la cryptologique. Elle
témoigne du fait que la science du langage après avoir employé jusqu'à
épuisement ses moyens d'investigation à la connaissance de ce qui a lieu
dans un plan de l'ontogénie du langage en répète l'emploi pour la connaissance
de ce qui a lieu dans un plan plus profond de cette ontogénie.

Un trait de la linguistique guillaumienne qu'il convient de signaler,
c'est que sa grande nouveauté ne la fait nullement subversive : elle ajoute,
elle ne révoque pas. Tout ce que la linguistique traditionnelle sait faire,
elle sait le faire non moins bien, parfois mieux, et elle ne manque en
aucune question traitée, de confronter les résultats obtenus en linguistique
autoptique avec les résultats correspondants obtenus en linguistique cryptologique,
ceux-ci étant un éclairement puissant, inattendu, insoupçonné
en général, de ceux-là, dont l'intérêt s'en trouve non pas diminué mais
augmenté considérablement 22.

Des chemins qu'a suivis la science du langage pour accroître sa puissance
d'éclairement et de pénétration de son objet, ce qui précède, représente,
reconnu par moyens combinés d'observation directe et d'observation
analytique, le tracé. Il reste à prouver que le tracé de ces chemins n'est pas
seulement le dévidement dans l'esprit d'une série de vérités de théorie, mais
celui, ce qui n'est apparu que de loin jusqu'à présent, d'une suite isologue
de vérités de fait — vérité de fait signifiant ici réalité. Telle va être maintenant
notre tâche. Il est affirmé dans cet écrit que le mentalisme de signifiance
du langage peut être, en science du langage complète, autoptique et
cryptologique, décroché de son physisme de représentation et examiné à
découvert indépendamment de ce physisme, ce dont le résultat est une représentation
figurative de ce mentalisme, alors qu'il est dans l'esprit du vu en
pensée non encore transformé en du dicible de langage, quelle que soit de ce
dicible l'espèce : geste, écriture, parole, etc. Il reste à établir qu'il en est
285bien ainsi en fait. Ce travail de seconde preuve, de preuve par le fait de ce
qui a été prouvé en théorie, est ici — n'y ayant point encore été entrepris —
devant nous. Il n'y est, au vrai, que pour une petite part, ayant été accompli
pour une part importante, majeure, dans notre enseignement à l'Ecole des
Hautes Etudes, auquel nous ne ferons qu'emprunter ce que la place dont
nous disposons dans cette revue nous permet d'en faire connaître au lecteur.

Le seul moyen, pleinement convaincant, qu'on ait de s'assurer, par
preuve de fait, de l'exactitude des théories avancées antécédemment dans le
présent article, c'est partant d'un fait de langage ou d'un système de faits de
langage qui se présentent à la science du langage pour y être expliqués d'en
produire successivement et comparativement une première observation
consécutive à un transport du fait ou du système de faits dans le plan
acryptique, champ opératif de la syndèse autoptique (v. fig., p. 276) et une
seconde observation consécutive à leur transport dans le plan cryptique
(v. même fig.), champ opératif de la syndèse cryptologique. L'accomplissement
de ce programme est reporté à une partie seconde de cet écrit.

Il nous eût plu dans cette partie seconde de présenter les preuves de
fait dont les preuves de théorie sont requérantes, en les rapportant, comme
il est de pratique courante dans notre enseignement oral, à de nombreux
faits, les uns très particuliers, les autres très généraux, appartenant à des
idiomes d'une ancienneté typologique différente. La place fait défaut et
nous devrons nous y borner à présenter des preuves se rapportant à deux
grands faits seulement de linguistique française qui se retrouvent, apparemment
changés plus ou moins mais identiques pour l'essentiel, dans de
nombreux idiomes de même typologie ou d'une typologie voisine, et ont
été ici préférentiellement retenus parmi d'autres d'un intérêt égal, pour la
raison qu'ils sont de petit volume, peu encombrants et d'un maniement
facile. La preuve apportée ne s'en trouve pas diminuée en qualité, mais en
quantité seulement. Il s'en pourrait suivre dans la pensée du lecteur un
doute quant à la possibilité d'une preuve de fait égale dans un champ
linguistique plus étendu. Il est dès maintenant prié d'éloigner de lui ce
doute, assurance lui étant donnée que cette preuve étendue de caractère
expérimental a été largement produite au cours de nos conférences des
trois dernières années à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, devant un
auditoire compétent dont les objections n'ont pas cessé d'être sollicitées
et auquel le goût d'objecter ne manquait pas.286

