CTLF Corpus de textes linguistiques fondamentaux • IMPRIMER • RETOUR ÉCRAN
CTLF - Menu général - Textes

Delattre, Pierre. Studies in French and Comparative Phonetics – T03

Le jeu de l'e instable de monosyllabe initial
en français *1

Le français possède — graphiquement parlant — neuf monosyllabes dont la voyelle
est un e instable: que, te, de, me, ne, le, ce, se, je. 12 C'est moins qu'on ne penserait.
Mais la fréquence de ces monosyllabes est telle, le nombre de combinaisons qu'ils
forment si grand (que me, ne le, de ce, je ne, je ne te, je ne te le, que je ne te le, ce que
je ne te le
, de ce que je ne te le, etc.) que leur rôle dans la langue correspond sans doute
à un multiple du carré de leur nombre.

La bonne prononciation, l'omission, le maintien des e de ces neuf monosyllabes sont
fort négligés dans l'enseignement du français. On laisse entendre qu'il s'en omet
beaucoup, même qu'il s'en omet parfois un sur deux. C'est loin d'être satisfaisant.
Il est indispensable a) de savoir lesquels tombent et lesquels restent; b) de comprendre
pourquoi ils tombent ou restent, dans quelles conditions, selon quels principes
et quelles tendances; c) d'acquérir l'habitude de ces chutes et de ces maintiens au
point automatique; d) d'articuler correctement ces chutes et ces maintiens, ce qui
dépend surtout de la façon d'unir les consonnes en jeu. C'est de ces quatre points de
vue que nous proposons d'étudier ici le jeu des e instables de monosyllabes à
l'initiale.

Maurice Grammont avait relié le jeu des e instables de monosyllabes à la caractéristique
durative des consonnes par lesquelles ces monosyllabes commençaient. Les
consonnes étaient momentanées ou continues, et c'était là le facteur qui déterminait
la chute ou le maintien des e dans les diverses conditions. Sa façon de voir n'était pas
fausse, en général, mais le facteur sur lequel il s'appuyait était un facteur indirect, et
cela l'amenait à faire quelques erreurs. Ainsi pour cadrer avec cette théorie, il fallait
que dans une phrase comme ne te l'avais-je pas dit, on fît tomber le premier e (n te
28l'avais-je pas dit) tandis que c'est le contraire qui se produit le plus souvent (ne t
l'avais-je pas dit). 23

Le facteur direct est dans le degré de force d'articulation des consonnes, et dans
leur degré d'aperture. Cela s'accorde généralement avec les facteurs de Grammont:
les consonnes les plus fortes et les plus fermées sont, pour la plupart, des momentanées;
et les continues sont, sauf exceptions, moins fortes et moins fermées que les momentanées.
Mais la division de Grammont cache des aspects importants du problème
parce qu'elle est trop brusque. Dans les continues, il existe une gradation utile qui ne
peut apparaître que dans des classifications plus détaillées telles que celles des degrés
d'aperture ou des degrés de force d'articulation.

D'autre part, la nature durative des consonnes — aussi bien que leur aperture ou
leur force — n'est qu'un facteur mécanique du problème. Il existe aussi des facteurs
psychologiques (exemples: l'analogie, la fréquence). Ici, le grand facteur psychologique
réside dans l'attraction de la position initiale de phrase.

C'est par l'addition ou l'opposition de ce facteur psychologique au facteur mécanique
force-aperture (combinaison de la force et de la fermeture) que s'expliquera en
très grande partie le jeu des e instables de monosyllabes à l'initiale.

Mais avant d'aborder le traitement détaillé de ce jeu, et pour mieux le suivre,
saisissons-en les grandes lignes, en dehors de toute exception.

L'e instable de monosyllabe initial de phrase se traite de deux manières opposées
selon qu'il est suivi ou non d'un second e instable de monosyllabe: I. Quand il n'est
pas suivi d'un second, il est généralement omis: j m'en vais, c n'est pas ça. II. Quand il
est suivi d'un second, il est généralement conservé (et le second omis): je n m'en vais
pas
, ce n peut pas être ça.

