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Delattre, Pierre. Studies in French and Comparative Phonetics – T25

La question des deux “a” en français *1

Les traités de phonétique française, comme les dictionnaires et les grammaires,
admettent que la graphie a peut représenter soit [a], dit “antérieur” (maximum
d'ouverture vocalique, léger bombement de la langue vers le milieu de la bouche),
soit [ɑ], dit “postérieur” (le bombement est plus retiré vers le fond de la bouche, les
lèvres légèrement moins écartées que pour [a]), mais ils ne sont pas d'accord sur le
choix des a qui se prononcent [ɑ] plutôt que [a].

L'étranger qui note ces divergences cherche à y remédier en observant soigneusement
la prononciation des a chez les Français cultivés qui sont dans son entourage.
Il ne s'en trouve malheureusement que plus embarrassé: les a de l'un diffèrent étonnamment
des a de l'autre et il ne trouve pas de troisième qui soit d'accord avec l'un
ou l'autre. Il lui semble que les a de celui-ci sont tous graves (postérieurs), les a de
celui-là tous aigus (antérieurs), et ceux de cet autre tantôt graves, tantôt aigus selon les
mots. Et pourtant, pense-t-il fort justement, tous ces Français sont cultivés, tous
parlent le français du Nord et le parlent bien. Sa difficulté est encore aggravée du fait
que l'état phonétique évolue sans cesse et que la distinction des deux a diffère selon la
génération: “… si la distinction entre a antérieur et a postérieur existe toujours dans
les milieux cultivés, il faut reconnaître que l'usage est hésitant pour un certain nombre
de mots. C'est l'a antérieur qui semble prévaloir alors”, disait déjà M. Fouché en
1935, d'accord avec M. Dauzat (Où en sont les études de français, Paris, d'Artrey,
p. 49), indiquant par là que, en ce qui concerne le nombre des a postérieurs, la
génération la plus âgée est la plus conservatrice.

Pour se rendre compte du chemin parcouru depuis un bon demi siècle, il suffit
d'écouter le disque de Linguaphone “Les sons du français”, enregistré par Paul Passy
dans le premier quart du siècle. C'est un disque de grande valeur, comparable à ceux
de Caruso en musique. Passy — né en 1858, élevé à Paris (la propriété de famille est à
Bourg-la-Reine), fils de sénateur parisien (son père a été le premier à recevoir le Prix
Nobel pour la paix), créateur de l'alphabet phonétique international, fondateur de
l'Association Phonétique Internationale en 1885, et premier titulaire de la chaire de
phonétique à la Sorbonne — nous offre un parfait exemple de la prononciation parisienne
cultivée vers la fin du 19e siècle. Parmi les mots qu'il enregistre comme exempies
208du timbre des voyelles, il se trouve quantités de a postérieurs et antérieurs. Ce
sont les derniers surtout qui surprennent. Dans les mots pâle, pâte, fâché, âgé, et la
dernière syllabe de ananas, les a sont nettement graves, sans cependant porter vers
[ɔ] comme dans le parler vulgaire des faubourgs parisiens d'aujourd'hui. Le symbole
[ɑ] leur sied parfaitement. Mais dans les mots campagne, signal, montagne, travail,
page, papa, patte, barbe, lac, quoi, bague, cave, le timbre est beaucoup plus aigu que ce
qu'on note aujourd'hui par [a]; le symbole [æ] s'en rapprocherait plus. D'ailleurs,
dans d'autres mots en a, Passy atteint et même dépasse ce symbole. Dans quelquefois
et quoi, l'acuité égale celle du [æ] américain et rappelle les “oi” les plus “parigots” de
Maurice Chevalier. Enfin devant (r), dans rempart, part, parfum, l'acuité dépasse
celle de [æ] pour incliner vers [ɛ]. Au total, chez Passy, la différence de timbre entre
[a] et [ɑ] est plus marquée qu'aujourd'hui. Le rapprochement des timbres qui s'est
produit depuis Passy pourrait être l'effet d'une réaction contre la divergence profonde
qui existe dans l'accent faubourien, où [a] est presque [æ] et [ɑ] presque [ɔ]. Quoi qu'il
en soit, plusieurs phonéticiens ont noté dernièrement que les deux a semblent s'acheminer
vers un seul a, la différence de timbre qui les sépare étant parfois si réduite
que ceux qui la font ont de la peine à l'entendre.