1. Les Etudes Philosophiques, Presses Universitaires de France, Paris, octobre-décembre 1958.

2. « Péribole » a ici le sens de circuit. Les formes grammaticales dont une unité
de langue (un mot de nos langues) emporte avec soi dans un idiome donné à une
époque donnée la possibilité forment un circuit, pouvant être parcouru inclusivement
de son premier à son dernier terme et vice versa, et duquel il est prescrit, par l'architecture
de la langue, de ne pas sortir. Par exemple : les cas de déclinaison du nom
latin ; les formes de conjugaison du verbe français, la série des prépositions, celle des
articles dans la même langue ; celle des voyelles de traitement de la racine pluriconsonantique
dans les langues sémitiques ; la série des parties du discours dans les
idiomes dont l'architecture est in toto rapportée aux formes intégrantes de cette série,
inclusive de cas spécifiés d'extrême généralisation — d'universalisation. L'ensemble des
formes grammaticales d'une langue est universellement, là où la glossogénie a pour
aboutissant un état construit de la langue — ce qui suppose accomplie une suffisante
désertion de la turbulence mentale originelle — un mouvement de pensée sous des
formes de mouvement périboliques. Les paradigmes grammaticaux présentent chacun,
cas pour cas, un péribole de formes. L'entier psycho-systématique d'une langue est un
péribole de ces périboles — et par là : un système péribolique (intégrant) de systèmes
périboliques (intégrés).

3. Concevoir peut, sans inconvénient, être, dans cet article, assimilé à « comprendre ».
Les mécanismes syndésiques opposables seraient en ce cas : 1. Voir/comprendre (syndèse
autoptique) ; 2. Comprendre/voir (syndèse cryptologique). « Concevoir » représente l'intégrité
parfaite (immanence non outrepassée) de l'opération mentale en cause ; « comprendre »,
en représente l'intégrité plus-que-parfaite (immanence transcendée). Voir plus
loin, page 281-282, les explications concernant la différence des deux états de concevabilité
de la même intégrité.

4. La pensée humaine dans ce qu'elle a d'essentiel est une montée du « voir » au
« concevoir », livrant du « comprendre ». Ce mouvement de montée au « concevoir »
rencontre en lui un centre d'inversion qui en divise l'entier dynamisme en deux tensions
mécaniquement inversées, homologues. Engagée à partir du « voir », la première tension
dont la forme de mouvement est : voir1concevoir1 apporte à la pensée humaine
des clartés dérivées du voir. La seconde tension : concevoir2voir2, engagée à
partir du « concevoir » apporte à la pensée humaine des clartés dérivées du concevoir.
De là pour l'entière montée du « voir » au « concevoir » les deux mécanismes syndésiques
dont dispose la pensée humaine, et, plus étroitement, la science du langage :
1. Voir, et selon qu'on voit concevoir ; 2. Concevoir et selon qu'on conçoit voir. — On
rencontre là, au plus près de sa condition de départ, un chassé-croisé qu'on retrouve,
sous des apparences combinatoires diverses, dans toute l'architecture du langage, et
conséquemment dans toute la science du langage, observatrice de cette architecture.

5. Autoptique et cryptologique sont des termes employés par Ampère dans son
Essai sur la philosophie des sciences. Leur acception dans cet ouvrage avoisine de très
près leur acception dans le présent article.

