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Delattre, Pierre. Studies in French and Comparative Phonetics – T19

Le mot est-il une entité phonétique en français? *1

Pour une langue donnée, l'entité phonétique du mot est un fait incontestable lorsque
la division d'une phrase orale en mots ne présente aucune difficulté pour un étranger
qui connaît imparfaitement la langue.

Il ne semble certainement pas que ce soit le cas du français. On sait la peine qu'a un
nouvel élève à comprendre les mots qu'il a appris isolément, dès qu'ils sont réunis
dans une phrase. L'élision, la liaison et l'enchaînement aidant, le groupe rythmique lui
donne l'impression d'une succession de syllabes sensiblement égales dont le rythme
ininterrompu cache malicieusement les limites des mots. On ne saurait mieux décrire
cet aspect du français, du point de vue pratique, que ne l'a fait M. Grammont:
“Quelqu'un qui ne sait pas où commencent et où finissent les mots français ne pourrait
jamais le deviner en entendant parler. Quand on s'arrête, c'est après un mot,
parce qu'avec ce mot l'idée, où une parcelle de l'idée, est terminée, mais le plus
souvent aucun fait matériel ne marque la fin ou le commencement des mots. D'ordinaire
les mots se disent par groupes, par séries, sans aucun arrêt, et si étroitement unis
l'un à l'autre qu'il n'est pas rare qu'une syllabe soit constituée par la fin d'un mot et le
commencement d'un autre.” 12 Rappelons en passant qu'il faut voir les principales
explications de cet état de la langue française dans ce que M. Fouché a appelé le caractère oxytonique de la syllabe 23 et le caractère tendu de l'articulation. 34

Kr. Nyrop s'exprimait dans le même sens que M. Grammont: “Il faut bien se
rappeler que le mot est souvent une illusion et qu'en tout cas la définition du “mot
phonétique” ne recouvre pas celle du “mot syntaxique”. Un groupe de sons comme
avwardlatu peut, suivant le cas, signifier: avoir de l'atout, ou: avoir de la toux. Cf.
encore: la laine, l'haleine; la baisse, l'abbesse; la vie, l'avis; un signe allemand, un signalement, etc. Une bonne partie des calembours qu'on peut faire en français repose
précisément sur cette absence de délimitation phonétique entre des mots.” 45 Et il cite
141plus loin deux vers de Marc Monnier qui riment entre eux d'un bout à l'autre:

Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime¤,
Galamment de l'Arène à la Tour Magne, à Nîmes.

et encore:

Mais il faut en sortir comme un vieillard en sort.

qui aurait été compris: comme un vieil hareng saur.

M. Paul Passy est aussi du même avis: “La division des mots ne change rien à la
division en syllabes… Il n'y a pas de différence entre les aunes et les zones, un invalide
et un nain valide, celui qui l'a vu et celui qu'il a vu…” 56 Mais il faut une distinction très
importante qui laisse entendre que le problème n'est pas entièrement résolu par ses
premières assertions: “Dans un parler tant soit peu lent, on distinguera trois petites roues et trois petits trous”. 67

L'abbé Rousselot va plus loin. Parlant de l'union des mots, il dit: “Plusieurs
exemples prouvent qu'au moins en certains cas le mot conserve dans le groupe
quelque chose de son individualité. 78 Et il fait suivre ses commentaires sur aptitude et
apte à tout faire, le contrôleur et le Comte Roland, donna Pierre et donne à Pierre, de
la remarque: “L'oreille n'est pas toujours insensible à ces différences, qui se traduisent
pour elle par des nuances d'accentuation, d'intensité ou de timbre”. 89

Dans un article sur l'entité du mot en anglais, fourni d'exemples révélateurs, M.
Daniel Jones prévoyait que les distinctions du genre trois petites roues, trois petits
trous
, passablement communes en anglais, étaient vraisemblablement moins communes
en allemand et encore moins communes en français. 910 C'est juste en ce qui
concerne le français. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'entendre dire à un Français
sachant assez bien l'anglais une expression comme: not at all. Le t qu'il y prononce
deux fois est rarement autre chose qu'un t initial de syllabe, à tension croissante,
comme le t de liaison dans: tout à fait.

