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Passy, Paul. Les sons du français – T01

Première partie
Notions préliminaires

Des sons en général

1. Nous savons tous, sans pouvoir peut-être l'exprimer
clairement, ce que nous entendons par un
son ; quelque chose qui s'entend, qui est perçu par
notre oreille. L'acoustique nous apprend qu'un son
est produit par les vibrations rapides d'un corps élastique,
qui se transmettent sous forme d'ondes sonores
à travers l'air ou à travers tout autre corps. Quand
les ondes sonores atteignent notre oreille, elles agissent
d'une manière particulière sur les nerfs auditifs
et y produisent l'impression du son.

2. Nous savons aussi qu'un son peut être plus ou
moins fort ou faible, plus ou moins aigu ou grave.

La force d'un son dépend de l'amplitude des vibrations
et des ondes sonores qui en- résultent ; plus les
vibrations sont étendues, plus le son est fort.

La hauteur dépend de la.rapidité des vibrations ;
plus celles-ci sont rapides, plus le son est aigu.7

Sons et bruits

3. La plus vulgaire observation nous apprend
aussi à distinguer des sons musicaux d'avec des bruits.
Comparez une note de piano avec le grincement
d'une scie ; il y a évidemment une différence fondamentale,
quoique nous soyons peut-être embarrassés
pour dire en quoi elle consiste. Il peut bien y avoir
des sons de nature douteuse qu'on hésite à classer
soit parmi les sons musicaux, soit parmi les bruits ;
mais nous sentons d'instinct qu'il y a là une classification
fondamentale. L'acoustique va nous dire sur
quoi elle repose.

4. Un corps élastique peut simplement osciller
régulièrement ; dans ce cas, les vibrations, parfaitement
simples, donnent un son simple ; c'est le cas
pour les diapasons. Plus souvent les vibrations sont
plus ou moins variées, plus ou moins diversement
combinées ; alors on a un son composé, comme dans
les instruments de musique et dans la voix humaine.

5. Un son composé consiste en une série de sons
simples, dont chacun a une hauteur spéciale, c'est-à-dire
est produit par des vibrations d'une rapidité
donnée. Le son le plus grave, qui est aussi le plus
intense, porte le nom de son fondamental ; les autres
sont des sons accessoires.

6. Il peut y avoir, entre le nombre des vibrations
du son fondamental et celui des sons accessoires
8toutes sortes de rapports. Il se peut, entre autres,
qu'ils soient entre eux dans un rapport simple ; autrement
dit, qu'ils soient proportionnels aux nombres
1, 2, 3, 4, 5…, etc. Dans ce cas, si le son simple le
plus grave a par exemple 132 vibrations à la seconde,
le deuxième en a 264, le troisième 396, etc. On exprime
ceci en langage musical en disant que si le son
le plus grave est le do de l'octave basse ou do1, les
autres sont do2-, sol2, do3, mi3, sol3, etc ; ce qui se représente
comme suit :
image

Quand il en est ainsi, on dit que les sons accessoires
sont des harmoniques du son fondamental.
C'est alors et alors seulement que le son composé est
un son musical. Quand les sons accessoires ne sont
pas harmoniques du son fondamental, on n'a plus un
son musical, mais un simple bruit.

7. C'est le son fondamental qui détermine la hauteur
d'ensemble d'un son composé, qui en donne la
note
. C'est la présence des sons accessoires, leur différence
de nombre et de force, qui en font varier le
timbre. On sait, en effet, qu'une même note, jouée
sur une flûte, un piano, une trompette, produit à
l'oreille une impression très différente. C'est que,
9dans la flûte, le son fondamental s'entend presque seul,
les sons accessoires étant faibles et peu nombreux ;
dans le piano, les cinq ou six premiers harmoniques
sont très énergiques ; dans la trompette, ce
sont les harmoniques plus aigus qui sont relativement
puissants.

Il y a donc lieu de classer les sons, non seulement
sous le rapport de la force et de la hauteur, mais encore
sous le rapport du timbre. — Cette classification
est bien plus importante pour les sons musicaux
que pour les bruits.

8. D'autre part, les bruits se divisent nettement,
en deux catégories principales : les frappements, momentanés
de leur nature ; les frottements, qui peuvent
se prolonger indéfiniment. Comparez un coup
de marteau (frappement) et le grincement d'une scie
(frottement).

9. Sons mixtes. — Quand plusieurs sons se
produisent en même temps, l'oreille, à moins d'éducation
spéciale, ne les distingue pas, mais entend
seulement un ensemble, qui lui fait l'effet d'un son
unique. C'est, nous l'avons vu, ce qui arrive pour
un son musical, qui est une combinaison harmonique de
plusieurs sons simples
. Ça arrive encore quand un.
son musical et un bruit se produisent ensemble ; on
perçoit alors un son mixte, qui participe de la nature ?
du son musical et de celle du bruit.

On entend des sons mixtes quand le vent souffle :
10dans les arbres, quand les vagues se brisent sur la,
grève, quand un ruisseau passe sur des pierres en
murmurant, etc.

Son propre. Caisse de résonance

10. Tout corps capable de produire un son a un
timbre déterminé, c'est-à-dire que si on le met en vibration,
il produit un certain son composé spécial à
ce corps : c'est le son propre de ce corps. Ainsi les.
cordes des instruments : de quelque manière qu'on
frappe une corde de violon, on ne lui fera jamais ;
produire le timbre d'un piano ou d'une trompette.

11. Parmi les corps capables de donner naissance- :
à un son musical, il convient de, considérer, entre
autres, les espaces remplis d'air ; car l'air est aussi
un corps élastique, susceptible d'entrer en vibrations
régulières et par conséquent de produire des.
sons musicaux. Quand on souffle fortement dans une
clé creuse, par exemple, on met en état de vibration
sonore la colonne d'air qui s'y trouve contenue ; il.
en résulte un son musical, un sifflement. De même^
quand on souffle dans un sifflet, dans un tuyau
d'orgue, on donne naissance à un son. Et chaque :
clé, chaque sifflet, chaque tuyau d'orgue, donne ;
naissance à un son particulier, le son propre de sa.
colonne d'air.

12. L'expérience nous apprend que les ondes sonores
provenant d'un corps élastique peuvent se
11transmettre à un corps élastique voisin, et le faire
entrer à son tour en vibration sonore. Mais le
deuxième corps ne vibre d'une manière énergique
que s'il a le même son propre que le premier, ou du
moins, s'il s'y retrouve une partie des sons simples
qui composent le premier. Naturellement, quand un
corps se met ainsi à vibrer à la suite d'un autre, le
son d'ensemble qui frappe notre oreille se trouve
plus ou moins fortifié. Mais il est en outre modifié
considérablement : d'une part, les sons simples qui
sont communs aux deux sons propres sont rendus
plus énergiques ; d'autre part, ceux qui existent dans
le premier, mais pas dans le deuxième, sont affaiblis.
Le timbre, en conséquence, est changé.

13. Plus un corps est élastique, plus il est facilement
mis en vibration par les ondes sonores provenant
d'un autre corps ; plus il peut aussi fortifier,
modifier le son qui en provient. L'air renfermé dans
un espace limité se prête particulièrement bien à ce
rôle de modifieur de sons : aussi on donne à un
volume d'air ainsi renfermé le nom de caisse de résonance.
Quand un son pénètre dans une caisse de
résonance, celle-ci se met aussitôt à vibrer. De cette
manière, les sons simples qui peuvent être reproduits
par la caisse de résonance sont rendus
plus intenses ; les autres sont diminués. En somme,
le son est modifié diversement selon la forme et la
grandeur de la caisse à travers laquelle il passe.12

14. Une expérience facile permet de constater la puissance de
modification des caisses de résonance. On adapte successivement
à une même anche de cor ou de trompette, des tubes dé forme
et de grandeur différentes, et on souffle dans l'embouchure ;
on s'aperçoit que le son obtenu varie avec chacun
de ces tubes. Un tube de trompette, un tube en forme d'entonnoir,
donnent un son éclatant dans lequel dominent les harmoniques
supérieurs ; un tube sphérique percé d'une petite
ouverture opposée à l'embouchure, donne un son très grave-.
Pourtant l'instrument producteur donne toujours le même son ;,
mais le timbre de ce son est modifié par la forme de la caisse
de résonance.

Dans la plupart des instruments à vent, on met précisément
à profit cette propriété des caisses de résonance, en modifiant
diversement le timbre au moyen d'une caisse dont on fait
varier à volonté la forme et la grandeur.

Des sons du langage

15. Le langage articulé, qui sous ses formes variées
à l'infini, sert aux hommes pour communiquer entre
eux, est formé par l'assemblage d'un grand
nombre de sons musicaux et de bruits, auxquels on
est habitué à rattacher un sens particulier. L'étude
de ces sons constitue une science qui porte le nom
de phonétique. Les sons du langage sont tous produits
par un instrument musical d'une perfection
incomparable, l'appareil de la parole, dont il est nécessaire
de connaître le fonctionnement pour comprendre
la formation du langage.13

Appareil de la parole

16. Tous les sons du iangage tirent leur origine
d'un seul phénomène physiologique diversement
modifié : la respiration. On peut donc considérer
comme faisant partie de l'appareil de la parole, d'une
part, les organes qui produisent la respiration, d'autre
part, ceux qui peuvent servir à la modifier.

Organes produisant la respiration

17. Les organes qui servent à produire la respiration
sont au nombre de trois : les poumons, le diaphragme
et la trachée-artère.

18. Les poumons sont deux espèces de sacs élastiques
placés dans la poitrine. Ils communiquent avec
l'air extérieur par un tube appelé trachée-artère, qui
se divise en deux à l'entrée des poumons, pour se
subdiviser ensuite en une infinité de petits canaux
appelés bronches, qui remplissent tout l'intérieur des
poumons, et par lesquels l'air est mis en contact avec
le sang. Grâce à leur élasticité, les poumons peuvent
se dilater et se remplir d'air, ou se rétrécir et se
vider presque entièrement.

Les poumons reposent sur une membrane élastique,
convexe par en haut : c'est le diaphragme qui
sépare la poitrine du ventre. Par un système de
muscles particulier, le diaphragme peut se contracter
fortement.14

19. Respiration. — Dans leur position normale
ou de repos, les poumons sont à moitié remplis
d'air. Le sang qui arrive du cœur aux poumons
ayant besoin de se mettre en contact.avec l'air pour
se charger d'oxygène, le diaphragme se contracte de
telle manière que la capacité de la poitrine augmente.
Les poumons se dilatant, il se produit un fort appel
d'air, comme dans un soufflet qu'on ouvre ; l'air
pénètre dans les poumons par la trachée-artère et
se répand dans les bronches : c'est le phénomène de
l'inspiration.

Puis, quand le sang s'est vivifié au contact de l'air,
la contraction du diaphragme se relâche, les intestins
qu'il comprimait réagissent et le repoussent
jusqu'à sa position primitive : les poumons sont
comprimés à leur tour et chassent l'air au dehors :
c'est le phénomène de l'expiration.

L'inspiration et l'expiration constituent ensemble
le phénomène de la respiration.

20. Dans la respiration normale, l'inspiration se
fait exclusivement par le nez ; l'expiration en partie
par la bouche, mais surtout par le nez. Quand on est
essoufflé, c'est-à-dire quand on éprouve le besoin
d'activer la respiration, on est porté à ouvrir la bouche,
pour que l'air puisse entrer à la fois par le nez
et par la bouche, par conséquent plus vite.

L'expiration peut être hâtée en un moment donné,
par un effort des muscles situés entre les côtes, qui
15aident à contracter les poumons. Alors l'air est violemment
chassé par la bouche ou par le nez.

Organes modifiant la respiration

21. Les organes modifieurs de la respiration
sont au nombre de trois : le larynx, la bouche et le
nez.

22. Larynx. — Le haut de la trachée-artère,
placée dans la gorge, forme le larynx, dont la partie
extérieure ou « pomme d'Adam » est sensible au toucher
et souvent visible. A travers le larynx s'étendent
deux cordes musculaires appelées cordes vocales,
qui sont réunies, sur toute leur longueur, aux parois
du larynx, par des membranes muqueuses, de manière
à ne laisser libre que l'espace intermédiaire ou
glotte. C'est par là, entre les cordes vocales, que
l'air passe pendant la respiration ; mais les cordes
peuvent se rapprocher à volonté, et même fermer
complètement la glotte : alors l'air ne peut passer
qu'en les ouvrant par une série de secousses.

A la partie supérieure du larynx est fixé l'épiglotte, sorte de
soupape qui reste ouverte pendant la respiration, mais se
ferme pendant la déglutition pour empêcher les aliments de
pénétrer dans le larynx (‘avaler de travers’)

23. Bouche. — La bouche est une cavité placée
au-dessus et en avant du larynx. La partie d'arrière,
située juste au-dessus de l'épiglotte, est le pharynx
ou arrière-bouche, qui peut se contracter de diverses
16manières. Outre le larynx, le pharynx communiques
par en bas avec l'ésophage, par en haut avec le nez,
par devant avec la bouche proprement dite. Il est
séparé de celle-ci par le voile du palais, appendice
mou qui peut se relever, de manière à laisser communiquer
la bouche et le pharynx en fermant le
passage du nez, et dont l'extrémité ou luette peut se
voir quand on ouvre la bouche.

24. La bouche proprement dite est placée en avant
du voile du palais, et comprise entre les deux mâchoires.
La mâchoire inférieure est mobile, ce qui
permet d'augmenter le volume de la bouche. Le
palais, qui couvre la bouche, se divise en palais
mou
, placé en arrière et dont le voile du palais n'est
qu'un prolongement, et en palais dur, placé en avant.
Le devant du palais forme les gencives supérieures,
dans lesquelles sont fixées les dents d'en haut. Les
dents d'en bas sont opposées à celles-ci.

25. Sur les côtés de la bouche sont les joues, qui
peuvent s'arrondir ou s'aplatir à volonté.

26. Au bas de la bouche est fixée la langue,
muscle aplati et allongé, dont la pointe est libre et
qui est susceptible des mouvements les plus variés.
La face supérieure de la langue, qui est entièrement
libre, peut se diviser idéalement en arrière, milieu,
devant et pointe, ; la face inférieure n'est libre que
sur le devant.

27. Enfin, devant les dents se trouvent les lèvres,
17qui peuvent aussi prendre des positions très diverses.

28. Nez. — Le pharynx communique par en-haut
avec la cavité du nez, divisée par une cloison verticale
en deux parties appelées fosses nasales, et communiquant
avec l'air extérieur par deux trous appelés
narines. A la différence de la bouche, le nez ne
peut guère changer de forme ni de position. Mais
l'ouverture qui le réunit au pharynx peut soit être
laissée libre en abaissant le voile du palais, soit fermée
en le levant.

Formation de la parole

29. Les organes producteurs de la respiration,
poumons et diaphragme, sont constamment en activité.
Les organes modifieurs de la respiration sont
en général en repos, mais deviennent actifs pour
produire la parole ou pour servir à d'autres usages.

30. Pendant la respiration ordinaire, la glotte est
toute grande ouverte ; le voile du palais tombe vers
la langue ; celle-ci s'étale au fond de la bouche de
manière à toucher les dents d'en bas ; les deux rangées
de dents sont à peine séparées, les lèvres tout à
fait fermées ; l'air sort et rentre par le nez, d'une manière
lente et régulière, sans autre son qu'un bruit
de frottement presque imperceptible.

31. Il en est autrement quand nous parlons. Alors,
selon les besoins du moment, nous inspirons une
18plus ou moins grande quantité d'air, que nous chassons
par la bouche ou par le nez, avec plus ou moins
de force, en le soumettant sur son passage à toutes
sortes d'arrêts et d'entravements. il en résulte des
sons — sons musicaux ou bruits — dont la réunion
constitue le langage.

Nous allons, dans la suite de ce travail, nous occuper
des sons qui constituent la langue française.

Transcription phonétique

32. Il est essentiel, pour étudier les sons, de pouvoir
les représenter par l'écriture ; de même qu'il est
essentiel, pour étudier les nombres, de pouvoir les
représenter au moyen des chiffres. Les lettres sont
des signes qui devraient représenter les sons comme
les chiffres représentent les nombres ; mais elles le
font en général d'une manière très imparfaite. Tantôt
en effet, des lettres différentes sont employées
pour représenter un même son, comme dans le mot
coq, ou c et q ont la même valeur ; tantôt une même
lettre est employée pour deux sons différents, comme
c dans car, cent ; tantôt il faut deux lettres pour
représenter un seul son, comme ch dans champ ; tantôt
une seule lettre représente deux sons qui se suivent,
comme x pour gz dans exemple, pour ks dans
boxe ; tantôt enfin une lettre est tout à fait muette,
comme e de beau, z de nez. Il serait bien difficile de
19faire une étude scientifique des sons d'une langue en
se servant d'un instrument aussi défectueux. On le
pourrait sans doute ; mais ça serait compliquer le
travail à plaisir et se créer à chaque pas des difficultés
inutiles. En fait, écrire un traité sur les sons du
langage en se basant sur leur représentation usuelle
ou orthographe, ce serait à peu près comme écrire
un traité d'arithmétique en se servant des chiffres
romains.

Nous laisserons donc de côté complètement l'orthographe
d'usage, pour nous servir d'un alphabet
phonétique, c'est-à-dire basé sur le principe : un
signe pour chaque son
. Toutefois le même signe peut
être employé pour représenter plusieurs sons très
semblables, dont la confusion ne peut pas avoir
d'inconvénient pratique.

33. L'alphabet dont nous nous servirons, celui de
l'Association phonétique internationale, est basé sur
l'alphabet romain ; c'est dire que les formes des caractères
sont tout à fait arbitraires et n'indiquent
pas, en elles-mêmes, leur valeur (1)1. Cet inconvénient
est compensé par l'avantage d'employer un grand
nombre de lettres familières à tout le monde. D'ailleurs,
cet alphabet est maintenant de beaucoup le
plus répandu, et son usage ne fait que s'étendre :
20près de 1, 500 linguistes ou professeurs de tous les
pays s'en servent pour leurs travaux ou leur enseignement,
et il ne se passe pas de mois sans qu'on
voie paraître quelque nouvel ouvrage où il est employé (1)2.

34. Voici la liste des principaux caractères et de
îeur valeur. Chaque lettre doit se prononcer comme
la lettre italique du mot mis en regard.

a part | l long
ɑ pas | ʎ fille (pron. du Midi)
b bout | m mot
c qui (populaire) | n ni
ç Alem. ich | ɲ enseigner
d dent | ŋ Angl. sing
đ Angl. then | o tôt
e dé | ɔ tort
ɛ fait | œ seul
ə de | ø peu
f faux | p pas
ɡ gant | q Arabe qaf
g Esp. luego | r rond (r lingual)
h hardi | ʀ rond (r uvulaire)
i ni | ʁ rond (r parisien)
j yak | ɹ Angl. du Sud red
ʝ gai (populaire) | s si
k car | ʃ champ
21

t tas | k̮ (son vocalisé)
θ Angl. thin | m̡̹ (son chuché)
u tout | * (son inverse, claquement)
ʋ Esp. saber
ɥ buis | ˉ (syllabe faible)
v vent | ˊ (syllabe forte)
x Alem. ach | ˍ́ (syllabe demi-forte)
y pu | ː (longueur)
w oui | (ton aigu)
z zèle | (ton grave)
ʒ joue | (ton montant)
ʰ (souffle) | (ton descendant)
(voix) | (descendant-montant)
ʔ (coup de glotte) | (montant-descendant)
é (voyelle tendue) | langue plus avancée
e̍ (voyelle relâchée) | langue plus retirée
ŭ (voyelle consonante) | bouche plus ouverte
n (consonne syllabique) | bouche plus fermée
ɛ̃ (voyelle nasalée) | ) lèvres plus arrondies
r̥ (son dévocalisé) | (lèvres plus fendues

35. Remarque. — En nommant les lettres, il est bon de
les désigner par leur son, non par leur nom usuel. Si on ne sait
pas prononcer certaines consonnes sans ajouter de voyelle, on
devra simplement ajouter (ə), c'est-à-dire e « muet » Appeler
(g) gue et non , (u) ou et non u. —On fera bien de prononcer
le son de chaque lettre chaque fois qu'on la rencontre

Pour éviter la confusion, nous mettrons entre parenthèses les
caractères phonétiques représentant des sons ou des
groupes de sons.22

Deuxième partie
Constitution du langage

Divisions fondamentales

36. Quand la gorge est en position de repos, la
glotte est ouverte, et l'air, en sortant, ne produit de
bruit qu'un léger frottement ; on ne l'entend bien que
si la force d'expiration est assez grande : c'est le
souffle, que nous représentons par (ʰ). Mais si les
cordes vocales sont rapprochées de manière à fermer
la glotte, le souffle ne passe qu'en une série de secousses
qui font vibrer les cordes vocales, de manière
à produire un son musical particulier appelé
voix, que nous représentons par (n).

On peut se rendre compte de ces deux sortes d'activités de la
glotte par une expérience très simple. On fixe au bout d'un
tube en verre ou en bois, un tube en caoutchouc court et fin,
de telle sorte qu'il en forme le prolongement. Alors le tube
représente !a trachée-artère et le caoutchouc la glotte. Dans sa
position naturelle, le caoutchouc présente une ouverture ronde ;
c'est la glotte en position de repos ou de souffle ; en soufflant
dans le tube on n'entend qu'un bruit de frottement. Mais si
23prenant avec les doigts le caoutchouc en deux points opposés,
on écarte ces deux points de telle manière que les deux parois
du tube soient appliquées l'une contre l'autre et prennent îa
forme d'une ligne droite, on a l'image de la glotte en position
de voix ; si alors on souffle fortement dans le tube, le passage
de l'air fait vibrer le caoutchouc et on obtient Un ton musical
qui représente très bien la voix humaine.

37. La voix, en sortant du gosier, doit passer
dans la bouche : elle se trouve donc modifiée par la
forme de cet organe, qui joue le rôle de caissse de
résonance
(§ 13). Et comme la forme de la bouche
varie selon qu'on l'ouvre plus ou moins grande, selon
la position de la langue et des lèvres, etc., nous avons
diverses modifications de la voix, divers sons musicaux.
Ces sons s'appellent des voyelles. Tels sont (a)
(o) (e).

D'autre part, le passage du souffle dans la bouche
ou dans le nez peut produire des frappements ou des
frottements qui donnent naissance à d'autres sons, à
des bruits. Ce sont des consonnes. Tels sont (s), (f).

Pour qu'il y ait production d'un bruit, il faut que
le passage de l'air soit intercepté quelque part plus
ou moins complètement. D'autre part, pour que le
son de la voix sorte sans être couvert par un bruit,
il faut que la bouche soit plus ou moins grande
ouverte. On peut donc dire qu'une voyelle est un son
produit avec la bouche ouverte, une consonne un
son produit avec la bouche fermée.24

38. Si on prononce successivement (a) et (s) en se
bouchant les oreilles, on saisit, pendant l'articulation
de (a), un fort bourdonnement, qui manque pour
(s) ; c'est l'effet de la vibration des cordes, qui se produit
pour tous les sons où la voix entre en jeu. Pour
(s), par contre, on entend un bruit de sifflement qui
manque pour (a).

Il arrive aussi que les deux choses ont lieu en
même temps : d'une part, les cordes vocales vibrent,
et il y a production de voix ; d'autre part, il y a production
d'un bruit dans la bouche ou le nez. Mais
l'oreille ne distingue pas ces deux sons l'un de l'autre,
elle perçoit seulement l'ensemble sous forme de
son mixte (§ 9). Tels sont (i), (u), (y), (v), (z).

39. Nous ne considérons pas les sons mixtes
comme formant une catégorie spéciale ; mais, selon
que le son musical ou le bruit en forment la partie
essentielle, nous les classons parmi les voyelles ou
parmi les consonnes. Nous considérons (i), (u), (y),
comme des voyelles, (v), (z), comme des consonnes ;
seulement, (i), (u), (y), sont des voyelles fermées, au
lieu d'être des voyelles ouvertes comme (a) : en les
prononçant, la bouche est relativement fermée, et
l'air s'échappe avec un léger frottement qui s'ajoute
au son de la voix. Et (v), (z), sont des consonnes
vocaliques
au lieu d'être des consonnes soufflées
Comme (f), (s) ; en les prononçant, les cordes vocales
25vibrent, la voix résonne et s'ajoute au bruit du frottement
produit dans la bouche.

40. Il y a encore un troisième état de la glotte, intermédiaire
entre le souffle et la voix. Quand les cordes vocales sont :
assez rapprochées pour que l'air ne puisse passer qu'avec un frottement
très marqué, sans pourtant qu'il y ait de vibration, ,
il se produit un bruit particulier appelé chuche. Ce son n'entre guère
en ligne de compte dans le langage ordinaire, du moins chez
nous ; mais quand on chuchote, il remplace régulièrement
la voix : au lieu des voyelles ordinaires et des consonnes vocaliques
(v), (z), etc, on a des voyelles et des consonnes chuchées.
Une consonne chuchée ne diffère pas beaucoup d'une consonne soufflée,
de sorte qu'on peut confondre, dans le chuchotement,
des mots comme vin et fin. — Il y a d'ailleurs plusieurs sortes de
chuche.

Variations d'ensemble du langage

Diverses sortes de variations

41. Nous avons vu que le langage articulé se compose
d'une série de sons, diversement assemblés
et se succédant très rapidement, de manière à éveiller
dans l'esprit, par un effet de l'habitude, certaines idées
et certaines images.

Nous allons maintenant étudier les groupes de
sons et les sons eux-mêmes.

42. Voici le plan que nous suivrons. Nous prendrons
d'abord, dans leur ensemble, les diverses manières
26de parler des diverses personnes ou d'une
même personne à différents moments, et nous chercherons
ce qui en fait la différence.

Puis nous rechercherons quelles sont les divisions
naturelles du langage en groupes de sons de plus en
plus courts ; et nous étudierons ces diverses sortes
de groupes, et la manière dont sont assemblés les groupes
de sons placés à la suite les uns des autres.
Enfin, nous examinerons les sons pris individuellement,
en les isolant pour mieux les analyser, et nous
verrons de quelle manière ils sont réunis pour former
des groupes de sons.