6. Le linguiste, peu savant ou très savant, doit incessamment tenir compte de la
distinction — d'un usage constant dans notre enseignement — de la langue et du
discours. Rien ne peut être, en linguistique, ni vrai ni clair, si cette distinction y est
méconnue. La langue est une collection d'unités de puissance du langage à la disposition
permanente du sujet parlant en qui elles habitent perdurablement, afin qu'il puisse
s'en servir pour construire par intermittence, s'il juge qu'il est pour lui quelque raison
de le faire, des unités d'effet du langage, non perdurables, éphémères. Unités de puissance
du langage, les unités de langue sont les vocables, mots dans les idiomes morphogéniques,
caractères (les tseu du chinois) dans les idiomes amorphogéniques. Unités
d'effet du langage, les unités de discours sont les phrases. La glossogénie a historiquement
commencé par une différence minimée, qui s'est accrue plus ou moins lentement
suivant les lieux du monde et les civilisations intéressées, de l'unité de langue (le
vocable) et de l'unité de discours (la phrase), autrement dit de l'unité de puissance et
de l'unité d'effet du langage. — Le cas s'exclut, comme impossible, d'un discours qui
serait un emploi plérotrope, non partiel, de la langue. Il n'est de celle-ci dans le langage
que des emplois mérotropes, partiels.

7. Au tempus secundum du causé construit appartient l'invention, la « trouvaille »
du signe. Un temps s'écoule court ou long (inévaluable) entre le moment où le mentalisme
se présente formé et le moment où il découvre pour lui, dans le langage déjà
existant, des éléments convenants de représentation physique — dont la convenance,
qui doit être suffisante, ne sera jamais excessive. Au tempus primum du causé construit
appartient l'achèvement du mentalisme formel de la langue. On notera que ce mentalisme
formel, même en son état achevé, n'est point créateur de sa représentation
physique qui reste à inventer, à trouver dans la langue construite en signes déjà
existante et qui est cherché universellement au plus près. Cette recherche et son
résultat, partout motivé, constituent la psycho-sémiologie chargée de « physifier » le
mentalisme de la langue, lequel est, lui, non pas psycho-sémiologique, mais psycho-systématique.

8. Une langue est un ouvrage construit en pensée auquel se superpose un ouvrage
construit en signes. L'ouvrage construit en pensée en représente le mentalisme de signifiance.
L'ouvrage construit en signes le physisme de représentation. La loi régnante,
psycho-systématique, dans le mentalisme de signifiance est celle, non souple, de cohérence.
La loi régnante, psycho-sémiologique, dans le physisme de représentation est
celle, très souple, de suffisante convenance expressive du physisme au mentalisme
— laquelle convenance, ainsi qu'il a déjà été dit (p. 276, n. 7) ne sera jamais excessive
D'où ceci que la psycho-sémiologie tend, et réussit à la longue, dans les cas favorables,
ceux d'heureuse « trouvaille », à être un calque de la psycho-systématique. En l'état
construit une langue est une relation combinatoire de psycho-systématique et de
psycho-sémiologie, de laquelle le sujet la parlant, qui dans l'immédiat y trouve le
moyen d'extérioriser sa pensée, ne peut s'abstraire, autrement dit un status d'entendement
dont les conditions de représentabilité et de concevabilité sont pour lui de
l'obligé. Le compte des status d'entendement humainement possibles est celui des
langues existantes. Mais les différences séparatives se répartissent en différences structurales,
au nombre de trois, et en différences sub-structurales (architecturales) dont le
nombre relativement grand n'est pas théoriquement déterminable. La place manque qui
permettrait de traiter, fût-ce en très bref, cet important sujet, le plus général, et, en
un certain sens, le plus intéressant de ceux auxquels ait à s'intéresser la science du
langage.

9. Il est prescrit en syndèse autoptique (SA) d'avoir sous un voir de dèse plein et
dominant un concevoir d'hypodèse non plein dominé, et il y est permis toute variance
de puissance de l'hypodèse entre la plénitude et la nullitude, l'une et l'autre en position
de limites aussi approchées que l'on voudra mais non atteintes. Le mouvement
d'approche des limites (plénitude, nullitude) se présente sous forme d'asymptote. Les
deux limites ne sont atteintes qu'en syndèse cryptologique (S) où elles se présentent
finalement en S transcendées (v. p. 279).

10. La dèse et ce qui y siège (voir ou concevoir) sont en toute syndèse maximes,
plérotropes, jamais mérotropes. Dèse et mérotropie, incompossibles pour employer un
terme leibnizien, s'excluent réciproquement. — Il va sans dire qu'il n'est point d'hypodèse
sans dèse.