Nous nous proposons ici d'approfondir la question de la délimitation des mots par
des moyens phonétiques, en étudiant le rôle que peuvent y jouer premièrement
l'accent final, deuxièmement l'articulation consonantique et troisièmement l'accent
d'insistance
.

I. Rôle de l'accent final

Une distinction comme celle qu'on a en anglais entre an aim et a name est attribuée
presque entièrement à l'accent par M. Daniel Jones. 1011 De tels cas sont fréquents en
142anglais où l'accent est le plus souvent sur la première syllabe. Mais en français il est
sur la dernière. Une distinction semblable, si elle existe, ne pourra s'attribuer à
l'accent que pour les monosyllabes, la dernière syllabe y étant aussi la première.

il parle du nôtre | il parle d'une autre.

il répond du nombre | il répond d'une ombre.

c'est du nerf | c'est d'une ère.

hais-les | elle est.

Le rôle de l'accent final dans la délimitation verbale est important dans la mesure où
l'accent est fixe et où il tombe sur chacun des mots. En finlandais, par exemple, la
première syllabe de chaque mot porte un accent. En français l'accent est fixe (sur la
dernière syllabe) mais il appartient au groupe et non au mot. Il n'indique donc que
la fin du dernier mot du groupe, laissant les syllabes des autres mots du groupe
apparemment inaccentuées. Cependant toute syllabe finale d'un mot qui porterait
l'accent à l'état isolé a tendance à ne pas se désaccentuer complètement à l'intérieur
du groupe. La désaccentuation est d'autant moins complète que le mot est plus
important.

on s'en dégoûte | on sent des gouttes.

un signalement | un signe allemand.

la tour magnanime | la Tour Magne à Nîmes.

Ainsi, les désaccentuations incomplètes ou accentuations partielles contribuent à la
délimitation du mot au cours du groupe rythmique.

II. Rôle de l'articulation consonantique

Le rôle de l'articulation consonantique se manifeste surtout par le sens de la tension
des consonnes. “Il ne peut y avoir un phonème à tension croissante après un phonème
à tension décroissante sans qu'il y ait passage d'une syllabe à une autre”, dit M.
Grammont. 1112 C'est là tout le principe de la syllabation phonétique (a-près, har-per).
De plus la croissance ou décroissance de la tension a des degrés. Elle peut être faible
ou forte, et elle passe par des points où elle est neutre quand elle change de sens.
Tant qu'elle ne varie que de degré, sans changer de sens, la syllabation reste la même. 1213

Nous commencerons par étudier le cas le plus simple, celui de la liaison (tout est).
Puis nous passerons aux enchaînements, qu'il faut considérer séparément selon qu'il
y entre une seule consonne (toute est) ou deux consonnes (coupe-les, couple est).
Nous ne nous occuperons pas des cas de plus de deux consonnes.

Un enchaînement, d'après le sens proposé par Mlle Pernot, 1314 est une liaison à
143l'aide d'une consonne qui serait prononcée dans le mot isolé au lieu d'une consonne
qui serait muette dans le mot isolé. Nous élargissons un peu ce sens en y comprenant
le cas de deux consonnes aussi bien que celui d'une seule.

Il entrera dans nos comparaisons quatre types de consécution consonne-voyelle et
quatre types de consécution consonne-consonne-voyelle. Ce sont:

type 1: tous tes (consonne initiale de mot).

type 2: doutait (consonne intervocalique, donc initiale de syllabe).

type 3: tout est (consonne de liaison qui serait muette dans le mot isolé).

type 4: doute est (consonne d'enchaînement qui serait prononcée finale dans le mot isolé).

type 5: coup plait (deux consonnes qui, en tant que groupe, sont initiales de mot).

type 6: couplet (deux consonnes qui, en tant que groupe, sont intervocaliques dans le mot).

type 7: coupe-les (une consonne qui serait finale dans le mot isolé est suivie d'une autre
consonne qui serait initiale dans le mot isolé).

type 8: couple est (deux consonnes qui, en tant que groupe, sont finales dans le mot isolé).