Cette situation, d'ailleurs, n'est pas surprenante. D'après les statistiques que nous
offrons plus loin, l'a postérieur est tellement désavantagé par le nombre qu'on se
demande plutôt comment il a pu résister à la force de l'analogie. Depuis le 18 siècle —
époque pendant laquelle quelque 35.000 formes verbales en -as, -ât, -asse, -asses,
-assent, -âmes, -âtes, ont perdu leur [ɑ] pour retourner à [a] — le nombre des [ɑ]
accentués n'a sans doute jamais dépassé 400. Aujourd'hui, dans le parler le plus
conservateur, il ne reste de ces 400 qu'environ 150 [ɑ] certains, et moins de 200
incertains, hésitant entre [ɑ] et [a]. En face de cela, les [a] comptent quelque 10.000
mots, dont 2.700 dans les mêmes terminaisons consonantiques que les 150 [ɑ] certains,
et 2.600 dans les terminaisons des 200 [ɑ] incertains. Et cela, sans compter au
moins 60.000 formes verbales en -a, -as, -ât, -asse, asses, -assent, -âmes, -âtes. Ce qui
donne au total quelque 70.000 [a] submergeant 150 [ɑ]. En gros, 500 contre un.

Mais au lieu de les vouer à l'extinction, voyons rapidement comment ces a postérieurs
sont nés. Les cas nombreux de [ɑ] analogiques mis à part, leur évolution s'est
faite en deux temps: la postériorisation est la conséquence d'un allongement qui résulte
lui-même de l'amuissement d'un son (voyelle ou consonne) contigu à l'a, vers la fin
du moyen âge: animam > ànme > âme, aetaticum > eage > âge, rasculat > rascle
> racle, rutabulum > roable > râble. Ainsi, premier temps: [past] > [paːt], la
chute de [s] laissant un vide de durée qui est absorbé par un allongement de l'a;
deuxième temps: [a] étant maintenant long, la bouche a le temps de s'ouvrir davantage,
portant la langue de sa position légèrement antérieure à la position centrale
d'ouverture maximum, puis le mouvement vers l'arrière ainsi commencé se continue
au delà de la position centrale (position instable) mais sans dépasser le degré d'ouverture
du [a]: [paːt] > [pɑːt]. A partir de là, il s'établit une corrélation de durée: tout
[ɑ] suivi de consonne est plus long qu'un [a] suivi de la même consonne. (L'influence
209allongeante des consonnes agit naturellement sur les [ɑː] comme sur les [a]: si pave
est plus long que patte, hâve est plus long que hâte). Il en résulte qu'à l'avenir lorsqu'un
a postérieur redevient antérieur, il perd en même temps sa durée supplémentaire.
C'est le cas des formes verbales en -âtes: [donast] > [dɔnaːt] > [dɔnɑːt]; mais au
18e siècle, lorsque tous les -âtes des passés simples s'abrègent, [dɔnɑːt] > [dɔnɑt] >
[dɔnat], le a postérieur bref reprenant aussitôt le timbre du a antérieur. (L'orthographe,
elle, ne change pas. Oh! non. Elle est sacrée! Nos instituteurs trouvent
tout naturel de faire réciter un a bref et antérieur et de faire écrire un a long et
postérieur dans 10.000 formes verbales. Et cela fait encore moins sourciller nos
académiciens!)

Ce n'est pas là le seul exemple des dégâts causés par l'analogie. Nous verrons plus
loin que non seulement elle abrégera et antériorisera des a qui avaient droit à être longs
et postérieurs ([dɔna:t] > [dɔnat]) mais elle allongera et postériorisera des a qui n'y
avaient aucun droit: miracle, oracle, cadre, cadavre, diable, fable, sable, cabre, délabre,
etc., ont un [ɑ] par analogie avec râble, bâcle, âtre, etc., qui ont un accent circonflexe,
et avec racle (de rascle), ladre (de lasdre), madre (de masdre), etc., qui devraient en
avoir un. L'analogie mettra même des accents circonflexes où ils n'ont pas de raison
d'être: âcre (acrem), bédâne (beccum + anatem), câpre (italien Cappero), crâne
(cranium), grâce (gratia), hâble (espagnol Hablar), idolâtre (idolatres), infâme (infamis),
mânes (manes), pâle (pallidus), théâtre (theatrum), etc. (Après ces exemples, qui
oserait encore croire à la valeur “étymologique” de notre orthographe!)

Nous avons déjà dit que la liste des a postérieurs à recommander était chose fluide,
insaisissable, ni les Français entre eux, ni les grammaires, manuels et dictionnaires
n'étant d'accord.