11. La mérotropie jusque-là existante en syndèse autoptique, et en cette syndèse
seulement (ailleurs la mérotropie est inexistante) est celle d'un concevoir de petite, de
moyenne ou même de grande puissance, siégeant à l'hypodèse et, dans tous les cas, de
moindre puissance que le voir siégeant à la dèse. L'égalité de puissance du concevoir
et du voir s'y traduit par une prédominance du concevoir entraînant l'ouverture de la
syndèse cryptologique où le concevoir siège à la dèse et le voir à l'hypodèse.

12. Pour une juste intellection des deux mécanismes syndésiques : l'autoptique
voir/concevoir et le cryptologique concevoir/voir, il importe d'avoir en mémoire présente
une idée précise des conditions possibles de relation de la mérotropie et de la
plérotropie.

En syndèse autoptique, le voir siégeant à la dèse est plérotrope, en pleine expansion
ininterrompue ; cependant que le concevoir siégeant à l'hypodèse est mérotrope,
partiel, non total quant à lui-même. De là pour le linguiste la faculté de sous-tendre
un grand savoir (un grand voir) d'un comprendre (d'un concevoir) petit, moins petit,
grand même pourvu qu'il soit puissanciellement inférieur au voir plérotrope.

La vocation du concevoir situé en position dominée (hypodèse) sous un voir en
position dominante (dèse) est de grandir puissanciellement, et ce grandissement en se
continuant en arrive à susciter un concevoir égal au voir et comme celui-ci plérotrope.
On se trouve à ce moment mental en présence d'une dèse et d'une hypodèse toutes
deux plérotropes et d'un problème résultant qui est de référer l'une à l'autre, en les
différenciant, les deux plérotropies : celle du voir, siégeant à la dèse, et celle du concevoir
siégeant à l'hypodèse. Maintenir en syndèse autoptique l'égalité puissancielle de la
dèse et de l'hypodèse serait abolir cette syndèse dont la condition d'existence est que
l'hypodèse y soit mérotrope sous une dèse, ainsi que toute dèse, plérotrope. Cette abolition
n'est pas refusée, mais, consentie (la pensée s'est portée à sa rencontre), elle est
outrepassée, transcendée, le moyen employé à cet effet étant, pour une part, de transporter
le concevoir de l'hypodèse à la dèse et, pour une autre part, de faire de la dèse
une plérotropie de plénitude et de l'hypodèse une plérotropie de nullitude. On a à ce
moment une syndèse S dont le mécanisme, à supposer qu'il pût s'instituer effectivement,
serait : à la dèse, plérotropie par plénitude affirmée ; à l'hypodèse, plérotropie
par nullitude affirmée. D'où pour sauvegarde de la syndèse, dont aucun des deux termes
ne doit être nul, un mécanisme qui est, au niveau de la dèse : plénitude × plénitude =
plénitude de plénitude ; et au niveau de l'hypodèse : nullitude × nullitude = nullitude
de nullitude, c'est-à-dire une transnullitude livrant une négation de nullitude, laquelle,
la nullitude s'y trouvant négativée, se présente positive et occupe en syndèse cryptologique
la position transcendante S. Ce par quoi la science du langage dispose de
moyens d'éclairement et de pénétration de son objet, inexistants jusque-là, et actuellement
ignorés de la linguistique traditionnelle, dont les moyens d'investigation sont
restés ceux, non outrepassés, de la syndèse autoptique. Des preuves de fait nombreuses
pourraient être produites de la puissance de pénétration de la syndèse cryptologique
transcendée. La place dont il faudrait disposer pour les pouvoir produire fait défaut.

13. On retiendra que porter un terme de syndèse — en fait l'hypodèse, en syndèse
cryptologique — au parfait de nullitude, c'est annuler ce terme, le faire inexistant
dans la syndèse qui, réduite à un terme unique — il en faut a minima deux pour qu'il
y ait syndèse — s'en trouve abolie. La syndèse cryptologique à ce moment entre en
défense et se rétablit, mouvement de sauvegarde, en portant la nullitude à la transnullitude,
positivée en tant que négation de nullitude.

