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Delattre, Pierre. Studies in French and Comparative Phonetics – T13

La force d'articulation consonantique
en français *1

Le terme “force d'articulation” n'est pas nouveau. Il a été employé par les élèves de
l'Abbé Rousselot. L'un d'eux, M. Genévrier, dit par exemple dans sa Phonétique
Comparée Française et Anglaise
: “La force d'articulation d'une consonne est en raison
inverse de l'effort expiratoire.” 12 Rousselot lui-même ne faisait pas usage de cette
expression telle que nous venons de la citer, mais il écrivait fréquemment: la force de
l'articulation
…, forme qui a vraisemblablement donné naissance à celle que nous employons
ici. Au cours d'une discussion de l'intensité, il remarque: “Dans un groupe, la
force de l'articulation se proportionne au nombre des syllabes qui le composent.” 23
Ailleurs, donnant des conseils aux Allemands: “Pour imiter les sonores françaises, il
faut limiter la force de l'articulation.” 34 Analysant les degrés de force au moyen de la
trace que laisse la langue sur le palais artificiel, il commente: “Lorsqu'on fait varier la
force de l'articulation, la zone de contact varie en proportion, augmentant pour les
fortes et diminuant pour les faibles.” 45

Ainsi l'expression “force d'articulation” a, selon toutes apparences, son origine
chez l'Abbé Rousselot et son école. Mais ni lui ni ses élèves ne l'ont définie. Ils en font
un usage assez vague. On pourrait se demander, en lisant la phrase citée de M.
Genévrier “La force d'articulation d'une consonne est en raison inverse de l'effort
expiratoire”, si l'école de Rousselot considérait l'effort expiratoire comme faisant
partie de la force d'articulation. Il faudra donc préciser le sens de ce terme avant
d'aller plus loin. Nous croyons qu'il faut entendre par force d'articulation consonantique
la somme d'énergie nécessaire pour fournir la totalité des efforts musculaires
qui prennent part à l'émission d'une consonne. Ces efforts musculaires sont connus
sous les noms de: expiration, tension, tenue, détente, contraction, pression, rapprochement,
éloignement, reserrement, occlusion, etc., et sont les modifications
apportées à l'état de repos des organes phonateurs: poumons, larynx, pharynx, voile
du palais, langue, joues, lèvres, etc.111

D'après cette définition, la force d'articulation est très complexe et il ne semble pas
possible de la mesurer objectivement. Même si l'on pouvait mesurer l'effort de chaque
muscle, on ne saurait déterminer exactement quels muscles entrent en jeu pour telle
consonne. Les indications que l'on peut recueillir à l'aide du palais artificiel sur l'étendue
du contact entre la langue et le palais ne sont que partielles: elles ne se rapportent
jamais à tous les mouvements articulatoires de la consonne étudiée. De
même l'enregistrement des consonnes sur le cylindre de Rousselot muni de tambours à
membranes appropriées ne donne de renseignements que sur la force du souffle
buccal. Ce procédé et celui du palais artificiel permettent de comparer entre elles des
émissions distinctes d'une même consonne, mais pas de comparer des consonnes
différentes, du point de vue de la force d'articulation, même pas des consonnes ayant
même point d'articulation comme p et b, s et z. Enfin l'enregistrement oscillographique
de la parole, qui permet d'en analyser avec précision les éléments acoustiques:
hauteur musicale, durée et intensité, ne serait pas d'une grande aide non plus, car
aucun de ces éléments ne correspond séparément à la force d'articulation. On pourrait
croire que le dernier de ces éléments, l'intensité, puisse la représenter, mais rien n'est
moins vrai: les consonnes ont une force d'articulation plus grande que les voyelles
et une intensité beaucoup moindre (l'intensité se calculant d'après la mesure de
l'amplitude des vibrations oscillographiques). Cela s'explique par le rendement des
organes phonateurs qui est meilleur (beaucoup d'intensité avec peu d'effort) dans le
cas des voyelles que dans celui des consonnes.

La mesure objective de la force d'articulation présentant des difficultés insurmontables,
on a eu recours à l'évaluation subjective. Le seul guide est alors le sens musculaire.
Bien que généralement juste, ce n'est qu'un guide assez grossier. S'il permet
parfois de comparer entre elles les consonnes simples, il devient bien moins sûr quand
il entre des groupes de consonnes dans la comparaison.