1. Liaison:

On peut admettre que les types 1 (tous tes) et 2 (doutait) sont semblables. Il n'y a
donc lieu de présenter ici qu'un genre d'oppositions: celle des types 1 ou 2, indifféremment,
au type 3 (tout est).

il est tout vert | il est ouvert.

un nain valide | un invalide.

c'est un neuf | c'est un œuf.

les zones | les aunes.

parler de l'Italie | parler de lit à lit.

les raisons pâlies | les raies ont pâli.

petit torrent | petit orage.

petit temple | petit ange.

La consonne de liaison est normalement à tension croissante, comme la consonne
initiale de mot ou de syllabe. La tension ne change de sens que dans des cas exceptionnels,
mais, sans changer de sens, elle peut subir un affaiblissement très léger et
imperceptible à l'oreille ordinaire. Mlle Durand, dans des comparaisons expérimentales
de la tension des t de petit torrent et petit orage, n'a jamais trouvé de tension
décroissante pour le t de liaison de petit orage. 1415 L'affaiblissement de tension croissante,
quand il a lieu, est accompagné d'un adoucissement général de la consonne,
perceptible surtout par le fait qu'elle est plus voisée ou moins dévoisée selon que c'est
une sonore ou une sourde.

2. Enchaînement comprenant une seule consonne:

Ici, on peut opposer le type 3 (tout est) au type 4 (doute est), ce qui montre la différence
entre la liaison et l'enchaînement.144

le tout est bon | le doute est bon.

ils sont très amis | ils sont treize amis.

le premier avis | la première aventure.

il est fait à rebours | elle est faite à rebours.

c'est un air nouveau | c'est une ère nouvelle.

il perd son élégance | une personne élégante.

Mais la différence, qui est de même sorte, est plus marquée dans l'opposition des
types 1 ou 2 (tous tes, doutait) au type 4 (doute est).

il parle du nôtre | il parle d'une autre.

laisse-les rentrer | laisse l'air entrer.

il répond du nombre | il répond d'une ombre.

les sentiers | laisse entier.

petit torrent | petite orange.

un signalement | un signe allemand.

un vieillard en sort | un vieil hareng saur.

sa toilette est faite | sa toile était faite.

ferme, le boucher vient | ferme la bouche et viens.

le souper servi | la soupe est servie.

donna Pierre | donne à Pierre.

Ici, la distinction est rarement imperceptible. L'abbé Rousselot a présenté des
tracés de donna Pierre et donne à Pierre sur lesquels na “apparaît plus fort que ne a”; 1516
et à la même page il s'exprime d'une manière catégorique: “… donne à Pierre ne se
confond point avec donna Pierre.” La tension de la consonne d'enchaînement peut
aller jusqu'à changer de sens et devenir décroissante, comme l'a observé expérimentalement
Mlle Durand pour petite orange. 1617 Mais d'après ses recherches, cela n'arrive
que devant une voyelle inaccentuée. Dans petite anse, où la voyelle est accentuée, le
t a conservé une tension décroissante sur tous les tracés qu'elle a étudiés. Quoi qu'il
en soit, quand la tension reste croissante, elle l'est généralement à un moindre degré.
En même temps, l'articulation est naturellement plus douce.