14. Un status d'entendement requiert pour exister que l'hypodèse n'y soit pas
parfaitement nulle. De là deux conséquences successives : en syndèse autoptique, le
retournement du mécanisme voir/concevoir en un mécanisme concevoir/voir devenu,
le retournement accompli, celui de la syndèse cryptologique, par là ouverte ; et en
syndèse cryptologique, inefficiente en l'absence de cette ultime opération, la transcendance
du parfait de nullitude et sa résolution en un plus-que-parfait de transnullitude.

15. La résolution du parfait de nullitude en plus-que-parfait de nullitude constitue
un franchissement de seuil. On notera qu'un franchissement de seuil est dans l'architecture
du langage un très petit mouvement pouvant porter, dans le plan du particulier
et dans le plan du général, des conséquences de très grande portée.

L'état syndésique S éliminé par inefficience ne laisse dans la pensée du linguiste
observateur du langage — l'attitude actuelle de la linguistique traditionnelle en témoigne
— aucune trace d'existence. Restent seuls en présence effectivement : SA syndèse
autoptique et S, état ultième, transcendant de la syndèse cryptologique SB Mentalement
rencontré, l'état pénultième S de cette syndèse entraîne, par son inefficience,
un retour à la syndèse A, autoptique

16. On ne manquera pas d'observer que délimiter une intégrité sur limite interne
(de parfait) puis sur limite externe (de plus-que-parfait) est une opération de pensée
commune appartenant, en cette pensée, à l'inévitable. Il nous la faut accomplir continuellement
en présence de chaque objet. Le trait qui circonscrit l'entier d'un objet
représente la rencontre, et en quelque sorte le conflit, de deux délimitations successives :
un itus de délimitation sur limite interne, le reditus immédiat sur limite
externe.

Dans la construction de la langue, le transitus de la limite interne à la limite
externe a porté d'apparentes conséquences, dont il est des exemples nombreux. Il existe
en français une négation plus-que-parfaite transcendante : celle qu'on a lorsqu'on se
sert de la particule pas ou de la particule point ; et en vis-à-vis, une négation parfaite,
immanente : celle qu'on a lorsqu'on se sert de la seule particule ne. L'impression
laissée par la négation parfaite diffère de l'impression laissé par la négation plus-que-parfaite.
Qu'on compare : je ne saurais vous le dire et je ne saurais pas vous le dire.
Dans le plan verbal, je peux représente, porté à son plus-que-parfait, l'intégrité du présent
d'indicatif de 1re personne du verbe pouvoir et je puis, l'intégrité portée au parfait
seulement du même temps à la même personne de ce même verbe. On relèvera que je
puis
a livré la forme subjonctive athématique du verbe : que je puisse, le subjonctif
occupant dans la genèse modale une position immanente (position d'avant) par rapport
à la position transcendante (position d'après) d'indicatif. La relation se retrouve dans
la différence, celle d'un seuil franchi, existante entre : il est possible et il est probable,
le probable s'idéant au plus près du possible transcendé. De là l'emploi régulier du
subjonctif après il est possible et celui régulier de l'indicatif après il est probable.
Exemple : Il est possible qu'il vienne. Il est probable qu'il viendra. On notera aussi que
le possible transcendé représenté par il est probable se continue jusqu'au certain, accumulation
de probable. Exemple : Il est probable qu'il viendra. Il est certain qu'il viendra.
— La mécanique intuitionnelle, opératrice de la construction formelle (extra-notionnelle)
du langage nous met en présence d'opérations accomplies insciemment (à
notre insu) dans le langage, qui sont, en dernière analyse, des opérations de haute
raison, auxquelles les guillaumiens ont été seuls jusqu'ici à s'intéresser méthodiquement.

17. Une faute perpétrée par la linguistique traditionnelle, qui en a non seulement
retardé mais empêché le progrès, a été de ne pas faire nettement le départ du mentalisme
de signifiance des unités de langue et de leur physisme de représentation et
faute d'avoir fait ce départ, requis en juste doctrine, de n'avoir pas reconnu que, sous
physisme de représentation le recouvrant, le mentalisme apparaît masqué par ce physisme
même et qu'une tâche de la linguistique est dès lors d'en produire une observation
à découvert, où, décroché dudit physisme, le mentalisme soit seul observé : ce qui
n'est possible qu'en syndèse cryptologique transcendée, en S.