Notre contribution au problème est d'avoir trouvé une méthode objective de classement
de la force d'articulation des consonnes et groupes de consonnes en fin de
syllabe fermée accentuée. Au cours de notre étude de quantité vocalique, nous
avions établi que la durée des voyelles e était inverse de la force d'articulation des
consonnes subséquentes et que c'était par anticipation d'un plus ou moins grand
effort articulatoire consonantique que la voyelle s'abrégeait ou s'allongeait. Si les
principes qui résultaient de nos travaux sont justes, nous avons, dans la classification
des durées vocaliques devant consonnes, une classification, en sens inverse,
de la force d'articulation des consonnes. C'est celle que nous présentons sur le tableau
qui suit (Figure 1).

Les conditions idéales pour la comparaison de ces consonnes et groupes de consonnes
sont celles dans lesquelles toutes choses seraient égales en dehors des consonnes
mêmes. Sans prétendre y atteindre, nous nous en sommes approchés le plus possible:
les consonnes étaient toutes après la même voyelle (e) et finales de syllabes accentuées
fermées terminant des groupes rythmiques de longueur presque égale. Chaque donnée
est obtenue par la moyenne de cinq séries d'expériences, ce qui diminue les chances
112d'erreur pouvant provenir de l'expression dans la voix et du débit de paroles du sujet
parlant.

Les consonnes et groupes qui manquent au tableau sont ceux qui n'existent pas en
position accentuée après la voyelle e en français.

La force d'articulation est calculée sur une échelle conventionnelle de 0 à 100, le
degré zéro étant donné à l'articulation la plus douce et le degré cent à l'articulation la
plus forte. 0 et 100 correspondent respectivement à des durées vocaliques antécédentes
de 42,8 et 11,6 centièmes de seconde.

Vue d'ensemble.

Vue D'ensemble. D'une manière très générale, les groupes sans liquides ont la plus
grande force d'articulation. Les groupes dont la première est une liquide en ont aussi
une très grande mais un peu moins que les précédents. Les groupes dont la deuxième
est une liquide sont nettement plus faibles. Et les articulations les plus douces se
trouvent dans la colonne des consonnes simples; mais les variations de force y sont
très étendues et on y voit aussi des articulations fortes.

Première colonne.

Première Colonne. Le phénomène le plus frappant est dans la différence considérable
de force d'articulation entre les sourdes et les sonores. Il n'y a que des
sonores en dessous de 55 et surtout des sourdes en dessus. Comparons les consonnes
qui ont même point d'articulation: p, t, k sont à 95, b, d, g à 52,5; f à 81, v à 22;
s à 61, z à 13;ʃ à 55, ʒ a 15. Ces différences confirment bien ce que notre sens musculaire
nous avait déjà appris. On donnait en effet le nom de fortes aux sourdes et de
douces aux sonores avant de savoir si elles étaient accompagnées ou non de vibrations
des cordes vocales.

L'Abbé Rousselot avait ajouté à la comparaison des sourdes et des sonores celle des
aspirées. Parlant des articulations arméniennes, il concluait: “On y voit que les
dentales s'échelonnent ainsi suivant la force de l'articulation: forte, douce, aspirée.” 56
Par fortes et douces il entendait certainement les sourdes et les sonores, car Roudet,
reprenant l'explication du Maître, disait: “Dans les langues qui possèdent concurremment
la sourde pure, la sonore pure et la sonore aspirée, l'arménien par exemple,
les occlusives peuvent se classer ainsi en allant de la plus forte à la moins forte: sourde
pure, sonore pure, sourde aspirée.” 67 Et comparant les articulations françaises aux
allemandes, il les classait du même point de vue comme suit: sourde pure française,
mi-sonore allemande, sonore pure française, sonore aspirée allemande. 78

On voit aussi dans la première colonne que les occlusives ont une plus grande force
d'articulation que les continues: en dessus de 50, les occlusives sont en majorité; en
dessous de 50, toutes les consonnes sont des continues. Le deux seules correspondances
qu'il y ait présentent des différences assez nettes: p est à 95 et f à 81; b est à 52
et v à 22. Mais il y a aussi des indications intéressantes à retenir (à défaut de spirantes
linguodentales en français) dans les comparaisons suivantes: t, 95 et s, 61; d, 52 et z, 13.