C'est pour remédier à cette lacune que Pierre Fouché, Directeur de l'Institut de
Phonétique de la Sorbonne, nous promet depuis dix ans une liste définitive des [ɑ],
résultat de ses longues observations dans les milieux cultivés de Paris, et plus spécialement
dans la génération née vers la fin du 19e siècle ou un peu plus tard. Attendu
impatiemment de tous — y compris des Parisiens, qui brûlent de savoir enfin ce qu'ils
disent (puisque seul un phonéticien est en droit de le relever) — ce Traité de Prononciation
Française
(Paris, Klincksieck, 1956), est connu des phonéticiens sous le nom de
“livre d'octobre” parce que, chaque été, depuis la guerre, à ceux qui demandaient à
M. Fouché quand son traité devait paraître, il répondait: “En octobre. — Oui, mais
en quelle année, Maître? — Ah! ça, vous m'en demandez trop!”

Il valait la peine d'attendre. Dans un gigantesque exposé (500 pages) de la complexité
des rapports entre le timbre et la graphie, M. Fouché consacre 13 pages compactes
aux [ɑ]. Nous allons condenser ici l'essentiel de ce qui concerne l'[ɑ] accentué
(en syllabe finale), tout en complétant les listes partielles et en éclairant de statistiques
et de commentaires.

Nous séparerons les [ɑ] donnés pour “certains” des [ɑ] suivis de notions telles que
“on peut prononcer”, “à la rigueur”, “il y a hésitation”, etc. Et nous éliminerons de
nos listes tous les noms propres et les mots rares.210

Les a postérieurs “certains”

Il y en a 151, dont (I) 70 avec accent circonflexe, et (II) 81 sans, dans les listes de M.
Fouché. Les 81 mots sans accent peuvent se diviser en trois: II-A, les [a] qui se rattachent
à l'influence d'un [s]: terminaisons en a(s), asse, as, ase, aze, az; II-B les [ɑ]
suivis de groupes terminés en liquide: afle, avre, able, abre, acle, adre, (l'analogie est
ici secondée par l'influence allongeante de ces groupes de consonnes — on sait que les
groupes qui commencent par une liquide abrègent la voyelle qui précède, tandis que
les groupes qui se terminent par une liquide l'allongent — cf. French Review, XVI, 3
[1941], 220-232); II-C, les [ɑ] des terminaisons amne, a et oi.

I

Tous les “â” se prononcent [ɑ], sauf dans âge (incertain) et dans les terminaisons
verbales -ât, -âmes, -âtes (15.000):

-âtre: âtre, pâtre, plâtre, châtre, emplâtre, théâtre, albâtre, opiniâtre, acariâtre,
mulâtre, saumâtre, marâtre, douceâtre, bellâtre, idolâtre, folâtre, rougeâtre, bleuâtre,
jaunâtre, brunâtre, noirâtre, grisâtre, roussâtre, olivâtre, blanchâtre (25 avec [ɑ] contre
1 avec [a]: quatre).

-âche: bâche, rabâche, fâche, gâche, lâche, mâche, tâche (7 contre 40 comme vache,
sache).

-âle: hâle, châle, mâle, pâle, râle (5 contre 500 comme sale, salle).

-âne: âne, flâne, crâne, mâne, bédâne (5 contre 120 comme fane, canne).

-âte: hâte, gâte, mâte, pâte, tâte (5 contre 127 comme date, patte + 5.000 formes
verbales comme donnâtes).

-âme: âme, infâme, blâme, pâme (4 contre 70 comme dame, gamme + 5.000 formes
verbales comme donnâmes).

-â(t): bât, mât, dégât, appât (4 contre 220 comme débat, sénat + 5.000 formes
verbales comme donnât).

-âble: hâble, câble, râble (3 contre 500 comme table, probable).

-âcle: bâcle, débâcle, renâcle (3 contre 6 comme obstacle, spectacle).

-âpre: âpre, câpre (2 contre 2: diapre, malapre).

-âsse: châsse (1 contre 30 comme masse, chasse + 15.000 formes verbales comme
donnasse, donnasses, donnassent).

-âce: grâce (1 contre 60 comme trace, race, glace).

-âille: bâille (1 contre 74 comme baille, émaille, détaille, travaille).

-âcre: acre (1 contre 12 comme nacre, fiacre).

-âfre: bâfre (1 contre 2: offre, balafre).

-âpe: râpe (1 contre 35 comme cape, étape, frappe).

-âve: hâve (1 contre 45 comme lave, bave, pave).211

II-A

Quelques a suivis de s ou z se prononcent [ɑ]. Ce sont tous les mots en as (s prononcé),
-ase, -aze, -az, et environ la moitié des mots en -a(s) et asse.