3. Enchaînement comprenant deux consonnes:

L'enchaînement avec deux consonnes présente des problèmes complexes. Ainsi il
faut tenir compte des facteurs qui facilitent l'union ou la séparation des deux consonnes,
tels que les différences d'aperture et de force d'articulation, ou le principe
d'économie de l'effort. Sans entrer dans le détail des questions de coupe syllabique,
nous nous sommes contentés de faire trois catégories de distinctions: les séquences
de consonnes dans lesquelles l'articulation de la première consonne domine nettement;
celles dans lesquelles c'est la deuxième; et celles où il n'y a pas de différence
très sensible.145

a) Première articulation dominante:

Il n'y a pas ici de distinction perceptible entre les types 5 (coup plait) et 6 (couplet).
Nous aurons donc des exemples des deux genres dans la première colonne, l'un aussi
bien que l'autre pouvant s'opposer au type 7 (coupe-les).

trois petits trous | trois petites roues.

une pluie drue | une pluie de rue.

pas drôle | pas de rôle.

mets-la pas dessus ça (vulg.) | mets la patte sur ça.

c'est trop tondu | cette rotonde.

tu plais | dupe-les.

couplet | coupe-les.

l'objet suit | robe jésuite.

le contrôlant | le comte Roland.

le napperon | la nappe ronde.

les coutelas | écoute-la.

Dans la première colonne, les deux consonnes sont nettement à tension croissante.
Dans la seconde colonne, la tension de la première consonne est plus faible et elle
peut aller jusqu'à devenir décroissante. En même temps, cette consonne devient plus
douce et plus ou moins voisée suivant le cas. La deuxième consonne est peu différente
dans la deuxième colonne. Elle conserve sa tension croissante et l'augmente peut-être.
Dans le cas où c'est une liquide précédée d'une occlusive sourde, elle retrouve le
voisement qu'elle avait en partie perdu au contact de l'occlusive sourde, comme l'a
fait remarquer M. Daniel Jones en comparant petits trous et petites roues. “In the case
of trois petites roues and trois petits trous the difference is mainly one of sound-formation,
consequent no doubt upon the point of incidence of the stress. In petites
roues
the final t of petites is weak and the r is fully voiced; in petits trous the t is strong
and the r is partially or completely voiceless”. 1718

Une remarque de l'abbé Rousselot, basée sur des tracés, semble indiquer encore
que les deux consonnes enchaînées du type coupe-les sont moins étroitement unies
que les mêmes consonnes dans le type couplet: “Dans le comte Roland, tr (l'e muet
étant tombé) a une ampleur de tracé qui ne se retrouve pas pour le contrôleur”. 1819

Dans cette catégorie, nous pouvons aussi opposer les types 5 ou 6 (coup plait,
couplet) au type 8 (couple est).

le couplet complet | le couple est complet.

l'eau très noire | l'autre est noire.

l'encrier | l'ancre y est.

un tableau sale | mets la table au salon.

On peut faire les mêmes remarques ici que pour l'enchaînement qui ne comprend
qu'une seule consonne. Les deux consonnes sont plus douces dans la colonne de
146droite. Leur tension croissante diminue considérablement et peut même aller jusqu'à
changer de sens et devenir décroissante.

b) Seconde articulation dominante:

Remarquons d'abord qu'ici les types 6 (couplet) et 7 (coupe-les) sont semblables.
En effet, il n'y a pas de distinction sensible entre pastel et passe-t-elle, parfait et par
fait
, serment et sers-m'en, l'armée et l'art met. Mais on trouvera des distinctions
intéressantes en opposant les types 6 ou 7 au type 5 (coup plait) puis au type 8 (couple
est).

Opposition des types 6 ou 7 au type 5:

cette estampe | c'était stable.

la cascade | bien scandé.

une espèce | un spécimen.

c'est parfait | c'est pas refait.

il l'armait | il la remet.

la maîtresse table | la main très stable.

laisse passer | c'est spatial.

laisse-nous | un snob.

il leur montre | il le remontre.

la part faite | il l'a refaite.

une ère nouvelle | l'été renouvelle.

la première quinte | le premier requin.

la première peint | le premier repeint.

la première tint | le premier retint.

la première vint | le premier revint.