On ne peut manquer d'être surpris du grand intérêt porté en science du langage au
physisme de la langue, qui n'en est que le moyen d'extériorisation, et du peu d'intérêt
porté à son mentalisme, lequel est la langue elle-même, quêtant et sa meilleure forme
intérieure et le meilleur moyen de l'extérioriser : le moyen excellent de port et de
transport de ce dont elle est le contenu.

18. Certains, erronément, jugeront que ces opérations, si mécaniquement cohérentes
et symétriques soient-elles, sont trop compliquées pour avoir été et être la réalité
linguistique. A la racine de ce jugement erroné, il y a l'idée, en soi étrange, que dans
l'univers regardé par l'homme pensant, hors lui, l'univers où il habite et duquel il fait
partie, s'accuserait un ordre inhérent, d'une nature singulière, que découvre lentement,
apte à le comprendre, l'intelligence humaine ; cependant que dans l'univers regardant,
la langue, qui habite dans l'homme pensant, s'accuserait un désordre inhérent. Un
confrère ne me disait-il pas récemment : « la langue n'est, au fond, qu'un tissu de
calembours et de coq-à-l'âne ». Combien plus raisonnable serait d'admettre que dans le
mentalisme de la langue (suspendu à un physique qui n'est point lui) règne un ordre
inhérent, d'une nature singulière lui aussi, que n'a pas su jusqu'à présent reconnaître
la science du langage, mais qu'il n'est pas au-dessus de ses forces de déceler. Ainsi que
maintes autres sciences humaines — on pourrait dire toutes — la science du langage
a été une science pressée de résoudre des problèmes — ses problèmes — qu'elle ne s'est
pas donné le temps, avant d'en entreprendre la résolution, de poser en leurs justes
termes et auxquels, aux prises avec les difficultés nées de cette non juste position, qui
lui prennent toutes ses forces, elle ne songe plus… Ne considérer dans le langage —
tendance actuellement dominante — que ce qui en constitue le physisme, c'est en faire
un tout formé de parcelles insignifiantes et, comme tel, in-signifiant en sa totalité.
L'excès de positivisme — le physisme du langage en représente le versant positivement
constatable (visible ou audible) — entraîne un grave manquement au réalisme, la
signifiance étant la condition sine qua non d'existence du langage. Il n'est de parcelles
du langage — ceci se prouve — où la signifiance ne s'accuse.

19. Que le vu en pensée se présente dans le langage non pas tel, mais traduit en
dicible, est un fait constitutif du langage, capital, auquel il n'a pas été donné une
suffisante attention. La nature s'est montrée là libérale, en ce qu'elle dispense le locuteur
de connaître dans l'en-deçà du dicible, scriptural ou oral, le vu en pensée de
départ. D'où l'ignorance où nous sommes de la constitution formelle du langage, de
laquelle nous ne connaissons qu'un second état, celui du dicible, l'état premier de « vu
en pensée » — à traduire en dicible — demeurant pour l'usager du langage un inconnu
qu'il lui est prescrit d'ignorer. Retrouver sous le dicible formel, le « vu en pensée », le
vu hypobasique, dont ce dicible est une traduction, est une tâche de la linguistique non
jusqu'à présent méthodiquement entreprise par elle, les guillaumiens exceptés.

Les systèmes linguistiques relèvent du vu hypobasique, auquel il faut remonter
pour en faire clairement la découverte. En l'absence de cette remontée, on ne les
connaît pas : on n'en connaît que l'emploi sous des termes scripturaux ou oraux qui
en sont une traduction, dispensant, si l'on ose dire ainsi, de s'enquérir du texte.

On retiendra qu'une langue en sa partie formelle (structurale, substructurale et
architecturale) est faite de conditions en petit nombre, habiles chacune à porter nombre
de conséquences, dont la diversité peut aller jusqu'à la contradiction. Ex : Il marchait
depuis mille ans (imparfait duratif). A ce moment la bombe éclatait (imparfait
non duratif d'instantanéisation). Un instant de plus, la bombe éclatait (imparfait d'instantanéisation
rapporté à un événement évité de justesse). Un instant après la bombe
éclatait
(même imparfait, rapporté à un événement non évité), etc. Sans quitter l'imparfait
français, peuvent être cités maints autres exemples d'emplois contradictoires de
cette forme verbale.