L'explication en est simple. Dans le premier cas, la lutte pour la position initiale de
phrase est entre une voyelle instable et une voyelle stable. La voyelle stable l'emporte.
Dans le second, la lutte est entre deux voyelles instables. Celle qui est en position
initiale est de ce fait avantagée et l'emporte. Dans les deux cas, ce qui fait pencher la
balance, c'est la force d'attraction — le poids psychologique — de la position initiale
de phrase dans une langue où l'intensité des syllabes est si également distribuée.
Très légère dans le parler parisien cultivé, plus marquée dans le parler parisien des
faubourgs, cette attraction de l'initiale se révèle, en français, dans l'accent d'insistance.

Et maintenant reprenons le traitement en y faisant entrer les facteurs de moindre
importance.

La grande loi qui va présider au jeu des e instables de monosyllabes à l'initiale peut
s'énoncer de la sorte: le facteur psychologique (attraction de la position initiale de
phrase) joue contre le facteur mécanique (force d'articulation consonantique combinée
avec aperture consonantique) et l'emporte généralement, mais d'autant moins nettement
que ce dernier facteur lui oppose plus de résistance
.29

I. Un seul monosyllabe

Pour étudier pratiquement son fonctionnement, dressons la liste des monosyllabes,
suivis d'exemples, dans l'ordre où leurs chances de tomber vont en se réduisant.

je

j pourrai vous le donner

j n'ai pas compris

j t'écrirai après

j vais le voir à l'instant

j m'en vais immédiatement

ce
se

c tableau ne vaut pas gros

s passe-t-il de tout

c goût-là n'est pas le mien

c n'est pas du tout ça

s fait-il comprendre

le

l pari est gagné

l comprenez-vous

l dentiste vous attend

l jeu va commencer

l nouveau venu est là

ne

n pouvez-vous pas passer

n m'en parlez pas

n l'oubliez pas

me

m quittez-vous

m diras-tu ce que tu sais

m répondras-tu

de

de qui parlez-vous

de mieux en mieux

de chez qui viens-tu

te

te prépares-tu déjà

te souviens-tu de lui

te renverra-t-on

que

que pensez-vous

que nous rapportez-vous

que c'est loin

Le débit

Le débit. La vitesse à laquelle on parle a une grosse influence sur l'omission ou le
maintien des e: à un débit particulièrement rapide, tous les e ci-dessus peuvent
s'omettre; à un débit particulièrement lent, tous peuvent se maintenir. En d'autres
termes, l'e de monosyllabes est fort instable. Mais les débits excessifs dépendent soit
d'habitudes particulières de langage, soit de conditions affectives dont nous ne nous
30occuperons pas ici. Occupons-nous seulement du langage le plus naturel des gens
cultivés — non pas ce qu'ils disent qu'il faut dire, mais ce qu'on les entend dire quand
ils ne s'observent pas.

Degrés de stabilité

Degrés de stabilité. La prononciation des exemples ci-dessus correspond à des
conditions normales de conversation, dans le langage vivant des gens cultivés, en
dehors de toute influence affective. Je se maintient le plus rarement, que le plus fréquemment,
et entre les deux la gradation est continue, avec de comme centre d'équilibre.
S'il fallait donner des chiffres, nous dirions que: je, ce, se s'omettent les 9/10 du
temps; le les 3/4; ne, me, les 2/3; de la moitié; et que te, que se maintiennent les 2/3 du
temps. Mais, bien que basées sur des années d'observation, ces proportions restent fort
subjectives.

Articulation

Articulation. Pour acquérir des habitudes de langage bien françaises, nous
conseillons de travailler les phrases ci-dessus en omettant l'e de je, ce, se, le, ne, me, et
en maintenant celui de de, te, que (nous le maintenons dans de parce que, pour un
étranger, il vaut mieux en prononcer trop qu'en omettre trop). Pour omettre les e sans
heurt, deux conseils très importants: 1. Faire porter le maximum de tension musculaire
sur la seconde consonne (celle du mot qui suit le monosyllabe) et passer sans effort sur
la consonne du monosyllabe. 2. Pour les monosyllabes dont la consonne est sonore,
faire vibrer les cordes vocales dès le début de la consonne. Le français fait entendre le
bourdonnement du voisement pendant la mise en place des organes, ce qui donne
l'impression auditive que le bourdonnement précède la consonne.

Discussion

Discussion. Nous avons vu que le facteur psychologique réside dans l'attraction
de la position initiale. Au début de la liste d'exemples, cette position revient à la
syllabe stable, puis de moins en moins en descendant les exemples. A la fin, te et que
l'emportent sur la syllabe stable et s'installent à la position initiale. D'où vient cette
gradation? Cherchons-la dans le facteur mécanique de la nature des consonnes.