43. Nous employons, dans le langage courant,
pour caractériser la manière dont parlent les personnes
avec lesquelles nous sommes en rapport, des expressions
non pas scientifiquement exactes, mais
pourtant justes d'une manière générale, qui peuvent
servir de point de départ à notre étude.

44. Nous disons, par exemple, qu'une personne
parle haut et fort ; nous ne considérons pas ces termes
comme synonymes, et pourtant nous les confondons
souvent et nous ne leur opposons qu'une seule
expression ; parler bas. Nous disons aussi qu'une
personne parle vite, et ce n'est pas la même chose
que parler haut ou fort ; pourtant il doit y avoir une
relation dans notre esprit, car parler doucement peut
vouloir dire ne pas parler vite ou ne pas parler fort.
Et quand nous disons de quelqu'un que sa voix
27s'élève sous l'empire de la colère ou de quelqu'autre
émotion vive, nous entendons par là qu'il parle plus
fort
, sur un ton plus élevé, et probablement plus vite.

En ça nous avons raison, car nous réunissons trois
facteurs qui, bien qu'indépendants, sont ordinairement
réunis : la force, la hauteur et la vitesse. Ils
forment ensemble ce que nous pouvons appeler
l'intensité du langage,

45. D'autre part, nous disons qu'une personne
parle d'une manière claire et nette, ou d'une manière
confuse : et nous reconnaissons que ça n'a rien à faire
avec la force, la hauteur ou la vitesse. En effet, il
.s'agit ici d'un caractère tout différent, la netteté de
l'articulation.

46. Nous disons aussi qu'une personne a la voix
claire ou sombre, rieuse ou sépulcrale., etc. En disant
claire, nous indiquons qu'il y a un certain rapport
entre ce genre de voix et l'articulation nette ; mais
nous reconnaissons pourtant qu'une voix claire ou
sombre, ce n'est pas la même chose qu'une manière
de parler nette ou confuse. Il s'agit d'autre chose en
effet, du timbre de la voix.

47. Enfin, nous disons d'une personne qu'elle
accompagne ses paroles d'un jeu de physionomie
expressif, ou qu'elle parle avec une figure impassible ;
qu'elle a des gestes naturels, expressifs, forcés. Nous
sentons que ce jeu de la physionomie, ces gestes, ne
28font pas partie du langage proprement dit. En effet,
ce ne sont là que des accessoires de la parole.

Disons quelques mots de ces divers phénomènes.

Intensité du langage

48. L'intensité du langage dépend de trois facteurs,
la force, la hauteur et la rapidité.

La force (1)3 provient de la vitesse avec laquelle l'air
est chassé des poumons ; la hauteur, du degré de
tension des cordes vocales ; la vitesse, de la rapidité
avec laquelle on fait varier la position de la bouche.

49. Ces trois éléments sont indépendants en réalité :
nous savons tous que telle personne parle vite,
mais bas, telle autre fort, mais sur un ton de basse.
Aussi faudrait-il rigoureusement étudier séparément
ces trois phénomènes ; mais il y a entre eux une
liaison assez intime, car ils expriment les mêmes
émotions ou des émotions analogues ; nous pouvons
les considérer d'abord dans leur ensemble.

50. L'intensité du langage n'est pas, en général,
un fait voulu, réfléchi, ni même un effet de l'habitude.
C'est un caractère naturel, spontané, inconscient ;
il suit les lois des phénomènes analogues. (2)429

Or, nous savons que sous l'empire de certaines
émotions, dites émotions vives, les divers phénomènes
physiologiques ont une tendance à augmenter d'inten
site : le cœur bat plus vite, la circulation devient plus
active, la respiration plus forte, les mouvements plus
accusés et plus rapides. La joie, la gaîté, la colère, la
peur, produisent des effets de ce genre. En revanche,
ta tristesse, le découragement, et dans une certaine
mesure les émotions douces et tendres, amènent un
relâchement des fonctions.

51. Tout naturellement, la parole suit ces lois
générales. Sous l'empire des émotions vives, elle
devient forte, haute, rapide dans son ensemble ;
mais, grâce à l'activité qui possède l'être tout entier,
il y a des différences très grandes d'un moment à
l'autre, et deux mots, deux syllabes d'un même mot,
peuvent être prononcés avec une force, une vitesse
très différentes, sur un ton tout à fait opposé.

Sous l'empire de la tristesse et du découragement,
au contraire, la parole est faible, basse, les intervalles
peu marqués.

Enfin, sous l'empire des émotions douces et tendres,
la parole devient faible, basse et lente dans son
30ensemble, comme sous l'empire de la tristesse ; mais
les différences de force et de vitesse, et surtout les
intervalles musicaux, sont très fortement marqués,
comme sous l'empire des émotions vives.

Il arrive aussi quelquefois qu'une « colère froide »,
une haine concentrée, s'exprime sur un ton très bas
et presque uniforme, avec une énonciation faible et
lente.

52. Ces observations suffisent à nous montrer
comment on peut, d'après la manière dont une personne
parle, deviner, reconnaître les sentiments qui
l'animent. Nous sommes guidés en ça par le souvenir ;
d'une part, le souvenir de ce que nous avons observé
chez les autres, quand nous avons entendu parler
d'une certaine façon une personne fâchée, une personne
effrayée, etc. ; d'autre part, le souvenir de ce
que nous avons éprouvé nous-mêmes dans des circonstances
analogues. Grâce à ce guide très sûr, nous
arrivons à attacher une signification aux plus petites
différences de force, de ton et de vitesse ; et même
quand une personne s'attache à déguiser ses sentiments,
nous parvenons souvent à les reconnaître.

53. Outre ces influences irréfléchies, la force, la
vitesse et la hauteur subissent diverses variations
dues à ce qu'on a toujours en vue de se faire bien
comprendre des personnes auxquelles on s'adresse.
La force subit de ce chef des variations très grandes.
Quand on s'adresse à une personne ou à quelques
31personnes placées à peu de distance, il suffit de donner
un degré de force très modéré. Mais si on
s'adresse à un vaste auditoire ou à une personne éloignée,
il faut.donner beaucoup de force, surtout si on
est obligé de dominer d'autres sons. D'autre part, si
on veut être entendu seulement d'une personne placée
très près, on donne peu de force, à tel point que
l'air sort des poumons plus lentement que pendant
la respiration simple. — La vitesse est souvent alors
en raison inverse de la force : un orateur qui parle
dans une très grande salle ou en plein air, ralentit,
son débit. — Un phénomène analogue se passe
quand, dans un discours ou dans une lecture, on
veut insister sur un point particulier, sur un membre
de phrase. On prononce alors lentement et fortement,
souvent aussi sur un ton aigu. Ceci s'exprime
souvent dans l'écriture, par l'emploi des italiques,
(v. § 96).

54. L'intensité du langage peut varier progressivement.
Elle diminue graduellement, par exemple,
quand un découragement de plus en plus complet,
envahit l'âme ; elle augmente avec une passion qui va
grandissant à mesure qu'on parle.

Netteté

55. La netteté de l'articulation dépend de la vitesse
avec laquelle on passe d'une position des organes à.
une autre. C'est surtout une qualité individuelle, ou
32bien une qualité acquise volontairement pour se faire
bien comprendre. Naturellement, on prononce autant
que possible très nettement les parties les plus importantes
du discours. Mais la netteté est aussi liée à
certaines émotions : la décision, le commandement,
la fierté, s'expriment par des sons nettement articulés
('ton tranchant, cassant') ; l'indécision, l'humilité,
la honte, en sons plus ou moins obscurs et confus
('voix indistincte').

Timbre

56. Le timbre, la qualité de la voix, — car nous
pouvons négliger les variations de timbre des sons
du langage autres que la voix — dépend avant tout
des cordes vocales, dont la structure variée donne
naissance à des sons diversement composés, et qui
peuvent aussi fonctionner plus ou moins bien selon
les moments ; c'est ainsi que la fatigue, l'inflammation
des cordes produisent la voix enrouée.

57. Mais le timbre peut être aussi affecté par
diverses modifications occasionnelles de la gorge et
de la bouche. On obtient un timbre de voix clair en.
tendant les muscles des joues, et d'une manière
générale de tous les organes, et en fendant bien la
bouche ; en relâchant les joues et en fendant peu
Ja bouche, on obtient un timbre sombre. Ordinairement
aussi, le larynx s'élève dans la gorge pour le
timbre clair et s'abaisse pour le timbre sombre.33

58. Le timbre clair accompagne ordinairement un
langage très intense, et apparaît comme l'expression
des émotions vives. Le timbre sombre exprime
communément la tristesse, la solennité, le mécontentement.
La tendresse a un timbre particulier, qui
participe des deux autres, les muscles étant relâchés,
mais la bouche bien fendue. Si on exagère le timbre
clair en écartant fortement les coins de la bouche, ,
on obtient la voix rieuse, expression ordinaire de la
gaîté ; si on exagère le timbre sombre en rapprochant
les coins de la bouche et en abaissant fortement
le larynx dans la gorge, on obtient la voix sépulcrale.

Accessoires du langage

59. Le jeu de physionomie qui accompagne ordinairement
le langage est un effet spontané des sentiments
dont est animée la personne qui parle. L'importance
d'un jeu de physionomie expressif, pour
compléter ou parfois corriger et même contredire les
paroles, est connue de tout le monde, inutile d'y
insister. Remarquons seulement combien le jeu de la
physionomie peut avoir d'influence sur le langage
lui-même, notamment sur le timbre de la voix. Si la
voix ‘rieuse’ exprime la gaîté, c'est que la gaîté nous
porte à rire, et qu'en riant nous écartons les coins
de la bouche et tendons les muscles des joues. Si une
variété particulière de voix sombre indique le mécontentement,
la maussaderie, c'est que la position des
34organes qui donne ce timbre de voix est celle qu'on
prend en faisant la moue. Et ainsi de suite.

60. Le geste est aussi un phénomène essentiellement
spontané, qui sert à compléter le langage, à le
remplacer dans certaines circonstances, et en tous
cas à lui donner de la force et de l'expression. Nous
faisons tous usage du geste, et il arrive constamment
qu'une phrase est commencée, par des paroles et terminée
par un geste expressif.

« Si tu as le malheur de me désobéir… » (geste
menaçant).

« Dis donc, Jean… » (geste pour faire approcher).

« Et surtout… » (geste pour recommander le
silence).

61. Souvent le geste accompagne une interjection
qui n'aurait pas de sens à elle seule :

« Voyant qu'on ne m'observe pas, je me lève tout
doucement, et pst…
 » (geste pour indiquer qu'on se
sauve).

62. Les gestes spontanés sont à peu près les
mêmes chez tous les peuples ; mais tous n'en font
pas un usage égal ; les Italiens, par exemple, les
emploient bien plus que les Anglais. En général aussi
le peuple les emploie plus que les classes dirigeantes.

63. Souvent les gestes arrivent à prendre une
valeur plus ou moins conventionnelle, ce qui permet
d'en étendre beaucoup l'emploi. Beaucoup de sauvages
font en parlant un tel usage des gestes, qu'ils
35ont peine à se comprendre dans l'obscurité ou en se
tournant le dos. Ainsi les Lundais du Congo, pour
exprimer l'éloignement d'un endroit, étendent le
bras droit dans la direction de cet endroit, font claquer
les doigts de leur main gauche pour figurer la
marche, et se frappent la poitrine autant de fois qu'il
faut d'étapes pour arriver au but. Pour indiquer le
poids d'une chose, ils se touchent la jambe de la
main droite, plus ou moins haut selon que l'objet est
plus ou moins lourd.

64. Le langage des signes des Peaux-Rouges est un
développement très remarquable des gestes. Par le
moyen de ce langage, les tribus de la vallée du Mississipi
et des Monts Rocheux, qui parlent des centaines
de dialectes absolument différents, arrivent
aisément à se comprendre entre elles. C'est alors un
véritable langage international, comparable aux signaux
des marins ou à l'écriture Chinoise, qui est
un langage écrit international.

65. Les sourds-muets aussi communiquent au
moyen de gestes demi-spontanés, demi-conventionnels.
Il paraît qu'ils n'ont guère de difficulté à communiquer
avec les Peaux-Rouges (1)5.36

Divisions du langage

Groupes de souffle

66. Nous savons tous qu'on ne parle pas longtemps
de suite sans s'arrêter. On s'arrête pour deux
raisons.

D'abord, parce qu'il est impossible de parler sans
s'arrêter. Nous avons vu (§ 31) que les sons du langage
sont formés en chassant l'air des poumons. Mais
les poumons ne contiennent qu'une provision d'air
limitée ; quand elle est épuisée, il faut à toute force
‘ reprendre haleine’, remplir de nouveau les poumons ;
et pendant ce temps on ne peut pas parler.

Ensuite, parce qu'on parle pour être compris, et
qu'on ne le serait pas si on ne s'arrêtait pas. Si je dis,
« Il fait beau », j'énonce une idée simple, que mes
auditeurs n'ont pas de peine à saisir du premier
coup. Même si j'ajoute « aujourd'hui », si je dis,
« Il fait beau aujourd'hui », je n'ai pas besoin de
m'arrêter pour être compris. Mais si je dis, « Il fait
beau aujourd'hui, ça va faire plaisir à bien du
monde », j'ai exprimé deux idées différentes, intimement
liées sans doute, mais bien distinctes cependant.
Pour mon compte, je peux bien passer de
l'une à l'autre sans interruption ; mais pour mes
auditeurs, il y a deux faits distincts, il faut à leur
esprit un temps appréciable pour passer de l'un à
37l'autre. Je ferai donc bien, si je tiens à être compris
facilement, de m'arrêter un instant après avoir
énoncé le premier.

Ces deux raisons réunies font que le langage se
trouve naturellement divisé en groupes, que nous
appelons des groupes de souffle.

67. Si on ne s'arrêtait que pour reprendre haleine,
les groupes de souffle seraient tous à peu près
égaux en longueur ; les arrêts qui les séparent aussi.
Mais pour être compris, on s'arrête chaque fois qu'on
va changer d'idée ; et on s'arrête plus ou moins
longtemps selon que le changement est plus ou
moins grand.

Dans la phrase, « Il fait beau aujourd'hui, ça va
faire plaisir à bien des gens », les deux idées se
tiennent de très près, car la deuxième se présente
comme la conséquence logique de la première ; il
suffit donc que je m'arrête un instant très court
entre les deux, et même, si je m'adresse à une personne
un peu au courant de mes habitudes de pensée, ,
je peux bien ne pas m'arrêter du tout. Mais si j'ajoute,
« hier il pleuvait », voilà une idée tout à fait indépendante,
quoiqu'il y ait encore un lien dans mon
esprit. Il faut donc que je m'arrête après gens, et je
ferai bien, si je veux être tout à fait clair, de
m'arrêter pendant un moment relativement long.
Les groupes de souffle et les arrêts sont donc de
longueur inégale. Ça n'empêche pas du reste de
38reprendre haleine convenablement ; seulement, plus
le groupe de souffle est court, moins les poumons se
vident ; et plus l'arrêt est court, moins ils se remplissent ;
mais on s'arrange pour ne jamais épuiser
la provision d'air.

68. D'après ce qui précède, un groupe de souffle
correspond à l'expression d'une idée simple ; autrement
dit, à une phrase élémentaire
. Toutefois il arrive très
souvent que deux ou trois phrases élémentaires sont
réunies en un seul groupe de souffle, sans autre
séparation qu'un changement de ton ou un allongement
du dernier son de la première phrase, ou même
sans séparation aucune ; surtout dans la conversation
familière, quand nous nous adressons à des personnes
habituées à notre manière de parler. Au contraire,
dans le discours, l'enseignement, etc., une
même phrase peut être coupée en plusieurs groupes.

La correspondance entre le groupe de souffle et la
phrase élémentaire a surtout lieu dans ce qu'on peut
appeler la prononciation familière ralentie, qui est
d'ailleurs le type de prononciation convenant le
mieux à l'étude élémentaire et à l'enseignement.

69. Dans l'écriture ordinaire, les signes de ponctuation
servent à marquer la limite des phrases élémentaires ;
ils doivent donc correspondre plus ou
moins exactement aux arrêts qui séparent les groupes
de souffle. En effet, une virgule (,) indique assez
généralement un arrêt très court ; un point-virgule ( ;)
39ou deux-points ( :) un arrêt plus long ; un point (.) un
arrêt plus long encore. Mais cette correspondance
n'est pas du tout absolue ; la virgule, notamment,
indique souvent un changement de ton sans arrêt
aucun (§ 140).

C'est que notre système de ponctuation est réglé
par des considérations purement logiques ; celles-ci
correspondent bien le plus souvent à des faits phonétiques ;
mais non pas toujours.

70. C'est ici le lieu d'examiner une question que
le lecteur attentif a pu se poser en lisant ce qui précède.
N'y a-t-il donc aucune espèce d'arrêt entre les
mots ? Ou bien, s'il n'y a pas arrêt, qu'est-ce que.
c'est donc qui en marque nettement la séparation ?

Nous sommes habitués, en effet, à considérer le
langage comme formé de mots. En général, un mot
représente une idée simple, que nous pouvons
isoler des idées voisines par la pensée. D'ailleurs
nous voyons toujours, en lisant, les mots séparés
entre eux par des espaces blancs. Il est naturel de
penser qu'en parlant, en parlant correctement au
moins, nous séparons de même les mots par des
arrêts très courts, correspondant aux espaces blancs.

71. Il n'en est rien cependant. Non seulement il
n'y a jamais d'arrêt entre tous les mots, mais il n'y a
aucun fait matériel qui marque la limite des mots.
Le mot est une unité logique, mais non pas phonétique.
Un étranger qui entendrait parler le Français
40sans le comprendre, aurait beau en analyser les sons
avec l'exactitude la plus minutieuse, il ne pourrait
jamais deviner où commencent et où finissent les
mots. Pour y arriver, il lui faudrait connaître le sens
des phrases, et les comparer longuement entre elles ;
alors il parviendrait à faire une division logique en
mots, mais sa division ne correspondrait sans doute
pas tout à fait à la nôtre.

72. Le simple énoncé de ce fait, qu'une observation
attentive suffirait à vérifier, choque tellement
les idées reçues, qu'il n'est peut-être pas inutile de
donner des preuves à l'appui. On remarquera d'abord
que les phénomènes d'élision et de liaison, si fréquents
dans notre langue et tellement frappants que
l'orthographe en tient compte dans une certaine mesure,
ont précisément pour but de rendre plus facile
le passage d'un mot à un autre sans arrêt, sans interruption
d'aucune sorte. Ils n'auraient autrement aucune
raison d'être. Si on s'arrêtait entre les mots, il
serait tout aussi facile de prononcer nous ouvrons
(nu, uvrɔ̃) que (nuz, uvrɔ̃) ; et il serait bien plus
difficile de prononcer l'homme (l, ɔ̃m) que (lə, ɔ̃m).
Et de fait, on cesse les liaisons dès qu'il y a arrêt.
Rien de plus risible qu'une liaison faite mal à propos.
C'est une idée prononcé (sɛt, ynide), fait croire
qu'on a le hoquet. Un professeur prononçait des
phrases comme la première est excessivement facile
en s'interrompant après est : (la prəmjɛːrɛ, tɛːksɛsiːvmɑ̃
41fa'sil). Quand nous l'entendions, c'était un
éclat de rire général.

73. On remarquera aussi que dans les lettres de personnes
« illettrées » et d'enfants, ce qui laisse
souvent le plus à désirer, c'est la division par mots.
On y rencontre des formes comme celles-ci :

Je vous zenserait reconaissant. — Giait ben 'pensé.
Notre père, il marche a sait bien. — Pour voir
si cela y rais
. — Je suisage avecmane moisel (1)6.

Ces fautes ne se produiraient pas, s'il y avait
entre les mots une séparation matérielle et tangibleɛə. Mais
ces personnes n'ont pour se guider que des
souvenirs de leurs lectures peu nombreuses, et les
efforts instinctifs d'une analyse logique très peu
développée.

74. La plupart des calembours seraient impossibles,
s'il y avait entre les mots une limite phonétique.
On dit, « Quel est le roi le plus manchot ? —
C'est le roi du Népaul » ; c'est que le roi du Népaul
ou le roi d'une épaule se prononcent de même
(lərwa dynepoːl). De même Lapin 7 ou la pincette
(lapɛ̃sɛt), Pourceau 6 ou pour saucisses (pursosis), la
Thessalie et la Béotie
ou l'athée sali et l'abbé aussi, etc. (2)7.42

75. On sait aussi que les plus anciennes inscriptions,
les plus vieux manuscrits, écrivent les mots,
à la suite les uns des autres, et cela dans toutes les
langues. C'est avec l'étude de la grammaire que
s'introduit la division par mots ; encore les principes qui
la fixent ne sont-ils pas partout les mêmes.

Au Moyen-Age même, la division par mots était très irrégulière :
dans les manuscrits plusieurs mots sont ordinairement
accolés (pour économiser le parchemin), et en général on ne s'inquiète
guère, en passant d'une ligne à l'autre, de savoir si
on est au bout d'un mot. Une foule de détails montrent combien 
peu les copistes sentent la valeur de l'unité logique. On en
trouve qui écrivent les mots Latins de terra ainsi :

… d & er
ra…

76. De ce que la division des phrases par mots,
n'est pas une division phonétique, il ne faut pas conclure
qu'elle ne correspond jamais à un phénomène
phonétique. Quand on s'arrête, pour une cause quelconque,
au milieu d'une phrase, c'est toujours à
la fin d'un mot, à moins d'interruption très brusque.

En outre, certains faits d'accentuation, d'intonation,
de durée, se produisent régulièrement au
commencement ou à la fin de certains mots (1)8. C'est
qu'il y a partout un lien intime entre la logique et la
43phonétique du langage. Mais ça n'empêche pas qu'il
est impossible de définir phonétiquement l'unité logique
appelée mot
.

Groupes d'intensité

Groupes de force

Force du souffle

77. Si nous prenons un groupe de souffle quelconque
dans le but d'en analyser les éléments, nous
reconnaissons que toutes les parties qui le composent
ne frappent pas notre oreille avec la même
intensité. En nous plaçant à une certaine distance
d'une personne qui parle, nous saisissons bien certains
sons, certaines syllabes, tandis que d'autres
nous échappent. Si nous sommes plus près d'elle,
nous entendons tout, mais nous sentons pourtant
que toutes les parties de ce qu'elle dit n'ont pas la
même force.

78. Par exemple, je prononce la phrase :

L'animal qui s'enfuit en courant.

Les syllabes (1)9 mal, fuit, rant, s'entendent certainement
plus distinctement que les autres. Ça tient à
ce que, en les prononçant, je chasse l'air plus fortement
44des poumons : alors les vibrations des cordes
vocales, les frottements dans la bouche, sont plus,
énergiques, les sons produits sont plus forts.

79. Cette force relative est tout à fait indépendante
de la force d'ensemble dont nous avons parlé
plus haut (§§48-53). La phrase citée, l'animal qui
s'enfuit en courant
, peut être prononcée avec une
force d'ensemble très différente ; je peux la crier à
quelqu'un placé très loin de moi, ou la murmurer à
l'oreille d'une personne à mes côtés. Mais, à moins
que je veuille y attacher un sens spécial, je prononce
toujours les syllabes mal , fuit, rant; plus fort que les
autres. C'est l'effet de la force relative du souffle.
Quelle que soit leur force absolue, les syllabes mal,
fuit, rant, doivent être considérées comme relativement
fortes
, les autres comme relativement faibles,
ou moyennes.

80. En effet, ce n'est pas deux degrés de force
qu'il faudrait distinguer, mais un grand nombre.
Les syllabes que nous avons reconnues comme fortes
ne sont pas absolument égales entre elles. Dans la
phrase citée plus haut, il y a trois syllabes fortes,
mais la deuxième est peut-être un peu plus forte
que la première ; la troisième l'est encore plus. En
indiquant par des numéros la force relative de chaque
syllabe, on pourrait écrire :

2 1 3 2 1 4 1 2 5
L'animal qui s'enfuit en courant
45

81. Analyser et représenter toutes ces nuances
de force serait un travail gigantesque. Heureusement
ce n'est pas nécessaire au point de vue pratique.
La force des syllabes est en grande partie
déterminée par un principe rythmique. Les syllabes
fortes et faibles alternent continuellement, d'une
manière plus ou moins régulière. Si dans un groupe
de trois syllabes la troisième est forte, nous pouvons
être à peu près sûrs que la première est plus forte
que la deuxième, à moins qu'il n'y ait quelque raison
particulière d'appuyer sur la deuxième ; c'est ce qui
a lieu dans les groupes Français animal, voulez-vous,
tu comprends, Constantinople, Nabucodonosor.
Ça nous dispense de représenter les degrés intermédiaires,
dont la force relative découle le plus souvent
de leur position même. — Parfois le rythme
peut être un peu moins simple, deux syllabes brèves
jouant le rôle d'une syllabe longue, etc.

82. Or, l'oreille et l'esprit ont une tendance naturelle
à grouper les parties moins fortes d'une phrase
autour des parties plus fortes. Quoique dans la
phrase, L'animal qui s'enfuit en courant, il n'y ait
aucune interruption, nous l'entendons volontiers
comme si elle était divisée en trois parties :

L'animal qui s'enfuit en courant

Ceci nous conduit à une deuxième division phonétique
du langage : nous pouvons diviser les groupes
de souffle en groupes de force. Nous appelons groupe
46de force l'ensemble des sons qui se groupent autour
d'une syllabe relativement forte.

83. En général, un groupe de force se compose
de deux ou trois mots étroitement liés par le sens.
Dans un parler très lent, chaque groupe de force
peut devenir un groupe de souffle.