L'enfant qui apprend une langue en l'entendant parler autour de lui en retrouve —
c'est là pour le principal son apprentissage de la langue — sous les emplois qu'il en
entend, les conditions constructives qui les permettent et les prescrivent, desquelles
ils sont des conséquences. Et ces conditions retrouvées, il en sait produire directement,
sous forme d'emplois du contenu formel de la langue, des conséquences et bientôt
toutes conséquences possibles sans avoir expressément à faire intervenir la souvenance.
Il ne répète pas de l'entendu : il crée son dire directement à partir des conditions
constructives qu'il en possède, la mémoire de l'entendu ne participant que subsidiairement
à cette création. L'image de tiroirs où le sujet parlant, tandis qu'il parle, irait
chercher, par souvenance, des emplois que sa pensée y aurait rangés, emporte avec soi
une idée faussée du vrai mécanisme du langage. La mémoire virtuelle retient les conditions
à partir desquelles s'obtiennent les conséquences et non ces conséquences, dont il
est de sa nature de s'alléger.

20. Une science du langage qui se propose de répondre aux curiosités de la philosophie
touchant le langage met la philosophie en présence de problèmes d'un caractère
philosophique résolus dans le langage même par les moyens de la mécanique intuitionnelle,
opératrice universelle de la construction du langage. L'un de ces problèmes a trait
à l'antagonisme du voir et du concevoir partout rencontré, dans l'avant-science qu'est
le langage, pour une part, et dans la science proprement dite, pour une autre part.
L'antagonisme, dans le langage, s'accuse historiquement, et très visiblement, dans la
catégorie linguistique du nombre. Dans les langues négro-africaines, le nombre linguistique,
chargé en voir, est fait non pas pour compter n'importe quoi, mais limitativement
pour compter des choses d'une certaine espèce, et point celles d'une autre espèce.
L'antagonisme du voir et du concevoir s'accuse, d'autre part, en des langues plus évoluées,
dans la pluralité interne qui sous un « voir » unique laisse « concevoir » plusieurs.
Le duel est le dernier nombre de pluralité interne (deux conçus sous un vu). Il
est aussi celui qui a survécu le plus longtemps. Le duel et son élimination sont, disait
Meillet, des faits de civilisation. La pluralité interne a été partout dans les langues
évoluées éliminée plus ou moins complètement, et remplacée par la pluralité externe.
La pluralité interne situe un au nombrant et plusieurs au nombre ; la pluralité externe,
plusieurs au nombrant et un, multiplié, au nombre. Dans la science proprement dite
l'antagonisme s'accuse, — sans que pour le reconnaître, il soit besoin d'aller plus
loin, — en ceci que l'arithmétique fait voir des nombres, tandis que l'algèbre fait
concevoir des propriétés du nombre, sans faire voir aucun nombre. Il existe en mathématique
un chemin qui consiste — cela a été dit par des penseurs illustres — à ne
presque plus rien voir, et à tout comprendre.

21. L'homographie des deux dyades porte témoignage de la propension du langage,
partout en lui reconnaissable, à une construction binaire symétrique ; « par paires »,
disait Meillet. Cette binarité symétrique tient à ce qu'il n'est dans le langage que de la
relation, et que la relation suppose deux, entre lesquels elle s'établit (v. p. 280).

22. « Chaque langue forme un système où tout se tient, et a un plan d'une merveilleuse
rigueur » (A. Meillet). Pour se procurer une vue exacte et complète de ce système
que forme chaque langue et de son plan rigoureux, partie intégrante du plan non
moins rigoureux de l'ontogénie universelle du langage humain, il faut en appeler
méthodiquement à la puissance d'éclairement et de pénétration (SA + S) de la syndèse
cryptologique transcendée. Les clartés issues de la syndèse autoptique (SA + …),
les seules auxquelles jusqu'à présent recourt la linguistique traditionnelle, n'y suffisent
pas.