Il n'y a qu'une correspondance dure-mouillée en français moderne, celle des nasales:113

Classification de la force d'articulation consonantique en français

image consonnes simples | groupes dont 2e est liquide | groupes dont 1e est liquide | groupes sans liquide

Figure 1114

n et ɲ. Le tableau les place, n à 62, ɲ à 47. Cela confirme ce que tous les manuels
enseignent, à savoir que la consonne mouillée est plus faible d'articulation que la
consonne dure correspondante. On sait que le palais artificiel montre une bien plus
grande surface de contact langue-palais pour ɲ que pour n, mais que cette surface
présente, pour ɲ, des îlots sans contact, marque caractéristique d'une faible tension
linguale.

On sera généralement surpris de constater que les nasales m et n ont une force
d'articulation plus grande que les occlusives orales correspondantes b et d. C'est
pourtant exact, et c'est un des points qui nous ont fait préciser notre définition et
parler de la totalité des efforts musculaires qui prennent part à l'émission. L'Abbé
Rousselot écrit: “L'm et l'n correspondent assez exactement aux deux occlusives
sonores b et d avec cette différence que l'articulation est un peu plus faible. En outre
le voile du palais est naturellement maintenu abaissé.” 89 Il donne là les résultats de ses
recherches au moyen du palais artificiel et de l'enregistreur de la parole avec membrane
souple. Nous avons répété ses expériences avec les mêmes résultats: la trace laissée
par la langue est toujours plus étendue pour d que pour n, et elle indique une plus
grande pression; la déviation de la plume enregistreuse sur le papier fumé est régulièrement
plus ample pour b et d que pour m et n. Mais ce ne sont là que des mesures
partielles de la force d'articulation: elles comprennent principalement les efforts de la
langue et des lèvres; elles ne comprennent certainement pas ceux du voile du palais
et des organes environnants qui s'accomodent pour ajouter, à la résonance buccale, la
résonance nasale. Ces efforts supplémentaires pour donner à la consonne sa nasalité
sont loin d'être négligeables, et c'est à leur addition que nous attribuons le fait que
la force d'articulation des nasales est plus grande que celle des orales correspondantes.
Nous n'avons parlé ici que des consonnes, mais pour les voyelles, la question ne se
pose même pas, ce qui tend à confirmer notre théorie: le sens musculaire indique
clairement en français moderne un plus grand effort articulatoire pour ɑ̃ que pour ɑ,
pour õ que pour o.

La distance notable qui sépare sur le tableau les deux liquides l et r attire aussi
l'attention: r est à 0 et l à 70. Ces deux consonnes ont bien pourtant toutes deux le
caractère liquide d'où vient leur nom; elles ont surtout en commun un degré d'aperture
qui leur permet de s'unir étroitement à la consonne précédente si elle en a un
degré moindre. Mais comme consonnes simples et finales, leurs articulations sont
très différentes. Sur les tracés enregistrés, l'r dorsal ou pharyngal du sujet parlant est
celle des consonnes qu'on a le plus de peine à distinguer des voyelles. Ses vibrations
sont presque des vibrations vocaliques, ce qui met en évidence sa grande douceur.
Les tracés des l ont au contraire des caractéristiques très consonantiques. Ils montrent
un déplacement de la plume à la mise en place et indiquent une tension marquée
de la langue en contact avec le palais. Les palatogrammes le confirment.

Le j a été quelquefois classé parmi les consonnes très allongeantes, c'est-à-dire
très douces, avec r, ʒ, z, v. Mais il y a eu désaccord à ce sujet entre les phonéticiens.
115Paul Passy disait: “En syllabe fermée, la voyelle est toujours longue si la syllabe est
fermée par des consonnes v, z, ʒ, j, r, qu'on peut appeler les consonnes allongeantes.” 910
Kr. Nyrop de même: “Les autres voyelles (autres que nasales et ɑ, o, ø) sont en général
longues devant les spirantes sonores z, ʒ, j, v, et r final”. 1011 M. Grammont au contraire
donne l'e ouvert accentué comme bref devant un j dans les mots: pareil, soleil,
orteil, sommeil, conseil, conseille. 1112 M. Fouché est du même avis: “Une erreur répandue
dans beaucoup de manuels consiste à croire que y a aussi un pouvoir allongeant”. 1213
Ces contradictions s'expliquent par la place qu'occupe le y dans notre tableau. Il n'est
ni avec les articulations les plus fortes, ni avec les plus douces; et si l'on tient à
marquer la division (d'ailleurs très grossière) entre les articulations fortes et les
articulations douces, on ne sait s'il faut appeler le y la moins douce des articulations
douces ou la moins forte des articulations fortes.