La division phonétique en groupes de force correspond
donc à la division logique en mots, en ce
sens que si plusieurs mots sont constamment réunis
en un seul groupe, un même mot n'est presque
jamais réparti sur deux groupes. En outre, c'est
presque toujours le mot du groupe qui est le plus
important pour le sens, dans lequel se trouve la
syllabe forte. — Quand un mot est isolé, il forme à
lui seul un groupe de force et un groupe de souffle.

Accent de force

84. Quant à la force relative des diverses parties
d'un groupe, il est facile de distinguer des syllabes
fortes, moyennes et faibles. La syllabe forte est la
plus importante ; c'est autour d'elle que se groupent
les moyennes et les faibles, généralement en suivant
le principe rythmique énoncé au § 81.

On dit souvent que la syllabe forte est accentuée
ou porte l'accent de force ; que les autres sont des
syllabes inaccentuées ou atones.

85. Dans l'écriture, on peut indiquer les limites
des groupes de force par des espaces blancs. Nous
47marquons les syllabes fortes en les faisant précéder
du signe (ʹ) ; au besoin les syllabes faibles sont précédées
du signe (-) et les moyennes du signe (-́) ; mais
ces deux derniers signes peuvent ordinairement se
sous-entendre. Une syllabe très forte se marque.
par (ʺ)

La phrase citée plus haut s'écrit donc :

-́la-niʹmal-́ki-sɑ̃ʹfɥi-ɑ̃-́kuʹrɑ̃ ou plus simplement :
laniʹmal kisɑ̃ʹfɥi âkuʹrɑ̃.

86. Ce que nous avons dit jusqu'ici s'applique
sans grandes modifications à toutes lès langues. Les
différences se montrent dans la structure intérieure
des groupes, notamment dans la position des syllabes
fortes, et dans la différence qu'il y a entre les fortes
et les faibles.

87. En Français, quand on prononce une phrase
sans intention particulière bien marquée, c'est la
dernière syllabe de chaque groupe qui est forte ;,
comme dans la phrase citée plus haut ; à moins toutefois
que la voyelle de la dernière syllabe soit (ə),
alors c'est l'avant-dernière qui est forte.

Du reste, la différence entre les syllabes fortes et
faibles n'est pas si grande que dans d'autres langues ; des
observateurs étrangers ont pu croire que toutes
les syllabes Françaises se prononcent avec la même
force.

Quand un mot est isolé, c'est naturellement., la
dernière syllabe qui est forte. On peut donc dire en
48principe que les mots Français sont toujours accentués
sur la dernière syllabe
. — Les enfants qui commencent
à parler réduisent souvent un mot à sa
dernière syllabe plus ou moins altérée ; (nɔ̃) pour
bouton, (sɔ̃) pour éléphant, (daː) pour regarde ; ou
bien à un redoublement de cette dernière syllabe :
(didik) musique, (jɛjɛt) serviette, (nɛnɛn) Madeleine
ou Hélène, (gigit) Marguerite.

88. Ceux qui savent l'Espagnol ou l'Italien verront que
quand un mot Français se retrouve dans ces deux langues,
c'est presque toujours la syllabe correspondante qui est forte ;
seulement en Espagnol et en Italien elle est souvent suivie
d'autres syllabes : Fr. aʹmour, Esp. aʹmor, It. aʹmore ; Fr. pauvre
(ʹpoːvr), Esp. ʹpobre, It. ʹpovero ; Fr. aimable (eʹmabl),
Esp. aʹmable, It. aʹmabile.

Dans ces mots, c'est l'accent Latin des mots pauperem,
amorem, amabilem, qui a persisté ; en Français, les syllabes
qui suivaient la syllabe accentuée sont tombées.

Renforcement et déplacement

89. L'accent normal est très fréquemment modifié
par diverses causes, que nous pouvons ramener à
deux principes : le principe d'emphase et le principe
rythmique
.

90. Principe d'emphase. — Quand on veut attirer
d'une manière particulière l'attention sur une idée,
par opposition ou autrement, on prononce naturellement
49plus fort le mot qui exprime cette idée, il en
résulte des accents renforcés :

Ce n'est pas ʺtoi qui as fait ça. c'est ʺmoi.

Ce jeune homme, pour moi, c'est le ʺfrère entre
les ʺfrères
.

Parfois aussi il peut en résulter un déplacement
d'accent, si, dans un mot de plusieurs syllabes, une
syllabe autre que la dernière paraît plus importante :

Il faudra se ʺsoumettre ou se ʺdémettre.

De même un mot, normalement faible dans un
groupe de force, peut devenir fort :

C'est ʺtrès ʹbien.

C'est la ʺmême perʹsonne.

C'est ʺpas ʹvrai, ce que tu dis ʹlà.

91. Quand le mot qui exprime l'idée importante
a plusieurs syllabes, dont aucune ne paraît particulièrement
importante, il arrive quelquefois qu'on
prononce toutes les syllabes également fortes. Quelqu'un
qui s'occupait de poules disait des cochin-chinoises :
elles dévorent (ɛl ʹde'voːr).

Beaucoup plus souvent on déplace l'accent : la
syllabe normalement forte devient faible ou moyenne
et une autre syllabe devient très forte ; au lieu de
dire incroyable (ɛ̃ːkrwa'jabl), impossible (ɛ̃ːpɔ'sibl)j
misérable(mize'rabl), on dit(ɛːʺkrwajabl), (ɛːʺpɔsibl),
(ʺmizerabl).

92. La syllabe qu'on renforce n'est pas toujours
la même, il y a toutes sortes de différences individuelles
50ou occasionnelles. La règle la plus habituelle
est de renforcer la première syllabe commençant
par une consonne
. Ainsi on dit : le ʹmisérable,
c'est ʹparfaitement vrai, quelle ʹbarbarie ; mais c'est
im'possible
, c'est abʹsolument faux, quel im'bécile. —
La durée joue aussi un certain rôle, une syllabe
longue étant plus facilement renforcée.

Si on renforçait la première syllabe d'un mot commençant
par une voyelle, il faudrait aussi prononcer fort la dernière
consonne du mot précédent ; dire, par exemple, (sɛʺtɔribl), ce
qui choquerait le sens logique (1)10. Les mots isolés peuvent parfois
se prononcer ainsi :
'Impossible, mon cher, ʹimpossible !
'Au fond, il n'a pas tort
(2)11.

93. Les déplacements emphatiques sont très
nombreux en Français. Il y a des catégories de mots
qui sont bien plus souvent prononcés avec déplacement
qu'avec accent normal : des adverbes comme
ʹbeaucoup, absolument, extrêmement ; des adjectifs
51comme ʹterrible, inʹcroyable, éʹpouvantable, ʹridicule ;
des substantifs comme ʹbandit, ʹmisérable ; des verbes
comme ʹpleurer, ʹcrier, ʹhurler ; surtout des injures :
ʹanimal, ʹcochon, ʹsalaud ; — en un mot, tout
ce qui se prononce habituellement avec une certaine
émotion. Pourtant, même pour ces mots, l'accent
normal est sur la dernière syllabe ; on les prononce
ainsi si on les isole sans émotion.

94. L'accent déplacé étant plus fort que l'accent normal,
se remarque plus. Aussi des étrangers, dont l'observation n'est
pas corrigée par le sens linguistique, ont pu croire que l'accent
français porte ordinairement sur la première syllabe.

Du reste, le déplacement emphatique est essentiel à
une bonne prononciation du Français. Les étrangers sont toujours
disposés, lorsqu'ils veulent accentuer un mot, à renforcer
encore la syllabe normalement forte, comme on fait dans
la plupart des autres langues. L'effet, pour nous, est de rendre
le langage monotone et peu expressif.

95. Les déplacements emphatiques sont surtout
fréquents quand on est sous l'empire d'une forte
émotion, ou quand on cherche à émouvoir, à persuader,
à convaincre quelqu'un. Ils sont très habituels
dans la conversation familière ; très habituels
aussi dans le discours animé ; beaucoup plus rares
dans le discours académique et dans la lecture à
haute voix.

Il y a du reste des différences à l'infini, et la même personne
peut bien déplacer plus à un moment qu'à un autre, dans des
circonstances semblables. Un professeur américain, M. Weeks,
52contestant la persistance de l'accentuation latine en Français,
m'avait dit plus d'une fois qu'en faisant mes cours, j'accentuais
la plupart des mots longs ailleurs que sur la dernière
syllabe. Un jour il me dit, « Qu'est-ce que vous avez donc aujourd'hui ?
Vous n'avez déplacé l'accent dans presque aucun
mot ! » — La raison n'était pas difficile à trouver : je me sentais
fatigué, et j'avais parlé sans animation.

96. Principe rythmique. — La recherche inconsciente
du rythme, de l'alternance régulière entre
les syllabes fortes et faibles [§ 81], a une grande influence
en Français, et peut aussi amener des déplacements.
Comparez les deux phrases, l'ami de Pierre,
et l'ami d'Alfred. Elles sont tout à fait semblables au
point de vue logique, et il semble que dans toutes
les deux, le groupe l'ami devrait se prononcer
{-la'mi). Mais dans la première phrase, Pierre se
prononce fort, et le principe rythmique intervient,
qui pousse à prononcer (-́la-midʹpjɛːr) comme
(-́a-niʹmal). Souvent on prend un moyen terme et on
prononce les deux premières syllabes à peu près
égales. Dans la deuxième phrase au contraire on dit
nettement (-laʹmi-dalʹfrɛd). De même, le roi Jean, le
roi Guillaume
.

97. Les déplacements rythmiques varient aussi
avec le style, mais à l'encontre des déplacements
emphatiques, ils sont d'autant plus fréquents qu'on
attache moins d'importance au sens des divers mots,
qu'on s'applique moins à rendre le langage expressif.
53Ils sont très fréquents dans la lecture à haute
voix ; bien plus fréquents encore dans les phrases
apprises par coeur et répétées machinalement, par
exemple les cris des marchands des rues :

ʹdeux sous ʹla viʹ'lette !

v'la lʹfontaiʹnier ! v'la l'ʹracmoʹdeur de ʹrobiʹnets !

Quelquefois on observe chez une même personne
la prédominance successive des deux principes de
déplacement, selon le genre de sentiments qu'elle
éprouve. Un prédicateur annonce son texte par une
phrase toujours la même, accentuée tout à fait rythmiquement,
parce qu'il cherche seulement à se faire
entendre :

ʹles paʹroles de l'E-́criture ʺsainte que nous -́méditeʹrons
avec ʹl'aide de ʺDieu se ʹlisent…

puis il lit son texte, en accentuant d'après le sens,
parce qu'il cherche à faire bien comprendre. L'opposition
est saisissante.

98. Rôle du rythme. Versification. — Pour
que le langage soit régulièrement rythmé, il n'est
pas nécessaire de sacrifier l'accent normal ou l'ac-
cent emphatique : il suffit de choisir et d'ordonner
les mots de telle manière, qu'en les accentuant d'une
manière aussi naturelle que possible, les syllabes
fortes se trouvent disposées à intervalles réguliers
C'est ce que nous faisons d'instinct, dans une certaine
mesure, même dans le langage familier ; bien
54plus encore dans la prose soutenue, surtout dans le
langage oratoire.

Dans le parler de beaucoup d'orateurs, les groupes
de force qui se suivent sont très ordinairement à peu
près égaux ; c'est seulement d'une partie du discours
à l'autre qu'ils deviennent plus ou moins longs, et
cela souvent sans changement brusque.

99. Dans les vers la régularité de l'accentuation
atteint son maximum. Un vers, tel que nous le récitons
habituellement, se compose essentiellement d'un
nombre fixe de groupes de force, de longueur égale
ou sensiblement égale. Pour que le vers paraisse
juste à l'oreille, il faut qu'on puisse, en le récitant,
battre la mesure, de telle manière que chaque temps
tombe sur une syllabe forte (1)12. Ex. :

Le ʹjour n'est pas plus ʹpur que le ʹfond de mon ʹcœur.

Si cette condition .n'est pas observée, le vers sonne
faux, quand même il est construit d'après toutes
les règles de la prosodie traditionnelle ; si elle l'est,
il est juste, quand bien même le nombre de syllabes
n'est pas celui qu'on regarde comme nécessaire.

De fait, quand nous récitons des vers, il est rare
que nous les prononcions tous avec le nombre de
syllabes traditionnel. Bien qu'on prononce les
e muets’ plus souvent en vers qu'en prose, on en supprime
55presque toujours un certain nombre ; quelquefois,
plusieurs dans un même vers. Si le rythme
dépendait du nombre des syllabes, il serait absolument
détruit ; il n'en est rien. C'est que la longueur
des intervalles entre les accents dépend, non seulement
du nombre de syllabes, mais de leur longueur
et
des moments de silence qui peuvent les séparer.
On peut comparer le vers à une phrase musicale,
qui se découpe en mesures de longueur égale, mais
ne contenant pas nécessairement le même nombre
de notes. — Quant à la rime, ce n'est qu'un ornement
du vers, dont il peut fort bien se passer.

C'est inconsciemment que les poètes, guidés par leur oreille,
suivent la règle de la distribution régulière des accents, tout
en observant scrupuleusement la règle traditionnelle et inutile
de l'égalité des syllabes écrites. Je crois qu'il en a toujours été
ainsi, et que la régularité des accents a toujours été la loi
principale de notre versification, comme de celle des autres
peuples modernes ; il en était ainsi même alors que le nombre
de syllabes était réellement fixe, les ‘e muets’ n'ayant pas disparu
de la prononciation. — Voir à la fin du volume, des spécimens
de vers de diverses mesures, divisés en groupes de force
de longueur égaie ; et à l'appendice D, un essai de restitution
de vers vieux Français.56

Syllabes

Sonorité

100. Des sons prononcés avec la même force
peuvent pourtant ne pas frapper notre oreille avec
la même intensité. Si je prononce un mot comme
passe (paːs), la voyelle (ɑ) s'entend bien mieux que
les consonnes (p) et (s). Ce n'est pas la force du
souffle qui en est la cause, car elle n'a guère varié.
Mais le son (a), pour lequel la voix sort presque sans
entrave de la gorge, est bien plus sonore que (p)
et (s) qui ne donnent que des bruits.

En comparant la sonorité des divers sons, il est
facile de constater que les voyelles s'entendent de
plus loin que les consonnes ; les consonnes vocaliques
que les consonnes soufflées, les voyelles ouvertes
comme (a), (ɑ), (ɔ), que les voyelles fermées
comme (i), (u) ; que (h) est le moins sonore de tous
les sons.

101. A côté de cette sonorité réelle, il y a la sonorité apparente
produite par la manière brusque et comme choquante
dont certains sons frappent l'oreille, ou par la manière tranchée
dont ils se distinguent de l'ensemble de bruits vagues
dont l'oreille est presque toujours environnée : ainsi (i) peut
souvent paraître plus sonore que (ɑ). La sonorité apparente
dépend de particularités individuelles et de causes extérieures
autant que de la nature même des sons : cependant on remarque
57que (s) se distingue parmi les consonnes pour sa forte sonorité
apparente (1)13.

102. La sonorité jointe à la force du souffle forme
l'intensité, qui est comme la résultante de ces deux
facteurs.

Syllabes

103. Les variations d'intensité donnent naissance
aux groupes de sons que nous appelons syllabes. Une
syllabe est simplement un groupe de sons séparés
des autres par une diminution sensible d'intensité
— diminution causée, soit par une diminution de la
force du souffle, soit par la présence d'un son moins
sonore entre deux sons plus sonores.

104. Ainsi si on prolonge un (ɑ) sans en changer
la force, ou en l'augmentant, ou en la diminuant
graduellement, ou même en l'augmentant d'abord et
en la diminuant ensuite, l'impression d'unité n'est
pas rompue ; on n'a qu'une syllabe, quelque longtemps
qu'on prolonge. Mais si, après avoir diminué,
on augmente, on a deux syllabes. Dans le premier
cas, on a un (ɑ) long ; dans le second, on croit entendre
deux (ɑ), bien que la voyelle ait sonné tout le
58temps sans interruption. Tel est l'(e) double de
créé, et l'(a) quadruple de la phrase Papa a à aller à
Paris
.

105. Si nous combinons deux ou plusieurs sons, ,
c'est la même chose, sauf que l'intensité est causée,
non plus par la force du soufflé seule, mais par la.
force du souffle jointe à la sonorité ; surtout par la
sonorité. Ainsi le groupe (tap) ne forme qu'une syllabe,
parce que la sonorité augmente de (t) à (a),
puis diminue avec (p) ; mais le groupe (tapi) forme,
deux syllabes, parce qu'après avoir brusquement.
diminué au commencement du (p), la sonorité reprend
avec (i).

106. Sons syllabiques et consonants. —
Le son le plus intense d'une syllabe s'appelle son
syllabique
 ; les autres portent le nom de sons consonants.
C'est presque toujours le son le plus sonore
de la syllabe qui est le son syllabique. Les voyelles
se prêtent particulièrement bien à ce rôle ; cependant
plusieurs langues emploient comme syllabiques
des consonnes très sonores ; ainsi il y a en.
Anglais des mots comme riddle (ridl). ‘devinette’,
given (givn). ‘donné’, schism (sizm) ‘schisme’, avec-.
une seule voyelle et deux syllabes ; en Croate des mots
sans voyelle comme brk ‘moustache’, smrt
‘mort’ ; et le Tchèque peut prononcer, sans voyelle une
phrase entière, commestrtʃ prst skrz krk ‘passe.
le doigt dans le cou’.59

En Français, il n'y a de consonnes syllabiques que
dans quelques exclamations comme (psːt), (ʃːt) chut,
(t*), ou dans certaines contractions familières comme
(m̩sa) comme ça, (ʒn̩sepa) je ne sais pas, (kr̩n̩n̩pip)sacré nom d'une pipe, etc.

En dehors de ces cas exceptionnels, nous n'employons
que des voyelles en rôle syllabique.

107. Il peut aussi y avoir des voyelles consonantes ;
si deux voyelles de sonorité inégales sont
juxtaposées, elles peuvent se prononcer en une
seule syllabe, comme dans l'Allemand baum ‘arbre’,
l'Italien voi ‘vous’, où (u) et (i) ne forment pas syllabe.
Une telle réunion de deux voyelles en une syllabe
porte le nom de diphtongue. Si il y a trois
voyelles comme dans l'Italien buoi ‘bœufs’, c'est une
triphtongue.

En Français, les diphtongues ne se trouvent que
d'une manière tout à fait exceptionnelle et dans une
prononciation rapide, dans certaines rencontres de
mots comme à outrance (aŭtrɑ̃ːs), il a oublié (ilaŭblie),
il n'est pas ici (inɛpaĭsi), où ira-t-il (uĭrati), il est si
oublieux
(ilɛsiŭbliø) ; et quelquefois dans les mots
comme paysan (peĭza), chaotique (kaŏtik), caoutchouc
(kaŭtʃu). En dehors de ces cas, nous n'avons
pas de diphtongues ; si deux voyelles se rencontrent,
ou bien elles forment deux syllabes comme dans
pays (pei), chaos (kao), ou bien l'une d'elle se change
60en consonne, comme dans où est-il (wɛti), ça y est
(sajɛ).

108. Donc, en termes généraux, et en négligeant
quelques exceptions de peu d'importance, on peut
poser, pour le Français, la règle bien simple, autant
de voyelles, autant de syllabes
(1)14.

109. Division en syllabes. — La séparation
des syllabes est marquée par le point où l'intensité
est à son minimum. En Français, ce point vient
d'habitude immédiatement après le son syllabique
[la voyelle]. Quand une. consonne se trouve entre
deux voyelles, elle appartient à la deuxième syllabe :
tapis (taʹpi), cadeau (kaʹdo) ; souvent même deux
consonnes sont réunies à la voyelle qui suit : tableau,
(ta'blo). Même quand deux mots se suivent, la division
par syllabes est la même : les hommes (leʹzɔm), .
une arme (yʹnarm). Il n'y a pas de différence entre
les aunes et les zônes (leʹzoːn), celui qui l'a vu et
celui qu'il a vu (səʹlɥi kilavy) (2)15.61

C'est le contraire dans les langues germaniques,
où la consonne se rattache d'ordinaire à ia voyelle
précédente. En Anglais on peut distinguer an aim
(ənʹeĭm) de a name (əʹneĭm).

110. On appelle syllabe ouverte une syllabe qui
se termine par une .voyelle, syllabe fermée une syllabe
qui se termine par une consonne. D'après ce
que nous venons de dire, les syllabes ouvertes sont la ;
règle en Français. Le son (e) ne se trouve guère
chez nous qu'en syllabe ouverte : été (eʹte). On dit
J'ai (ʒe), mais ai-je, (ɛːʒ) (1)16.

Durée

111. Tous les sons peuvent être tenus plus ou
moins longtemps, et leur durée, relativement à celle
des sons voisins, est un élément essentiel du langage,
distinct de la rapidité générale de l'énonciation [§44].

On distingue en général trois degrés de durée,
bref, moyen et long. La, voyelle (a) est brève dans
patte, moyenne dans Paris, longue dans part.

Nous ne marquons pas la durée brève ; la durée
62moyenne peut s'indiquer par le signe (ˑ), la durée
longue par le signe (ː).

112. Voyelles. — Les différences de durée des
voyelles françaises sont très sensibles en syllabe
forte : comparez renne (rɛn), reine (rɛːn) ;mettre
(mɛtr), maître (mɛːtr) ; lime (lim), abîme (abiːm) ; je
tousse
(ʒətus), nous tous (nutuːs) ; tu boites (tybwat),
la boîte (labwaːt) ; droite (drwat), pâte (pɑːt) ; rosse
(rɔs), Minos (minɔːs) ; Russe (rys), Bacchus (bakkyːs).

En syllabe faible, les différences sont moins marquées,
il n'y a guère que des voyelles brèves et moyennes.
Cette différence peut encore suffire pour
distinguer des mots : tiran (tirɑ̃), tirant (tiˑrɑ̃) ; couvent
(kuvɑ̃), couvant (kuˑvɑ̃).

Dorénavant nous marquerons les voyelles moyennes
du même signe que les longues ; il est seulement
entendu que ce signe indique un allongement moindre
en syllabe faible qu'en syllabe forte.

113. La durée des voyelles est en partie déterminée
par des règles générales, en partie dépendante
du sens des mots. Pour l'étudier, il faut distinguer
les syllabes finales des groupes de force [syllabes,
normalement fortes], des syllabes non finales [syl-
labes normalement faibles].

114. Syllabes finales. — En syllabe finale ouverte,
la voyelle est toujours brève, quelle que soit
la manière dont elle s'écrit : pas (pɑ), tôt (to), boue
(bu), ami ou amie (ami), lycée (lise).

C'est la prononciation naturelle de Paris, et celle de tout le
Nord de la France, je crois, en dehors des patois. Ailleurs, ,
notamment dans la Suisse romande et en Belgique, les
voyelles autrefois suivies d'un (ə) sont restées longues ; venue,
amie, boue, fermée, se prononcent (vənyː, amiː, buː, fɛrme:),
ou même (vənyɥ, amij, buw, fɛrmei), et se distinguent nettement
de venu, ami, bout, fermé. Dans la déclamation, on fait
souvent de même à Paris.

115. En syllabe finale fermée, au contraire, la
voyelle est toujours longue, si la syllabe est fermée
par une des consonnes (v), (z), (ʒ), (j), (r) [c'est-à-dire
les fricatives vocaliques et (r)], qu'on peut appeler
les consonnes allongeantes : cave (kaːv), ruse (ryːz), .
rouge (ruːʒ), oeil (œːj), rire (riːr), livre (liːvr). — (r)
non final n'allonge pas : porte (pɔrt), lourde (lurd),
terne (tɛrn), parle (parl).

Ici encore, il y a des variations régionales. Là ou on prononce
(ʎ) au lieu de (j) final, cette consonne n'allonge pas ;
en Suisse on dit fille (fiʎ), œil (œʎ). A Lyon, je crois, ces
mots se prononcent avec un (j) qui n'allonge pas : (fij), (œj).
Cette dernière prononciation paraît se répandre de plus en
plus à Paris, dans la jeune génération.

D'autre part, les jeunes gens, à Paris, font ordinairement
longues les voyelles qui précèdent les plosives vocaliques (b)
(d) (g) : robe (rɔːb); fade (faːd), dogue (dɔːg).

116. La voyelle d'une syllabe fermée est encore
longue, quelle que soit la consonne qui suit, si c'est
une des voyelles (o), (ø), (ɔ̃), (ɑ̃), (ɛ̃), (œ̃), qu'on peut
appeler naturellement longues [en Français] : côte
64(koːt), meute (møːt), conte (kɔ̃ːt), rampe (rɑ̃ːp),
mince (mɛ̃ːs), humble (œ̃ːbl) (1)17.

117. Dans les syllabes finales autres que celles
spécifiées ci-dessus, c'est-à-dire, quand une voyelle
autre que (o), (ø), (ɔ̃), (ɑ̃), (ɛ̃), (œ̃), est suivie d'une
consonne autre que (v), (z), (ʒ), (j), (r), — la voyelle
peut être brève ou longue, selon les mots : comparez
les exemples donnés au § 112. — La voyelle (ɑ),
dans cette position, est presque toujours longue ;
(ɛ), souvent longue et souvent brève ; (u), (ɔ), (a),
(i), (œ), (y) presque toujours brèves. — Dans la
jeune- génération, les voyelles qui ne sont pas
longues ‘par position’ sont presque toujours brèves.
Les différences de durée sont du reste bien moins
marquées que chez les personnes d'un certain
âge,

118. Quand, par suite d'un déplacement d'accent,
la syllabe finale d'un groupe de force devient
moyenne ou faible, la durée de la voyelle peut être
légèrement abrégée, mais elle ne devient pas vraiment
brève.

119. Syllabes non finales. — Ailleurs qu'en
syllabe finale, la durée suit une règle absolument
opposée, en ce sens que les voyelles des syllabes
65fermées sont presque toujours brèves, tandis que
celles des syllabes ouvertes peuvent être longues.

