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Delattre, Pierre. Studies in French and Comparative Phonetics – T07

L'accent final en français:
accent d'intensité, accent de hauteur,
accent de durée *1

Le mot accent aura ici le sens d'accent final, d'ordre rythmique ou syntaxique, abstraction
faite de tout accent d'insistance, d'ordre émotionnel. Ces deux accents
peuvent s'étudier indépendamment l'un de l'autre puisque, comme le rappelle M.
Fouché, “… l'accent d'insistance ne supprime pas l'accent final du mot: il ne fait que
s'ajouter à lui”. 12 Des termes tels que: accent d'intensité, accent tonique, sont à éviter
quand il s'agit de distinguer l'accent qui tombe sur les fins de mots ou de groupes de
mots de l'accent d'insistance. En effet, l'intensité et la hauteur musicale jouent un
rôle dans l'un aussi bien que dans l'autre des deux accents. Le terme d'accent final
semble être le plus propre à rappeler la distinction entre les deux accents, car la
marque caractéristique de l'accent français correct est qu'il “… ne quitte jamais la
dernière syllabe”, 23 et c'est cette place qui permet de ne pas le confondre avec l'accent
émotionnel, lequel se porte toujours sur l'une des deux premières syllabes: nigaud,
imcile.

L'intensité, la hauteur musicale et la durée se combinent généralement dans des
proportions inégales pour donner à chaque langue un de ses caractères particuliers.
Ainsi le principal moyen d'accentuation en anglais est l'intensité. Ce fait a été scientifiquement
vérifié par MM. Parmenter et Blanc et a été exposé dans un article
remarquable sur l'accent en français et en anglais 34 dans lequel ils fournissent une
représentation graphique parallèle des trois éléments acoustiques sus-nommés pour
des phrases françaises et anglaises correspondantes. En joignant aux renseignements
précieux de cet article les données obtenues jusqu'ici dans notre étude en cours sur la
durée des voyelles en français, nous allons pouvoir apporter quelque éclaircissement
sur le rôle de chacun des éléments acoustiques dans l'accentuation en français.

L'intensité est généralement la première chose qu'un individu associe avec l'idée
d'accent. D'où le terme le plus employé: accent d'intensité. Ce serait bien fondé dans
la majorité des langues européennes, mais pas en français, langue dans laquelle les
65variations d'intensité ne sont pas proéminentes dans l'accent et sont partout plutôt
effacées. Cette constatation est le résultat le plus important de l'étude de MM. Parmenter
et Blanc, 45 et ne peut être mise en doute, le procédé scientifique de mesure étant la
meilleure garantie. Sur les graphiques qu'on y voit, 56 la courbe d'intensité suit presque
une ligne droite et les syllabes accentuées ne sont pas les plus fortes; elles sont même
les plus faibles lorsqu'elles terminent une phrase. Cela ne veut pas dire que l'intensité
joue un rôle de peu d'importance en français, tout au contraire, mais ce rôle est en
quelque sorte négatif. C'est dans l'absence d'intensité proéminente que réside l'une
des caractéristiques les plus frappantes de l'accent français.

D'où vient donc l'illusion du Français qui a le sentiment de prononcer les syllabes
accentuées avec plus d'intensité que les autres? Peut-être de ce qu'il juge sur des
exagérations comme: j'entre dans ma maison; certainement de ce qu'il confond
intensité avec hauteur et durée.

La hauteur musicale a, contrairement à l'intensité, des variations fort étendues en
français. L'étude de MM. Parmenter et Blanc fournit, là aussi, des données précieuses. 67
Sur les graphiques qui y sont présentés, 78 les syllabes accentuées coïncident
toujours avec les variations d'intonation les plus fortes. Mais ces variations n'ont pas
toujours le même sens: tantôt elles se portent vers l'aigu, tantôt vers le grave, ce qui
diminue leur valeur comme facteurs de l'accent. On sait de plus que les grandes
variations de hauteur ne sont pas toujours présentes dans l'accent; et qu'on peut
les supprimer sans perdre pour cela l'impression d'accent. Il faut donc admettre
que le rôle de la hauteur comme facteur de l'accent, si important qu'il soit, reste
accessoire.

Examinons maintenant quelle est la part de la durée dans l'accentuation. L'étude
de MM. Parmenter et Blanc nous donne les renseignements suivants sur une phrase
de huit syllabes, divisée en deux groupes rythmiques de trois et cinq syllabes: les
sommets de hauteur musicale (syllabes 3 et 8) correspondent aux voyelles les plus
longues; et la durée des syllabes accentuées dépasse de 63 pour cent celle des syllabes
inaccentuées. 89 Les sommets en question sont des variations vers l'aigu; 910 on constate
que, lorsqu'elles sont dirigées vers le grave, 1011 elles correspondent aussi aux voyelles les
plus longues. Le sens des variations de durée dans l'accentuation est donc constant,
quel que soit le sens des variations de hauteur musicale.