Dans la première colonne, la première consonne est à tension décroissante et la
seconde à tension croissante. Dans la deuxième colonne les deux consonnes peuvent
être à tension croissante. La première consonne, en changeant de sens, devient forte.
La deuxième, qui conserve son sens de tension croissante, montre une certaine
assimilation de sonorité à la première et son degré de tension peut être réduit.

Opposition des types 6 ou 7 au type 8:

partout | n'importe où.

l'armée forte | l'arme est forte.

elle a pesté fort | la peste est forte.

à quel cœur | à quelque heure.

La première consonne ne change guère. Quant à la seconde, sa tension, toujours
croissante dans la colonne de gauche, peut soit rester croissante mais à un degré
moindre, soit devenir décroissante comme la première consonne. Daniel Jones avait
décrit la différence ainsi: “… it seems that the t in partout is strong and with some
French speakers slightly aspirated, while the t in n'importe où is weak and never
aspirated”. 1920 La réduction de tension s'accompagne en effet d'un adoucissement de la
consonne.147

c) Pas d'articulation dominante:

Dans ce cas, les articulations des deux consonnes ayant sensiblement même aperture
et même force d'articulation, les tensions sont peu accusées et il suffit d'un rien pour
faire pencher la balance dans le sens de la tension croissante ou dans le sens inverse.
Il y aura donc lieu de comparer entre eux les quatre types: 5 (coup plait), 6 (couplet).
7 (coupe-les) et 8 (couple est).

petit à petit | aptitude | attrape tout | apte à tout.

les cténéphores | acteur | craque tout | la cataracte est belle.

vous menez | calomnie | l'homme nie | un hymne ancien.

la bedaine | abdique | l'aube du jour.

les sphères | asphalte | laisse faire.

c'est cela | disloque | cesse là.

un Slave | Stanislas | la face lavée.

il fit cela | il ficela | ce fils-là.

On constate que le sens des tensions est plus flottant ici que dans les catégories
précédentes. C'est ce que confirme la phonétique expérimentale. Ainsi M. Grammont 2021
et Mlle Durand 2122 offrent tous deux des tracés du mot aptitude montrant que
la tension du p est tantôt croissante, tantôt décroissante. Mais le p du même groupe en
position initiale de mot est toujours à tension croissante d'après les recherches de M.
Grammont: “Il en est de même en français dans les mots du type: la p(e)tite, qui se
prononce toujours la-ptit, jamais lap-tit”. 2223

Dans les trois premières colonnes, la tension de la seconde consonne est toujours
croissante. Mais dans la quatrième colonne, elle peut s'affaiblir au point d'être
décroissante. Quant à la première consonne, elle a une tendance marquée à être à
tension croissante dans la première colonne. Dans la deuxième colonne, le sens de la
tension est flottant. Dans la troisième, il est encore flottant, mais il penche à être
décroissant. Dans la quatrième, la tendance de la tension à décroître s'accentue.

Ainsi d'une manière générale, le sens de la tension est le même pour les deux consonnes
dans la première colonne (croissant) et dans la quatrième (décroissant); il
diffère pour les deux consonnes une partie du temps dans la deuxième et la majorité
du temps dans la troisième.

Il va de soi qu'ici, comme précédemment, l'affaiblissement du degré de tension est
accompagné d'adoucissement de la consonne, et inversement.