Comparez :

fœːj | fœjtɔ̃
ty t lɛːv | lɛv twa

et d'autre part

gro | groːsiːr
bɑ | bɑːte
nu dø | døː fwa

120. Autrement, il y a analogie entre les cas où
la voyelle est longue en syllabe initiale ou médiale,
et en syllabe finale. Les voyelles (o), (ø), (ɔ̃), (ɑ̃), (ɛ̃),
(œ̃), sont toujours demi-longues en syllabe non
finale ouverte : hauteur (hoːtœːr), queuter (køːte).
— (ɑ) est aussi presque toujours demi-long ; (e) très
souvent ; bâton (bɑːtɔ̃), château (ʃɑːto), gémir
(ʒeːmiːr). Les consonnes (v), (z), (ʒ), (r), sont souvent
allongeantes : raison (rɛːzɔ̃), léger (leːʒe), pourrir
(puːriːr), curé (kyːre).

121. Une voyelle, longue en syllabe finale, conserve
le plus souvent la durée demi-longue en syllabe
non finale ; ainsi on dit aimer (ɛːme) comme
(ʒ ɛːm), couler (kuːle) comme (ʒə kuːl), baisser
(bɛːse) comme (ʒə bɛːs), etc. — Mais il arrive aussi
que la voyelle est abrégée : courir (kuriːr) malgré
(ʒə kuːr). Ceci a lieu souvent quand la voyelle de la
syllabe finale est allongée par (ʒ) et surtout par (j) ;
courage (kuraːʒ), mais courageux (kuraʒø) ; soleil
66(solɛːj), mais ensoleillé (ɑ̃ːsɔlɛje) ; feuille (fœːj), mais
feuillet (fœjɛ).

122. Dans un petit nombre de cas, une voyelle,
longue en syllabe finale, peut rester demi-longue
en syllabe non finale, quand celle-ci est suivie par
un suffixe dont on sent encore bien la valeur : dur
(dyːr), dureté (dyːrte) ; vive (viːv), vivement (viːvmɑ̃).

123. Quand, par suite d'un déplacement d'accent,
une syllabe non finale devient forte, la voyelle, si
elle est brève, ne s'allonge pas : la même personne
(lamɛmpɛr'sɔn), avec déplacement (laʺmɛmpɛrsɔn).
Si elle est demi-longue, elle peut devenir longue et
même très longue : il y en a beaucoup (ijɑ̃naʺboːku) ;
il pleurait (iʺplœːrɛ).

124. Consonnes. — Les consonnes aussi peuvent
être plus ou moins longues. En Français,
pourtant, nous n'avons pas de différence aussi marquée
qu'en Anglais, ou build (bilːd) s'oppose nettement
à built (bilt), sin (sinː) a seen (siːn). Cependant

Une consonne finale est plus longue après une
voyelle brève qu'après une voyelle longue ; comparez
renne (rɛnː) et reine (rɛːn), balle (balː) et Bâle (bɑːl).
— Cet allongement est assez sensible pour nous faire
trouver abrupte et désagréable la prononciation des
Allemands, qui font brèves les consonnes finales
comme dans leurs mots denn (dɛn), ball (bɑl). Il est
67très marqué à la fin d'une phrase terminée emphatiquement ;
je reste seul (ʒə rɛstə sœlː) ; c'est raide
(sɛ rɛdː).

Une consonne qui'précède une autre consonne finale
est plus longue quand celle-ci est vocalique que quand
elle est soufflée ; talc (talk), algue (alːg) ; arc
(ark), largue (larːg) ; perche (pɛrʃ), berge (bɛrːʒ) ;.
Alpe (alp), Elbe (ɛlːb).

Nous ne tenons pas compte dans l'écriture de
cette durée des consonnes, parce qu'elle dépend
entièrement de leur position et peut donc se sous-entendre.

125. Au commencement des mots, on trouve
aussi des consonnes allongées et renforcées, soit
dans le langage familier par suite d'une contraction
comme dans de temps en temps (tːɑ̃ːzɑ̃ːtɑ̃), tout à
l'heure
(tːalœːr), je ne sais pas (sːepɑ) ; soit dans le
langage familier et oratoire sous l'influence d'un
accent énergique : jamais je ne ferai cela (ʺʒːamɛ
ʒənfre'sa). Ces formes se rencontrent surtout en tête
des groupes de souffle ; après une voyelle, une consonne
longue est ordinairement remplacée par une
consonne double [§ 126]. Cependant on entend aussi
des consonnes longues au milieu des phrases, surtout
dans le langage oratoire : Vous êtes le sel de la
terre
(vu'zɛt ləʺsːɛl də la'tɛːr) ; il faut faire juste
(ifo'fɛːr ʺʒːyst).68

Sons doubles

126. Nous avons déjà remarqué [§104] qu'un son
peut être partagé entre deux syllabes, et qu'alors il
nous semble l'entendre répéter deux fois ; par
exemple, quand on dit (aa).

Les consonnes peuvent être ainsi partagées en
deux comme les voyelles. Dans un mot comme Allah
(alla), il n'y a pas en réalité deux (l), mais un (l)
prolongé, et partagé en deux par une diminution
d'intensité. C'est ce que nous appelons une consonne
double
. Dans l'écriture phonétique, nous marquons
une consonne double en écrivant deux fois le signe
de la consonne simple, pour la distinguer d'une
consonne longue ; mais il faut se rappeler qu'il n'y
a pas en réalité deux consonnes. On peut considérer
la première lettre comme marquant l'arrivée, la
deuxième, la détente [§ 228].

127. Les consonnes doubles se rencontrent assez
fréquemment en Français, soit dans des mots
savants comme illégal (illegal), Abba (abba) (1)18 ;
soit dans des formes grammaticales comme je mourrai
(ʒəmurre), nous croyions (nukrwɑjjɔ̃) ou dans
des contractions comme netteté (nɛtte), là-dedans
69(laddɑ̃) ; soit surtout dans des rencontres de mots
comme elle lit (ɛlli), ça ne coupe pas- (sankuppɑ),
ils montent tous (imɔ̃ttuːs).

Les consonnes doubles peuvent se trouver même
entre d'autres consonnes : une porte très solide
(yn pɔrt trɛ sɔlid).

Il peut arriver qu'une consonne double commence
soufflée pour finir vocalique ou inversement :
dites donc (ditdɔ̃), ne tombe pas (nə tɔ̃bpɑ). Mais
alors il y a plus souvent assimilation [§ 222].

Dans les cas, relativement rares, où le redoublement
des consonnes a lieu en Français, il est
d'ailleurs très marqué, beaucoup plus sensible qu'en
Italien ou en Suédois où il est plus fréquent.

128. Quand on. parle sous l'influence d'une forte
émotion, il arrive constamment qu'on allonge ou
qu'on redouble une consonne habituellement simple :
allons bon ! (alɔ̃b'bɔ̃), c'est désolant ! (sɛd'dezɔlɑ̃).
Le pronom le, entre deux voyelles, se pronojnce
très souvent (ll) : je l'ai vu (ʒəllevy), nous l'avons
dit
(nullavɔ̃di).

Intonation

129. Nous avons déjà vu que la parole contient
un élément musical, la voix, dont la hauteur varie
avec les circonstances. Quand on chante, la voix
passe constamment d'une note à une autre, les
notes étant choisies de manière à former un ensemble
mélodieux.70

Il en est à peu près de même dans la parole
ordinaire. Il y a pourtant une différence fondamentale.
Dans le chant, chaque syllabe se prononce sur
une note donnée ; ou bien, si on passe d'une note
à une autre, ça se fait presque toujours d'un bond,
sans intermédiaire. Dans la parole, au contraire,
la voix ne s'arrête presque jamais sur une note :
elle ne passe pas non plus d'une note à une autre ;
elle glisse tout le long de l'échelle musicale, monte
ou descend plus ou moins rapidement, mais toujours
par degrés insensibles. En musique, j'écris par
exemple :
image viens-, tu

Mais pour représenter la parole, la notation :
image -, je, il, viens, -, tu
ne serait encore que très approximative. Il en résulte
que les intervalles paraissent moins grands qu'ils ne
le sont réellement. — Le parler Français, pourtant,
se rapproche plus du chant sous ce rapport que
l'Anglais ou l'Allemand.

130. Une autre différence, c'est que dans le chant
71on met en relief l'élément musical de la parole, en
tenant autant que possible la bouche ouverte, au
risque d'articuler mal certains sons et d'être difficilement
compris ; tandis qu'en parlant, on cherche
avant tout à être clair, on articule nettement, en
sacrifiant au besoin l'élément musical (1)19.

131. Les variations de ton, en Français, servent
seulement à modifier le sens général des phrases.
Elles sont intimement liées aux émotions et à la
logique ; par suite du caractère émotif de notre peuple,
elles sont très accentuées. Elles portent tantôt
sur l'ensemble des phrases, tantôt sur telle ou telle
partie.

132. D'une manière générale, l'étonnement, comme
les autres émotions vives, rend le langage intense ;
aussi les exclamations s'expriment-elles ordinairement
sur un ton aigu. Mais c'est le contraire s'il s'y
mêle une nuance d'incrédulité, de dédain, de mécontentement.
On reconnaîtra facilement la nuance des
phrases suivantes, où (┌) marque un ton aigu, (└) un
ton grave :

Tiens ! te voilà ! — └ Tiens ! te voilà déjà !
Allons donc ! — └ Allons donc !
Ah bah ! — └ Bah !
72Quelle idée !, └ Quelle idée !

133. L'interrogation est intimement liée à l'exclamation ;
elle aussi s'exprime sur un ton aigu. Comparez :

Vous venez. — ┌ Venez-vous ?
Tu es fatigué. — ┌ Es-tu fatigué ?
Il est arrivé. — ┌ Est-ce qu'il est arrivé ?

Mais s'il s'y mêle une idée de mécontentement, le
ton est grave :

Tu n'a pas oublié ma commission, j'espère ?
Eh bien, est-ce clair maintenant ?

De même, une demande qui implique humilité,
supplication, s'exprime sur un ton grave ; et par
contre, les réponses désobligeantes sur un ton aigu :

Voulez-vous bien me rendre ce service ?Certaine-
ment non
.

134. Le changement de ton peut se faire tout
d'une pièce ou peu à peu. Quand on passe d'un sujet
à un autre, le ton change brusquement : ordinairement
on commence un sujet nouveau sur un ton plus
haut, qui baisse ensuite peu à peu.

En lisant, bien des gens ont l'habitude de commencer chaque
paragraphe sur un ton très haut, qui baisse régulièrement
jusqu'à la fin du paragraphe. Cette répétition d'un changement
toujours le même est quelquefois d'une monotonie insupportable.

135. Ce n'est pas seulement dans l'ensemble que
l'exclamation, la question, veulent un ton élevé. Elles
donnent aussi lieu à une montée de l'intonation, que
73nous exprimons par (/) placé après la syllabe où elle atteint
son maximum. Cette montée est souvent plus abrupte
pour les exclamations que pour les questions ;
elle est souvent précédée d'une descente (\)
qui la rend plus marquée :

Pour qui me prenez-\ vous donc /

Cette montée se produit même dans les phrases ironiques
ou méprisantes, comme aux §§ 132-133.

136. La montée ne se produit pas toujours à la.
fin de la phrase. S'il y a un mot spécifiquement
interrogatif, ça peut être lui seul qui porte le ton
montant, tandis que le reste est sur un ton plus bas, ,
uniforme ou baissant. De même quand l'interrogation
est localisée dans un membre de phrase :

Pourquoi donc /└ est-ce qu'il a dit ça
M'as-tu entendu /└ quand je t'ai appelé

On peut aussi, dans ces phrases, mettre la montée
à la fin ; mais le sens est différent :

Pourquoi donc /└ est-ce qu'il a dit ça (Comment se
fait-il qu'il l'a dit).

Pourquoi donc / est-ce qu'il a dit ça / (et non pas
autre chose).

137. Le ton monte aussi, mais moins haut, dans,
les propositions inachevées : Et alors vous com-
prenez /
De même aussi au bout de chaque terme
d'une énumération, et d'une manière générale dans tout
ce qui appelle une suite : Il est venu avec sa
74femme/', ses enfants /, ses amis / Il y avait
des fleurs /, des fruits /, des gâteaux/

Dans ces sortes de phrases, toutefois, on emploie
parfois une intonation différente :

┌ Des └fleurs, ┌des └fruits, ┌des └gâteaux

Le ton reste souvent uniforme dans les propositions
douteuses.

138. Au contraire, dans les affirmations, les
ordres, le ton descend, et d'autant plus bas que la.
phrase est plus catégorique. Souvent la descente est.
précédée d'une montée qui la rend plus sensible :

C'est pour ça / qu'il est parti / d'ici\.

C'est ┌trop fort \.

La chute à la fin d'une phrase va souvent jusqu'à,
la perte complète de la voix, qui est alors remplacée
par le chuche. On peut prononcer ainsi chuchée ladernière
syllabe de phrases telles que :

Il est par\ti.

Il y en a beaucoup.

C'est pas └beau.

Monsieur !

139. Il y a aussi une tendance à marquer par uneélévation
du ton ce qui est plus important. Les mots à
accent déplacé [§ 90] prennent très habituellement,
un ton aigu sur la syllabe forte.

Il est parti en ┌'pleu└rant ┌'cri└ant (1)20.75

Par suite du même principe, les phrases incidentes,
subordonnées, parenthétiques, prennent un
ton grave.

140. Il est facile de s'apercevoir que nos signes de ponctuation
correspondent dans une certaine mesure aux changements
du ton. En général, une virgule, un point-virgule,
marquent une montée ; un point d'interrogation ou d'exclamation,
un montée plus forte ; un point, une descente ; la fin d'un
paragraphe, un descente plus forte ; deux virgules à distance,
un ton grave dans l'intervalle ; les parenthèses, un ton plus
grave encore. Mais cette correspondance n'est pas absolue, pas
plus que pour les arrêts. Notre ponctuation, comme nous
l'avons déjà dit, est logique et non phonétique.

140. Combinées à la hauteur d'ensemble de la
voix, ces intonations peuvent suffire à exprimer les
idées les plus variées, sans que les sons eux-mêmes
changent. Ainsi le mot oui, prononcé avec diverses
intonations, peut prendre les sens suivants :

C'est mon avis.
J'affirme ça.
Est-ce vrai ?
Pas possible !
C'est possible, mais j'en doute
76C'est bien clair.
Sans doute, au premier abord ; mais…

Quand bien même nous avons des moyens très simples
d'exprimer l'interrogation par les mots, ,
nous les négligeons souvent pour nous contenter du
‘ton interrogatif’ : au lieu de dire Venez-vous ou Est ce
que vous venez
, nous disons simplement Vous
venez/
.

141. L'importance du ton est encore plus grande dans
d'autres langues qu'en Français. En Italien, en*
Espagnol, c'est lui seul qui distingue l'interrogationv
de l'affirmation.

En Suédois, en Norvégien, en Croate, certaines
intonations sont liées à certains mots ; ce n'est que par
le ton qu'on peut dire si en Norvégien ('bœnnər) s
signifie des paysans ou des haricots ; — ou si en
Suédois ('andən) veut dire l'esprit ou le canard. Les langues
de l'Extrême-Orient vont le plus loin sous ce
rapport. En Chinois, la syllabe fu, chantée sur différentes
notes, peut signifier, père, homme, femme ou
richesse. En Siamois, (kɔː), prononcé sur un ton égal, ,
est le nom de la lettre k ; (kɔː/) est une interjection ;
(kɔː\) veut dire bâtir, (kɔː^) alors, (kɔːV) gai..
De là des méprises curieuses. Un Anglais rencontre
un mandarin et veut lui adresser le titre tʃu ‘monseigneur’ ;
il se trompe de ton, et s'aperçoit trop
tard qu'il l'a appelé ‘cochon’.77

Etude des sons

Classification générale

142. Nous allons maintenant passer à l'étude des
divers sons, dont l'assemblage constitue les syllabes,
Ses groupes de force et les groupes de souffle.

143. Les sons diffèrent entre eux, non plus
comme les syllabes, par la nature et l'ordre de leurs
éléments, mais par eux-mêmes. Il nous faut donc
les étudier un à un. Non pas certes que nous puissions
en épuiser la liste ; il y a autant de sons que
de positions différentes des organes, c'est-à-dire un
nombre infini. Mais nous pouvons fixer un certain
nombre de sons de types bien marqués, dont nous
étudierons la formation, et autour desquels viendront
se grouper les variétés moins accusées dont nous reconnaîtrons
l'existence.

144. Nous avons déjà dit que les sons du langage
se divisent naturellement en sons musicaux ou
voyelles et. en bruits ou consonnes. Nous commencerons
par l'étude des voyelles.

Voyelles

Classification des voyelles

145. Si nous prononçons plusieurs voyelles en
nous regardant dans une glace, nous voyons que
pour chaque voyelle nous donnons à la bouche une
78forme particulière. En prononçant (ɑ), nous ouvrons
!a bouche toute grande ; en prononçant (i), nous la
fermons à moitié et nous écartons les coins des
lèvres, comme si nous voulions rire ; en prononçant
(u), nous rapprochons les coins des lèvres et nous
les avançons un peu, comme pour faire la moue.

146. Mais il y a quelque chose de commun à
toutes les voyelles. Si nous prolongeons une voyelle
quelconque, en nous bouchant les oreilles avec la
paume de la main, nous percevons un fort bourdonnement,
qui manque si nous prononçons (sː) ou (fː).
Et si en prononçant une voyelle nous appuyons les
doigts contre la pomme d'Adam, nous sentons une
vibration qui manque pour (s) ou (f). Cette vibration
se sent même ailleurs : dans toute la poitrine
pour (a) ; dans la tête pour (i) ; etc.

C'est qu'à la base de toutes les voyelles se trouve la
voix, produite par la vibration des cordes vocales
[§ 36]. C'est pour ça que toute voyelle peut se chanter
se prononcer sur diverses notes, sans que le timbre
en soit changé, l'action de la bouche ne variant pas.

147. La voix, c'est le son musical essentiel à la
production d'une voyelle. Ce son est modifié par la
forme de la bouche, qui agit comme caisse de résonance
[§ 13]. C'est pour ça que chaque position de la
bouche donne naissance à une voyelle particulière/
même si la voix donne toujours la même note.

Toutefois, pour prononcer une voyelle, la bouche79ne peut jamais être fermée complètement comme
pour (p) ou presque complètement comme pour (f) ;
sans ça, il y aurait production d'un bruit qui dominerait
le son de la voix, et nous n'aurions plus une
voyelle, mais une consonne.

148. On peut donc définir une voyelle : une modification
du son de la voix par la résonance de la
 :
bouche ouverte ou entrouverte.

149. Ce que nous venons de dire s'applique aux voyelles-prononcées
à voix haute. Quand on chuchote, la voix est remplacée
par le chuche (§ 40), et les voyelles ordinaires par des voyelles
chuchées
.

150. Chaque voyelle étant produite par une position
particulière des organes, nous pouvons classer
les voyelles d'après la position des organes. Voici
les principales modifications.

151. D'abord on peut ouvrir ou fermer plus ou
moins le passage de l'air dans la bouche, en rapprochant
plus ou moins la langue du palais. De ce
chef nous distinguons quatre degrés : voyelles fermées,
mi-fermées, mi-ouvertes et ouvertes.

152. Puis, on peut retirer la langue dans la bouche,
en relever le fond vers le voile du palais : ou
au contraire, l'avancer, en lever le milieu vers le
palais dur ; ce qui nous donne deux classes de voyelles,
que nous appelons voyelles d'arrière et
voyelles d'avant, ou voyelles vélaires et voyelles
palatales
.80

Des voyelles formées dans une position intermédiaire peuvent
porter le nom de voyelles intermédiaires.

153. En troisième lieu, il faut considérer la position
des lèvres, qui peuvent être neutres, arrondies
et projetées en avant, ou écartées en fente.

En général, la position des lèvres correspond à
celle de la langue : elles sont fortement arrondies
pour les voyelles d'arrière fermées, à peu près neutres
pour les voyelles ouvertes, écartées en fente pour
les voyelles d'avant fermées. Les voyelles ainsi formées,
qui sont de beaucoup les plus nombreuses,
sont appelées voyelles normales. Celles qui sont formées
d'après un principe opposé sont appelées
voyelles anormales.

Voyelles normales

154. La figure suivante donne le tableau des
voyelles normales, représentées selon la place où elles
sont articulées dans la bouche. Le point où se
trouve (u) indique celui jusqu'où s'élève le fond de
la langue quand on prononce (u), etc.
image d'arrière, d'avant, fermées, u, i, mi-fermées, o, e, mi-ouvertes, ɔ, ɛ, ouvertes, ɑ, a

155. La différence de timbre entre ces différentes
voyelles tient à la position qu'on donne aux organes
81en les articulant. Chaque position fait de la bouche
une caisse de résonance particulière qui modifie
d'une certaine façon la voix produite par le larynx,
comme des tubes de forme différente modifient le
son produit par une anche de cor [§14].

Pour comparer entre elles les résonances propres
à chaque position des organes, il est bon de chucher
les voyelles correspondantes, parce qu'alors on n'a
affaire qu'à ces résonances elles-mêmes [les modifications
de hauteur du chuche étant insignifiantes],
tandis qu'en prononçant les voyelles à voix haute,
on peut, sans s'en douter, élever ou abaisser le ton
de la voix. On s'aperçoit alors aisément que si on
prononce la série des voyelles

u-o-ɔ-ɑ-a-ɛ-e-i

le timbre devient de plus en plus aigu.

C'est que, quand on prononce (u), la langue est
retirée et relevée, la bouche forme une grande
caisse de résonance prolongée encore par l'avancement
des lèvres et ouverte seulement par un
petit trou rond ou ovale, ce qui, d'après les lois de
l'acoustique, donne un timbre grave. Pour (i), la
langue est avancée, la chambre de résonance est
petite et ouverte par une longue fente, ce qui donne
un timbre aigu. Les autres positions donnent des
timbres intermédiaires.

156. La résonance propre de chaque voyelle se
compose d'un son fondamental et de plusieurs sons
82accessoires. La hauteur absolue du son fondamental
ne parait être fixe pour la résonance d'aucune
voyelle : elle varie d'une personne à l'autre, selon la
grandeur et la forme de la bouche, etc. ; — mais la
hauteur relative est fixe, le rapport existant entre
les diverses résonances est constant ou à peu près.
Pour les voyelles françaises, il peut s'exprimer
ainsi :
image

On voit que les voyelles d'arrière forment un accord
de septime, les voyelles d'avant un accord situé
une octave au-dessus.

Même sans le secours des diapasons, on peut, avec
un piano ou une flûte, se rendre assez bien compte
de l'exactitude de ce tableau en chuchant les voyelles
et en frappant les notes correspondantes.

La hauteur relative du son fondamental donne
ce que nous appelons la tonalité de la voyelle.

157. Ce qui paraît encore être fixe dans chaque
voyelle, et servir plus que la tonalité elle-même à
en rendre le timbre caractéristique, c'est le rapport
qui existe entre le son fondamental et les sons
accessoires. L'étude de ces rapports est très compliquée ;
on l'a à peine ébauchée.83

Voyelles anormales

158. Dans la prononciation des voyelles normales,
les positions respectives de la langue et des
lèvres concourent ensemble à abaisser ou à élever
le timbre. Pour les voyelles anormales, c'est le contraire,
les deux actions se contrarient. Ainsi, en
prononçant la voyelle (y), comme dans le Français
nu (ny), la langue s'élève en avant comme pour (i),
ce qui rend le timbre plus aigu ; mais les lèvres s'arrondissent
comme pour (u), ce qui l'abaisse.

Naturellement les voyelles ainsi formées ont une
tonalité d'une hauteur intermédiaire ; seulement,
la langue étant plus mobile que les lèvres et ayant
par conséquent une plus grande influence sur la
forme de la chambre de résonance, c'est elle
surtout qui détermine la tonalité de chaque voyelle.

159. Le Français possède trois voyelles anormales,
(œ), (ø), (y). Toutes trois sont des voyelles
d'avant arrondies, formées avec élévation du milieu,
de la langue et arrondissement des lèvres. L'arrondissement,
pour chaque voyelle, est le même que
pour la voyelle d'arrière du même degré.

Nous devons donc compléter notre tableau des
voyelles en y ajoutant ces voyelles d'avant arrondies.84

Nous les plaçons après les normales.

V. d'arrière | V. d'avant
normales | anorm. | norm.

image

160. La tonalité des voyelles anormales
œ, ø, y
paraît être, la même respectivement que celle des
trois normales
a, ɛ, e.
Les sons accessoires sont différents, et c'est par là
seulement que le timbre de (y) se distingue de (e),
etc.

Détail des voyelles orales

161. Nous pouvons maintenant passer en revue
les diverses voyelles de notre système, en commençant
par les voyelles d'arrière.

(u). — Cette voyelle se forme en fermant la
bouche autant que c'est possible sans faire entendre
de frottement, en retirant le fond de la langue vers
le palais mou, et en avançant les lèvres de manière
à former une petite ouverture ovale. Ce son est bref
dans loup (lu), tousse (tus), long dans jour (ʒuːr),
tous (tuːs).

(o). — Si on baisse un peu le fond de la langue,
85en ouvrant un peu plus les lèvres, on obtient (o),
bref dans pot (po), saut (so), trot (tro), long dans
chose (ʃoːz) ? côte (koːt). Toujours long en syllabe
forte fermée.

(ɔ). — En baissant et en ouvrant davantage, on
a (ɔ), bref dans trop (trɔ), cotte (kɔt), long dans cor
(kɔːr), loge (lɔːʒ).

(ɑ). — En baissant encore et en ouvrant tout à
fait, on a (ɑ), dans pas (pɑ), cas (kɑ), tasse (tɑːs), .
paille (pɑːj). Comme (o), (ɑ) accentué est presque
toujours long quand il n'est pas final.

Il n'est guère possible de baisser davantage la
langue ; on peut dire que (ɑ) est la voyelle formée
avec la bouche aussi grande ouverte que possible.