L'ordre de nos exemples n'est exactement ni celui des apertures consonantiques
décroissantes, ni celui des forces d'articulation consonantiques décroissantes. Pour
l'aperture, cet ordre serait: le je ce-se ne me de te que. 34 Pour la force d'articulation cet
ordre serait: je ce-se ne me de le te que. 45 Combinons ces deux listes en plaçant le à
mi-chemin entre ses deux positions, et nous obtenons l'ordre de nos phrases: je ce-se le
ne me de te que
— ordre qui combine les deux facteurs mécaniques de l'aperture et de
la force d'articulation. On pourra donc dire: Quand un seul monosyllabe en e instable
commence la phrase, il tend à perdre son e, mais d'autant moins que sa consonne est
plus forte-fermée. Pour qu'il cesse de perdre son e, il faut que sa consonne ait le degré
maximum de force-fermeture
. Autrement dit, pour vaincre le facteur psychologique, il
faut que le facteur mécanique atteigne son maximum.31

II. Deux monosyllabes

Dressons un tableau des groupes de deux monosyllabes en e instable à l'initiale, en
nous basant sur la même classification consonantique que dans la partie précédente —
classification par degrés de force-aperture (Figure 1). En allant de faible-ouvert à
fort-fermé, l'ordre des monosyllabes est: je, se-ce, le, ne, me, de, te, que. (Voir l'analyse
du facteur force-aperture dans la première partie de cet article, The French Review,
May, 1949.)

Sur les 28 groupes, seuls les deux de l'extrême droite, en bas, favorisent la chute de
l'e initial. Tous les autres favorisent son maintien, et généralement d'une manière
d'autant plus stable qu'ils se rapprochent plus du coin de gauche en haut.

Pour le vérifier, faisons une liste d'exemples de l'emploi de ces groupes, en allant
de haut en bas et de gauche à droite.

Que j tombe mal !

Que c tableau est laid !

Que s veulent-ils ?

Que l fais-tu faire ?

Que n voulez-vous pas ?

Que m demandez-vous ?

Que d patience vous avez !

Que t vendra-t-on ?

Te l faut-il tout ?

De c moment, on a compris.

De s vanter lui va bien !

De l voir me dégoûte.

De n pas partir m'ennuie.

De m taire m'assomme.

De t voir m'irrite.

Me l direz-vous ?

Ne s dépêchera-t-il pas ?

Ne l payez pas.

Ne m quittez pas.

Ne t laisse pas faire.

Se l fait-il envoyer ?

Ce n doit pas être vrai.

Ce m semble.

Je l vois d'ici.

Je n pense pas.

Je m prépare.

J te répondrai.

C que tu voudras.

Conseils pratiques

Conseils pratiques. En vue d'acquérir l'habitude d'articuler les groupes de monosyllabes,
à l'initiale, d'une manière vraiment française, il sera bon de s'assimiler toutes
les phrases ci-dessus par d'abondantes répétitions. Ces répétitions devront se faire en
observant un rythme syllabique très égal afin que l'e instable soit complètement omis32

tableau je | ce-se | le | ne | me | de | te | que | que j | que c | que s | que l | que n | que m | que d | que t | te l | de c | de s | de l | de n | de m | de t | m l | ne s | ne l | ne m | ne t | ce | se | se l | ce n | ce m | c que | je l | je n | je m | j te

Fig. 1. Tableau des groupes de deux monosyllabes en e instable. La force-aperture augmente horizontalement
de gauche à droite et verticalement de bas en haut.

quand il doit s'omettre et aussi clairement énoncé que toute autre voyelle quand il ne
doit pas s'omettre: [kə–ʒtɔ̃–bmal], [kə–sta–blo–e–le], etc., doivent produire
un effet rythmique semblable à un, deux, trois; un, deux, trois, quat, cinq.

Dans les groupes qui maintiennent l'e initial, on veillera à ne pas anticiper la
consonne du second monosyllabe, surtout lorsque c'est une liquide ou une nasale.
Pour y arriver, il sera indispensable d'exagérer, pendant quelque temps, l'ouverture
syllabique: [mə–ldirevu], [nə–lpejepa], [sə–ndwapazɛtrəvre], [ʒə–npɑ̃spa], [nə–mkitepa],
[ʒə–mprepar], etc.