III. Rôle de l'accent d'insistance

Malgré tout ce que nous venons de dire, il est évident que le français manque beaucoup
de moyens phonétiques pour délimiter les mots. Jusqu'ici, nous n'en avons point vu
148qui remplace l'explosion glottale de l'allemand, l'accent initial du finlandais ou le
monosyllabisme du chinois. Ce rôle peut être rempli exceptionnellement par l'accent
d'insistance. Dans certains parlers provinciaux même cela peut devenir plus qu'un
phénomène exceptionnel, grâce à la généralisation de cet accent: “Dans l'Est et le
Sud-Est du domaine d'oïl, ainsi que dans divers points du Centre et du Nord, au
contraire, il semble que l'accent d'insistance se soit généralisé et soit devenu en
quelque sorte normal”; 2324 quoi qu'il en soit, chaque fois que l'accent d'insistance porte
sur le son initial d'un mot — et c'est là qu'il porte dans la majorité des cas où il s'emploie
— il aide indirectement à séparer ce mot du précédent. Mais en plus il est parfois
employé dans le but direct de détacher certains mots au cours du groupe rythmique.
Il est alors très léger et tombe sur le son initial, que ce soit une voyelle ou une consonne.
Dans la conversation, au cours d'une explication un peu laborieuse, il arrive
qu'on entende est aussi (èt-osi), dans un (daz-œ̃), avec un t, un z légèrement relâchés,
à tension décroissante, et une marque d'intensité au début de la voyelle qui suit.
Mais on remarque surtout l'accent d'insistance dans la conférence et l'enseignement.
Le bon usage n'en abuse pas car il nuit à la beauté de la langue. On sait qu'une des
qualités du français correct est justement de ne l'employer que lorsque tout autre
moyen fait défaut.

Conclusion

La tendance du mot à être une entité phonétique en français peut se manifester, entre
autres, par les moyens suivants:

1. La désaccentuation incomplète des syllabes finales de mots majeurs à l'intérieur
du groupe rythmique.

2. L'accentuation de la partie initiale de mots (accent d'insistance).

3. Des altérations dans l'articulation des consonnes de liaison et d'enchaînement,
appréciables surtout par le degré et le sens de la tension (croissante ou décroissante),
le degré de force, et le degré de voisement.149

1* Déjà publié dans Le Français Moderne, 8, 1 (January, 1940), pp. 47-56.

21 M. Grammont, Traité pratique de prononciation française, 9e éd. (Paris, Delagrave, 1938),
p. 102.

32 P. Fouché, “L'état actuel du phonétisme français”, Conférences de l'Institut de Linguistique de
l'Université de Paris
, IV (1936), pp. 4-50.

43 Ibid., pp. 44-48.

54 Kr. Nyrop, Manuel de phonétique du français parlé, 4e éd. (New York, Stechert, 1925), p. 86.

65 P. Passy, Les sons du français, 11e éd. (Paris, Didier, 1929), p. 61.

76 Ibid., p. 61.

87 Abbé Rousseîot, Principes de phonétique expérimentale (Paris, Didier, 1924), t. II, p. 973.

98 Ibid., p. 974.

109 D. Jones, “The Word is a Phonetic Entity”, Le Maître Phonétique, 3e série, 36 (oct.-déc. 1931), p. 64.

1110 Ibid., p. 60: “When we compare the English an aim with a name, we find no appreciable difference
of sound-quality; the distinction is made almost entirely by means of stress.”

1211 M. Grammont, Traité de Phonétique (Paris, Delagrave, 1933), p. 102.

1312 Il n'est pas certain que le changement de sens de la tension ne puisse avoir lieu qu'entre deux
sons. Il semble que la tension puisse changer de sens pendant l'articulation même d'une consonne.

1413 N. Pernot, “La liaison en français: liaison et enchaînement”, The Modern Language Journal,
Feb., 1937, pp. 333-338.

1514 M. Durand, Le genre grammatical en français parlé à Paris et dans la région parisienne (Paris,
Français Moderne, 1936), pp. 240-241.

1615 M. Durand, op. cit., pp. 240-241.

1716 Abbé Rousselot, op. cit., p. 974.

1817 D. Jones, op.cit., p. 60.

1918 Abbé Rousselot, op. cit., p. 974.

2019 D. Jones, op. cit., p. 60.

2120 Op. cit., pp. 100-103.

2221 “Etude expérimentale sur la durée des consonnes parisiennes”, Le Français Moderne (Paris, 1936),
p. 21.

2322 M. Grammont, Traité de Phonétique, p. 100.

2423 P. Fouché, “Les diverses sortes de français au point de vue phonétique”, Le Français Moderne,
t. IV (1936), p. 205.