Remarque. — Si on conserve la position de langue de (ɑ),
en donnant aux lèvres le léger arrondissement de (ɔ), on obtient
une voyelle qui peut se figurer (o-r) ou (a>), et qui est à peu
près celle de l'Anglais all, horn. Cette voyelle n'existe pas
régulièrement en Français ; cependant on emploie parfois (a ? :)
comme exclamation d'étonnement ou de mécontentement. En
fait, on dit (ɑ) en faisant la moue.

162. (a). — En avançant la langue et en écartant
un peu les coins des lèvres, on obtient (a), qui
est bref dans rat (ra), patte (pat), long dans part
(paːr), page (paːʒ), boîte (bwaːt), goître (gwaːtr).

(ɛ). — En relevant la langue un peu plus en
avant, et en écartant encore un peu les coins des.
lèvres, on obtient (ɛ), comme dans net (nɛt), tête
86(tɛːt). A la différence des autres voyelles, (ɛ) est souvent
bref ou long devant la même consonne ; la
durée seule sert à différencier les mots : renne (rɛn),
reine (rɛːn) ; tette (tɛt), tête (tɛːt), saine (sɛn), Seine.
(sɛːn). (§117).

(œ). — C'est la même voyelle arrondie : jeune
(ʒœn), meule de moulin (mœl), veuve (vœːv).

(e). — En relevant davantage et en avançant la
langue, en écartant les coins de la bouche un peu
plus que pour (ɛ), on obtient (e), comme dans été
(ete), dégénérer (deʒeneːre).

(ø). — Un (e) arrondi donne (ø), le son de eu
dans peu (pø), queue (kø), neutre (nøːtr), jeûne
(ʒøːn), meule de foin (møːl). Toujours long en syllabe
forte fermée.

10° (i). — En relevant la langue autant qu'on
peut sans produire une consonne, et en écartant les
coins de la bouche, on obtient (i) comme dans vie(vi),
lime (lim), gîte (ʒit), abîme (abiːm), pire (piːr).

11° (y). — Un (i) arrondi donne (y), comme dans
vue (vy), lune (lyn), pur (pyːr), ruse (ryːz).

Voyelles nasalées

163. Les voyelles que nous avons étudiées jusqu'ici
se forment uniquement dans la bouche ; ce
sont des voyelles orales. Toute voyelle peut être nasalée,
si on abaisse le voile du palais de manière à laisser
passer une partie de l'air vocalisé par le nez ;
87alors la résonance du nez s'ajoute à celle de la bouche
et la modifie d'une façon particulière.

Il faut se garder de croire que nos voyelles nasaJées
se composent de deux sons. Des expériences très
simples prouvent que la nasalité se produit pendant
toute la durée de la voyelle, et ne vient pas s'ajouter
après. Si on prolonge une voyelle nasalée en tenant
deux miroirs bien polis, l'un devant le nez, l'autre
devant la bouche, on voit qu'ils commencent à se
ternir au même moment, l'air sortant à la fois de la
bouche et du nez ; tandis qu'ils se ternissent successivement
si on prononce (aːnː). — Si on se bouche le
nez, la voyelle est modifiée, mais elle n'est pas interrompue
comme le serait une combinaison telle que
(an). — D'ailleurs en appuyant les doigts sur les ailes
du nez pendant qu'on prononce une voyelle comme
(ɑ̃), on sent parfaitement les vibrations dès le commencement (1)21.

164. Le Français nasale quatre voyelles, toutes
ouvertes : (ɔ), (ɑ), (ɛ), (œ), ou plus exactement (o-*-),
(a-), (ɛ=>), (œ-r).

Nous représentons ces voyelles nasalées par (ɔ̃),
(ɑ̃), (ɛ̃), (œ̃) ; on les entend dans bon, banc, bain, un.
Nos habitudes d'orthographe nous font facilement
88croire que les voyelles des mots pin, un, sont (i) et (y)
nasalés. Mais si on s'exerce à prononcer (ɑ — ɑ̃),
(ɛ — ɛ̃), (œ — œ̃), (ɔ — ɔ̃), on se rendra bientôt
compte du mécanisme de la nasalation : dès lors on
pourra facilement former toutes les autres voyelles
nasalées, et on reconnaîtra que (ĩ), (ỹ) n'existent pas
en Français. On les trouve dans d'autres langues,
notamment dans certains dialectes de l'Est de la
France (1)22.

165. Comme les voyelles orales (o) et (ø), les nasalées
sont toujours longues en syllabe forte fermée.

Voyelles faibles

166. Toutes les voyelles que nous avons étudiées
jusqu'ici se trouvent en Français en syllabe forte
comme en syllabe faible [§§ 83 s.]. Il y en a d'autres,
au nombre de quatre, qui ne se rencontrent qu'en
syllabe faible. Elles se rapprochent toutes des positions
intermédiaires, et se prononcent avec la langue
moins tendue que les voyelles fortes ; aussi sont-elles
moins distinctes.

Nous les désignons par (ɔ̀), (à), (è), (ə).

167. Nous allons les décrire rapidement.

12° (ɔ̀). — Cette voyelle se prononce avec la langue
89un peu plus haute que pour (ɔ), plus avancée et plus
relâchée ; la représentation rigoureuse en serait
(o) C'est la première voyelle de comment (kɔ̀mɑ̃), .
poteau (pɔ̀to), prononcer (prɔ̀nɔ̃ːse). Elle se distingue
à peine de (ɔ). — Quelques personnes la remplacent
par une sorte de (œ).

13° (à). — Ce son est intermédiaire entre (ɑ) et (a),
dont il se distingue mal et entre lesquels il parait
flotter : carreau (kàːro), mardi (mardi).

14° (è). — Cette voyelle se prononce avec la langue
un peu plus basse que pour (e), moins avancée et
moins tendue. Elle remplace souvent (e) ou (ɛ) dans la
syllabe qui précède l'accent : méchant (mèʃɑ̃), sécher
(sèʃe) régner (rèɲe). Du reste elle se rapproche
tantôt plus de (e), tantôt plus de (ɛ).

15° (ə). — C'est le son précédent avec les lèvres
légèrement arrondies : notre e dans je (ʒə), me (mə).
Si on essaye d'accentuer ou de prolonger (ə), on a
quelque peine à ne pas prononcer (œ) ou (ø) ; ainsi
on dit prends-le (prɑ̃ʹlœ) ou (prɑ̃ʹlø). Mais comparez,
pour sentir la différence, je leur dis (ʒlœrdi) et je le
redis
(ʒlərdi) ; et notez que (ə) peut toujours s'élider, .
ce qui n'est pas le cas pour (œ).

168. La voyelle (ə) est celle dont la prononciation
paraît la plus facile, la plus naturelle à des Français.
Quand nous ouvrons la bouche sans intention bien,
marquée [par exemple quand nous sommes embar-.
rassés pour répondre], c'est (ə) que nous prononçons ;
90un (ə) légèrement nasalé en général, le voile
du palais n'étant pas complètement relevé. Le son
(ə), c'est donc la voyelle neutre du Français. Aussi
les voyelles faibles ont-elles souvent une tendance à
se changer en (ə), et on dit monsieur (mɔ̀sjø) ou
(məsjø), prononcer (prɔnɔ̃ːse) ou (prənɔ̃ːse), peut-être (pøtɛːtr)
ou (pətɛːtr), faisan (fèzɑ̃) ou (fəzɑ̃), déjeuner (deʒœne)
ou (deʒəne), soucoupe (sukup) ou (səkup) (1)23.
C'est aussi (ə) qu'on introduit entre plusieurs
consonnes pour les rendre plus distintes, ou à la fin.
d'un groupe ; par exempe quand on dit Ouest-Ceinture (wɛstəsɛ̃ːtyːr),
un ours blanc (œ̃nursəblɑ̃), lorsque
(lɔrsəkə), c'est Max (sɛmaksə), un arc (œ̴̃n arkə).

Remarque générale

161. En considérant dans son ensemble le sys=tème
des voyelles Françaises, on remarque :

Qu'il tient le milieu entre les systèmes très simples
de l'Espagnol et de l'Italien (2)24, et ceux plu ?,
compliqués des langues germaniques.91

Qu'à l'exception des voyelles inaccentuées, toutes
nos voyelles sont formées dans des positions bien
définies, loin des positions intermédiaires, et à une
distance ‘harmonique’ les unes des autres.

Qu'avec la même exception, toutes sont formées
avec les muscles très tendus, non relâchés comme
dans les voyelles brèves Anglaises ou Allemandes.

Qu'il y a plus de voyelles d'avant que d'arrière,
de sorte que la langue est le plus souvent avancée
dans la bouche, et convexe.

Que l'action des lèvres est très énergique, puisqu'une
série de trois voyelles d'avant peut être complètement
transformée par le changement de position
des lèvres.

Qu'enfin la nasalation des voyelles est d'un emploi
fréquent et important.

Tout ça contribue à donner à notre langue un remarquable
caractère de netteté, en lui ôtant peut-être
un certain degré de souplesse. C'est tout l'opposé
de l'Anglais, où les voyelles sont presque toutes
‘relâchées’, la langue ordinairement retirée et concave,
l'action des lèvres faible, et où la nasalation n'a
aucun rôle significatif.

Consonnes

Classification des consonnes

170. Nous avons vu [§ 14.8] qu'une voyelle est
une modification du son de la voix par la résonance
92de la bouche, à laquelle peut s'ajouter [§ 163] celle
du nez.

En prononçant une consonne, la voix peut résonner
aussi. On peut répéter, avec une consonne
comme (v) ou (z) ou (m), les expériences indiquéesau
§ 146. On verra qu'en se bouchant les oreilles, on
perçoit le même bourdonnement qu'avec les voyelles. On
sent la même vibration en appuyant le doigt sur
la pomme d'Adam. Enfin on peut chanter un air sur
chacune de ces consonnes ; de fait, on chante souvent,
un (m), quand on fredonne un air sans paroles.

171. Mais, dans ces consonnes, la voix n'est pas l'essentiel.
Lorsqu'on passe de (v) à (f), par exemple en
prononçant (vːfːvːfː), les vibrations des cordes vocales
s'arrêtent subitement, comme il est facile de
le constater en se bouchant les oreilles ; la consonne
change de caractère, mais il est pourtant évident que
(f) est un son très voisin de (v). De même (s) est voisin
de (z).

C'est que l'essentiel, pour (v) comme pour (f), c'est
le bruit de frottement que produit l'air en passant
entre les dents d'en haut et la lèvre d'en bas. Il y a en
plus, pour (v), un murmure vocal dans le larynx, mais
ceci est accessoire.

172. On peut donc définir une consonne, un bruit produit
dans la gorge, la bouche ou le nez, accompagné
ou non du son de la voix
.

173. De cette définition même résulte une première
93classification. Nous appelons consonnes vocaliques
celles pour lesquelles le bruit est accompagné
du son de la voix, et consonnes soufflées celles pour
lesquelles ce son manque. On arrive aisément à les
distinguer, si on prononce une série de consonnes
en se bouchant les oreilles avec la paume de la main,
ou si on essaye de les chanter ; et on fera bien de s'y
exercer, jusqu'à ce qu'on puisse les reconnaître rien
qu'en les entendant. On trouvera, par exemple, que
(f), (s), (p), (t), (k), sont des consonnes soufflées ; que
(v), (z), (b), (d), (g), sont des consonnes vocaliques.

On s'aperçoit que les eonsonnes se classent ainsi
deux à deux, une soufflée correspondant à une vocalique.
— A la vérité, plusieurs soufflées manquent
au Français, ou ne s'y trouvent qu'exceptionnellement,
par exemple (m̥), (l̥), (r̥) ; mais on les trouve
dans d'autres langues, et il n'est pas difficile de les
former, quand une fois on se rend compte de la différence
entre (z) et (s), entre (v) et (f), etc.

174. On donne souvent aux -consonnes soufflées le nom de
consonnes dures ou fortes, aux consonnes vocaliques celui de
consonnes faibles ou douces. Les premières en .effet, se prononcent
avec toute la force du souffle, et, étant de simples bruits,
frappent l'oreille avec rudesse. Pour les secondes, une partie
de la force est employée à faire-vibrer les cordes vocales ; et le
son de la voix, se mêlant au bruit consonantique affaibli, produit
à l'oreille un effet plus doux. — D'autres .encore disent
-consonnes.sourdes et consonnes sonores.94

175. La division des consonnes en soufflées et
vocaliques ne suffit pas. En prononçant devant une
glace une série de consonnes soufflées, on s'aperçoit
que la position des organes change pour elles
comme pour les voyelles ; seulement, pour les consonnes,
il faut que le passage de l'air soit intercepté
ou considérablement rétréci quelque part ; sans cela
il n'y aurait pas de bruit perceptible. Pour (p), par
exemple, il y a, pendant un moment, interruption
complète du passage de l'air par la fermeture des lèvres ;
pour (f), il n'y a pas fermeture complète, mais
l'air passe à frottement entre les dents d'en haut et
la lèvre d'en bas.

176. D'après cet exemple, il y a lieu de classer les
consonnes, d'une part, suivant leur mode de formation :
fermeture complète pour (p), rétrécissement
pour (f) ; — d'autre part, suivant le point où elles
sont articulées : entre les deux lèvres pour (p), entre
les dents et les lèvres pour (f).

177. Suivant le mode de formation, nous distinguons
cinq classes de consonnes :

Le passage de l'air est complètement fermé en
un point donné, puis ouvert, comme par une explosion :
(p), (b), (t), (k) ; la consonne est plosive.

Le passage de l'air est fermé, puis ouvert de la
même manière, dans la bouche ; mais en même
temps le voile du palais reste baissé, de sorte que
95l'air passe par le nez : (m), (n) ; la consonne est
nasale.

Le passage de l'air est fermé dans le milieu
et ouvert sur les côtés : (l) ; la consonne est latérale.

Le passage de l'air est fermé et ouvert par une suite
rapide de mouvements d'un organe élastique :
(r) ; la consonne est roulée.

Le passage de l'air est simplement rétréci en un
point donné, de manière à donner un frottement
continu : (f), (v), (s) ; la consonne est fricative.

178. On remarque tout de suite que les plosives
sont des frappements, par conséquent des bruits momentanés,
tandis que les fricatives sont des frottements
prolongeables
. Les consonnes des trois autres classes,
que nous réunissons sous le nom collectif
de liquides, et qui sont aussi prolongeables, sont
formées à la fois par un frappement très léger et par un
frottement très faible ; en outre, quand elles sont
vocaliques, le son de la voix couvre en grande partie
le bruit de la consonne. Ces consonnes participent,
donc à la nature des plosives, des fricatives et des
voyelles.

179. Quant au lieu d'articulation, nous distinguons
six principales classes de consonnes.

Labiales, formées avec les lèvres : (p).

Linguales, formées avec la pointe ou la face de
96la langue et les dents ou les gencives : (t),
(s) (1)25.

Palatales, formées entre le milieu de la langue
et le palais dur : (j).

Palatales d'arrière ou Vélaires, formées au
commencement du palais mou : (k).

Uvulaires, formées entre le fond de la langue e£
le voïle du palais : (r).

Laryngales, formées entre les cordes vocales :
(h).

Tableau des consonnes

180. Le tableau suivant représente le mode et le
lieu de formation des consonnes Françaises. La consonne
vocalique est mise partout après la soufflée.

On verra que nous enregistrons plus de variétés
de fricatives que de plosives et de liquides. Bien entendu,
à chaque fricative correspond en réalité une
plosive ; mais tandis que le plus léger changement
de position des organes change complètement le timbre
d'une fricative, il ne donne le plus souvent, pour
les autres consonnes, qu'une variation insignifiante.
Nous sommes obligés de considérer (ʃ) et (s) comme
97das consonnes distinctes : les plosives correspondantes
ne sont que des variétés de (t).

tableau plosives | nasales | latérales | roulées | fricatives | laryngales | uvulaires | vélaires | palatales | linguales | labiales dentilabiales | bilabiales

Détail des consonnes

181. Nous allons passer en revue rapidement ces
diverses consonnes.

182. Plosives. — Les plosives, nous l'avons vu ,
sont des consonnes formées en fermant, puis en ouvrant
le passage de l'air en un point donné, de sorte
que l'air sort brusquement. Le Français possède trois
paires de plosives : (p) (b) ; (t) (d) ; (k) (g).

183. La plosive bilabiale (p) (b), se forme en fermant,
puis en ouvrant brusquement les deux lèvres :
98pape (pap) , bas (bɑ), robe (rɔb). C'est un des sons les
plus faciles, un des premiers que les enfants prononcent,

184. La plosive linguale (t) (d), se forme en appliquant
la pointe ou la face supérieure de la langue
contre les dents et les gencives d'en-haut, de manière
à fermer le passage de l'air, puis en ouvrant brusquement :
tort (tɔːr), tout (tu), tel (tɛl), temps (tɑ̃),
dent (dɑ̃), doux (du), dix (dis). — Le son varie selon
que c'est la pointe seule de la langue qui ferme le
passage, ou la pointe et une partie de la face ; et selon
le point précis de fermeture. En Français, du moins
dans la prononciation du Nord, on appuie le plus
souvent la pointe contre les dents d'en bas, et la face
supérieure contre les dents d'en-haut et les gencives ;
c'est la face qui ferme le passage. En Anglais, on
appuie la pointe contre les gencives, ce qui produit
un son très sensiblement différent. En Portugais,
c'est la pointe seule qui agit comme en Anglais :
mais elle s'appuie contre les dents.

185. La plosive vélaire (k) (g), se forme en
-approchant le fond de la langue du palais : car (kaːr),
quand (kɑ̃), qui (ki), kiosque (kjɔsk), cou (ku) ; gant
(gɑ̃), gué (ge), guère (gɛːr), goût (gu). — On peut
former cette consonne plus ou moins en arrière. En
Français on la forme plus en avant qu'en Allemand
et en Danois. Devant (ɛ), (e), (i), surtout (j), beaucoup
de dialectes populaires la remplacent par la plosive
99palatale (c) (ɟ), formée contre ie palais dur : c'est ce
qu'on cherche à exprimer en écrivant tienze, le tiuré,
un cintième, la litieur c'est-à-dire (cɛ̃ːz), (ləcyːre),
(œ̃sɛ̃ːcɛm), (lalicœːr). Dans la prononciation Parisienne,
en revanche, (k) devant r se prononce très
en arrière, c'est à peu près le (q) de l'Arabe qahoua
‘café’ : croûte (krut), plus exactement (qʀut) ou (qʀut)
à Paris. - :

186. La plosive laryngale (ʔ), toujours soufflée,
s'entend surtout quand on tousse légèrement : elle
est alors suivie d'une forte poussée d'air, (ʔh) ou
ïih). Comme élément du langage, elle n'a pas de
rôle indépendant en Français ; mais on l'entend parfois
avant une voyelle initiale ou après une voyelle
finale, surtout dans certaines interjections : (ʔo), (oʔ),
(ʔoʔ) ; (hɛʔ) ; (djaʔ) ; et quand on termine brusquement
une proposition : oui (wiʔ), etc.

Dans d'autres langues, l'emploi de (ʔ) est régulier. L'Allemand
[du Nord] l'emploie avant toutes les voyelles initiales : über
(ʔyːbər), et dans certains composés, comme verein (fərʔain) (1)26.
Le Danois, l'Arabe, en font un usage constant, et s'en servent
pour différencier des mots qui seraient autrement semblables.

187. Nasales. — Les nasales sont des consonnes
formées en fermant le passage de l'air dans la bouche,
mais en tenant le voile du palais baissé, de manière
à laisser passer l'air par le nez. Elles sont formées
100presque sans bruit consonantique ; car l'air sortant
librement par le nez, il ne peut pas être question
d'explosion proprement dite au moment où le passage
dans la bouche est rouvert ; et quant au frottement
que l'air produit en passant dans les narines,
il ne s'entend que si on respire très fort.

Aussi la plupart des langues n'ont régulièrement
que les nasales vocaliques : ce qu'on entend alors,
c'est le son de la voix, modifié par la résonance du
nez, et accompagné d'un léger frottement et d'une
légère explosion. Il en est ainsi en Français, où les
nasales ne se présentent comme soufflées que dans
des cas tout à fait exceptionnels. — Ceci s'applique,
pour des raisons analogues, aux autres consonnes
dites liquides. (1)27.

188. Quoique les nasales sonnent tout autrement
que les plosives, on voit que leur mode de formation
s'en rapproche beaucoup, puisque la seule différence,
c'est l'ouverture du nez. Aussi, si on essaye de prononcer
une nasale en se bouchant le nez, on prononce
presque la plosive correspondante [non pas
tout à fait, car la résonance nasale existe en partie] :
mon ami (mɔ̃nami) devient (bɔdabi), un homme
101(œ̃nom) devient (œdɔb). La même chose arrive quand
on est enrhumé : on dit presque (ʃsɥiɑrybe).

189. La nasale bilabiale (m) se forme exactement
dans la même position que (p) (b). C'est le plus facile,
le plus naturel de. tous les sons, car en respirant
fortement la bouche fermée, on produit un (m) soufflé
(m̥), et si on ajoute la voix, un (m) vocalique
(m) (1)28. En Français, (m̥) ne se rencontre que rarement,
soit dans des interjections telles que hem (m̥m̬),
ehem (m̬m̥m̬) ; soit à la fin des mots après une consonne
soufflée, comme dans prisme, rhumatisme,
qui se prononcent (prism̥), (rymatism̥). Dans ce
genre de mots le (m̥) s'entend à peine, aussi on le supprime
souvent pour dire(pris), (rymatis) (2)29. Parfois,
sous l'influence d'une consonne soufflée, (m)
peut devenir (m̥) au commencement d'un groupe ;
dans un parler rapide : monsieur (m̥sjø), il me semble
que oui
(m̥sɑ̃p kəwi). Dans ces deux derniers cas
le (m) perd souvent sa nasalité, et alors il devient un
(p) faible : (psjø), (psɑ̃p kəwi). — Dans le corps des
mots, quelques personnes prononcent (m̥) dans des
mots comme hameçon (amsɔ̃).

190. La nasale lingale (n) correspond exactement
à (t) (d). La soufflée (n̥) existe dans la prononciation
102de quelques personnes après ou avant une
soufflée : des tenailles (detnɑːj), hanneton (hantɔ̃) ;
plus souvent à l'initiale, dans un parler rapide : je
ne sais pas
(n̥sepɑ) ou (tsepɑ). Partout ailleurs on
a (n̬) vocalique : nord (nɔːr), aune (oːn).

191. La nasale palatale (ɲ) est notre gn dans
règne (rɛɲ), vigne (viɲ) ; elle se prononce tantôt plus,
tantôt moins en- avant. — (ɲ) est le moins fréquent
de tous les sons Français. Il n'est jamais initial (1)30.
— Devant une soufflée, comme dans enseignes-tu
(ɑ̃sɛɲ̊ty), (ɲ) peut devenir plus ou moins soufflé.

A la place de (ɲ), quelques personnes, ne fermant
pas complètement le passage de l'air dans la bouche
tout en laissant ouvert le passage du nez, prononcent
un (j) nasale qu'on peut représenter par (j̃) :
(rɛj̃e), (sij̃e). A la station de Batignolles [Paris], on
entend souvent crier : (batij̃œlː) ! — D'autres personnes,
au lieu de fondre ainsi (n) et (j) en un seul
son, prononcent simplement (nj), avec un (n) dental
mais palatalisé, et ne font aucune différence entre la
deuxième syllabe de régner et de panier. — Inversement,
on prononce souvent (ɲ) pour (nj) : (paɲe),
(maɲe). — D'autres personnes encore prononcent
103un (ɲ) palatal, mais introduisent un (j) avant où
après : régner devient (reɲje) ou (rejɲe).

192. La nasale vélaire (ŋ) n'existe en Français
qu'accidentellement, dans quelques assimilations :
une longue main (ynlɔ̃ŋmɛ̃) [§ 238]. C'est le ng de
l'Anglais thing, de l'Allemand ding, un des sons les
plus difficiles pour les Français.

193. Latérales. — Les consonnes latérales sont
formées normalement en fermant le passage de l'air
dans son milieu, et en laissant l'air sortir par les
côtés ; mais il arrive souvent qu'en fermant le milieu,
on ferme aussi un côté ; de sorte que l'air ne
sort que par un seul côté. Le son n'en est pas sensiblement
affecté. — Comme les nasales, les latérales
ne se présentent le plus souvent que comme sons
vocaliques, si ce n'est dans certaines positions particulières.

194. La seule consonne latérale du Français,
tel qu'on le prononce dans le Nord, c'est (l). Pour
le former, on appuie la pointe de la langue contre les
dents d'en bas, et la face contre les dents d'en haut
et les gencives, exactement comme pour (t), (d) et
pour (n) ; seulement on laisse des deux côtés, ou
du moins d'un côté, une ouverture où passe l'air.
Cette consonne est ordinairement vocaîique, comme
dans la (la), nul (nyl). Mais à la fin d'un groupe,
après une consonne, (l) est dévocalisé, complètement
après une consonne soufflée, plus ou moins
104aussi après une consonne vocalique, de manière à ne
pas faire syllabe : peuple (pœpl̥), table (tabl̥). Ce (l̥)
est du reste très faible et disparaît souvent dans le
langage familier. — Il y a aussi assez souvent dévocalisation
partielle à l'intérieur d'un groupe, avant
ou après consonne soufflée : Alpes (al̥p) ; plus (pl̥ys) ;
-et surtout, dans le langage familier, en tête d'un
groupe : le père et la mère (l̥pɛːr elamɛːr).

Dans les mots comme peuple, table, (l) redevient vocaiique
si une voyelle suit immédiatement : la table est prête (latablɛprɛːt).
— Si c'est une consonne qui suit immédiatement, on
intercale (ə), ou bien on supprime le (l) : le peuple français
(ləpœplə frɑ̃ːsɛ) ; boucle d'oreille (buklə dɔrɛːj)ou (buk dɔrɛːj).
— Le (l̥) soufflé ne se trouve guère qu'à la fin d'un groupe de
souffle.