Pour les groupes qui omettent l'e instable initial, veiller à faire porter la tension
musculaire sur la seconde consonne (celle du second monosyllabe) et à passer doucement
sur la première: [skətyvudra], [ʒtərepɔ̃dre].

En plus des listes qui précèdent, il sera utile de travailler des listes contrastantes
comme la suivante:

j comprends — je l comprends

j peux l'annoncer — je n peux pas l'annoncer33

j m'amuse — je m suis amusé

s met-on le sac au dos — se l met-on

c n'est pas vrai — ce n peut pas être vrai

c n'est pas parfait — ce m semble

n commencez pas ça — ne l commencez pas

n répond-il pas — ne s répondent-ils pas

n parle plus — ne m parle plus

m jouerez-vous ça — me l jouerez-vous

Analyse du tableau

Analyse du tableau. Nous avons déjà vu que lorsque le premier e instable est suivi
d'un second, le facteur psychologique de la force d'attraction de la position initiale
favorise le maintien du premier e. Si donc il n'y avait pas d'autre facteur que ce
facteur psychologique, l'e initial se maintiendrait uniformément dans tout le tableau,
et le second tomberait partout. Ce n'est pas le cas: ce premier e est de moins en moins
stable à mesure qu'on descend vers le coin du bas, à droite, et il finit même par disparaître
au profit du second dans les deux derniers groupes. A quoi attribuer cette
déviation? Sans doute à l'intervention du facteur mécanique. Examinons son fonctionnement.
Comme nous avons deux consonnes dans chaque groupe, comparons-les du
point de vue force-aperture.

La diagonale formée par les cases vides divise le tableau en deux zones. Dans celle
de gauche, la première des deux consonnes est plus forte-fermée que la seconde;
dans celle de droite, c'est la seconde qui est plus forte-fermée que la première. La
différence de force-aperture atteint son maximum dans les deux coins opposés (haut-gauche,
et bas-droite) et son minimum le long de la diagonale. C'est aussi dans ces
deux coins opposés que la stabilité de l'e atteint son maximum (haut-gauche: que j,
que c; bas-droite: j te, c que). Nous pouvons donc dire que l'e est d'autantplus stable a)
qu'il s'appuie sur une consonne plus forte-fermée, et b) que la différence de force-aperture
entre les deux consonnes est plus grande. Et inversement
. C'est là le fonctionnement du
facteur mécanique. S'il n'y avait pas d'autre facteur, le premier e se maintiendrait
dans toute la zone de gauche et s'omettrait dans toute la zone de droite.

Maintenant, confrontons ces deux facteurs. Dans la zone de gauche, ils opèrent
dans le même sens: le facteur psychologique (force de la position initiale) favorise
uniformément le premier e; le facteur mécanique favorise aussi le premier e (la
consonne du premier monosyllabe est la plus forte-fermée), mais de moins en moins
à mesure qu'on approche de la diagonale (la différence de force-aperture est de moins
en moins grande). Résultat: le premier e se maintient nettement dans toute la zone
de gauche, mais sa stabilité diminue à mesure qu'on approche de la diagonale.

Dans la zone de droite, les deux facteurs opèrent en sens opposés l'un de l'autre:
le facteur psychologique favorise uniformément le maintien du premier e (force de la
position initiale); le facteur mécanique favorise sa chute (la consonne du premier
monosyllabe est la moins forte-fermée), et cela d'autant plus qu'il s'éloigne de la
diagonale (la différence de force-aperture est de plus en plus grande). Résultat: tant
que le facteur mécanique n'est pas très accusé, le facteur psychologique garde le
34dessus et l'e initial se maintient — bien qu'avec un degré de stabilité moins grand que
dans la zone de gauche; quand le facteur mécanique atteint son maximum, c'est lui
qui prend le dessus et l'e initial s'omet (le second se maintient).