-a(s): bas, cas, las, glas, lilas, mas, amas, pas, repas, trépas, appas, ras, haras, gras,
tas (15 en [ɑ] contre 21 en [a]: bras, ananas, embarras, chas, judas, fracas, tracas,
galimatias, matelas, échalas, coutelas, cervelas, verglas, damas, cadenas, compas,
débarras, fatras, taffetas, galetas, canevas). Ici, M. Fouché marque une grosse avance
du a antérieur. Ces 21 mots en [a], Passy (Dictionnaire Phonétique de la Langue
Française
, Hannover, Meyer, 1927) les donnait tous en [ɑ] — sur le disque Linguaphone,
il dit ananas avec a bien postérieur, bien grave; Mansion aussi (French and
English Dictionary
, London, Harap, 1946) les donne tous en [ɑ]; Grammont (Traité
Pratique de Prononciation Française
, Paris, Delagrave, 1938) tous sauf deux: bras et
cervelas; Barbeau-Rodhe (Dictionnaire Phonétique de la Langue Française, Stockholm,
Norstedt, 1930) tous sauf trois: bras, cervelas et galimatias; Coustenoble (A
Pronunciation Dictionary ofthe French Language
, London, Bell, 1929) tous sauf 13:
cervelas, galimatias, tracas, matelas, échalas, coutelas, ananas, compas, débarras,
embarras, taffetas, galetas, chas. Aux 21 mots de M. Fouché avec [a], il faut bien
entendu ajouter quelque 10.000 formes verbales comme: tu as, tu donnas, tu donneras.
On attribue l'allongement et la postériorisation, dans les mots en [ɑ], à la chute de
l's devant consonne.

-as (s prononcé): as, hélas, pancréas, atlas, vasistas (5 contre 0). L'allongement et la
postériorisation étaient normaux avant qu'on ait rétabli la prononciation de l's sous
l'influence de l'orthographe dans as et hélas, qui viennent du latin; mais pour
pancréas et atlas, qui sont empruntés au grec aux 16e et 17e siècles, et vasistas à
l'allemand (was ist das) au 18e, le [ɑ] n'est qu'analogique des autres formes en as
et en a(s).

-asse: ont [ɑ] les mots qui correspondent à un masculin en a(s), ou qui avaient ss
en vieux français: basse, lasse, amasse, passe, repasse, trépasse, grasse, tasse, entasse,
casse, classe, déclasse (12 en [ɑ] contre 30 en [a] comme chasse (v.f. chace), masse
(v.f. mace), fasse (v.f. face) + quelque 15.000 formes verbales en -asse, -asses et
-assent, d'ailleurs de très faible rendement). L'allongement et la postériorisation
viendraient ici de la chute du premier s. En effet les deux s se prononçaient géminés
en vieux français et ne se sont simplifiés qu'en moyen français, d'après Bourciez
(Précis Historique de Phonétique Française, Paris, Klincksieck, 1937, p. 215).

-ase: base, case, phase, emphase, jase, blase, gymnase, rase, brase, embrase, crase,
écrase, phrase, périphrase, extase, vase, évase, transvase (18 en [ɑ] contre 0 en [a]).

-aze: gaze, topaze (2 en [ɑ] contre 0 en [a]).

-az: gaz (1 en [ɑ] contre 0 en [a]).212

II-B

Devant les groupes de consonnes terminés par une liquide, l'a est postérieur dans
tous les mots en -afle et -avre, et dans quelques mots en -able, -abre, -acle, et -adre:

-afle: rafle, érafle (2 en [ɑ] contre 0 en [a]).

-avre: cadavre, havre, navre (3 contre 0).

-able: diable, fable, sable, accable (4 contre 500 comme table, probable, aimable).

-abre: sabre, candélabre, cabre, délabre (4 en [ɑ] contre 3 en [a]: palabre, glabre,
macabre. Pour les deux derniers “il y a hésitation”).

-acle: racle, oracle, miracle (3 en [ɑ] contre 6 en [a]: cénacle, pinacle, tabernacle,
obstacle, spectacle, réceptacle).

-adre: cadre, encadre, madre, ladre (4 en [ɑ] contre 1 en [a]: escadre, pour lequel
“il y a hésitation”).

II-C

L'a est enfin postérieur dans quelques mots en -amne, -a et -oi.

-amne: damne (1 en [ɑ] contre 1 en [a]: condamne, pour lequel “il y a hésitation”).