195. La latérale palatale (ʎ), est le gl Italien,
ll Espagnol, lh Portugais. C'est notre ‘l mouillé’ de
œil, soleil, briller, souiller, piller, qui, dans le Midi
et en Suisse, se prononcent encore (sɔlɛʎ), (œʎ),
(briʎe), (suʎe), (piʎe). Dans le Nord de la France, ,
cette consonne ne s'entend plus ; on dit (œːj), (sɔlɛːj),
(brije), (fuje), (pije). Quelques personnes, il estvrai, essayent
de prononcer le l mouillé, comme le recommandent
en général les grammairiens ; mais elles y réussissent
le plus souvent fort mal et prononcent (œlj),
(sulje), (pilje) ; confondant ainsi des mots comme
souiller et soulier, piller et pilier (1)31.105

196. La latérale vélaire (ł) n'existe pas en Fran~
çais, mais se trouve en Russe et en Polonais, où elle
alterne avec un (l) cacuminal, c'est-à-dire produit en
relevant la pointe de la langue, et accompagné d'un
rétrécissement vélaire, qui produit presque le même
effet. [Le (l) Anglais, Hollandais, Catalan, Portugais, ,
est formé d'une manière semblable] (2)32. — Une sorte
de (ł) a dû exister en vieux Français, par exemple
dans le pluriel de cheval, qui a dû se prononcer
(tʃəval̴s), puis (ʃəvaus), pour aboutir enfin à (ʃəvo).

197. Roulées. — Une consonne roulée est formée
par un ou plusieurs coups d'un organe élastique
qui interrompt un moment le passage de l'air, sans
toutefois l'intercepter complètement comme une plosive.
Quand il y a plusieurs coups, ce qui est le cas
ordinaire, on pourrait regarder la consonne roulée
comme une succession très rapide de petites demi-plosives ;
mais l'oreille ne distingue pas bien cette
succession, et le langage a toujours traité les roulées
comme des sons simples, voisins des latérales.

198. Il y a en Français deux consonnes roulées, ,
l'une (r), linguale, gencivale ou quelquefois dentale ;.
l'autre (ʀ), uvulaire, formée par le roulement de la
106luette. Mais ces deux sons n'ont pas d'existence indépendante :
ils sont employés l'un pour l'autre selon
les contrées ou les individus : les uns disent (rɑːr),
les autres (ʀɑːʀ), etc.

199. Le son (r) était autrefois seul employé en France. Ce sont,
parait-il, les ‘ Précieuses’ du 17e siècle qui ont mis (ʀ) à
la mode, dans le but de se distinguer du vulgaire. Il ne semble
pas, pourtant, qu'elles l'aient inventé : c'est plutôt un défaut
de prononciation qui a une tendance à se produire dans les villes,
et que les Précieuses ont affecté d'imiter. En tout cas,
la mode s'est répandue à tel point qu'aujourd'hui (r) est presque
inconnu dans les grandes villes, surtout à Paris ; seuls,
les chanteurs, les orateurs, les acteurs, le préfèrent-comme
plus sonore, plus harmonieux et moins fatiguant pour la gorge.

Dans les campagnes, déjà à 5 lieues à l'Ouest de Paris, et
dans les petites villes, (r) est presque seul en usage, bien que (ʀ)
se répande de plus en plus. En somme, je crois que (r) est
le son employé par la grande majorité des Français. — Aucun
dialecte, à ma connaissance, n'emploie à la fois (r) et (ʀ) (1)33.

Dans les régions où (r) domine, on donne à (ʀ) le nom de r
grasseyé
 ; ailleurs on réserve ce nom pour -certaines variétés désagréables
de ce son, par exemple (ʁ). Je ne crois pas qu'on
le donne jamais à (r).

Nous écrirons dorénavant (r) ; mais ce que nous avons encore
107à dire s'applique aussi à (ʀ), là où on prononce cette consonne.

200. (r) est ordinairement vocalique, comme (l) ;
il devient soufflé dans les mêmes cas : quatre (katr̥),
poudre (pudr̥), reparais (r̥parɛ), quelquefois près
(pr̥ɛ), arc (ar̥k). A la fin des mots, il disparaît encore
plus facilement que (l) ; rien de plus commun que
d'entendre dire (kat pɛrsɔn), (nɔttabl̥), même (nɔtami),
par des personnes parlant très ‘correctement’.
Dans les composés comme un quatre places, un
maître d'hôtel
, (r) tombe toujours : (œ̃katplas), (œ̃mɛtdɔtɛl).

201. On peut former encore d'autres consonnes roulées,
partout où il y a un organe suffisamment élastique. Ainsi pour
produire une consonne roulée bilabiale, il suffit de tenir les
lèvres l'une contre l'autre sans les raidir, et de chasser fortement
l'air. Cette consonne [commençant soufflée pour finir
vocalique] est employée parfois comme expression de froid et
de dégoût ; les cochers Danois s'en servent pour arrêter leurs
chevaux. Les bouviers Bretons [du moins dans les environs
de Pornic] emploient aussi une roulée bilabiale, pour faire
marcher leurs bœufs ; mais elle est très différente, la langue
prenant, en mèrne temps, la position de (s). On peut aussi
produire une consonne roulée avec la langue et la lèvre d'en
haut. 0. Jespersen m'a même dit que le phonéticien Anglais
Lecky [mort depuis], pouvait produire une consonne roulée
palatale, ce que j'aurais cru impossible, vu le peu d'élasticité
du milieu de la langue.

202. Fricatives. — Les fricatives sont formées
108en rétrécissant le passage de l'air en un point quelconque,
de manière à ce que l'air sorte à frottements
Comme les plosives et les autres consonnes, les fricatives
diffèrent entre elles selon le point de la bouche
où elles sont formées. Les différences sont même
beaucoup plus marquées, comme nous l'avons dit
[§180].

203. La fricative bilabiale (f) (ʋ), produite en
chassant l'air entre les deux lèvres, est souvent le b
ou v Espagnol de sabér, le w Néerlandais de wrocht
le w Allemand de zwei (tsʋai). Elle n'existé pas sous cette
forme en Français ; mais nous avons deux fricatives
dans lesquelles au rétrécissement bilabial
se joint un rétrécissement dans une autre partie de la
bouche : ce sont à proprement parler des consonnes
composées
, mais dans lesquelles l'action des lèvres
domine.

204. La première de ces consonnes, (ɥ), est le u
de huile (ɥil) huit (ɥit), buis (bɥi), luire (lɥiːr), nuée
(nɥe), nuage (nɥaːʒ). Elle est plus ou moins soufflée après
une consonne soufflée, comme dans puis (pɥ̊i)
fuir (fɥ̊iːr) ; vocalique ailleurs. Pour la former on
rapproche les lèvres l'une de l'autre, mais en même temps
on contracte légèrement les coins, de sorte
que les lèvres sont un peu avancées ; d'autre part, .
on élève un peu le milieu de la langue vers le palais dur,
comme pour prononcer (y) ou du moins (ø)
[§ 162]. Le frottement est faible, aussi cette consonne ?
109se.rapproche beaucoup de la voyelle (y) (1)34. [V. §212.]

205. La seconde fricative bilabiale (w), se trouve
dans oui (wi), ouest (wɛst), whist (wist), loin (lwɛ̃),
doit (dwa). Elle est soufflée ou vocalique dans les
mêmes cas que (ɥ) : pois (pẘa), bois (bẘa) (2)35. Pour
la. former, on rapproche les lèvres en contractant
fortement les coins, de sorte que l'ouverture n'est
plus qu'un petit trou rond ou ovale, et on projette
franchement les lèvres en avant ; en même temps le
fond de la langue s'élève vers le palais mou. Ici
encore le frottement est faible, la consonne se rapproche
de la voyelle (u).

206. La fricative dentilabiale (f) (v), se forme en
appuyant la lèvre d'en-bas contre les dents d'en-
haut, et en chassant l'air à travers les intervalles des
dents : faim (fɛ̃), fort (fɔːr), bref (brɛf) ; vin (vɛ̃), cave
(kaːv). A l'encontre des précédentes, cette consonne
se produit avec un frottement très marqué ; elle
peut être soufflée ou vocalique dans toutes les positions.

207. Les fricatives linguales varient beaucoup
entre elles : le moindre mouvement de la langue
suffit pour changer considérablement le son, et d'autre
part, des sons très semblables peuvent se produire dans
110des positions différentes. On distingue quatre
variétés principales, dont deux existent en
Français.

208. La consonne (s) (z), se forme d'ordinaire en
appuyant la pointe de la langue contre les incisives
d'en-bas, et les côtés de langue contre les molaires
d'en-haut ; la face supérieure de la langue est relevée
contre les incisives d'en haut et les gencives, de manière
à ne laisser libre qu'un étroit passage, par
lequel l'air vient frapper les dents et sort avec un
bruit particulièrement perçant : de là le nom de
son sifflant donné à cette consonne : sel (sɛl), sucre
(sykr̥), rosse (rɔs) ; zèle (zɛl), rose (roːz), ruse (ryːz).

209. La consonne (ʃ) (ʒ), se forme d'ordinaire en
relevant les côtés de la langue comme pour (s) (z) ;
mais au lieu d'appuyer la pointe contre les dents
d'en-bas, on l'approche, ainsi qu'une partie de la
face supérieure, des gencives ou même du palais
dur, en laissant pour l'air un passage plus court et
plus large : champ (ʃɑ̃), chou (ʃu), vache (vaʃ) ; Jean
(ʒɑ̃), joue (ʒu), cage (kaːʒ). — On donne souvent à
cette consonne le nom de son chuintant.

210. Les deux autres fricatives linguales sont : (θ) (ð), le
th Anglais dans think (θiŋk), then (ðɛn). à peu près le z Espagnol
dans razon (ra'θon). Cette consonne se forme en plaçant, la
pointe de la langue entre les dents, ou contre les dents d'en haut,
de manière à chasser l'air entre les interstices des
111dents (1)36. Quoique ce son n'existe pas chez nous, il n'est pas rare de
l'entendre comme défaut de prononciation, à la place de (s) (z) :
c'est ce qu'on appelle bléser. — 2° ( U), le r non roulé dès Anglais
du Sud et des Américains, qui se prononce en approchant
la pointe de la langue des gencives sans que la face supérieure
s'approche comme, pour (ʃ) (ʒ). Souvent la pointe de
la langue est même un peu repliée en arrière, de façon à ce que
la face inférieure se rapproche des dents (2)37.

Il y a encore d'autres variétés. Le Polonais a un (s) palatatisé,
intermédiaire entre (ç) et (ʃ). Les langues bantu du Transvaal,
Shironga et Shitshonga, ont un (s) labialisé très sifflant. Le Tcherkesse
a une consonne fricative qui se prononce les lèvres bien
ouvertes, les dents serrées et la langue à plat, l'air passant
entre les dents ; le son est intermédiaire entre (ʃ) et (f).

211. La fricative d'avant (j), se forme en approchant
le milieu de la langue du palais dur, et en
chassant l'air : yak (jak), hyène (jɛːn), bien (bjɛ̃), rien
112(rjɛ̃), paille (pɑːj), médaille (medaːj). Comme (ɥ),
(w), et les liquides, (j) peut être dévocalisé sous l'influence
d'une consonne soufflée précédente ou sui-
vante, comme dans pied (pj̊e), feuilleter (fœj̊te). (j̊)
indépendant se trouve dans l'Allemand ich.

212. Remarque. — Les trois consonnes (ɥ), (w), (j), qui
n'existent, régulièrement, qu'à l'état de sons vocaliques, se dis-
tinguent des autres fricatives par la faiblesse du frottement ;
si bien qu'on peut se demander parfois si on n'a pas affaire à
des voyelles consonantes [§106]. Toutefois quand on les prononce
soufflées le frottement est encore assez sensible [du
moins dans le Nord de la France] pour leur mériter le nom de
consonnes. On pourrait les appeler semi-voyelles, si on ne
craignait pas de compliquer la classification ; car il faudrait
alors donner le même nom au trois classes de liquides.

213. La fricative d'arrière (x) (g) n'existe pas en
Français, (x) est le ch de l'Allemand ach, le j Espagnol,
le c'h Breton, etc ; des variétés de (g) se trouvent
dans l'Allemand du Nord wagen, le Danois
Aage, l'Espagnol luego, le Hollandais goed.

214. La fricative vélaire (ʀ) (ʁ), n'existe pas non
plus en Français d'une manière régulière, (ʀ) est le
kha Arabe dans khalifa, et paraît se trouver en Alle-
mand, en Hollandais, surtout en Espagnol, à côté de
(x). (ʁ) est le ghain Arabe dans ghabara ‘poussière’,
le r Danois de ro. — Dans la prononciation Parisienne
de ïa jeune génération, (ʀ) est souvent remplacé par
(ʁ) : rare (ʁɑːʁ), poutre (putʁ). Cette prononciation
113passe pour incorrecte ; on lui donne souvent le nom
de grasseyement, nom qu'on donnait d'abord à (ʀ) par
opposition à (r). — Ce (ʁ) diffère d'ailleurs un peu,
soit, du r Danois , soit du gh Arabe.

L'Arabe a aussi des fricatives gutturales.

215. La fricative laryngale (h) n'existe chez nous
qu'à l'état de soufflée ; elle est formée par le frottement
de l'air entre les cordes vocales. Ce son ne
s'entend comme son indépendant que s'il est prononcé
avec une force de souffle assez sensible.

216. Le son (h) n'existe régulièrement en Français
que dans la prononciation de quelques provinces,
Normandie, Lorraine, Gascogne, où on dit la halle
(lahal), une haute montagne, (yn hoːt mɔ̃ːitaɲ). Ailleurs,
à Paris notamment, le soi-disant ‘h aspiré’ est simplement
un signe pour empêcher l'élision et la liaison :
on dit le haricot (ləariko), les haricots (leariko) (1)38.
Cependant, même à Paris, on le prononce parfois,
quand la voyelle qui suit (h) est accentuée : là haut
(laho) ; mais ça se fait inconsciemment pour éviter
l'hiatus, et souvent où il n'y a pas d'h dans l'écriture,
par exemple dans fléau (fleho), Européen (œrɔpehɛ̃),
cent un (sɑ̃hœ̃), réel (rehɛl). Dans aha (ɑhɑ), oho
etc., (h) reste toujours.114

Dans nos spécimens d'écriture phonétique, nous
écrivons (h) pour l'h aspiré, admettant la prononciation
normande comme normale.

L'absence de (h), du moins de (h) conscient et régulier,
explique pourquoi1 les élèves Parisiens ont tant de peine à prononcer
(h) en Anglais ou en Allemand : ils l'omettent parfois,
d'autres fois l'insèrent mal à propos entre deux voyelles. C'est
pour eux le plus difficile de tous les sons de ces langues,
excepté, pour quelques-uns, (r) ou (ɹ), et le (ŋ) desing singen.

217. Remarque. — Les consonnes, comme les voyelles,
ont toutes un timbre particulier ; il est possible d'en déterminer,
le son fondamental et une partie des sons accessoires. Cette
étude présente de grandes difficultés et n'a pas la même
importance que pour les voyelles ; nous ne nous y arrêterons
pas. Notons seulement que les consonnes (j) et (s) ont un
timbre très aigu (1)39 ; les consonnes (w) et (x), un timbre très
grave.

Voyelles et consonnes

218. On s'aperçait aisément qu'il y a, entre certaines
voyelles et certaines consonnes, une étroite
affinité ; par exemple entre (i) et (j), que nous représentons
habituellement par la même lettre i : nid
(ni), bien (bjɛ̃). En effet, la seule différence entre (i)
et (j), c'est qu'en prononçant la voyelle, le passage,
quoique passablement étroit, ne l'est pas assez pour115

tableau laryngales | uvulaires | vélaires | palatales | lingalles | labiales | consonnes | voyelles

donner un frottement marqué, de sorte qu'on.entend
surtout le son de la voix ; tandis que pour (j), le passage
étant encore plus rétréci, c'est le frottement
qui prédomine.

219. Le même rapport existe entre (u) et (w),
116entre (y) et (ɥ), c'est-à-dire, entre les voyelles fermées
et les fricatives correspondantes, souvent appelées
semi-voyelles.

Le tableau de la page précédente montre bien ce
rapport.

Sons accessoires

220. Sous ce titre nous pouvons réunir diverses
sortes de sons qui ne font pas régulièrement partie
du langage, du moins chez nous.

Sons inverses

221. Il y a d'abord les sons inverses, formés en
inspirant l'air au lieu de le chasser. Il y en a toute
une. série, parallèle à celle des sons normals ; mais
la voix est presque toujours remplacée par le chuche
ou le souffle, les cordes vocales vibrant difficilement
pendant l'inspiration. — Nous représentons les sons
inverses en ajoutant (*) au signe d'un son normal.

222. Les consonnes inverses sont assez communes
comme interjections : (f*) marque la douleur ; (l̥*)
le plaisir. Le mot oui, prononcé d'une manière douteuse,
devient (ẘ*j̊*) ; en anglais, dans le même état
d'esprit, yes se prononce (j̊*e̥*s), le (s) restant nor-
mal.

Dans les baisers, il y a formation de (p*f*) ou de
(p*ẘ*), accompagnés d'un son musical produit par
les lèvres.117

Claquements

223. Il y a encore les claquements de la langue et
des lèvres, quelquefois employés chez nous comme
exclamations : nous pouvons aussi les représenter
par (p*), etc. (t*) est une expression d'impatience
très commune, (c*) s'emploie pour exciter les chevaux.

Des claquements font partie intégrale du langage des
Hottentots et des Kafres, comme dans le nom propre
Cetewayo (t*ɛtjuaːjo). Le Zulu ne distingue que trois
claquements qu'il parait avoir emprunté au Hottentot,
et que le Sesuto lui a emprunté à son tour. D'après le
missionnaire Dietërlen, le Boshiman n'en a pas
moins de sept. — Le claquement cacuminal (t*) est
particulièrement sonore, et offre ceci de curieux, que
par des modifications presque insensibles des organes,
on peut, sans en changer appréciablement le
timbre, en faire varier la hauteur comme s'il s'agissait
d'un son musical.

Il n'est pas toujours facile de distinguer entre une
consonne inverse et un claquement ; toutefois, dans
un claquement, on remarque que l'air passe simplement
d'une partie de la bouche dans une autre, sans
descendre dans le larynx ; et rien n'empêche en
même temps
qu'on le produit, de faire vibrer les
cordes vocales de manière a faire .résonner la voix,
ou même de chanter [sans paroles].118

Sons chuchés

224. L'emploi du chuche, à la place de la voix,
est exceptionnel dans nos langues, hormis le cas de
chuchotement. En Français, il arrive assez souvent
à la suite d'une forte chute de ton que la dernière
syllabe est chuchée [§ 438].

Des voyelles chuchées sont régulièrement employées
dans quelques langues américaines, et en
Malgache, par exemple dans (a'omb̜i̜), ‘vache’, (betsi̜m̜i̜
‘sːara̜ka̜), nom de tribu, ou dans le mot emprunté
(ki̜'raisi̜tr̜a̜) ‘Christ’.

Sifflement

225. Le sifflement des lèvres est aussi un son
accessoire du langage, puisqu'il est souvent employé
d'une manière significative. C'est un son musical,
produit par les lèvres au lieu d'être produit
par les cordes vocales comme la voix.

Il est facile de nasaler le sifflement' ; mais l'effet
accoustique n'a rien de remarquable.

On peut aussi siffler en même temps qu'on fait résonner
la voix. Si on arrivait à diriger à la fois la
voix et le sifflement, une personne pourrait exécuter
un duo à elle seule, en chantant de la voix et en
s'accompagnant du sifflement.119

Combinaison des sons

Sons transitoires

226. Les sons que nous avons considérés s'unissent
et se combinent entre eux de la façon la plus
variée. Mais beaucoup de variations ne peuvent pas
se produire directement ; si je dis (bɑ), par exemple,
(b) se prononçant avec les lèvres fermées et (ɑ) avec
la bouche grande ouverte, il y a de toute nécessité
un moment entre les deux où mes lèvres sont
entr'ouvertes, dans la position qui devrait engendrer
(ʋ). Si j'ouvre les lèvres rapidement, ce (ʋ) ne
s'entend pas ; mais si je les ouvre très lentement, on
perçoit un (ʋ) très faible ; ou plus exactement, une
succession de tous les sons intermédiaires entre (b)
et (ɑ). — Entre (ɲ) et une voyelle, une oreille peu
exercée croit entendre un vrai (j).

De même encore après une consonne finale, surtout
une plosive, le souffle ou la voix continue un
instant après la fin de la consonne ; (ak) est ainsi
suivi d'un (h) momentané, (ag) d'un (Ω) momentané.

227. Ces sons produits comme accidentellement
portent le nom de sons transitoires. Quand il est
nécessaire de les indiquer, ce qui est rare du reste,
nous les mettons entre crochets, ainsi (b[Ω]ɑ).

228. Arrivée, tenue, détente— Un son
complet se compose en réalité de trois parties : l'arrivée,
120ce qui se produit pendant qu'on prend la position
spécifique du son ; la tenue, ce qui se produit
pendant qu'on reste dans cette position ; la détente,
ce qui se produit pendant qu'on la quitte. Ainsi,
dans une plosive comme (p), l'arrivée a lieu pendant
que les lèvres se ferment ; la tenue, pendant
qu'elles sont fermées ; la détente, pendant qu'elles
s'ouvrent. — Dans les consonnes doubles [§ 126],
l'arrivée et la détente sont séparées par un temps
appréciable.

229. L'arrivée et la détente ne sont que des sons
transitoires, produits involontairement pour former
la tenue ; il est donc inutile, le plus souvent, de s'en
occuper : il n'y a pas besoin d'écrire [h]pat[h] pour
(pat), car ces (ʰ) se produisent tout seuls.

Pourtant il peut être, utile, dans certains cas,
d'indiquer si le son transitoire est soufflé ou vocalique ;
ce qui revient à marquer le moment ou com-
mence la voix. Quand nous prononçons dogue,
guide, bague, nous faisons vocalique l'arrivée de la
consonne initiale et la détente de la consonne finale
([Ω]bag[Ω]). [C'est pour ça que beaucoup de personnes
croient entendre ‘sonner l'e muet’]. L'une des
fautes les plus communes des Allemands et des
Danois, même des Anglais, des Norvégiens et des
Suédois, consiste à prononcer soufflées cette arrivée
et cette détente, ([h]dɔg[h]), etc. Ce détail suffit
121pour fausser leur prononciation : nous croyons entendre
(tɔk) ou (dɔk).

230. Quand deux sons se suivent, le même son
transitoire sert de détente à l'un et d'arrivée à l'autre :
dans (bɑ), la détente de (b) est l'arrivée de (ɑ).

Ici aussi, il peut être utile d'indiquer le moment ou
commence la voix, de marquer si (pɑ) vaut
(p[ʰ]ɑ) ou (p[Ω]ɑ). En Français, le son transitoire qui
joint ainsi une plosive soufflée à une voyelle est.
vocalique. En Anglais, en Allemand, etc., il est
soufflé. Il en résulte une différence très notable.
Quand nous disons tard (t[Ω]aːr), un Allemand croit
souvent entendre ([ʰ]daːr).Si par imitation il prononce ?
ainsi et qu'on le corrige, il dit probablement (t[ʰ]aːr),
et cette prononciation nous choque encore, nous entendons
presque (tsaːr) (1)40.

231. Quand deux sons se forment à la même place,
le son transitoire est réduit à très peu de chose
ou supprimé. Dans hanneton (hantɔ̃), le son
transitoire entre (n) et (t) se produit pendant
122voile du palais, qui est baissé pour (n), se lève pour (t).
C'est le contraire pour des tenailles (detnɑːj).
Dans atteler (atle), le son transitoire est l'explosioin
latérale du (t) ; cette explosion est presque la même dans
bâcler (bɑːkle), aussi les groupes (tl) et (kl) se
ressemblent à s'y tromper. Dans les groupes comme (ts),
(tʃ), on peut dire que la fricative (s) ou (ʃ) sert
de détente â la plosive (t) ; aussi ce sont des combinaisons
très intimes, que l'instinct linguistique de ceux
qui les emploient .perçoit souvent comme des sons
simples (1)41.

232. Entre deux consonnes qui ne sont pas formées
à la même place, il y a nécessairement un son transitoire
si les deux consonnes sont formées complètement :
acteur (ak[ʰ]tœːr), bagdad (bag[Ω]dad). —

Il est possible, pourtant, de joindre directement
deux consonnes de ce genre. Si on prononce une petite
(ynptit), on ferme la bouche pour (p), puis la.
langue prend, la position de (t), les lèvres s'ouvrent
sans explosion, et c'est le (t) qui éclate. Ce
mode de formation est fréquent en Anglais et en Allemand ; dans
l'Anglais actor (æktəɹ), le groupe (kt)
représente une arrivée de (k) et une détente de (t).
123En Français, cette formation est rare : l'Anglais
(æktəɹ) nous fait l'effet de (attœːr). Aussi nous évitons
les combinaisons de plusieurs consonnes ; au
lieu de (ynptit), nous employons soit la forme plus
pleine (ynpətit), soit les formes plus contractées
(ymtit) ou (yntit).

233. Il arrive souvent qu'un son transitoire se renforce
en son indépendant par imitation maladroite. C'est ainsi que
bien des personnes prononcent (renje) au lieu de (reɲ[j]e) : et
presque tous les Français du Nord qui veulent imiter le ‘l
mouillé’ des Méridionnaux et des Suisses disent (sulje) pour
(suʎ[j]e). Le même fait s'est souvent produit d'une manière
régulière dans l'histoire du langage. Le Norvégien (t[h]ɑːlə)
‘parler’ est devenu (thaːlə), presque (tsaːlə), en Danois ; et un
verbe de même origine est devenu en Allemand zæhlen (tsɛːlən),
tandis que l'Anglais dit tel (t[h]el). De même l'Allemandpfund,
pour (pfunt), correspond à l'Anglais pound (p[h]aund).