Degrés de stabilité des groupes

Degrés de stabilité des groupes. Parmi les groupes qui favorisent le premier e
(toute la zone de gauche et une grande partie de la zone de droite), la stabilité diminue
à mesure qu'on s'éloigne de la gauche et surtout du haut du tableau. Ainsi que j
présente un maximum de stabilité. On entend toujours que j tombe mal, jamais qu je
tombe mal
. Mais près de la diagonale, un groupe comme me l est légèrement moins
stable. Ainsi on entendra parfois m le direz-vous, au lieu de me l direz-vous. Rarement,
bien entendu, sans doute moins d'une fois sur cent. De l'autre côté de la diagonale,
surtout en descendant, l'instabilité s'accentue encore. Ainsi j le vois, j me prépare
s'entendent au lieu de je l vois, je m prépare, mais — disons — moins d'une fois sur dix.
Par contre le groupe je n est très stable. On n'entendra jamais j ne pense pas pour je n
pense pas
. Pourquoi? Du point de vue mécanique, il devrait avoir à peu près le même
degré d'instabilité que je l et je m. Je n ne doit pas sa stabilité à un facteur mécanique,
mais à un facteur psychologique: la fréquence d'usage dans la langue parlée (c'est
le groupe de plus haute fréquence du tableau). (Disons en passant que je n ne doit pas
non plus sa stabilité au fait que c'est un groupe figé. Il ne peut pas être question de
groupes figés à l'initiale, mais seulement à l'intérieur des phrases. A l'initiale, les
groupes ne sont pas déjà figés pour la bonne raison que c'est là qu'ils le deviennent.)
C'est sans doute la stabilité de je n qui entraîne celles de ce n et de de n. Ainsi c'est
encore à un autre facteur psychologique, l'analogie, que ce n et de n doivent leur
stabilité. Enfin si nous comparons l'un à l'autre les deux groupes j te et c que qui
favorisent le deuxième e, nous remarquons que j te est moins stable que c que. Il est
très rare d'entendre ce qu tu voudras (peut-être une fois sur mille), mais beaucoup
moins d'entendre je t répondrai (peut-être une fois sur vingt).

Mais arrêtons là cette analyse qui mènerait trop loin si on l'étendait à tous les
groupes. Constatons seulement qu'il existe d'autres facteurs psychologiques que
l'attraction de la position initiale. Et de même il existe d'autres facteurs mécaniques
que la force-aperture. Ainsi le facteur de l'affinité consonantique (la facilité avec
laquelle deux consonnes peuvent s'articuler ensemble) aiderait à expliquer la place de
bien des groupes dans le tableau.

Conclusion

Conclusion. La loi des trois consonnes, qui explique si clairement le jeu des e
instables intérieurs de mots et de phrases, n'est plus d'aucun secours lorsqu'il s'agit de
l'e instable de monosyllabe initial. Pour expliquer le jeu de ce dernier e instable, nous
avons fait appel à de nouveaux facteurs — les uns psychologiques, les autres mécaniques.
Le principal facteur psychologique réside dans la force d'attraction de la position
initiale de phrase, le principal facteur mécanique dans le degré de force articulatoire
et le degré d'aperture des consonnes des monosyllabes, que nous avons réunis
en un seul facteur sous le nom de “force-aperture”. Ces deux types de facteurs
tantôt se soutiennent, tantôt s'opposent; d'où la complexité des résultats pratiques
et la variété dans les degrés de stabilité.35

1* Déjà publié dans The French Review, XXII, 6 (May, 1949), pp. 455-459, et XXIII, 1 (October,
1949), pp. 43-47.

21 Phonétiquement, il n'y en a que huit puisque ce et se n'en font qu'un. Morphologiquement, au
contraire, il y en a beaucoup plus de neuf. Le peut compter pour deux: le, déterminatif (le banc), le,
pronominal (le voulez-vous); que pour quatre: que, exclamatif (que de livres), que, interrogatif (que
voulez-vous): que, relatif (celui que je veux), que, conjonctif (il dit que c'est vrai); de pour deux: de,
prépositionnel (parler de tout), de, partitif (de bons livres); me peut compter pour deux selon qu'il
est complément direct ou complément indirect; te et se de même, etc. Mais les différences morphologiques
n'ont généralement pas d'influence phonétique. Il n'y a guère que le cas des le qui soit à
considérer dans ce sens: le, pronom, tend très légèrement plus à retenir l'e instable que le, déterminatif.

32 Maurice Grammont, Traité pratique de prononciation française (Paris, Delagrave, 1938), 9e
édition, pp. 117-118.

43 Pierre Delattre, Principes de phonétique française à l'usage des étudiants anglo-américains (Middlebury,
Middlebury College, Vt., 1947), p. 9.

54 Ibid., p. 10.