Nous ferons appel, pour plus de renseignements, à notre étude sur la durée des
voyelles. Les mesures qu'on y trouve ont été faites, non sur des syllabes, mais sur des
voyelles; et elles ne représentent que les e ouverts et fermés d'un seul sujet. Elles
66sont donc limitées, mais d'une valeur indiscutable pour la comparaison des degrés
d'accent. Les e accentués sont en position finale de groupes rythmiques de 5 à 7
syllabes.Ces groupes sont indépendants les uns des autres; l'accentuation est donc
maxima. Les e inaccentués font tous partie de syllabes intérieures de mots, jamais de
syllabes finales de mots dans le cours du groupe rythmique; l'inaccentuation est donc
maxima. Pour que la comparaison soit significative, il faut que les e accentués subissent,
autant que possible, les mêmes influences mécaniques que les e inaccentués, sauf
en ce qui concerne l'accent. Cela demande, entre autres conditions, que les e soient
devant la ou les mêmes consonnes (inepte, reptile), que les groupes rythmiques aient
à peu près le même nombre de syllabes, et soient enregistrés à un même débit. Nous
avons ainsi choisi, dans notre étude, 260 couples de comparaison dont 5 pour chacune
des principales influences de consonnes subséquentes. Le parallèle ne peut s'établir
que dans ces 52 cas.

La durée moyenne des 260 e accentuées est de 22,6 centièmes de seconde; celle des
260 e inaccentués correspondants de 11,8 cs. Des proportions du même ordre se
retrouvent dans les différentes catégories: devant les consonnes simples, 26,8 et 13,1;
devant les groupes commençant par une liquide, 19,6 et 11; devant les groupes dont la
deuxième est une liquide, 23,7 et 11,8; devant les groupes sans liquides, 16,8 et 10.
Plus les consonnes sont allongeantes, plus la différence est marquée, et inversement:
ainsi devant z, les durées sont de 39,2 et 16,4; devant t, de 15,6 et 11.

On ne peut pas dire que les e accentués soient toujours plus longs que les e inaccentués,
car les influences mécaniques qui entourent les e peuvent réduire la durée de l'un
et augmenter celle de l'autre au point de combler la différence causée par l'accent (on
aura par exemple un e accentué devant kt moins long qu'un e inaccentué devant v).
Mais on peut dire que, les conditions étant les mêmes, la durée des e accentués est
toujours nettement plus grande que celle des e inaccentués, et qu'elle est en moyenne
du double.

De tels résultats objectifs devraient suffire à établir l'importance de la durée dans
l'accent. Mais il y a encore à dire.

Si l'on met en parallèle le rôle de la durée avec celui des autres éléments acoustiques,
on est frappé par les prémisses suivantes qui méritent d'être vérifiées expérimentalement:

1. On n'amplifie pas l'intensité sans augmenter en même temps la durée.

2. On n'élève pas la hauteur musicale sans ajouter à la durée.

3. Mais on peut augmenter la durée sans faire varier ni l'intensité ni la hauteur.

4. On peut n'avoir aucune manifestation proéminente de l'intensité et conserver
l'impression d'accent.

5. On peut supprimer les variations proéminentes de hauteur musicale et conserver
l'impression d'accent.

6. Mais on ne peut pas supprimer l'augmentation de durée et conserver l'impression
d'accent.67

Conclusion

On ne doit pas parler en français d'un accent d'intensité puisque le propre de l'intensité
est de ne pas s'accroître sous l'accent. Le rôle de l'intensité comme facteur de
l'accent est donc négatif.

Il n'est pas juste de parler d'accent de hauteur, car le rôle de la hauteur musicale,
bien que très positif, n'est pas indispensable, et le sens des variations de hauteur n'est
pas constant.

Il serait plus justifié de parler d'accent de durée. En effet, le rôle de la durée est très
positif. La durée est le seul des trois éléments acoustiques qui soit toujours, par sa
proéminence, un facteur de l'accent. C'est le seul qui puisse y varier indépendamment
des deux autres. Et c'est, dans le sens positif, l'élément le plus étroitement uni à
l'accent. 111268

1* Déjà publié dans The French Review, XII, 2 (December, 1938), pp. 3-7.

21 Fouché, P., “La prononciation actuelle du français”, Où en sont les études de français (Paris, 1935),
p. 29.

32 Ibid., p. 28.

43 Parmenter, C. E. and Blanc, A. V., “An Expérimental Study of Accent in French and English”,
PMLA, XLVIII, pp. 598-607.

54 Op. cit., pp. 600, 601, 604, 607.

65 Ibid., pp. 601, 603, 605.

76 Op. cit., pp. 600, 601, 604, 607.

87 Ibid., pp. 601, 603, 605.

98 Op. cit., p. 602.

109 Ibid., p. 601.

1110 Ibid., p. 605.

1211 En français, la caractéristique physiologique de tension musculaire peut fort bien expliquer les
rôles relatifs des éléments acoustiques de l'accent: il faut en effet une tension développée pour
maîtriser le jeu des muscles au point de pouvoir augmenter la durée sans que cela ait pour point de
départ une amplification de l'intensité. En anglais, où le relâchement est caractéristique, la durée est
surtout une conséquence de l'intensité.