Assimilation

234. Deux sons consécutifs tendent toujours à
s'assimiler, c'est-à-dire que l'un d'eux emprunte une
partie des caractères de l'autre, pour éviter un changement
brusque de position des organes. Le son (k),
tel que nous le prononçons dans les syllabes (ku),
(ka), (ki), n'est pas identique : il se prononce avec la
langue plus ou moins en avant, les lèvres arrondies
ou écartées, etc.

235. L'assimilation la plus importante est celle
124qui a lieu entre consonne vocalique et consonnes
soufflée : médecin (mɛtsɛ̃), le (t) ayant remplacé (d) à
cause du (s) ; de même observer (ɔpsɛrve), anecdote(anɛgdot).
Cette assimilation est régressive en Français,
c'est-à-dire que c'est la première consonne qui
subit l'influence de la seconde : segond (səgɔ̃) devient
(zgɔ̃) et non (skɔ̃).

Toutefois, quand il s'agit d'une liquide ou d'une des
‘semi-voyelles’ (ɥ), (w), (j), elle est aussi progressive :
pied, autrefois (pie), est devenu (pj̊e)-
Dans le groupe (ʃv) aussi, l'assimilation est quelquefois
progressive : le cheval (ləʃv̥al).

236. L'assimilation n'est complète qu'au sein
d'un même mot, ou bien dans un composé dont on
ne sent plus les parties comme mots distincts, tels
que chauve-souris (ʃoːfsuri), chemin de fer (ʃəmɛ̃tfɛːr),
garde champêtre (gartʃɑ̃ːpɛːtr) chapeau haut de
forme
(ʃapo hotfɔrm). — D'un mot sur l'autre, elle,
n'a lieu que d'une manière partielle : dans je viens
de parler
, il n'y a pas (t), mais (d̥) ou (d) dévocalisé,
ce qui n'est pas tout à fait la même chose, car la fermeture
est moins énergique et la poussée d'air
moins forte ; de sorte que cette phrase ne se confond !
pas avec je viens te parler. Du reste, ce (d̥) se rapproche
tantôt de (t), tantôt de (d). De même même une tasse
de thé
n'est pas tout à fait (yntɑːz dəte) ; il y a (s̬) ou.
(s) vocalisé. On peut écrire (ʒə vjɛ̃d̥parle), (yntɑːs̬dəte) ;
mais dans une écriture pratique, on néglige
125l'assimilation, qu'un Français observe d'instinct.

237. Une autre assimilation très commune est la
modification des consonnes linguales et vélaires devant
les palatales. Dans certains patois, elle est si
marquée que (k) et (t) se confondent parfois : piqué
(pike) et pitié (pitj̊e) deviennent également (pice),
De même manier et Magnier, Anio et agneau arrivent
à se confondre.

238. La nasalation d'une voyelle avant consonne
nasale est assez fréquente : moi même (mwa mɛːm),
dialectal (mwamɛ̃ːm.) Maman est ordinairement
(mɑ̃mɑ̃).

Des consonnes mêmes sont parfois nasalées, par
exemple le (l) de branlant, le (ʒ) de rongeant. Dans
revenir, avenue, et surtout en venant, on a souvent
ainsi un (v) nasalé ; mais, l'air sortant alors plus
facilement par le nez qu'entre les dents, on arrive
à (rəmniːr), (amny), (ɑ̃mmɑ̃), avec un (m) presque
dentilabial.

Quand une plosive est ainsi nasaiée, elle se change
simplement en nasale. Pendant se prononce souvent
(pɑ̃nɑ̃) ; vingt-deux (vɛ̃ndø), etc. Entre voyelle nasalée
et consonne nasale, cette assimilation se produit
presque toujours : une tombe neuve (yntɔ̃mnœːv),
point de mire (pwɛ̃nmiːr), lendemain (lɑnmɛ̃) (1)42,
une longue main (ynlɔ̃ŋmɛ̃).126

239. Les formes (ymtit), (yntit) pour (ynptit) ;
(sːepa) pour (ʒsepa), etc., sont encore assimilatives ;
Il y en a une foule d'autres, surtout dans le langage
populaire. On peut dire, d'une manière générale*
que tout son subit, dans une certaine mesure, l'influence
des sons voisins.

Elision

240. A l'assimilation se ratache l'élision, c'est-à-dire
la chute complète d'un son, dans certaines combinaisons.
C'est ainsi qu'on dit (lami) pour (lə ami),
(lekɔl) pour (la ekɔl) ; ces élisions sont consacrées
par la grammaire officielle. Il y en a, dans le langage
courant, infiniment plus que ne le laisse supposer
l'écriture.

241. L'élision la plus, commune est celle de (ə),
qui tombe régulièrement quand il ne résulte pas de
sa chute un groupe de deux consonnes à l'initiale,
de trois à l'intérieur d'un groupe : cheval (ʃəval),
mon cheval (mɔ̃ ʃval). Encore les groupes de deux
consonnes à l'initiale, de trois à l'intérieur, sont-ils
réguliers si la dernière consonne est une liquide ou
une sermi-voyelle : pelote (plɔt), dans le puits (dɑ̃ lpɥi).
On va même jusqu'à quatre consonnes dans je le crois (ʒə l krwa).

Dans le langage familier, quand on parle vite, (ə)
tombe encore plus fréquemment, et on peut aller
127jusqu'à quatre consonnes à l'initiale : ainsi je crois;
bien
(ʃ krwa bjɛ̃).

Le son (ə) n'est fixe que dans bien peu de mots comme
premier, crever, bretelle, porte-plume, gouvernement,
Courbevoie, Tournefort [non propre (turnəfɔːr) ;
mais tourne fort (turn fɔːr)].

242. Dans le langage familier, il y a beaucoup d'autres
élisions. Autrefois, le (l) de elle (ɛl), le (r)
de syr (syːr), le (k) de avec, s'élidaient régulièrement
devant une consonne. Aujourd'hui, ces élisions n'ont
guère lieu que dans les cas où elles permettent
d'économiser une syllabe : elle ne croit pas (ɛnkrwɑpɑ),
sur le banc (sy l bɑ̃) ; elles tendent à disparaître
même dans ce cas.

243. Deux élisions, consacrées par l'écriture et
employées en lisant, ne sont pas générales dans notre
langue parlée : celle du i de si, et celle du a de ça.
On écrit s'il vient, c'aurait été, et on lit (silvjɛ̃), .
(s ɔrɛt ete) ; mais on dit plus souvent, je crois,
(si i vjɛ̃), (sa ɔrɛt ete).

Liaison

244. Le Français, nous l'avons vu, évite les ren-
contres de plusieurs consonnes, et préfère les sylla-
bes ouvertes aux syllabes fermées. Un des effets de ces
tendances a été de faire disparaître un grand
nombre de consonnes finales qui se prononçaient
autrefois. Ainsi le mot tout s'est prononcé à un moment
donné (tut) ; aujourd'hui il se prononce ordinairement
128(tu) ; tout le monde (tulmɔ̃ːd), c'est tout
(sɛtu). Mais quand un mot de ce genre se trouve devant
une voyelle, la raison qui avait causé la chute
du (t) n'existait pas ; on a donc continué à le prononcer :
tout homme (tutɔm).

Le mot tout se trouvant plus souvent devant une
consonne ou à la fin d'une phrase que devant une
voyelle, la forme (tu), qui n'était d'abord qu'une
forme à élision, est devenue la forme normale, (tut)
n'étant plus qu'une forméj occasionnelle, servant à
éviter la rencontre de deux voyelles.

De là l'origine des liaisons si fréquentes en Français :
les chevaux (leʃvo), les hommes (lezɔm) ; un
grand chien
(œ̃grɑ̃ʃjɛ̃), un grand homme (œ̃grɑ̃tɔm).

245. Dans la liaison, les plosives sont toujours
soufflées, les fricatives toujours vocaliques : un long
hiver
(œ̃ɔ̃kivɛːr), un gros homme (œ̃ groz ɔm).

Les voyelles nasalées, dans la liaison, donnent
naissance à un (n), et perdent parfois leur nasalité :
un homme (œ̃nɔm) ou (œnɔm).

246. Sauf la dévocalisation des plosives et la vocalisation
des fricatives, la forme des adjectifs qualificatifs
masculins est semblable à l'adjectif féminin :
beau (bo), féminin belle (bɛl) ; un bel homme (œ̃bɛlɔm) ;
grand (grɑ̃), féminin grande (grɑ̃ːd) ; un grand
homme
(œ̃ grɑ̃tɔm) ; — faux (fo), féminin fausse (foːs) ;
un faux ami (œ̃fozami).

Il y a peu d'exceptions : franc (frɑ̃), féminin
129franche (frɑ̃ːʃ) ; un franc étourdi, (œ̃frɑ̃keturdi) ; — malin
(malɛ̃), féminin maline (malin) ; malin esprit (malɛ̃n
ɛspri) ; — divin (divɛ̃), féminin divine (divin) ; divin
appel
(divɛ̃napɛl) ; — commun (kɔmœ̃), féminin commune
(kɔmyn) ; commun accord (kɔmœ̃n akɔːr).

247. L'emploi des liaisons varie considérablement
selon le style et selon les personnes. Dans le langage
littéraire on lie beaucoup plus que dans le style familier ;
mais ce sont surtout les instituteurs, les
professeurs de diction, et encore plus les personnes
peu instruites essayant de ‘parler bien’, qui introduisent
des liaisons en masse. Parfois alors elles se
trompent et emploient mal à propos (z) ou (t), comme
son de liaison [des cuirs, des velours] (1)43.

248. Dans la langue parlée, on ne lie que deux
mots étroitement unis par le sens. Voici les principaux
cas :

a. Article suivi d'un adjectif ou d'un nom : les
hommes
(lezɔm), les autres personnes (lezotpɛrsɔn).

b. Adjectif suivi d'un nom : le grand ours (ləgrɑ̃turs),
deux petits enfants (døptizɑ̃ːfɑ̃), mon ami (mɔ̃nami).

c. Nom de nombre suivi d'un adjectif ou d'un
-nom : deux animaux (døːzanimo).

d. Adverbe suivi d'un adjectif ou d'un adverbe :
très utile (trɛzytil), trop idiot (trɔpidjo).130

e. Pronom personnel ou en suivi d'un verbe, ou
de en ou de y : il entend (ilɑ̃ːtɑ̃) [cp. il voit (ivwa)]
nous arrivons (nuzariːvɔ̃), on écoute (ɔ̃nekut), j'en ai
(ʒɑ̃ne) ; vous en avez (vuzɑ̃nave) ; nous y venons (nuzivnɔ̃),
en y pensant (ɑ̃nipɑ̃ːsɑ̃).

f. Verbe suivi d'un pronom personnel [ou de en ou
de y : a-t-il peur (atipœːr), vas-y (vazi), prends-en
(prɑ̃zɑ̃).

g. Préposition suivie de son complément : sans
abri
(sɑ̃zabri), en écoutant (ɑ̃nekutɑ̃).

h. Conjonction quand et mots suivants : quand il
viendra
(kɑ̃tivjɛ̃ːdra).

i. Diverses formes des verbes être et avoir, surtout
employés.comme auxiliaires, et mots suivants : il
est ici
(ilɛtisi), il était arrivé (il etɛtariːve), ils ont
appris
(izɔ̃tapri).

j. Mots appartenant à des locutions consacrées,
formant pour ainsi dire mot composé : mot-à-mot
(mɔtamo), pot-au-feu (pɔtofø), pied à terre (pjetatɛːr),
de temps en temps (dətɑ̃zɑ̃tɑ̃).

Remarque. — On ne lie pas devant nom de nombre : les
onze
(leɔ̃ːz) ; les trois huit (letrwaɥit).

Il faut ajouter qu'on fait infiniment plus de liaisons dans la
Suisse romande, par exemple, que dans la région parisienne.
Le parler des Suisses, pour cette raison, nous fait toujours
l'i m pression d'être plus ou moins affecté.131

Troisième partie
Représentation du langage

Principes

249. Nous avons maintenant déterminé avec un
certain degré d'exactitude les principaux éléments
dont se compose notre langue. Nous allons nous
occuper de les représenter par l'écriture.

Un moment de réflexion suffît pour faire comprendre
qu'il est impossible de représenter, d'une
manière exacte, tous les éléments du langage. Nous
avons énuméré 52 sons, mais en négligeant beaucoup
de nuances qu'il ne peut pas être question de distinguer
dans l'écriture. Puis, comment marquer, d'une façon
tant soit peu rigoureuse, la force, la durée,
surtout l'accent musical et la hauteur ? Il faut ici
nous contenter d'une approximation grossière. La
rapidité de l'énonciation pourrait peut-être s'indiquer
par un écartement plus ou moins grand des
lettres ; le timbre, par l'emploi de quelque signe-.
spécial en tête des phrases ; mais ça serait bien compliqué.
Quant au geste, il échappe absolument à la
132représentation ; et cela seul suffirait, pour qu'il soit
Impossible de rendre exactement par l'écriture ce
qu'on exprime par la parole.

250. Mais l'écriture peut indiquer autrement que
la parole certaines distinctions logiques. Ainsi la
division par mots, division purement logique qui ne
répond à rien de fixe dans la prononciation, est facile
à observer dans l'écriture et très utile pour faire
comprendre le sens. L'écriture peut aussi employer
divers signes logiques tels que guillemets, italiques,
tirets, alinéas, etc., qui ne répondent à rien de
régulier dans la prononciation. Elle supplée ainsi
à l'imperfection de ses moyens de représentation
phonétique.

Nous concluons que l'écriture doit être un compromis
entre les exigences de la phonétique et celles de la
logique
.

251. Mais dans quelle mesure l'écriture doit-elle
tenir compte de ces exigences diverses ? — Ça dépend
du but qu'on se propose. Si le but est scientifique,
s'il s'agit par exemple de faire des études de philologie,
nous poussons l'exactitude phonétique aussi loin
que possible, et nous négligeons tout ce qui n'est
que logique : nous représentons toutes les nuances
de sons pour lesquelles nous pouvons trouver des
signes, nous indiquons leur durée, nous les réunissons
en groupes de force et de souffle, non en mots i
133enfin nous marquons, autant que nous le pouvons, ,
l'accent musical.

252. Il n'en est pas de même si nous cherchons
un système d'écriture pratique, devant servir à l'enseignement
de la lecture ou des langues étrangères, ,
pouvant même, si les usages littéraires ne s'y opposaient
pas, remplacer notre orthographe d'usage.

Pour une écriture de ce genre, nous devons seulement
chercher à être aussi clairs et aussi simples
que possible. Au lieu de représenter le plus que nous
pouvons d'éléments du langage, nous nous contentons
de représenter — quand nous le pouvons —
ceux qui ont une valeur significative, qui sont distinctifs.

253. Appliquons ce principe à la représentation
du Français, et demandons-nous d'abord quels sons
il nous faut représenter. Nous en avons trouvé 52 de bien
distincts ; sont-ils tous distinctifs, c'est-à-dire
utiles pour comprendre le sens ? Evidemment non ;
la différence entre (j) soufflé et vocalique, par exemple ;,
est absolument inutile pour le sens, car aucun Français
ne peut prononcer sans effort (pje) avec (j) vocalique,
(bj̊ɛ̃) avec (j) soufflé. Nous écrivons donc simplement
(j) dans tous les cas. De même pour (w),
(ɥ), (l) (r), etc. Parmi les voyelles, nous pouvons
remplacer (è) par (e) ou par (ɛ), (ɔ̀) par (ɔ), (à) par
(a) ou par (ɑ). — Mais nous distinguons pourtant
des sons assez voisins, tels que (w) et (ɥ), pour différencier
134des mots comme Louis (lwi), lui (lɥi) ; nous
représentons les consonnes (w), (ɥ), (j), autrement
que les voyelles (u), (y), (i), pour distinguer nettement
roui (rwi) de rouille (ruːj), etc. ; nous conser-
vons un signe spécial à (ə), à cause des règles d'accentuation,
et pour ne pas confondre le retour (lə
rtuːr) avec leur tour (lœr tuːr).

Les sons distinctifs que nous représentons sont
donc réduits à 37 : p, b, t, d, k, g ; m, n, ɲ ; l, r ; ɥ,
w, f, v, s, z, ʃ, ʒ, j, h, u, o, ɔ, ɑ, a, ɛ, e, i ; œ, ø, y ; ə ;
ɔ̃, ɑ̃, ɛ̃, œ̃. C'est bien là ce que distingue l'instinct
linguistique
des Français du Nord (1)44.

254. Pour les éléments du langage autres que les
sons, nous nous contentons d'une approximation encore
moins rigoureuse.

Nous indiquons les voyelles longues, sans en distinguer
les moyennes ; nous négligeons en général la
durée des consonnes, qui résulte de celle des sons
voisins [§ 124].

Conservant, par respect pour la logique, la division
par mots, nous ne marquons pas l'accent de force
135quand il occupe sa position normale ; même, nous
n'indiquons que les déplacements les plus essentiels.
Nous séparons les groupes de souffle par des signes
de ponctuation, et. ces signes, dont l'expérience a
démontré l'utilité pratique, nous servent aussi pour
indiquer dans une certaine mesure l'accent musical (1)45.
Bien entendu, nous négligeons absolument
les sons transitoires.

Une forte élévation de voix pourrait être exprimée
par des italiques ; un ralentissement, par des caractères
gras
(2)46.

255. Enfin comme c'est toujours troubler le lecteur
que de lui présenter un mot sous plusieurs
formes différentes, l'œil le voyant comme un tout
indivisible plutôt que comme une succession de lettres,
nous n'indiquons d'ordinaire que les plus frappants
des changements de formes d'un mot [contractions,
élisions, assimilations] ; nous donnons de préférence
136à chaque mot sa forme normale. — Toutefois
en représentant une conversation, rien ne nous
empêche de noter des abréviations caractéristiques.

256. De la sorte, nous avons un système d'écriture
rationnel, ayant tous les avantages de l'écriture
ordinaire, mais infiniment plus facile à apprendre en
même temps que plus exact, et pouvant, par conséquent,
lui être avantageusement substitué. Si la force
de l'usage s'oppose encore à l'introduction d'un tel
système dans la littérature courante, rien n'empêche
de s'en servir pour apprendre à lire aux enfants et
aux illettrés, à parler aux sourds-muets, et pour
apprendre le Français aux étrangers. — Je m'en sers
aussi depuis longtemps dans ma correspondance
privée, avec plusieurs de mes collègues de l'Association
phonétique : pour cet usage spécial, il a l'avantage
de procurer une notable économie de temps,
grâce à l'absence de lettres muettes.137

Spécimens

257. Nous allons donner maintenant quelques
spécimens de textes transcrits phonétiquement. Ils
sont choisis de manière à illustrer divers types de
prononciation.

Il n'est pas inutile de donner ici un avertissement
au lecteur disposé à déchiffrer ce grimoire. Il est
probable que, loin de reconnaître, dans l'un ou
l'autre sa propre prononciation, il trouvera d'abord
que tous représentent des manières de parler très
bizarres, vulgaires, incorrectes ou affectées. C'est
qu'on n'a pas l'habitude de voir ainsi fixées, dans un
texte dont on est porté à ralentir le débit, des formes
de langage qu'on emploie couramment, sans y faire
attention ; facilement, elles paraissent étranges et
choquantes.

Le meilleur moyen de voir si réellement nous
avons figuré, dans ces morceaux, la prononciation
qui convient à chacun, c'est d'en prendre un et de l'étudier
jusqu'à ce qu'on puisse le lire tout à fait
couramment ; puis de le lire à haute voix à une autre
personne non prévenue, en ayant soin de ne pas aller
trop lentement ; et de lui demander si cette prononciation
138lui parait singulière. Il est fort probable que
non.

Ça ne veut pas dire, bien entendu, que le lecteur va
trouver dans l'un quelconque de ces textes l'image
fidèle de sa prononciation. Au contraire, le résultat
de cette étude sera de lui montrer combien flottante
est en réalité la prononciation Française, combien
elle varie d'une personne à l'autre, même au sein
l'une même famille.

258. On a peine à croire combien il est difficile de connaître
sa propre prononciation. Même ceux qui s'étudient habituellement
sont exposés à se tromper ; quant aux autres, ils n'ont,
en général, aucune idée de la manière dont ils parlent..
Quand 0. Jespersen était en France, mon frère Jean et moi lui
citions des formes caractéristiques du Français parlée Mon père, ,
qui nous écoutait, protestait énergiquement ; il ne voulait pas
admettre, notamment, que il se prononce (i) devant les consonnes.
Comme nous insistions, il a fini par s'écrier : mœsjø jɛspɛrsɛn,
i n sav pɑ s k i diːz ; montrant ainsi, bien malgré lui, ,
que nous avions raison.. [Je lui ai souvent entendu dire (i),
même dans une conférence publique, quand il s'anime]. —
Plus récemment, il me reprochait d'avoir noté, dans mes.
textes, parce que par (paskə) ; « ce qui est très fautif » disait-il
« pask ɔ̃ n di pɑ paskə ».

De même, si je dis qu'on ne prononce pas tous les e muets
en disant des vers, tout le monde s'indigne ; mais si alors je prie
une personne de réciter une poésie, on s'aperçoit vite qu'elle
laisse tomber beaucoup de ces e muets.139

Textes
en prononciation familière ralentie

lə ʃu

image140

istwaːr də beːta

image141

image142

image143

image

Conte Béarnais recueilli par J. Passy.

lə ʃval vɔle

image144

image145

Texte en prononciation soignée

la miʹzɛːr d n ɑ̃ːʹfɑ̃

image146

image147

image148

image

Jules Michelet

Texte en prononciation très soignée

kɔmɑ̃ djø fɔrʒ yn aːm

image149

image

Eugène Manuel.150

Texte
en prononciation familière rapide (1)47

leʹkɔl bɥisɔʹnjɛːr

image151

image152

image

Verconsin153

Appendice A
Un morceau avec intonation

Dans le texte suivant (tiré de la Grammaire de
Labiche) on a essayé de représenter graphiquement
l'intonation au moyen d'une ligne courbe, qui s'élève quand
le ton monte, et s'abaisse quand il descend.
Le texte est écrit en cursive, sans in tervalle entre les mots,
excepté quand il y a arrêt ; il n'y a pas de signes
de ponctuation. La ligne d'intonation s'arrête
entre les groupes de souffle ; quand il y a arrêt de la,
voix mais non du souffle, elle devient pointillée.

Ce texte a été préparé avec l'aide dé Mlle S. Lund
et de M. D. Jones.154

image155

image156

Appendice B
Comparaison
de prononciations diverses

Nous allons donner ici un même morceau transcrit
en trois prononciations régionales différentes,
pour permettre la comparaison.

Prononciation du Nord

yn mepriːz

image157

image

Prononciation du Midi

ynə mepriːzə

image158

image

Prononciation suisse

yn mepriːz

image159

image160

Appendice C
Spécimens de patois

Les spécimens que nous donnons ici ont pour but
d'aider ceux que tenterait l'étude, passionante entre
toutes, de quelqu'un de nos jolis patois ou parlers
populaires. La connaissance théorique et pratique de
l'écriture phonétique est une condition absolument
essentielle pour entreprendre cette étude.

Le texte que nous donnons ici est l'histoire de
l'Enfant Prodigue, en trois patois très différents l'un
de l'autre.

Ezy-sur-Eure

image161

image

Val d'Ajol (Vosges)

image162

image163

Patois d'Arrette-en-Azun, Hautes-Pyrénées

image164

image165

Appendice D
Essai de restitution
d'anciennes prononciations françaises

Une fable de Lafontaine

lə savətje e lə finɑ̃sje

image166

image167

image

Un sonnet de Charles d'Orléans

(15e siècle)

image

Un fragment de la Chanson de Roland (1)48

(Vers 1424 et suivants)

image168

image169

Appendice E
Règles orthoépiques

On m'a demandé d'ajouter à la description des
sons français, quelques règles pour déterminer l'emploi
de ces sons. Je vais essayer de le faire pour un.
certain nombre de cas douteux. La prononciation
que j'indique est toujours la mienne, normalisée
dans un petit nombre de cas ; quelques prononciations
divergentes sont indiquées en note.

1° — Voyelles o-ɔ, ɑ-a, e-ɛ, ø-œ.

D'une manière générale, o, ɑ, e, ø, se trouvent
plutôt en syllabe ouverte ; — ɔ, a, ɛ, œ, en syllabe ;
fermée.

Voyelles o-ɔ.

La voyelle se prononce (o) :

1°, toutes les fois qu'elie est finale : mot (mo=
beau (bo), chaud (ʃo), gros (gro), galop (galo) ; —
excepté dans le mot trop (trɔ), distinct de trot (1)49170

2°, dans la terminaison -ose : rose (roːz), chose
ʃo:z), et en général devant le son (z) : roseau (ro:zo\
groseille (gro:zɛ:j} (1)50 ; excepté philosophe (filɔzɔf),
myɔzɔtis (mjozoti:s) losange (lɔzɑ:ʒ), cosaque (kɔzak),
Lausanne i lɔzan) ;

3°, dans les mots zone (zo:n), grosse (gro:s) [féminin
de gros ; grosse dans le sens de douze douzaines,
(grɔs)], dosse (do:s), odieux (o:djeø, Vosges (vo:ʒ) (2)51.

4°, quand l'ortographe usuelle a ô, , au, eau,
sauf les cas spécifiés plus loin : côte (ko:t), Saône
(so:n), sauce (so:s), sauf (so:f), autel (o:tɛl) (3)52,
Beaune (bo:n) ;

La voyelle se prononce (ɔ) :

1°, quand l'ortographe usuelle a o, sauf les cas
spécifiés plus haut : note (nɔt), pomme (pɔm), bosse (bɔs) ;

2°, quand au est suivi de r : j'aurai (ʒɔre), je saurai
(ʒə sɔre), Laure (lɔ:r), centaure (sɑ:tɔ:r) (4)53 ;

3°, dans les mots trop (trɔ), aumône (o:mɔn),
171hôtel (ɔtd), rôti (rɔti), mauvais (mɔvɛ), Paul (pɔl)
Auch (ɔʃ), Auxerre (ɔsɛ:r) (1)54.