Cela fait bien voir le défaut des classifications trop générales. Il est évident que la
division des consonnes simples en deux groupes est insuffisante. Une division en trois
groupes serait déjà meilleure: fortes (p, t, k), douces (r, ʒ, z, v), et moyennes (toutes
les autres). Mais une division en cinq groupes serait bien plus satisfaisante: fortes
(p, t, k), mi-fortes (f, l), moyennes (n, m, s, ʃ, b, d, g), mi-douces (ɲ, j), et douces
(r, ʒ, z, v).

Deuxième colonne.

Deuxième colonne. Commençons par comparer entre elles les deux premières
colonnes. A l'exception de gl, tous les groupes occlusive plus liquide ont une force
d'articulation moindre que l'occlusive du groupe quand elle est seule: k, t, p dépassent
kr, tr, pr, kl d'une moyenne d'environ 15 degrés sur l'échelle; et g, d, b, dépassent
gr, dr, br, bl d'environ 10 degrés. Ainsi l'addition d'une liquide à une consonne forte
en adoucit la prononciation. Il est intéressant de rapprocher de ce fait ce qui se passe
dans l'articulation des consonnes affriquées, lesquelles sont composées de deux
consonnes, 1314 mais émises en un seul effort articulatoire. Daniel Jones les définit de
la manière suivante: “An ‘affricate’ consonant is a kind of plosive in which the
articulating organs are separated more slowly than usual. … When the separation of
the articulating organs is performed less rapidly, the ear perceives distinctly the glide
between the plosion and a following vowel or aspiration. The effect of this glide is
essentially the sound of the homorganic fricative consonant, through the position
for which the articulating organs necessarily pass”. 1415 M. Grammont est aussi très
explicite: “Les organes ne se séparent pas violemment et brusquement pour donner
lieu à une explosion, mais mollement, de manière à produire l'ébauche d'une fricative
ou spirante. Naturellement cet élément spirant a le même point d'articulation que
116l'occlusive qui précède et l'occlusion est plus faible que celle d'une occlusive ordinaire”. 1516
Les termes employés par M. Jones et par M. Grammont: lentement, mollement,
impliquent nécessairement une force d'articulation moindre. Le résultat de
cette diminution de force d'articulation, c'est la transformation d'une consonne
simple en l'ébauche d'un groupe de consonnes dont la seconde a une aperture plus
petite que la première. On voit que c'est une forme d'articulation qui rappelle beaucoup
celle des groupes terminés par une liquide.

La comparaison des deux premières colonnes révèle ensuite que l'adoucissement
d'articulation produit par l'addition d'une liquide subséquente est en rapport avec
la différence d'aperture qui sépare les deux consonnes. Cette différence d'aperture est
maximum pour les groupes qui commencent par k, t, p, lesquels sont le plus adoucis
par l'addition de la liquide. La différence d'aperture est un peu moindre pour les
groupes qui commencent par les occlusives sonores g, d, b, et le degré d'adoucissement
est moins grand. Pour fl, ce groupe commençant par une fricative, la différence
d'aperture est notablement plus réduite, et il n'y a plus d'adoucissement mais une
légère augmentation de force d'articulation. Pour vr, la différence d'aperture est
encore diminuée; de plus la fricative sonore qui commence le groupe est extrêmement
douce; il est donc naturel que le groupe soit articulé plus fortement que le v seul.

Le seul groupe de la troisième colonne dont la place soit difficile à comprendre est
le groupe gl qu'on s'attendrait à trouver plus bas avec gr, dr, bl, br. Cela ne semble
pas provenir d'une erreur dans les expériences car les résultats des cinq enregistrements
faits à des dates différentes s'accordent presque parfaitement: les durées des e
étaient en centièmes de seconde de 21, 21, 22, 23, 23. Il vaut mieux en chercher la
cause dans un facteur général que nous appelons: l'affinité articulatoire des deux
consonnes, ou la facilité avec laquelle leurs articulations peuvent s'unir, se combiner,
s'emboîter, indépendamment de la différence d'aperture qui n'en est que l'un des
éléments. Cette affinité articulatoire est faible dans le cas de g et l (dans l'ordre g-l) ce
qui diminue l'effet adoucissant de la différence d'aperture.