-oi: “… il n'y a guère que deux mots où l'on soit d'accord pour prononcer [ɑ] …”
(Fouché, Traité, p. 62): trois et haubois. (2 en [ɑ] contre environ 750 en [a] comme
moi, quoi, boite). Ici, M. Fouché fait un énorme pas en avant. Grammont, en 1938
(Op. Cit.), donnait encore l'a postérieur comme certain dans tous les mots où oi est
précédé de “consonne + r” et dans mois, je bois, du bois, noix, pois, poix, poids,
empois; et Passy, en 1929 (Op. Cit.) dans la plupart des mots de Grammont et dans
quantités d'autres.

-a: Dans les notes de musique: fa, la, les lettres de l'alphabet: a [ɑ], k [kɑ], et le
mot: bêta (5 en [ɑ] contre plus de 10.000 en [a], dont la plus grande partie sont des
terminaisons verbales comme va, donna, donnera).

Les a postérieurs incertains

Parmi les 188 cas de a accentués pour lesquels M. Fouché indique qu'on hésite
aujourd'hui entre [a] et [ɑ], on compte 19 terminaisons dont deux, -aille et -oi, comprennent
près des trois quarts des mots.

-aille: 70 mots comme aille, médaille, soit tous les mots en -aille sauf les quatre qui
correspondent à un substantif en -ail et qui sont: il baille, il émaille, il détaille, il
travaille
. Ces quatre, comme tous les mots en -ail, sauf rail, ont toujours un [a].
(70 contre 4)

-oi: 67 mots incertains, soit les 60 mots en -roi, comme froid, droite, roi, et les 7
mots: le bois, mois, pois, poids, noix, poix, voix (67 contre quelque 700 avec [a]
comme dois, loi).213

-asse: échasse, embrasse, impasse, nasse, calebasse, il compasse, il damasse, il ressasse,
il se prélasse (9 mots incertains contre 21 en [a] comme masse, paperasse, fasse
+ 15.000 formes verbales en asse, asses, assent).

-am(m)e: réclame, flamme, oriflamme, enflamme, proclame, diffame, déclame,
clame, brame (9 incertains contre 70 en [a] comme drame, gramme, entame).

-ar(r)e: are, rare, gare, barre, carre, contrecarre, rembarre (7 incertains contre 44
en [a] comme avare, bizarre).

-an(n)e: manne, émane, glane, plane, profane (5 contre 120 comme cane, panne).

-a(t): chocolat, climat, grabat, prélat (4 contre 220 comme chat, ingrat).

-ave: grave, esclave (2 contre 45 comme cave, lave).

-af(f)re: affres, balafre (2 contre 0).

-ace: espace, lace (2 contre 60 comme face, audace).

-abre: glabre, macabre (2 contre 1: palabre).

-adre: escadre (1 contre 0).

-amne: condamne (1 contre 0).

-ape: dérape (1 contre 35 comme cape, tape).

-aie: haie (1 contre 500 comme cigale, égale).

-abe: crabe (1 contre 10 comme syllabe, arabe).

-ail: rail (1 contre 27 comme détail, portail, travail).

-agne: gagne (1 contre 12 comme campagne, montagne).

-âge: âge (1 contre 750 comme page, sage).

Nous avons passé sous silence les [ɑ] inaccentués (en syllabe autre que finale), la
place nous manquant. Notons seulement ici que, phonétiquement, les deux a se
rapprochent encore plus en position inaccentuée qu'en position accentuée. Ainsi l'a
de pâtisserie est plus proche de celui de patte que ne l'est celui de pâte. Statistiquement
il en est de même: on néglige plus souvent de prononcer l'a postérieur dans pâtisserie
que dans pâte.

Concluons. Les a postérieurs et antérieurs sont loin d'avoir tous une origine
phonétique. Nombreux sont les a postérieurs de provenance analogique et les a
antérieurs qui devraient historiquement être postérieurs et ne le sont pas.

C'est au 18e siècle, avec l'antériorisation des formes verbales en âmes et âtes, que
les a postérieurs ont gravement perdu du terrain. Depuis, ils continuent à décroître
en nombre. Dans la période contemporaine de Passy à Fouché, c'est-à-dire en quelque
cinquante ans, ils semblent avoir réduit de moitié. Parallèlement, on constate un
rapprochement phonétique des deux a dans le français cultivé. Devant cette double
attaque, statistique et phonétique, l'a postérieur continue-t-il à battre en retraite?
Les jugements sur le présent sont impossibles; à plus forte raison sur l'avenir. Il ne
serait pas prudent de conseiller aux étudiants que le nombre des [ɑ] rebute encore, de
remettre leurs études de cinquante ans!214

1* Déjà publié dans The French Review, XXXI, 2 (December, 1957), pp. 141-148.