Voyelles ɑ-a.

La voyelle a le son (ɑ) :

1°, partout où se trouve le groupe -roi- : froid
(frwɑ), croire (krwɑ:r), étroite (etrwɔt) ; — excepté
dans miroir (mirwa:r), terroir (tɛrwa:r), tiroir (tirwa:r),
et des noms de peuples comme Hongrois
(hɔ̃:gra) , Bavarois (bavarwa) (2)55 ;

2°, dans les terminaisons :
-as : pas (pɑ), ras (rɑ) ; — excepté bras (bra) ;
-ase : case (kɑːz), base (bɑːz) ;
-ɑzon : gazon (gɑːzɔ), blason (blɔ:zɔ̃) ; — excepté
diapason (djapazɔ̃) ;
-ɑille : bataille (batɑːj), Versailles (versɑːj) ; —
excepté médaille (meda:j), et quelques verbes comme
je travaille (ʒə trava:j) ;
-ɑfre : kafre (kɔ:fr), balafre (balɑːfr) ;
-ɑtion, ɑssion : nation (nɑːsjɔ̃), passion (paisjɔ̃) (3)56 ;
-oie : soie (swɑ) ;, voie (vwɑ) [substantif ; mais queje voie (kə ʒə vwa:j)] ;

3°, quand l'ortographe usuelle a â : mât (mɑ),
172pâte (pɑːt), âpre (ɑːpr) ; — excepté dans les terminaisons
verbales : nous mangeâmes (nu mɑ̃ːʒam) ;

4°, dans les mots climat (kli:mɑ), casse (kɑːs)
classe(klɑːs), espace (ɛspɑːs), nasse, (nɑːs), tasse (tɑːs),
maçon (mɑːsɔ̃), diable (djɑːbl), fable (fɑːbl), sable
(sɑːbl), accabler (akɑːble), sabre (sɑːbr), délabrer
(delɑːbre), cadavre (kadɑːvr), navrer (nɑːvre), miracle
(mirɑːkl), oracle (ɔrɑːkl\ esclave (ɛsklɑːv), cadre
(kɑːdr), flamme (flɑːm), Jeanne (ʒɑːn) (1)57, damner
(dɑːne), gagner (gɑːɲe) (1)58, jadis (ʒɑːdis), haillon
(hɑjɔ̃), graillon (grɑːjɔ̃), poulailler (pulɑːje) du bois
(dy bwɑ), mois (mwɑ), noix (nwɑ), pois, poix, poids
(pwɑ), toit (twɑ), foi (fwɑ), poêle (pwɑːl) (2)59 ;

5°, en général, dans les mots dérivés des précédents :
passer (pɑːse), tailleur (tɑːjœ:r) ;, enflammer
(ɑ̃ːflɑːme), noisette (nwɑːzɛt) ; — mais il y a des exceptions
comme casanier (kazanje), fracasser (frakase),
embarrasser (ɑ̃ːbarase), affreux (afrø), Jeannette (ʒanɛt),
maillot (majo), poisser (pwase), boisé (bwa:ze).

La voyelle a le son (a) dans tous les autres cas,
qu'elle s'écrive par a : rat (ra), masse (mas), table
(tabl), nacre (nakr), bail (ba:j) ; — par e : femme
(fam), hennir (hanir), solennel (sɔlanɛl), indemnité
173(ɛ̃ːdamnité), prudemment (prydamɑ̃) ; — ou par i : poil
(pwal), oiseau (wazo), fois (fwa),je bois (ʒə bwa), moi
(mwa), toi (twa).

Voyelle ɛ-e.

La voyelle a le son (ɛ) :

1°, partout en syllabe fermée (phonétique) : ferme
(fɛrm), raide (rɛd), Ernest (ɛrnɛst) : — excepté quand
elle s'écrit par é ;

2°, quaud elle s'écrit è ou ê : très (trɛ), près (prɛ),
forêt (fɔrɛ) ;

3°, dans les terminaisons -et, -ect : baquet (bakɛ),
respect (rɛspɛ) ;

4°, dans les formes verbales : tu es (ty ɛ), il est
(il ɛ) ;

5°, dans les terminaisons -aid, -ais, -ait : laid (lɛ),
marais (marɛ), je vais (ʒə vɛ) (1)60, j'aurais (ʒɔrɛ), lait
(lɛ) ; — sauf les exceptions spécifiées plus loin ;

6°, dans les terminaisons -ai, -ay, -aie, -aye : vrai
(vrɛ), Fontenay (fɔ̃ːtnɛ), haie (hɛ) (2)61, je paye (ʒə
pɛ:j), j'essaye (ʒ esɛ:j) (3)62 ;

7°, dans les formes verbales en -ayer -eyer, -eiller :
payer (pɛje), essayer (esje), sommeiller (somɛje).

La voyelle a le son (e) :

1 , quand elle s'écrit é : été (ete) ; — même si la
174syllabe est devenue fermée par suite d'une contraction :
élever (elve) ;

2°, quand elle s'écrit e suivi d'une consonne finale
muette autre que t : nez (ne), pied (pje), parler
(parle) ; — excepté dans tu es (ty ɛ) ; -

3°, dans les formes verbales en -ai : j'ai (ʒe), j'aurai
(ʒɔre), je mangeai (ʒəmɑːʒe) ;

4°, dans les mots et (e), quai (ke), gai (ge), geai
(ʒe), je sais, tu sais, il sait (se), je fais, tu fais, il fait
(fe) (1)63 ;

5°, quand elle s'écrit par æ, œ : Mœris (me:ri:s).

[Dans les protoniques, le son de la voyelle est souvent
intermédiaire ou incertain : féroce (fèrɔs), (fɛrɔs)
ou (ferɔs). Je dis (meːzɔ̃), (ple:zi:r), (reːzɛ̃), mais
(rɛ:zɔ̃).]

Voyelle œ-ø.

Li voyelle a le son (ø) :

1°, toujours à la fin d'un mot :jeu (ʒø), cieux (sjø),
queue (kø) ; — excepté dans la forme faible de neuf :
neuf personnes (nœ pɛrsɔn) (2)64 ; et dans le accentué,
qui se prononce (lœ) ou (lø) : dis le (dilœ) ou (dilø) ;

2°, quand elle s'écrit  : jeûne (ʒøːn) (3)65 ; — excepté
dans les formes verbales, qu'il eût (k il y),
etc. ;175

3°, dans les terminaisons -euse, -ente, -eude : creuse
(krø:z, meute (mø:t), leude (lø:d) ;

4°, dans les mots meule de foin (mø:l) (1)66, jeudi
(ʒøːdi) ;

5°, en général, dans les dérivés de ces mots :
queuter (kø:te), ameuter (amø:te), creuser (krø:ze).

La yoyelle a le son (œ) partout ailleurs : beurre
(boe:r), heure (œ:r), feuille (fœ:j), fleuve (flœ:v) (2)67,
Neuilly (nœji).

Notez eu (y), etc. ; — gageure (gaʒy :r).

Durée des voyelles.

La durée en syllabe forte n'est douteuse que pour
les voyelles u, ɔ, a, ɑ, ɛ, i, œ, y, devant les consonnes autres
que les fricatives vocaliques et (r) final. Elle
est très variable individuellement dans cette position.

Voyelles ɔ, i, y.

Ces voyelles, dans la position qui nous occupe,
sont presque toujours brèves. Je les prononce longues
176dans les mots gréco-latins comme Minos (miːnɔːs),
Agis (aʒːis), Brutus (bry:ty:s) ; mais je crois
qu'on les fait au moins aussi souvent brèves dans
cette position.

Voyelles u, a, œ.

Presque toujours brèves, (u) est long dans couler
(ku:le), rouler (ru:le), et dans tous pronom (tu:s)
distinct de tousse (tus). — (a) est long dans une boîte
(bwa:t), distinct de il boite (ibwat). — (œ) est long
dans veule (vœ:l), distinct de ils veulent (ivœl) (1)68.

Voyelle ɑ.

(ɑ) est toujours long en syllabe forte fermée, excepté
les mots droite (drwɑt), étroite (etrwɑt), adroite
(adrwɑt), froide (frwɑd), froisse (frwɑs), paroisse
(parwɑs).

Voyelle ɛ.

(ɛ) est long :

1°, dans les terminaisons -ès, -aisse : Thalès (talɛ:s),
palmarès (palmarɛ:s), baisse (bɛ :s), caisse (kɛ:s),
graisse (grɛ:s) (2) 69;

2°, dans les terminaisons -ème, -aime : thème
(tɛ:m), j'aime (ʒɛ :m) ; — excepté sème (sɛm) (3)70, et
les numéraux deuxième (dø:zjɛm), etc. ;177

3°, dans la terminaison -ène : pêne (pɛ :n), scène
(sɛ:n) ; — excepté Hélène (elɛn) ;

4°, dans la terminaison -aison : raison (rɛ:zɔ̃) combinaison
(kɔ̃ːbinɛːzɔ̃) ;

5°, quand il s'écrit ê, , es, ais : grêle (grɛ:l), maître
(mɛ:tr), Nesles (nɛ:l), Aisne (ɛ:n) ; — excepté
dans arrêter (arɛte) (1)71, Guesde (gɛd) ;

6°, dans les mots aigre (ɛ:gr), nègre (nɛ:gr), cèdre
(sɛ:dr), Phèdre (fɛ:dr), aine (ɛ:n), gaine (gɛ:n), haine
(hɛ:n), Maine (mɛ:n), reine (rɛ:n), veine (vɛ:n), Seine
(sɛ:n), Beynes (bɛ:n), cesse (sɛ:s), presse (prɛ:s), est-ce
(ɛ:s), Grèce (grɛ:s) (2)72, aide (ɛ:d), poète (pɔɛ:t), traiter
(trɛ:te)j traite (trɛ:t) (3)73, la greffe (lagrɛ:f) (4)74.

7°, en général dans les dérivés de ces mots : caissier
(kɛ:sje), aigreur (ɛ:groe:r), traité (trɛ:te).

La voyelle est brève ailleurs : laine (lɛn), peine
(pɛn), messe (mɛs), pièce (pjɛs), cède (sɛd), raide (rɛd),
achète (aʃɛt), défaite (defɛt).

Il y a un bon nombre de mots qui se distinguent
par la durée de (ɛ) :178

tableau peine | pène | renne | reine, rêne | saine | scène, Seine | vaine | veine | laine | l'aine, l'Aisne | sème(nt) | s'aime(nt) | belle | bêle(nt) | Melle | mêle(nt) | tette(ent) | tête | bette | bête | traite | traite(nt) | faite | faîte, fête | mètre, mettre | maître | lettre | l'être | cède(nt) | s'aide(nt) | laide | l'aide(nt) | paresse | paraisse(nt) | herbette | air bête

(1)75

(2)76

(3)77179

Appendice F
Principaux ouvrages
employant
l'écriture phonétique internationale (1)78

Phonétique générale

P. Passy, *L'Ecriture phonétique. 3e éd., 1899. —
0 fr. 50.

Petite phonétique. Leipzig (Teubner)
1906.

W. Viëtor, Kleine Phonetik. Leipzig (Reisland) 1898.

Viëtor-Rippmann, Eléments of Phonetics. London
(Dent) 1899.

Scholle-Smith, Elementaryphonetics. London (Blackie)
1903.

Burt, Elementary phonetics. Toronto 1898.180

W. Viëtor, Elemente der Phonetik. 5e éd., Leipzig
(Reisland) 1904.

O. Jespersen, Lehrbuch der Phonetik. Leipzig
(Teubner) 1904.

Phonetische Grundfragen. Leipzig
(Teubner) 1905.

H. Klinghardt, Artikulationsübungen. Köthen
(Schulze) 1897.

H. Hoffmann, Die lautwissenschaft. Breslau 1901.

Phonétique historique

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1(1) Comme le font plus ou moins les bons alphabets sténographiques,
et les alphabets organiques de Bell et de Sweet.

2(1) Voir la liste à la fin du volume.

3(1) Allemand lautheit, Anglais loudness. Nous n'avons pas de
bonne expression équivalente.

4(2) Nous n'avons pas à considérer ici les différences individuelles
de force, de hauteur et de rapidité, qui proviennent
soit des habitudes, soit de la constitution des organes : capacité
des poumons, longueur des cordes vocales, mobilité naturelle
de la langue et des lèvres, etc. On sait que les voix des
femmes sont plus hautes, plus aiguës que celles des hommes,
parce que leur glotte est moins grande et leurs cordes vocales
plus courtes, de sorte qu'elles vibrent plus vite.

5(1) On a aussi établi, à l'usage des sourds-muets, des alphabets
de gestes
, purement artificiels évidemment. Ce n'est pas de
ça qu'il est question ici.

6(1) « Ma cuisinière écrira sur son livre de comptes : vin soud
pin edlè
 ». (A. Darmesteter, Rel. Scient., 2 : 322].

7(2) On connaît les vers de Marc Monnier :

Gal, amant de la Reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'Arène à la Tour Magne, à Nîmes.

8(1) Surtout dans certaines langues . en Allemand bien plus
qu'en Français, en Finnois plus qu'en Allemand, en Iakute
encore plus. Le Français est par excellence la langue du
calembour
[v. § 109, note]

9(1) Nous verrons un peu plus loin [§ 103 ]ce qu'il faut
entendre au juste par syllabe.

10(1) Mon vieux professeur, M. Merlette, terminait ainsi ses
démonstrations en criant à pleins poumons (sɛ ʺtɛksɛsivmɑ̃
fa'sil), à la grande joie de ses élèves. — D'autre part, M. de
Montaiglon, professeur à l'Ecole des Chartes, employait des
formes comme (sɛt ʺ?apsɔlymãvrɛ).

11(2) Ces divers faits montrent bien que la tendance est de
mettre l'accent renforcé sur la première syllabe ; et que cette
tendance est seulement en partie contrecarrée par le sens
logique quand les mots commencent par une voyelle.

12(1) Ou petit-être, sur la syllabe .normalement forte d'un
groupe.

13(1) Si on entre dans une église, par exemple, au moment du
chant d'un cantique, et qu'on cherche à retrouver la place où
en est l'assemblée, c'est en épiant le moment où celle-ci prononce
un (s) qu'on y arrive le plus facilement. — A Paris, au
milieu du bruit des rues, on appelle les cochers d'omnibus
par (sː).

14(1) Il s'agit de la prononciation la plus habituelle. Quelques
personnes prononcent moi, nuage, mien, paille comme (mŭa)
(nyaːʒ), (mĭɛ̃), (pɑĭ), plutôt que comme (mwa), etc. Dans le
Midi, cette prononciation est régulière.

15(2) Aussi les enfants confondent constamment les limites
idéales des mots. Dans mon enfance, nous comprenions la.
remise (larmiːz), comme l'armise, et nous disions, en conséquence,
une armise. M. V. Henry raconte qu'en voyant à la
promenade l'Ecole normale primaire (lekɔlnɔrmal), il avait
compris les colnormals, de. sorte que rencontrant un jour un
élève, il dit, « Tiens, voilà un colnormal ». — Ces bévues sont
parfois devenues des faits de langue ; ainsi l'aboutique, m'amie
sont devenus la boutique, ma mie.

16(1) Bien des dialectes, pourtant [patois et parlers régionaux],
disent encore (sjeːʒ), (peːr), etc.

17(1) (e) ne se trouve pas dans cette position dans le parler
de Paris. Les très nombreux dialectes, populaires et cultivés,
qui prononcent par (e) les mots comme mère, faire, piège,
bête, bêche, etc., font cet (e) long.

18(1) Sous l'iniluence de l'orthographe, les formes de ce genre
tendent à se multiplier. On entend prononcer (grammɛːr),
(illyzjɔ̃), (litteratyːr) ; et même (adderɑ̃), pour conserver l'h !
Ces formes sont surtout communes chez les gens de peu
d'éducation qui s'efforcent de ‘parler bien’.

19(1) O. Jespersen conjecture, avec beaucoup de vraisemblance ,
que la parole et le chant étaient une seule et même chose à
l'origine : la différenciation se serait faite peu à peu, comme
plus tard entre le chant et la poésie non chantée.

20(1) Je pense que l'élévation du ton sur ia première syllabe
des mots importants a même été employée avant le renforcement
de cette syllabe, et a donné naissance à ce renforcement,
par un phénomène semblable à celui qui a changé l'accent musical
latin en accent de force dans les langues romanes.

21(1) Il s'agit de la prononciation du Nord. Dans le Midi, on
prononce souvent une voyelle faiblement nasalée, suivie d'une
consonne nasale : lampe (lɑ̃mpə), etc.

22(1) Lorrain [Plombières et environs] (ĩ lɛpĩ) ‘un lapin’, (ĩ
sɛpĩ) ‘un sapin’, (lỹːdi) ‘lundi’ ; Franc-Comtois [Bournais] (ĩ
tʃĩ) ‘un chien’, etc.

23(1) C'est ainsi qu'un (ə) a remplacé plusieurs voyelles latines :
cheval de caballum, premier de primarium, semer de seminare, .
peuple de populum.

24(2) L'Italien n'a qu'un a, intermédiaire entre (ɑ) et (a), et
pas de voyelles anormales. L'Espagnol n'a en tout que cinq
voyelles nettement distinctes. La nasalation ne joue de rôle significatif
ni dans l'une ni dans l'autre de ces langues. En,
revanche, on y trouve des diphtongues. La prononciation, de nos
méridionaux se rapproche de celle de ces deux langues.

25(1) Le nom de linguales est impropre, puisque la langue concourt
aussi à la formation de trois autres classes de consonnes.
Mais il est difficile de trouver un nom plus précis et assez élastique.
Si on disait dentales, par exemple, ce nom conviendrait
à-peu près au (t) français, mais non pas au (t) anglais qui est
gencival ; ni à (ʃ), ni à (r).

26(1) Compares herein (hərain).

27(1) Parmi les langues qui possèdent régulièrement des liquides
soufflées, il faut citer l'Islandais, dans des mots comme
hnakkur ‘selle’, hlaða, ‘charger’, hringur ‘anneau’, et le Gallois,
dans des mots comme mhen ‘tête’, nhad ‘père’, Llangollen.

28(1) Toutefois, pour que le (m) soit complet, ii faut qu'on
ferme la bouche au comînencement et qu'on l'ouvre à la fin..

29(2) Il y a aussi une prononciation (prizm), (rymatizm).

30(1) Il l'est parfois dans les patois, y compris le Parisien
vulgaire, qui a des mots comme (ɲaf), (ɲoɲot), (ɲol), (jiol).De
même à Ezy-sur-Eure (ɲeːf) nèfle,(ɲɔʃ) personne sotte ; — au.
Vald'Ajol (ɲœ) nouveau, etc.

31(1) Cette prononciation est surtout fréquente pour les mots
cuillère (kyjɛr, kɥijɛːr, kyljɛːr, kɥiljɛːr), meilleur, ailleurs,
juillet. — En Picardie, l'ancien (ʎ) est devenu (l) : (sɔlɛl), (œl), (famil).

32(2) V. § 210, note.

33(1) Quelques personnes emploient (r) et (ʀ) dans des cas-différents ;
(muriːʀ), (kuriːʀ), (geːirːʀ). — Certains dialectes Suédois
emploient (ʀ) comme initiale et (r) ailleurs rœra
(ʀøːra).

34(1) Encore plus de la voyelle du mot suédois hus.

35(2) Les deux formes existent, à l'état indépendant, en Anglais
(du Nord) : which (ʍitʃ), witch (witʃ).

36(1) On voit que la formation de(θ), (ð) diffère peu de celle
de (f), (v) ; aussi les Francis entendent souvent (fri), (vis)
pour l'Anglais three (θri), this (ðis).

37(2) Toute une catégorie de consonnes, dites cacuminales
peuvent se former ainsi avec la pointe de la laugue relevée et
repliée en arrière. Eiles sont communes en Sanskrit ; de même en
Suédois et en Norvégien, où on prononce ainsi toutes les linguales
qui suivent r, par exemple dans barn, fœsrst. Le s
cacuminal ressemble beaucoup à (ʃ). Dans la prononciation
américaine, un r cacuminal et accompagné d'un arrondissement
des lèvres est tout à fait habituel avant une consonne,
par exemple dans heard, first, nurse ; il en est de même dans
l'Anglais du Dorset,

38(1) Les enfants disent (lariko), (lezariko), et cette prononciation,
qui serait générale depuis longtemps sans l'influence de
l'école, finira sans doute par triompher.

39(1) La première, à cause de la hauteur du son fondamental ;
la deuxième, à cause de la hauteur et de la force des sons,
accessoires.

40(1) Pour rendre cette différence claire à leurs élèves, certains professeurs
allemands montrent qu'en prononçant (pɑ) à l'allemande,
avec une allumette allumée devant la bouche, l'allumette
s'éteint, ce qui n'a pas lieu s'ils prononcent (pɑ) à la.
française. L'expérience est charmante, mais elle n'est pas exacte :
quand moi je prononce (pɑ), l'allumette s'éteint, La.
force de l'explosion est tout aussi grande chez nous que chez :
les Allemands ; seulement, les cordes vocales vibrent plus tôt.

41(1) Les Vosgiens, ies Anglais, les Italiens, les Espagnols, considèrent
généralement (tʃ) (dʒ) comme des sons simples ; les Italiens
et les Allemands font de même pour (ts) (dz).

La confusion est surtout facile pour (tʃ) (dʒ), parce que le (t)
(d) de ces combinaisons diffère un peu du (t) (d) ordinaire.

42(1) C'est peut-être d'uoe réaction contre cette forme qu'est
née la forme dialectale (lɑ̃rdəmɛ̃).

43(1) « J'évite les liaisons. C'est prétentieux… et dangereux ».
Labiche, La Grammaire.

44(1) Quand on écrit le Français pour des étrangers, il peut
parfois être bon de pousser l'exactitude un peu plus loin ; de
marquer d'un signe spécial, par exemple, le (l̥) de peuple, sans
quoi les Anglais pourraient prononcer (pœ-pl) en deux syllabes
comme leur people (piːpl). — Mais on peut aussi indiquer
ces particularités, une fois pour toutes, par des règles très
simples.

45(1) Il y aurait peut-être avantage à mettre les points d'exclamation
et d'interrogation avant et après les phrases comme
ça se fait en Espagnol.

46(2) En indiquant ainsi imparfaitement tout ce qui n'est pas
sons, nous ne faisons qu'obéir à une nécessité, vu l'état imparfait
de nos connaissances et de nos moyens de représentation.
Une plus grande exactitude serait désirable dans biens des
cas : on peut s'en convaincre en voyant l'impression différente
que produit une même phrase, prononcée de deux manières
différentes. — A l'appendice A, on trouvera un essai de représentation
assez exact de l'accent musical.

47(1) Dans ce texte, la division en mots est remplacée par la
division en groupes de force. Les accents de force sont indiqués.

48(1) Normalisé en prononciation francienne, d'après les indîications
données par M. G. Paris dans ses Extraits.

49(1) Dans l'Est et la Suisse romande, les mots en -ot, -op, se
prononcent par (-ɔ) : ainsi mot, pot, sot, canot, distincts de
maux, peau, saut, canaux. — À Paris le mot trop se dit très
souvent (tʀo), comme trot.

50(1) Chez d'autres, (rɔzo), (grɔzɛːj).

51(2) Chez d'autres, (ɔdjø), (vɔːʒ).

52(3) Chez d'autres, (sɔf), (ɔtɛl).

53(4) Dans plusieurs régions, (ʒoːre), (ʒə soːre), (loːr) ; et de
même encore (ɑ̃ːkoːr) ; — mais corps (kɔːr).

54(1) Chez d'autres, (tʀo), (ɔmoːn) ou (omoːn), (oːtɛl), etc.

55(2) Des Parisiens disent (ʀwa).

56(3) A Lyon, (nasjɔ̃), (animasjɔ̃)...

57(1) Chez d'autres, (ʒan), (gaɲe).

58(1) Chez d'autres, (ʒan), (gaɲe).

59(2) Chez d'autres (twa), (fwa), (lwa), (vwa), et quelquefois
(pwal).

60(1) Ou (ʒə ve), ou (ʒə va).

61(2) Dans la Suisse romande, (ɛːj).

62(1) Chez d'autres, (ʒə pɛ), (ʒesɛ).

63(1) Chez d'autres, (kɛ), (ʒɛ), (sɛ), (fɛ).

64(2) Ou (nœf pɛrsɔn).

65(3) Ou (ʒœːn) ; chez quelques personnes, (ʒœn).

66(1) Chez d'autres (mœl). — La distinction que je fais entre
(møːl) de foin et (mœl) de moulin est loin d'être universelle.
Dans les patois elle est habituelle sous une forme ou une autre ;.
pays Mantais (myl) et (mœl), etc.

67(2) Beaucoup de parlers, entre autres les patois à l'Ouest de=
Paris et le parler de la Suisse romande, ont (ø) dans les mots comme
heure (øːr), fleuve (fløːv). Les Suisses distinguent seul
(sœl) et seule (søːl).

68(1) D'autres disent (vøːl). Quelques-uns prononcent jeûne
(ʒœːn) au lieu de (ʒøːn).

69(2) Ou (grɛs).

70(3) Dialectal (sym).

71(1) Populaire (arte).

72(2) Ou (grɛs).

73(3) Dans le sens de commerce, spécialement des esclaves ;
d'où (trɛːtɑ̃), (trɛːtœːr). Mais, vingt lieues d'une traite (vɛ̃ ljø dyn trɛt) ; une traite sur… (yn trɛt syr…)-

74(4) Mais le greffe (lə grɛf).

75(1) On prononce aussi (lɛːn), (pɛːn), (sɛːn), (vɛːn).

76(2) Mètre se prononce aussi (mɛːtr).

77(3) Ou (lɛːd).

78(1) Les ouvrages marqués d'un astérisque — ceux-là seulement
— peuveut être fournis à moitié prix aux membres de
l'Association phonétique par le secrétaire de rédaction du
Maître phonétique. Ecrire à l'adresse : Fonetik, Bour-la-Reine.