Troisième colonne.

Troisième colonne. Avant d'examiner la troisième colonne, il est bon de rappeler
que les groupes de consonnes qu'on y trouve sont en position finale de syllabe fermée,
et que cette position pousse les deux consonnes à s'unir, à faire partie de la même
syllabe, ce qui est contraire à leur mode d'articulation naturel en position intervocalique
(par-ti). Il est difficile de prononcer ensemble deux consonnes dont la
première a la plus grande aperture, et la difficulté est d'autant plus grande que la
différence d'aperture entre les deux consonnes est plus accentuée. 1617

Ceci dit, on ne s'étonnera pas de voir que tous les groupes de la troisième colonne
se trouvent dans la moitié supérieure du tableau.

Comparons la troisième colonne à la première. Nous observons un parallélisme
certain entre les consonnes simples et les deuxièmes consonnes des groupes. Chaque
groupe commençant par un r a une force d'articulation plus grande que la consonne
117simple qui correspond à la deuxième du groupe. Autrement dit, la force d'articulation
d'une consonne est régulièrement augmentée par l'addition d'un r antécédent. Ce
sont naturellement les consonnes les plus douces, comme ʒ, v, qui reçoivent la plus
grande augmentation de force d'articulation; les consonnes k, t, p, sont déjà si fortes
que l'addition de force d'articulation qu'elles reçoivent ne peut être que très peu
marquée.

Comme l proconsonantique s'est vocalisé au moyen âge, les groupes commençant
par l sont très rares et nous n'en avons étudié qu'un exemple, le groupe lt. On voit
qu'il est proche du groupe rt, ce qui permet de supposer que les groupes commençant
par l seraient peu différents des groupes commençant par r. La différence, dans ce cas
particulier vient de ce que l'affinité articulatoire est plus grande entre l et t qu'entre
r et t.

Il reste le groupe rl que nous avons placé entre les deuxième et troisième colonnes.
Les deux consonnes ayant la même aperture, il n'y a plus de raison pour que la force
d'articulation soit augmentée par l'addition d'un r antécédent ou diminuée par
l'addition d'un l subséquent. Tout dépend donc de l'affinité articulatoire, laquelle
semble être forte dans l'ordre r-l.

Quatrième colonne.

Quatrième Colonne. Dans la quatrième colonne, tous les groupes ont une force
d'articulation considérable et ils diffèrent en somme assez peu entre eux. La différence
d'aperture est ici nulle ou très réduite; mais le degré d'affinité articulatoire pourra
s'expliquer par de nouveaux facteurs.

Comparons kt et pt, deux groupes également composés d'occlusives sourdes ayant
toutes non seulement même aperture mais aussi même force d'articulation. Le premier
groupe demande un effort relativement gros, le second un bien moindre. Pour
le comprendre il faut observer le rôle de l'ordre des articulations. Dans l'ordre k-t,
la première articulation est nettement gênée par la mise en place des organes pour la
deuxième, d'autant plus que cette mise en place est toujours plus ou moins anticipée.
Dans l'ordre t-k, au contraire, la première articulation ne serait pas gênée par la mise
en place pour la seconde et cette première articulation pourrait se terminer librement.
Pour les groupes comprenant les consonnes p et t, c'est dans l'ordre t-p que l'articulation
de la première serait gênée par la mise en place pour la seconde. Dans l'ordre p-t,
au contraire, la première articulation peut se terminer librement. Ainsi, dans la
quatrième colonne, le groupe pt a ses composants dans l'ordre favorable au jeu de
l'articulation et le groupe kt dans l'ordre défavorable.

On peut aussi observer que les lieux d'articulations des deux consonnes sont
éloignés pour kt, tandis que pour pt, ils sont rapprochés sans l'être trop pour se gêner.
Ce facteur ne semble valoir que pour les groupes à consonnes d'apertures égales ou
presque.

Le groupe gm est composé de deux consonnes sonores, ce qui pourrait expliquer
que sa force d'articulation soit moins grande que celle de kt. Par ailleurs, g et m
semblent difficiles à articuler ensemble parce qu'on fait effort pour conserver au g son
timbre oral; mais en réalité la difficulté est souvent réduite par anticipation de la
118nasalité de l'm qui transforme l'occlusive orale g en une occlusive nasale, le voile du
palais s'abaissant brusquement et laissant le souffle accumulé s'échapper par le nez.

Comparons les groupes ks, ps aux consonnes simples de la première colonne et aux
groupes kr, pr de la seconde. Nous avions vu que l'addition d'une liquide après k, p
avait diminué la force d'articulation. De même l'addition d'un s après k, p diminue
la force d'articulation, mais la diminution n'est que très légère ou négligeable parce
que la différence de force d'articulation est minime.

Enfin les groupes sk et st sont tous deux plus forts que s et moins forts que k, t, la
différence d'aperture étant trop limitée pour qu'il se produise une augmentation de
force comme dans le cas p, t, krp, rt, rk. Mais ici il faut encore expliquer la distance
qui sépare sk de st sur le tableau. Elle provient sans doute du degré d'éloignement des
lieux d'articulation des deux consonnes: s et t ont leurs lieux d'articulation très
proches sans pour cela qu'il y ait gène; mais les lieux d'articulation de s et k sont
éloignés, ce qui diminue leur affinité articulatoire.

Conclusion

Nous avons exposé dans un tableau les rapports qui existent entre la force d'articulation
des consonnes simples et celle des groupes de consonnes. On en a un exemple
frappant dans la comparaison des occlusives simples aux groupes où l'occlusive est
suivie ou précédée d'une liquide: l'adjonction d'un r subséquent dans la seconde
colonne tend à réduire la force d'articulation, et l'adjonction d'un r antécédent dans
la troisième colonne tend au contraire à l'augmenter; la réduction dans la deuxième
colonne est d'autant plus marquée que la différence d'aperture entre les deux consonnes
est plus grande, et l'augmentation dans la troisième colonne est d'autant plus
marquée que la différence d'aperture est moins grande.

La force d'articulation d'un groupe est inverse de l'affinité articulatoire des deux
consonnes du groupe.

L'ordre dans lequel se trouvent les deux consonnes d'un groupe, et leur différence
d'aperture, sont les principaux facteurs qui déterminent leur affinité articulatoire.119

1* Déjà publié dans The French Review, XIV, 3 (January, 1941), pp. 220-232.

21 Genévrier, P., Précis de phonétique comparée française et anglaise et manuel de prononciation
française
(Paris, Didier, 1927), p. 165.

32 Rousselot, P.-J., et Laclotte, F., Précis de prononciation française (Paris, Didier, 1927), p. 91.

43 Ibid., p. 63.

54 Rousselot, P.-J., Principes de phonétique expérimentale (Paris, Didier, 1924), tome I, p. 590.

65 Ibid., p. 597.

76 Roudet, L., Eléments de phonétique générale (Paris, Weiter, 1910). p. 147.

87 Ibid., p. 148.

98 Rousselot, P.-J., op. cit., p. 69.

109 Passy, P., Les sons du français, IIe éd. (Paris, Didier, 1929), pp. 62-63.

1110 Nyrop, Kr., Manuel phonétique du français parlé, 4e éd. (New York, Stechert, 1925), p. 97.

1211 Grammont, M., Traité pratique de prononciation française, 8e éd. (Paris, Delagrave, 1934), p. 38.

1312 Fouché, P., “La prononciation actuelle du français”, Où en sont les études de français, Manuel
général de linguistique française moderne publié sous la direction d'Albert Dauzat
(Paris, d'Artrey,
1935), p. 18.

1413 “Many compound phonemes consist of a stop plus a spirant or other open consonant; phonemes
of this sort are called affricates”. Bloomfield, L., Language (New York, Holt, 1933), p. 120.

1514 Jones, D., An Outline of English Phonetics, 5e éd. (Cambridge, Heffer, 1936), pp. 145-146.

1615 Grammont, M., Traité de phonétique (Paris, Delagrave, 1933), p. 105.

1716 De Saussure, F., Cours de linguistique générale, 3e éd. (Paris, Payot, 1923), pp. 84-85.